Language of document : ECLI:EU:T:2000:306

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

14 décembre 2000 (1)

«Droit communautaire - Principe d'efficacité du droit communautaire - Principe de bonne gestion financière - Compensation entre une créance de la Commission et des montants dus au titre de contributions communautaires»

Dans l'affaire T-105/99,

Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE), ayant son siège à Paris, représentée par Me F. Herbert et Me F. Renard, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me K. Manhaeve, 56-58, rue Charles Martel,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. P. Oliver, conseiller juridique, et K. Simonsson, membre du service juridique, et Mme W. Neirinck, fonctionnaire nationale détachée auprès de la Commission, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission, contenue dans la lettre du 15 février 1999, opposant au requérant une compensation de leurs créances réciproques,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 11 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Les 11 février 1994 et 25 avril 1995, le Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE), association de droit français regroupant des associations nationales de pouvoirs locaux et régionaux d'Europe, l'association Agence pour les réseaux transméditerranéens (ARTM) et l'association de droit français Cités unies développement (CUD) ont conclu trois contrats d'assistance technique avec la Commission.

2.
    Ces contrats concernaient deux programmes de coopération régionale adoptés sur la base du règlement (CEE) n° 1763/92 du Conseil, du 29 juin 1992, relatif à la coopération financière intéressant l'ensemble des pays tiers méditerranéens (JO L 181, p. 5), et dénommés MED-URBS et MED-URBS MIGRATION (ci-après les «contrats MED-URBS»). Selon les articles 8 desdits contrats, ces derniers sont soumis à la loi belge, une clause attributive de compétence en faveur des juridictions civiles de Bruxelles étant également prévue dans ces conventions dans l'hypothèse de l'échec du règlement amiable d'un litige survenu entre les parties.

3.
    Après avoir contrôlé les comptes du CCRE, la Commission a conclu que la somme de 195 991 écus devait être recouvrée à l'encontre de celui-ci, dans le cadre des contrats MED-URBS. Dès lors, le 30 janvier 1997, elle a établi la note de débit n° 97002489N pour ce montant et a demandé au CCRE le remboursement par lettre du 7 février 1997.

4.
    Dans cette lettre, qui n'est parvenue au requérant que le 23 février 1997, la Commission invoquait, d'une manière générale, le non-respect des clauses contractuelles pour justifier la demande de remboursement.

5.
    Sur demande du CCRE, la Commission a précisé, dans une lettre du 25 juillet 1997, que les budgets afférents à chaque contrat n'avaient pas été respectés, des dépenses excédant les limites budgétaires ayant été effectuées sans autorisation écrite préalable de sa part.

6.
    Le requérant a contesté le bien-fondé de la position prise par la Commission dans diverses lettres ainsi qu'à l'occasion de plusieurs entretiens et a refusé de payer la somme réclamée.

7.
    Par lettre recommandée du 19 novembre 1998, la Commission a invité le CCRE à s'acquitter du montant en question dans les 15 jours à compter de la réception de ladite lettre.

8.
    Par lettre du 3 décembre 1998, la Commission a mis en demeure le CCRE de procéder au remboursement de la somme de 195 991 écus et a évoqué la possibilité d'un recouvrement de ce montant «par compensation sur les sommes [dues au CCRE] au titre de toute contribution communautaire ou encore par toute voie de droit, tant en principal qu'en intérêts».

9.
    En réponse à cette lettre, dans son courrier du 18 décembre 1998, le CCRE a contesté le caractère certain de sa prétendue dette et s'est opposé à la compensation.

10.
    Par lettre du 15 février 1999, la Commission a fait savoir au CCRE que «la créance en question [présentait] bien les caractères de certitude, de liquidité et d'exigibilité permettant d'opérer une compensation». Elle informait, en outre, le requérant de sa décision (ci-après la «décision litigieuse» ou la «décision attaquée») de «procéder au recouvrement du montant de 195 991,00 euros par compensation sur les sommes [...] dues au titre des contributions communautaires» relatives à certaines actions (ci-après les «actions litigieuses»). Elle ajoutait encore: «[L]es paiements [...] sont à considérer comme perçus par le CCRE avec les obligations qui en découlent, que le paiement constitue une avance, un acompte, ou bien un paiement final.»

11.
    Le CCRE a saisi le tribunal de première instance de Bruxelles, conformément à la clause attributive de juridiction contenue dans les contrats MED-URBS, afin de contester le bien-fondé de la prétendue créance de la Commission dans le cadre desditscontrats et démontrer, par là même, l'absence de réunion des conditions prévues par la loi belge pour éteindre des obligations contractuelles par voie de compensation.

Procédure et conclusions des parties

12.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 1999, le requérant a introduit le présent recours.

13.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

14.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 11 mai 2000.

15.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision de la Commission, contenue dans la note de débit n° 97002489N du 15 février 1999, de ne pas lui verser les sommes suivantes (ci-après les «sommes litigieuses»):

    -    39 447,39 euros, au titre de «séminaires régionaux dans les zones objectif 2 (DG XVI)»;

    -    50 000,00 euros, au titre de la «subvention programme 1998 (secrétariat général)»;

    -    82 800,00 euros, au titre de la «déclaration B4-3040/98/208/jnb/d3 (DG XI)»; et

    -    23 743,61 euros, au titre de la «convention SOC 98 101185 05D05 (DG V)» (sur un total de 31 405,08 euros);

-    condamner la Commission aux dépens.

16.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, non fondé;

-    condamner le requérant aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

17.
    La Commission conteste la recevabilité du recours en faisant valoir que ce dernier est dirigé, aux termes de la requête, contre «la décision de la Commission [...] contenue dans la note de débit n° 97002489N du 15 février 1999», alors que celle-ci est en réalité datée du 30 janvier 1997. Le requérant aurait ainsi commis une erreur manifeste et introduit son recours postérieurement à l'expiration du délai prévu à l'article 173, cinquième alinéa, du traité CE (devenu article 230, cinquième alinéa, CE).

18.
    La Commission souligne que le requérant a modifié sa demande dans la réplique en visant «la décision de la Commission des Communautés européennes, contenue dans la lettre du 15 février 1999 se référant à la note de débit n° 97002489N».

19.
    La Commission indique que, si le recours avait été formulé de la sorte dans la requête introductive, elle n'aurait jamais contesté la recevabilité de celui-ci. Elle conteste la possibilité pour le requérant de modifier la formulation initiale de sa demande au stade de la réplique.

20.
    Le requérant fait remarquer que l'objet du présent recours est l'annulation de la décision de la Commission d'utiliser la note de débit n° 97002489N comme mode de paiement des contributions communautaires qui lui sont dues et ce par voie de compensation.

21.
    Cette décision serait contenue dans la lettre du 15 février 1999, reçue par le requérant le 23 février suivant. Elle comporterait des effets juridiques affectant indiscutablement les intérêts du requérant en tant que créancier de contributions communautaires et constituerait ainsi un acte faisant grief.

22.
    Le recours ayant été déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 1999, le délai imparti par l'article 173, cinquième alinéa, du traité aurait été respecté. Par conséquent, le recours serait recevable.

Appréciation du Tribunal

23.
    Il y a lieu de constater qu'il résulte clairement de la requête que le recours concerne la décision de la Commission, contenue dans la lettre du 15 février 1999, d'opérer une compensation. Dès lors, ledit recours doit être déclaré recevable comme ayant été introduit dans le délai prévu à l'article 173, cinquième alinéa, du traité.

Sur le fond

24.
    À l'appui de son recours, le requérant invoque quatre moyens tirés du défaut de base juridique de la décision litigieuse, de la violation du principe de sécurité juridique, de la violation du principe de confiance légitime, et de la violation de l'obligation de motivation prévue à l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE). Il convient, dans les circonstances de l'espèce, de privilégier l'examen du premier moyen.

Arguments des parties

25.
    Le requérant fait valoir que le cadre juridique régissant les droits et devoirs respectifs de la Commission et des bénéficiaires de contributions communautaires est défini par les termes de la convention ou des documents d'octroi concernés ainsi que, le cas échéant, par les conditions générales qui y sont annexées.

26.
    En l'espèce, aucune des clauses contenues dans ces textes ne prévoirait la possibilité pour la Commission d'opérer une compensation entre les dettes qui lui incombent, au titre de ces contributions communautaires, et une prétendue créance à l'égard du CCRE dans le cadre d'une autre relation juridique.

27.
    Le requérant fait remarquer, que la créance et les dettes concernées sont, d'une part, prétendue et dues à des titres différents, la première étant d'origine contractuelle alors que les secondes correspondent à des obligations réglementaires, et, d'autre part, soumises à deux ordres juridiques différents, en l'occurrence belge et communautaire. Par ailleurs, les contrats et contributions concernés dépendraient de services différents de la Commission.

28.
    Le requérant fait observer que, dans le droit administratif de certains États membres, notamment les droits administratifs français et belge, il n'est pas permis à une administration de compenser des dettes par des créances concernant des services différents et/ou soumises à un régime juridique différent.

29.
    En outre, la Commission ne pourrait appliquer la compensation en faisant valoir qu'il s'agit d'un principe général de droit communautaire. En effet, les principes généraux de droit communautaire, qui peuvent s'appliquer en toutes circonstances, auraient pour objet d'éviter un déni de justice (arrêt de la Cour du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée commune de la CECA, 7/56 et 3/57 à 7/57, Rec. p. 81), de préciser une notion non définie en droit communautaire qui serait invoquée en justice, d'appuyer l'interprétation d'une norme de droit communautaire la plus conforme à l'esprit du traité ou de limiter le pouvoir discrétionnaire des institutions et des États membres.

30.
    La compensation ne poursuivrait aucun desdits buts et aurait, au contraire, celui d'étendre en toute illégalité le pouvoir de la Commission de refuser le versement de sommes incontestablement dues. La défenderesse aurait ainsi soustrait la créance dont elle se prévaut au contrôle des juridictions d'un État membre, qui sont compétentes en raison des clauses attributives de juridiction définies d'un commun accord par les parties.

31.
    Il ressort de la jurisprudence que la compensation ne serait qu'un «mécanisme» particulier d'extinction d'obligations réciproques, qui ne s'appliquerait qu'en présence de conditions bien déterminées.

32.
    Le requérant souligne que c'est seulement dans l'arrêt du 19 mai 1998, Jensen et Korn- og Foderstofkompagniet (C-132/95, Rec. p. I-2975, ci-après l'«arrêt Jensen»), que la Cour a évoqué l'application du mécanisme de la compensation entre obligations relevant de deux ordres juridiques distincts. Dans cet arrêt, la Cour aurait indiqué que, en présence de deux ordres juridiques dont l'un ne comporte aucune disposition pertinente quant à la compensation, il convenait, en tout état de cause, de faire application des règles prévues par l'autre ordre juridique.

33.
    En application de ce principe, il y aurait lieu, en l'espèce, de vérifier si les conditions pour l'application de la compensation prévues par le droit belge sont réunies, étant rappelé que ce droit régit les contrats d'où découle la prétendue créance de la Commission.

34.
    En vertu du droit belge, une compensation entre deux obligations réciproques ne pourrait être opérée par les parties à un contrat que si les créances en cause sont certaines, liquides et exigibles. Aucune des trois compensations - légale, judiciaire, conventionnelle - ne s'appliquerait automatiquement à la seule initiative d'une des parties sans la réunion de conditions strictes.

35.
    En l'occurrence, la prétendue créance invoquée par la Commission dans le cadre de l'exécution des contrats MED-URBS ne revêtirait pas ce caractère de certitude, puisqu'elle est contestée par le requérant, qui a saisi, à cette fin, le tribunal de première instance de Bruxelles.

36.
    Le seul autre ordre juridique présentant un lien avec l'espèce serait le droit français, en raison de la localisation du siège du CCRE. Or, le droit français prévoirait les mêmes conditions d'application pour l'utilisation du mécanisme de la compensation que le droit belge.

37.
    Par conséquent, à supposer même que la compensation puisse être utilisée dans le cadre du droit communautaire pour l'extinction de deux obligations relevant de deux ordres juridiques distincts, les conditions nécessaires à son application ne se trouveraient pas, en tout état de cause, réunies.

38.
    À l'audience, le CCRE a ajouté que, en réponse à sa lettre du 22 janvier 1999 dans laquelle il avait fait part à la Commission des problèmes causés par le retard de versement des fonds communautaires pour la bonne exécution des actions litigieuses, cette institution avait seulement accusé réception de cette correspondance dans une lettre du 3 février 1999.

39.
    La Commission fait valoir que le droit d'opérer une compensation est un principe général du droit communautaire qui s'applique même en l'absence d'une disposition expresse.

40.
    La distinction entre «mécanisme» et «principe» serait d'ordre purement sémantique. En effet, même en considérant la compensation comme un mécanisme ou un mode de paiement, le droit de procéder à une compensation constituerait un principe général du droit communautaire.

41.
    Au soutien de cette thèse, la Commission invoque les trois arrêts de la Cour rendus en matière de compensation. Dans l'arrêt du 1er mars 1983, DEKA/CEE (250/78, Rec. p. 421, point 13), la Cour affirmerait que la législation communautaire peut «faire naître, entre les autorités et les opérateurs économiques, des créances réciproques et même connexes, qui se prêtent à la compensation». Le droit d'effectuer une compensation existerait donc en droit communautaire, même en l'absence d'une disposition expresse.

42.
    La Commission conteste l'interprétation du requérant de l'arrêt DEKA/CEE, précité, selon laquelle cet arrêt ferait, en réalité, application du principe d'inopposabilité aux créanciers des actes frauduleux de leurs débiteurs. Elle soutient que ce n'était pas la cession du crédit mais la tentative d'éviter la compensation qui était frauduleuse.

43.
    Elle invoque aussi l'arrêt de la Cour du 15 octobre 1985, Continental Irish Meat (125/84, Rec. p. 3441), dans lequel a également été admise la compensation opérée par l'administration nationale concernée.

44.
    Elle se réfère, enfin, au passage de l'arrêt Jensen (point 54), selon lequel «le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un État membre opère une compensation entre un montant dû au bénéficiaire d'une aide au titre d'un acte communautaire et des arriérés de créances de cet État membre», et rappelle que, dans ses conclusions (Rec. p. I-2977, point 39), l'avocat général M. Fennelly a fait observer ce qui suit:

«[L']exécution avant le transfert de l'argent ne diffère pas beaucoup, du point de vue du degré de liberté dont bénéficie l'intéressé en ce qui concerne ses biens, d'une exécution postérieure au paiement, sous quelque forme que ce soit.»

45.
    Il résulterait également des conclusions des avocats généraux MM. Mancini et Fennelly sous les arrêts DEKA/CEE (Rec. p. 433), Continental Irish Meat (Rec. p. 3442) et Jensen, précités, que la compensation constitue une modalité de paiement parfaitement courante, la partie se voyant opposer la compensation ayant toujours la possibilité de la contester devant la juridiction compétente.

46.
    Le rejet pur et simple du droit de compensation pour un créancier confronté à un débiteur récalcitrant le priverait de la possibilité de recouvrer sa créance de manière rapide et efficace, ce qui serait de toute évidence contraire au bon sens et au principe d'économie de procédure.

47.
    Pour déterminer, dans le cadre de l'ordre juridique communautaire, les conditions nécessaires à l'application de la compensation, il y aurait lieu de s'inspirer des ordres juridiques des États membres. À cette fin, il conviendrait de procéder d'une «manièrecritique et de tenir compte des objectifs spécifiques du traité ainsi que des particularités des structures communautaires» (conclusions de l'avocat général M. Roemer sous l'arrêt de la Cour du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schoeppenstedt/Conseil, 5/71, Rec. p. 975, 987).

48.
    Se fondant sur une étude de droit comparé, concernant le droit de six États membres, et sur la jurisprudence susmentionnée, la Commission soutient que les conditions nécessaires pour opérer la compensation sont les suivantes: les deux dettes doivent avoir pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et elles doivent également être liquides et exigibles. En l'occurrence, ces trois conditions seraient réunies, étant donné que les deux dettes ont pour objet de l'argent, que le montant de chacune d'elles est déterminé et que les deux sommes sont exigibles puisqu'elles étaient dues au moment de la compensation.

49.
    Même si certains droits nationaux exigent, en outre, l'absence de contestation sérieuse de la dette, la Commission soutient que cette exigence ne serait pas exactement conforme aux spécificités du droit communautaire, car elle oblige une partie à verser à l'autre ce qu'elle lui doit puis à saisir la juridiction compétente afin de recouvrer sa créance.

50.
    La Commission ajoute que le fait que les contrats et les contributions en question concernent des services différents de la même institution est inopérant dans la mesure où ces services ne constituent pas des entités autonomes, tous les actes étant décidés ou conclus par la Commission, et non par les directions générales.

51.
    La Commission estime qu'accorder de l'importance au fait que les deux créances en cause relèvent de deux ordres juridiques différents aurait pour conséquence de réduire l'effet utile de la compensation.

52.
    La Commission souligne le fait qu'elle peut également se voir opposer une compensation.

53.
    À l'audience, la Commission a encore fait valoir que son approche dans la présente affaire est la seule qui prend en compte l'effet utile du traité relatif à l'exécution du budget communautaire selon le principe de bonne gestion financière.

Appréciation du Tribunal

54.
    Il y a lieu de rappeler, d'une part, que le présent recours a pour objet l'annulation de la décision de la Commission, contenue dans sa lettre du 15 février 1999, d'opposer au requérant une compensation de leurs créances réciproques, et, d'autre part, que les parties ont donné compétence aux juridictions civiles de Bruxelles pour connaître des litiges survenant à propos des contrats MED-URBS. Ainsi, le Tribunal ne doit examiner que la légalité de la décision susmentionnée au regard de ses effets tenant à l'absence de versement effectif des sommes litigieuses au requérant.

55.
    Ensuite, il y a lieu de constater que, en son état actuel, le droit communautaire ne comporte pas de règles expresses relatives au droit de la Commission, en tant qu'institution responsable de l'exécution du budget communautaire conformément à l'article 205 du traité CE (devenu article 274 CE), d'opposer une compensation à des entités créancières de fonds communautaires mais également débitrices de sommes ayant une origine communautaire.

56.
    Toutefois, la compensation relative à des fonds communautaires est un mécanisme juridique dont l'application a été considérée par la Cour comme conforme au droit communautaire dans les arrêts DEKA/CEE, Continental Irish Meat et Jensen, précités.

57.
    Cette jurisprudence de la Cour ne contient pas, néanmoins, tous les éléments permettant de trancher la présente affaire.

58.
    Par ailleurs, il convient de relever qu'il serait préférable que les problèmes soulevés par la compensation soient réglés par des dispositions générales établies par le législateur et non par des décisions individuelles adoptées par le juge communautaire dans le cadre des litiges qui lui sont soumis.

59.
    En l'absence de règles expresses en la matière et pour déterminer si la décision litigieuse a une base juridique, il est nécessaire de se reporter aux règles de droit communautaire applicables à l'action de la Commission et à la jurisprudence précitée. Dans ce contexte, il y a lieu, en particulier, de prendre en considération le principe d'efficacité du droit communautaire auquel cette jurisprudence s'est référée (arrêt Jensen, points 54 et 67) et le principe de bonne gestion financière.

60.
    Le principe d'efficacité du droit communautaire implique que les fonds de la Communauté doivent être mis à disposition et utilisés conformément à leur destination.

61.
    Par conséquent, en l'espèce, la Commission était tenue, avant d'effectuer la compensation, de vérifier si, malgré cette dernière opération, l'utilisation des fonds en question pour les fins prévues et la réalisation des actions ayant justifié l'attribution des sommes litigieuses restaient assurées.

62.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la compensation est un mode d'extinction de deux obligations réciproques. En l'espèce, la compensation aurait éteint, selon la Commission, la créance qu'elle invoque à l'encontre du CCRE à propos des contrats MED-URBS ainsi que, du moins partiellement, celle du CCRE à l'égard de l'institution au titre de subventions communautaires devant être versées à celui-ci dans le cadre des actions litigieuses. Il convient, en outre, d'observer que, dans la lettre du 15 février 1999, la Commission a précisé que les paiements effectués par le biais de la compensation devaient être considérés «comme perçus par le CCRE avec les obligations qui en découlent». Ce faisant, la Commission a exprimé son exigence de voir le requérant respecter son obligation de réaliser les actions litigieuses.

63.
    Cependant, en l'absence du versement effectif des sommes destinées à l'exécution de cette dernière obligation, il est évident que celles-ci ne seraient pas utilisées conformément à leur destination et qu'ainsi les actions litigieuses risquaient de ne pas être réalisées, ce qui est contraire à l'efficacité du droit communautaire et, plus particulièrement, à l'effet utile des décisions d'octroi des sommes litigieuses.

64.
    La position de la Commission impliquait que le CCRE avait toujours à sa disposition les fonds attribués au titre des contrats MED-URBS et réclamés par elle, et que, une fois la compensation opérée, le CCRE allait pouvoir utiliser ces fonds pour réaliser les actions litigieuses.

65.
    Or, à l'évidence, si le CCRE n'avait plus à sa disposition les fonds précités, il ne pouvait plus financer la réalisation des actions litigieuses.

66.
    Ainsi, la décision litigieuse a eu pour effet de déplacer le problème du recouvrement d'une prétendue créance de la Commission dans le cadre de l'exécution des contrats MED-URBS à la réalisation des actions litigieuses, qui correspondent à un intérêt communautaire, dorénavant menacé par la compensation.

67.
    Or, les sommes litigieuses n'étaient pas destinées à payer des dettes du CCRE, mais à réaliser des actions auxquelles ces sommes avaient été affectées. Il y a lieu, à cet égard, de souligner que dans la présente affaire, au contraire de celle ayant donné lieu à l'arrêt Jensen (points 38 et 59), dans lequel le règlement en question visait à assurer un certain revenu aux agriculteurs, les sommes litigieuses ne pouvaient être utilisées que pour la réalisation des actions aux fins desquelles ces sommes étaient destinées.

68.
    À cet égard, il y a lieu de considérer que, malgré les déclarations faites par son représentant à l'audience, la Commission n'a pas été en mesure de prouver qu'avant d'effectuer la compensation elle avait, tout au moins, examiné le risque que le non-versement effectif des sommes litigieuses au requérant entraînait pour la réalisation des actions correspondantes.

69.
    S'agissant du principe de bonne gestion financière, conformément auquel la Commission doit exécuter le budget communautaire en vertu de l'article 205 du traité, son application en l'espèce confirme l'analyse précédente.

70.
    En effet, en ce qui concerne le recouvrement de la dette que le requérant aurait à l'égard de la Commission, il y a lieu de signaler que, le CCRE n'étant pas en état d'insolvabilité, cette institution aurait pu en demander le paiement devant le tribunal belge compétent.

71.
    En outre, afin de garantir la bonne utilisation des sommes litigieuses, si la Commission avait des doutes quant à la gestion des fonds communautaires par le CCRE, elle aurait pu envisager la suspension, à titre préventif, du versement de ces sommes à cetteassociation ainsi qu'elle l'a fait pour d'autres fonds qui étaient également dus à cette dernière.

72.
    De cette manière, la Commission aurait pu, d'une part, obtenir le recouvrement de la dette relative aux contrats MED-URBS et, d'autre part, s'assurer que les sommes litigieuses, en cas de versement au CCRE, seraient effectivement utilisées pour la réalisation des actions litigieuses.

73.
    En définitive, le principe de bonne gestion financière ne doit pas être réduit à une définition purement comptable qui tiendrait pour essentielle la simple possibilité de considérer une dette comme formellement payée. Au contraire, une correcte interprétation de ce principe doit inclure une préoccupation sur les conséquences pratiques des actes de gestion financière, ayant comme référence, notamment, le principe d'efficacité du droit communautaire.

74.
    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n'était pas en droit d'adopter la décision litigieuse, sans s'assurer préalablement qu'elle n'entraînait pas un risque pour l'utilisation des fonds en question aux fins desquelles ils étaient destinés et pour la réalisation des actions litigieuses, alors qu'elle aurait pu agir autrement sans mettre en cause le recouvrement de la prétendue dette du requérant à son égard et la bonne utilisation des sommes litigieuses.

75.
    Dès lors, le premier moyen doit être accueilli et il y a donc lieu d'annuler la décision litigieuse, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et arguments avancés par le requérant.

Sur les dépens

76.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission contenue dans la lettre du 15 février 1999, opposant au requérant une compensation de leurs créances réciproques, est annulée.

2)    La Commission supportera l'ensemble des dépens.

Tiili Moura Ramos Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi


1: Langue de procédure: le français.