Language of document : ECLI:EU:T:2022:187

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

30 mars 2022 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑291/20,

Viktor Fedorovych Yanukovych, demeurant à Rostov-sur-le-Don (Russie), représenté par M. M. Anderson, solicitor, Mme E. Dean et M. J. Marjason-Stamp, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes T. Haas, P. Mahnič, S. Van Overmeire et M. A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 10), et du règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 1), dans la mesure où ces actes maintiennent le nom du requérant sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et Mme M. Brkan, juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Viktor Fedorovych Yanukovych, est l’ancien président de l’Ukraine.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26), et, à la même date, il a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 »).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et de ressources prévues par cette décision (ci-après les « mesures restrictives en cause ») et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par les actes de mars 2014 sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste, avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑346/14, ayant pour objet, notamment, une demande d’annulation des actes de mars 2014 en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des noms des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes : 

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le 8 avril 2015, le requérant a adapté ses conclusions dans le cadre de l’affaire T‑346/14, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, de sorte que celles-ci ont également visé à l’annulation de la décision 2015/143, du règlement 2015/138 ainsi que des actes de mars 2015 en tant que l’ensemble de ces actes le concernaient.

17      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

18      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2016, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑244/16, tendant à l’annulation des actes de mars 2016 en ce qu’ils le visaient.

20      Par arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497), le Tribunal a annulé les actes de mars 2014 en ce qu’ils visaient le requérant et rejeté la demande d’annulation, contenue dans l’adaptation de la requête (voir point 16 ci-dessus).

21      Le 23 novembre 2016, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑598/16 P, contre l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

22      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

23      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2017, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑285/17, tendant à l’annulation des actes de mars 2017 en ce qu’ils le visaient.

25      Par arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil (C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786), la Cour a rejeté le pourvoi du requérant visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

26      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63 p. 5) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

27      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑300/18, tendant à l’annulation des actes de mars 2018 en ce qu’ils le visaient.

29      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2019 »).

30      Par les actes de mars 2019, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2020 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 15 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2019, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑303/19, tendant à l’annulation des actes de mars 2019 en ce qu’ils le visaient.

32      Par arrêt du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502), le Tribunal a annulé les actes de mars 2016 et de mars 2017 en ce qu’ils visaient le requérant.

33      Par arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

34      Entre les mois de novembre 2019 et de janvier 2020, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») concernant, notamment, les procédures pénales dont il faisait l’objet et sur lesquelles le Conseil se fondait pour envisager ladite prorogation.

35      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/373, modifiant la décision 2014/119 (JO 2020, L 71, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2020, L 71, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

36      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2021 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 15 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« La procédure pénale relative au détournement de fonds ou d’avoirs publics est toujours en cours. Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Yanukovych et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment des lettres du 26 septembre 2014 et du 8 octobre 2014 concernant l’envoi de la notification écrite de suspicion, des informations selon lesquelles l’autorisation d’ouvrir une enquête préliminaire spéciale par défaut a été accordée le 27 juillet 2015, un certain nombre de décisions de justice relatives à la saisie de biens et le fait que la décision du 27 septembre 2017 de suspendre la procédure pénale était susceptible de recours. Le Conseil détient également des documents attestant qu’il a été fait droit, le 30 septembre 2019, à une demande récemment introduite par la défense. »

37      Par courrier du 6 mars 2020, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses correspondances des 30 octobre et 18 décembre 2019 ainsi que des 23 et 31 janvier 2020 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Fait postérieur à l’introduction du recours

38      Par arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334), le Tribunal a annulé les actes de mars 2019 en ce qu’ils visaient le requérant.

 Procédure et conclusions des parties

39      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2020, le requérant a introduit un recours en annulation contre les actes attaqués.

40      Le 17 septembre 2020, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

41      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 6 novembre 2020.

42      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 22 décembre 2020. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

43      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 janvier 2021, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

44      Un membre de la cinquième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné un autre juge pour compléter la chambre.

45      Le 3 août 2021, le Conseil a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête et au mémoire en défense ainsi que de certains passages du mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

46      Par décision du président de la cinquième chambre du Tribunal du 9 août 2021, la présente affaire a été jointe à l’affaire T‑292/20, Yanukovych/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure, sur le fondement l’article 68 du règlement de procédure, les parties ayant été entendues à cet égard.

47      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

48      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 octobre 2021, qui, à la demande du Conseil, le requérant entendu, s’est déroulée partiellement à huis clos.

49      Lors de l’audience, le requérant a présenté des observations sur le rapport d’audience, dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

50      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

51      À la suite des précisions fournies lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

52      À l’appui du recours, le requérant invoque sept moyens, tirés, le premier et le deuxième, présentés conjointement, du non-respect des critères d’inscription sur la liste et d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’un défaut de motivation, le quatrième, de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif, le cinquième, de l’absence de base juridique, le sixième, d’un détournement de pouvoir et, le septième, de la violation du droit de propriété.

53      Tout d’abord, il convient d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens, en ce qu’il est reproché au Conseil de ne pas avoir bien vérifié le respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, dont il résulterait une erreur manifeste d’appréciation commise lors de l’adoption des actes attaqués.

54      Dans le cadre de ces moyens, premièrement, le requérant rappelle que le contrôle du juge de l’Union européenne s’étend, en principe, à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués par le Conseil pour justifier le maintien de son nom sur la liste, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels s’est fondé celui-ci. Il ajoute que, dans le cadre de l’appréciation de la base factuelle suffisamment solide sur laquelle repose un tel maintien, le juge de l’Union doit vérifier que le Conseil se soit assuré du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective lors de l’adoption de la décision des autorités de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder. Dans la réplique, il fait valoir que les décisions de justice invoquées par le Conseil ne démontrent ni en fait ni en droit que lesdits droits ont été respectés conformément aux principes dégagés par la jurisprudence récente de la Cour et du Tribunal.

55      Deuxièmement, le requérant fait valoir que les attestations du BPG sur lesquelles le Conseil s’est appuyé pour l’adoption des actes attaqués ne lui fournissaient pas une base factuelle suffisamment solide pour étayer l’inscription de son nom sur la liste, ces documents étant totalement inadéquats, incohérents, dénués de fondement ou faux. En vertu d’une jurisprudence bien établie, compte tenu du climat de persécution politique, de l’absence d’indépendance du système judiciaire ainsi que des incohérences graves figurant dans les accusations à l’encontre du requérant, le Conseil aurait dû demander des éclaircissements aux autorités ukrainiennes et procéder à une vérification indépendante des faits allégués.

56      Tout en précisant qu’il ressort de la lettre du Conseil du 6 mars 2020 ainsi que des actes attaqués que, lors de l’adoption de ceux-ci, le Conseil s’est fondé uniquement sur la procédure pénale no [confidentiel](1) (ci-après la « procédure [confidentiel] »), qui faisait initialement partie de la procédure pénale no[confidentiel], mais en a été dissociée le 18 juin 2015, et qui a trait [confidentiel], le requérant estime que le Conseil a commis des erreurs manifestes d’appréciation, d’une part, en décidant que l’enquête préliminaire le concernant constituait une base factuelle suffisante pour justifier le maintien de son nom sur la liste et, d’autre part, en ne s’assurant pas du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, les éléments factuels et les décisions des autorités ukrainiennes invoqués par le Conseil ne permettraient pas de démontrer le respect desdits droits et donc de justifier le maintien des mesures restrictives en cause.

57      Le requérant fait valoir qu’aucune preuve contre lui n’a été découverte dans le cadre de l’enquête préliminaire depuis son ouverture en mars 2014, bien que le BPG ait obtenu, de manière illégale, dès lors qu’il n’était pas inscrit sur une liste internationale de personnes recherchées, l’autorisation de procéder par défaut depuis le 27 juillet 2015. En outre, il rappelle que l’enquête préliminaire en cause a été suspendue à compter du 27 septembre 2017 en raison de l’exécution d’actes de procédure totalement injustifiés dans le cadre de la coopération internationale.

58      Selon le requérant, les deux raisons invoquées par le Conseil pour démontrer que l’enquête dans le cadre de la procédure [confidentiel] est réellement en cours sont fausses. Premièrement, il fait valoir que les demandes d’entraide judiciaire internationale, invoquées pour justifier le retard dans l’avancement de ladite procédure, ont été effectuées bien avant l’adoption des actes attaqués et sont dépourvues de pertinence au regard de l’avancement de l’enquête préliminaire, dès lors que, d’une part, elles n’ont toujours pas reçu de réponse et, d’autre part, ont pour objectif d’identifier le lieu où il se trouve, qui serait déjà connu par les enquêteurs. Par ailleurs, d’une part, elles n’auraient aucune utilité, puisqu’il n’est pas allégué que l’enquête en cause comporte un quelconque élément transfrontalier et, d’autre part, il ne serait pas indiqué si elles concernent le requérant lui-même ou si elles sont liées à l’enquête préliminaire en général. Deuxièmement, le fait qu’il existe un recours pendant contre la décision de suspension de l’enquête du 27 septembre 2017 n’aurait pas d’impact sur l’avancement de la procédure, dès lors que l’issue d’un tel recours ne pourra être que négative ou neutre par rapport à l’évolution de celle-ci. Au demeurant, le récent transfert de l’enquête au bureau national anticorruption n’aurait produit aucun réel changement dans le traitement de l’affaire.

59      Le requérant met ensuite en exergue le caractère contradictoire des informations fournies par le BPG en ce qui concerne la suspension de l’enquête préliminaire. En effet, initialement, dans les documents fournis avec la lettre du 1er novembre 2019, le BPG aurait indiqué que cette suspension était fondée sur la nécessité d’accomplir des actes de procédure dans le cadre de la coopération internationale, conformément à l’article 280, paragraphe 1, sous 3), du code de procédure pénale  ukrainien (ci-après le « code de procédure pénale »), alors que dans la décision de suspension du 27 septembre 2017, que le BPG aurait lui-même fournie au Conseil en réponse à sa demande à cet effet, il aurait été indiqué qu’elle avait été prise sur le fondement de l’article 280, paragraphe 1, sous 2), dudit code, qui concerne l’inscription d’un suspect sur la liste des personnes recherchées. Par ailleurs, le Conseil aurait eu connaissance du fait que le BPG avait confirmé que les demandes d’entraide judiciaire internationale visaient exclusivement à établir le lieu où se trouvait le requérant, alors que ce lieu était bien connu du BPG, lequel, de surcroît, disposait de l’autorisation de procéder à l’enquête préliminaire en l’absence du requérant, ce qui rendrait la connaissance du lieu où celui-ci se trouve davantage sans pertinence. Le Conseil n’aurait pas tenu compte de ces incohérences, signalées à plusieurs reprises par le requérant, et se serait fondé sur ces documents sans procéder à des enquêtes supplémentaires. Le véritable motif poursuivi par le BPG en suspendant l’enquête aurait été de contourner les délais de procédure prévus à l’article 219 du code de procédure pénale et de créer l’impression trompeuse que la procédure [confidentiel] demeurait en cours. Ainsi, le Conseil aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en s’appuyant sur la procédure [confidentiel], sans chercher à savoir pourquoi il n’y avait pas eu de progression dans celle-ci alors que plusieurs années s’étaient écoulées à compter de l’octroi de l’autorisation de procéder par défaut.

60      Dans la réplique, le requérant conteste l’argument que le Conseil tire des arrêts du 5 octobre 2017, Mabrouk/Conseil (T‑175/15, EU:T:2017:694), et du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil (T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779). Selon lui, ces arrêts ne sont pas pertinents en l’espèce, dès lors que, tout d’abord, ils ne visaient pas à établir le lieu où se trouvait la personne concernée, mais concernaient des commissions rogatoires impliquant un interrogatoire de la part des autorités françaises qui avait effectivement eu lieu. Ensuite, l’affaire ayant donné lieu auxdits arrêts présentait une dimension internationale justifiant des demandes d’entraide judiciaire mutuelle, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. Enfin, ces arrêts seraient antérieurs à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031).

61      S’agissant des lettres du BPG des 26 septembre et 8 octobre 2014, toutes les deux envoyées à son adresse à Kiev, le requérant considère qu’elles ne répondent pas à la demande expresse du Conseil de confirmer la réception de l’avis de suspicion, qui, au contraire, n’aurait pas été dûment notifié. À cet égard, il se réfère à une décision de justice, transposable au cas d’espèce, qui aurait établi, dans le cadre d’une autre procédure pénale le concernant, que l’avis de suspicion ne lui avait pas été notifié correctement, dès lors qu’il l’avait été moyennant des mesures d’entraide judiciaire internationale, bien que le BPG eût connaissance depuis plusieurs années de l’endroit où le requérant était établi en Russie.

62      S’agissant des décisions de justice relatives à des saisies de biens lui appartenant, le requérant fait valoir, d’une part, qu’elles sont de nature procédurale et qu’elles ont été rendues bien avant l’adoption des actes attaqués et, d’autre part, qu’elles n’ont pas été examinées par le Conseil, qui n’en disposait pas, et ce nonobstant le fait qu’il ait fait valoir qu’elles étaient illégales, en ce que l’avis de suspicion ne lui aurait pas été notifié régulièrement. Ainsi, de telles décisions ne sauraient être invoquées pour démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant ont été respectés avant que les actes attaqués n’aient été adoptés.

63      S’agissant, enfin, de la décision du BPG du 30 septembre 2019 faisant droit à la demande de la défense du requérant, celui-ci estime qu’elle ne concerne qu’une demande procédurale et ne représente aucune sorte d’engagement substantiel dans la procédure. Par ailleurs, le Conseil n’expliquerait pas pour quelle raison cette décision démontre que les droits du requérant ont été protégés. Au contraire, le fait qu’elle n’a été divulguée que deux ans après son adoption sur demande de la défense révélerait plutôt que le BPG n’a pas respecté le droit ukrainien.

64      Troisièmement, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir pris en compte certains arguments et certains éléments de preuve qui avaient été avancés avant l’adoption  des actes attaqués. Tout d’abord, il fait grief au Conseil de ne pas avoir pris en considération l’absence totale d’indépendance du BPG, qui, par ailleurs, aurait tenté, notamment, de soudoyer certaines personnes pour qu’elles fournissent de faux témoignages contre lui ou de faire adopter des amendements au code de procédure pénale visant expressément sa situation.

65      Ensuite, le requérant soutient que le système judiciaire ukrainien n’est ni indépendant ni impartial. À cet égard, le requérant s’appuie, notamment, sur cinq rapports actualisés d’un expert indépendant, sur un rapport de 2017 du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), l’organisme de surveillance de la lutte contre la corruption du Conseil de l’Europe, sur la situation en Ukraine  ainsi que sur le rapport du haut-commissaire des Nations unies chargé de la mission d’observation des droits de l’homme en Ukraine concernant la période comprise entre le 16 mai et le 15 août 2018 et sur le rapport sur les droits de l’homme en Ukraine du ministère des Affaires étrangères des États-Unis du 11 mars 2020.  Par ailleurs, plusieurs violations de ses droits procéduraux et fondamentaux auraient été commises dans le cadre d’autres procédures le concernant, ce qui compromettrait la fiabilité et la crédibilité de toutes les accusations et informations se rapportant au détournement de fonds publics, qui auraient été formulées et fournies à des fins purement politiques. De même, la présomption d’innocence du requérant serait constamment violée par des déclarations publiques et condamnatoires effectuées pas des hauts fonctionnaires ukrainiens. Enfin, le requérant invoque l’immunité de poursuite dont il jouirait tant en droit interne qu’en droit international coutumier, en vertu de laquelle il ne pourrait pas faire l’objet de procédures pénales.

66      En premier lieu, le Conseil soutient qu’il est en droit de se fonder sur des informations fournies par le BPG dans le cadre de l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont il jouit en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Ainsi, premièrement, il considère que le maintien du nom du requérant sur la liste sur la base des informations contenues dans les lettres du BPG satisfait aux critères de désignation et repose sur une base factuelle suffisamment solide permettant d’établir que le requérant fait l’objet de procédures pénales en Ukraine.  Deuxièmement, il estime avoir tenu compte des observations du requérant et avoir demandé des clarifications supplémentaires aux autorités ukrainiennes, qui ont été régulièrement communiquées au requérant, lequel a pu s’exprimer sur leur contenu. Troisièmement, le Conseil rappelle qu’il ne lui incombe pas de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont le requérant fait l’objet. Enfin, quatrièmement, s’agissant du respect des exigences de fond découlant de la jurisprudence récente de la Cour et du Tribunal, le Conseil indique que, contrairement à ce que prétend le requérant, les décisions judiciaires ukrainiennes, qui seraient au demeurant nécessaires au bon déroulement de l’enquête, peuvent être invoquées en tant qu’éléments de preuve permettant de démontrer le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

67      Ainsi, la décision du 27 septembre 2017 démontrerait que les autorités ukrainiennes ont respecté lesdits droits, étant donné que le requérant avait la possibilité de saisir le juge d’instruction d’un recours contre celle-ci. L’allégation du requérant selon laquelle, en tout état de cause, l’issue de ce recours ne pourrait être que négative ou neutre pour l’avancement de l’affaire ne serait étayée par aucun élément de preuve et ne changerait rien au fait qu’il a bénéficié du droit à une protection juridictionnelle effective.

68      En outre, il ressortirait du dossier que le BPG a fait droit, le 30 septembre 2019, à une demande récemment introduite par la défense du requérant.

69      De plus, le Conseil fait valoir qu’il peut être déduit des attestations du BPG que l’avis de suspicion a été notifié au requérant et  que la lettre transmettant la notification de l’avis de suspicion comportait une note sur la clarification des droits et des obligations du suspect.

70      Le Conseil invoque également un certain nombre de décisions de justice prises au cours de la procédure visant le requérant, telles que celles relatives à des saisies de biens et à une mesure préventive de détention, qui, aux termes du code de procédure pénale, peuvent uniquement être prises par un juge d’instruction ou un tribunal au cours d’un procès visant une personne suspectée, accusée ou condamnée, lorsqu’il existe des raisons suffisantes de croire que ces biens sont liés à la commission d’une infraction pénale et lorsqu’il existe un motif raisonnable de soupçonner cette personne d’avoir commis une telle infraction.

71      Le Conseil fait également valoir que, dans la mesure où il est en droit de se fonder sur des éléments de preuve fournis par le BPG, il est a fortiori en droit de se fonder sur des décisions de justice, rendues par des juridictions ukrainiennes, conformément à un code de procédure pénale qui garantit le respect des droits de la défense, comme preuves du bon déroulement de cette procédure pénale sur laquelle il entend s’appuyer, y compris pour ce qui est du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, conformément à la présomption de légalité des décisions juridictionnelles, qui ne saurait être infirmée par de simples allégations du requérant.

72      En deuxième lieu, s’agissant plus particulièrement de la procédure [confidentiel], le Conseil soutient que les informations provenant du BPG continuent de fournir une base adéquate pour maintenir le nom du requérant sur la liste. En outre, il fait valoir, en s’appuyant sur la jurisprudence, que les prétendus retards de l’enquête préliminaire dans le cadre de ladite procédure dépendaient, notamment, des demandes d’entraide judiciaire internationale ayant justifié la suspension de l’enquête.

73      En troisième lieu, s’agissant d’autres facteurs dont il aurait dû tenir compte, le Conseil estime que, eu égard à leur nature très générale, les arguments du requérant concernant de prétendues violations de droits fondamentaux dans le cadre d’autres procédures ne sauraient remettre en question les accusations concernant le détournement de fonds publics. En outre, il n’incomberait pas au Conseil d’évaluer les allégations d’ordre général concernant l’indépendance du BPG ou du pouvoir judiciaire ukrainien. S’agissant de l’argument tiré de l’immunité de poursuite, le Conseil soutient, en substance, que celle-ci ne saurait être invoquée et qu’il appartient aux autorités ukrainiennes, y compris au BPG, d’apprécier si une procédure pénale peut être ouverte.

74      Enfin, dans la duplique, le Conseil conteste l’interprétation faite par le requérant de la jurisprudence du Tribunal concernant la légalité des actes de mars 2019. Selon lui, cette jurisprudence ne saurait être interprétée dans le sens qu’il ne faudrait pas tenir compte des décisions de procédure des juridictions ukrainiennes, en particulier lors de la vérification visant à déterminer si les autorités ukrainiennes avaient respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de l’enquête pénale en cours. En effet, les questions dont est saisi le Tribunal seraient, d’une part, celle de savoir si les conclusions du Conseil concernant le respect desdits droits reposaient sur une base factuelle suffisamment solide, y compris les éléments de preuve dont il disposait ou dont il aurait pu raisonnablement disposer au moment de l’adoption des actes attaqués, et, d’autre part, celle de savoir si les motifs indiqués pour justifier lesdites conclusions étaient pertinents et suffisants. 

75      Ainsi, le Conseil estime, en définitive, qu’il a largement démontré pourquoi il n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant, sur la base des éléments de preuve obtenus ainsi que par l’exercice proactif de son devoir de vérification, que les droits du requérant avaient été respectés par les juridictions ukrainiennes dans le cadre de la procédure [confidentiel] qui constitue le fondement de sa décision de maintenir le nom de celui-ci sur la liste.

76      À titre liminaire, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, le Conseil ne jouissait d’aucune marge d’appréciation pour déterminer s’il disposait d’éléments suffisants pour évaluer le respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant et si ces éléments étaient de nature à susciter des doutes légitimes au regard du respect de ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 73 et jurisprudence citée).

77      Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 64 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 74 et jurisprudence citée).

78      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ladite décision, sont étayés (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 65 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 75 et jurisprudence citée).

79      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par les actes de mars 2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 66 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 76 et jurisprudence citée).

80      Aussi, si, en vertu d’un critère d’inscription tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 67 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 77 et jurisprudence citée).

81      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel de fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de ce fait, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 68 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 78 et jurisprudence citée).

82      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 81 ci-dessus (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 69 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 79 et jurisprudence citée).

83      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien de mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 70 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 80 et jurisprudence citée).

84      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives telles que celles en cause sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics par la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 71 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 81 et jurisprudence citée).

85      En l’espèce, de telles obligations apparaissent d’autant plus impérieuses que, ainsi qu’il résulte du considérant 2 de la décision 2014/119, celle-ci et les décisions subséquentes ont été adoptées dans le cadre d’une politique visant à renforcer et à soutenir l’État de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine (voir point 4 ci-dessus), conformément aux objectifs figurant à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE. Par conséquent, l’objet de ces décisions, qui est, notamment, de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour celles-ci, de recouvrer le produit de ces détournements, serait dépourvu de pertinence au regard desdits objectifs si cette constatation était entachée d’un déni de justice, voire d’arbitraire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 95).

86      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté les obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

87      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures pénales à l’encontre du requérant pour détournement de fonds ou d’avoirs publics avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 36 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas en l’espèce.

88      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 84 et jurisprudence citée).

89      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

90      Il ressort des motifs des actes attaqués, rappelés au point 36 ci-dessus, et de la lettre du 6 mars 2020 que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet d’une procédure pénale engagée par les autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives d’un détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui était établi, notamment, par les lettres du BPG ainsi que par certaines décisions de justice.

91      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502), du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685), et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

92      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci, ainsi qu’il avait déjà fait lors de l’adoption des actes de mars 2019, une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

93      Dans la première partie de cette section figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord, sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce même code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que moyennant une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

94      La seconde partie de la section concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes dont le nom est inscrit sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoigneraient, notamment, « les lettres [du BPG] du 26 septembre 2014 et du 8 octobre 2014 concernant l’envoi de la notification écrite de suspicion, [les] informations selon lesquelles l’autorisation d’ouvrir une enquête préliminaire spéciale par défaut a été accordée le 27 juillet 2015, un certain nombre de décisions de justice relatives à la saisie de biens et le fait que la décision du 27 septembre 2017 de suspendre la procédure pénale était susceptible de recours [ainsi que les] documents attestant qu’il a[vait] été fait droit, le 30 septembre 2019, à une demande récemment introduite par la défense » (voir point 36 ci-dessus).

95      Dans la lettre du 6 mars 2020 adressée au requérant (voir point 37 ci-dessus), tout d’abord, le Conseil a indiqué que les informations provenant du BPG établissaient que le requérant continuait à faire l’objet de la procédure [confidentiel] en Ukraine pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. Ensuite, d’une part, il a indiqué que, au vu des demandes d’entraide judiciaire internationale et de l’appel que le requérant avait interjeté contre la décision de suspension de ladite procédure, celle-ci était encore en cours. D’autre part, s’agissant de la question de la compétence du bureau d’investigation, contestée par le requérant, le Conseil a précisé que l’enquête préliminaire dans cette procédure avait été transférée au bureau national anticorruption de l’Ukraine et était désormais menée par celui-ci. Enfin, s’agissant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, le Conseil n’a fait explicitement référence qu’à la procédure [confidentiel], en précisant qu’il ressortait des lettres du BPG des 26 septembre et 8 octobre 2014 concernant l’envoi de la notification écrite de suspicion, du fait que le 27 juillet 2015 avait été autorisée l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut, des décisions de justice relatives à la saisie de biens du requérant, du fait que la décision du 27 septembre 2017 de suspendre la procédure pénale était susceptible de recours et, enfin, du fait que, le 30 septembre 2019, il avait été fait droit à une demande introduite par la défense du requérant que lesdits droits avaient été respectés.

96      Ainsi, il ressort d’une lecture combinée des motifs exposés dans les actes attaqués et dans la lettre du 6 mars 2020 que la procédure [confidentiel] est la seule pour laquelle le Conseil atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant,  ce qui a d’ailleurs été confirmé par le Conseil lui-même en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience.

97      À cet égard, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure les décisions de justice mentionnées au point 94 ci-dessus témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure [confidentiel]. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 80 et 81 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider du maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 94 et jurisprudence citée).

98      Dans cette perspective, tant les décisions de justice relatives à la saisie de biens que l’autorisation d’ouvrir une enquête préliminaire spéciale par défaut mentionnées au point 94 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives en cause étant donné qu’il s’agit de décisions incidentes. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 95 et jurisprudence citée).

99      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que de telles décisions de justice ainsi que les autres éléments qu’il a invoqués dans la seconde partie de la section des actes attaqués ayant trait au respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle du requérant (voir point 36 ci-dessus), à savoir les lettres du BPG concernant l’envoi au requérant de la notification écrite de suspicion, le fait que la décision du BPG du 27 septembre 2017 de suspendre la procédure [confidentiel] était susceptible de recours ainsi que les documents attestant que le BPG avait fait droit, le 30 septembre 2019, à la demande du requérant de recevoir copie des décisions de suspension et de réouverture de ladite procédure, témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

100    S’agissant, d’abord, des décisions portant sur des saisies de biens du requérant, qui ne figurent pas dans le dossier de l’affaire, force est de constater que, selon les indications fournies par le BPG, elles ont été prises par le juge d’instruction du tribunal de district de Petchersk à Kiev entre les mois d’octobre 2014 et de décembre 2015, soit, respectivement, cinq ans et cinq mois et quatre ans et trois mois avant l’adoption des actes attaqués. Il s’ensuit que ces décisions, dont par ailleurs la légalité avait été contestée par le requérant à plusieurs égards et dont le Conseil a lui-même reconnu, dans la duplique  et, en réponse à une question du Tribunal, lors de l’audience, qu’elles avaient une valeur probante moindre, ne sauraient suffire à établir que la procédure [confidentiel], sur laquelle le Conseil se fonde pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2020 au mois de mars 2021, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant, s’est déroulée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 117 et jurisprudence citée).

101    Des considérations analogues peuvent être énoncées pour ce qui est de la décision autorisant l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut en date du 27 juillet 2015, cette décision ayant été prise elle aussi bien avant l’adoption des actes attaqués et le réexamen périodique annuel de la situation du requérant qui en a précédé l’adoption.

102    Au demeurant, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de la décision autorisant l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut en date du 27 juillet 2015 et des décisions relatives à la saisie des biens du requérant, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, points 83 et 93 à 96), et, à l’égard des seules décisions de saisie, dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502, points 71 et 90 à 93), et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 117), qui n’ont pas fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour, en jugeant que ces décisions n’étaient pas susceptibles de démontrer le respect des droits de la défense du requérant et de son droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la procédure en cause. Aucun élément avancé par le Conseil dans la présente affaire ne permet au Tribunal de parvenir à des conclusions différentes de celles retenues dans ces arrêts, qui concernent les mêmes parties et soulèvent pour l’essentiel les mêmes questions juridiques.

103    En tout état de cause, il doit également être relevé que toutes les décisions de justice susmentionnées s’insèrent, notamment, dans le cadre de la procédure pénale ayant justifié le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes par rapport à celle-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire, soit procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale portant sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener ladite procédure pénale, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 81 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 94 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 118 et jurisprudence citée).

104    Ensuite, en ce qui concerne, premièrement, la décision du BPG du 27 septembre 2017 de suspendre la procédure [confidentiel], force est constater qu’elle aussi a été prise bien avant le renouvellement des mesures restrictives en cause. Par ailleurs, le fait que cette décision était susceptible de recours ne saurait démontrer non seulement, à lui seul, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de ladite procédure, mais ne saurait pas non plus démontrer que l’absence d’évolution de l’enquête préliminaire et, plus généralement, les lenteurs de la procédure qui en sont découlées étaient imputables à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2021, Pshonka/Conseil, T‑268/20, non publié, EU:T:2021:418, point 99).

105    En ce qui concerne, deuxièmement, les lettres du BPG des 26 septembre et 8 octobre 2014 concernant la notification de l’avis de suspicion au requérant, ce qui est d’ailleurs contesté par celui-ci, il convient de relever que, à l’instar de ce qui vient d’être précisé en ce qui concerne les décisions de justice et du BPG mentionnées aux points 100 à 104 ci-dessus, ces lettres ne sauraient suffire à établir que la procédure [confidentiel], sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2020 au mois de mars 2021, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant s’est déroulée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

106    Enfin, s’agissant des documents attestant qu’il a été fait droit, le 30 septembre 2019, à une demande récemment introduite par la défense  du requérant, il convient de relever, d’une part, qu’il s’agit d’une lettre du BPG, adressée aux conseils ukrainiens du requérant, qui fait droit à leur demande visant à obtenir des copies des décisions suspendant et reprenant l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel] et, d’autre part, que le BPG, en réponse à cette demande, s’est borné à annexer à ladite lettre la décision du 27 septembre 2017, qui est la dernière à avoir été prise par lui, alors qu’il ressort du dossier qu’il y avait d’autres décisions ayant trait à la suspension et à la reprise de la procédure en cause que le BPG n’a pas transmises au requérant, en dépit de la demande expresse de celui-ci.

107    Le Conseil reste en défaut d’indiquer les raisons pour lesquelles la lettre du BPG du 30 septembre 2019  serait susceptible de démontrer le respect par l’administration judiciaire ukrainienne desdits droits du requérant. Au contraire, ainsi que le souligne à juste titre ce dernier, sans par ailleurs être contredit par le Conseil, il ressort du dossier que le BPG n’a pas respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans la mesure où il n’a pas envoyé automatiquement les décisions de suspension aux conseils de celui-ci, tel que cela est exigé à l’article 280, paragraphe 4, du code de procédure pénale. Or, indépendamment de la question de savoir s’il est vrai, comme le prétend le requérant, qu’il avait demandé à maintes reprises au BPG ces décisions, ce qui est contesté par le Conseil, il n’en reste pas moins qu’il ressort du dossier que, en dépit de ladite disposition du code de procédure pénale, le requérant a dû attendre deux ans avant d’être en possession d’une des décisions de suspension de l’enquête, ce qui ne saurait témoigner du respect de ses droits.

108    Au demeurant, le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions de justice et les autres documents invoqués dans les actes attaqués et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance.

109    La simple référence faite par le Conseil à des lettres et à des prises de position des autorités ukrainiennes dans lesquelles celles-ci ont expliqué en quoi les droits fondamentaux du requérant avaient été respectés et ont donné des assurances à cet égard ne saurait suffire pour considérer que la décision de maintenir son nom sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 81 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 44).

110    À l’issue de l’examen des décisions de justice et des autres documents invoqués par le Conseil dans les actes attaqués, il convient de conclure que, même pris dans leur ensemble, ceux-ci ne sont pas susceptibles de témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure pénale sur laquelle il s’est fondé.

111    À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple possibilité d’invoquer la violation de ces droits devant les juridictions ukrainiennes en vertu de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect desdits droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 121 et jurisprudence citée).

112    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du Conseil selon lequel le requérant n’a pas avancé d’élément susceptible de démontrer que sa situation particulière avait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien. En effet, selon une jurisprudence constante, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 45 et jurisprudence citée).

113    D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, la simple existence des décisions de justice et des documents mentionnés au point 94 ci-dessus permettrait de considérer que le respect du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant a été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme celui-ci l’avait fait valoir à maintes reprises dans les lettres envoyées au Conseil, la procédure [confidentiel], qui avait été dissociée, en juin 2015, de la procédure no [confidentiel], ouverte en 2014, et qui, en l’état, était suspendue, se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire, récemment transférée au bureau national anticorruption, de sorte qu’elle n’avait pas été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant eu connaissance que pour des questions procédurales, en dépit, par ailleurs, du fait que le juge d’instruction du tribunal de Petchersk avait rendu le 27 juillet 2015 une décision autorisant le BPG à procéder par défaut (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 123).

114    Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 98 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 124 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

115    Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

116    À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, § 126 et jurisprudence citée). De plus, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, §§ 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, §§ 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, §§ 58 à 62).

117    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, des mêmes enquêtes préliminaires, comme c’est le cas en l’espèce, le Conseil est tenu, préalablement à l’adoption d’une décision prorogeant l’application de ces mesures, de s’assurer du respect du droit de cette personne d’être jugée dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 101, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 127 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 114 et jurisprudence citée).

118    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 85 ci-dessus, il importe de rappeler la nature conservatoire du gel des avoirs du requérant et leur objet, à savoir, ainsi que l’a souligné le Conseil dans ses écritures et lors de l’audience, faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis, au terme des procédures judiciaires engagées, et préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer, in fine, le produit de ces détournements. Il incombe donc au Conseil d’éviter qu’une telle mesure, qui se justifie précisément en vertu de sa nature temporaire, soit prolongée inutilement, au détriment des droits et des libertés du requérant, sur lesquels elle a une incidence négative importante, du seul fait que les procédures pénales, encore au stade de l’enquête préliminaire, sur lesquelles elle repose ont été laissées ouvertes, en substance, indéfiniment (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 115 et jurisprudence citée).

119    Il ressort également de la jurisprudence de la Cour EDH ayant trait à l’interprétation de l’article 6 de la CEDH, invoquée par le requérant lors de l’audience, que des retards causés par des suspensions de la procédure par les autorités, les décisions de joindre et de disjoindre les différentes procédures pénales ainsi que les renvois d’une affaire pour un complément d’enquête dans le cadre d’une même procédure peuvent être considérés comme des indices révélateurs d’une grave défaillance dans le fonctionnement du système de justice pénale (voir, en ce sens, Cour EDH, 23 juin 2016, Krivoshey c. Ukraine, CE:ECHR:2016:0623JUD000743305, § 97 et jurisprudence citée). En l’espèce, eu égard à la durée prolongée de l’enquête préliminaire en cause, il résulte de ce qui a été indiqué au point 117 ci-dessus que le Conseil était tenu, préalablement à l’adoption des actes attaqués, de s’assurer que la durée de ladite enquête n’était pas déraisonnable. Dans cette perspective, le Conseil aurait dû, par ailleurs, tenir compte de tout indice de défaillances éventuelles dans le système de justice pénale ukrainien ressortant du dossier de l’affaire, à savoir, en l’espèce, le fait que la procédure [confidentiel] avait été dissociée d’une autre procédure, qu’elle avait été suspendue et reprise plusieurs fois et que l’enquête préliminaire dans le cadre de celle-ci avait été récemment transférée à une autre autorité investigatrice (voir, notamment, point 113 ci-dessus) sans que cela ait impliqué sa moindre progression, au lieu de se contenter des explications fournies par le BPG et de fonder son appréciation exclusivement sur celles-ci.

120    L’argumentation présentée par le BPG dans ses lettres et qui n’est étayée par aucun élément de preuve, que le Conseil a fait en quelque sorte sienne, selon laquelle l’absence d’évolution de la procédure [confidentiel] était justifiée, notamment, par sa suspension dans l’attente des réponses à plusieurs demandes d’entraide judiciaire internationale transmises par les autorités ukrainiennes à plusieurs pays tiers entre le 16 mars 2016 et le 23 mai 2017, n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion. En effet, ainsi que le souligne le requérant, l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel] sur laquelle le Conseil s’est fondé a été suspendue sans jamais avoir été réactivée depuis le 27 septembre 2017. Par ailleurs, il ressort du dossier, d’une part, qu’elle a été suspendue et rouverte à plusieurs reprises, et ce sans que des justifications crédibles aient été fournies par le BPG, et, d’autre part, qu’aucun acte d’investigation ou procédural n’a été accompli par les autorités chargées de l’enquête, qui ont par ailleurs changé en novembre 2019 (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 128).

121    Or, bien que le Conseil ait effectué des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes afin d’être éclairé sur les raisons ayant justifié la suspension de la procédure [confidentiel], il ressort du dossier qu’il s’est satisfait des explications fournies par le BPG selon lesquelles la suspension aurait été justifiée, notamment, par la nécessité de procéder à des actes de procédure dans le cadre de l’entraide judiciaire internationale.

122    À cet égard, il doit être relevé, à l’instar du requérant, que, d’une part, le BPG a précisé, en réponse aux questions posées par le Conseil, que la procédure était suspendue depuis le 27 septembre 2017, alors que, en réalité, elle l’était, en substance, au moins depuis le 14 décembre 2016. D’autre part, dans le tableau des informations joint à la lettre du 1er novembre 2019, le BPG a indiqué que la suspension était fondée sur « la nécessité d’effectuer des actes de procédure dans le cadre de la coopération internationale », qui est expressément couverte par l’article 280, paragraphe 1, sous 3), du code de procédure pénale, auquel le BPG fait explicitement référence. Il ressort toutefois de la décision de suspension du 27 septembre 2017  qu’elle a été prise sur le fondement, notamment, de l’article 280, paragraphe 1, sous 2), de ce code, qui concerne la recherche du suspect. Il s’ensuit que le BPG a fourni au Conseil une information contradictoire que celui-ci aurait pu aisément déceler. Dans ces circonstances, l’argument du Conseil, qui a éludé la question du requérant soulevant, dans le cadre de la procédure administrative ayant précédé l’adoption des actes attaqués, une telle contradiction, selon lequel il n’y aurait eu aucune raison de douter des informations communiquées par le BPG en ce qui concernait le motif de la suspension ne peut être que rejeté.

123    Par ailleurs, l’argument du Conseil selon lequel des suspensions d’une procédure pénale pendant plusieurs années auraient été admises par le Tribunal lorsqu’elles découlaient d’actes de procédure menés dans le cadre de la coopération internationale, qu’il tire, en substance, de l’arrêt du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil (T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779, point 54), n’est pas pertinent.

124    En effet, premièrement, force est de constater que l’arrêt du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil (T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779), a été rendu avant le prononcé de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), qui a apporté des clarifications significatives quant à l’obligation du Conseil de vérifier, notamment, si le droit de la personne concernée à être jugée dans un délai raisonnable, lequel, ainsi qu’il a été souligné au point 114 ci-dessus, constitue une composante du droit à une protection juridictionnelle effective, a été respecté dans le cadre des procédures pénales servant de fondement à l’adoption de mesures restrictives. Deuxièmement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil (T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779), la situation était différente de celle de la présente espèce, dans la mesure où les documents dont disposait le Conseil attestaient de l’existence à la fois d’une activité procédurale effective dans le cadre de l’instruction de l’affaire concernant la partie requérante et, notamment, d’actes de procédure accomplis par les autorités concernées dans le cadre des commissions rogatoires internationales. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, le Conseil ne s’étant fondé que sur des attestations émanant du BPG qui se réfèrent de façon générique à l’existence d’actes de procédure menés dans le cadre de la coopération internationale (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 130 et jurisprudence citée).

125    S’agissant de l’argument avancé par le Conseil dans la duplique,  selon lequel, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH, la fuite d’un accusé aurait par elle‑même des répercussions sur l’étendue de la garantie offerte par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, quant à la durée de la procédure, il doit être observé, d’une part, que, à supposer que le requérant se soit effectivement soustrait à la justice, il n’en reste pas moins que la procédure [confidentiel], sur laquelle s’appuie le Conseil, relative à des faits prétendument commis par le requérant entre le mois d’octobre 2010 et le mois de juillet 2013, se trouvait encore, six ans à compter de son ouverture, au stade de l’enquête préliminaire et, d’autre part, que, depuis le 27 juillet 2015, le BPG disposait d’une autorisation de procéder par défaut à l’égard du requérant, de sorte que le lieu où celui-ci se trouvait (voir point 112 ci-dessus) était dénué de pertinence (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil, T‑258/17, EU:T:2018:331, point 99).

126    En définitive, le Conseil aurait dû à tout le moins apprécier tous les éléments fournis par le BPG et par le requérant et indiquer les raisons pour lesquelles, au terme d’une analyse autonome et approfondie de ces éléments, il pouvait considérer que le droit du requérant à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concernait son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 131 et jurisprudence citée).

127    Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener la procédure pénale en cause avait été adoptée et mise en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et, plus particulièrement, à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

128    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant dans le cadre des actes attaqués, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée,  ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 104 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 133 et jurisprudence citée).

129    Enfin, l’argument du Conseil selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité, doit être rejeté. En effet, s’il est vrai, ainsi qu’il le prétend, qu’il est en droit de se fonder sur de telles décisions comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi qu’il a été rappelé au point 81 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 135 et jurisprudence citée).

130    Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, d’une part, le Conseil n’était pas en possession de certaines décisions ainsi que de certaines informations sur lesquelles il entendait se fonder et, d’autre part, le requérant a soulevé des doutes quant au respect de ses droits dans le contexte de l’adoption des décisions de justice sur lesquelles le Conseil entendait se fonder. En tout état de cause, il ne saurait être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements ultérieurs concernant le respect desdits droits (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 136 et jurisprudence citée), ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

131    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure pénale sur laquelle il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir son nom sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

132    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments invoqués par ce dernier.

 Sur les dépens

133    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Viktor Fedorovych Yanukovych a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mars 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.