Language of document : ECLI:EU:T:2024:329

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

29 mai 2024 (*)

« Environnement – Activités d’extraction de lignite dans une mine à ciel ouvert – Mine de lignite de Turów (Pologne) – Droit institutionnel – Inexécution d’une ordonnance de la Cour prononçant une injonction – Astreinte – Recouvrement de créances par compensation – Article 101, paragraphe 1, et article 102 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Radiation de l’affaire principale – Absence d’effet rétroactif sur les mesures provisoires prononcées – Obligation de motivation »

Dans les affaires T‑200/22 et T‑314/22,

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Estrada de Solà, O. Verheecke et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de Mmes A. Marcoulli, présidente, V. Tomljenović, MM. R. Norkus, W. Valasidis (rapporteur) et Mme L. Spangsberg Grønfeldt, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par ses recours fondés sur l’article 263 TFUE, la République de Pologne demande l’annulation, dans l’affaire T‑200/22, des décisions de la Commission européenne des 7 et 8 février 2022, des 16 et 31 mars 2022 et, dans l’affaire T‑314/22, de la décision de la Commission du 16 mai 2022 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), par lesquelles la Commission a recouvré par compensation les sommes dues par elle au titre de l’astreinte journalière prononcée par la vice-présidente de la Cour dans son ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), pour les périodes comprises, d’une part, entre le 20 septembre 2021 et le 17 janvier 2022 et, d’autre part, entre le 18 janvier 2022 et le 3 février 2022.

 Antécédents du litige

 Procédure devant la Cour

2        Le 26 février 2021, la République tchèque a introduit un recours au titre de l’article 259 TFUE visant à faire constater que la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du droit de l’Union du fait de l’extension et de la prolongation des activités d’extraction de lignite dans la mine à ciel ouvert de Turów (Pologne), située à proximité des frontières de la République tchèque et de la République fédérale d’Allemagne (affaire C‑121/21).

3        En parallèle, la République tchèque a introduit une demande en référé tendant à ce qu’il soit ordonné à la République de Pologne, dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond, de cesser immédiatement les activités d’extraction de lignite dans la mine de Turów.

4        Par ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), la vice-présidente de la Cour a fait droit à cette demande et a ordonné à la République de Pologne de cesser, immédiatement et jusqu’au prononcé de l’arrêt mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑121/21, les activités d’extraction dans cette mine.

5        Considérant que la République de Pologne ne s’était pas conformée aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), la République tchèque a introduit, le 7 juin 2021, une nouvelle demande en référé tendant à ce que la République de Pologne soit condamnée à payer une astreinte journalière de 5 millions d’euros au budget de l’Union.

6        Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 29 juin 2021, la République de Pologne a demandé à ce que l’ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), soit rapportée, au titre de l’article 163 du règlement de procédure de la Cour.

7        Par ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), la vice-présidente de la Cour a, d’une part, rejeté la demande de la République de Pologne tendant à ce que l’ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), soit rapportée et, d’autre part, condamné celle-ci à payer à la Commission une astreinte de 500 000 euros par jour, à compter de la date de notification de cette ordonnance à la République de Pologne et jusqu’à ce que cet État membre respecte l’ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420).

 Sur la procédure ayant donné lieu à ladoption des décisions attaquées

8        Par lettre du 19 octobre 2021, la Commission a demandé aux autorités polonaises de fournir des preuves de la cessation des activités d’extraction de lignite dans la mine de Turów. Elle précisait, dans la même lettre, que, en cas d’absence de fourniture de ces preuves, elle procéderait à l’envoi, à partir du 3 novembre 2021 et à l’issue de chaque période de trente jours civils, de demandes de paiement en exécution de l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752).

9        Par différentes lettres émises entre le 5 novembre 2021 et le 8 mars 2022, la Commission a demandé à la République de Pologne de payer les différentes sommes dues au titre des astreintes journalières.

10      La Commission a ensuite mis la République de Pologne en demeure de payer lesdites sommes majorées des intérêts de retard et lui a indiqué que, à défaut de paiement, elle procéderait à leur recouvrement par voie de compensation, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, et de l’article 102 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) (ci-après le « règlement financier »).

11      Par les décisions attaquées, la Commission a informé la Pologne qu’elle procédait à la compensation de sa dette avec différentes créances détenues par la Pologne à l’égard de l’Union. La somme ainsi recouvrée par voie de compensation s’établit, en principal, à 68 500 000 euros, et correspond aux astreintes journalières dues au titre de la période courant du 20 septembre 2021 au 3 février 2022.

 Accord amiable et radiation de l’affaire C121/21

12      Le 3 février 2022, la République tchèque et la République de Pologne ont conclu un accord visant à mettre fin au litige ayant donné lieu à l’affaire C‑121/21 (ci-après l’« accord amiable »).

13      Le 4 février 2022, les deux États membres ont informé la Cour qu’ils renonçaient à toute prétention dans l’affaire C‑121/21 à la suite de l’accord amiable intervenu. Le même jour, les autorités polonaises ont demandé à la Commission de mettre fin à la procédure d’exécution des astreintes prononcées par la Cour, en joignant à leur demande le texte de cet accord amiable.

14      Par ordonnance du 4 février 2022, République tchèque/Pologne (Mine de Turów) (C‑121/21, non publiée, EU:C:2022:82), l’affaire C‑121/21 a été radiée. Cette ordonnance de radiation a été notifiée à la Commission le 8 février 2022.

15      Le même jour, la République de Pologne a introduit une demande, au titre de l’article 163 du règlement de procédure de la Cour, tendant à ce que l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), soit rapportée.

16      Le 11 février 2022, les autorités polonaises ont demandé, à nouveau, à la Commission de mettre fin à la procédure d’exécution des astreintes et de retirer les première et deuxième décisions attaquées en raison de la radiation de l’affaire C‑121/21 du registre de la Cour.

17      En réponse aux lettres des 4 et 11 février 2022, la Commission a indiqué aux autorités polonaises, le 22 février 2022, que, tant que l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), ne serait pas « annulée », elle avait l’intention de poursuivre le recouvrement par compensation des sommes dues au 3 février 2022.

18      Par ordonnance du 19 mai 2022, République tchèque/Pologne (Mine de Turów) (C‑121/21 R, non publiée, EU:C:2022:408), la demande de la République de Pologne tendant à ce que l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), soit rapportée a été rejetée.       

 Conclusions des parties

19      La République de Pologne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner la Commission aux dépens.

20      La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner la République de Pologne aux dépens.

 En droit

21      Les parties ayant été entendues sur ce point, le Tribunal décide de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

22      À l’appui de ses recours en annulation, la République de Pologne soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, et de l’article 102 du règlement financier, lus conjointement avec l’article 98 du même règlement, et, le second, d’une violation de l’article 296 TFUE, ainsi que de l’article 41, paragraphe 2, sous c), et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation des articles 101 et 102 du règlement financier, lus conjointement avec l’article 98 du même règlement

23      La République de Pologne fait valoir que, en adoptant les décisions attaquées, la Commission a outrepassé les pouvoirs qu’elle détient en vertu des articles 101 et 102 du règlement financier, lus conjointement avec l’article 98 du même règlement.

24      En particulier, la République de Pologne prétend que la conclusion de l’accord amiable et la radiation de l’affaire C‑121/21 ont eu pour conséquence la cessation rétroactive des effets des mesures provisoires ordonnées dans cette affaire. Elle estime qu’une telle interprétation se trouve confortée par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle l’annulation d’un acte prononcée par le juge de l’Union a des effets ex tunc et a donc pour conséquence d’éliminer rétroactivement, de l’ordre juridique, l’acte annulé. Cette interprétation est, selon la République de Pologne, corroborée par les traditions constitutionnelles communes aux États membres. Elle ajoute que la poursuite de l’exécution des mesures provisoires, malgré la radiation de l’affaire C‑121/21, irait au-delà de la finalité poursuivie par ces mesures.

25      En outre, la République de Pologne soutient que, la mesure provisoire prononcée dans l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), ayant cessé d’être applicable, les montants figurant dans les demandes de paiement ne constituent pas une dette existante au sens de l’article 98, paragraphe 1, sous a), du règlement financier. La Commission aurait donc dû annuler les dettes constatées et s’abstenir de procéder à leur recouvrement.

26      La République de Pologne estime que, si la Commission était tenue de poursuivre la procédure de recouvrement, malgré la conclusion de l’accord amiable et la radiation de l’affaire C‑121/21 du registre de la Cour, cela aurait pour effet de dissuader les parties de donner une solution amiable à leurs différends. L’État débiteur supporterait à la fois les effets de l’accord amiable et les coûts liés au recouvrement de la créance correspondant aux astreintes prononcées.

27      Enfin, la République de Pologne allègue que l’article 101, paragraphe 6, du règlement financier pourrait être interprété en ce sens que l’ordonnateur compétent peut annuler une créance constatée en tenant compte des circonstances survenues entre la constatation de la créance et l’adoption de la décision de recouvrer les sommes dues.

28      La Commission conteste les arguments de la République de Pologne.

 Observations liminaires

29      Il convient de relever que la République de Pologne vise à faire constater que, en raison de la radiation de l’affaire C‑121/21, le 4 février 2022, les conséquences pécuniaires des mesures provisoires ordonnées dans cette affaire ont cessé rétroactivement. Cela aurait pour conséquence de rendre la dette inexistante et, par conséquent, la récupération illégale au titre des articles 101 et 102 du règlement financier.

30      Avant d’examiner le bien-fondé des arguments de la République de Pologne, il y a lieu d’exposer des considérations relatives, d’une part, à la nature et à la finalité des astreintes assorties aux mesures provisoires et, d’autre part, à la portée de la procédure en référé au regard de l’article 279 TFUE.

–       Sur la nature et la finalité des astreintes imposées au titre de l’article 279 TFUE

31      L’article 279 TFUE confère à la Cour la compétence pour prescrire toute mesure provisoire qu’elle juge nécessaire afin de garantir la pleine efficacité de la décision définitive (ordonnances du 20 novembre 2017, Commission/Pologne, C‑441/17 R, EU:C:2017:877, point 97, et du 27 octobre 2021, Commission/Pologne, C‑204/21 R, EU:C:2021:878, point 19). En particulier, le juge des référés doit être en mesure d’assurer l’efficacité d’une injonction adressée à une partie au titre de l’article 279 TFUE, en adoptant toute mesure visant à faire respecter, par cette partie, les obligations prescrites dans l’ordonnance de référé. Une telle mesure peut notamment imposer le paiement d’une astreinte en cas de non-respect de l’injonction prononcée (voir, en ce sens, ordonnance du 27 octobre 2021, Commission/Pologne, C‑204/21 R, EU:C:2021:878, point 20 et jurisprudence citée).

32      En outre, l’imposition d’une astreinte pour faire respecter les mesures provisoires adoptées par le juge des référés vise à garantir l’application effective du droit de l’Union, inhérente à la valeur de l’État de droit consacrée à l’article 2 TUE et sur laquelle l’Union est fondée (voir, en ce sens, ordonnance du 20 novembre 2017, Commission/Pologne, C‑441/17 R, EU:C:2017:877, point 102).

33      Il s’ensuit qu’une astreinte prononcée à titre accessoire à des mesures provisoires ne peut pas être considérée comme étant une sanction, mais comme étant un instrument de nature coercitive, ce que les deux parties au présent litige ont expressément reconnu.

34      Ainsi, en l’espèce, c’est aux fins de « dissuader [la République de Pologne] de retarder la mise en conformité de son comportement avec [l’]ordonnance » du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), qu’une astreinte a été imposée par la vice-présidente de la Cour.

–       Sur la portée de la procédure en référé au regard de l’article 279 TFUE

35      Conformément à l’article 162, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, une mesure provisoire cesse d’être applicable à la date prévue dans l’ordonnance qui l’a accordée ou, à défaut, dès le prononcé de l’arrêt qui met fin à l’instance.

36      La procédure en référé présentant, ainsi qu’il résulte de l’article 160, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure de la Cour, un caractère accessoire à une procédure principale, les mesures provisoires adoptées dans le cadre de la procédure en référé cessent d’être applicables lorsqu’il est mis fin à la procédure principale, notamment lorsque l’affaire relative à cette dernière procédure a fait l’objet d’une ordonnance de radiation [voir, en ce sens, ordonnance du 19 mai 2022, République tchèque/Pologne (Mine de Turów), C‑121/21 R, EU:C:2022:408, point 25].

37      Ainsi, compte tenu du caractère accessoire de la procédure en référé par rapport à la procédure principale, les ordonnances du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), et du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), ont cessé d’être applicables à compter du 4 février 2022. Qui plus est, l’ordonnance du 19 mai 2022, République tchèque/Pologne (Mine de Turów) (C‑121/21 R, non publiée, EU:C:2022:408, point 26), indique expressément que, à compter du 4 février 2022, date de l’ordonnance prononçant la radiation de l’affaire C‑121/21 du registre de la Cour, la République de Pologne n’est plus tenue de cesser immédiatement les activités d’extraction de lignite dans la mine de Turów. Cette mesure provisoire n’étant plus valable, la condamnation de cet État membre à payer à la Commission une astreinte de 500 000 euros par jour jusqu’à la cessation de ces activités doit être regardée comme étant frappée de caducité à compter de cette date.

38      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de la République de Pologne.

 Sur les conséquences de la radiation de l’affaire au principal à l’égard de l’existence de la dette de la République de Pologne

39      Les décisions attaquées sont des décisions de compensation des sommes dues par la République de Pologne au titre de l’astreinte journalière prononcée par la vice-présidente de la Cour dans son ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), pour la période comprise entre le 20 septembre 2021 et le 3 février 2022. En particulier, la Commission a précisé que, tant que cette ordonnance n’avait pas été « annulée », elle était tenue de l’exécuter pour la période allant du 20 septembre 2021 au 3 février 2022 inclus.

40      À cet égard, il convient de constater que, premièrement, l’ordonnance du 4 février 2022, République tchèque/Pologne (Mine de Turów) (C‑121/21, non publiée, EU:C:2022:82), ne fait aucune mention ni des mesures provisoires prescrites par l’ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), ni de l’astreinte journalière imposée au titre de l’article 279 TFUE. Deuxièmement, la demande de la République de Pologne tendant à ce que soit rapportée l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), a été rejetée. Troisièmement, il ressort expressément du point 26 de l’ordonnance du 19 mai 2022, République tchèque/Pologne (Mine de Turów) (C‑121/21 R, non publiée, EU:C:2022:408), que la condamnation de la République de Pologne à payer à la Commission une astreinte de 500 000 euros par jour jusqu’à la cessation de ces activités doit être regardée comme étant frappée de caducité à compter du 4 février 2022. Autrement dit, l’astreinte journalière prononcée par la vice-présidente de la Cour dans son ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), a cessé de produire ses effets à compter du 4 février 2022.

41      Partant, l’astreinte journalière a effectivement couru durant la période comprise entre la date de la signification de l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), et celle de la radiation du registre de l’affaire C‑121/21.

42      Il s’ensuit que, si la radiation de l’affaire au principal a eu une incidence sur le cours de l’astreinte, elle n’a, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, pas eu pour effet d’éteindre l’obligation de celle-ci de régler le montant dû au titre de l’astreinte. Adopter une conclusion différente reviendrait à s’écarter de la finalité de l’astreinte, qui est celle de garantir l’application effective du droit de l’Union, inhérente à la valeur de l’État de droit consacrée à l’article 2 TUE (voir point 32 ci-dessus).

43      Aucun des arguments de la République de Pologne n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

44      En premier lieu, s’agissant de l’application par analogie de la jurisprudence relative aux effets de l’annulation d’un acte par le juge de l’Union, citée au point 24 ci-dessus, force est de constater qu’elle n’est pas applicable en l’espèce, dès lors que l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), n’est pas susceptible de pourvoi et ne peut donc être rétroactivement annulée.

45      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel il ressort de la plupart des systèmes juridiques nationaux que les mesures conservatoires prononcées, dans l’attente d’une décision définitive, cessent rétroactivement de produire leurs effets lorsque la procédure au principal devient sans objet, il convient de considérer que le renvoi aux règles de procédure nationales est dénué de pertinence, dans la mesure où la légalité des décisions attaquées doit être examinée uniquement à la lumière des règles du droit de l’Union. Ainsi que la République de Pologne l’admet d’ailleurs elle-même, les règles procédurales des États membres ne sont pas contraignantes pour les juridictions de l’Union.

46      En tout état de cause, à supposer que dans certains systèmes juridiques nationaux les mesures conservatoires prononcées, dans l’attente d’une décision définitive, cessent rétroactivement de produire leurs effets lorsque la procédure au principal devient sans objet, ce constat ne saurait suffire à établir que ces règles procédurales font partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres et pourraient, à ce titre, faire partie de l’ordre juridique de l’Union européenne en tant que source de droit.

47      En troisième lieu, s’agissant de l’argumentation de la République de Pologne, selon laquelle la poursuite de l’exécution des mesures provisoires, malgré la radiation de l’affaire C‑121/21, irait au-delà de la seule finalité poursuivie par ces mesures, à savoir celle de garantir l’efficacité de l’arrêt au fond, il convient de constater que, en l’espèce, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, les astreintes imposées au titre de l’article 279 TFUE ne visent pas seulement à garantir l’efficacité de l’arrêt au fond, mais elles ont également pour objectif de faire respecter les mesures provisoires prescrites par l’ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), et de dissuader la République de Pologne de retarder la mise en conformité de son comportement avec cette ordonnance.

48      L’argumentation de la République de Pologne, si elle était accueillie, reviendrait à vider de toute substance le mécanisme de l’astreinte imposée au titre de l’article 279 TFUE, puisqu’elle conduirait à accepter que la partie obligée, en l’espèce la République de Pologne, manque délibérément à l’obligation de se conformer aux mesures provisoires ordonnées en référé jusqu’à la fin du litige au principal et porte ainsi atteinte à l’efficacité du droit de l’Union.

49      En quatrième lieu, l’argument de la République de Pologne selon lequel l’exécution des astreintes rend moins attractive la conclusion d’un accord amiable et entrave ainsi le développement des relations de bon voisinage ne saurait être retenu. En effet, il convient de constater que la finalité des astreintes assorties à des mesures provisoires n’est pas de promouvoir le règlement à l’amiable ou les relations de bon voisinage, mais, ainsi qu’il a été constaté au point 47 ci-dessus, de faire respecter les mesures provisoires. Il importe également de relever que la conclusion de l’accord amiable et la radiation de l’affaire C‑121/21 ont eu des effets bénéfiques pour la République de Pologne en ce sens que les astreintes journalières ont cessé de courir le 4 février 2022 et non à la date du prononcé d’un arrêt de la Cour dans l’affaire C‑121/21.

50      En cinquième lieu, l’argument de la République de Pologne tiré de l’article 101, paragraphe 6, premier alinéa, du règlement financier ne saurait prospérer. En effet, aux termes de cette disposition, « [l]’ordonnateur compétent peut annuler, en totalité ou en partie, une créance constatée ». Il ne s’agit donc pas d’une obligation pour la Commission d’annuler une créance constatée. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, les conditions prévues pour un recouvrement par voie de compensation étaient remplies. En effet, l’ordonnateur compétent de la Commission a bien vérifié l’existence de la dette de la République de Pologne et a déterminé le montant de celle-ci.

51      Il en résulte qu’aucune violation des articles 101 et 102 du règlement financier, lus conjointement avec l’article 98 du même règlement, n’a été commise par la Commission.

52      Partant, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 296 TFUE, de l’article 41, paragraphe 2, sous c), et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux

53      La République de Pologne fait valoir que la Commission a violé l’obligation de motivation que lui impose l’article 296 TFUE. Elle soutient que les décisions attaquées ne lui permettent pas de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a poursuivi la procédure de recouvrement par compensation, malgré la conclusion de l’accord amiable et la radiation de l’affaire C‑121/21.

54      La République de Pologne ajoute que les décisions attaquées ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une pratique décisionnelle de la Commission, puisque, jusqu’alors, la Commission n’avait jamais recouvré d’astreintes au titre de l’article 279 TFUE. Dès lors, les décisions attaquées nécessitaient une motivation explicite. Toutefois, selon la République de Pologne, les décisions attaquées n’indiqueraient pas la base juridique habilitant la Commission à procéder au recouvrement des astreintes journalières imposées par l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), alors que cette ordonnance a cessé de produire des effets. En outre, la République de Pologne a souligné qu’il existait un rapport étroit entre, d’une part, l’obligation de motivation et, d’autre part, le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective ainsi que le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

55      La Commission conteste les arguments de la République de Pologne.

56      Selon une jurisprudence bien établie, la motivation des actes des institutions de l’Union, découlant de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux, doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 16 et jurisprudence citée).

57      L’obligation d’indiquer la base juridique d’un acte relève de l’obligation de motivation (voir arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, EU:C:2009:590, point 38 et jurisprudence citée).

58      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 29 et jurisprudence citée).

59      Dans le cas d’une décision de compensation de créances, la motivation doit permettre d’identifier avec précision les créances qui sont compensées, sans qu’il puisse être exigé que la motivation retenue initialement à l’appui de la constatation de chacune de ces créances soit répétée dans la décision de compensation (voir arrêt du 6 octobre 2015, Technion et Technion Research & Development Foundation/Commission, T‑216/12, EU:T:2015:746, point 98 et jurisprudence citée).

60      La question de savoir si l’obligation de motivation a été respectée doit, en principe, être appréciée en fonction des éléments d’information dont la partie requérante disposait, au plus tard, au moment de l’introduction du recours. Ainsi, la motivation ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge, sauf circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 74 et jurisprudence citée).

61      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer si les décisions attaquées sont suffisamment motivées.

62      À cet égard, il convient de relever que, au jour de l’introduction des recours dans les affaires T‑200/22 et T‑314/22, respectivement les 19 avril et 25 mai 2022, la République de Pologne avait connaissance de la lettre du 22 février 2022 qui lui avait été adressée en réponse à ses lettres des 4 et 11 février 2022 (voir point 17 ci-dessus).

63      Conformément à la jurisprudence rappelée au point 60 ci-dessus, c’est à l’aune des décisions attaquées et de la lettre du 22 février 2022 qu’il convient d’apprécier si la Commission a respecté l’obligation de motivation qui lui incombait.

64      En l’espèce, en premier lieu, il importe de constater que, par les décisions attaquées, la République de Pologne a pu identifier avec précision les créances compensées. En effet, elles comportent, en annexe, un document contenant le calcul de la compensation et le calcul des intérêts de retard. Il y a également lieu de relever que les décisions attaquées contiennent l’indication de la base juridique sur laquelle elles sont fondées, en l’occurrence les articles 101 et 102 du règlement financier.

65      En deuxième lieu, contrairement à ce qu’invoque la République de Pologne, la lettre du 22 février 2022 lui permet de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission avait décidé de poursuivre l’exécution du paiement de la dette résultant de la liquidation des astreintes journalières imposées par l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), en dépit de la conclusion de l’accord amiable et de la radiation de l’affaire C‑121/21 du registre de la Cour. En effet, dans cette lettre, la Commission a exprimé son intention  de poursuivre le recouvrement par compensation des sommes dues jusqu’au 3 février 2022, étant donné que la mesure provisoire ordonnée par l’ordonnance du 21 mai 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:420), avait expiré le 4 février 2022 et que la Commission ne pouvait pas s’assurer, sur la base des documents que la République de Pologne lui avait fournis, que les mesures que comportait l’exécution de cette ordonnance avaient été adoptées. La Commission a ajouté que, tant que l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752), n’avait pas été « annulée », elle était tenue de l’exécuter pour la période allant du 20 septembre 2021 au 3 février 2022 inclus.

66      En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la République de Pologne selon lequel, en l’absence de pratique décisionnelle antérieure de la Commission, les décisions attaquées auraient dû faire l’objet d’une motivation particulière, il convient de rappeler, ainsi qu’il est indiqué au point 65 ci-dessus, que les raisons justifiant le recouvrement par compensation des sommes dues au 3 février 2022 en dépit de la radiation de l’affaire C‑121/21 du registre de la Cour ressortaient suffisamment de la lettre du 22 février 2022.

67      Partant, il y a lieu de considérer que les décisions attaquées notamment envisagées à la lumière de la lettre du 22 février 2022 ont mis la République de Pologne en mesure de connaître les raisons pour lesquelles la Commission, malgré la radiation de l’affaire C‑121/21 du registre de la Cour, a poursuivi l’exécution du paiement de la dette issue de la liquidation des astreintes journalières imposées par l’ordonnance du 20 septembre 2021, République tchèque/Pologne (C‑121/21 R, EU:C:2021:752).

68      Dans la mesure où les décisions attaquées sont suffisamment motivées, l’argument de la République de Pologne tiré du rapport étroit qui existe entre l’obligation de motivation et le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective ainsi que le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte est dénué de pertinence.

69      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le second moyen et, partant, les recours dans leur ensemble.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

71      La République de Pologne ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T200/22 et T314/22 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      La République de Pologne est condamnée aux dépens.

Marcoulli

Tomljenović

Norkus

Valasidis

 

      Spangsberg Grønfeldt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 mai 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.