Language of document : ECLI:EU:T:2008:416

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

8 octobre 2008 (*)

« Concurrence − Ententes − Marché des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques − Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes − Gravité et durée de l’infraction − Circonstances atténuantes − Coopération durant la procédure administrative − Principe de proportionnalité − Principe d’égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑73/04,

Le Carbone-Lorraine, établi à Courbevoie (France), représenté initialement par Mes A. Winckler et I. Simic, puis par Mes Winckler et H. Kanellopoulos, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2004/420/CE de la Commission, du 3 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.38.359 − Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques), et, à titre subsidiaire, d’annulation ou de réduction de l’amende infligée à la requérante par ladite décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras (rapporteur), président, M. Prek et V. Ciucă, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 février 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Le Carbone-Lorraine (ci-après « LCL » ou la « requérante ») est une entreprise française qui fabrique des produits à base de carbone et de graphite en vue de leur utilisation dans les domaines électriques et mécaniques.

2        Le 18 septembre 2001, les représentants de Morgan Crucible Company plc (ci-après « Morgan ») ont rencontré des agents de la Commission afin de proposer leur coopération pour établir l’existence d’un cartel sur le marché européen des produits à base de carbone et de graphite pour des applications électriques et mécaniques et solliciter le bénéfice des mesures de clémence prévues par la communication 96/C 207/04 de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »).

3        Le 2 août 2002, la Commission a, en application de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), adressé à C. Conradty Nürnberg GmbH (ci-après « Conradty »), à SGL Carbon AG (ci-après « SGL »), à Schunk GmbH et sa filiale Schunk Kohlenstoff-Technik GmbH (ci-après, prises ensemble, « Schunk »), à Eurocarbo SpA, à Luckerath BV, à Gerken Europe SA (ci-après « Gerken ») ainsi qu’à la requérante des demandes de renseignements concernant leur comportement sur le marché en cause. La lettre adressée à Schunk concernait également les activités d’Hoffmann & Co. Elektrokohle AG (ci-après « Hoffmann »), rachetée par Schunk le 28 octobre 1999.

4        Par télécopie adressée à la Commission le 16 août 2002, la requérante a sollicité l’application de la communication sur la coopération.

5        Les 22 août et 23 septembre 2002, la requérante a transmis à la Commission des éléments de preuve concernant l’entente.

6        Le 30 septembre 2002, la Commission a reçu la réponse de la requérante à la demande de renseignements fondée sur l’article 11 du règlement n° 17.

7        Le 23 mai 2003, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a envoyé une communication des griefs à la requérante et aux autres entreprises concernées, à savoir Morgan, Conradty, SGL, Schunk et Hoffmann. Dans sa réponse, la requérante a indiqué qu’elle ne contestait pas, en substance, les faits exposés dans la communication des griefs.

8        À la suite de l’audition des entreprises concernées, à l’exception de Morgan et de Conradty, la Commission a adopté la décision 2004/420/CE, du 3 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.38.359 − Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques) (ci-après la « Décision »), laquelle a été notifiée à la requérante par lettre du 11 décembre 2003. Un résumé de la Décision a été publié au Journal officiel du 28 avril 2004 (JO L 125, p. 45).

9        La Commission a indiqué, dans la Décision, que les entreprises destinataires de celle-ci ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE et, depuis le 1er janvier 1994, à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), consistant à fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées (restrictions quantitatives, hausses des prix et boycottages) à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel (considérant 2 de la Décision).

10      La Décision comprend les dispositions suivantes :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à compter du 1er janvier 1994, de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant, pour les périodes indiquées, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques :

–        [Conradty], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [Hoffmann], de septembre 1994 à octobre 1999 ;

–        [LCL], d’octobre 1988 à juin 1999 ;

–        [Morgan], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [Schunk], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [SGL], d’octobre 1988 à décembre 1999.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour les infractions visées à l’article 1er :

–        [Conradty] : 1 060 000 euros ;

–        [Hoffmann] : 2 820 000 euros ;

–        [LCL] : 43 050 000 euros ;

–        [Morgan] : 0 euro ;

–        [Schunk] : 30 870 000 euros ;

–        [SGL] : 23 640 000 euros.

Les amendes sont payables dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision [...]

À l’expiration de ce délai, des intérêts sont automatiquement dus au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses principales opérations de refinancement au premier jour du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de 3,5 points de pourcentage. »

11      S’agissant du calcul du montant des amendes, la Commission a qualifié l’infraction de très grave, eu égard à sa nature, à son impact sur le marché de l’EEE pour les produits concernés, même s’il ne pouvait être mesuré avec précision, et à l’étendue du marché géographique concerné (considérant 288 de la Décision).

12      Afin de tenir compte de l’importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans le cartel, et donc de son impact réel sur la concurrence, la Commission a regroupé les entreprises concernées en trois catégories, en fonction de leur importance relative sur le marché en cause déterminée par leurs parts de marché (considérants 289 à 297 de la Décision).

13      En conséquence, la requérante et Morgan, considérées comme étant les deux plus grands opérateurs avec des parts de marché supérieures à 20 %, ont été classées dans la première catégorie. Schunk et SGL, qui sont des opérateurs moyens avec des parts de marché comprises entre 10 et 20 %, ont été placées dans la deuxième catégorie. Hoffmann et Conradty, considérées comme étant de petits opérateurs en raison de parts de marché inférieures à 10 %, ont été regroupées dans la troisième catégorie (considérants 37 et 297 de la Décision).

14      Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, de 35 millions d’euros pour la requérante et Morgan, de 21 millions d’euros pour Schunk et SGL et de 6 millions d’euros pour Hoffmann et Conradty (considérant 298 de la Décision).

15      En ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a estimé que toutes les entreprises concernées avaient commis une infraction de longue durée. En raison d’une durée d’infraction de onze ans et deux mois, la Commission a augmenté le montant de départ retenu à l’encontre de SGL, de Morgan, de Schunk et de Conradty de 110 %. S’agissant de la requérante, la Commission a retenu une durée d’infraction de dix ans et huit mois et a augmenté le montant de départ de 105 %. À l’encontre d’Hoffmann, le montant de départ a été augmenté de 50 % en raison d’une durée d’infraction de cinq ans et un mois (considérants 299 et 300 de la Décision).

16      Le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a donc été fixé à 73,5 millions d’euros en ce qui concerne Morgan, à 71,75 millions d’euros pour la requérante, à 44,1 millions d’euros pour Schunk et SGL, à 12,6 millions d’euros en ce qui concerne Conradty et à 9 millions d’euros pour Hoffmann (considérant 301 de la Décision).

17      La Commission n’a retenu aucune circonstance aggravante ou atténuante à l’encontre ou au bénéfice des entreprises concernées (considérant 316 de la Décision).

18      S’agissant de l’application de la communication sur la coopération, Morgan a bénéficié d’une immunité d’amende pour avoir été la première entreprise à dénoncer l’existence du cartel à la Commission (considérants 319 à 321 de la Décision).

19      Conformément au point D de ladite communication, la Commission a consenti à la requérante une réduction de 40 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, de 30 % à Schunk et Hoffmann et de 20 % à SGL, qui a été la dernière à coopérer (considérants 322 à 338 de la Décision).

20      Dans la Décision, sous le titre « Capacité de paiement et autres facteurs », la Commission a, après avoir rejeté l’argumentation de SGL et de la requérante visant à prouver une incapacité de paiement de l’amende, rappelé qu’elle avait déjà condamné, récemment, la première entreprise à deux amendes importantes pour sa participation à d’autres activités collusoires.

21      La Commission a précisé que SGL s’était vu infliger, par la décision 2002/271/CE, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/36. 490 − Électrodes de graphite) (JO 2002, L 100, p. 1), dans l’affaire dite « des électrodes de graphite » et par la décision 2006/460/CE, du 17 décembre 2002, concernant une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.37.667 − Graphites spéciaux) (JO 2006, L 180, p. 20), dans l’affaire dite « des graphites spéciaux », une amende de 80,2 millions d’euros pour sa participation au cartel des électrodes de graphite et deux amendes d’un montant total de 27,75 millions d’euros pour sa participation à l’entente sur le graphite isostatique et à l’entente sur le graphite extrudé (considérant 358 de la Décision).

22      Tenant compte des graves difficultés financières de SGL et de ses récentes condamnations ainsi que du fait que les différentes activités collusoires reprochées à celle-ci s’étaient déroulées simultanément, la Commission a estimé que, dans ces conditions particulières, il n’était pas nécessaire, afin de garantir une dissuasion effective, d’infliger à SGL le montant total de l’amende et l’a donc réduit de 33 %, le ramenant à 23,64 millions d’euros (considérant 360 de la Décision).

23      Considérant que la situation de la requérante était très différente de celle de SGL, la Commission ne lui a accordé aucune réduction du montant de l’amende au titre d’« autres facteurs » (considérants 361 et 362 de la Décision).

 Procédure et conclusions des parties

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2004, la requérante a introduit le présent recours.

25      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté, en qualité de président, à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

26      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 février 2008.

27      Lors de cette audience, et après précision par la requérante de la portée de certains de ses arguments, la Commission a renoncé à sa demande reconventionnelle tendant à l’augmentation du montant de l’amende, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

28      Sur invitation du Tribunal, la Commission a produit aux débats la lettre du 30 octobre 2001 que lui a adressée Morgan dans le cadre de la demande d’application, à son profit, de la communication sur la coopération. Cette lettre, qui faisait partie du dossier administratif de la Commission, a été communiquée à la requérante, laquelle a déposé des observations reçues au greffe du Tribunal le 26 mars 2008. La procédure orale a été clôturée le 1er avril 2008, ce dont les parties ont été informées par lettre du greffe du Tribunal du même jour.

29      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision, dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, annuler ou réduire le montant de l’amende infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

31      Si le recours introduit par la requérante présente un double objet, à savoir, à titre principal, une demande d’annulation de la Décision, et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende, les différents griefs soulevés par la requérante dans ses écritures l’ont cependant été de manière indistincte.

32      Invitée par le Tribunal, lors de l’audience, à présenter ses observations sur la portée exacte de certains arguments, la requérante a déclaré que l’argumentation concernant son rôle passif dans la réalisation de l’infraction sur le marché des blocs de carbone et de graphite visait uniquement à la revendication de la circonstance atténuante correspondante et, par conséquent, à la réduction du montant de l’amende. De même, la requérante a précisé ne pas contester sa présence aux réunions du comité technique consacrées aux produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques et, de ce fait, sa participation à l’infraction dans ce domaine. Le Tribunal a pris acte de ces déclarations dans le procès-verbal d’audience.

33      Il convient de constater, à ce stade, que, si la requérante a expressément sollicité du Tribunal l’annulation de la Décision en son entier, dans la mesure où elle la concerne, l’ensemble des griefs soulevés par celle-ci visent à remettre en cause la seule partie de la Décision consacrée aux amendes et plus particulièrement l’article 2 de cette dernière par lequel la Commission a fixé le montant de l’amende imposée à la requérante à 43 050 000 euros. En l’absence de tout grief venant à l’appui des conclusions d’annulation de la Décision en son entier, ces conclusions doivent être rejetées et il y a lieu d’examiner le bien-fondé de la seule demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende formulée par la requérante.

 Sur l’erreur de droit prétendument commise par la Commission du fait de l’absence de délimitation des marchés de produits en cause ou, à tout le moins, des catégories de produits en cause

34      La requérante fait valoir que la délimitation des marchés de produits en cause ou, à tout le moins, des catégories de produits en cause aurait été, en l’espèce, indispensable pour procéder à une qualification exacte de l’infraction et de ses effets réels, aux fins de la détermination du montant de l’amende. Par ailleurs, l’absence de définition sérieuse des marchés en cause aurait conduit la Commission à ouvrir des procédures administratives de façon « illogique » et à fixer le montant de l’amende à un niveau manifestement excessif.

 Sur la qualification de l’infraction

35      La requérante soutient que la Commission était tenue, conformément à la jurisprudence, de procéder à l’analyse des marchés de produits en cause ou, à tout le moins, des catégories de produits en cause et fait référence, à cet égard, à l’arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission (T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 206).

36      Dans cet arrêt, le Tribunal a rappelé que, dans le cadre de l’application de l’article 81 CE, c’est pour déterminer si un accord est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun qu’il faut, le cas échéant, définir le marché en cause (arrêts du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T‑29/92, Rec. p. II‑289, point 74, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 1093). Par conséquent, l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 81 CE s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 230 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, points 93 à 95 et 103).

37      Or, la requérante prétend, en l’espèce, que la définition des marchés de produits en cause ou, à tout le moins, des catégories de produits en cause était nécessaire aux fins non de la qualification des pratiques incriminées au regard de l’article 81 CE, mais de la qualification exacte de l’infraction et de ses effets réels, en vue de la détermination du montant de l’amende, question distincte de l’incrimination.

38      La référence à l’arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 35 supra, apparaît, dès lors, dépourvue de toute pertinence, étant observé, d’une part, que la Commission a défini de manière détaillée le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques, en distinguant clairement les différents types de produits concernés (considérants 4 à 13 de la Décision) et la portée géographique du marché desdits produits (considérants 48 à 50 de la Décision) et, d’autre part, que les ententes horizontales prévoyant la fixation des prix et s’étendant sur l’ensemble du territoire de l’EEE, comme celle visée par la Décision, constituent des infractions patentes au droit communautaire de la concurrence.

39      Il apparaît, en réalité, que l’argumentation développée par la requérante a trait à l’appréciation faite par la Commission de la gravité de l’infraction et à la fixation corrélative du montant de départ de l’amende.

40      La requérante considère, en substance, que la gravité de l’infraction aurait dû être examinée par la Commission, de manière spécifique, pour chaque catégorie de produits concernés par l’entente. Dans ce cadre d’analyse, elle fait valoir l’existence d’un impact extrêmement limité de l’entente pour l’ensemble des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques ainsi que son absence d’implication ou une faible implication sur le marché européen des blocs de carbone et de graphite et dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques, ce qui aurait dû conduire la Commission à fixer des montants de départ différenciés.

41      Il convient de relever, à ce stade, que les mêmes arguments sont invoqués par la requérante dans le cadre de ses griefs tirés du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende et d’une appréciation erronée par la Commission des circonstances atténuantes et seront également examinés ultérieurement.

42      Envisagé de manière autonome, le grief tiré de l’erreur de droit commise par la Commission du fait de l’absence de délimitation des marchés de produits en cause ou, à tout le moins, des catégories de produits en cause ne peut être retenu par le Tribunal.

43      Il importe, tout d’abord, de souligner que la Commission a considéré que les entreprises destinataires de la Décision avaient participé à une « infraction complexe unique » et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, qui s’est étendue à l’ensemble du territoire de l’EEE, et que la requérante a expressément indiqué, dans la réplique, qu’elle ne contestait pas l’existence, en l’espèce, d’une infraction unique.

44      Il ressort, ensuite, de la Décision que les amendes ont été imposées en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et que la Commission − quand bien même la Décision ne se réfère pas explicitement aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») − a déterminé le montant des amendes en faisant application de la méthode définie dans les lignes directrices.

45      Selon cette méthode, la Commission prend comme point de départ pour le calcul du montant des amendes à infliger aux entreprises concernées un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les « infractions peu graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 et 1 million d’euros, les « infractions graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 million et 20 millions d’euros et les « infractions très graves » pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tiret). À l’intérieur de chacune de ces catégories, l’échelle des sanctions retenues permet de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

46      Il apparaît ainsi que l’impact concret de « l’infraction » sur le marché doit être pris en considération lorsqu’il est mesurable et qu’il n’existe, contrairement aux affirmations de la requérante, aucune obligation pour la Commission, aux termes des lignes directrices, d’analyser l’impact d’une entente, de manière spécifique, pour chaque catégorie de produits en cause.

47      La position de la requérante est également contredite par l’arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (T‑83/91, Rec. p. II‑755), visé par les deux parties, rejetant un recours d’une entreprise condamnée par la Commission au paiement d’une amende unique pour plusieurs infractions à l’article 82 CE. Au point 236 de cet arrêt, le Tribunal indique :

« [L]a Commission n’est pas tenue, comme le soutient la requérante, de ventiler le montant de l’amende entre les différents éléments de l’abus. En particulier, une telle ventilation s’avère impossible lorsque, comme dans la présente espèce, l’ensemble des infractions constatées s’inscrit dans une stratégie d’ensemble cohérente et doit de ce fait être appréhendé de manière globale tant aux fins de l’application de l’article [82 CE] que de la fixation de l’amende. Il suffit que la Commission précise, dans la décision, les critères destinés à fixer le niveau général de l’amende infligée à une entreprise. Elle n’est pas obligée d’individualiser la manière dont elle a pris en compte chacun des éléments qui ont été mentionnés parmi ces critères et concourent à la détermination du niveau général de l’amende. »

48      En outre, le Tribunal a considéré dans l’arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 36 supra (point 4761), que la Commission pouvait, en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, infliger une amende unique à une entreprise ayant commis différentes infractions, sans devoir ventiler le montant de l’amende par chef d’infraction. Il en est d’autant plus ainsi lorsque les différentes infractions en cause s’inscrivent dans une stratégie d’ensemble cohérente.

49      Il résulte de ces arrêts que la requérante n’est pas fondée à soutenir que la Commission était obligée, en l’espèce, d’effectuer une analyse séparée de chaque élément de l’infraction unique retenue, en raison notamment de l’existence d’une stratégie d’ensemble partagée par tous les membres de l’entente, alors même que la Commission n’est pas obligée d’examiner la gravité de chaque infraction lorsqu’elle impose une amende unique à une entreprise ayant commis plusieurs infractions.

50      Contrairement aux allégations de la requérante, cette conclusion n’est pas de nature à permettre une « punition collective arbitraire » des entreprises impliquées dans une entente.

51      Ainsi, la Commission a, dans la Décision (considérants 289 à 298), appliqué un « traitement différencié » dans le cadre de la fixation du montant de départ en distinguant, conformément au point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices, plusieurs catégories d’entreprises en fonction de l’importance de leur part de marché. Dans le cadre dudit traitement, une présence limitée sur un marché peut éventuellement conduire à un montant de départ moins important, même si, en l’occurrence et compte tenu de son chiffre d’affaires sur le marché des produits concernés, la requérante a été incluse dans la première catégorie.

52      De surcroît, la gravité relative de la participation de chacune des entreprises en cause, évoquée par la requérante dans le cadre de ses allégations d’absence ou de faible implication dans les pratiques illicites concernant certains produits, devait être et a été examinée par la Commission lors de l’appréciation des circonstances atténuantes.

53      Le bien-fondé des appréciations portées par la Commission à cet égard sera dès lors examiné ultérieurement avec les griefs de la requérante liés directement à ces questions.

 Sur la procédure menée par la Commission

54      Selon la requérante, le fait pour la Commission d’avoir engagé une seule procédure pour des pratiques couvrant plusieurs catégories de produits totalement distincts est manifestement illogique et contraire au principe de bonne administration. La Commission aurait dû :

–        soit adopter une seule décision concernant toutes les ententes dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite, comme l’auraient fait les autorités américaines de la concurrence, ce qui aurait amené la Commission à imposer une amende à la requérante d’un montant maximal de 61,37 millions d’euros ;

–        soit adopter plusieurs décisions concernant chaque catégorie de produits en cause, conformément à sa pratique décisionnelle illustrée par les affaires des électrodes de graphite et des graphites spéciaux, ce qui aurait amené la Commission à fixer le montant de départ à un niveau sensiblement inférieur à 35 millions d’euros.

55      Il convient d’observer, premièrement, que la requérante ne soutient pas que les ententes visées dans les décisions de la Commission concernant les affaires des électrodes de graphite et des graphites spéciaux et celle ayant donné lieu à l’adoption de la Décision constituent en réalité une seule et même infraction, mais fait uniquement valoir que les autorités américaines de la concurrence auraient suivi une approche globale du secteur des produits à base de carbone et de graphite, ayant abouti à l’adoption d’une seule décision.

56      Il n’est donc pas allégué ni a fortiori établi par la requérante que la Commission a, de manière irrégulière, pour les marchés des électrodes de graphite, des graphites spéciaux et des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques, engagé trois procédures distinctes, constaté quatre infractions et infligé quatre amendes distinctes à la requérante. Il importe de souligner qu’il était loisible à la Commission d’infliger à la requérante quatre amendes distinctes, respectant chacune les limites fixées par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à condition qu’elle ait commis quatre infractions distinctes aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE, étant rappelé que, dans l’affaire des graphites spéciaux, la Commission a engagé une seule procédure qui a conduit à l’adoption d’une décision unique constatant l’existence de deux infractions distinctes, concernant l’une le marché du graphite spécial isostatique et l’autre le marché du graphite spécial extrudé, et infligeant à la requérante deux amendes distinctes.

57      Il est, par ailleurs, évident que la pratique suivie par les autorités américaines de concurrence n’est pas de nature à s’imposer à la Commission qui est responsable de la mise en oeuvre et de l’orientation de la politique communautaire de la concurrence.

58      À cet égard, il y a lieu de constater que l’exercice des pouvoirs par les autorités des États tiers chargées de la protection de la libre concurrence, dans le cadre de leur compétence territoriale, obéit à des exigences qui sont propres auxdits États. En effet, les éléments qui sous-tendent les ordres juridiques d’autres États dans le domaine de la concurrence non seulement comportent des finalités et des objectifs spécifiques, mais aboutissent également à l’adoption de règles matérielles particulières ainsi qu’à des conséquences juridiques très variées dans le domaine administratif, pénal ou civil, lorsque les autorités desdits États ont établi l’existence d’infractions aux règles applicables en matière de concurrence (arrêt de la Cour du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 29).

59      En revanche, tout autre est la situation juridique dans laquelle une entreprise se trouve exclusivement visée, en matière de concurrence, par l’application du droit communautaire et du droit d’un ou de plusieurs États membres, c’est-à-dire dans laquelle une entente se cantonne, comme en l’espèce, exclusivement au sein du champ d’application territorial de l’ordre juridique de la Communauté européenne (voir, en ce sens, arrêt SGL Carbon/Commission, point 58 supra, point 30).

60      Il en découle que, lorsque la Commission sanctionne le comportement illicite d’une entreprise, même ayant son origine dans une entente à caractère international, elle vise à sauvegarder la libre concurrence à l’intérieur du marché commun qui constitue, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, un objectif fondamental de la Communauté. En effet, par la spécificité du bien juridique protégé au niveau communautaire, les appréciations opérées par la Commission, en vertu de ses compétences en la matière, peuvent diverger considérablement de celles effectuées par des autorités d’États tiers (arrêt SGL Carbon/Commission, point 58 supra, point 31).

61      Dans ces circonstances, les conclusions de la requérante, qu’elle rattache à la situation hypothétique d’une décision de la Commission reposant sur une analyse d’ensemble des produits à base de carbone et de graphite, quant à l’amende maximale de 61,37 millions d’euros qui aurait pu lui être imposée et à une prétendue violation par la Commission de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, sont dépourvues de toute pertinence.

62      Il convient, deuxièmement, de relever que, contrairement aux affirmations de la requérante, il ne résulte pas des affaires des électrodes de graphite et des graphites spéciaux que chaque marché de produits à base de carbone et de graphite a fait l’objet d’une procédure administrative distincte de la part des autorités communautaires de la concurrence.

63      Dans l’affaire des graphites spéciaux, la Commission a engagé une seule procédure qui a conduit à l’adoption d’une décision unique constatant l’existence de deux infractions distinctes, concernant l’une le marché du graphite spécial isostatique et l’autre le marché du graphite spécial extrudé, et infligeant à la requérante deux amendes distinctes.

64      En tout état de cause, il importe de souligner que la Commission a considéré en l’espèce que les entreprises destinataires de la Décision avaient commis une infraction unique à l’article 81 CE. Elle a justifié sa position au considérant 230 de la Décision qui est ainsi libellé :

« En dépit de l’argument de [LCL] selon lequel les blocs de carbone et de graphite ne peuvent se substituer aux produits finis à base de carbone et de graphite, la Commission considère que la totalité du groupe de produits couvert par la présente procédure faisait l’objet d’une infraction complexe unique. La Commission remarque à cet égard que la substituabilité des produits n’est qu’un des éléments qu’elle prend en considération. D’autres facteurs peuvent jouer un rôle important, notamment le fonctionnement de l’entente elle-même. Dans la présente procédure, les mêmes membres du cartel ont coordonné leur comportement commercial lors des mêmes réunions pour un groupe entier de produits liés (bien que non substituables), que la totalité ou la quasi-totalité d’entre eux ont fabriqués ou vendus. De plus, l’objectif principal de l’accord de l’entente consistant à ne pas vendre de blocs à des tiers ou à des prix très élevés, était de renforcer l’accord principal de l’entente sur les produits fabriqués à partir de ces blocs et de le défendre contre une concurrence éventuelle. L’accord sur les blocs était donc accessoire à l’accord principal portant sur les produits finis. Au vu de ces données factuelles, la Commission a choisi de traiter les activités du cartel en tant qu’infraction complexe unique. Aucun des destinataires de la présente décision n’a affirmé qu’il existait plusieurs infractions. »

65      C’est pour des raisons objectives que la Commission a, en l’espèce, entamé une procédure, constaté l’existence d’une seule infraction et infligé dans la Décision une amende à la requérante. En outre, il y a lieu de rappeler que la requérante ne conteste pas l’existence d’une infraction unique.

66      Dans ces conditions, le choix fait par la Commission d’adopter une décision pour sanctionner une infraction unique et continue ne saurait être qualifié d’« illogique » ou de contraire au principe de bonne administration.

67      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le grief tiré de l’erreur de droit commise par la Commission du fait de l’absence de délimitation des marchés de produits en cause ou, à tout le moins, des catégories de produits en cause doit être rejeté.

 Sur l’appréciation prétendument erronée de la gravité de l’infraction et le caractère prétendument disproportionné du montant de départ de l’amende

68      Conformément à une jurisprudence constante, la gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, au regard desquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation (arrêt de la Cour du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 43 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 240 à 242).

69      Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, la Commission a, en l’espèce, déterminé le montant des amendes en faisant application de la méthode définie dans les lignes directrices.

70      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, si les lignes directrices ne sauraient être qualifiées de règle de droit à l’observation de laquelle l’administration serait, en tout cas, tenue, elles énoncent toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 209, et la jurisprudence citée).

71      En adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 211, et la jurisprudence citée).

72      En outre, il convient de rappeler que, selon la même jurisprudence, les lignes directrices déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées en vertu de l’article 15 du règlement n° 17. Ces lignes directrices, pour la rédaction desquelles la Commission a, notamment, recouru à des critères dégagés par la jurisprudence de la Cour, assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 213).

73      Il y a lieu de relever que les lignes directrices prévoient, en premier lieu, l’appréciation de la gravité de l’infraction en tant que telle, sur la base de laquelle un « montant de départ général » peut être fixé. En second lieu, la gravité est analysée par rapport aux caractéristiques de l’entreprise concernée, notamment sa taille et sa position sur le marché pertinent, ce qui peut donner lieu à la pondération du montant de départ, au classement des entreprises en catégories et à la fixation d’un « montant de départ spécifique ».

 Sur le caractère prétendument excessif du montant de départ de l’amende, au regard de l’impact limité des pratiques incriminées

74      S’agissant de l’appréciation de la gravité de l’infraction en tant que telle, les lignes directrices indiquent, au point 1 A, premier et deuxième alinéas, ce qui suit :

« L’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

Les infractions seront ainsi classées en trois catégories permettant de distinguer les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves. »

75      Dans la Décision, la Commission a relevé les trois éléments suivants :

–        l’infraction en cause avait consisté essentiellement à fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel, de telles pratiques constituant, par leur nature même, le type d’infraction le plus grave aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (considérant 278 de la Décision) ;

–        les accords collusoires avaient été mis en oeuvre et avaient eu un impact sur le marché de l’EEE pour les produits concernés, mais cet impact ne pouvait être mesuré avec précision (considérant 286 de la Décision) ;

–        le cartel couvrait l’ensemble du marché commun et, après sa création, l’ensemble de l’EEE (considérant 287 de la Décision).

76      La conclusion de la Commission, exposée au considérant 288 de la Décision, est ainsi libellée :

« Eu égard à tous ces facteurs, la Commission considère que les entreprises concernées par la présente décision ont commis une infraction très grave. Selon la Commission, la nature de l’infraction et son ampleur géographique sont telles que l’infraction doit être qualifiée de très grave, que son impact sur le marché puisse ou non être mesuré. Il est clair, en tout état de cause, que les arrangements anticoncurrentiels du cartel ont été mis en oeuvre et ont eu un impact sur le marché, même si cet impact ne peut être mesuré avec précision. »

77      La requérante reproche à la Commission de n’avoir pas procédé à l’examen de l’impact concret de l’infraction sur les marchés concernés et de s’être contentée d’affirmer, sur la base de la simple allégation de la mise en œuvre de l’entente, que cette dernière a eu un impact sur le marché, sans examiner l’importance de celui-ci, et ce en violation des lignes directrices et de sa pratique décisionnelle antérieure. Elle ajoute que, compte tenu de l’impact objectivement limité des pratiques incriminées sur les marchés concernés, la Commission pouvait, tout au plus, qualifier ces pratiques de « graves » et fixer le montant de départ à un niveau inférieur à 20 millions d’euros.

78      Il convient de relever, premièrement, que les représentants de la Commission ont, lors de l’audience, indiqué que la qualification de l’infraction de « très grave » résultait de la seule prise en compte de la nature de l’infraction et de son étendue géographique et que, même si l’existence d’un impact concret de l’entente sur le marché a été constatée dans la Décision, cet élément n’avait pas été pris en considération pour la qualification de l’infraction et donc dans la détermination du montant de départ de l’amende.

79      Cette position est, toutefois, contredite par une simple lecture littérale des considérants 278 à 288 de la Décision. Au considérant 281 de la Décision, la Commission constate l’existence d’effets anticoncurrentiels réels résultant, en l’espèce, de la mise en œuvre des accords collusoires, même s’il n’est pas possible de les quantifier avec précision, constat qui succède à la description de la nature propre de l’infraction et précède la détermination de l’étendue géographique de celle-ci. La teneur du considérant 288 de la Décision, et, plus particulièrement, l’emploi de l’expression « [e]u égard à tous ces facteurs » permet de conclure que la Commission a bien pris en considération l’impact concret de l’entente sur le marché pour qualifier l’infraction de « très grave », même si elle a ajouté que cette qualification était justifiée indépendamment de la possibilité de mesurer ledit impact.

80      Il doit être constaté, deuxièmement, que la Commission n’était pas tenue, contrairement aux affirmations de la requérante, de procéder à un examen concret des pratiques illicites sur chacun des marchés concernés, étant rappelé que la Commission a considéré que l’ensemble des accords et/ou des pratiques concertées visés dans la Décision constituaient une infraction complexe unique, ce que la requérante ne conteste pas, et que seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 152, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 342).

81      Il résulte, troisièmement, des considérants 244 à 248 et 280 à 286 de la Décision que la Commission a effectivement déduit de la mise en œuvre de l’entente l’existence d’un impact concret de celle-ci sur le secteur en cause.

82      La Commission indique, à cet égard, que « [t]ous les membres du cartel ont appliqué les hausses de prix générales (exprimées en pourcentage) convenues, en diffusant de nouvelles listes de prix […,] les sociétés de transports publics ont attribué les marchés à la société dont l’offre avait été manipulée de manière à être légèrement inférieure à celles d’autres parties à l’entente, les clients privés n’ont eu d’autre choix que de s’approvisionner auprès d’un fournisseur prédésigné à un prix prédéterminé, sans que la concurrence puisse jouer, et les tailleurs se sont trouvés dans l’impossibilité d’acheter des blocs, ou seulement à des prix artificiellement élevés, ce qui fait qu’il leur était impossible de livrer efficacement concurrence sur le marché des produits finis ». Eu égard à la longueur de la période infractionnelle et au fait que les entreprises en question contrôlaient ensemble plus de 90 % du marché de l’EEE, il ne fait aucun doute, selon la Commission, que l’entente a eu des effets anticoncurrentiels réels sur ce marché (considérants 245 et 281 de la Décision).

83      Il y a lieu de rappeler que, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/7373, Rec. p. 1663, points 619 et 620 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr‑Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 235 ; du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 645, et du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, ci-après l’« arrêt ADM I », point 150).

84      S’agissant d’une entente sur les prix, il est légitime pour la Commission de déduire que l’infraction a eu des effets, du fait que les membres de l’entente ont pris des mesures pour appliquer les prix convenus, par exemple, en les annonçant aux clients, en donnant à leurs employés l’instruction de les utiliser comme base de négociation et en surveillant leur application par leurs concurrents et leurs propres services de vente. En effet, pour conclure à un impact sur le marché, il suffit que les prix convenus aient servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels, limitant ainsi la marge de négociation des clients (arrêts du Tribunal Hercules Chemicals/Commission, point 80 supra, points 340 et 341, du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, points 743 à 745, et du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 285).

85      En revanche, il ne saurait être exigé de la Commission, lorsque la mise en œuvre d’une entente est établie, de démontrer systématiquement que les accords ont effectivement permis aux entreprises concernées d’atteindre un niveau de prix de transaction supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence d’entente. À cet égard, la thèse selon laquelle seul le fait que le niveau des prix de transaction aurait été différent en l’absence de collusion peut être pris en considération afin de déterminer la gravité de l’infraction ne saurait être retenue (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 53 et 62). Par ailleurs, il serait disproportionné d’exiger une telle démonstration qui absorberait des ressources considérables étant donné qu’elle nécessiterait le recours à des calculs hypothétiques, basés sur des modèles économiques dont l’exactitude n’est que difficilement vérifiable par le juge et dont le caractère infaillible n’est nullement prouvé (conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855, I‑9858, point 109).

86      En effet, pour apprécier la gravité de l’infraction, il est décisif de savoir que les membres de l’entente avaient fait tout ce qu’il était en leur pouvoir de faire pour donner un effet concret à leurs intentions. Ce qui s’est passé ensuite, au niveau des prix de marché effectivement réalisés, était susceptible d’être influencé par d’autres facteurs, hors du contrôle des membres de l’entente. Les membres de l’entente ne sauraient porter à leur propre crédit, en en faisant des éléments justifiant une réduction de l’amende, des facteurs externes qui ont contrecarré leurs efforts (conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt Mo och Domsjö/Commission, point 85 supra, points 102 à 107).

87      Partant, la Commission pouvait légitimement se fonder sur la mise en œuvre de l’entente pour conclure à l’existence d’un impact sur le marché, après avoir relevé, de manière pertinente, que l’entente avait duré plus de onze ans et que les membres de ladite entente contrôlaient plus de 90 % du marché de l’EEE, et sans qu’il soit nécessaire de mesurer avec précision l’importance de cet impact.

88      S’agissant du bien-fondé des constatations dont la Commission a tiré cette conclusion, il y a lieu de relever que la requérante ne prouve ni même ne prétend qu’il n’y a pas eu mise en œuvre de l’entente.

89      La requérante a, certes, fait état d’un rôle « marginal » dans la mise en œuvre des pratiques illicites dans le domaine des produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques et d’une absence de vente à des tiers des blocs de carbone et de graphite. Elle a également fait valoir, dans le cadre d’un grief relatif à l’appréciation erronée de la Commission des circonstances atténuantes, la non‑application effective par elle-même de certains accords collusoires. Les arguments tirés par la requérante de son propre comportement ne sauraient, cependant, être retenus. En effet, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché, seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 80 supra, point 152, et Hercules Chemicals/Commission, point 80 supra, point 342).

90      Il résulte des écritures de la requérante que cette dernière se borne essentiellement à invoquer le fait que l’entente a eu un impact limité pour certains produits concernés et n’a été que partiellement mise en oeuvre, affirmation qui, à la supposer exacte, n’est pas de nature à démontrer que la Commission a, de manière erronée, évalué la gravité de l’infraction en prenant en compte le fait que les pratiques illicites en cause ont eu un effet anticoncurrentiel réel sur le marché EEE des produits concernés (arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 148).

91      Il convient encore de relever que à supposer même que l’impact concret de l’entente n’ait pas été établi à suffisance de droit par la Commission, la qualification de la présente infraction de « très grave » n’en demeurerait pas moins appropriée. En effet, les trois aspects de l’évaluation de la gravité de l’infraction n’ont pas le même poids dans le cadre de l’examen global. La nature de l’infraction joue un rôle primordial, notamment, pour caractériser les infractions « très graves ». À cet égard, il résulte de la description des infractions très graves par les lignes directrices que des accords ou des pratiques concertées visant notamment, comme en l’espèce, à la fixation des prix peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions graves mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière (arrêts du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 178, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 90 supra, point 150).

92      En ce qui concerne l’allégation d’une pratique antérieure de la Commission contraire à l’approche suivie dans la Décision, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour (arrêts de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, points 201 et 205, et du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec. p. I‑4405, point 60), une pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques. Force est de constater que la preuve d’une telle discrimination n’est pas rapportée en l’espèce par la requérante.

93      La requérante prétend, enfin, que, à supposer, quod non, que les pratiques incriminées puissent être qualifiées de « très graves », la Commission aurait dû fixer le montant de départ de l’amende au niveau le plus bas de l’échelle des amendes applicables aux infractions « très graves », précisément pour tenir compte de l’impact limité de ces pratiques sur les marchés en cause.

94      Par cette argumentation, la requérante semble soutenir que, même en admettant que l’infraction ait été justement qualifiée de « très grave », la Commission a violé le principe de proportionnalité en fixant à 35 millions d’euros le montant de départ de l’amende, lequel ne devrait pas dépasser 20 millions d’euros, eu égard à l’impact limité de l’infraction, en raison de l’absence de participation de la requérante à l’infraction commise sur le marché des blocs et des plaques de carbone et de graphite, sa participation marginale aux infractions commises dans le secteur des produits pour applications mécaniques et l’impact extrêmement limité des pratiques incriminées sur les marchés des produits pour applications électriques.

95      Il convient, toutefois, de rappeler que, ainsi qu’il a été exposé au point 89 ci-dessus, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché.

96      Il résulte, par ailleurs, des considérants 120 et 124 de la Décision que la Commission n’a pas conclu que l’entente avait eu un impact important pour tous les produits et clients concernés et qu’elle a même admis, au contraire, que cet impact avait pu être plus limité pour certains produits particuliers, comme l’indique la requérante qui fonde ses allégations sur les constatations de la Commission. La requérante ne prétend d’ailleurs ni a fortiori ne prouve que la Commission a décrit de manière erronée les effets de l’entente en les exagérant.

97      Il y a lieu de rappeler également que la requérante a participé à un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées portant sur des produits à base de carbone et de graphite qui sont destinés à des applications électriques et mécaniques ainsi que sur les blocs de carbone et de graphite à partir desquels ces produits sont fabriqués, l’ensemble de ce groupe de produits liés faisant l’objet d’une infraction complexe unique. Or, seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble pour l’évaluation de l’impact sur le marché (voir, en ce sens, arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 80 supra, point 152, et Hercules Chemicals/Commission, point 80 supra, point 342), et la requérante ne fait pas état d’un impact limité de l’entente pour les produits semi-finis, les produits pour applications mécaniques ni même, au demeurant, pour les produits pour applications électriques destinés aux « petits » clients.

98      Dans ces circonstances, le grief tiré du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende, au regard de l’impact prétendument limité des pratiques illicites incriminées, doit être rejeté.

 Sur le caractère prétendument excessif du montant de départ de l’amende, au regard de la faible implication de la requérante dans l’entente

99      La requérante expose que la Commission doit tenir compte, lors de la détermination de la gravité de l’infraction et donc du montant de départ de l’amende, de la gravité relative de la participation de chacune des entreprises incriminées. Se référant à l’arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Ventouris/Commission (T‑59/99, Rec. p. II‑5257, points 200 et 219), elle demande au Tribunal de réduire de manière substantielle le montant de l’amende, afin de tenir compte de son absence de participation aux pratiques mises en œuvre sur le marché des blocs de carbone et de graphite et du rôle mineur qu’elle a joué dans les pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques. En imposant à la requérante un montant de départ de 35 millions d’euros, identique à celui retenu à l’encontre de Morgan, et de 21 millions d’euros seulement à l’égard de Schunk et de SGL, alors que ces trois dernières entreprises ont participé à l’ensemble des pratiques visées par la Décision, la Commission aurait violé le principe d’égalité de traitement.

100    Comme le souligne à juste titre la Commission, l’argumentation de la requérante procède d’une confusion entre l’appréciation de la gravité de l’infraction, qui sert à déterminer le niveau de départ de l’amende et celle de la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune des entreprises concernées, cette dernière question devant être examinée dans le cadre de l’éventuelle application de circonstances aggravantes ou atténuantes.

101    Ainsi qu’il a déjà été exposé, la Commission a, dans le cadre de son appréciation de la gravité de l’infraction et conformément aux lignes directrices, pris en compte la nature de cette infraction, l’impact réel de celle-ci sur le marché en cause et l’ampleur géographique de ce dernier.

102    Lorsque la Commission se fonde sur l’impact de l’infraction pour en évaluer la gravité, conformément au point 1 A, premier et deuxième alinéas, des lignes directrices, les effets à prendre en compte à ce titre sont ceux résultant de l’ensemble de l’infraction à laquelle toutes les entreprises ont participé (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 80 supra, point 152), de sorte qu’une prise en considération du comportement individuel ou de données propres à chaque entreprise n’est pas pertinente à cet égard.

103    La référence à l’arrêt Ventouris/Commission, point 99 supra (points 200 et 219) est également dépourvue de toute pertinence, dans la mesure où il ne concerne pas une situation d’infraction unique, comme en l’espèce, mais celle de la sanction par la Commission de deux infractions distinctes. Dans cet arrêt, le Tribunal constate que la Commission a sanctionné de la même façon les entreprises ayant pris part aux deux infractions et celles n’ayant participé qu’à l’une d’entre elles, en méconnaissance du principe de proportionnalité. La partie requérante, qui n’avait pas participé à l’une des deux infractions mais qui avait été sanctionnée comme si elle avait participé aux deux infractions, a bénéficié d’une réduction du montant de son amende par le Tribunal.

104    Dans le cas présent, la requérante ne conteste pas l’existence d’une infraction unique et sa participation à celle-ci. Elle soutient uniquement que la gravité relative de sa participation est moins importante que celle d’autres entreprises impliquées, comme Morgan, Schunk et SGL. L’argumentation de la requérante développée à l’appui de cette allégation sera donc examinée dans le cadre des griefs tirés de l’appréciation erronée des circonstances atténuantes par la Commission.

 Sur le caractère prétendument excessif du montant de départ de l’amende au regard des chiffres d’affaires de la requérante

105    Eu égard à la grande disparité de taille entre les entreprises concernées et afin de tenir compte du poids spécifique de chacune d’entre elles et, donc, de l’incidence réelle de leur comportement infractionnel sur la concurrence, la Commission a, conformément au point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, procédé à un traitement différencié des entreprises ayant participé à l’infraction. À cette fin, elle a réparti les entreprises concernées en trois catégories, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires réalisé par chaque entreprise pour les produits concernés par la présente procédure à l’échelle de l’EEE, en y incluant la valeur de la consommation captive de chaque entreprise. Il en résulte un chiffre de part de marché qui représente le poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction et sa capacité économique effective à causer un dommage important à la concurrence (considérants 289 à 291 de la Décision).

106    La comparaison a été fondée sur les données relatives au chiffre d’affaires (exprimé en millions d’euros) imputable aux produits en question portant sur la dernière année de l’infraction, à savoir 1998, telles qu’elles ressortaient du tableau 1 figurant au considérant 37 de la Décision  et intitulé « Estimation du chiffre d’affaires (y compris la valeur correspondant à l’usage captif) et des parts de marché dans l’EEE, en 1998, pour le groupe de produits faisant l’objet de la procédure » :

Fournisseurs

Chiffre d’affaires (y compris la valeur de l’usage captif)

Part de marché dans l’EEE

(en %)

Conradty

9

3

Hoffmann

17

6

[LCL]

84

29

Morgan

68

23

Schunk

52

18

SGL

41

14

Divers

20

7

Total

291

100


107    En conséquence, la requérante et Morgan, considérées comme étant les deux plus grands opérateurs avec des parts de marché supérieures à 20 %, ont été classées dans la première catégorie. Schunk et SGL, qui sont des opérateurs moyens avec des parts de marché comprises entre 10 et 20 %, ont été placées dans la deuxième catégorie. Hoffmann et Conradty, considérées comme étant de petits opérateurs en raison de parts de marché inférieures à 10 %, ont été regroupées dans la troisième catégorie (considérants 37 et 297 de la Décision).

108    Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, de 35 millions d’euros pour la requérante et Morgan, de 21 millions d’euros pour Schunk et SGL et de 6 millions d’euros pour Hoffmann et Conradty (considérant 298 de la Décision).

109    Dans le cadre de son grief, la requérante soutient que la Commission était tenue de prendre en compte le chiffre d’affaires provenant des ventes des produits en cause dans l’EEE et que le montant de départ de 35 millions d’euros retenu par la Commission est disproportionné par rapport au chiffre d’affaires réalisé sur chacun des marchés concernés (ledit montant représentant 41,7 % du chiffre d’affaires de 84 millions d’euros mentionné dans la Décision, 46,3 % du chiffre d’affaires pour les produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et 421 % du chiffre d’affaires pour les produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques), conclusion qui s’imposerait au regard de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et de la jurisprudence. Cette dernière imposerait que le montant de l’amende soit « raisonnablement en rapport » avec le chiffre d’affaires réalisé sur le marché pertinent.

110    Il convient de rappeler, premièrement, que, selon une jurisprudence constante de la Cour (arrêts JCB Service/Commission, point 92 supra, points 201 et 205, et Britannia Alloys & Chemicals/Commission, point 92 supra, point 60), une pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques.

111    Force est de constater que la requérante ne rapporte pas la preuve d’une telle discrimination. Elle fait valoir, d’une manière générale, que l’analyse de la pratique décisionnelle récente de la Commission révèle que le montant de départ le plus élevé généralement retenu dans les affaires portant sur des infractions « très graves » et mises en œuvre au niveau mondial ou sur l’ensemble du territoire de l’EEE représente généralement entre 10 et 20 % du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise concernée sur les marchés pertinents. La requérante souligne que, dans l’affaire des graphites spéciaux, la Commission lui aurait imposé un montant de départ de 7,5 millions d’euros, représentant environ 14,5 % du chiffre d’affaires mondial réalisé au titre de la vente des produits concernés.

112    Cette allégation est contredite par la Commission qui fournit des exemples de décisions dans lesquelles elle a retenu des montants de départ dépassant 20 % du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises concernées sur le marché pertinent. La Commission cite, ainsi, le cas de Asea Brown Boveri Ltd qui, dans le cadre de la décision 1999/60/CE, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/35.691/E-4 − Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1), rectifiée avant sa publication, a fait l’objet d’un montant de départ d’amende de 50 millions d’euros représentant 23 % du chiffre d’affaires réalisé avec les produits en cause. La Commission évoque également la décision 2003/437/CE, du 11 décembre 2001, relative à une procédure engagée au titre de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/37.027 – Phosphate de zinc) (JO 2003, L 153, p. 1), dans laquelle le montant de départ de 3 millions d’euros représentait près de 100 % du chiffre d’affaires de chacun des quatre principaux membres de l’entente sur le marché concerné.

113    En outre, il importe de rappeler que la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127). Le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait donc la priver de la possibilité d’élever, à tout moment, ce niveau pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109), et pour renforcer l’effet dissuasif des amendes (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 179).

114    Il convient de relever, deuxièmement, que, contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en question, d’effectuer son calcul de l’amende à partir de montants fondés sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées et plus particulièrement le chiffre d’affaires réalisé avec les produits en cause (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 255).

115    La gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 241, et la jurisprudence citée).

116    Sous réserve du respect de la limite supérieure que prévoit l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et qui se réfère au chiffre d’affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 113 supra, point 119), il est loisible pour la Commission de tenir compte du chiffre d’affaires de l’entreprise en cause afin d’apprécier la gravité de l’infraction lors de la détermination du montant de l’amende, mais il ne faut pas attribuer une importance disproportionnée à ce chiffre par rapport à d’autres éléments d’appréciation (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 257, et la jurisprudence citée).

117    En l’espèce, la Commission a fait application de la méthode de calcul définie dans les lignes directrices et qui prévoit la prise en compte d’un grand nombre d’éléments lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction pour fixer le montant de l’amende, parmi lesquels figurent notamment la nature propre de l’infraction, l’impact concret de celle-ci, l’étendue géographique du marché affecté et la nécessaire portée dissuasive de l’amende. Bien que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires pertinent, elles ne s’opposent pas à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin de respecter les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, points 258 et 260).

118    Il en découle que, s’il ne saurait être nié, comme le souligne la requérante, que le chiffre d’affaires des produits en cause peut constituer une base appropriée pour évaluer, ainsi que l’a fait la Commission dans la Décision, les atteintes à la concurrence sur le marché des produits concernés au sein de l’EEE ainsi que l’importance relative des participants à l’entente par rapport aux produits en cause, il n’en demeure pas moins que cet élément ne constitue pas, de loin, l’unique critère selon lequel la Commission doit apprécier la gravité de l’infraction.

119    Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, ce serait attribuer à cet élément une importance excessive que de limiter l’appréciation du caractère proportionné du montant de départ de l’amende retenu par la Commission à la mise en relation entre ledit montant et le chiffre d’affaires des produits en question. La nature propre de l’infraction, l’impact concret de celle-ci, l’étendue géographique du marché affecté et la nécessaire portée dissuasive de l’amende sont autant d’éléments, en l’espèce pris en considération par la Commission, pouvant justifier le montant susmentionné. À cet égard, la Commission a retenu, à juste titre, la qualification d’infraction « très grave », dans la mesure où la requérante a participé à une entente horizontale ayant eu pour objet essentiellement de fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel et qui a eu un impact concret sur le marché des produits en cause dans l’EEE.

120    S’agissant, troisièmement, de l’allégation du caractère disproportionné du montant de départ par rapport au chiffre d’affaires réalisé sur « chacun des marchés concernés », elle revient à faire abstraction de la qualification d’infraction unique que la requérante a admis expressément dans ses écritures. Ainsi la relation opérée par la requérante entre le montant de départ et les chiffres d’affaires réalisés pour les produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques, d’une part, et mécaniques, d’autre part, est dépourvue de pertinence, et seul peut être pris en compte le rapport entre ledit montant et le chiffre d’affaires réalisé sur le marché pertinent, estimé à 84 millions d’euros dans la Décision.

121    Or, le fait que le montant de départ de l’amende soit presque équivalent à la moitié dudit chiffre d’affaires n’est pas, en soi, concluant. En effet, ce montant de 35 millions d’euros ne constitue qu’un montant intermédiaire qui, dans le cadre de l’application de la méthode définie par les lignes directrices, fait ensuite l’objet d’adaptations en fonction de la durée de l’infraction et des circonstances aggravantes ou atténuantes constatées (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 95).

122    En ce qui concerne spécifiquement les infractions devant être qualifiées de « très graves », les lignes directrices se limitent à indiquer que les montants d’amendes envisageables vont « au-delà de 20 millions d’[euros] ». Les seuls plafonds mentionnés dans les lignes directrices qui soient applicables en ce qui concerne de telles infractions sont la limite générale de 10 % du chiffre d’affaires global fixée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [voir préambule et point 5, sous a), des lignes directrices] – dont la violation n’est pas alléguée en l’espèce – et les plafonds relatifs au montant additionnel pouvant être retenu au titre de la durée de l’infraction (voir point 1 B, premier alinéa, deuxième et troisième tirets, des lignes directrices). Rien, dans les lignes directrices, ne s’oppose, pour une infraction « très grave », à une augmentation d’un niveau en valeur absolue identique à celle appliquée par la Commission en l’espèce.

123    Selon la jurisprudence, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n’interdit pas à la Commission de se référer, pour son calcul, à un montant intermédiaire dépassant la limite générale de 10 % du chiffre d’affaires global. Il ne s’oppose pas non plus à ce que des opérations de calcul intermédiaires prenant en compte la gravité et la durée de l’infraction soient effectuées sur un montant supérieur à ladite limite (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 278).

124    La requérante ne saurait, enfin, utilement se prévaloir de l’arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 113 supra, et de l’arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T‑77/92, Rec. p. II‑549), dans la mesure où ces décisions concernent la fixation du montant final de l’amende et non celle du montant de départ de l’amende au regard de la gravité de l’infraction et où la Commission n’a pas, en l’espèce, fondé son calcul dudit montant sur le chiffre d’affaires global de la requérante (voir, en ce sens, arrêt Cheil Jedang/Commission, point 121 supra, points 98 et 99, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, Rec. p. II‑1881, point 156).

125    Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré du caractère excessif du montant de départ de l’amende au regard des chiffres d’affaires de la requérante doit être rejeté.

 Sur la prise en compte de l’effet dissuasif de l’amende

126    La requérante reproche, en premier lieu, à la Commission, pour la première fois dans la réplique, d’avoir violé l’article 253 CE en ce qui concerne la prise en compte de la nécessaire portée dissuasive de l’amende.

127    Il résulte de la jurisprudence que le moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge communautaire (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 67), et qui, par conséquent, peut être invoqué par les parties à tout stade de la procédure (arrêt de la Cour du 20 février 1997, Commission/Daffix, C‑166/95 P, Rec. p. I‑983, point 25, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 125).

128    Il est de jurisprudence constante que la motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de la motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté (voir arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 127 supra, point 63, et la jurisprudence citée).

129    En ce qui concerne la fixation d’amendes au titre de la violation du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (voir, en ce sens, arrêt Cascades/Commission, point 85 supra, points 38 à 47 ; voir, également, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 1532). L’indication de données chiffrées relatives au mode de calcul des amendes, pour utiles que soient de telles données, n’est pas indispensable au respect de l’obligation de motivation (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission, C‑182/99 P, Rec. p. I‑10761, point 75).

130    Pour ce qui est de la motivation des montants de départ en termes absolus, il y a lieu de rappeler que les amendes constituent un instrument de la politique de la concurrence de la Commission qui doit pouvoir disposer d’une marge d’appréciation dans la fixation de leur montant afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59). De plus, il importe d’éviter que les amendes soient facilement prévisibles par les opérateurs économiques. Dès lors, il ne saurait être exigé que la Commission fournisse à cet égard des éléments de motivation autres que ceux relatifs à la gravité de l’infraction.

131    S’agissant, en l’espèce, de l’allégation d’absence de motivation de la Décision concernant la prise en compte, lors de la détermination du montant de départ, de l’effet dissuasif et d’une absence d’individualisation de cet élément, il importe de relever, premièrement, que la dissuasion constituant une finalité de l’amende, l’exigence de l’assurer constitue une exigence générale devant guider la Commission tout au long du calcul de l’amende et n’appelle pas nécessairement que ce calcul soit caractérisé par une étape spécifique destinée à une évaluation globale de toutes circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de cette finalité (arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 226).

132    Aux fins de la prise en compte de l’objectif de dissuasion, la Commission n’a pas défini dans les lignes directrices de méthodologie ou de critères individualisés dont l’exposition spécifique serait susceptible d’avoir force obligatoire. Le point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices, dans le contexte des indications concernant l’évaluation de la gravité d’une infraction, mentionne seulement la nécessité de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

133    Il convient de relever, deuxièmement, que, contrairement aux affirmations de la requérante, la Commission a expressément souligné la nécessité de fixer les amendes à un niveau dissuasif lorsqu’elle a exposé l’approche générale suivie pour la fixation des amendes, qu’elle a appliqué aux participants à l’entente un traitement différencié en fonction de leur part de marché et qu’elle a fixé le montant de départ de l’amende de LCL à 35 millions d’euros (considérants 271 et 289 de la Décision).

134    Il résulte clairement de la Décision que, pour fixer le montant de départ de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission a, d’une part, qualifié l’infraction en tant que telle en tenant compte d’éléments objectifs, à savoir la nature même de l’infraction, son impact sur le marché et l’étendue géographique de ce marché et, d’autre part, pris en compte des éléments subjectifs, à savoir le poids spécifique de chacune des entreprises impliquées dans l’entente et, partant, l’incidence réelle de leur comportement illicite sur la concurrence. C’est dans le cadre de cette seconde partie de son analyse qu’elle a, notamment, poursuivi l’objectif d’assurer un niveau dissuasif de l’amende, au regard du poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction et de sa capacité économique effective à causer un dommage important à la concurrence sur le marché en cause. Au terme de son évaluation de la gravité de l’infraction, la Commission a fixé directement un montant de départ tenant compte de l’ensemble des éléments précités.

135    Il apparaît ainsi que la Commission a indiqué dans la Décision, conformément à la jurisprudence citée au point 129 ci-dessus, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité de l’infraction commise et qu’il ne saurait, dès lors, lui être reproché une violation de l’article 253 CE.

136    La requérante fait valoir, en deuxième lieu, que, en majorant le montant de départ au titre de l’effet dissuasif, la Commission a violé le principe non bis in idem. Selon la requérante, la Commission justifie, à tort, dans la Décision et dans le mémoire en défense, deux aggravations successives du montant de l’amende en se fondant sur la même raison, à savoir la connaissance et la conscience du caractère illégal des pratiques incriminées. La requérante prétend que, ce faisant, la Commission la condamne deux fois sur le même fondement et viole ainsi le principe susmentionné.

137    Il convient de rappeler qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal que la requête introductive d’instance doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (arrêts du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T‑37/89, Rec. p. II‑463, point 38, et du 17 juillet 1998, Thai Bicycle/Conseil, T‑118/96, Rec. p. II‑2991, point 142).

138    Il est constant que le grief tiré de la violation du principe non bis in idem a été soulevé pour la première fois par la requérante dans la réplique en réponse à un prétendu nouveau moyen de défense de la Commission selon lequel il lui est loisible de fixer le montant de l’amende en tenant compte de l’effet dissuasif de celui-ci, spécialement quand il s’agit d’une infraction classique au droit de la concurrence.

139    Cette simple observation formulée par la Commission dans le mémoire en défense ne peut être considérée comme un élément de droit ou de fait s’étant révélé au cours de la procédure, étant rappelé que, dans la Décision, la Commission a clairement indiqué la nécessité de veiller à ce que l’amende soit fixée à un niveau qui lui assure un effet suffisamment dissuasif. En outre, l’allégation spécifique de la violation du principe non bis in idem, au regard de l’application de l’effet dissuasif, ne constitue pas l’ampliation d’un grief énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance.

140    Dans ces circonstances, le grief tiré de la violation du principe non bis in idem doit être rejeté comme irrecevable.

141    La requérante fait valoir, en troisième lieu, que le recours à l’effet dissuasif était, en tout état de cause, inutile et, par conséquent, infondé. La requérante soutient avoir opéré un changement radical et réel dans la gestion de sa politique commerciale dès l’ouverture de la procédure aux États-Unis en avril 1999 et bien avant toute intervention de la Commission, ce qui démontre qu’elle a déjà été dissuadée de commettre toute nouvelle infraction aux règles de concurrence. Dès lors, il convient, selon la requérante, d’annuler la majoration de l’amende infligée au titre de l’effet dissuasif et de réduire de manière substantielle le montant de départ de l’amende.

142    Il y a lieu de constater que le grief susvisé doit également être rejeté comme irrecevable sur le fondement de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, et ce pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 139 ci-dessus.

143    En tout état de cause, il ressort de la jurisprudence que, s’il est certes important qu’une entreprise prenne des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, la prise de telles mesures ne change rien à la réalité de l’infraction constatée. La Commission n’est donc pas tenue de retenir un tel élément comme circonstance atténuante, d’autant plus lorsque l’infraction en cause constitue, comme en l’espèce, une violation manifeste de l’article 81 CE (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 373). Bien que la requérante invoque cette circonstance dans le cadre de la prise en compte de l’effet dissuasif de l’amende, et non formellement à titre de circonstance atténuante, la même solution doit s’appliquer en l’espèce.

144    Il convient, à cet égard, de relever qu’il est impossible de déterminer le degré d’efficacité des mesures internes prises par une entreprise pour prévenir la réitération d’infractions au droit de la concurrence. Dans le cas présent, et ainsi que le souligne à juste titre la Commission, le changement radical et réel dans la gestion de la politique commerciale de la requérante, qui serait intervenu dès l’annonce en avril 1999 de l’ouverture d’une procédure aux États-Unis et se serait traduit par la mise en place d’un programme strict de respect des règles de concurrence, n’a pas conduit la requérante à dénoncer le cartel visé par la Décision, la requérante n’ayant accepté de coopérer qu’une fois informée de l’enquête de la Commission.

145    Par conséquent, le grief tiré d’une appréciation erronée de l’effet de dissuasion et la demande corrélative de réduction du montant de l’amende ne sauraient être accueillis.

 Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

146    Il convient de rappeler que le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêts de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products/Commission, 265/85, Rec. p. 1155, point 44, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C‑152/88, Rec. p. I‑2477, point 26), étant précisé que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, que lui aurait fournies l’administration (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, ci-après l’« arrêt Tokai I », point 152, et la jurisprudence citée).

147    En l’espèce, la requérante se contente d’affirmer que les services compétents de la Commission lui ont fourni des « indications », sur la base desquelles elle pouvait légitimement « espérer » que, compte tenu de sa contribution à l’établissement de l’infraction, le montant de départ n’excéderait pas 20 millions d’euros. Il suffit de constater que cette description faite par la requérante elle-même de sa relation avec l’administration ne correspond pas à la fourniture d’assurances précises par les services de la Commission. La référence à un entretien téléphonique au cours duquel un agent de la Commission aurait indiqué à la requérante que l’amende serait nécessairement supérieure à 15 millions d’euros, « dans l’hypothèse où la Commission appliquerait un montant de départ de 20 millions d’euros » est, à cet égard, dépourvue de toute pertinence quant à la preuve d’assurances précises, s’agissant de l’expression par la Commission d’une simple hypothèse.

148    Il s’ensuit que le grief tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté.

149    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les griefs tirés d’une appréciation erronée de la gravité de l’infraction et du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende doivent être écartés.

 Sur la durée de l’infraction

150    Conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence.

151    En ce qui concerne le facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret).

152    Au considérant 300 de la Décision, la Commission a indiqué que toutes les entreprises avaient commis une infraction de longue durée et que les montants de départ des amendes devaient, par conséquent, être majorés de 10 % par année complète d’infraction et de 5 % pour toute période supplémentaire égale ou supérieure à six mois, mais inférieure à un an, ce qui a conduit à une majoration du montant de départ de l’amende de 105 % pour la requérante, eu égard à sa participation à l’infraction pendant une période de dix ans et huit mois.

153    Il importe de relever, en premier lieu, que la requérante ne conteste pas expressément la durée de la période infractionnelle retenue par la Commission. Toutefois, elle indique, au point 140 de la requête, que la Commission a majoré le montant de départ de l’amende de 105 % pour une infraction de dix ans et huit mois, et ce « en dépit du fait [qu’elle] a mis fin à l’infraction au moins six mois avant les autres participants ». Cette dernière allégation est reprise dans la discussion sur les circonstances atténuantes et la prise en compte du fait que la requérante aurait cessé l’infraction avant même l’intervention de la Commission et « au plus tard en juin 1999 » (point 165 de la requête). Il apparaît ainsi qu’il n’y a pas de désaccord entre la requérante et la Commission au sujet de la durée de la période infractionnelle, laquelle a débuté en octobre 1988 et s’est achevée en juin 1999 selon le considérant 299 de la Décision.

154    Il convient, en second lieu, de relever que la requérante prétend que, en majorant le montant de départ de 105 %, la Commission a violé les principes de sécurité juridique et de proportionnalité et invoque uniquement à l’appui de cette affirmation la pratique décisionnelle en la matière de la Commission, laquelle révélerait une majoration maximale de 100 %, même pour des infractions d’une durée supérieure à 20 ans.

155    Il suffit, cependant, de constater que la requérante elle-même a fourni un exemple de décision de la Commission comportant une majoration de 125 % pour une infraction d’une durée de douze ans et dix mois, à savoir la décision 2003/674/CE de la Commission, du 2 juillet 2002, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire C.37.519 – Méthionine) (JO 2003, L 255, p. 1). Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal (arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897) qui a validé la durée de l’infraction retenue par la Commission, mais n’a pas eu à se prononcer sur le montant de la majoration appliquée au titre de celle-ci.

156    En outre, dans le mémoire en défense, la Commission a fourni d’autres exemples de décisions dans lesquelles elle a appliqué des majorations supérieures à 100 %, lesquels n’ont pas été contestés par la requérante dans la réplique.

157    Par ailleurs, selon une jurisprudence constante (arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, point 33, et la jurisprudence citée), il n’est pas justifié que les opérateurs économiques placent leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions communautaires.

158    Or, dans le domaine des règles communautaires de concurrence, il résulte clairement de la jurisprudence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 113 supra, point 109, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 237) que leur application efficace exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique de concurrence. En conséquence, le fait que la Commission a appliqué, par le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17.

159    Il importe, enfin, de souligner que l’augmentation du montant de départ de 105 % ne peut être considérée comme manifestement disproportionnée eu égard à la longue durée de l’infraction reconnue par la requérante.

160    Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de proportionnalité du fait de la majoration de 105 % du montant de départ au titre de la durée de l’infraction doit être rejeté.

 Sur les circonstances atténuantes

161    Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d’examiner la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune d’entre elles (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 83 supra, point 623, et Commission/Anic Partecipazioni, point 80 supra, point 150), afin de déterminer s’il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

162    Le point 3 des lignes directrices prévoit une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances atténuantes.

 Sur le défaut de prise en compte du rôle prétendument passif de la requérante

163    Le « rôle exclusivement passif ou suiviste » d’une entreprise dans la réalisation de l’infraction constitue, s’il est établi, une circonstance atténuante, conformément au point 3, premier tiret, des lignes directrices, étant précisé que ce rôle passif implique l’adoption par l’entreprise concernée d’un « profil bas », c’est-à-dire une absence de participation active à l’élaboration du ou des accords anticoncurrentiels (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 121 supra, point 167).

164    Il ressort de la jurisprudence que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d’une entreprise au sein d’une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l’entente (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 343) de même que son entrée tardive sur le marché ayant fait l’objet de l’infraction, indépendamment de la durée de sa participation à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, point 100), ou encore l’existence de déclarations expresses en ce sens émanant de représentants d’entreprises tierces ayant participé à l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Weig/Commission, T‑317/94, Rec. p. II‑1235, point 264).

165    La requérante affirme, en premier lieu, qu’elle n’a jamais été présente sur le marché des blocs de carbone et de graphite et n’a donc pas pu commettre d’infraction sur ce marché. En tout état de cause, à supposer qu’elle ait participé à l’infraction commise sur le marché des produits semi-finis, son rôle ne pourrait être qualifié que de passif dans la réalisation de cette infraction, ainsi que la Commission le reconnaîtrait au considérant 232 de la Décision.

166    Interrogée par le Tribunal, lors de l’audience, sur la portée exacte de cette argumentation, formulée dans le cadre d’un grief concernant la prise en compte de circonstances atténuantes et dont l’unique conclusion est une demande de réduction substantielle de l’amende, la requérante a précisé qu’elle n’avait pas pour objet une contestation de l’infraction retenue par la Commission mais la seule revendication d’un rôle passif.

167    S’agissant du comportement anticoncurrentiel lié à l’exclusion des tailleurs, la Commission explique, au considérant 154 de la Décision, que, en plus de vendre des produits finis à base de carbone, comme les balais de carbone, les membres du cartel vendaient aussi des blocs de carbone pressé, qui n’avaient pas encore été taillés ni usinés pour fabriquer des balais ou d’autres produits. Un certain nombre de tailleurs non membres de l’entente achètent ces blocs de carbone, les taillent et les transforment en produits finals qu’ils vendent aux clients. Tout en étant clients des membres du cartel, ces tailleurs représentent aussi pour eux une source de concurrence pour les produits finis.

168    Il ressort des considérants 154 à 166 de la Décision que la politique du cartel visait à limiter la concurrence que les tailleurs pouvaient exercer pour les produits finis fabriqués à partir de ces blocs, et ce en refusant de les approvisionner ou lorsqu’ils étaient approvisionnés, en fixant les prix pour les blocs de carbone livrés à des niveaux élevés.

169    Aux considérants 159 et 232 de la Décision, la Commission reproche clairement à la requérante d’avoir pris part à cette politique du cartel. Le considérant 232 de la Décision est ainsi libellé :

« En tout état de cause, la Commission n’accepte pas l’affirmation de [LCL] selon laquelle [il] n’a pas participé à l’activité du cartel consistant à exclure les ‘tailleurs’ au motif qu’[il] a utilisé tous les blocs qu’[il] a produits en interne. Ainsi qu’il est indiqué [au point] 7.8, [LCL] a en réalité pris part à la pratique du cartel consistant soit à ne pas vendre de blocs aux ‘tailleurs’, soit uniquement à des prix très élevés. En particulier, lors de la réunion du cartel du 14 octobre 1993, à la question ‘Devrions-nous vendre des blocs et renoncer à notre marge ou non ?’, [LCL] aurait déclaré qu’[il] ‘essaie de vendre le moins de blocs possible et estime qu’il est préférable de ne vendre qu’à ses propres sociétés’. Même si [LCL] n’avait pas [lui]-même participé au boycottage effectif des ‘tailleurs’,[il] a de toute évidence souscrit à la politique générale du cartel consistant à cesser d’approvisionner les ‘tailleurs’ ou à ne les approvisionner qu’à des prix très élevés et, comme les autres membres du cartel, [il] a tiré parti de la diminution de la concurrence en provenance des tailleurs. Ces éléments factuels suffisent pour établir la responsabilité de [LCL] ».

170    Il apparaît ainsi, que, contrairement aux affirmations de la requérante, le considérant 232 de la Décision ne contient aucunement la reconnaissance d’un rôle passif de la requérante, c’est-à-dire d’une absence de participation active à l’élaboration de l’accord anticoncurrentiel relatif à l’exclusion des tailleurs, mais révèle, au contraire, une prise de position explicite en faveur de la cessation de la fourniture de blocs aux tailleurs et même la préconisation d’une telle solution pour les membres de l’entente.

171    La requérante relève, en deuxième lieu, que la Commission reconnaît qu’elle n’a joué qu’un rôle mineur dans les pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques. En outre, selon les propres constatations de la Commission, la requérante aurait cessé de prendre part aux réunions du comité technique en avril 1999, soit huit mois avant la dissolution du cartel, ce qui aurait été considéré comme un problème majeur, tout au moins par Schunk.

172    Elle fait valoir, en substance, qu’elle n’a pas participé à de nombreuses réunions, organisées entre Morgan, Schunk et SGL en marge des réunions du comité technique et au cours desquelles la plupart des décisions importantes (notamment la fixation des prix et la répartition des clients) ont été adoptées et s’appuie sur le témoignage d’un de ses préposés, chef de produit international pour les produits pour applications mécaniques, lequel a souligné dans sa déclaration que, en dehors de trois réunions organisées dans le cadre de l’European Carbon and Graphite Association (ECGA, association européenne du carbone et du graphite) [les 2 avril 1998 à Bandol (France), 12 octobre 1998 à Berlin (Allemagne) et 8 avril 1999 à Stratford-upon-Avon (Royaume‑Uni)], [LCL] n’a participé à aucune autre réunion bilatérale ou multilatérale pour les produits mécaniques ».

173    Interrogée par le Tribunal, lors de l’audience, sur la portée exacte de cette argumentation, la requérante a précisé que le témoignage de son préposé se référait à la seule participation de l’intéressé et qu’elle ne contestait pas sa participation aux réunions du comité technique concernant les produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques.

174    Il résulte de la Décision que le fonctionnement de l’entente reposait essentiellement sur trois types de réunions, à savoir les réunions au sommet, les réunions du comité technique et les réunions locales, les deux premières ayant lieu deux fois par an. Les réunions du cartel au niveau européen avaient souvent lieu en marge de réunions de l’association professionnelle européenne du secteur, à savoir, dans un premier temps, l’Association of European Graphite Electrode Producers (AEGEP, association des producteurs européens d’électrodes de graphite), puis, par la suite, l’ECGA.

175    Les décisions sur les niveaux des prix et les augmentations se prenaient en principe annuellement, lors de la réunion d’automne du comité technique. À la suite d’une discussion, le comité technique convenait des augmentations de prix pour l’année suivante. Lorsque les membres du cartel n’arrivaient pas à s’entendre sur une augmentation pour un pays donné, la décision était généralement renvoyée à la réunion locale du cartel concernant le pays en question. Les augmentations des prix convenues lors des réunions du comité technique ou des réunions locales étaient ensuite ratifiées lors de la réunion au sommet (considérants 98 et 99 de la Décision).

176    La Commission indique que tant les réunions au sommet que celles du comité technique portaient sur les produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques, dénomination regroupant dans la Décision (considérant 4) les produits finis et semi-finis, étant précisé que le nombre de produits et la complexité des accords allant en augmentant, les réunions du comité technique ont souvent été scindées en deux séances distinctes, l’une consacrée aux produits pour applications électriques et l’autre aux produits pour applications mécaniques (considérants 75 et 76 de la Décision).

177    La requérante ne remet pas en cause les constatations de la Commission relatives au mode de fonctionnement de l’entente. Eu égard au fonctionnement de l’entente ainsi décrit, à la participation non contestée de la requérante aux réunions au sommet et du comité technique, déjà admise dans la réponse à la communication des griefs, au fait qu’un représentant de la requérante était le rapporteur officiel pour les réunions au sommet pour les produits mécaniques, la requérante ne saurait valablement revendiquer le bénéfice de la circonstance atténuante tenant au caractère exclusivement passif du rôle de l’entreprise.

178    Il convient, en outre, de relever que la requérante cherche à se voir reconnaître le bénéfice de ladite circonstance en mettant en exergue le comportement qu’elle a adopté à l’égard de certains accords collusoires ou pratiques illicites couverts par l’infraction, qualifiée, à juste titre, de complexe et d’unique par la Commission.

179    Force est de constater que le libellé même du point 3, premier tiret, des lignes directrices consacré à la circonstance atténuante en cause contredit la prétention de la requérante. Une simple lecture littérale du point 3, premier tiret, des lignes directrices, comprenant l’adverbe « exclusivement » et l’expression « réalisation de l’infraction », au singulier, permet de conclure qu’il ne suffit pas que, pendant certaines périodes de l’entente, ou à l’égard de certains accords de l’entente, l’entreprise concernée ait adopté un « profil bas » (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, point 254).

180    Par ailleurs, l’approche consistant à dissocier l’appréciation de l’attitude d’une entreprise selon l’objet des accords ou des pratiques concertées en cause apparaît pour le moins théorique lorsque ces derniers s’inscrivent dans une stratégie générale, qui détermine les lignes d’action des membres de l’entente sur le marché et limite leur liberté commerciale, visant à poursuivre un objectif anticoncurrentiel identique et un but économique unique, à savoir fausser l’évolution normale des prix et restreindre la concurrence sur le marché en cause.

181    Il importe, à cet égard, de souligner que c’est le constat de l’existence de cet unique et même objectif anticoncurrentiel partagé par les entreprises en cause qui a justifié la qualification d’infraction unique et continue retenue par la Commission dans la Décision. La Commission a aussi pris en compte un élément concret, à savoir le fonctionnement de l’entente elle-même. Au considérant 230 de la Décision, elle a ainsi indiqué que « [d]ans la présente procédure, les mêmes membres du cartel [avaient] coordonné leur comportement commercial lors des mêmes réunions pour un groupe entier de produits liés (bien que non substituables), que la totalité ou la quasi-totalité d’entre eux [avaient] fabriqués ou vendus ».

182    Il convient de relever qu’il résulte de l’arrêt Cheil Jedang/Commission, point 121 supra, invoqué par la requérante à l’appui de ses prétentions, que le mode de fonctionnement de l’entente sur la lysine était différent de celui du cartel qui a donné lieu à l’adoption de la Décision. La motivation de l’arrêt précité fait clairement apparaître l’existence de réunions collusoires spécifiques sur les volumes de ventes, distinctes des réunions portant sur la fixation des prix. En outre, le Tribunal a expressément pris en considération la faible dimension de la société Cheil Jedang dans son analyse ayant abouti à la reconnaissance d’un rôle passif de celle-ci dans l’entente sur les volumes de vente. La référence à l’arrêt précité apparaît, dès lors, dépourvue de toute pertinence au regard des circonstances du présent litige.

183    Dans ces conditions, si la Commission admet, certes, que la requérante, en raison de son chiffre d’affaires relativement peu élevé concernant les produits mécaniques, a joué un rôle moins important que Morgan, Schunk et SGL dans les activités du cartel qui portaient sur ces produits (considérant 192 de la Décision), il ne saurait être reconnu un « rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l’infraction » au profit d’une entreprise qui, comme la requérante, ne conteste pas avoir participé à une infraction unique ayant duré plus de dix ans et détenait la part de marché la plus importante et qui fonde sa revendication sur la prise en compte d’éléments relativement secondaires de ladite infraction. Ainsi, la Commission souligne, à juste titre, que :

–        la valeur du marché des produits pour applications mécaniques (70 millions d’euros uniquement, selon la requérante, en 1998) est faible par rapport à la valeur totale du marché en cause (qui s’élevait à 291 millions d’euros la même année) et clairement inférieure à celle des produits pour applications électriques ; d’où

–        l’objectif de l’entente, qui consistait à ne pas vendre de blocs à des tailleurs ou à les vendre à des prix très élevés, était de renforcer l’accord principal de l’entente sur les produits fabriqués à partir de ces blocs et de le défendre contre une concurrence éventuelle ; l’accord sur les blocs était donc accessoire à l’accord principal portant sur les produits finis (considérant 230 de la Décision).

184    Enfin, si le fait que la requérante a mis fin à sa participation à l’entente quelques mois seulement avant les autres membres du cartel ne justifie pas une réduction du montant de l’amende au titre de la circonstance atténuante tenant au « rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l’infraction », il convient de relever qu’il a été précisément pris en compte par la Commission par l’application d’une majoration pour la durée inférieure de 5 % à celle appliquée aux autres membres du cartel concernés.

185    Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré du défaut de prise en compte par la Commission du rôle prétendument passif de la requérante n’est pas fondé et doit être rejeté.

 Sur le défaut de prise en compte de la non-application effective de certains accords et/ou pratiques illicites

186    Il convient de relever, à titre liminaire, que la Commission souligne le fait que la requérante n’a pas soutenu dans sa réponse à la communication des griefs qu’elle n’aurait pas appliqué les accords en question, en tant que circonstance atténuante. La Commission considère que la non-reconnaissance d’une circonstance atténuante que la requérante n’a jamais invoquée ne saurait en aucun cas constituer un motif d’annulation d’une décision.

187    Cette position de la Commission ne peut être retenue.

188    L’article 4 du règlement (CE) n° 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81 CE] et [82 CE] (JO L 354, p. 18), applicable au moment des faits, prévoit seulement que les parties qui souhaitent faire connaître leur point de vue sur les griefs qui ont été retenus contre elles le font par écrit et peuvent exposer tous les moyens et faits utiles à leur défense dans leurs observations écrites. Pour établir les faits invoqués, elles peuvent joindre en tant que de besoin des documents et également proposer que la Commission entende des personnes qui sont susceptibles de confirmer lesdits faits. Il n’est donc aucunement exigé des entreprises destinataires d’une communication des griefs de formaliser spécifiquement des demandes de reconnaissance de circonstances atténuantes.

189    Il y a lieu de rappeler, en outre, que la communication des griefs est un acte préparatoire par rapport à la décision qui constitue le terme ultime de la procédure et dans laquelle la Commission se prononce sur les responsabilités des entreprises et, le cas échéant, sur les sanctions devant leur être infligées.

190    Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, et en particulier de la gravité et de la durée de l’infraction, qui sont les deux critères explicitement visés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Ainsi qu’il a été exposé, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, la Commission doit examiner la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune d’entre elles (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 83 supra, point 623, et Commission/Anic Partecipazioni, point 80 supra, point 150), afin de déterminer s’il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

191    Les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes, qui sont propres à chaque entreprise concernée. En particulier, le point 3 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances atténuantes, une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent amener à une diminution du montant de base de l’amende. Ainsi est-il fait référence au rôle passif d’une entreprise, à la non‑application effective des accords, à la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, à l’existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement poursuivi, au fait que l’infraction a été commise par négligence ainsi qu’à la collaboration effective de l’entreprise à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération.

192    Or, il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle-même imposées (voir arrêt Hercules Chemicals/Commission, point 80 supra, point 53, et la jurisprudence citée). En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées (arrêts du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, Rec. p. II‑2169, point 57 ; du 9 juillet 2003, Vlaams Gewest/Commission, T‑214/95, Rec. p. II‑717, point 89, et arrêt ADM I, point 83 supra, point 267).

193    Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthode exposée dans les lignes directrices et a examiné la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune des entreprises concernées. Le considérant 272 de la Décision est, à cet égard, parfaitement explicite, puisqu’il y est précisé que « [l]a Commission déterminera […] pour chaque entreprise s’il existe des circonstances aggravantes et/ou atténuantes » et que « [l]e montant de base de l’amende sera majoré ou réduit en conséquence ». Au considérant 316 de la Décision, la Commission indique qu’il est « conclu à l’absence de circonstances aggravantes ou atténuantes dans la présente affaire », ce qui signifie que, sur la base des résultats de son enquête et de la réponse de la requérante à sa communication des griefs, elle estime que la requérante ne peut bénéficier d’aucune circonstance atténuante, telle que, notamment, la non‑application effective des accords ou des pratiques infractionnelles mentionnée au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices sur le fondement desquelles la Commission a calculé le montant de l’amende.

194    La requérante est, dès lors, recevable à contester, devant le Tribunal, la conclusion de la Commission mentionnée au considérant 316 de la Décision et à revendiquer le bénéfice d’une circonstance atténuante et la réduction du montant de l’amende corrélative, étant rappelé que le Tribunal statue, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée.

195    Il doit encore être observé que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a clairement évoqué le fait qu’elle ne vendait pas de blocs et de plaques de graphite à des tiers et qu’elle avait eu un rôle mineur dans l’entente concernant les produits à base de carbone et de graphite pour applications mécaniques. Au point 78 de cette réponse, la requérante précise même qu’elle a fourni la déclaration d’un de ses responsables (à nouveau invoquée dans la réplique) dont il résulte qu’elle n’appliquait pas le barème fixé chaque année lors des réunions du comité technique relatif aux produits pour applications mécaniques et qu’elle s’est vu régulièrement reprocher par les autres opérateurs le non-respect des accords. Bien que la requérante n’ait pas expressément revendiqué, au point 78 de sa réponse, le bénéfice d’une circonstance atténuante, il y a lieu de constater que la question de la non-application effective des accords en cause, au sens du point 3, deuxième tiret, était clairement posée par la requérante.

196    Il convient donc de vérifier si la Commission a pu considérer, à bon droit, que la requérante ne pouvait pas bénéficier d’une circonstance atténuante au titre d’une non-application effective des accords, en vertu du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices. À cette fin, il importe de vérifier si les circonstances avancées par la requérante sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, qu’elle a clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en oeuvre cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci (arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, Daiichi Pharmaceutical/Commission, T‑26/02, Rec. p. II‑713, point 113).

197    La requérante fonde ses prétentions sur quatre circonstances précises qui révèlent que l’intéressée ne prétend pas s’être soustraite à toute application effective des accords illicites, mais qu’elle invoque une application seulement partielle de ceux-ci.

198    La requérante invoque, premièrement, le non-respect des prix convenus pour les produits destinés à des applications mécaniques et fait état, à cet égard, de l’existence de plaintes de ses concurrents. Elle se réfère à une note adressée par Schunk à la requérante le 18 septembre 1989 et à une déclaration du 18 septembre 2002 de l’un de ses préposés, M. G.

199    Dans la Décision (considérants 307 et 308), la Commission indique que, en ce qui concerne la requérante, il semble n’y avoir aucune plainte sérieuse, de la part des autres parties à l’entente, lui reprochant d’avoir pratiqué des prix trop bas, et ce jusqu’au premier semestre de 1999, époque à laquelle elle s’apprêtait à quitter le cartel. Elle ajoute que des tricheries occasionnelles sont une pratique courante dans les ententes, à partir du moment où les entreprises pensent pouvoir y recourir impunément et que l’on ne peut voir dans de telles tricheries la preuve que les accords conclus dans le cadre de l’entente ne sont pas mis en œuvre.

200    Le considérant 106 de la Décision fait référence à la note susvisée par laquelle Schunk se plaignait que la requérante vendait des anneaux de carbone à un client français donné à des prix inférieurs de 15 à 20 % au niveau français normal et invitait la requérante à une réunion pour examiner cette question et se faire expliquer selon quelle méthode ces prix avaient été fixés.

201    Il convient d’observer que ce document fait état de l’unique plainte d’un seul membre de l’entente concernant seulement la commercialisation des produits pour applications mécaniques et, plus précisément, d’un produit en particulier, alors qu’il en existe une très grande variété (considérant 9 de la Décision), destiné à « un client français donné ».

202    Dans sa déclaration du 18 septembre 2002, M. G. indique avoir participé à trois réunions, les 2 avril 1998 à Bandol, 12 octobre 1998 à Berlin et 8 avril 1999 à Stratford-upon-Avon. Il précise ce qui suit :

« Lors des trois réunions [auxquelles] j’ai assisté, [LCL] s’est vu reprocher par les autres concurrents de ne pas respecter les accords. Nous répondions que nous étions un acteur mineur sur le marché européen. »

203    La requérante prétend que, dans cette déclaration, M. G. a aussi fourni un exemple de plainte émanant de M. T. (Morganite Industries Inc., filiale américaine de Morgan), qui « reprochait à [LCL] d’avoir pratiqué des prix trop bas (hors barème) ». Cette mention ne figure pas dans la déclaration de M. G. produite aux débats par la requérante en annexe à la requête.

204    Il apparaît que le témoignage en cause ne concerne que trois réunions collusoires ayant eu lieu au cours d’une période allant du 2 avril 1998 au 8 avril 1999, soit une durée d’un an alors que la durée totale de l’infraction a été de dix ans et huit mois, et que les réunions au sommet et du comité technique avaient lieu, chacune, deux fois par an, sans compter les réunions locales.

205    En outre, eu égard à l’existence d’un lien de subordination entre l’auteur de la déclaration en cause, établie après l’envoi par la Commission de la demande de renseignements visée à l’article 11 du règlement n° 17, et la requérante qui a produit le témoignage en annexe à sa requête, ce dernier ne pourrait être accueilli que s’il était corroboré par des éléments documentaires objectifs émanant du dossier.

206    La requérante soutient que la déclaration de M. G. est corroborée par la note adressée par Schunk à la requérante le 18 septembre 1989. Or, ainsi que le fait valoir, à juste titre la Commission, cette déclaration, concernant le déroulement de réunions qui ont eu lieu entre le 2 avril 1998 et le 8 avril 1999, ne peut être corroborée par une plainte concernant, quant à elle, des événements datant de 1989, c’est-à-dire s’étant déroulés dix ans auparavant.

207    La requérante fait également référence à une déclaration des autres membres de l’entente retranscrite dans un compte rendu d’une réunion de l’ECGA du 19 avril 1996 dans les termes suivants :

« Deutsche Carbone [filiale allemande de LCL] a commencé ses activités dans le secteur des produits mécaniques sans aucune référence aux niveaux de prix existants. Il a été demandé à P. [LCL] de superviser ses activités et de s’assurer que les niveaux de prix établis soient respectés. »

208    Ce document vise donc les débuts d’activité d’une filiale de la requérante et ne préjuge en rien de l’attitude que la requérante a pu effectivement adopter postérieurement à cette réunion. La requérante ne fournit d’ailleurs aucun document révélant un comportement réellement indépendant et concurrentiel de sa filiale allemande après le compte rendu en question et un mécontentement persistant des autres membres de l’entente à ce sujet.

209    Enfin, la déclaration de M. G. n’est pas davantage corroborée par la déclaration d’un autre préposé de la requérante, en l’occurrence M. N. Ce dernier précise qu’il a participé aux réunions du comité technique concernant les produits pour applications électriques et mécaniques organisées dans le cadre de l’ECGA pendant la période allant de 1997 à avril 1999. Or, M. N. ne fait état d’aucune plainte d’un membre de l’entente au sujet du comportement de la requérante, alors que sa déclaration porte également sur la période allant du 2 avril 1998 au 8 avril 1999 visée dans la déclaration de M. G.

210    La requérante soutient, deuxièmement, qu’elle n’a pas pleinement mis en œuvre la politique générale du cartel sur le territoire français, placé en principe sous sa responsabilité, dans le domaine des produits destinés aux applications électriques. La requérante s’appuie sur le considérant 127 de la Décision selon lequel « [s]i les prix du barème OEM en vigueur aux Pays-Bas représentent le niveau 100 de l’indice, le barème réel en France, où le niveau des prix était le moins avantageux pour le cartel, n’était que de 61, et les prix réellement payés de 40 ».

211    Force est, cependant, de constater que cette affirmation de la requérante procède d’une lecture partielle et tronquée de la Décision.

212    Il importe de souligner que la demande de produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques se répartit entre de gros clients, en relativement petit nombre, et de petits clients, beaucoup plus nombreux. Pour les applications électriques, les plus gros clients sont les équipementiers automobiles et les producteurs de biens de consommation, qui constituent le secteur dit « OEM ». Ces clients, qui sont très peu nombreux et qui sont surtout de très grandes entreprises achètent, en très grandes quantités, un nombre limité de types de produits à base de carbone et de graphite et ont donc un important pouvoir de négociation (considérants 39, 40 et 124 de la Décision).

213    Le cartel a essayé de contrecarrer le risque que ces gros clients puissent tirer parti des écarts de prix entre pays. Une première stratégie a consisté à tenter d’harmoniser les prix à l’échelle européenne et se fondait sur une proposition de la requérante intitulée « Projet de tarification unique européenne pour les balais destinés aux constructeurs de machines électriques industrielles ». Cette stratégie des prix harmonisés à l’échelle européenne pour les clients du secteur OEM s’est révélée difficile à mettre en oeuvre dans la pratique, ainsi que cela ressort d’une réunion spéciale du comité technique sur les prix OEM qui s’est tenue le 22 février 1994 (considérants 126 et 127 de la Décision).

214    C’est précisément cette réunion, qui donne des indications sur la persistance d’écarts considérables entre les prix du barème et plus encore entre les prix réellement appliqués dans le secteur OEM d’un pays à l’autre, avec l’exemple de la situation française, que relate le considérant 127 de la Décision. Il s’agissait donc d’un écart assez généralisé, existant dans d’autres pays que la France, et qui ne trouve pas son origine dans une volonté de la requérante de se soustraire effectivement à l’application des accords collusoires. Au contraire, la requérante est même à l’origine d’une stratégie anticoncurrentielle des prix harmonisés à l’échelle européenne pour les clients du secteur OEM. La Commission observe encore que les membres de l’entente se sont, après la réunion du 22 février 1994, convenus de « resserrer l’écart ».

215    Il importe de souligner que la requérante ne conteste aucunement les constatations de la Commission faites au considérant 127 de la Décision, mais en fournit seulement au Tribunal une interprétation subjective qui l’avantage.

216    La requérante prétend, troisièmement, que la Commission a admis, au considérant 232 de la Décision, qu’elle « n’avait pas elle-même participé au boycottage effectif des ‘tailleurs’ ».

217    La lecture complète du considérant en cause révèle que l’allégation de la requérante est, une nouvelle fois, fondée sur une dénaturation des termes de la Décision.

218    Le considérant 232 de la Décision est ainsi libellé :

« En tout état de cause, la Commission n’accepte pas l’affirmation de [LCL] selon laquelle [il] n’a pas participé à l’activité du cartel consistant à exclure les ‘tailleurs’ au motif qu’[il] a utilisé tous les blocs qu’[il] a produits en interne. Ainsi qu’il est indiqué [au point] 7.8, [LCL] a en réalité pris part à la pratique du cartel consistant soit à ne pas vendre de blocs aux ‘tailleurs’, soit uniquement à des prix très élevés. En particulier, lors de la réunion du cartel du 14 octobre 1993, à la question ‘Devrions-nous vendre des blocs et renoncer à notre marge ou non ?’, [LCL] aurait déclaré qu’[il] ‘essaie de vendre le moins de blocs possible et estime qu’il est préférable de ne vendre qu’à ses propres sociétés’. Même si Carbone Lorraine n’avait pas [lui]-même participé au boycottage effectif des ‘tailleurs’, [il] a de toute évidence souscrit à la politique générale du cartel consistant à cesser d’approvisionner les ‘tailleurs’ ou à ne les approvisionner qu’à des prix très élevés et, comme les autres membres du cartel, [il] a tiré parti de la diminution de la concurrence en provenance des tailleurs. Ces éléments factuels suffisent pour établir la responsabilité de [LCL]. »

219    Il apparaît ainsi que la requérante a occulté les deux premiers mots de la phrase qu’elle cite et qui révèlent que l’analyse subséquente de la Commission est fondée sur une hypothèse. L’argumentation de la requérante étant uniquement fondée sur une lecture erronée du considérant 232 de la Décision, elle ne peut être que rejetée.

220    La requérante affirme, quatrièmement, que les notes prises par Morgan lors d’une réunion du comité technique du 4 octobre 1999 démontrent qu’elle s’est totalement désolidarisée du cartel, à tout le moins, pendant la dernière année de celui-ci.

221    La teneur de cette note est rapportée au considérant 186 de la Décision, étant observé que la requérante en fait la mention incomplète suivante :

« G. [Schunk] a recommandé d’exclure P. [la requérante], car aucune communication n’est possible. Un contrôle de la concurrence est toutefois possible par les trois autres parties. G. a en outre affirmé que P. pratiquait des prix défiant la concurrence. S. [Morgan], B. [SGL] et H. [filiale nationale de Morgan] n’ont pas encore constaté que P. cassait réellement les prix. G. a l’intention d’attaquer en leur adressant un message clair. »

222    Force est de constater que ce document est dépourvu de toute force probante. L’allégation de Schunk selon laquelle la requérante ne respectait plus les accords sur les prix n’est pas confirmée par les autres membres de l’entente présents à la réunion. En outre, le document en cause ne comporte aucune précision temporelle, à l’exception de la date de la réunion, soit le 4 octobre 1999, laquelle est postérieure à la date de la fin de la période infractionnelle retenue par la Commission à l’égard de la requérante, à savoir juin 1999.

223    Les circonstances invoquées par la requérante dans le cadre du présent grief, même appréciées dans leur ensemble, ne permettent pas de conclure que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, qu’elle a clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en oeuvre cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci.

224    Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré d’un défaut de prise en compte par la Commission de la circonstance atténuante relative à la non-application effective des accords infractionnels n’est pas fondé et doit être rejeté.

 Sur l’absence de prise en compte de la cessation de l’infraction avant le début de l’enquête

225    La requérante fait valoir qu’elle a mis fin aux pratiques incriminées au plus tard en juin 1999, soit plus de trois ans avant la première intervention de la Commission, et qu’elle a, dès cette époque, mis en place un programme de conformité aux règles de concurrence, appliqué au sein du groupe de manière systématique depuis plus de quatre ans.

226    Il convient, premièrement, de rappeler que les lignes directrices prévoient, en leur point 3, la diminution du montant de base pour les circonstances atténuantes particulières telles que, notamment, la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission. Cette circonstance atténuante devrait, a fortiori, s’appliquer, selon la requérante, lorsque la cessation du comportement infractionnel intervient avant lesdites interventions, comme en l’espèce.

227    Ce raisonnement ne peut être retenu par le Tribunal. En effet, il ne peut logiquement être question d’une circonstance atténuante, au sens de ce texte, que si les entreprises en cause ont été incitées à arrêter leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions en question. La finalité de cette disposition est d’encourager les entreprises à cesser leurs comportements anticoncurrentiels immédiatement lorsque la Commission entame une enquête à cet égard, de sorte qu’une réduction d’amende à ce titre ne saurait être appliquée dans le cas où l’infraction a déjà pris fin avant la date des premières interventions de la Commission. En effet, l’application d’une réduction dans de telles circonstances ferait double emploi avec la prise en compte de la durée des infractions pour calculer le montant des amendes (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Tokai II », point 291 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal Tokai I, point 146 supra, point 341).

228    Il y a lieu, en outre, de rappeler qu’une réduction de l’amende en raison de la cessation d’une infraction dès les premières interventions de la Commission ne saurait être automatique, mais dépend d’une évaluation des circonstances du cas d’espèce par la Commission, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation. À cet égard, l’application de cette disposition des lignes directrices en faveur d’une entreprise sera particulièrement adéquate dans une situation où le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause n’est pas manifeste. Inversement, son application sera moins adaptée, en principe, dans une situation où celui-ci est clairement anticoncurrentiel, à le supposer établi (arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren‑Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, point 281, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Salzgitter Mannesmann/Commission, C‑411/04 P, Rec. p. I‑959, et Tokai II, point 227 supra, points 292 et 294).

229    En l’espèce, il ne saurait être considéré que la requérante ait pu avoir un doute raisonnable quant au caractère anticoncurrentiel de son comportement, s’agissant de la participation à une entente horizontale sur les prix, infraction manifeste à l’article 81 CE, dont les membres ont cherché, au moyen de nombreuses précautions, à conserver le caractère secret pendant plus de dix ans.

230    Il convient, enfin, d’observer que, en l’espèce et tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tokai I, point 146 supra (point 341), c’est à la suite de l’intervention des autorités américaines de la concurrence et non de la Commission que la requérante a mis fin aux pratiques anticoncurrentielles en cause, ce que souligne précisément la Commission au considérant 311 de la Décision, sur la base des propres déclarations de la requérante. Une simple lecture littérale du point 3, troisième tiret, des lignes directrices permet donc de rejeter la revendication de la requérante.

231    S’agissant, deuxièmement, de la mise en place d’un programme de conformité aux règles de concurrence, il a déjà été exposé que, s’il est certes important qu’une entreprise prenne des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, la prise de telles mesures ne change rien à la réalité de l’infraction constatée. La Commission n’est donc pas tenue de retenir un tel élément comme circonstance atténuante (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 373), d’autant plus lorsque l’infraction en cause constitue, comme en l’espèce, une violation manifeste de l’article 81 CE. La circonstance, avancée par la requérante, que ce programme a été mis en place, avant l’intervention de la Commission, est dépourvue de pertinence, étant tout de même rappelé que les mesures en cause ont été adoptées après l’intervention des autorités américaines de la concurrence.

232    Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré d’un défaut de prise en compte par la Commission de la circonstance atténuante relative à la cessation de l’infraction avant le début de l’enquête et à la mise en place d’un programme de conformité aux règles de concurrence n’est pas fondé et doit être rejeté.

 Sur l’absence de prise en compte de la collaboration effective de la requérante à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération

233    Parmi les circonstances atténuantes mentionnées au point 3 des lignes directrices, figure, au sixième tiret, la « collaboration effective de l’entreprise à la procédure en dehors du champ d’application de la communication [sur la coopération] ».

234    Dans la Décision, il est précisé que la requérante a fait valoir, à l’appui de sa revendication de la circonstance atténuante en cause, le fait qu’elle a fourni à la Commission certains éléments d’information concernant le rôle de Gerken et les activités du cartel au cours de la période antérieure à octobre 1988 (considérant 314 de la Décision).

235    La Commission a rejeté la demande de la requérante en indiquant qu’elle n’a pas engagé de procédure à l’encontre de Gerken, n’a pas inclus dans le champ d’application de la présente procédure la période antérieure à octobre 1988 et que les informations qui ne l’aident « ni à établir l’existence d’une infraction, ni à déterminer le montant des amendes à infliger aux entreprises (si tant est que ce dernier type de coopération puisse être pris en considération) ne peuvent être qualifiées de coopération effective en dehors du champ d’application de la communication sur la [coopération] » (considérant 315 de la Décision).

236    Dans ses écritures, la requérante soutient que les éléments d’information qu’elle a fournis au cours de la procédure administrative ont non seulement clairement facilité la tâche de la Commission, mais auraient également mis en mesure cette dernière, d’une part, de ne pas accorder d’immunité d’amende à Morgan au titre de la communication sur la coopération et, d’autre part, d’établir la participation de Gerken aux activités du cartel, le fait que la Commission n’ait pas utilisé ces informations dans le sens indiqué étant indifférent.

237    Bien que la formulation employée fasse apparaître deux propositions distinctes, l’affirmation de la requérante selon laquelle elle a fourni des informations au cours de la procédure administrative qui ont clairement facilité la tâche de la Commission n’est étayée d’aucun exemple, à l’exception des éléments relatifs aux comportements de Morgan et de Gerken. Il apparaît ainsi que la revendication de la circonstance atténuante liée à une collaboration effective de la requérante en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération repose uniquement sur lesdits éléments d’information.

238    Il convient, à ce stade, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une réduction de l’amende au titre d’une coopération lors de la procédure administrative n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise en cause a permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin (arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, point 113 supra, point 36 ; voir arrêt BPB de Eendracht/Commission, point 164 supra, point 325, et la jurisprudence citée).

239    En outre, dans le cadre d’une interprétation de la jurisprudence susvisée conforme à l’esprit de celle-ci, le Tribunal a considéré que la fourniture d’informations ayant mis en mesure la Commission d’évaluer plus rigoureusement le degré de coopération d’une des entreprises impliquées dans un cartel lors de la procédure aux fins de la détermination du montant de son amende, et qui ont donc facilité la tâche de la Commission lors de son enquête, était constitutive d’une « collaboration effective en dehors du champ d’application de [la communication sur la coopération] » au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices (arrêt ADM I, point 83 supra, points 305 et 306).

240    Dans le cas présent, il suffit de constater que, ainsi qu’il ressort clairement de la Décision (considérants 265 à 266 et 319 à 321, article 1er de la Décision), la Commission n’a retenu aucun des éléments fournis par la requérante en lien avec le comportement de Gerken et de Morgan ni pour constater ou sanctionner une infraction au droit communautaire de la concurrence, ni pour évaluer plus rigoureusement le degré de coopération de l’entreprise aux fins de la détermination du montant de son amende. La Commission n’était donc pas tenue de récompenser par une réduction d’amende la collaboration invoquée par la requérante dans ce contexte, étant donné que celle-ci ne lui a pas effectivement facilité la tâche de constater l’existence d’une infraction et d’y mettre fin ou de déterminer le montant des amendes (voir, en ce sens, arrêt Tokai II, point 227 supra, point 368, confirmé sur pourvoi par arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, point 68 supra, point 87).

241    L’arrêt ADM I, point 83 supra, auquel la requérante se réfère pour justifier sa prétention, confirme, au contraire, le bien-fondé de la position de la Commission.

242    Ainsi, le Tribunal a décidé d’octroyer une réduction supplémentaire de 10 % à la partie requérante, au titre d’une collaboration effective de l’entreprise à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération, après avoir relevé que ladite partie avait effectivement informé la Commission de la destruction de documents par une autre entreprise impliquée dans le cartel et que ce fait avait été constaté dans un des considérants de la décision de la Commission et utilisé par celle-ci pour en déduire que la coopération de l’entreprise susvisée n’avait pas été totale, au sens du point B de la communication sur la coopération et ne justifiait donc pas une réduction de l’amende à ce titre (arrêt ADM I, point 83 supra, points 304 à 312).

243    En revanche, le Tribunal a constaté que les informations fournies par la partie requérante dans cette affaire concernant la préexistence supposée d’une concertation entre producteurs de lysine durant les années 70 et 80 n’avaient pas permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction quelconque, « dès lors que » la décision de l’institution ne visait l’entente que pour autant qu’elle avait débuté au mois de juillet 1990 entre lesdits producteurs (arrêt ADM I, point 83 supra, point 301).

244    À titre surabondant, il y a lieu de constater que les éléments d’information fournis par la requérante sont, en tout état de cause, dépourvus de pertinence.

245    En ce qui concerne la situation de Gerken, la requérante prétend avoir fourni des éléments d’information qui auraient permis à la Commission d’établir la participation de cette entreprise à l’entente en cause.

246    Dans la Décision, la Commission a répondu aux objections d’Hoffmann et de la requérante quant à l’absence d’envoi à Gerken d’une communication des griefs. Le considérant 266 de la Décision est ainsi libellé :

« De l’avis de la Commission, le rôle de Gerken était sensiblement différent de celui d’Hoffmann pendant la période pour laquelle Hoffmann est tenue responsable. En particulier, à la connaissance de la Commission, Gerken n’a jamais participé à une des réunions du cartel au niveau européen, que ce soit sous la forme de réunions du comité technique ou de réunions au sommet. On ne peut donc considérer que Gerken a été membre du cartel comme Hoffmann. Il se peut que Gerken, de même que certaines autres entreprises relativement petites, ait participé à l’une ou l’autre des réunions locales organisées par le cartel. Toutefois, les preuves dont dispose la Commission d’une telle participation sont très limitées et sporadiques, par opposition aux nombreux éléments de preuve que possède la Commission sur la participation continue d’Hoffmann pendant la période pour laquelle elle est tenue responsable. Enfin, il convient de noter qu’en qualité de ‘tailleur’, Gerken était dépendante de la fourniture continue de blocs à des prix raisonnables. La seule période où Gerken semble avoir été la plus disposée à suivre le cartel en termes de prix facturés aux clients est précisément la période qui suit l’acquisition, par SGL, de l’activité relative aux graphites spéciaux de l’entreprise américaine fournissant les blocs à Gerken. Toutefois, quelques années plus tard, Gerken semble s’être rétablie pour constituer un des rares concurrents restants du cartel au sein de l’EEE. Selon les notes prises par Morgan lors d’une réunion du comité technique le 11 décembre 1997, Gerken rendait visite à tous les gros utilisateurs finals aux Pays-Bas et en Belgique et proposait des prix inférieurs de 20 à 25 % : “ L’impression générale est que ‘G’ (Gerken) représente actuellement un danger encore plus grand qu’il y a deux ans. Absolument aucun contrôle ”. »

247    Au titre des éléments d’information fournis à la Commission censés apporter la preuve de la participation de Gerken à l’entente, la requérante se limite à produire la déclaration d’un de ses préposés, datée du 18 février 2003, faisant état de discussions entre la requérante et Gerken, pour la période allant de 1997 à 1999, sur les niveaux de prix respectifs dans le cadre d’appels d’offres, notamment, pour des balais de retour de courant utilisés dans le domaine ferroviaire ainsi que des balais pour moteurs électriques utilisés par les réseaux urbains. Cette déclaration est complétée par des tableaux récapitulatifs, établis par la requérante, concernant des appels d’offres lancés par des sociétés françaises de transports publics, avec l’indication, notamment, des marchés remportés par les entreprises incriminées ou du chiffre d’affaires, par type de produit, réalisé par chacun des concurrents.

248    Force est de constater que cette seule déclaration, complétée par des tableaux aux données dépourvues de pertinence pour certaines d’entre elles, n’était pas de nature à permettre à la Commission de constater l’existence d’une infraction de la part de Gerken, dans le sens d’une participation à l’entente en cause. Les éléments fournis par la requérante peuvent, tout au plus, constituer des indices d’une participation de Gerken à des aspects de l’infraction concernant exclusivement la France et certains produits spécifiques, étant observé que, au cours de la même année 1997, Gerken développait un comportement commercial agressif aux Pays-Bas et en Belgique (considérant 266 de la Décision). Ils ne démontrent pas que Gerken a participé à l’infraction unique et continue, couvrant l’EEE et un vaste groupe de produits à base de carbone et de graphite destinés à des applications électriques et mécaniques, ainsi que les blocs de carbone et de graphite à partir desquels ces produits sont fabriqués, définie dans la Décision (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Sigma Tecnologie/Commission, T‑28/99, Rec. p. II‑1845, points 40 à 52).

249    Par ailleurs, les développements de la requérante, figurant dans les mémoires déposés dans le cadre de la présente instance, sur la participation alléguée de Gerken à des réunions locales de l’entente et sur la prétendue contradiction dans la pratique décisionnelle de la Commission eu égard au traitement qui lui a été réservé dans la Décision par rapport à Gerken sont dépourvus de pertinence dans le cadre de l’appréciation de la pertinence des éléments d’information fournis à la Commission et censés démontrer la participation de Gerken à l’entente.

250    S’agissant de Morgan, la requérante prétend que les trois éléments d’information qu’elle a communiqués au cours de la procédure administrative démontrent que Morgan n’a satisfait à aucune des conditions prévues par le point B de la communication sur la coopération pour pouvoir bénéficier d’une immunité d’amende, en ce sens que cette entreprise n’a pas transmis à la Commission toutes les informations utiles concernant son implication dans les pratiques illicites et a même fourni des informations inexactes quant à la date de la cessation de sa participation auxdites pratiques.

251    La requérante se réfère, premièrement, au fait que, dans sa réponse à la communication des griefs (point 145), elle a indiqué à la Commission avoir contacté, en mars 2003, la division antitrust du ministère de la Justice américain afin de porter à sa connaissance les agissements d’une filiale de Morgan, qui lui paraissaient manifestement illicites au regard des règles de concurrence.

252    Elle invoque, deuxièmement, le fait que, dans sa réponse à la communication des griefs (point 137), elle a indiqué à la Commission que Morgan avait omis de l’informer que, dès le mois d’avril 1999 et par l’intermédiaire de sa filiale américaine Morganite Industries, elle faisait déjà l’objet d’une procédure aux États-Unis pour entente illicite sur les prix de produits à base de graphite.

253    S’agissant de ces deux premiers éléments d’information, il résulte de la lecture de la réponse à la communication des griefs qu’ils ne concernent en rien le cartel ayant fait l’objet de la Décision, puisqu’ils ont trait, pour le premier, à la Corée du Sud, et, pour le second, au marché américain. Contrairement aux affirmations de la requérante, les obligations de l’entreprise qui demande l’immunité sont limitées, logiquement, aux informations relatives aux pratiques anticoncurrentielles qui font l’objet de l’enquête. L’entente ayant fait l’objet de l’enquête de la Commission et de la Décision ne concerne pas la Corée du Sud ou les États-Unis, mais le territoire européen puis celui de l’EEE.

254    La requérante fait valoir, troisièmement, qu’elle a adressé à la Commission une copie des actes de mise en accusation, datés du 24 septembre 2003, de quatre anciens dirigeants de Morgan par un grand jury fédéral des États-Unis pour subornation de témoins et destruction ou dissimulation de documents pendant la période comprise entre avril 1999 et août 2001. Il ressortirait de ces actes que, au cours de la période concernée, Morgan a fait détruire et a dissimulé aux autorités américaines et communautaires de concurrence de nombreux documents relatifs aux accords sur la fixation des prix, et ce notamment pour pouvoir poursuivre l’application de ces accords jusqu’en août 2001, alors qu’elle avait déclaré avoir cessé toute participation à des pratiques illicites en décembre 1999.

255    La requérante fonde plus particulièrement ses allégations sur un passage ainsi libellé :

« Au cours de la période comprise entre avril 1999 et juin 1999, le groupe de travail constitué par CC-2 a visité les installations de Morgan en Europe et a retiré et dissimulé ou détruit tous les documents et registres contenus dans les dossiers de Morgan qui comportaient des preuves de l’accord sur la fixation des prix […] Les membres du groupe de travail, parmi lesquels CC-3, ont remis à CC-4 les documents recueillis faisant référence à l’accord sur la fixation des prix afin que CC-4 puisse dissimuler ces documents aux autorités américaines et européennes mais aussi afin que les documents puissent être conservés dans un lieu secret pour permettre à Morgan de continuer à appliquer l’accord sur la fixation des prix […] En août 2001, les employés ont détruit des documents concernés par l’enquête du grand jury sur instructions de CC-1. »

256    En ce qui concerne ce troisième élément d’information, il importe de souligner que, dans la Décision (considérant 67), la Commission a précisé que le ministère américain de la Justice avait annoncé, le 4 novembre 2002, que la filiale de Morgan aux États-Unis avait accepté de plaider coupable aux chefs d’accusation de participation à une entente internationale visant à fixer les prix de différents types de produits à base de carbone pour applications électriques, vendus aux États-Unis et dans d’autres pays et que la société mère du Royaume-Uni, Morgan, avait consenti à plaider coupable aux chefs d’accusation de tentatives d’obstruction à l’enquête. La Décision fait expressément état des actes de mise en accusation, du 24 septembre 2003, des quatre anciens responsables de Morgan par un grand jury fédéral pour subornation de témoins et destruction ou dissimulation de documents pendant la période comprise entre avril 1999 et août 2001.

257    Il est, en outre, constant que la Commission a reçu une lettre de Morgan datée du 30 octobre 2001, venant compléter les éléments déjà fournis au titre de sa demande de clémence formulée dès le 18 septembre 2001, dans laquelle il est clairement indiqué qu’« [i]l est évident que quelques employés ont retiré et/ou détruit de la documentation pertinente ».

258    Il apparaît ainsi que la Commission a été informée par Morgan elle-même, dès 2001, de l’existence de dissimulation et de destruction, par le propre personnel de cette entreprise, de documents afférents à l’entente dénoncée. La transmission des actes d’accusation par la requérante, en septembre 2003, n’a fait que confirmer la réalité d’agissements déjà connus et la volonté de Morgan de chercher, dans un premier temps, à masquer sa responsabilité, tout en fournissant des précisions sur les traductions concrètes de cette volonté.

259    Dans ces circonstances, le fait que Morgan a également indiqué, dans la lettre du 30 octobre 2001, qu’elle communiquerait à la Commission toute information supplémentaire obtenue et qu’elle n’a pas, près de deux ans plus tard et après la fourniture à la Commission d’un dossier comportant pas moins de 4789 pages concernant le cartel en cause, transmis les actes d’accusation du 24 septembre 2003 est dépourvu de pertinence.

260    Il convient, à cet égard, de relever que la requérante procède à une interprétation extensive de la teneur des documents concernés. Elle prétend qu’il résulte de ces derniers que Morgan a continué de participer à des pratiques illicites, tant aux États-Unis qu’en Europe, au moins jusqu’en août 2001 et non jusqu’en décembre 1999 comme il avait été indiqué à la Commission, ce qui expliquerait la non-transmission de ces documents par Morgan.

261    Le texte reproduit au point 255 ci-dessus fait état de la dissimulation de documents probants « pour permettre à Morgan de continuer à appliquer l’accord sur la fixation des prix ». À supposer même que ledit accord ne vise pas seulement le marché américain, mais concerne également le territoire européen, il ne résulte pas de ce texte, qui évoque uniquement un objectif à atteindre, ni des actes d’accusation de manière générale que cet accord a effectivement continué d’être appliqué par Morgan et d’autres opérateurs sur le marché européen après décembre 1999, date de cessation des pratiques illicites retenue dans la Décision, et jusqu’en août 2001. Compte tenu du fait que la requérante ne conteste pas que les autres membres de l’entente ont cessé leur participation au plus tard en décembre 1999, il est difficilement concevable qu’un cartel ait pu exister après décembre 1999.

262    Le fait que la Commission a finalement estimé que Morgan devait bénéficier d’une immunité d’amende dans la mesure où elle a, notamment, fourni des éléments de preuve déterminants, mis fin à sa participation à l’entente au plus tard au moment où elle a dénoncé celle-ci, fourni toutes les informations utiles, ainsi que tous les documents et éléments de preuve dont elle disposait au sujet de l’entente « au moment où elle a introduit sa demande », et maintenu une coopération permanente et totale tout au long de l’enquête relève d’une appréciation qu’il n’appartient pas au Tribunal de contrôler dans le cadre de la présente instance.

263    Compte tenu de ce qui précède, le grief tiré d’un défaut de prise en compte par la Commission de la circonstance atténuante relative à la collaboration effective de la requérante à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération n’est pas fondé et doit être rejeté.

264    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas établi que la Commission a commis des erreurs dans l’appréciation des circonstances atténuantes et que la demande de la requérante tendant à la réduction du montant de l’amende au titre de ces circonstances atténuantes doit être rejetée.

 Sur la coopération de la requérante durant la procédure administrative

 Sur la revendication de la réduction maximale de 50 %

265    Dans la communication sur la coopération, la Commission a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter (point A, paragraphe 3, de la communication sur la coopération).

266    Le point D de la communication sur la coopération prévoit :

« 1. Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.

2. Tel peut notamment être le cas si :

–        avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

–        après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »

267    En l’espèce, la requérante a bénéficié d’une réduction de 40 % du montant de son amende en vertu du point D de la communication sur la coopération.

268    Pour justifier son appréciation, la Commission fait valoir ce qui suit au considérant 324 de la Décision :

« [LCL] a demandé à bénéficier de mesures de clémence peu de temps après avoir reçu la lettre que la Commission lui a adressée en vertu de l’article 11 [du règlement n° 17]. Sa coopération est allée largement au-delà des réponses exigées par cette lettre. [LCL] a fourni spontanément un nombre considérable de documents d’époque, notamment plusieurs rapports sur des réunions du cartel qui n’étaient pas recensées dans la lettre adressée par la Commission en vertu de l’article 11. [LCL] a aussi fourni plusieurs déclarations signées de cadres et d’anciens cadres de l’entreprise attestant le rôle qu’ils ont joué dans les activités du cartel. Enfin, [il] a fourni une description détaillée et utile du marché de produit et des activités du cartel pour chaque type de client. Vu la quantité et la qualité des éléments de preuve déjà fournis par Morgan, les preuves fournies spontanément par [LCL] ainsi que par les autres entreprises demandant à bénéficier de mesures de clémence n’ajoutent qu’une faible valeur ajoutée aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission. La Commission considère cependant que l’ensemble des éléments de preuve fournis spontanément par [LCL] a contribué à confirmer l’existence de l’infraction. »

269    La Commission a également relevé que, après avoir reçu la communication des griefs, la requérante l’a informée qu’elle ne contestait pas la matérialité des faits sur lesquels elle a fondé ses accusations (considérant 325 de la Décision).

270    Il importe de souligner qu’il n’existe aucune contestation du fait que la requérante remplissait, lors de l’adoption de la Décision, les conditions prévues au point D, paragraphe 2, premier et second tirets, de la communication sur la coopération, étant observé que les réductions accordées ont été, respectivement, de 30 % et de 10 %, selon les précisions fournies par la Commission dans ses écritures. Le litige porte sur l’importance de la réduction accordée, laquelle aurait dû être globalement de 50 % selon la requérante, soit la réduction maximale possible.

271    Il convient de rappeler que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes et elle peut, à cet égard, tenir compte de multiples éléments, au nombre desquels figure la coopération des entreprises concernées lors de l’enquête conduite par les services de cette institution. Dans ce cadre, la Commission est appelée à effectuer des appréciations factuelles complexes, telles que celles qui portent sur la coopération respective desdites entreprises (arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, point 68 supra, point 81).

272    La Commission jouit, à cet égard, d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises (arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, point 68 supra, point 88).

273    Le raisonnement de la requérante, qui fait découler automatiquement la réduction maximale de 50 % du constat de la réunion des conditions prévues au point D, paragraphe 2, premier et second tirets, de la communication sur la coopération, revient à nier ce pouvoir d’appréciation de la Commission qui s’exprime, notamment, par l’indication d’une fourchette de 10 à 50 % pour l’importance de la réduction.

274    Ainsi qu’il résulte du considérant 324 de la Décision, la Commission a fondé son appréciation du montant de la réduction accordée sur le fait, d’une part, que les éléments de preuve fournis par la requérante n’avaient qu’une faible valeur ajoutée compte tenu des éléments de preuve déjà en possession de la Commission et fournis par Morgan, et, d’autre part, que la coopération de la requérante a commencé après réception par celle-ci de la lettre qui lui a été adressée en vertu de l’article 11 du règlement n° 17.

275    La requérante critique la pertinence du premier critère d’analyse utilisé par la Commission.

276    Or, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la réduction des amendes en cas de coopération des entreprises participant à des infractions au droit communautaire de la concurrence trouve son fondement dans la considération selon laquelle une telle coopération facilite la tâche de la Commission visant à constater l’existence d’une infraction et, le cas échéant, à y mettre fin (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 399 ; arrêts du Tribunal BPB de Eendracht/Commission, point 164 supra, point 325 ; du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 363, et Mayr-Melnhof/Commission, point 83 supra, point 330).

277    Eu égard à la raison d’être de la réduction, la Commission ne peut faire abstraction de l’utilité de l’information fournie, laquelle est nécessairement fonction des éléments de preuve déjà en sa possession.

278    La requérante soutient que la Commission n’est pas fondée à invoquer l’utilité relative de sa contribution par rapport à celle de Morgan, dans la mesure où l’utilité respective des informations fournies par ces deux entreprises se reflète déjà dans le choix d’une catégorie de réduction différente pour chacune des entreprises.

279    Or, il convient de relever que le fait que la Commission a considéré que Morgan devait bénéficier d’une immunité d’amende conformément au point B de la communication sur la coopération compte tenu de la qualité spécifique de la coopération constatée ne lui interdit pas, ensuite, d’évaluer, en vertu du point D de ladite communication, la collaboration de la requérante et donc l’utilité des informations fournies au regard des éléments de preuve déjà communiqués par une autre entreprise, en l’occurrence Morgan. Ainsi que le souligne, à juste titre, la Commission, si la différence fondamentale à la base des points B, C et D de la communication sur la coopération est l’utilité de l’information apportée, la Commission peut utiliser le critère de l’utilité pour décider du montant de la réduction pour chaque catégorie de réduction d’amende prévue par lesdits points.

280    Si la requérante critique la pertinence du premier critère d’analyse utilisé par la Commission, elle ne remet pas en cause, en revanche, les conclusions de la Commission sur la qualité de la coopération de Morgan, qui a produit un dossier de 4789 pages concernant le cartel, et la déduction subséquente de la faible valeur ajoutée des éléments de preuve qu’elle a elle-même fournis. La requérante indique expressément qu’elle ne conteste pas le fait que l’utilité de sa coopération à la procédure a été moins importante que celle de Morgan.

281    En ce qui concerne le second critère retenu par la Commission pour fixer à 40 % le montant de la réduction accordée à la requérante, cette dernière soutient que la Commission conteste à tort le caractère spontané de sa coopération et qu’elle a coopéré bien avant l’envoi de la communication des griefs, seule condition prévue par le point D de la communication sur la coopération.

282    Il importe de souligner que la Commission a indiqué, ainsi qu’il ressort d’ailleurs des termes de la Décision et plus particulièrement du considérant 324, qu’elle ne contestait pas le caractère spontané de la coopération de la requérante en tant que tel. Elle fait, cependant, valoir que, dans le cadre de son appréciation d’ensemble de ladite coopération, elle peut prendre en considération le fait que cette dernière a commencé après l’envoi d’une demande de renseignements. Elle ajoute que c’est l’utilité limitée de l’information apportée par la requérante qui a été déterminante pour justifier le refus d’octroyer la réduction maximale de 50 %.

283    Ainsi qu’il a été exposé, la Commission jouit d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise (arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, point 68 supra, point 88), et, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble, elle peut tenir compte du fait que cette entreprise ne lui a communiqué des documents qu’après la réception d’une demande de renseignements (arrêt LR AF 1998/Commission, point 158 supra, point 365, confirmé sur pourvoi par arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 68 supra, point 408), sans, toutefois, pouvoir la considérer comme déterminante pour minimiser la coopération fournie par une entreprise en vertu du point D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération (arrêt Tokai I, point 146 supra, point 410).

284    La requérante prétend que la Commission n’a pas, en tout état de cause, démontré qu’elle avait connaissance de la demande de renseignements lors de l’envoi de la lettre du 16 août 2002, dans laquelle elle sollicitait le bénéfice des mesures de clémence. Elle affirme que, quelques heures avant la réception, le 16 août 2002, de la demande de renseignements, elle a présenté une demande visant à l’application de la communication sur la coopération dont elle fournit une copie en annexe à la requête.

285    Dans ce document, effectivement daté du 16 août 2002 et qui constitue un message télécopié sur lequel n’apparaît aucune indication de sa bonne transmission ni de la date de cette dernière, il est mentionné que « [LCL] demande le bénéfice de la communication [sur la coopération] dans l’affaire concernant les balais d’alimentation de moteurs électriques, et ce dans le cadre de la procédure engagée par la Commission à l’encontre de l’entreprise », libellé qui corrobore l’exactitude de la chronologie mentionnée dans la Décision.

286    En réponse à l’observation de la Commission selon laquelle la mention « dans le cadre de la procédure engagée » atteste de la réception et de la connaissance de la demande de renseignements par la requérante, cette dernière affirme, dans la réplique, qu’elle se référait à la procédure engagée dans le secteur des graphites isostatiques.

287    Ainsi que le souligne la Commission, si cette affirmation de la requérante était véridique, il faudrait considérer que la lettre du 16 août 2002, qui contenait une offre de coopération de la requérante, n’avait aucun rapport avec la présente affaire et qu’elle devrait, dès lors, être ignorée par le Tribunal. La requérante resterait donc en défaut de démontrer qu’elle a coopéré avant la réception de la demande de renseignements.

288    Il convient, en outre, de relever, que, dans cette lettre du 16 août 2002, il est expressément fait mention de l’affaire concernant les « balais d’alimentation de moteurs électriques », qui font partie des produits à base de carbone et de graphite destinés à des applications électriques ayant fait l’objet de l’entente visée dans la Décision.

289    En tout état de cause, il y a lieu de relever que la requérante n’a effectivement commencé à coopérer qu’à compter du 22 août 2002, date à laquelle elle a transmis à la Commission les premiers documents afférents au cartel et donc postérieurement à la réception alléguée de la lettre que la Commission lui a adressée en vertu de l’article 11 du règlement n° 17.

290    S’agissant, enfin, de la référence à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, qui justifierait la réduction maximale de 50 % revendiquée par la requérante, il a déjà été exposé au point 110 ci-dessus que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques. Force est de constater que la requérante n’a pas rapporté la preuve d’une telle discrimination. En outre, le seul fait que la Commission a accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n’implique pas qu’elle est tenue d’accorder la même réduction proportionnelle lors de l’appréciation d’un comportement similaire dans le cadre d’une procédure administrative ultérieure (voir arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 90 supra, point 458, et la jurisprudence citée).

291    Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas démontré que la Commission a apprécié de manière manifestement erronée sa coopération en lui accordant une réduction de 40 % en application du point D de la communication sur la coopération.

 Sur les violations alléguées du principe d’égalité de traitement

292    S’agissant de l’allégation de violations du principe d’égalité de traitement, il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les entreprises concernées, la Commission ne saurait méconnaître ce principe, qui est violé lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt Tokai I, point 146 supra, point 394, et la jurisprudence citée).

293    La requérante fait valoir, premièrement, que la Commission a accordé à Morgan une réduction de l’amende de 100 %, au titre du point B de la communication sur la coopération, alors que cette entreprise a dissimulé à la Commission certaines informations utiles relatives à sa participation à une entente sur les prix de produits à base de graphite aux États-Unis et fourni à la Commission des informations inexactes concernant la cessation de sa participation à des activités illicites aux États-Unis et en Europe.

294    Elle en déduit que la Commission aurait dû, sauf à commettre une violation grave du principe d’égalité de traitement, requalifier la demande de mesures de clémence qu’elle a faite et lui reconnaître l’immunité d’amende au titre du point B ou, au minimum, lui accorder la réduction maximale du montant de l’amende prévue au point D de la communication sur la coopération, dès lors qu’elle a accordé à Morgan la réduction maximale du montant de l’amende prévue au point B de ladite communication.

295    Pour autant que la requérante invoque une réduction illégale de l’amende obtenue par Morgan et à supposer même que la Commission ait indûment accordé une réduction à cette entreprise par une application incorrecte de la communication sur la coopération, il y a lieu de rappeler que le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt de la Cour du 4 juillet 1985, Williams/Cour des comptes, 134/84, Rec. p. 2225, point 14 ; arrêts du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 113 supra, point 160, et LR AF 1998/Commission, point 158 supra, point 367).

296    Il convient, ensuite, de relever que Morgan et la requérante ne se trouvaient pas dans des situations comparables et que cette différence objective de situation explique et justifie la différence de traitement dont elles ont fait l’objet par la Commission dans le cadre de l’application de la communication sur la coopération.

297    Il importe de souligner que, parmi les conditions d’une non-imposition d’amende ou d’une réduction très importante de son montant, telles que prévues par le point B de la communication sur la coopération, figure le fait que l’entreprise soit la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente. Or, la requérante indique elle-même, dans la réplique, qu’elle ne conteste pas que l’utilité de sa coopération à la procédure ait été moins importante que celle de Morgan et qu’il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, puisque les informations fournies par Morgan ont permis à la Commission d’établir l’existence de l’entente, de sorte que sa contribution ne pouvait nécessairement que contribuer à confirmer l’existence de l’infraction.

298    Dans ces circonstances, l’allégation d’une inégalité de traitement par rapport au traitement réservé à Morgan et la revendication corrélative par la requérante du bénéfice des dispositions du point B de la communication sur la coopération ou de la réduction maximale de l’amende prévue au point D de ladite communication doivent être rejetées.

299    La requérante relève, deuxièmement, que en dépit du caractère extrêmement limité et tardif de la coopération de SGL à la procédure, souligné par la Commission elle-même dans la Décision, la Commission lui a néanmoins accordé une réduction de 20 % du montant de l’amende au titre de la communication sur la coopération, alors qu’elle n’a bénéficié que d’une réduction de 40 % pour une coopération pleine et entière.

300    Cette argumentation ne fait apparaître aucune violation du principe d’égalité de traitement ni, au demeurant, du principe de proportionnalité, en ce que la coopération de la requérante, objectivement plus importante que celle de SGL, a été effectivement prise en compte par la Commission et de manière appropriée.

301    En effet, la réduction retenue au titre de la coopération fournie par la requérante avant l’envoi de la communication des griefs est trois fois plus importante que celle accordée à SGL, puisqu’elle est de 30 % pour la première et de 10 % pour la seconde. Ces deux entreprises ayant admis la matérialité des faits exposés dans la communication des griefs, elles ont ensuite bénéficié, logiquement, d’une réduction identique de 10 % pour ce motif unique.

302    Il convient, à cet égard, de relever que la requérante ne démontre pas en quoi la Commission ne serait pas fondée à expliciter, dans le cadre de la présente instance, la décomposition chiffrée des réductions de 40 % et de 20 % accordées. Ces indications fournies par la Commission dans ses écritures, qui viennent compléter la Décision, ne peuvent être considérées comme un nouveau moyen de défense prohibé par l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

303    Par ailleurs, la requérante expose que, sauf à violer le principe d’égalité de traitement, la Commission aurait dû lui accorder une réduction sensiblement supérieure à 50 % du montant de son amende au titre de la communication sur la coopération, dès lors qu’elle a accordé à SGL − qui a entravé l’instruction de la Commission – une réduction de « 55 % » (20 % au titre de la coopération et 33 % au titre d’autres facteurs).

304    Comme la requérante le souligne elle-même, la réduction de 33 % a été accordée au titre d’« autres facteurs », ce qui ne permet pas de fonder de manière pertinente l’inégalité de traitement alléguée dans l’application de la communication sur la coopération. La question de la prise en compte par la Commission d’« autres facteurs » est d’ailleurs évoquée par la requérante dans un grief spécifique examiné ci-après.

305    Enfin, pour autant que la requérante invoque une réduction illégale de l’amende obtenue par SGL et à supposer même que la Commission ait indûment accordé une réduction à cette entreprise par une application incorrecte de la communication sur la coopération, il y a lieu de rappeler que le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui.

306    Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas démontré qu’elle a fait l’objet d’un traitement discriminatoire et/ou disproportionné lors de l’application par la Commission de la communication sur la coopération.

 Sur l’absence de réduction du montant de l’amende au titre d’« autres facteurs »

307    Il importe de rappeler que, dans la partie de la Décision intitulée « Capacité de paiement et autres facteurs », la Commission a, dans un premier temps, rejeté les argumentations de SGL et de la requérante tendant à prouver leur incapacité de payer une amende dans la présente affaire (considérants 340 à 357 de la Décision).

308    Dans un second temps, la Commission a rappelé qu’elle a, de manière récente, déjà condamné SGL à des amendes importantes pour sa participation à d’autres activités collusoires, en l’occurrence une amende de 80,2 millions d’euros dans l’affaire des électrodes de graphite et deux amendes d’un montant global de 27,75 millions d’euros pour sa participation à l’entente sur le graphite isostatique et à celle sur le graphite extrudé, dans l’affaire des graphites spéciaux (considérant 358 de la Décision). Tenant compte des graves difficultés financières de SGL et de ces récentes condamnations, ainsi que du fait que les différentes activités collusoires reprochées à celle-ci s’étaient déroulées simultanément, la Commission a estimé que, dans ces conditions particulières, il n’était pas nécessaire, afin de garantir une dissuasion effective, d’infliger à SGL le montant total de l’amende et l’a donc réduit de 33 %, le ramenant à 23,64 millions d’euros (considérant 360 de la Décision).

309    Considérant, en revanche, que la situation de la requérante était très différente de celle de SGL, la Commission n’a accordé aucune réduction du montant de l’amende, au titre d’« autres facteurs », à la requérante. La Commission a relevé, à cet égard, que le montant total des amendes infligées jusqu’à présent à SGL pour des activités collusoires simultanées atteignait presque 10 % du chiffre d’affaires mondial de SGL en 2002, alors qu’il était de 1 % pour la requérante, qui s’était vu infliger une amende de 6,97 millions d’euros pour sa participation au cartel sur le graphite isostatique. La Commission souligne également, sur la base d’une analyse comparative des ratios financiers que la situation financière de SGL est beaucoup plus mauvaise que la situation actuelle de la requérante (considérants 361 et 362 de la Décision).

310    La requérante soutient que, ce faisant, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement.

311    Il convient d’observer que l’argumentation développée par la requérante à l’appui de ce grief est basée sur la prémisse selon laquelle la Commission n’était pas fondée, au regard de la jurisprudence et selon les propres termes de la Décision, à prendre en compte, seule ou avec d’autres éléments, la situation financière de SGL. Puisque la Commission était tenue, selon la requérante, d’ignorer la capacité financière de SGL lors de la fixation de l’amende, la réduction du montant de l’amende ne pouvait être fondée que sur les condamnations récentes de cette entreprise.

312    Ce raisonnement permet à la requérante d’écarter de l’analyse comparative du traitement réservé à SGL la question de la situation financière de cette dernière, pour s’en tenir à la seule prise en compte de l’existence de condamnations au paiement d’amendes (celles qui lui ont été infligées dans l’affaire des graphites spéciaux, aux États-Unis et dans la présente Décision, pour un total de 50,02 millions d’euros) et revendiquer, en application du principe d’égalité de traitement, une réduction corrélative et proportionnelle du montant de son amende.

313    Force est de constater que cette argumentation de la requérante repose sur une prémisse erronée et doit donc être rejetée.

314    En effet, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Commission n’est pas obligée, lors de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte de la situation financière déficitaire d’une entreprise intéressée, étant donné que la reconnaissance d’une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (voir arrêt Tokai I, point 146 supra, point 370, et la jurisprudence citée), ce qui ne signifie pas qu’elle soit empêchée de le faire. C’est également le sens des considérants 349 et 356 de la Décision qui reprennent de manière quasi identique les termes de la jurisprudence précitée.

315    En l’espèce, la Commission a réduit le montant de l’amende infligée à SGL en raison de ses graves difficultés financières combinées à deux condamnations récentes de celle-ci au paiement d’amendes pour des infractions commises simultanément au droit de la concurrence.

316    Or, la requérante n’allègue pas clairement ni, en tout état de cause, ne démontre qu’elle se trouvait dans une situation comparable à celle de SGL, particulièrement sur le plan de la santé financière, et ce que la comparaison avec SGL concerne la situation de cette dernière dans le cadre de la procédure de l’affaire des graphites spéciaux ou dans la présente procédure.

317    Dans ces circonstances, la différence objective de situation entre SGL et la requérante explique et justifie la différence de traitement dont elles ont fait l’objet et aucune violation du principe d’égalité de traitement ou même de proportionnalité ne saurait être reprochée à la Commission en l’espèce.

318    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que tous les griefs soulevés par la requérante doivent être écartés et que le recours introduit par celle-ci doit être rejeté.

 Sur les dépens

319    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Carbone-Lorraine est condamné aux dépens.

Vilaras

Prek

Ciucă

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 octobre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur l’erreur de droit prétendument commise par la Commission du fait de l’absence de délimitation des marchés de produits en cause ou, à tout le moins, des catégories de produits en cause

Sur la qualification de l’infraction

Sur la procédure menée par la Commission

Sur l’appréciation prétendument erronée de la gravité de l’infraction et le caractère prétendument disproportionné du montant de départ de l’amende

Sur le caractère prétendument excessif du montant de départ de l’amende, au regard de l’impact limité des pratiques incriminées

Sur le caractère prétendument excessif du montant de départ de l’amende, au regard de la faible implication de la requérante dans l’entente

Sur le caractère prétendument excessif du montant de départ de l’amende au regard des chiffres d’affaires de la requérante

Sur la prise en compte de l’effet dissuasif de l’amende

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

Sur la durée de l’infraction

Sur les circonstances atténuantes

Sur le défaut de prise en compte du rôle prétendument passif de la requérante

Sur le défaut de prise en compte de la non-application effective de certains accords et/ou pratiques illicites

Sur l’absence de prise en compte de la cessation de l’infraction avant le début de l’enquête

Sur l’absence de prise en compte de la collaboration effective de la requérante à la procédure en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération

Sur la coopération de la requérante durant la procédure administrative

Sur la revendication de la réduction maximale de 50 %

Sur les violations alléguées du principe d’égalité de traitement

Sur l’absence de réduction du montant de l’amende au titre d’« autres facteurs »

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.