Language of document : ECLI:EU:T:2022:418

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

6 juillet 2022 (*)

« Marchés publics de services – Prestations de services d’assistance technique au Haut conseil judiciaire et aux autorités ukrainiennes – Irrégularités dans les procédures d’attribution des marchés – Recouvrement des montants indûment versés – Décisions formant titres exécutoires – Article 299 TFUE – Compétence de l’auteur de l’acte – Responsabilité non contractuelle de l’Union »

Dans l’affaire T‑408/21,

HB, représentée par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Araujo Arce, J. Estrada de Solà et J. Baquero Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, M. F. Schalin (rapporteur) et Mme P. Škvařilová‑Pelzl, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure, notamment,

–        la décision du 20 juillet 2021 de suspendre la procédure jusqu’aux décisions du Tribunal mettant fin à l’instance dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:917), et du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:918) ;

–        la mesure d’organisation de la procédure du 6 janvier 2022 invitant les parties à exposer les conséquences qu’elles tiraient pour la présente affaire des arrêts du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:917), et du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:918) ;

–        la décision du 1er mars 2022 faisant droit à la demande de procédure accélérée ;

–        la décision du 29 mars 2022 de ne pas suspendre la procédure ;

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, la requérante, HB, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation de la décision C(2021) 3339 final de la Commission, du 5 mai 2021, relative au recouvrement d’une créance d’un montant de 4 241 507,00 euros à sa charge, au titre du contrat portant la référence TACIS/2006/101-510 (ci-après le « marché TACIS ») et de la décision C(2021) 3340 final de la Commission, du 5 mai 2021, relative au recouvrement d’une créance d’un montant de 1 197 055,86 euros à sa charge, au titre du contrat portant la référence CARDS/2008/166-429 (ci-après le « marché CARDS »), et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission européenne sur la base desdites décisions (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), augmentés d’intérêts de retard au taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE), majoré de 7 points, ainsi que le paiement d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts, sous réserve de parfaire, en réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

 Marché TACIS

2        Le 25 janvier 2006, l’Union européenne, représentée par sa délégation en Ukraine (ci-après la « délégation en Ukraine »), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/122038/C/SV/UA dans le but de conclure le marché TACIS, à savoir un marché de services pour la fourniture d’une assistance technique aux autorités ukrainiennes en vue du rapprochement de la législation ukrainienne avec la législation de l’Union.

3        Le marché TACIS s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS) dont l’objet était de favoriser la transition vers une économie de marché et de renforcer la démocratie et l’État de droit dans les États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale. Le programme TACIS a été institué en vertu du règlement (CE, Euratom) no 99/2000 du Conseil, du 29 décembre 1999, relatif à la fourniture d’une assistance aux États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale (JO 2000, L 12, p. 1).

4        Le 17 juin 2006, le marché TACIS a été attribué au consortium coordonné par la requérante. Ledit contrat a ensuite été signé le 17 juillet 2006 pour une valeur maximale de marché de 4 410 000 euros.

5        Les 9 juin et 23 juillet 2006, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a reçu deux courriels anonymes contenant des allégations selon lesquelles la requérante avait disposé du cahier des charges de l’appel d’offres avant les autres soumissionnaires concurrents.

6        À la suite de ces allégations, l’OLAF a effectué une mission d’enquête. Dans un rapport d’analyse du 7 avril 2009, l’OLAF a relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption.

7        Les premières constatations de l’OLAF, qui concernaient plusieurs marchés publics et impliquaient tant la requérante qu’une société intermédiaire d’intelligence économique (ci-après la « société intermédiaire ») qui l’avait assistée lors de la participation à l’appel d’offres du marché TACIS, moyennant le versement d’une prime de succès, ont donné lieu à une transmission aux autorités judiciaires françaises, le 27 juin 2008, et belges, le 14 septembre 2009.

8        Le 16 juillet 2009, l’exécution du marché TACIS et les paiements s’y rapportant ont été suspendus.

9        Le 19 avril 2010, l’OLAF a transmis à la Commission son rapport d’enquête final qui a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. Elle a recommandé à la délégation en Ukraine de résilier le marché TACIS et de procéder au recouvrement des montants indûment versés.

10      Par lettre du 8 février 2012, la requérante a contesté le maintien de la suspension du marché TACIS et demandé la libération de la garantie bancaire qu’elle avait constituée. Le 22 février 2012, la délégation en Ukraine a informé la requérante du maintien de sa position.

11      Le 20 avril 2012, la délégation en Ukraine a informé la requérante de son intention de lever la suspension du marché TACIS et des paiements s’y rapportant, en raison, d’une part, de la durée prolongée de l’enquête judiciaire menée par les autorités belges et, d’autre part, du fait que ledit contrat pouvait être considéré comme exécuté.

12      Le 19 mars 2013, la délégation en Ukraine a informé la requérante que le marché TACIS pouvait être considéré comme ayant été exécuté, à la suite de l’approbation du rapport final, du paiement de la facture finale et du remboursement de la garantie bancaire.

13      Le 24 mai 2018, la délégation en Ukraine a notifié à la requérante son intention de recouvrer toutes les sommes versées au titre du marché TACIS, soit un montant de 4 241 507 euros.

 Marché CARDS

14      Le 24 octobre 2007, l’Union, représentée par l’Agence européenne pour la reconstruction (AER), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/125037/D/SER/YU dans le but de conclure le marché CARDS, à savoir un marché de services pour la fourniture de services d’assistance technique au Haut Conseil judiciaire, en Serbie.

15      Ce marché de services s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilisation (CARDS) dont l’objet était de fournir une assistance communautaire aux pays de l’Europe du Sud-Est en vue de leur participation au processus de stabilisation et d’association avec l’Union. Le programme CARDS a été institué en vertu du règlement (CE) no 2666/2000 du Conseil, du 5 décembre 2000, relatif à l’aide à l’Albanie, à la Bosnie-et-Herzégovine, à la Croatie, à la République fédérale de Yougoslavie et à l’ancienne République yougoslave de Macédoine et abrogeant le règlement (CE) no 1628/96 ainsi que modifiant les règlements (CEE) no 3906/89 et (CEE) no 1360/90 et les décisions 97/256/CE et 1999/311/CE (JO 2000, L 306, p. 1). L’instrument d’aide de préadhésion (IAP), institué en vertu du règlement (CE) no 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO 2006, L 210, p. 82), lui a succédé au titre de la période 2007-2013.

16      Le 10 juin 2008, le marché CARDS a été attribué au consortium coordonné par la requérante. Ledit contrat a ensuite été signé le 30 juillet 2008 pour une valeur maximale du marché de 1 999 125 euros.

17      À la suite de la disparition de l’AER en décembre 2008, le marché CARDS a été transféré à la délégation de l’Union en Serbie (ci-après la « délégation en Serbie »).

18      Le 24 septembre 2008, l’OLAF a reçu une lettre anonyme contenant des allégations selon lesquelles, d’une part, les curriculums vitae d’experts non principaux communiqués par la requérante dans le cadre de l’appel d’offres étaient faux et, d’autre part, le cahier des charges avait été adapté au profit de certains experts.

19      À la suite de ces allégations, l’OLAF a effectué une mission d’enquête. Dans un rapport d’analyse du 7 avril 2009, l’OLAF a relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption.

20      Le 31 mars 2010, l’exécution du marché CARDS a été suspendue. Par courriers des 1er et 20 avril 2010, la requérante a demandé des informations complémentaires au sujet de cette décision. Le 21 avril 2010, la délégation en Serbie a informé la requérante que la suspension se fondait sur les informations reçues de l’OLAF selon lesquelles elle aurait eu accès au cahier des charges trois semaines avant la publication de l’appel d’offres.

21      Le 28 novembre 2011, l’OLAF a transmis à la Commission son rapport d’enquête final qui a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. L’OLAF a recommandé à la délégation en Serbie de résilier le marché CARDS et de procéder à des recouvrements.

22      Le 28 juillet 2014, l’OLAF a adopté un rapport d’analyse complémentaire dans lequel il a présenté des éléments de preuve supplémentaires qui confirmaient les conclusions des rapports antérieurs.

 Procédures pénales nationales

23      Les premières constatations de l’OLAF relatives aux conditions d’attribution du marché CARDS ont été transmises aux autorités judiciaires françaises et belges, dans les mêmes conditions que pour le marché TACIS (voir point 7 ci-dessus).

24      Le 3 mai 2016, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles (France) a jugé que certains éléments de preuve fournis par l’OLAF contre la requérante devaient être considérés comme irrecevables dans l’ordre juridique interne, de sorte que ladite juridiction a prononcé l’« annulation » des rapports de l’OLAF qui, dès lors, ne pouvaient plus être utilisés dans les procédures judiciaires nationales. Sur cette base, le juge d’instruction français a rendu le 5 décembre 2017 une ordonnance de non-lieu en ce qui concernait la requérante, mais de renvoi devant une juridiction pénale en ce qui concernait la société intermédiaire et ses dirigeants ainsi qu’un membre du personnel de l’Union.

25      Le 5 octobre 2017, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), statuant sur l’instance concernant, notamment, l’attribution des marchés CARDS et TACIS, a rendu un jugement par lequel il a déclaré les poursuites pénales engagées, notamment, contre la requérante, irrecevables. Il a estimé que les rapports portés à l’attention de la justice belge par les fonctionnaires de l’OLAF étaient fondés sur des éléments de preuve préalablement déclarés nuls par la justice française et qui étaient entachés par la même nullité.

26      Le 18 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Paris (France) a rendu un jugement de condamnation de la société intermédiaire, de ses dirigeants et du membre du personnel de l’Union, pour corruption. Un appel a été formé à l’encontre de ce jugement.

 Mesures de recouvrement à l’encontre de la requérante

27      Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 7318 final, relative à la réduction des montants dus au titre du marché [TACIS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision de recouvrement TACIS »). La Commission a en particulier considéré que la procédure relative à ce marché était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), que ladite irrégularité était imputable au consortium coordonné par la requérante et qu’elle était suffisamment grave pour justifier que le montant dudit marché soit réduit de 4 410 000 euros à 0 euro. Tous les paiements, d’un montant total de 4 241 507 euros, effectués ont ainsi été considérés comme ayant été indûment versés et devant faire l’objet d’un recouvrement.

28      Le même jour, la Commission a adopté la décision C(2019) 7319 final, relative à la réduction des montants dus au titre du [marché CARDS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision de recouvrement CARDS »). Elle a en particulier considéré que la procédure relative à ce marché était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement no 1605/2002, que ladite irrégularité était imputable au consortium coordonné par la requérante et qu’elle était suffisamment grave pour justifier que le montant dudit marché soit réduit de 1 199 125 euros à 0 euro. Tous les paiements effectués, d’un montant total de 1 197 055,86 euros, ont ainsi été considérés comme ayant été indûment versés et devant faire l’objet d’un recouvrement. Lors de sa notification à la requérante, la décision en question était accompagnée d’une note de débit datée du 16 octobre 2019, portant sur le paiement par ladite société de la somme de 1 197 055,86 euros au plus tard le 15 novembre 2019.

29      Le 19 novembre 2019, la requérante a saisi le Tribunal de deux recours contestant la légalité des décisions de recouvrement CARDS et TACIS et comportant des demandes indemnitaires au titre de la responsabilité non contractuelle de l’Union, lesdits recours ayant été respectivement enregistrés sous les numéros T‑795/19 et T‑796/19.

30      Le 5 mai 2021, la Commission a adopté les décisions attaquées, sous le visa de l’article 299 TFUE et de l’article 100, paragraphe 2, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2018 »).

31      Selon les termes de leur article 5, les décisions attaquées forment titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE.

32      Par arrêts du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:917), et du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:918), le Tribunal a rejeté les deux recours formés devant lui, comme irrecevables, en ce qu’ils tendaient à l’annulation des décisions de recouvrement CARDS et TACIS, et comme non fondés, en ce qu’ils tendaient à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union. La Commission a formé à l’encontre de ces deux arrêts des pourvois, actuellement pendants devant la Cour, qui ont été respectivement enregistrés sous les numéros C‑160/22 P et C‑161/22 P.

33      Par ordonnance du 25 avril 2022, HB/Commission (T‑408/21 R, non publiée, EU:T:2022:241), le président du Tribunal a fait droit à la demande en référé présentée par la requérante, dans la mesure où elle tendait au sursis à l’exécution des décisions attaquées, tout en réservant les dépens.

 Conclusions des parties

34      La requérante demande formellement à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        ordonner le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base desdites décisions, augmentés des intérêts de retard au taux appliqué par la BCE, majoré de 7 points ;

–        condamner la Commission au paiement d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts, sous réserve de parfaire ;

–        condamner la Commission aux entiers dépens.

35      La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande d’annulation des décisions attaquées comme non fondée ;

–        rejeter l’ensemble de la demande indemnitaire comme irrecevable ou non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

36      À l’appui du recours, en ce qu’il tend à l’annulation des décisions attaquées, la requérante invoque trois moyens.

37      Le premier moyen est tiré de l’incompétence de la Commission pour adopter les décisions attaquées, de l’absence de base juridique de ces dernières et d’une violation du principe de confiance légitime. Le deuxième moyen est tiré d’une violation du règlement financier dans la mesure où la Commission ne détient aucune créance certaine à l’égard de la requérante. Le troisième moyen est tiré d’une violation des formalités substantielles, du devoir de diligence et du principe d’impartialité consacrés à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

38      Dans le cadre de la demande indemnitaire, la requérante fait valoir que les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE sont remplies.

 Sur la demande en annulation

39      Dans le cadre du premier moyen, tiré de l’incompétence de la Commission pour adopter les décisions attaquées, de l’absence de base juridique de ces dernières et d’une violation du principe de confiance légitime, la requérante expose que le recours est recevable en ce qu’il est fondé sur l’article 263 TFUE et qu’il est dirigé contre les décisions attaquées qui valent titre exécutoire, adoptées sur le fondement de l’article 299 TFUE.

40      La requérante fait également valoir que les décisions attaquées portent sur des créances de nature contractuelle et que, en l’absence de clause compromissoire dans les marchés TACIS et CARDS, la Commission n’était pas compétente pour adopter lesdites décisions. Cette analyse serait corroborée par les termes du jugement rendu le 19 février 2021 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles qui, saisi par elle, se serait déclaré compétent pour connaître de l’action introduite par cette dernière contre l’Union au titre desdits marchés.

41      En outre, la Commission aurait également violé le principe de protection de la confiance légitime en ayant adopté les décisions attaquées sans que cela soit prévu par les marchés TACIS et CARDS.

42      La Commission expose, pour sa part, que les décisions attaquées sont des accessoires des décisions de recouvrement TACIS et CARDS et que ces quatre décisions, qui sont de nature administrative à l’instar des créances dont le recouvrement est poursuivi, ont été adoptées en vertu de prérogatives de puissance publique. À cet égard, le jugement rendu le 19 février 2021 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles ne comporterait aucune position définitive sur la nature des décisions de recouvrement susmentionnées.

43      La Commission admet néanmoins que, si la Cour, dans le cadre des pourvois dont elle est saisie au titre des affaires C‑161/22 P, Commission/HB, et C‑160/22 P, Commission/HB, venait néanmoins à confirmer la nature contractuelle des décisions de recouvrement TACIS et CARDS, cela la priverait du pouvoir d’adopter les décisions attaquées qui devraient, alors, être retirées.

44      Dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure, la Commission fait valoir qu’elle dispose de la compétence pour recouvrer des créances, y compris de nature contractuelle, par la voie d’une décision exécutoire fondée sur l’article 299 TFUE, ainsi que cela est prévu à l’article 100 du règlement financier de 2018, et que seul le juge de l’Union serait compétent pour se prononcer sur la validité d’une telle décision.

45      En l’espèce, il y a lieu de rappeler à titre liminaire que, dans les arrêts du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:917, point 89), et du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:918, point 86), le Tribunal a considéré que les décisions de recouvrement CARDS et TACIS étaient uniquement susceptibles de produire des effets relevant du cadre contractuel, de sorte que, en substance, elles relevaient de la sphère contractuelle et qu’elles ne faisaient pas partie des actes dont l’annulation pouvait être poursuivie devant lui sur le fondement de l’article 263 TFUE.

46      En outre, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, lorsque le juge de l’Union est saisi, en application de l’article 263 TFUE, d’un recours en annulation contre une décision de la Commission formant titre exécutoire formalisant une créance contractuelle, ledit juge est compétent pour examiner ce recours eu égard à l’exercice de prérogatives de puissance publique qu’implique l’adoption d’une telle décision (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 88, et du 20 octobre 2021, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, T‑191/16, non publié, EU:T:2021:707, point 33). Or, en l’espèce, la demande d’annulation est dirigée contre les décisions attaquées qui ont été adoptées par la Commission sur le fondement de l’article 299 TFUE et qui visent au recouvrement de créances de nature contractuelle.

47      Il y a donc lieu de considérer que les décisions attaquées appartiennent à la catégorie des actes dont l’annulation peut être demandée au juge de l’Union sur le fondement de l’article 263 TFUE, de sorte que le présent recours doit être considéré comme recevable.

48      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que la question de savoir si la Commission pouvait adopter une décision formant un titre exécutoire au titre de l’article 299 TFUE pour réclamer une créance née de l’inexécution d’un contrat a été examinée dans l’arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2020:576).

49      Selon la Cour, en présence de conventions conclues entre l’Union et un tiers, qui comportent une clause compromissoire au profit du juge de l’Union, ni l’article 299 TFUE ni l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier de 2018 n’établissent de distinction selon que la créance dont la constatation est formalisée par une décision formant titre exécutoire est d’origine contractuelle ou non contractuelle. Ainsi, lesdits articles peuvent servir de base juridique à la Commission pour adopter des décisions formant titre exécutoire, au sens de l’article 299 TFUE, alors même que l’obligation pécuniaire en cause est de nature contractuelle (arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, points 57 et 58).

50      Cependant, la Cour a également rappelé que la Commission ne pouvait adopter de décision formant titre exécutoire dans le cadre de relations contractuelles si ces dernières ne comportaient pas une clause compromissoire en faveur du juge de l’Union et relevaient, de ce fait, de la compétence juridictionnelle des juridictions d’un État membre. En effet, l’adoption d’une telle décision par la Commission en l’absence de clause compromissoire conduirait à restreindre la compétence de ces dernières juridictions, puisque le juge de l’Union deviendrait compétent pour juger de la légalité de cette décision. La Commission pourrait ainsi contourner systématiquement la répartition des compétences entre le juge de l’Union et les juridictions nationales consacrée dans le droit primaire, notamment en présence d’un contrat liant la partie requérante à l’une des institutions de l’Union. Le juge de l’Union ne peut être saisi d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques obligatoires qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative. Partant, le pouvoir de la Commission d’adopter des décisions formant titre exécutoire dans le cadre de relations contractuelles doit être limité aux contrats qui contiennent une clause compromissoire attribuant compétence au juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, point 75, et du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 73).

51      Or, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 octobre 2021, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission (T‑191/16, non publié, EU:T:2021:707), qui est invoquée par la Commission dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure afin de revendiquer sa compétence aux fins de l’adoption des décisions attaquées, la convention litigieuse comportait une clause compromissoire, contrairement, en l’espèce, aux marchés CARDS et TACIS.

52      En revanche, ainsi qu’il résulte des arrêts du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:917), et du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:918), les créances dont la Commission poursuit le recouvrement par les décisions attaquées trouvent leur origine dans des conventions, conclues entre l’Union et la requérante, qui sont dépourvues de clause compromissoire en faveur des juridictions de l’Union et qui, au contraire, comportent des clauses attributives de juridiction désignant comme juge compétent le juge national belge et non le juge de l’Union.

53      Il y a donc lieu de constater que, au regard des principes rappelés par la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus, compte tenu de l’absence d’une clause compromissoire dans les marchés CARDS et TACIS, la Commission ne disposait pas du pouvoir d’adopter les décisions attaquées sur le fondement de l’article 299 TFUE.

54      Partant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le grief tiré d’une violation du principe de confiance légitime, ni les deuxième et troisième moyens, il y a lieu de déclarer le premier moyen bien fondé et, partant, d’annuler les décisions attaquées.

 Sur la demande indemnitaire

55      La requérante, ainsi que cela ressort des points 100 et 101 de la requête, a inclus dans ses conclusions indemnitaires la totalité de ses chefs de demandes autres que sa demande d’annuler les décisions attaquées. Il y a donc lieu de considérer lesdits chefs de demande comme relevant d’un chef de conclusions unique, tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

56      À cet égard, la requérante expose, en substance, que les manquements qui sont imputés à la Commission dans le cadre du présent recours en ce que ce dernier tend à l’annulation des décisions attaquées, notamment l’absence de compétence de la Commission pour adopter lesdites décisions et de base juridique fondant ces dernières, la violation du principe de bonne administration et du devoir de diligence ou l’absence de créance certaine détenue par la Commission à son égard, constituent des violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

57      La requérante soutient par ailleurs que son préjudice matériel est réel et certain, car la Commission lui a notifié, à travers les décisions attaquées, deux titres exécutoires et des décisions de recouvrement dont le montant est si élevé qu’il menace son existence même au regard de ses capacités financières limitées. Elle estime également avoir subi un préjudice moral qui ne pourrait être intégralement réparé par l’annulation desdites décisions. Elle invoque, à cet égard, le risque de faillite qu’elle encourt, ou toute situation analogue qui serait susceptible de l’exclure des marchés publics avec l’Union.

58      La Commission fait valoir en réponse qu’aucune des conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est remplie en l’espèce. Premièrement, elle conteste l’illégalité du comportement qui lui est reproché, en renvoyant à cet égard à ses arguments relatifs à la réfutation de la demande en annulation. Deuxièmement, elle expose que la requérante n’a fourni aucun élément de nature à démontrer le lien de causalité entre le manquement reproché et le préjudice invoqué, en violation de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal, ce qui pourrait rendre la demande indemnitaire irrecevable. Troisièmement, le préjudice matériel invoqué par la requérante, consistant en les montants éventuellement recouvrés en exécution des décisions attaquées, ne se serait pas encore matérialisé à la date d’introduction de la requête et ne reposerait que sur de vagues allégations et spéculations.

59      Par ailleurs, selon la Commission, à supposer que le préjudice moral soit avéré, il pourrait être suffisamment réparé par l’éventuelle annulation des décisions attaquées. Enfin, elle rappelle qu’elle a accepté de suspendre l’exécution des décisions attaquées jusqu’à ce que la Cour ait rendu ses décisions dans le cadre des pourvois dont elle est saisie au titre des affaires C‑160/22 P, Commission/HB, et C‑161/22 P, Commission/HB, et qu’elle ait tranché la question de la nature administrative ou contractuelle des décisions de recouvrement CARDS et TACIS.

60      En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

61      L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organismes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 139 et jurisprudence citée).

62      Le caractère cumulatif de ces trois conditions d’engagement de la responsabilité implique que, lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêts du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C‑122/01 P, EU:C:2003:259, point 30, et du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, EU:T:2007:212, point 120).

63      S’agissant de la condition tenant à la réalité du dommage, il importe de rappeler que ce dernier doit être réel et certain, ainsi qu’évaluable. En revanche, un dommage purement hypothétique et indéterminé ne donne pas droit à réparation (voir ordonnance du 7 juillet 2006, Établissements Toulorge/Parlement et Conseil, T‑167/02, non publiée, EU:T:2006:193, point 28 et jurisprudence citée).

64      En outre, il incombe à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir l’existence et l’ampleur de son préjudice (arrêt du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26/74, EU:C:1976:69, points 22 à 24, et ordonnance du 7 juillet 2006, Établissements Toulorge/Parlement et Conseil, T‑167/02, non publiée, EU:T:2006:193, point 29).

65      En l’espèce, dans la mesure où le comportement de la Commission aurait présenté un caractère fautif lorsque cette dernière a adopté les décisions attaquées, il apparaît, en tout état de cause, que la requérante ne rapporte pas la preuve d’un chef de préjudice matériel indemnisable lié à l’adoption desdites décisions.

66      En effet, en ce que le préjudice matériel invoqué par la requérante correspond aux montants que la Commission aurait éventuellement recouvrés à son égard sur la base des décisions attaquées, assortis d’intérêts de retard, il y a lieu de constater, ainsi que l’admet la requérante, qu’il ne s’est matérialisé ni à la date d’introduction du présent recours ni postérieurement à cette introduction et que, par conséquent, il demeure hypothétique et dépourvu de caractère certain.

67      En effet, si la requérante invoque le fait que les décisions attaquées constituent des titres exécutoires pouvant donner lieu à la mise en recouvrement, à un stade futur, des sommes réclamées, assorties d’intérêts de retard, il n’en demeure pas moins que, à ce stade, elle n’a pas démontré que le recouvrement effectif desdites sommes serait intervenu. Au demeurant, compte tenu de l’annulation des décisions attaquées par la présente décision, cette situation n’est pas susceptible d’évoluer.

68      Ainsi, faute pour la requérante d’avoir démontré la réalité du dommage matériel qu’elle invoque, l’une des conditions de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas remplie en l’espèce, de sorte que la demande d’indemnisation de ce chef de préjudice n’est pas fondée et qu’il y a lieu de la rejeter.

69      Par ailleurs, en ce qui concerne le préjudice moral invoqué par la requérante, il y a lieu de rappeler que l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 49).

70      En l’espèce, il convient de relever que la requérante se borne à invoquer le risque de faillite qu’elle encourt ou toute situation analogue qui serait susceptible de l’exclure des marchés publics avec l’Union sans produire d’élément permettant d’établir l’existence d’un préjudice moral certain qui ne pourrait pas être intégralement réparé par l’annulation des décisions attaquées.

71      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’annulation des décisions attaquées constituerait en elle-même une réparation adéquate du préjudice moral invoqué, à supposer qu’il soit établi.

72      Au regard des développements qui précèdent, il y a lieu de rejeter dans son intégralité la demande indemnitaire comme non fondée.

 Sur les dépens

73      En vertu de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

74      En l’espèce, dans la mesure où le chef de conclusions de la requérante tendant à l’annulation des décisions attaquées a été accueilli, tandis que son chef de conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union a été rejeté, il y a lieu de condamner la requérante et la Commission à supporter leurs propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2021) 3339 final de la Commission, du 5 mai 2021, relative au recouvrement d’une créance de 4 241 507 euros à la charge de HB, et la décision C(2021) 3340 final de la Commission, du 5 mai 2021, relative au recouvrement d’une créance de 1 197 055,86 euros à la charge de HB, sont annulées.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      HB et la Commission européenne supporteront chacune leurs propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juillet 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.