Language of document : ECLI:EU:T:2008:415

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

8 octobre 2008 (*)

« Concurrence − Ententes − Marché des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques − Exception d’illégalité − Article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 − Imputabilité du comportement infractionnel − Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes − Gravité et effet de l’infraction − Effet dissuasif − Coopération durant la procédure administrative − Principe de proportionnalité − Principe d’égalité de traitement − Demande reconventionnelle d’augmentation de l’amende »

Dans l’affaire T‑69/04,

Schunk GmbH, établie à Thale (Allemagne),

Schunk Kohlenstoff-Technik GmbH, établie à Heuchelheim (Allemagne),

représentées par Mes R. Bechtold et S. Hirsbrunner, puis par Mes R. Bechtold, S. Hirsbrunner et A. Schädle, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. F. Castillo de la Torre et Mme H. Gading, puis par MM.  Castillo de la Torre et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision 2004/420/CE de la Commission, du 3 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.38.359 − Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques), ainsi que, à titre subsidiaire, de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes par cette décision et, d’autre part, une demande reconventionnelle de la Commission tendant à l’augmentation de ladite amende,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras (rapporteur), président, M. Prek et V. Ciucă, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 février 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Schunk Kohlenstoff-Technik GmbH (ci‑après « SKT ») est une entreprise allemande qui fabrique des produits à base de carbone et de graphite en vue de leur utilisation dans les domaines électriques et mécaniques. SKT est une filiale de Schunk GmbH (ci‑après, prises ensemble, « Schunk » ou les « requérantes »).

2        Le 18 septembre 2001, les représentants de Morgan Crucible Company plc (ci‑après « Morgan ») ont rencontré des agents de la Commission afin de proposer leur coopération pour établir l’existence d’un cartel sur le marché européen des produits à base de carbone pour des applications électriques et mécaniques et solliciter le bénéfice des mesures de clémence prévues par la communication 96/C 207/04 de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »).

3        Le 2 août 2002, la Commission a, en application de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), adressé à C. Conradty Nürnberg GmbH (ci‑après « Conradty »), à Le Carbone-Lorraine (ci‑après « LCL »), à SGL Carbon AG (ci‑après « SGL »), à SKT, à Eurocarbo SpA, à Luckerath BV et à Gerken Europe SA des demandes de renseignements concernant leur comportement sur le marché en cause. La lettre adressée à SKT concernait également les activités de l’entreprise Hoffmann & Co. Elektrokohle AG (ci‑après « Hoffmann »), rachetée par Schunk le 28 octobre 1999.

4        Par lettre du 2 septembre 2002, SKT a informé la Commission de son intention de collaborer avec elle dans le cadre de la procédure administrative et de vérifier si, outre les réponses à la demande de renseignements, elle était en mesure de lui communiquer d’autres informations utiles, compte tenu des éléments de preuve déjà en possession de l’institution.

5        Après avoir obtenu, le 5 octobre 2002, une version allemande de la demande de renseignements, SKT a, par lettre du 25 octobre 2002, répondu à ladite demande.

6        Le 23 mai 2003, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a envoyé une communication des griefs aux requérantes et aux autres entreprises concernées, à savoir Morgan, Conradty, LCL, SGL et Hoffmann.

7        À la suite de l’audition des entreprises concernées, à l’exception de Morgan et de Conradty, la Commission a adopté la décision 2004/420/CE, du 3 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.38.359 − Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques) (ci‑après la « Décision »). Un résumé de la Décision a été publié au Journal officiel du 28 avril 2004 (JO L 125, p. 45).

8        La Commission a indiqué, dans la Décision, que les entreprises destinataires de celle-ci ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE et, depuis le 1er janvier 1994, à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), consistant à fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées (restrictions quantitatives, hausses des prix et boycottages) à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel (considérant 2 de la Décision).

9        La Décision comprend les dispositions suivantes :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à compter du 1er janvier 1994, de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant, pour les périodes indiquées, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques :

–        [Conradty], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [Hoffmann], de septembre 1994 à octobre 1999 ;

–        [LCL], d’octobre 1988 à juin 1999 ;

–        [Morgan], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [Schunk], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [SGL], d’octobre 1988 à décembre 1999.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour les infractions visées à l’article 1er :

–        [Conradty] : 1 060 000 euros ;

–        [Hoffmann] : 2 820 000 euros ;

–        [LCL] : 43 050 000 euros ;

–        [Morgan] : 0 euro ;

–        [Schunk] : 30 870 000 euros ;

–        [SGL] : 23 640 000 euros.

Les amendes sont payables dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision [...]

À l’expiration de ce délai, des intérêts sont automatiquement dus au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses principales opérations de refinancement au premier jour du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de 3,5 points de pourcentage. »

10      S’agissant du calcul du montant des amendes, la Commission a qualifié l’infraction de très grave, eu égard à sa nature, à son impact sur le marché de l’EEE pour les produits concernés, même s’il ne pouvait être mesuré avec précision, et à l’étendue du marché géographique concerné (considérant 288 de la Décision).

11      Afin de tenir compte de l’importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans le cartel, et donc de son impact réel sur la concurrence, la Commission a regroupé les entreprises concernées en trois catégories, en fonction de leur importance relative sur le marché en cause déterminée par leurs parts de marché (considérants 289 à 297 de la Décision).

12      En conséquence, LCL et Morgan, considérés comme étant les deux plus grands opérateurs avec des parts de marché supérieures à 20 %, ont été classés dans la première catégorie. Schunk et SGL, qui sont des opérateurs moyens avec des parts de marché comprises entre 10 et 20 %, ont été placées dans la deuxième catégorie. Hoffmann et Conradty, considérées comme étant de petits opérateurs en raison de parts de marché inférieures à 10 %, ont été regroupées dans la troisième catégorie (considérants 37 et 297 de la Décision).

13      Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, de 35 millions d’euros pour LCL et Morgan, de 21 millions d’euros pour SGL et les requérantes et de 6 millions d’euros pour Hoffmann et Conradty (considérant 298 de la Décision).

14      En ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a estimé que toutes les entreprises concernées avaient commis une infraction de longue durée. En raison d’une durée d’infraction de onze ans et deux mois, la Commission a augmenté le montant de départ retenu à l’encontre de Schunk, de Morgan, de SGL et de Conradty de 110 %. S’agissant de LCL, la Commission a retenu une durée d’infraction de dix ans et huit mois et a augmenté le montant de départ de 105 %. À l’encontre d’Hoffmann, le montant de départ a été augmenté de 50 % en raison d’une durée d’infraction de cinq ans et un mois (considérants 299 et 300 de la Décision).

15      Le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a donc été fixé à 73,5 millions d’euros en ce qui concerne Morgan, à 71,75 millions d’euros pour LCL, à 44,1 millions d’euros pour les requérantes et SGL, à 12,6 millions d’euros en ce qui concerne Conradty et à 9 millions d’euros pour Hoffmann (considérant 301 de la Décision).

16      La Commission n’a retenu aucune circonstance aggravante ou atténuante à l’encontre ou au bénéfice des entreprises concernées (considérant 316 de la Décision) et a rejeté la demande des requérantes tendant à ce que l’amende infligée soit limitée, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à 10 % du chiffre d’affaires mondial de SKT (considérant 318 de la Décision).

17      S’agissant de l’application de la communication sur la coopération, Morgan a bénéficié d’une immunité d’amende pour avoir été la première entreprise à signaler l’existence du cartel à la Commission (considérants 319 à 321 de la Décision).

18      Conformément au point D de ladite communication, la Commission a consenti à LCL une réduction de 40 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, de 30 % à Schunk et Hoffmann et de 20 % à SGL, qui a été la dernière à coopérer (considérants 322 à 338 de la Décision).

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2004, les requérantes ont introduit le présent recours.

20      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté, en qualité de président, à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

21      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 27 février 2008.

22      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        augmenter l’amende infligée aux requérantes ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur la demande d’annulation de la Décision

24      Si le recours introduit par les requérantes présente un double objet, à savoir, à titre principal, une demande d’annulation de la Décision, et, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de l’amende, les différents griefs soulevés par les requérantes dans leurs écritures l’ont cependant été de manière indistincte. Invitées par le Tribunal, lors de l’audience, à présenter leurs observations sur la portée exacte de leur argumentation, les requérantes ont déclaré, en substance, s’en remettre à l’appréciation du Tribunal.

25      Il convient, à cet égard, de relever que l’exception d’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et la contestation de la responsabilité conjointe et solidaire de Schunk GmbH et de SKT relèvent clairement de la demande d’annulation de la Décision.

26      Les requérantes reprochent également à la Commission d’avoir violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement lors de la fixation du montant de l’amende, ce qui relève, a priori, de la demande de réduction de l’amende. L’argumentation développée à l’appui du reproche précité recèle toutefois des contestations de l’infraction retenue par la Commission et pose donc la question de la responsabilité des entreprises en cause, telle que définie à l’article 1er de la Décision. Ces contestations doivent donc être examinées dans le cadre de la demande d’annulation de la Décision en son entier, y compris de son article 1er.

 Sur l’exception d’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

27      Les requérantes soutiennent que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 confère à la Commission une marge d’appréciation presque illimitée en ce qui concerne la fixation de l’amende, ce qui est contraire au principe de légalité, défini à l’article 7, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950, tel qu’interprété par les juridictions européennes.

28      Il résulte de la jurisprudence de la Cour que le principe de légalité des peines est un corollaire du principe de sécurité juridique, lequel constitue un principe général du droit communautaire et exige, notamment, que toute réglementation communautaire, en particulier lorsqu’elle impose ou permet d’imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et puissent prendre leurs dispositions en conséquence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 9 juillet 1981, Gondrand Frères et Garancini, 169/80, Rec. p. 1931, point 17 ; du 18 novembre 1987, Maizena, 137/85, Rec. p. 4587, point 15 ; du 13 février 1996, van Es Douane Agenten, C‑143/93, Rec. p. I‑431, point 27, et du 12 décembre 1996, X, C‑74/95 et C‑129/95, Rec. p. I‑6609, point 25).

29      Ce principe, qui fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par différents traités internationaux, notamment par l’article 7 de la CEDH, s’impose tant aux normes de caractère pénal qu’aux instruments administratifs spécifiques imposant ou permettant d’imposer des sanctions administratives (voir, en ce sens, arrêt Maizena, point 28 supra, points 14 et 15, et la jurisprudence citée). Il s’applique non seulement aux normes qui établissent les éléments constitutifs d’une infraction, mais également à celles qui définissent les conséquences qui découlent d’une infraction aux premières (voir, en ce sens, arrêt X, point 28 supra, points 22 et 25).

30      Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect [avis de la Cour 2/94, du 28 mars 1996 (Rec. p. I‑1759, point 33), et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C‑299/95, Rec. p. I‑2629, point 14]. À cet effet, la Cour et le Tribunal s’inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l’article 6, paragraphe 2, UE, « [l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire » (arrêt de la Cour du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, Rec. p. I‑9011, points 23 et 24, et arrêt du Tribunal du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑112/98, Rec. p. II‑729, point 60).

31      À cet égard, il convient de rappeler le libellé de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

32      Selon la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH »), il résulte de cette disposition que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir Cour eur. D. H., arrêt Coëme e.a. c. Belgique du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions, 2000-VII, p. 1, § 145).

33      En outre, l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH n’exige pas que les termes des dispositions en vertu desquelles sont infligées ces sanctions soient à ce point précis que les conséquences pouvant découler d’une infraction à ces dispositions soient prévisibles avec une certitude absolue. En effet, selon la jurisprudence de la Cour EDH, l’existence de termes vagues dans la disposition n’entraîne pas nécessairement une violation de l’article 7 de la CEDH et le fait qu’une loi confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à l’exigence de prévisibilité, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (voir Cour eur. D. H., arrêt Margareta et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, série A nº 226, § 75). À ce sujet, outre le texte de la loi elle-même, la Cour EDH tient compte de la question de savoir si les notions indéterminées utilisées ont été précisées par une jurisprudence constante et publiée (voir Cour eur. D. H., arrêt G. c. France du 27 septembre 1995, série A nº 325-B, § 25).

34      Quant aux traditions constitutionnelles communes aux États membres, aucun élément ne permet au Tribunal de donner au principe général du droit communautaire que constitue le principe de légalité une interprétation différente de celle qui résulte des développements ci‑dessus. Les requérantes se bornent ainsi à affirmer, sans autres précisions, que, au niveau national, il n’existe pas d’habilitation comparable d’une autorité permettant à cette dernière d’infliger des amendes de façon presque illimitée.

35      Dans le cas présent, s’agissant de la légalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 au regard du principe de légalité des peines, tel qu’il a été reconnu par le juge communautaire en conformité avec les indications fournies par la CEDH et les traditions constitutionnelles des États membres, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission ne dispose pas d’une marge d’appréciation illimitée pour la fixation des amendes pour infraction aux règles de la concurrence.

36      En effet, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 limite lui‑même le pouvoir d’appréciation de la Commission. D’une part, en précisant que « [l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de [1 000 euros] au moins et [de 1 million d’euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction », il prévoit un plafond des amendes en fonction du chiffre d’affaires des entreprises concernées, c’est-à-dire en fonction d’un critère objectif. Ainsi, s’il n’existe pas de plafond absolu applicable à la globalité des infractions aux règles de concurrence, l’amende pouvant être imposée connaît toutefois un plafond chiffrable et absolu, calculé en fonction de chaque entreprise, pour chaque cas d’infraction, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être infligée à une entreprise donnée est déterminable à l’avance. D’autre part, cette disposition impose à la Commission de fixer les amendes dans chaque cas d’espèce en prenant « en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ».

37      S’il est vrai que ces deux critères laissent à la Commission une large marge d’appréciation, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de critères retenus par d’autres législateurs pour des dispositions similaires, permettant à la Commission d’adopter des sanctions en tenant compte du degré d’illégalité du comportement en cause.

38      Il y a lieu de constater que, en prévoyant, en cas d’infraction aux règles de la concurrence, des amendes d’un montant allant de 1 000 euros à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, le Conseil n’a pas laissé à la Commission une marge de manœuvre excessive. En particulier, il convient de considérer que le plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée est raisonnable, eu égard aux intérêts défendus par la Commission dans le cadre de la poursuite et de la sanction de telles infractions.

39      À cet égard, il importe de rappeler que les sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en cas de violation des articles 81 CE et 82 CE, constituent un instrument clé dont dispose la Commission pour veiller à la mise en place, au sein de la Communauté, d’un « régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur » [article 3, paragraphe 1, sous g), CE]. Ce régime permet à la Communauté de remplir sa mission qui consiste, par l’établissement d’un marché commun, à promouvoir dans l’ensemble de la Communauté, notamment, un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques et un haut degré de compétitivité (article 2 CE). Ce régime est en outre nécessaire pour l’instauration, au sein de la Communauté, d’une politique économique conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre (article 4, paragraphes 1 et 2, CE). Ainsi, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 permet la mise en œuvre d’un régime répondant aux missions fondamentales de la Communauté.

40      Dès lors, il y a lieu de considérer que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, tout en laissant à la Commission une certaine marge d’appréciation, définit les critères et les limites qui s’imposent à elle dans l’exercice de son pouvoir d’infliger des amendes.

41      En outre, il convient d’observer que, pour fixer des amendes en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, tout particulièrement les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, tels qu’interprétés par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal. Il convient également d’ajouter que, en vertu de l’article 229 CE et de l’article 17 du règlement n° 17, ces deux juridictions statuent avec une compétence de pleine juridiction sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe des amendes et peuvent ainsi non seulement annuler les décisions prises par la Commission, mais également supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée. Ainsi, la pratique administrative de la Commission est soumise au plein contrôle du juge communautaire. Contrairement aux affirmations des requérantes, ce contrôle ne conduit pas le juge communautaire, à qui la tâche du législateur aurait été prétendument déléguée, à outrepasser ses compétences en violation de l’article 7, paragraphe 1, CE, compte tenu de ce que, d’une part, un tel contrôle est expressément prévu par les dispositions précitées, dont la validité n’est pas contestée, et, d’autre part, le juge communautaire l’exerce dans le respect des critères visés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

42      Par ailleurs, sur la base des critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et précisés dans la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, la Commission a, elle-même, développé une pratique décisionnelle publiquement connue et accessible. Bien que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne serve pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (arrêts de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, points 201 et 205, et du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec. p. I‑4405, point 60), il n’en reste pas moins que, en vertu du principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe général du droit au respect duquel la Commission est tenue, cette dernière ne peut traiter des situations comparables de manière différente ou des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).

43      Selon une jurisprudence constante, la Commission peut, certes, adapter à tout moment le niveau des amendes si l’application efficace des règles communautaires de la concurrence l’exige (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 237), une telle altération d’une pratique administrative pouvant alors être considérée comme objectivement justifiée par l’objectif de prévention générale des infractions aux règles communautaires de la concurrence. L’augmentation récente du niveau des amendes alléguée et contestée par les requérantes ne saurait donc, en soi, être considérée comme illégale au regard du principe de légalité des peines, dès lors qu’elle reste dans le cadre légal défini par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 tel qu’interprété par les juridictions communautaires.

44      Il convient, encore, de tenir compte de ce que, dans un souci de transparence et afin d’accroître la sécurité juridique des entreprises concernées, la Commission a publié des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), dans lesquelles elle énonce la méthode de calcul qu’elle s’impose dans chaque cas d’espèce. À cet égard, la Cour a d’ailleurs considéré que, en adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement et la protection de la confiance légitime. En outre, les lignes directrices, si elles ne constituent pas le fondement juridique de la Décision, déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées par ladite Décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 211 et 213). Il s’ensuit que l’adoption par la Commission des lignes directrices, dans la mesure où elle s’est inscrite dans le cadre légal imposé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, a seulement contribué à préciser les limites de l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission résultant déjà de cette disposition, sans qu’il puisse en être déduit une insuffisance initiale de la détermination par le législateur communautaire des limites de la compétence de la Commission dans le domaine en cause.

45      Ainsi, au vu des différents éléments relevés ci-dessus, un opérateur avisé peut, en s’entourant au besoin d’un conseil juridique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode et l’ordre de grandeur des amendes qu’il encourt pour un comportement donné. Le fait que cet opérateur ne puisse, à l’avance, connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce ne saurait constituer une violation du principe de légalité des peines, compte tenu de ce que, en raison de la gravité des infractions que la Commission est appelée à sanctionner, les objectifs de répression et de dissuasion justifient d’éviter que les entreprises soient en mesure d’évaluer les bénéfices qu’elles retireraient de leur participation à une infraction en tenant compte, par avance, du montant de l’amende qui leur serait infligée en raison de ce comportement illicite.

46      À cet égard, même si les entreprises ne sont pas en mesure, à l’avance, de connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission retiendra dans chaque cas d’espèce, il convient de relever que, conformément à l’article 253 CE, dans la décision infligeant une amende, la Commission est tenue, et ce malgré le contexte généralement connu de la décision, de fournir une motivation, notamment quant au montant de l’amende infligée et quant à la méthode choisie à cet égard. Cette motivation doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin d’apprécier l’opportunité de saisir le juge communautaire et, le cas échéant, de permettre à celui‑ci d’exercer son contrôle.

47      Enfin, quant à l’argument selon lequel, en définissant le cadre de l’amende par l’adoption des dispositions de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, le Conseil aurait manqué à son obligation d’indiquer clairement les limites de la compétence conférée à la Commission et, de fait, transféré à celle-ci une compétence lui appartenant en vertu du traité, en violation des articles 83 CE et 229 CE, il y a lieu de considérer qu’il est dépourvu de fondement.

48      D’une part, comme il a été exposé précédemment, si l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 laisse à la Commission une large marge d’appréciation, il en limite cependant l’exercice en instaurant des critères objectifs auxquels la Commission doit se tenir. D’autre part, il y a lieu de rappeler que le règlement nº 17 a été adopté sur la base de l’article 83, paragraphe 1, CE, lequel prévoit que « [l]es règlements ou directives utiles en vue de l’application des principes figurant aux articles 81 [CE] et 82 [CE] sont établis par le Conseil […] sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen ». Ces règlements ou directives ont notamment pour but, aux termes de l’article 83, paragraphe 2, sous a) et d), CE, respectivement, d’« assurer le respect des interdictions visées à l’article 81, paragraphe 1, [CE] et à l’article 82 [CE], par l’institution d’amendes et d’astreintes » et de « définir le rôle respectif de la Commission et de la Cour de justice dans l’application des dispositions visées dans le présent paragraphe ». Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que, en vertu de l’article 211, premier tiret, CE, la Commission « veille à l’application des dispositions du présent traité ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui‑ci » et qu’elle dispose, en vertu du troisième tiret de ce même article, d’« un pouvoir de décision propre ».

49      Il en résulte que le pouvoir d’infliger des amendes en cas de violation des articles 81 CE et 82 CE ne saurait être considéré comme appartenant originairement au Conseil, qui l’aurait transféré ou en aurait délégué l’exécution à la Commission, au sens de l’article 202, troisième tiret, CE. Conformément aux dispositions du traité citées précédemment, ce pouvoir relève en effet du rôle propre à la Commission de veiller à l’application du droit communautaire, ce rôle ayant été précisé, encadré et formalisé, s’agissant de l’application des articles 81 CE et 82 CE, par le règlement nº 17. Le pouvoir d’infliger des amendes que ce règlement attribue à la Commission découle donc des prévisions du traité lui‑même et vise à permettre l’application effective des interdictions prévues auxdits articles (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 133). Dès lors, l’argument des requérantes doit être rejeté.

50      Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 doit être rejetée comme non fondée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 69 à 92, et du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T-279/02, Rec. p. II‑897, points 66 à 88).

51      Il importe, enfin, de souligner que les requérantes font valoir, « à titre subsidiaire », que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 pourrait être considéré comme compatible avec le principe de légalité si la Commission l’interprétait de façon restrictive, ce qu’elle ne serait pas prête à faire.

52      Il y a lieu, à cet égard, de constater que les requérantes se contentent de formuler des considérations générales sur la manière selon laquelle la Commission devrait, de façon générale, modifier sa politique en matière d’amendes en développant une pratique décisionnelle transparente et cohérente, mais ne soulèvent aucun grief concret à l’encontre de la Décision.

 Sur la responsabilité conjointe et solidaire de Schunk GmbH et de SKT

53      Il importe, à titre liminaire, d’observer que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, les conditions dans lesquelles Schunk GmbH a été rendue destinataire de la Décision sont clairement indiquées dans celle-ci.

54      Il résulte du considérant 257 de la Décision que la Commission a estimé que, « bien que [SKT] fût la personne morale qui a directement participé à l’entente, Schunk GmbH, en tant que société mère à 100 %, était capable d’exercer une influence déterminante sur la politique commerciale de [SKT] à l’époque de l’infraction, et on peut supposer qu’elle a effectivement influencé sa participation à l’entente ». La Commission a donc considéré que ces deux entreprises « form[ai]ent l’unité économique qui fabrique et vend des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques dans l’EEE et qui a participé à l’entente » et qu’elles devaient donc être déclarées conjointement et solidairement responsables de l’infraction commise.

55      À cet égard, il convient de rappeler que le comportement anticoncurrentiel d’une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu’elle n’a pas déterminé son comportement sur le marché de façon autonome, mais a appliqué pour l’essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C‑294/98 P, Rec. p. I‑10065, point 27, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 44 supra, point 117). Ainsi, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome sa ligne d’action sur le marché, mais applique, pour l’essentiel, les instructions qui lui sont imparties par la société mère, ces deux entreprises constituant une unité économique (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, points 133 et 134).

56      Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption simple selon laquelle ladite société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 50, et arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, points 961 et 984), et qu’elles constituent donc une seule entreprise au sens de l’article 81 CE (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, ci‑après l’« arrêt Tokai II », point 59). Il incombe, dès lors, à la société mère contestant devant le juge communautaire une décision de la Commission de lui infliger une amende pour un comportement commis par sa filiale de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer l’autonomie de cette dernière (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 136 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, ci‑après l’« arrêt Stora », point 29).

57      À cet égard, il y a lieu de souligner que, s’il est vrai que la Cour a évoqué aux points 28 et 29 de l’arrêt Stora, point 56 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d’autres circonstances, telles que la non-contestation de l’influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n’en demeure pas moins que lesdites circonstances n’ont été relevées par la Cour que dans le but d’exposer l’ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement pour conclure que celui-ci n’était pas fondé uniquement sur la détention de la totalité du capital de la filiale par sa société mère. Partant, le fait que la Cour a confirmé l’appréciation du Tribunal dans cette affaire ne saurait avoir pour conséquence de modifier le principe consacré au point 50 de l’arrêt AEG/Commission, point 56 supra. Il y a lieu d’ajouter que la Cour indique expressément, au point 29 de l’arrêt Stora, point 56 supra, que « en présence d’une détention de la totalité du capital de celle-ci, le Tribunal pouvait légitimement supposer, ainsi que l’a relevé la Commission, que la société mère exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale » et que, dans ces conditions, il incombait à la requérante de renverser cette « présomption » par des éléments de preuve suffisants.

58      Dans le cas présent, Schunk GmbH a explicitement confirmé, lors de l’audience et en réponse à une question du Tribunal, qu’elle contrôlait SKT à 100 % à l’époque de l’infraction et il y a lieu, dès lors, de présumer qu’elle exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, Schunk GmbH pouvant renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer l’autonomie de SKT.

59      Il résulte des écritures de Schunk GmbH que son argumentation sur l’autonomie de SKT est essentiellement fondée sur la seule affirmation de sa nature spécifique, à savoir celle d’une société holding. Schunk GmbH en déduit l’indépendance fonctionnelle de SKT et excipe, en outre, de l’indépendance organique de celle-ci, ce qui contredirait l’affirmation de la Commission selon laquelle Schunk GmbH et SKT constituent une unité économique et ont agi, en l’espèce, comme une entreprise au sens de l’article 81 CE.

60      La notion de holding recouvre des situations variées, mais, de manière générale, un holding peut être défini comme une société qui détient des participations dans une ou plusieurs sociétés en vue de les contrôler.

61      Au considérant 260 de la Décision, la Commission rappelle la teneur de l’article 3 des statuts de Schunk GmbH, aux termes duquel « l’objet de l’entreprise est l’acquisition, la vente, l’administration, notamment la gestion stratégique de participations industrielles ».

62      Si cette définition de l’objet social de Schunk GmbH corrobore son affirmation selon laquelle elle n’est qu’un holding financier, qui n’exerce aucune activité industrielle ou commerciale, l’expression « gestion stratégique de participations industrielles » est suffisamment large pour comprendre et permettre, en pratique, une activité de gestion et de direction des filiales. Il convient de relever que ce même article 3 des statuts de Schunk GmbH prévoit également que « [l]a société est compétente pour prendre toutes les mesures qui sont propres à servir directement ou indirectement, l’objectif » défini au point précédent.

63      En outre, dans le contexte d’un groupe de sociétés, comme en l’espèce, un holding est une société ayant vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et dont la fonction est d’en assurer l’unité de direction. Il résulte du considérant 30 de la Décision que Schunk GmbH est la principale société mère du groupe Schunk, qui compte plus de 80 filiales et qu’elle est « responsable, entre autres, de la division ‘graphite et céramiques’ du groupe, qui s’occupe notamment des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques ».

64      L’existence d’une unité de direction et de coordination est attestée par les conditions dans lesquelles SKT a défini et présenté son chiffre d’affaires, pour l’année 1998, à la Commission en faisant valoir qu’elle avait le droit d’exclure de son chiffre d’affaires la valeur des balais préinstallés sur les porte-balais.

65      En effet, au considérant 262 de la Décision, la Commission fait valoir ce qui suit :

« [C]es porte-balais sont fabriqués par Schunk Metall- und Kunststofftechnik GmbH, une autre filiale du groupe Schunk. Si [SKT] avait véritablement poursuivi une politique commerciale autonome, elle aurait systématiquement inclus les ventes de ces balais à Schunk Metall-und Kunststofftechnik GmbH dans ses données sur son chiffre d’affaires. Le fait qu’elle ait proposé de ne pas procéder de la sorte montre qu’elle considère qu’il s’agissait de ventes qui impliquent un transfert à une autre société du groupe, soumise au contrôle d’entités juridiques ayant une position supérieure au sein du groupe Schunk, et non de ventes autonomes à un acheteur indépendant. En fait, [SKT] a qualifié ces ventes à Schunk Metall- und Kunststofftechnik GmbH de ‘chiffre d’affaires interne’ et de ‘propre utilisation’. »

66      La situation ainsi décrite révèle une indéniable prise en compte des intérêts du groupe et va à l’encontre de l’allégation d’une indépendance totale de SKT. Il importe encore de souligner l’importance de la filiale SKT pour le groupe Schunk et Schunk GmbH, en particulier, détenteur de 100 % du capital de SKT. Ainsi, alors que pour l’année 2002, le groupe présentait un chiffre d’affaires consolidé de 584 millions d’euros, SKT a réalisé, la même année, un chiffre d’affaires global de 113,6 millions d’euros.

67      En sus du libellé de l’article 3 des statuts de Schunk GmbH, la Commission fait référence à la forme juridique particulière de SKT, laquelle a été constituée en société à responsabilité limitée (Gesellschaft mit beschränkter Haftung, GmbH). Schunk GmbH n’a pas contesté la teneur du considérant 259 de la Décision ainsi rédigé :

« En vertu du droit allemand des sociétés, les [associés] d’une société […] à responsabilité limitée (GmbH) contrôlent étroitement la direction de la GmbH. Entre autres choses, ils nomment et révoquent les directeurs généraux de la GmbH. Ils prennent également les mesures nécessaires pour examiner et contrôler la manière dont la GmbH est dirigée. En outre, les directeurs généraux de la GmbH sont tenus, à la demande de tout [associé], de fournir immédiatement des renseignements concernant les activités de la société et de permettre l’accès à ses comptes et documents. »

68      Sur le plan organique, Schunk GmbH affirme qu’il n’y a aucune imbrication personnelle entre les deux sociétés, dans le sens de « structures personnelles communes à plusieurs sociétés comme, par exemple, une même personne exerçant les fonctions de membre du conseil d’administration dans plusieurs sociétés en même temps et durant une période relativement longue ou des nominations réciproques au directoire et au conseil d’administration ».

69      Force est, cependant, de constater que Schunk GmbH ne fournit à l’appui de ses allégations aucune preuve documentaire, preuves pouvant pourtant être produites, s’agissant, notamment, de la liste nominative des membres des organes statutaires des deux entreprises à l’époque de l’infraction.

70      Dans ces circonstances, le fait que l’objet social de Schunk GmbH permet de conclure que cette dernière constituait bien un holding dont le rôle était, statutairement, de gérer ses participations dans le capital d’autres sociétés n’est pas suffisant, à lui seul, pour renverser la présomption née de la détention de l’intégralité du capital social de SKT.

71      Cette conclusion rend inutile l’examen de la force probante d’un indice mentionné au considérant 261 de la Décision, censé démontrer le fait que la direction de Schunk GmbH n’a pas pu ignorer la participation de SKT aux accords restrictifs de concurrence, à savoir le rôle joué par M. F., dont le nom figurait dans le carnet d’adresses d’un représentant de Morgan et, qui, par la suite, est devenu directeur général de Schunk GmbH.

72      Il convient, par ailleurs, de relever que le parallèle opéré par Schunk GmbH avec la situation d’Hoffmann et le traitement autonome dont celle-ci a fait l’objet de la part de la Commission est dépourvu de toute pertinence, dans la mesure où la Commission a retenu la responsabilité spécifique de cette société pour la période allant de septembre 1994 à octobre 1999, c’est-à-dire antérieurement à son rachat par Schunk GmbH.

73      Schunk GmbH prétend, enfin, que, pour qu’une société mère puisse être tenue pour responsable d’une infraction commise par sa filiale, il faut qu’une violation personnelle des règles de la concurrence soit établie à l’encontre de la première et que l’imputation d’une infraction commise par une personne à une autre violerait le principe de responsabilité individuelle qui veut qu’un sujet de droit ne peut être sanctionné que lorsqu’une infraction personnelle peut lui être reprochée.

74      Il suffit de constater que l’argumentation de Schunk GmbH repose sur une prémisse erronée, selon laquelle aucune infraction n’a été constatée à son égard. Au contraire, il ressort du considérant 257 et de l’article 1er de la Décision que Schunk GmbH a été personnellement condamnée pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même en raison des liens économiques et juridiques qui l’unissaient à SKT et qui lui permettaient de déterminer le comportement de cette dernière sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, point 55 supra, point 34).

75      Il résulte des considérations qui précèdent que Schunk GmbH n’a pas démontré que c’est à tort que la Commission l’a déclarée conjointement et solidairement responsable, avec SKT, du paiement de l’amende de 30,87 millions d’euros.

76      En conséquence, l’allégation selon laquelle la Commission a fait une application erronée de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en prenant en compte le chiffre d’affaires mondial de Schunk GmbH, considérée à tort comme conjointement et solidairement responsable avec SKT, doit être rejetée comme fondée sur une prémisse erronée.

 Sur les contestations de l’infraction

–       Considérations préliminaires

77      Ainsi qu’il a été exposé, l’argumentation des requérantes développée à l’appui du grief tiré d’une violation par la Commission des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement lors de la fixation du montant de l’amende recèle des contestations de l’infraction retenue par la Commission et pose donc la question de la responsabilité des entreprises en cause.

78      Ainsi, les requérantes font valoir que la Commission a estimé à tort :

–        que les entreprises impliquées dans le cartel avaient décidé d’un commun accord de renoncer à la publicité et aux participations à des salons ;

–        que SKT avait pris part aux accords concernant l’interdiction de livraison de blocs de carbone à des tailleurs ;

–        que les produits et clients des secteurs des équipements automobiles et des biens de consommation avaient fait l’objet d’accords anticoncurrentiels ;

–        que les entreprises concernées avaient suivi un « plan global qui visait à modifier durablement la structure de la concurrence sur le marché par le biais de rachats d’entreprises », un tel plan n’ayant jamais existé ou n’ayant pu être conçu et mis en œuvre que par SGL et Morgan, à l’insu des requérantes ;

–        que les entreprises concernées avaient eu recours à un mécanisme particulièrement sophistiqué pour le contrôle et la mise en œuvre de leurs accords.

79      En réaction à ces allégations, la Commission fait valoir que les requérantes n’ont pas contesté, dans leur réponse à la communication des griefs, la matérialité de certains faits figurant dans ladite communication, lesquels sont contestés pour la première fois dans le recours en annulation introduit devant le Tribunal. Or, selon la jurisprudence, des faits reconnus lors de la procédure administrative devraient être considérés comme établis et ne pourraient plus être contestés devant le juge.

80      Il convient de rappeler, à cet égard, que la communication des griefs, qui est destinée à assurer aux entreprises qui en sont destinataires l’exercice efficace des droits de la défense, a pour effet de circonscrire l’objet de la procédure engagée contre une entreprise, dans la mesure où elle fixe la position de la Commission vis-à-vis de ladite entreprise et que l’institution n’est pas en droit de retenir dans sa décision des griefs qui ne figurent pas dans la communication (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, Francolor/Commission, 54/69, Rec. p. 851, point 12, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 86).

81      C’est, notamment, sur la base des réponses à la communication des griefs fournies par les entreprises destinataires de celle-ci que la Commission doit arrêter sa position quant à la suite de la procédure administrative.

82      L’institution a, d’une part, le droit ou éventuellement le devoir de procéder à de nouvelles enquêtes si le déroulement de la procédure administrative fait apparaître la nécessité de vérifications complémentaires (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Geigy/Commission, 52/69, Rec. p. 787, point 14), lesquelles peuvent amener la Commission à adresser aux entreprises concernées une communication complémentaire des griefs.

83      Elle peut, d’autre part, estimer, au regard des réponses à la communication des griefs et, plus particulièrement, de l’admission par les entreprises concernées des faits reprochés, ainsi que des éléments recueillis au cours de l’enquête, qu’elle est en situation d’adopter une décision définitive qui marque la fin de la procédure administrative et de sa tâche visant à la détermination et à la preuve des faits à la base des infractions en cause. Dans cette décision, la Commission définit les responsabilités des entreprises concernées et fixe le montant des amendes infligées, le cas échéant, à celles-ci.

84      C’est dans ce contexte que la Cour a estimé, au point 37 de l’arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission (C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101) que, en l’absence de reconnaissance expresse de la part de l’entreprise mise en cause, la Commission devra encore établir les faits, l’entreprise restant libre de développer, le moment venu et notamment dans le cadre de la procédure contentieuse, tous les moyens de défense qui lui paraîtront utiles. Il en résulte, en revanche, que tel ne saurait être le cas en présence d’une reconnaissance des faits par l’entreprise en question (arrêts du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 227 ; du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, ci‑après l’« arrêt Tokai I », point 108 ; voir également, en ce sens, arrêt Tokai II, point 56 supra, points 324 et 326).

85      Cette jurisprudence n’a pas pour objet de restreindre la formation de recours contentieux par une entreprise sanctionnée par la Commission, mais de préciser l’étendue de la contestation pouvant être portée devant le juge afin d’éviter tout déplacement de la détermination des faits à la base de l’infraction concernée de la Commission vers le Tribunal, étant rappelé que ce dernier, saisi d’un recours fondé sur l’article 230 CE, est compétent pour contrôler la légalité de la décision infligeant la sanction et pour réformer, le cas échéant, cette dernière en vertu de son pouvoir de pleine juridiction (ordonnance du Tribunal du 9 novembre 2004, FNICGV/Commission, T‑252/03, Rec. p. II‑3795, point 24).

86      Dans le cas présent, la Commission a envoyé, le 23 mai 2003, une communication des griefs aux requérantes en laissant à celles-ci un délai de huit semaines pour en prendre connaissance et formuler une réponse. Au cours de cette période, les requérantes, assistées de leurs conseils, ont pu analyser les griefs retenus à leur égard par la Commission et décider, en connaissance de cause, du positionnement qu’elles devaient adopter, compte tenu également des termes de la communication sur la coopération.

87      Dans sa réponse à la communication des griefs, Schunk GmbH indique qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits ni la qualification juridique de ces faits comme entente prohibée et/ou comme pratique concertée, mais qu’elle s’élève contre le fait qu’une infraction de SKT au droit de la concurrence lui soit imputée. La réponse de Schunk GmbH est ainsi consacrée à la contestation d’une responsabilité solidaire et conjointe avec SKT.

88      S’agissant de SKT, sa réponse se présente sous une forme particulière en ce sens qu’elle comporte un chapeau introductif dans lequel il est indiqué, de manière générale, ce qui suit :

« [SKT] ne conteste pas la matérialité des faits […] Elle ne conteste pas non plus la qualification juridique de ces faits comme entente prohibée et/ou comme pratique concertée. [SKT] s’élève seulement, dans les présentes observations, contre certaines appréciations des faits et les conclusions juridiques de la Commission. Nous compléterons donc l’exposé des faits sur certains points. »

89      La formulation choisie révèle l’expression d’une reconnaissance globale expresse non seulement des faits retenus, mais aussi des qualifications juridiques de ceux-ci figurant dans la communication des griefs assortie, cependant, d’une réserve concernant certains faits et conclusions juridiques que la Commission a pu en tirer.

90      Il importe, à cet égard, de souligner que la Commission a octroyé à Schunk une réduction de 10 % du montant de l’amende, quantum précisé lors de l’audience, au titre du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération, qui prévoit le bénéfice d’une telle réduction si « après avoir reçu la communication des griefs, [l’]entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations ».

91      Il convient donc de vérifier si les contestations mentionnées au point 78 ci-dessus recouvrent les réserves exprimées par SKT dans sa réponse à la communication des griefs.

–       Sur l’interdiction de la publicité

92      La Commission soutient que les requérantes contestent pour la première fois dans la requête introductive d’instance l’existence d’un accord relatif à la publicité et à la participation à des salons expressément mentionné dans la communication des griefs alors que les requérantes prétendent qu’elles n’ont jamais reconnu l’exactitude du fait concerné au cours de la procédure administrative.

93      Force est de constater que la question de l’interdiction de la publicité est clairement évoquée aux points 106 et 107 de la communication des griefs. Ainsi, la Commission indique que les membres du cartel étaient convenus de ne pas faire de publicité et de ne pas participer à des foires et expositions (point 106) et fait référence au fait que lors de sa réunion du 3 avril 1998, le comité technique a constaté, sous la rubrique « Règles en matière de publicité » que « Morgan Cupex et Pantrak ont fait de la publicité pour des balais de carbone, ce qui n’est pas autorisé » (point 107).

94      Il convient de rappeler que, dans leurs réponses à la communication des griefs, SKT et Schunk GmbH ont indiqué ne pas contester la matérialité des faits ni la qualification juridique de ces faits comme entente prohibée et/ou comme pratique concertée, sous réserve, s’agissant de SKT, de certaines appréciations et conclusions de la Commission évoquées aux points 3 à 33 de sa réponse. Or, il n’est nullement fait référence dans lesdits points aux appréciations et conclusions de la Commission concernant l’interdiction de la publicité.

95      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que les requérantes ont clairement reconnu l’existence d’un accord anticoncurrentiel sur l’interdiction de la publicité, lequel ne peut plus être contesté, pour la première fois, devant le Tribunal.

–       Sur la fourniture de blocs de carbone

96      SKT soutient que, contrairement aux affirmations de la Commission, elle n’aurait pas pris part aux accords concernant l’interdiction de livraison de blocs de carbone à des tailleurs.

97      Il résulte de la Décision que ce grief procède d’une lecture partielle et erronée de celle-ci et ne peut donc être analysé comme une véritable contestation tardive des faits reprochés.

98      Au considérant 154 de la Décision, la Commission explique que, en plus de vendre des produits finis à base de carbone, comme les balais de carbone, les membres du cartel vendaient aussi des blocs de carbone pressé, qui n’ont pas encore été taillés ni usinés pour fabriquer des balais ou d’autres produits. Un certain nombre de tailleurs non membres de l’entente achètent ces blocs de carbone, les taillent et les transforment en produits finals qu’ils vendent aux clients. Tout en étant clients des membres du cartel, ces tailleurs représentent aussi pour eux une source de concurrence pour les produits finis.

99      Il ressort des considérants 154 à 166 de la Décision que la politique du cartel visait à limiter la concurrence que les tailleurs pouvaient exercer pour les produits finis fabriqués à partir de ces blocs, et ce en refusant de les approvisionner ou lorsqu’ils étaient approvisionnés, en fixant les prix pour les blocs de carbone livrés à des niveaux élevés.

100    Au considérant 161 de la Décision, la Commission reproche clairement à Schunk d’avoir approvisionné les tailleurs en appliquant les prix préalablement convenus avec les autres membres du cartel, ce que les requérantes ne contestent pas dans leurs écritures. L’allégation par les requérantes de leur absence de participation aux accords concernant l’interdiction de livraison de blocs de carbone est, dès lors, dépourvue de toute pertinence.

101    Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a considéré que les requérantes avaient enfreint l’article 81 CE en participant à un ensemble d’accords anticoncurrentiels comprenant, notamment, des accords sur les prix des blocs de carbone destinés aux tailleurs.

–       Sur les pratiques anticoncurrentielles concernant les équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation

102    Selon les requérantes, il résulte du dossier de procédure et de la Décision elle-même que les produits et clients des secteurs d’activité concernant les équipementiers automobiles et les biens de consommation n’étaient pas concernés par les accords anticoncurrentiels. Elles n’auraient d’ailleurs pas reconnu l’existence de tels accords, relatifs aux secteurs concernés, dans le cadre de la procédure administrative.

103    La Commission fait valoir que les deux secteurs d’activité en cause ont été clairement décrits au point 11 de la communication des griefs et que l’infraction portant sur ces secteurs ne consiste pas dans l’application du système de prix cibles, mais dans la concertation des membres du cartel au sujet des arguments à employer pour refuser des réductions de prix lors des négociations avec les opérateurs desdits secteurs, ce qui ressortait déjà des points 91 et 94 de la communication des griefs.

104    La Commission ajoute que SKT a reconnu ces faits au point 24 de sa réponse à la communication des griefs rédigé comme suit :

« Dans le domaine des balais de carbone et des modules pour le secteur de l’industrie automobile et les fabricants d’appareils ménagers et de machines-outils, les producteurs faisaient face à de gros clients, disposant d’une puissance d’achat et qui étaient en mesure de se servir des producteurs les uns contre les autres. Ces clients n’ont jamais fait l’objet d’un accord généralisé lors des réunions de l’entente au niveau européen. Des entretiens ont, certes, eu lieu. Mais ils ont exclusivement été menés dans le but que les producteurs puissent échanger mutuellement des arguments afin qu’ils puissent opposer des arguments aux gros clients exigeant des baisses de prix. »

105    Il apparaît, ainsi, que si SKT nie l’existence d’un accord sur les prix, elle admet, en revanche, la réalité d’une concertation illicite entre les entreprises impliquées dans le cartel ayant pour objet le niveau des prix des produits destinés aux équipementiers automobiles et aux producteurs de biens de consommation, ce qui ne peut plus être contesté pour la première fois devant le Tribunal.

106    Les requérantes contestent, toutefois, que les déclarations figurant au point 24 de la réponse de SKT à la communication des griefs puissent être comprises et qualifiées d’aveu exprès d’une infraction à l’article 81 CE.

107    À supposer que, eu égard à une certaine imprécision de la communication des griefs sur la nature et la qualification juridique exacte du comportement infractionnel incriminé, les déclarations susvisées puissent ne pas être considérées comme une reconnaissance expresse des faits reprochés, le grief des requérantes tiré de l’absence d’infraction dans le secteur des équipementiers automobiles et des producteurs de biens de consommation devrait être considéré comme recevable, mais devrait être, en tout état de cause, rejeté comme non fondé.

108    Il convient d’observer qu’il résulte de la Décision que la Commission a considéré que le comportement des différentes entreprises impliquées dans l’entente constituait une infraction unique et continue, qui s’est progressivement concrétisée par des accords et/ou des pratiques concertées.

109    Ainsi, l’article 1er de la Décision énonce que les entreprises concernées, dont les requérantes, ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE en participant « à un ensemble d’accords et de pratiques concertées » dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques. Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que, dans le cadre d’une infraction complexe, qui a impliqué plusieurs producteurs pendant plusieurs années poursuivant un objectif de régulation en commun du marché, on ne saurait exiger de la Commission qu’elle qualifie précisément l’infraction, pour chaque entreprise et à chaque instant donné, d’accord ou de pratique concertée, dès lors que, en toute hypothèse, l’une et l’autre de ces formes d’infraction sont visées à l’article 81 CE (arrêt PVC II, point 56 supra, point 696).

110    S’agissant des activités illicites concernant les équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation, la Commission précise, au considérant 40 de la Décision, que ceux-ci font partie de la première catégorie des « gros clients » pour les produits destinés à des applications électriques et se caractérisent par leur petit nombre, des achats en grande quantité et un important pouvoir de négociation.

111    S’appuyant, notamment, sur les déclarations de LCL, la Commission indique que « les seuls types de clients qui semblent avoir été exclus du calcul des prix du barème sont les équipementiers automobiles et peut-être les producteurs de biens de consommation » (considérant 120 de la Décision), mais que des contacts directs entre fournisseurs potentiels ont eu lieu avant les négociations annuelles avec les opérateurs concernés, ces contacts ayant eu moins pour objet de s’entendre sur les prix que de se mettre d’accord sur les arguments à opposer aux demandes de réduction des prix formulées par ces gros clients (considérant 124 de la Décision).

112    Les requérantes affirment que le document émanant de LCL, sur lequel s’appuient les conclusions de la Commission, ne contient pas d’indice permettant de conclure que l’échange d’arguments en cause concernait les secteurs des équipements automobiles et des biens de consommation et que ledit échange ne constitue pas un comportement prohibé par l’article 81 CE.

113    Il convient, premièrement, de constater que le document en cause a trait à la « méthode de calcul des prix de balais pour moteurs électriques » et que la première partie est consacrée aux « balais automobiles » et aux « balais FHP ». Après avoir décrit le contexte de la demande pour ces deux produits, dans des termes analogues à ceux mentionnés au point 110 ci-dessus, LCL indique ce qui suit :

« Dans un tel contexte, les concertations entre concurrents pendant la période incriminée n’avaient pour objet que de tenter de résister à un rapport de force très déséquilibré en faveur des clients.

[…]

Les prix des produits ‘balais automobiles’ et ‘balais FHP’ n’ont jamais fait l’objet de discussions dans le cadre des réunions techniques [de l’European Carbon and Graphite Association]. Ils n’ont jamais été fixés à partir de méthodes ou barèmes communs aux différents concurrents.

Pendant la période de l’entente, qui s’est terminée en 1999, les concurrents se concertaient à l’occasion des négociations annuelles avec les clients pour échanger des informations et des argumentaires que chaque concurrent essayait ensuite d’utiliser pour résister aux pressions des clients et à leurs demandes continues de baisse de prix.

[…]

Conclusion

Pendant la période de l’infraction, il y avait des concertations entre concurrents pour les ‘balais automobiles’ et les ‘balais FHP’ dans le but d’aider les concurrents à résister au mieux aux fortes pressions et demandes répétées de baisses de prix de la part des clients. »

114    Compte tenu de la nature des produits dont il est débattu dans le document en cause, il ne fait aucun doute que la concertation évoquée concernait les secteurs des équipements automobiles et des biens de consommation. Il est constant que les produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques servent principalement à conduire l’électricité. Parmi ces produits, figurent les balais en graphite lesquels comprennent les « balais automobiles » qui sont montés sur des moteurs électriques destinés à équiper les automobiles et les « balais FHP » qui sont montés sur des moteurs électriques de produits électroménagers et d’outillage portatif.

115    En outre, au point 24 de sa réponse à la communication des griefs, SKT a clairement situé la concertation en cause « [d]ans le domaine des balais de carbone et des modules pour le secteur de l’industrie automobile et les fabricants d’appareils ménagers et de machines-outils ».

116    Il convient, deuxièmement, de rappeler que la notion de « pratique concertée » consiste en une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêt ICI/Commission, point 55 supra, point 64). Les critères de coordination et de coopération en cause, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable « plan », doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à, ou que l’on envisage de, tenir soi‑même sur le marché (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 173 et 174 ; arrêt PVC II, point 56 supra, point 720).

117    À l’évidence, l’objet des contacts directs qui ont eu lieu entre les membres de l’entente, tels que rapportés par LCL et SKT, révèle une concertation illicite au sens de la jurisprudence susvisée. En échangeant des informations dans le but de maintenir un certain niveau de prix pour les produits destinés aux équipementiers automobiles et aux producteurs de biens de consommation, les entreprises en cause ont adopté des pratiques collusoires qui ont facilité la coordination de leur comportement commercial, en contradiction manifeste avec l’exigence selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché.

118    Dans l’arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125), la Cour a précisé que, comme cela résulte des termes mêmes de l’article 81, paragraphe 1, CE, la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (point 118). Elle a également jugé qu’il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 121).

119    En l’espèce, à défaut de preuve contraire qu’il lui incombait de rapporter, il y a lieu de considérer que SKT, qui est demeurée active sur le marché en cause tout au long de la période infractionnelle, a tenu compte de la concertation illicite, à laquelle elle a participé, pour déterminer son comportement sur ledit marché (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 118 supra, point 121).

120    Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a considéré que les requérantes avaient enfreint l’article 81 CE en participant à un ensemble d’accords et de pratiques concertées portant, notamment, sur les produits destinés aux équipementiers automobiles et aux producteurs de biens de consommation et qu’il y a lieu, dès lors, de rejeter les allégations des requérantes, fondées sur la prémisse erronée que lesdits produits n’étaient pas concernés par l’entente, quant à la nécessité de ne pas tenir compte des chiffres d’affaires réalisés dans les secteurs en cause.

–       Sur l’inexistence d’un plan global des membres de l’entente visant à modifier durablement la structure de la concurrence sur le marché par le biais de rachats d’entreprises

121    Dans le cadre de ses observations sur la gravité de l’infraction, les requérantes relèvent que, à propos des rachats d’entreprises qui ont eu lieu dans le passé, la Commission constate au considérant 173 de la Décision, à tout le moins dans sa version en langue allemande, que « ces différentes mesures ont permis à l’entente de régler le problème de la quasi‑totalité des ‘outsiders’ présents sur le marché de l’EEE ».

122    Schunk fait valoir que, en affirmant cela, la Commission présume que les entreprises concernées suivaient un plan global qui visait à modifier durablement la structure de la concurrence sur le marché par le biais de rachats d’entreprises et prétend qu’un tel plan n’a jamais existé ou qu’il n’a pu être conçu et mis en œuvre que par SGL et Morgan, à son insu.

123    Pour autant que ces allégations puissent être comprises comme une contestation par les requérantes de l’infraction dont elles ont été déclarées responsables, telle que décrite au considérant 2 de la Décision, force est de constater qu’elles procèdent d’une lecture manifestement erronée de la Décision et doivent être écartées comme étant dépourvues de toute pertinence.

124    Il convient, à cet égard, de relever que le considérant 173 de la Décision constitue une phrase conclusive qui ne se réfère pas uniquement aux rachats d’entreprises concurrentes effectués par certains membres de l’entente.

125    L’expression « ces différentes mesures » renvoie à l’ensemble des agissements anticoncurrentiels décrits au considérant 167 de la Décision et visant à persuader les concurrents de coopérer, à forcer les concurrents à coopérer, à forcer, par une action coordonnée, les concurrents à se retirer du marché ou, tout au moins, à leur indiquer clairement qu’ils n’avaient pas intérêt à contrarier le cartel, le rachat de concurrents venant s’ajouter à ces actions. Le considérant en cause ne comporte donc aucune affirmation ou supposition de la Commission quant à l’existence d’un « plan global des membres de l’entente visant à modifier durablement la structure de la concurrence sur le marché par le biais de rachats d’entreprises ».

126    En outre, il y a lieu d’observer que tant dans la communication des griefs que dans la Décision, la Commission n’impute pas aux requérantes des opérations de rachats d’entreprises concurrentes et que les requérantes ne contestent pas la réalité des agissements anticoncurrentiels imputés aux membres de l’entente et visant les entreprises concurrentes, autres que les mesures de rachats d’entreprises, tels que décrits aux considérants 168 à 171 de la Décision.

–       Sur l’existence d’un mécanisme particulièrement sophistiqué pour le contrôle et la mise en œuvre des accords en cause

127    Il résulte des considérants 2 et 219 de la Décision que la Commission a estimé que les entreprises destinataires de celle-ci ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE et, depuis le 1er janvier 1994, à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, et dans le cadre de laquelle ces entreprises ont, notamment, eu « recours à un mécanisme particulièrement sophistiqué pour le contrôle et la mise en oeuvre de leurs accords ».

128    Les requérantes prétendent qu’un tel mécanisme n’a jamais existé et que la Décision n’en précise pas la teneur.

129    Il convient, toutefois, de relever que la Décision comporte deux considérants relatifs à la « [m]anière d’assurer le respect des règles du cartel ».

130    Le considérant 89 est ainsi libellé :

« L’accord de 1937 qui a fondé l’association européenne des producteurs de balais de carbone prévoyait une procédure d’arbitrage officielle afin de régler les différends entre les membres du cartel en cas d’allégations de non-respect des règles du cartel. Ces procédures formelles, destinées à assurer le respect des règles du cartel, n’étaient plus possibles après l’entrée en vigueur des règles de concurrence de la Communauté. Les membres du cartel ont alors surveillé étroitement les offres de prix que chacun d’eux faisait aux clients et ont insisté, lors des réunions ou à l’occasion d’autres contacts, sur la nécessité de respecter les règles et prix convenus par le cartel. Exemples :

Lors d’une réunion du comité technique le 16 avril 1993 :

‘G [Schunk] demande que :

1. L’offre de prix faite à Burgmann [un client] et inférieure de 25 à 30 % au barème soit retirée par écrit.

2. Aucune autre offre à ce niveau de prix ne soit proposée’.

Réunion locale aux Pays-Bas le 27 octobre 1994 :

‘Morganite − Belgique problèmes avec les collègues. Aucune augmentation de prix appliquée en été’. »

131    S’appuyant sur plusieurs documents, la Commission ajoute, au considérant 90 de la Décision, que « [l]es cas des entreprises pratiquant des prix trop bas étaient examinés lors des réunions du cartel et pouvaient donner lieu à des demandes de compensation ».

132    Dans ses écritures, la Commission soutient que les requérantes contestent pour la première fois devant le Tribunal les faits susmentionnés, lesquels figuraient effectivement au point 62 de la communication des griefs.

133    Il importe de souligner que les réserves et observations critiques formulées par SKT dans sa réponse à la communication des griefs et venant relativiser la portée de la déclaration de principe initiale portant admission de la matérialité des faits et de leur qualification juridique ne concernent pas la question de la surveillance de la mise en œuvre des accords, laquelle ne peut donc plus être discutée par les requérantes, pour la première fois, devant le Tribunal.

134    À supposer que la contestation soulevée par les requérantes puisse, toutefois, être considérée comme recevable, eu égard au fait que c’est dans la Décision que la Commission emploie pour la première fois l’expression de « mécanisme particulièrement sophistiqué », elle doit, en tout état de cause, être rejetée comme non fondée. Il suffit, en effet, de constater que les requérantes n’ont fourni aucun élément permettant de contredire les constats opérés par la Commission aux considérants 89 et 90 de la Décision, s’agissant plus particulièrement de l’existence d’un mécanisme de surveillance de la politique tarifaire des membres de l’entente incluant des dédommagements à la charge des entreprises ayant pratiqué des offres de prix trop basses.

135    Il convient, enfin, de relever que, dans une partie de la requête consacrée à la « contribution de Schunk à l’infraction » et à la prétendue surestimation par la Commission de celle-ci, les requérantes critiquent la position de la Commission exprimée au considérant 178 de la Décision et qualifiant d’« anormal » le fait que, dès la réunion constitutive de l’European Carbon and Graphite Association (ECGA, association européenne du carbone et du graphite), le 1er mars 1995, certains membres ont constaté la nécessité d’un comité des graphites spéciaux, sans toutefois être en mesure, à l’époque, d’indiquer quelles questions légitimes il serait chargé d’examiner.

136    Au-delà du caractère sommaire et hermétique de l’argumentation des requérantes, il apparaît que les déclarations de la Commission susmentionnées s’inscrivent dans le cadre de l’appréciation du rôle dans l’entente des associations professionnelles et plus particulièrement de l’ECGA. Dans ces conditions, l’argumentation en cause des requérantes n’apparaît pas de nature à remettre en cause l’appréciation de la Commission de la responsabilité des requérantes, pas plus, au demeurant, que celle de la gravité de l’infraction.

137    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que la Commission a considéré que les requérantes avaient commis une infraction à l’article 81 CE, telle que décrite au considérant 2 de la Décision, en participant à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques.

 Sur la demande de réduction de l’amende

138    Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement à l’occasion de la fixation du montant de l’amende.

139    Il ressort de la Décision que les amendes ont été imposées en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et que la Commission − quand bien même la Décision ne se réfère pas explicitement aux lignes directrices − a déterminé le montant des amendes en faisant application de la méthode définie dans les lignes directrices.

 Sur la prétendue surestimation par la Commission de la gravité de l’infraction, au regard de sa nature et de ses effets

140    Selon la méthode définie dans les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ pour le calcul du montant des amendes à infliger aux entreprises concernées un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les « infractions peu graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 et 1 million d’euros, les « infractions graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 million et 20 millions d’euros et les « infractions très graves » pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tiret).

141    Dans la Décision, la Commission a relevé les trois éléments suivants :

–        l’infraction en cause avait consisté essentiellement à fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel, de telles pratiques constituant, par leur nature même, le type d’infraction le plus grave aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (considérant 278 de la Décision) ;

–        les accords collusoires avaient été mis en oeuvre et avaient eu un impact sur le marché de l’EEE pour les produits concernés, mais cet impact ne pouvait être mesuré avec précision (considérant 286 de la Décision) ;

–        le cartel couvrait l’ensemble du marché commun et, après sa création, l’ensemble de l’EEE (considérant 287 de la Décision).

142    La conclusion de la Commission, exposée au considérant 288 de la Décision, est ainsi libellée :

« Eu égard à tous ces facteurs, la Commission considère que les entreprises concernées par la présente décision ont commis une infraction très grave. Selon la Commission, la nature de l’infraction et son ampleur géographique sont telles que l’infraction doit être qualifiée de très grave, que son impact sur le marché puisse ou non être mesuré. Il est clair, en tout état de cause, que les arrangements anticoncurrentiels du cartel ont été mis en oeuvre et ont eu un impact sur le marché, même si cet impact ne peut être mesuré avec précision. »

143    Les requérantes affirment que la Commission a surestimé la gravité de l’infraction et développent, à cet égard, divers arguments qui se rattachent, en substance, à l’analyse de la nature propre de l’infraction. Elles critiquent également l’appréciation faite par la Commission des effets de ladite infraction.

–       Sur la nature de l’infraction

144    Il convient de relever, à titre liminaire, que la motivation de la Commission relative à la nature de l’infraction se décompose en deux parties, l’une afférente à la prise en compte de la substance même des activités anticoncurrentielles en cause (considérant 278 de la Décision), l’autre relative à des éléments extrinsèques, mais se rattachant à l’appréciation de la nature de l’infraction (considérant 279 de la Décision).

145    Dans la première partie, la Commission a indiqué que l’infraction en cause avait consisté « essentiellement » à fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel.

146    Il convient de rappeler que les allégations des requérantes quant à l’absence d’accord anticoncurrentiel sur l’interdiction de la publicité, l’inexistence d’un plan global des membres de l’entente visant à modifier durablement la structure de la concurrence sur le marché par le biais de rachats d’entreprises et l’absence de recours à un mécanisme particulièrement sophistiqué pour le contrôle et la mise en oeuvre de leurs accords, figurant dans la partie de leurs écritures consacrées formellement à la contestation de l’appréciation par la Commission de la gravité de l’infraction, ont été écartées pour les motifs indiqués ci‑dessus.

147    Il ressort, en outre, de la formulation du considérant 278 de la Décision que, lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction, la Commission a pondéré différemment les activités anticoncurrentielles des entreprises impliquées dans le cartel et qu’elle n’a pas même fait mention de l’interdiction de la publicité et du recours à un mécanisme particulièrement sophistiqué pour le contrôle et la mise en oeuvre de leurs accords, eu égard au caractère objectivement moins important et simplement complémentaire de ces pratiques.

148    Dans ces circonstances, et à supposer même que les contestations des requérantes relatives à l’interdiction de la publicité et au mécanisme susmentionné puissent être considérées comme fondées, elles ne permettent pas de remettre en cause l’appréciation de la Commission quant à la gravité de l’infraction.

149    Dans le cadre de la seconde partie de la motivation sur l’appréciation de la gravité de l’infraction (considérant 279 de la Décision), la Commission indique ce qui suit :

« Par souci d’exhaustivité, on peut également noter que tous les grands opérateurs de l’EEE, qui contrôlent ensemble plus de 90 % du marché de l’EEE, ont participé aux arrangements constitutifs de l’entente. Ces arrangements étaient dirigés, ou au moins sciemment tolérés, dans les plus hautes sphères des entreprises concernées. Les parties avaient pris beaucoup de précautions pour éviter que l’entente ne soit décelée, ce qui ne laisse planer aucun doute sur le fait qu’elles étaient pleinement conscientes du caractère illégal de leurs agissements. L’entente avait atteint un degré élevé d’institutionnalisation et était largement respectée. Les contacts entre les parties, sous forme de réunions et autres, étaient fréquents et réguliers. L’entente était mise en oeuvre pour le seul profit des entreprises participantes, et au détriment de leurs clients et, en dernière analyse, du grand public. »

150    Au soutien de l’allégation d’une appréciation erronée de la gravité de l’infraction, les requérantes prétendent que la Commission se trompe lorsqu’elle écrit dans la note en bas de page n° 4 de la Décision, que, « [p]our les besoins des accords sur les prix », l’entente distinguait, parmi les produits pour applications électriques, plusieurs grandes catégories et que la thèse de la Commission selon laquelle les accords ont été mis en œuvre grâce à un système organisé de manière contraignante repose, « de ce fait », sur une interprétation erronée des faits.

151    Au-delà de l’absence apparente de lien logique entre les deux propositions susvisées, il suffit de constater que les allégations des requérantes sont totalement étrangères à l’appréciation de la gravité de l’infraction effectuée par la Commission dans la Décision et qu’elles sont donc dépourvues de toute pertinence au regard du reproche de surestimation de ladite gravité.

152    Les requérantes soutiennent également que ni le caractère secret de l’entente ni le préjudice subi par le grand public n’auraient dû être pris en considération dans la Décision (considérant 279) comme des circonstances aggravantes, puisqu’il s’agirait d’éléments inhérents à toute entente, déjà pris en compte par le législateur lors de la détermination du cadre de l’amende. La Commission n’apporterait d’ailleurs aucune preuve à l’appui de sa thèse selon laquelle les membres de l’entente se seraient méthodiquement efforcés de dissimuler leurs actes illégaux.

153    Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et au regard desquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation (arrêts de la Cour Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 44 supra, point 241, et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 43).

154    Dans ce contexte, la Commission pouvait légitimement prendre en considération le fait que les entreprises ont pris beaucoup de précautions pour éviter que l’entente ne soit décelée et le préjudice subi par le grand public pour déterminer la gravité de l’infraction, étant observé que ces deux éléments ne constituent pas, à proprement parler, des « circonstances aggravantes » comme cela est allégué par les requérantes.

155    Contrairement aux affirmations des requérantes, la Commission a fourni une description détaillée des précautions prises pour garantir le secret des réunions et des contacts aux considérants 81 à 87 de la Décision, description étayée par des éléments de preuve documentaires qui ne sont pas contredits par les requérantes.

156    Par ailleurs, ainsi que le souligne la Commission, toutes les infractions au droit de la concurrence ne portent pas préjudice de la même manière à la concurrence et aux consommateurs. Cette prise en compte du préjudice du public se distingue de celle de la capacité économique d’un membre de l’entente de causer un préjudice à la concurrence et aux consommateurs, laquelle intervient dans le cadre d’une étape du calcul du montant de l’amende prévu par les lignes directrices et visant à opérer un traitement différencié dans l’hypothèse notamment où, comme en l’espèce, l’infraction implique plusieurs entreprises.

157    Il convient, enfin, de relever que le libellé du considérant 279 de la Décision révèle que les éléments qui y sont mentionnés l’ont été à titre subsidiaire par rapport à ceux répertoriés dans le considérant 278 de la Décision. Dans ces circonstances, à supposer même que la contestation par les requérantes de la prise en compte du caractère secret de l’entente et du préjudice subi par le public puisse être considérée comme bien fondée, cela n’aurait pas pour conséquence de remettre en cause l’appréciation de la Commission de la nature de l’infraction, telle qu’elle résulte des motifs pertinents et suffisants contenus au considérant 278 de la Décision.

–       Sur les effets de l’infraction

158    Dans le cadre de leur grief tiré d’une surestimation de la gravité de l’infraction, les requérantes affirment que la Commission a commis une double erreur lors de l’appréciation des effets de l’infraction.

159    Elles soutiennent, premièrement, que la Commission a déterminé, de manière erronée, la taille du marché concerné en considérant que l’entente incluait des accords collusoires concernant les équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation, accords dont elles n’auraient jamais reconnu l’existence.

160    Ainsi qu’il a été exposé précédemment, cette argumentation révèle une contestation de l’infraction retenue par la Commission dans la Décision et il a été admis, contrairement aux affirmations des requérantes, que les pratiques anticoncurrentielles du cartel concernaient bien les équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation. Elle est, en outre, dépourvue de toute pertinence en ce qui concerne l’examen du bien-fondé de l’appréciation des effets de l’entente, laquelle, contrairement aux allégations des requérantes, est indépendante du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises avec les produits concernés.

161    Les requérantes font valoir, deuxièmement, que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation de la mise en œuvre des accords et prétendent, tout à la fois, que la Commission n’a apporté aucune preuve d’un impact concret de l’entente contrairement aux exigences de ses propres lignes directrices et a insuffisamment tenu compte du fait que les accords n’ont été que partiellement mis en œuvre.

162    Au considérant 281 de la Décision, la Commission constate l’existence d’effets anticoncurrentiels réels résultant, en l’espèce, de la mise en œuvre des accords collusoires, même s’il n’est pas possible de les quantifier avec précision, constat qui succède à la description de la nature propre de l’infraction et précède la détermination de l’étendue géographique de celle-ci. La teneur du considérant 288 de la Décision, et, plus particulièrement, l’emploi de l’expression « [e]u égard à tous ces facteurs », permet de conclure que la Commission a bien pris en considération l’impact concret de l’entente sur le marché pour qualifier l’infraction de « très grave », même si elle a ajouté que cette qualification est justifiée indépendamment du fait que l’impact peut ou non être mesuré.

163    Il résulte, ainsi, des considérants 244 à 248 et 280 à 286 de la Décision que la Commission a clairement déduit de la mise en œuvre de l’entente l’existence d’un impact concret de celle-ci sur le secteur en cause.

164    La Commission indique, à cet égard, que « [t]ous les membres du cartel ont appliqué les hausses de prix générales (exprimées en pourcentage) convenues, en diffusant de nouvelles listes de prix […] les sociétés de transports publics ont attribué les marchés à la société dont l’offre avait été manipulée de manière à être légèrement inférieure à celles d’autres parties à l’entente, les clients privés n’ont eu d’autre choix que de s’approvisionner auprès d’un fournisseur prédésigné à un prix prédéterminé, sans que la concurrence puisse jouer, et les tailleurs se sont trouvés dans l’impossibilité d’acheter des blocs, ou seulement à des prix artificiellement élevés, ce qui fait qu’il leur était impossible de livrer efficacement concurrence sur le marché des produits finis ». Eu égard à la longueur de la période infractionnelle et au fait que les entreprises en question contrôlaient ensemble plus de 90 % du marché de l’EEE, il ne fait aucun doute, selon la Commission, que l’entente a eu des effets anticoncurrentiels réels sur ce marché (considérants 245 et 281 de la Décision).

165    Il y a lieu de rappeler que, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir, en ce sens, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 116 supra, points 619 et 620 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr‑Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 235 ; du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 645, et arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 84 supra, point 150).

166    S’agissant d’une entente sur les prix, il est légitime pour la Commission de déduire que l’infraction a eu des effets, du fait que les membres de l’entente ont pris des mesures pour appliquer les prix convenus, par exemple, en les annonçant aux clients, en donnant à leurs employés l’instruction de les utiliser comme base de négociation et en surveillant leur application par leurs concurrents et leurs propres services de vente. En effet, pour conclure à un impact sur le marché, il suffit que les prix convenus aient servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels, limitant ainsi la marge de négociation des clients (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, points 340 et 341, et PVC II, point 56 supra, points 743 à 745, et du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 285).

167    En revanche, il ne saurait être exigé de la Commission, lorsque la mise en œuvre d’une entente est établie, de démontrer systématiquement que les accords ont effectivement permis aux entreprises concernées d’atteindre un niveau de prix de transaction supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence d’entente. À cet égard, la thèse selon laquelle seul le fait que le niveau des prix de transaction aurait été différent en l’absence de collusion peut être pris en considération afin de déterminer la gravité de l’infraction ne saurait être retenue (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 53 et 62). Par ailleurs, il serait disproportionné d’exiger une telle démonstration qui absorberait des ressources considérables, étant donné qu’elle nécessiterait le recours à des calculs hypothétiques, basés sur des modèles économiques dont l’exactitude n’est que difficilement vérifiable par le juge et dont le caractère infaillible n’est nullement prouvé (conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855, I‑9858, point 109).

168    En effet, pour apprécier la gravité de l’infraction, il est décisif de savoir que les membres de l’entente avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour donner un effet concret à leurs intentions. Ce qui s’est passé ensuite, au niveau des prix de marché effectivement réalisés, était susceptible d’être influencé par d’autres facteurs, hors du contrôle des membres de l’entente. Les membres de l’entente ne sauraient porter à leur propre crédit, en en faisant des éléments justifiant une réduction de l’amende, des facteurs externes qui ont contrecarré leurs efforts (conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt Mo och Domsjö/Commission, point 167 supra, points 102 à 107).

169    Partant, la Commission pouvait légitimement se fonder sur la mise en œuvre de l’entente pour conclure à l’existence d’un impact sur le marché, après avoir relevé, de manière pertinente que l’entente avait duré plus de onze ans et que les membres de ladite entente contrôlaient plus de 90 % du marché de l’EEE.

170    S’agissant du bien-fondé des constatations dont la Commission a tiré cette conclusion en l’espèce, il y a lieu de relever que les requérantes ne prouvent ni même ne prétendent qu’il n’y a pas eu mise en œuvre de l’entente. Il résulte des écritures des requérantes que ces dernières se contentent d’invoquer le fait que l’entente n’a été que partiellement mise en oeuvre, affirmation qui, à la supposer exacte, n’est pas de nature à démontrer que la Commission a, de manière erronée, évalué la gravité de l’infraction en prenant en compte le fait que les pratiques illicites en cause ont eu un effet anticoncurrentiel réel sur le marché EEE des produits concernés (arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 148).

171    Il convient, enfin, de relever que à supposer même que l’impact concret de l’entente n’ait pas été établi à suffisance de droit par la Commission, la qualification de la présente infraction de « très grave » n’en demeurerait pas moins appropriée. En effet, les trois aspects de l’évaluation de la gravité de l’infraction n’ont pas le même poids dans le cadre de l’examen global. La nature de l’infraction joue un rôle primordial, notamment, pour caractériser les infractions « très graves ». À cet égard, il résulte de la description des infractions très graves par les lignes directrices que des accords ou des pratiques concertées visant notamment, comme en l’espèce, à la fixation des prix peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions graves mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière (arrêts du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 178, et Groupe Danone/Commission, point 170 supra, point 150).

172    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le grief tiré d’une surestimation de la gravité de l’infraction, au regard de sa nature et de ses effets, doit être rejeté.

 Sur la répartition des entreprises en catégories

173    Les requérantes font valoir que la Commission a, en contradiction avec ses lignes directrices, déterminé le montant de départ des amendes indépendamment du chiffre d’affaires global des entreprises, ce qui a abouti à une violation du principe d’égalité de traitement. Ainsi, Schunk et SGL auraient été classées dans la même catégorie alors que la taille de SGL représenterait presque le double de celle de Schunk. Dans la Décision, la Commission aurait procédé de manière « forfaitaire » et aurait méconnu certains facteurs, tels que la structure des requérantes sous l’angle du droit des sociétés et leur accès plus difficile aux marchés financiers qui auraient permis une appréciation de la capacité individuelle des entreprises à nuire à la concurrence.

174    Il convient de relever, premièrement, que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en question, d’effectuer son calcul de l’amende à partir de montants fondés sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées et plus particulièrement le chiffre d’affaires global (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 44 supra, point 255).

175    Sous réserve du respect de la limite supérieure que prévoit l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et qui se réfère au chiffre d’affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 43 supra, point 119), il est loisible pour la Commission de tenir compte du chiffre d’affaires de l’entreprise en cause afin d’apprécier la gravité de l’infraction lors de la détermination du montant de l’amende, mais il ne faut pas attribuer une importance disproportionnée à ce chiffre par rapport à d’autres éléments d’appréciation (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 44 supra, point 257).

176    En l’espèce, la Commission a fait application de la méthode de calcul définie dans les lignes directrices et qui prévoit la prise en compte d’un grand nombre d’éléments lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction pour fixer le montant de l’amende, parmi lesquels figurent notamment la nature propre de l’infraction, l’impact concret de celle-ci, l’étendue géographique du marché affecté et la nécessaire portée dissuasive de l’amende. Bien que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires pertinent, elles ne s’opposent pas à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin de respecter les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 44 supra, points 258 et 260).

177    Eu égard à la grande disparité de taille entre les entreprises concernées et afin de tenir compte du poids spécifique de chacune d’entre elles et, donc, de l’incidence réelle de leur comportement infractionnel sur la concurrence, la Commission a, dans la Décision et conformément au point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, procédé à un traitement différencié des entreprises ayant participé à l’infraction. À cette fin, elle a réparti les entreprises concernées en trois catégories, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires réalisé par chaque entreprise pour les produits concernés par la présente procédure à l’échelle de l’EEE, en y incluant la valeur de la consommation captive de chaque entreprise. Il en résulte un chiffre de part de marché qui représente le poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction et sa capacité économique effective à causer un dommage important à la concurrence (considérants 289 à 291 de la Décision).

178    La comparaison a été fondée sur les données relatives au chiffre d’affaires (exprimé en millions d’euros) imputable aux produits en question portant sur la dernière année de l’infraction, à savoir 1998, telles qu’elles ressortaient du tableau 1 figurant au considérant 37 de la Décision et intitulé « Estimation du chiffre d’affaires (y compris la valeur correspondant à l’usage captif) et des parts de marché dans l’EEE, en 1998, pour le groupe de produits faisant l’objet de la procédure » :

Fournisseurs

Chiffre d’affaires (y compris la valeur de l’usage captif)

Part de marché dans l’EEE

(en %)

Conradty

9

3

Hoffmann

17

6

[LCL]

84

29

Morgan

68

23

Schunk

52

18

SGL

41

14

Divers

20

7

Total

291

100


179    En conséquence, LCL et Morgan, considérés comme étant les deux plus grands opérateurs avec des parts de marché supérieures à 20 %, ont été classés dans la première catégorie. Schunk et SGL, qui sont des opérateurs moyens avec des parts de marché comprises entre 10 et 20 %, ont été placées dans la deuxième catégorie. Hoffmann et Conradty, considérées comme étant de petits opérateurs en raison de parts de marché inférieures à 10 %, ont été regroupées dans la troisième catégorie (considérants 37 et 297 de la Décision).

180    Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, de 35 millions d’euros pour LCL et Morgan, de 21 millions d’euros pour Schunk et SGL, et de 6 millions d’euros pour Hoffmann et Conradty (considérant 298 de la Décision).

181    Il convient de relever, deuxièmement, que le cartel couvrait l’ensemble du marché commun et, après sa création, l’ensemble de l’EEE et que le chiffre d’affaires des produits en cause constitue une base appropriée pour évaluer, ainsi que l’a fait la Commission dans la Décision, les atteintes à la concurrence sur le marché du produit concerné au sein de l’EEE ainsi que l’importance relative des participants à l’entente sur le marché affecté. Il résulte d’une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 43 supra, point 121, et arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 165 supra, point 369), que la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné. En particulier, ainsi que l’a souligné le Tribunal, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T‑151/94, Rec. p. II‑629, point 643).

182    Il y a lieu de souligner, troisièmement, que la méthode consistant à répartir les membres d’une entente en catégories aux fins de réaliser un traitement différencié au stade de la fixation des montants de départ des amendes, dont le principe a été validé par la jurisprudence du Tribunal bien qu’elle revienne à ignorer les différences de taille entre entreprises d’une même catégorie (arrêts du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 385, et Tokai I, point 84 supra, point 217), entraîne une forfaitisation du montant de départ fixé aux entreprises appartenant à une même catégorie.

183    Il n’en demeure pas moins que la répartition en catégories à laquelle la Commission a procédé dans la Décision doit respecter le principe d’égalité de traitement selon lequel il est interdit de traiter des situations comparables de manière différente et des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Par ailleurs, selon la jurisprudence, le montant des amendes doit, au moins, être proportionné par rapport aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction (voir arrêt Tokai I, point 84 supra, point 219, et la jurisprudence citée).

184    Pour vérifier si une répartition des membres d’une entente en catégories est conforme aux principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, le Tribunal, dans le cadre de son contrôle de la légalité de l’exercice du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose en la matière, doit toutefois se limiter à contrôler que cette répartition est cohérente et objectivement justifiée (arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 182 supra, points 406 et 416, et arrêt Tokai I, point 84 supra, points 220 et 222).

185    Il y a lieu d’observer, quatrièmement, que les requérantes se bornent à critiquer la régularité de la composition de la deuxième catégorie en alléguant un traitement discriminatoire par rapport à SGL. Les requérantes ont été classées dans cette catégorie à l’instar de SGL avec, respectivement, des parts de marchés de 18 et 14 % représentant des chiffres d’affaires sur le marché concerné de 52 et 41 millions d’euros, ce qui les situait clairement dans la tranche comprise entre 10 et 20 % des parts de marché.

186    Il importe de souligner que la différence de taille entre Schunk et SGL (4 points de pourcentage), appartenant à une même catégorie, est moins importante que celle entre, d’une part, Schunk et Morgan, l’opérateur le moins important de la première catégorie, et, d’autre part, Schunk et Hoffman, le plus important opérateur de la troisième catégorie. L’écart limité entre Schunk et SGL, compte tenu de la part de marché non particulièrement élevée de SGL, a ainsi permis à la Commission, en toute cohérence et en toute objectivité et donc sans violer les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, de traiter Schunk à l’instar de SGL comme un opérateur moyen et, partant, de fixer un même montant de départ de 21 millions d’euros, inférieur à celui retenu à l’égard de LCL et de Morgan, qui détenaient une position importante sur le marché en cause (29 et 23 %), et supérieur à celui imposé à Hoffman et à Conradty qui avaient une position très marginale sur ledit marché (6 et 3 %).

187    Il apparaît ainsi que les requérantes ne peuvent valablement conclure à un traitement discriminatoire ou disproportionné, étant donné que le point de départ de l’amende retenu est justifié à la lumière du critère retenu par la Commission pour l’appréciation de l’importance de chacune des entreprises sur le marché pertinent (voir, en ce sens, arrêt LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 304), étant, en outre, observé que le montant de 21 millions d’euros retenu correspond presque au seuil minimal prévu par les lignes directrices pour les infractions « très graves ».

188    Dans ces circonstances, les allégations portant sur le fait que SKT, société non cotée en bourse et détentrice, au niveau mondial, d’une part de marché clairement inférieure à 10 %, disposerait d’une puissance économique bien moins importante que des entreprises cotées en bourse comme Morgan, LCL ou SGL, sociétés mères de groupes mondiaux disposant d’un accès facilité aux marchés financiers, doivent être rejetées comme dépourvues de pertinence.

189    Au demeurant, à supposer même établie l’existence d’un lien obligatoire entre la nature particulière d’une entreprise et un accès facilité aux marchés financiers, cet élément n’apparaît pas pertinent en l’espèce pour déterminer in concreto l’ampleur de l’infraction commise par chacune des entreprises impliquées dans l’entente et l’importance réelle de celles-ci sur le marché affecté.

 Sur l’effet dissuasif

190    Les requérantes prétendent, premièrement, que la Commission a apprécié la nécessité de la dissuasion à l’égard des entreprises concernées d’une manière indifférenciée et uniforme, indépendamment de leurs chiffres d’affaires, contrairement aux exigences de la jurisprudence et des lignes directrices.

191    Il y a lieu de rappeler que les sanctions prévues à l’article 15 du règlement n° 17 ont pour but de réprimer des comportements illicites aussi bien que d’en prévenir le renouvellement (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 173 ; arrêt PVC II, point 56 supra, point 1166).

192    La dissuasion constituant ainsi une finalité de l’amende, l’exigence de l’assurer constitue une exigence générale devant guider la Commission tout au long du calcul de l’amende et n’appelle pas nécessairement que ce calcul soit caractérisé par une étape spécifique destinée à une évaluation globale de toutes circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de cette finalité (arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 226).

193    Aux fins de la prise en compte de l’objectif de dissuasion, la Commission n’a pas défini dans les lignes directrices de méthodologie ou de critères individualisés dont l’exposition spécifique serait susceptible d’avoir force obligatoire. Le point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices, dans le contexte des indications concernant l’évaluation de la gravité d’une infraction, mentionne seulement la nécessité de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

194    En l’espèce, la Commission a expressément souligné la nécessité de fixer les amendes à un niveau dissuasif dans le cadre de l’exposé de l’approche générale suivie pour la fixation des amendes, qu’elle a appliqué aux participants à l’entente un traitement différencié en fonction de leur part de marché déterminée à partir des chiffres d’affaires pertinents et fixé le montant de départ de l’amende de Schunk à 21 millions d’euros (considérants 271 et 289 de la Décision).

195    Il résulte clairement de la Décision que, pour fixer le montant de départ de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission a, d’une part, qualifié l’infraction en tant que telle en tenant compte d’éléments objectifs, à savoir la nature même de l’infraction, son impact sur le marché et l’étendue géographique de ce marché et, d’autre part, pris en compte des éléments subjectifs, à savoir le poids spécifique de chacune des entreprises impliquées dans l’entente et, partant, l’incidence réelle de leur comportement illicite sur la concurrence. C’est dans le cadre de cette seconde partie de son analyse qu’elle a, notamment, poursuivi l’objectif d’assurer un niveau dissuasif de l’amende.

196    Or, il convient de rappeler que, dans le cadre de cette analyse, la Commission a réparti les entreprises concernées en trois catégories, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires réalisé par chaque entreprise pour les produits concernés par la présente procédure à l’échelle de l’EEE, en y incluant la valeur de la consommation captive de chaque entreprise. Il en résulte un chiffre de part de marché qui représente le poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction et sa capacité économique effective à causer un dommage important à la concurrence (considérants 289 à 291 de la Décision).

197    Il apparaît ainsi que, contrairement aux allégations des requérantes, la Commission n’a pas apprécié la nécessité de la dissuasion à l’égard des entreprises concernées d’une manière indifférenciée et uniforme, mais a, au contraire, tenu compte de l’importance de celles-ci sur le marché affecté à partir de leurs chiffres d’affaires pertinents.

198    Les requérantes font valoir, deuxièmement, que, dans la Décision, la Commission exige des entreprises concernées qu’elles mettent fin à l’infraction, alors que ces dernières avaient déjà mis fin à l’infraction en décembre 1999, plus de quatre ans auparavant, ce qui démontre que la Commission a fondé son appréciation de la dissuasion nécessaire sur une circonstance erronée.

199    Ce grief doit être écarté comme fondé sur une prémisse erronée. Il résulte, en effet, d’une simple lecture du considérant 268 et de l’article 3 de la Décision que l’injonction adressée aux entreprises destinataires de la Décision de mettre immédiatement fin, dans la mesure où cela n’était pas déjà fait, à l’infraction constatée ne présente aucun lien avec l’appréciation par la Commission de la dissuasion.

200    Les requérantes soutiennent, troisièmement, être victimes d’une discrimination par rapport à SGL, en ce que la Commission a apprécié la dissuasion nécessaire sans tenir compte du fait que SGL, en tant qu’entreprise cotée en bourse, disposait d’un accès plus facile aux marchés financiers.

201    Il convient de rappeler que, ainsi que cela a été démontré aux points 184 à 187 ci‑dessus, le classement de Schunk et de SGL dans la même catégorie, sur la base de leurs chiffres d’affaires provenant de la vente des produits concernés, ne révèle aucune discrimination au détriment de Schunk.

202    À supposer qu’il y ait lieu de considérer qu’une entreprise cotée en bourse puisse plus facilement mobiliser les fonds nécessaires au paiement de son amende, une telle situation pourrait, le cas échéant, justifier l’imposition d’une amende proportionnellement plus élevée, en vue de lui assurer un effet dissuasif suffisant, que celle infligée à une entreprise ayant commis une infraction identique mais ne disposant pas de telles ressources.

203    Dans ces circonstances, l’éventuelle violation du principe de non-discrimination commise par la Commission ne pourrait aboutir qu’à une majoration du montant de l’amende imposée à SGL et non à une réduction de l’amende infligée à Schunk, ainsi que cette dernière en fait la demande dans ses écritures. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt de la Cour du 4 juillet 1985, Williams/Cour des comptes, 134/84, Rec. p. 2225, point 14 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 160, et LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 367).

204    Les requérantes affirment, quatrièmement, que le caractère disproportionné de l’amende infligée par la Commission apparaîtrait au regard des sanctions infligées, dans le cadre de la « même affaire », par les autorités antitrust des États-Unis dont le marché serait plus ou moins identique en taille à celui de l’Europe.

205    À cet égard, il y a lieu de constater que l’exercice des pouvoirs par les autorités des États tiers chargées de la protection de la libre concurrence, dans le cadre de leur compétence territoriale, obéit à des exigences qui sont propres auxdits États. En effet, les éléments qui sous-tendent les ordres juridiques d’autres États dans le domaine de la concurrence non seulement comportent des finalités et des objectifs spécifiques, mais aboutissent également à l’adoption de règles matérielles particulières ainsi qu’à des conséquences juridiques très variées dans le domaine administratif, pénal ou civil, lorsque les autorités desdits États ont établi l’existence d’infractions aux règles applicables en matière de concurrence (arrêt de la Cour du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 29).

206    En revanche, tout autre est la situation juridique dans laquelle une entreprise se trouve exclusivement visée, en matière de concurrence, par l’application du droit communautaire et du droit d’un ou de plusieurs États membres, c’est-à-dire dans laquelle une entente se cantonne exclusivement au sein du champ d’application territorial de l’ordre juridique de la Communauté européenne (arrêt du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, point 205 supra, point 30).

207    Il en découle que, lorsque la Commission sanctionne le comportement illicite d’une entreprise, même ayant son origine dans une entente à caractère international, elle vise à sauvegarder la libre concurrence à l’intérieur du marché commun qui constitue, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, un objectif fondamental de la Communauté. En effet, par la spécificité du bien juridique protégé au niveau communautaire, les appréciations opérées par la Commission, en vertu de ses compétences en la matière, peuvent diverger considérablement de celles effectuées par des autorités d’États tiers (arrêt du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, point 205 supra, point 31).

208    S’agissant d’une prétendue méconnaissance des principes de proportionnalité et/ou d’équité, invoquée par les requérantes, il importe d’observer que toute considération tirée de l’existence d’amendes infligées par les autorités d’un État tiers ne saurait entrer en ligne de compte que dans le cadre du pouvoir d’appréciation dont jouit la Commission en matière de fixation d’amendes pour les infractions au droit communautaire de la concurrence. Par conséquent, s’il ne saurait être exclu que la Commission prenne en compte des amendes antérieurement infligées par les autorités d’États tiers, elle ne saurait toutefois y être tenue (arrêt du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, point 205 supra, point 36).

209    En effet, l’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre, lors de la fixation du montant d’une amende, vise à assurer le respect, par les entreprises, des règles de concurrence établies par le traité CE pour la conduite de leurs activités au sein du marché commun (voir, en ce sens, arrêt ACF Chemiefarma/Commission, point 191 supra, points 173 à 176). Par conséquent, en appréciant le caractère dissuasif d’une amende à infliger en raison d’une violation desdites règles, la Commission n’est pas tenue de prendre en compte d’éventuelles sanctions infligées à l’encontre d’une entreprise en raison de violations des règles de concurrence d’États tiers (arrêt du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, point 205 supra, point 37).

210    En l’espèce, il suffit de rappeler que l’entente ayant fait l’objet de la Décision se cantonnait exclusivement au sein du champ d’application territorial de l’ordre juridique de la Communauté européenne et que, dans le cadre de son appréciation du caractère dissuasif des amendes, la Commission n’était donc pas tenue de prendre en considération, d’une manière ou d’une autre, les sanctions infligées par les autorités américaines à l’encontre d’entreprises ayant violé les règles nationales de concurrence. Eu égard aux spécificités du contrôle et de la répression des infractions au droit de la concurrence aux États-Unis, liées à l’importance des actions en dommages et intérêts et des procédures pénales, les requérantes ne sauraient utilement invoquer le montant des amendes imposées dans le cadre de la procédure diligentée dans cet État tiers pour prétendre établir le caractère disproportionné de l’amende qui leur a été infligée dans la Décision.

 Sur la coopération de Schunk

211    Il convient de rappeler que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes et elle peut, à cet égard, tenir compte de multiples éléments, au nombre desquels figure la coopération des entreprises concernées lors de l’enquête conduite par les services de cette institution. Dans ce cadre, la Commission est appelée à effectuer des appréciations factuelles complexes, telles que celles qui portent sur la coopération respective desdites entreprises (arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, point 153 supra, point 81).

212    La Commission jouit, à cet égard, d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises (arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, point 153 supra, point 88).

213    Dans la communication sur la coopération, la Commission a précisé les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter (voir point A, paragraphe 3, de la communication sur la coopération).

214    Le point D de la communication sur la coopération prévoit :

« 1. Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.

2. Tel peut notamment être le cas si :

–        avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

–        après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »

215    En l’espèce, Schunk a bénéficié d’une réduction de 30 % du montant de son amende en vertu du point D de la communication sur la coopération.

216    Pour justifier son appréciation, la Commission fait valoir ce qui suit au considérant 328 de la Décision :

« À l’instar de [LCL], Schunk a demandé à bénéficier de mesures de clémence après avoir reçu la lettre que la Commission lui a adressée en vertu de l’article 11 [du règlement n° 17], mais elle a soumis ses éléments de preuve un mois plus tard que [LCL]. Dans sa déclaration, Schunk a admis l’existence de l’entente et sa participation à celle-ci, mais elle n’a pas soumis de rapports datant de l’époque sur les réunions du cartel. Le plus utile des éléments de preuve soumis est une liste des réunions du cartel dont Schunk admet qu’elles ont eu lieu. Cette liste comprend certaines réunions dont la Commission n’avait pas connaissance. Schunk a également soumis un lot de documents de voyage concernant plusieurs réunions. La plupart concernaient des réunions dont la Commission avait déjà connaissance et pour lesquelles elle avait demandé que tous les documents disponibles lui soient communiqués dans sa lettre en vertu de l’article 11. Au cours de l’enquête, Schunk a aussi répondu à plusieurs questions qui lui ont été posées par la Commission dans le cadre de sa coopération à l’enquête, afin de compléter les informations qu’elle avait déjà fournies spontanément. Toutefois, la Commission note que, contrairement à [LCL], Schunk n’a pas pris l’initiative de fournir des informations complémentaires sur l’entente à la Commission. Dans l’ensemble, la Commission considère que les preuves fournies spontanément par Schunk remplissent le critère consistant à contribuer à confirmer l’existence de l’infraction. »

217    La Commission a également relevé que, après avoir reçu la communication des griefs, Schunk l’a informée qu’elle ne contestait pas la matérialité des faits sur lesquels elle a fondé ses accusations (considérant 329 de la Décision).

218    Il importe de souligner qu’il n’existe aucune contestation du fait que Schunk remplissait, lors de l’adoption de la Décision, les conditions prévues au point D, paragraphe 2, premier et second tirets, de la communication sur la coopération. Le litige porte uniquement sur l’importance de la réduction accordée, laquelle est de 30 contre 40 % en faveur de LCL, étant observé que les deux entreprises ont bénéficié d’une même réduction de 10 % en raison de l’absence de contestation de la matérialité des faits. Schunk soutient, en substance, que la motivation de cette différence figurant dans la Décision est erronée et qu’il s’agit d’un traitement discriminatoire.

219    S’agissant de l’affirmation de Schunk selon laquelle elle a été plus réactive que LCL, il convient de relever que, après avoir reçu une demande de renseignements, contenue dans une lettre de la Commission du 2 août 2002 rédigée en anglais, Schunk a demandé, le 8 août 2002, une version de celle-ci en langue allemande, qu’elle a obtenue le 4 octobre 2002. Cette situation explique, selon Schunk, qu’elle n’a pu fournir une réponse à la demande de renseignements que le 25 octobre 2002, soit seulement trois semaines après réception de ladite demande traduite en allemand, alors que LCL aurait répondu plus de sept semaines après réception de la demande de renseignements qui lui avait été adressée.

220    Force est, toutefois, de constater que SKT a écrit à la Commission dès le 2 septembre 2002 pour l’informer de son intention de collaborer avec elle dans le cadre de la procédure administrative et de vérifier si, outre les réponses à la demande de renseignements, elle était en mesure de lui communiquer d’autres informations utiles, compte tenu des éléments de preuve déjà en possession de l’institution.

221    Le 30 septembre 2002, SKT a, par l’intermédiaire de son avocat, présenté des commentaires détaillés et critiques sur la teneur de la demande de renseignements, en procédant, notamment, à une analyse exégétique de celle-ci afin de démontrer que les questions posées sortaient du cadre défini par la jurisprudence et que les réponses à ces questions ainsi que la production des pièces correspondantes dépassaient, d’un point de vue juridique, la coopération exigée de l’entreprise. SKT indiquait, cependant, qu’elle allait répondre à ces questions sur une base volontaire et que les informations dépassant la coopération exigée figureraient en caractères gras dans sa réponse.

222    Ces deux écrits de SKT attestent d’une parfaite compréhension de la demande de renseignements avant sa traduction en langue allemande et, dans ces circonstances, les requérantes ne peuvent sérieusement prétendre avoir été en mesure de fournir leur contribution seulement à compter de la réception de ladite traduction.

223    À ce constat, s’ajoute le fait que LCL a aussi reçu la demande de renseignements rédigée en anglais, et non en français, et a fourni des informations sur les accords et les pratiques concertées en cause dès le 22 août 2002, puis les 24 et 30 septembre 2002. Dans ces circonstances, c’est à juste titre que la Commission a considéré que SKT a fourni ses éléments de preuve, à tout le moins, un mois plus tard que LCL.

224    À supposer même que cette dernière conclusion puisse être considérée comme erronée au regard d’une prise en compte de la seule réception de la traduction en allemand de la demande de renseignements, les autres motifs figurant dans le considérant 328 de la Décision justifient la différence de traitement contestée.

225    Ainsi qu’il résulte du considérant 328 de la Décision, la Commission a essentiellement fondé son appréciation du montant de la réduction accordée sur la valeur de la contribution fournie par SKT. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, selon la jurisprudence, la réduction des amendes en cas de coopération des entreprises participant à des infractions au droit communautaire de la concurrence trouve son fondement dans la considération selon laquelle une telle coopération facilite la tâche de la Commission visant à constater l’existence d’une infraction et, le cas échéant, à y mettre fin (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 44 supra, point 399 ; arrêts du Tribunal BPB de Eendracht/Commission, point 42 supra, point 325 ; du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 363, et Mayr-Melnhof/Commission, point 165 supra, point 330).

226    La Commission a, d’une part, estimé, en substance, que les éléments de preuve fournis par SKT n’avaient qu’une faible valeur ajoutée compte tenu des éléments de preuve déjà en sa possession.

227    Elle fait observer, sans être contredite par Schunk, qu’elle a reçu de SKT une liste des réunions du cartel dont elle avait déjà connaissance pour la plupart et correspondant pour certaines aux réunions officielles de l’association professionnelle européenne du secteur, en l’occurrence l’ECGA.

228    Contrairement aux affirmations de Schunk, la Commission n’indique pas au considérant 328 de la Décision que SKT n’a pas communiqué de documents remontant à l’époque des faits incriminés. Il est d’ailleurs constant que SKT a transmis, avec sa réponse à la demande de renseignements, des correspondances adressées aux représentants de l’ECGA et un grand nombre de documents attestant de déplacements et de séjours hôteliers en lien avec les réunions du cartel mentionnées dans la liste. Ces documents ne constituent cependant pas des « rapports » ou des compte rendus sur la teneur des réunions contemporains de celles-ci.

229    Ainsi que le souligne à juste titre la Commission dans ses écritures, la liste des réunions et les documents sur les déplacements correspondants n’avaient de sens qu’en rapport avec les informations fournies par d’autres entreprises sur la teneur des réunions concernées. La Commission a, d’autre part, indiqué, sans être contredite par Schunk, que si SKT a répondu à plusieurs questions qui lui ont été posées dans le cadre de sa coopération à l’enquête, afin de compléter les informations déjà fournies spontanément, ladite entreprise n’a pas pris, contrairement à LCL, l’initiative de fournir des informations complémentaires sur l’entente.

230    Schunk prétend encore que, au considérant 328 de la Décision, la Commission souligne le fait que sa coopération a eu lieu à une époque postérieure à la réception de la demande de renseignements, et ce en contradiction avec la jurisprudence selon laquelle cette circonstance ne constitue pas une raison de considérer la coopération comme étant de moindre valeur.

231    La première phrase du considérant 328 de la Décision est ainsi libellée :

« À l’instar de [LCL], Schunk a demandé à bénéficier de mesures de clémence après avoir reçu la lettre que la Commission lui a adressée en vertu de l’article 11, mais elle a soumis ses éléments de preuve un mois plus tard que [LCL]. »

232    Eu égard à cette formulation, l’interprétation donnée par la Commission, dans le mémoire en défense, selon laquelle cette phrase signifierait qu’elle n’aurait tenu compte que des informations allant au-delà de l’obligation de fournir des renseignements en vertu de l’article 11 du règlement n° 17 apparaît très extensive et ne peut être retenue. Il résulte du libellé du considérant susmentionné que la Commission a pris en compte le moment auquel est intervenue la revendication du bénéfice de la communication sur la coopération pour apprécier l’importance de la réduction pouvant être octroyée au titre de la contribution fournie par SKT.

233    Schunk fait référence à l’arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Daesang et Sewon Europe/Commission (T‑230/00, Rec. p. II‑2733, point 139), pour prétendre qu’une telle prise en compte est contraire à la jurisprudence. Il ressort, toutefois, du point 139 de cet arrêt, expressément visé par Schunk, que ce dernier est dépourvu de toute pertinence dans le cas présent. Dans cet arrêt, le Tribunal a considéré que le fait de « refuser » aux requérantes le bénéfice de la réduction prévue au point C de la communication sur la coopération, et non le point D comme en l’espèce, au motif qu’une demande de renseignements leur avait été adressée, contrevenait aux conditions posées par cette disposition.

234    Il résulte, en réalité, de la jurisprudence, que, ainsi qu’il a été exposé, la Commission jouit d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise (arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, point 153 supra, point 88), et, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, elle peut tenir compte du fait que cette entreprise ne lui a communiqué des documents qu’après la réception d’une demande de renseignements (arrêt LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 365, confirmé sur pourvoi par arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 44 supra, point 408), sans, toutefois, pouvoir le considérer comme déterminant pour minimiser la coopération fournie par une entreprise en vertu du point D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération (arrêt Tokai I, point 84 supra, point 410). Le considérant 328 de la Décision ne méconnaît pas cette jurisprudence.

235    Il ressort, en tout état de cause, de la lecture des considérants 324 et 328 de la Décision que la Commission a pris en compte tant à l’égard de Schunk que de LCL le fait que ces deux entreprises ont demandé à bénéficier des dispositions de la communication sur la coopération après réception de la demande de renseignements et qu’elles ont donc fait l’objet, à cet égard, d’un traitement identique.

236    Il y a lieu, enfin, de relever que Schunk met en exergue dans ses écritures certaines observations de la Commission, dans la Décision, sur l’utilité relative des informations fournies par LCL. Pour autant que Schunk invoque une réduction illégale de l’amende obtenue par LCL et à supposer même que la Commission ait indûment accordé une réduction à cette entreprise par une application incorrecte de la communication sur la coopération, il y a lieu de rappeler que le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt Williams/Cour des comptes, point 203 supra, point 14 ; arrêts du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 203 supra, point 160, et LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 367).

237    Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré d’une appréciation erronée par la Commission de la coopération des requérantes et d’un traitement discriminatoire par rapport à SGL doit être rejeté.

 Sur la demande reconventionnelle de la Commission

238    La Commission demande au Tribunal de faire usage de la compétence de pleine juridiction que lui confèrent l’article 229 CE et l’article 17 du règlement n° 17 et de majorer le montant de l’amende infligée aux requérantes, lesquelles ont contesté pour la première fois devant le Tribunal des faits exposés dans la communication des griefs. Schunk conteste la possibilité même pour la Commission de présenter une demande d’augmentation du montant de l’amende et, en tout état de cause, le bien-fondé de celle-ci.

 Sur la recevabilité

239    Le Tribunal est, en l’espèce, saisi d’un recours, introduit par Schunk sur le fondement des articles 230 CE et 231 CE, visant, à titre principal, à l’annulation de la Décision et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée.

240    Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 229 CE, les règlements arrêtés notamment par le Conseil, en vertu des dispositions du traité, peuvent attribuer à la Cour une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements.

241    Une telle compétence a été conférée au juge communautaire par l’article 17 du règlement nº 17 lequel prévoit que « [l]a Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l’article [229 CE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte ».

242    Le Tribunal dispose du pouvoir d’apprécier, dans le cadre de la compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue par l’article 229 CE et l’article 17 du règlement nº 17, le caractère approprié du montant des amendes (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C‑248/98 P, Rec. p. I‑9641, point 40 ; Cascades/Commission, point 167 supra, point 41, et Weig/Commission, C‑280/98 P, Rec. p. I‑9757, point 41). En effet, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, les pouvoirs du juge communautaire ne se limitent pas, comme il est prévu à l’article 231 CE, à l’annulation de la décision attaquée, mais lui permettent de réformer la sanction infligée par celle-ci (ordonnance FNICGV/Commission, point 85 supra, point 24).

243    Le juge communautaire est, dès lors, habilité, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, point 61).

244    Dans ces circonstances, si l’exercice de la compétence de pleine juridiction est le plus souvent sollicité par les parties requérantes dans le sens d’une réduction du montant de l’amende, rien ne s’oppose à ce que la Commission puisse également soumettre au juge communautaire la question du montant de l’amende et formuler une demande d’augmentation dudit montant.

245    Une telle possibilité est, au demeurant, expressément prévue au point E, paragraphe 4, de la communication sur la coopération qui dispose que si « une entreprise, ayant bénéficié d’une réduction d’amende pour n’avoir pas contesté la matérialité des faits, conteste celle-ci pour la première fois dans un recours en annulation devant le Tribunal […], la Commission demandera en principe à celui-ci d’augmenter le montant de l’amende qu’elle a infligée à cette entreprise ». La demande présentée par la Commission en l’espèce est précisément fondée sur cette disposition.

246    Il convient, en outre, de relever que l’exercice de la compétence de pleine juridiction par les juridictions communautaires s’inscrit nécessairement dans le cadre du contrôle des actes des institutions communautaires, et plus particulièrement du recours en annulation. En effet, l’article 229 CE a pour seul effet d’élargir l’étendue des pouvoirs dont dispose le juge communautaire dans le cadre du recours visé à l’article 230 CE (ordonnance FNICGV/Commission, point 85 supra, point 25).

247    Il en résulte que l’argumentation de Schunk, selon laquelle la demande d’augmentation du montant de l’amende de la Commission est incompatible avec l’article 230 CE et méconnaît l’objet du litige défini dans la requête, doit être rejetée.

248    Par ailleurs, l’argument de Schunk selon lequel la demande susmentionnée viole le « principe de bonne foi », dans la mesure où ladite demande est motivée par des comportements dont la Commission avait déjà connaissance lors de la procédure administrative, doit également être rejeté comme procédant d’une lecture erronée des écritures de la Commission.

249    En effet, ainsi qu’il a été exposé, la demande d’augmentation du montant de l’amende est motivée par l’attitude de Schunk qui, selon la Commission, conteste pour la première fois devant le juge des faits préalablement admis au cours de la procédure administrative.

250    Il résulte des considérations qui précèdent que ladite demande doit être déclarée recevable et qu’il appartient au Tribunal de statuer sur le fond.

 Sur le fond

251    Compte tenu du pouvoir qui est conféré au Tribunal de majorer le montant d’une amende infligée en application du règlement n° 17, il convient de déterminer si, comme le soutient la Commission en substance, les circonstances de l’espèce justifient que soit supprimée la réduction de 10 % accordée à Schunk au titre de sa coopération, ce qui conduirait à une augmentation du montant final de l’amende.

252    En vertu du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération, une entreprise bénéficie d’une réduction d’amende si « après avoir reçu la communication des griefs, [elle] informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations ».

253    En l’espèce, il importe de relever que les conclusions des requérantes ne tendent pas seulement à la réduction du montant de l’amende, mais aussi à l’annulation de la Décision en tant que telle et que, dans le cadre de son argumentation développée à l’appui des griefs tirés de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, les requérantes contestent directement des faits qui leur étaient reprochés dans les communications des griefs et sur lesquels est fondé le constat d’une violation de l’article 81 CE.

254    Ainsi qu’il a été exposé précédemment, les requérantes ont contesté pour la première fois devant le Tribunal les accords sur l’interdiction de la publicité, les pratiques anticoncurrentielles concernant les produits destinés aux équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation et le système de surveillance de la mise en œuvre des accords collusoires sur lesquels est, notamment, fondé le constat, dans la Décision, d’une violation de l’article 81 CE.

255    La Commission fait valoir que les requérantes ont également contesté pour la première fois dans la requête l’importance du document reproduit sur le feuillet n° 9823 du dossier de procédure (annexe A 21), concernant les équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation ainsi que les accords relatifs à l’éviction des concurrents.

256    Le document susmentionné se rattache à la contestation relative aux pratiques anticoncurrentielles concernant les produits destinés aux équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation évoquée au point 254 ci-dessus.

257    Quant aux accords relatifs à l’éviction des concurrents, la Commission fait référence au grief des requérantes tiré de l’inexistence d’un plan global des membres de l’entente visant à modifier durablement la structure de la concurrence sur le marché par le biais de rachats d’entreprises dont il a été indiqué qu’il procède d’une lecture manifestement erronée du considérant 173 de la Décision et ne peut donc être analysé comme une contestation tardive des faits reprochés.

258    Il convient de rappeler, à ce stade, que les trois contestations visées au point 254 ci-dessus ont été rejetées en application de la jurisprudence selon laquelle sont considérés comme établis les faits qu’une entreprise a expressément reconnus dans le cadre de la procédure administrative, celle-ci n’étant plus libre de développer des moyens visant à les contester dans le cadre de la procédure contentieuse (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 84 supra, point 227 ; arrêt Tokai I, point 84 supra, point 108, et arrêt Tokai II, point 56 supra, points 324 et 326).

259    Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de supprimer la réduction minimale de 10 % accordée à Schunk au titre du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération, et la demande reconventionnelle de la Commission doit donc être rejetée (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 84 supra, point 369).

260    Il convient encore de relever que, dans ses écritures, la Commission fait référence à l’arrêt Tokai I, point 84 supra, dans lequel le Tribunal a fait droit à une conclusion de majoration de l’amende de la Commission, alors même que l’argumentation de la partie requérante ne remettait pas en cause des faits expressément admis, en indiquant que la Commission, contre toute attente qu’elle pouvait raisonnablement fonder sur la coopération objective de la requérante lors de la procédure administrative, a été obligée d’élaborer et de présenter une défense devant le Tribunal ciblée sur la contestation de faits infractionnels dont elle avait considéré à bon droit que la requérante ne les remettrait plus en question.

261    Les écritures de la Commission laissent à penser que ce qui a été retenu dans une hypothèse où l’argumentation de la partie requérante ne remettait pas en cause des faits expressément admis doit forcément l’être dans un cas où, comme en l’espèce, il y a contestation tardive de faits admis lors de la procédure administrative.

262    Reste que, ainsi que le soulignent à juste titre les requérantes, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 prévoit que le montant d’une amende ne peut être déterminé qu’en fonction de la gravité et de la durée d’une infraction. Le fait que la Commission ait été contrainte d’établir une défense ciblée sur une contestation de faits dont elle avait considéré à bon droit que la requérante ne les remettrait plus en question n’est pas de nature à fonder, au regard des deux critères exclusifs de détermination du montant de l’amende, une augmentation de celui‑ci. En d’autres termes, les dépenses supportées par la Commission du fait de la procédure devant le Tribunal ne sont pas un critère de détermination du montant de l’amende et doivent être uniquement prises en considération dans le cadre de l’application des dispositions du règlement de procédure relatives au remboursement des dépens.

263    Compte tenu de tout ce qui précède, l’ensemble des demandes présentées dans le cadre du présent recours doivent être rejetées.

 Sur les dépens

264    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Schunk GmbH et Schunk Kohlenstoff-Technik GmbH sont condamnées aux dépens.

Vilaras

Prek

Ciucă

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 octobre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la demande d’annulation de la Décision

Sur l’exception d’illégalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

Sur la responsabilité conjointe et solidaire de Schunk GmbH et de SKT

Sur les contestations de l’infraction

– Considérations préliminaires

– Sur l’interdiction de la publicité

– Sur la fourniture de blocs de carbone

– Sur les pratiques anticoncurrentielles concernant les équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation

– Sur l’inexistence d’un plan global des membres de l’entente visant à modifier durablement la structure de la concurrence sur le marché par le biais de rachats d’entreprises

– Sur l’existence d’un mécanisme particulièrement sophistiqué pour le contrôle et la mise en œuvre des accords en cause

Sur la demande de réduction de l’amende

Sur la prétendue surestimation par la Commission de la gravité de l’infraction, au regard de sa nature et de ses effets

– Sur la nature de l’infraction

– Sur les effets de l’infraction

Sur la répartition des entreprises en catégories

Sur l’effet dissuasif

Sur la coopération de Schunk

Sur la demande reconventionnelle de la Commission

Sur la recevabilité

Sur le fond

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.