Language of document : ECLI:EU:T:2022:429

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

6 juillet 2022 (*) (1)

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Procédure de résolution applicable en cas de défaillance avérée ou prévisible d’une entité – Décision du CRU de ne pas adopter de dispositif de résolution – Recours en annulation – Acte faisant grief – Intérêt à agir – Qualité pour agir – Recevabilité partielle – Article 18 du règlement (UE) no 806/2014 – Compétence de l’auteur de l’acte – Droit d’être entendu – Obligation de motivation – Proportionnalité – Égalité de traitement » 

Dans l’affaire T‑280/18,

ABLV Bank AS, établie à Riga (Lettonie), représentée par Me O. Behrends, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par MM. J. De Carpentier, E. Muratori et Mme H. Ehlers, en qualité d’agents, assistés de Me J. Rivas Andrés, avocat, et de Mme B. Heenan, solicitor,

partie défenderesse,

soutenu par

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. R. Ugena, A. Witte et A. Lefterov, en qualité d’agents,

partie intervenante,


LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg, Mme K. Kowalik‑Bańczyk, MM. G. Hesse (rapporteur) et D. Petrlík, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2018,

–        le mémoire en intervention de la BCE déposé au greffe du Tribunal le 10 mai 2019,

–        la décision du 17 mars 2020 de suspendre l’affaire jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369),

–        les nouvelles preuves déposées au greffe du Tribunal le 27 octobre 2021,

à la suite de l’audience du 28 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, ABLV Bank AS, demande l’annulation des décisions du Conseil de résolution unique (CRU) du 23 février 2018 de ne pas adopter de dispositif de résolution à l’égard des établissements de crédit ABLV Bank AS et ABLV Bank Luxembourg SA, au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

 Antécédents du litige

2        La requérante est un établissement de crédit établi en Lettonie et la société mère du groupe ABLV. ABLV Bank Luxembourg SA (ci-après « ABLV Luxembourg ») est un établissement de crédit établi au Luxembourg, qui constitue l’une des filiales du groupe ABLV et dont la requérante est l’actionnaire unique.

3        La requérante et ABLV Luxembourg étaient qualifiées d’« entité importante » et étaient soumises à ce titre à la surveillance de la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre du mécanisme de surveillance unique introduit par le règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la [BCE] des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63).

4        Le 13 février 2018, l’United States Department of the Treasury (département du Trésor des États-Unis, États-Unis d’Amérique) a, par l’intermédiaire du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN, réseau de lutte contre la criminalité financière), annoncé un projet de mesure (ci-après le « projet de mesure du FinCEN ») visant à désigner la requérante comme une institution représentant un risque majeur en matière de blanchiment d’argent, conformément à la section 311 du Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act (USA PATRIOT Act) (Loi pour unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme). À la suite de cette annonce, la requérante n’a plus été en mesure d’effectuer des paiements en dollar des États-Unis.

5        À partir du 15 février 2018, la requérante a pris la décision de remplacer les versements en dollar des États-Unis par des versements en euro ou en nature et, à partir du 16 février 2018, de cesser complètement les versements sur les dettes libellées en dollar des États-Unis, en invoquant une cause de force majeure, afin de remédier aux difficultés qu’elle rencontrait à la suite du projet de mesure du FinCEN. Ledit établissement de crédit a notamment enregistré, entre le 14 et le 16 février 2018, des sorties nettes de dépôts d’un montant de 430 millions d’euros en espèces et de 170 millions d’euros en nature, soit 23 % de sa base de dépôts.

6        Le 18 février 2018, la BCE a donné l’instruction à la Finanšu un kapitāla tirgus komisija (Commission des marchés financiers et des capitaux, Lettonie, ci-après la « CMFC ») de suspendre les paiements des obligations financières de la requérante sur le fondement de l’article 9, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 1024/2013 et de l’article 22 du règlement (UE) no 468/2014 de la BCE, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la BCE, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (le « règlement-cadre MSU ») (JO 2014, L 141, p 1), lu en combinaison avec l’article 113, paragraphe 1, quatrième tiret, de la Kredītiestāžu likums (loi sur les établissements de crédit) (Latvijas Vēstnesis, 1995, no 163). La BCE a également invité la Commission de surveillance du secteur financier (Luxembourg, ci-après la « CSSF ») à prendre des mesures analogues à l’égard d’ABLV Luxembourg. Un moratoire à l’égard de la requérante est entré en vigueur le 19 février 2018 et ABLV Luxembourg s’est vu accorder un sursis de paiement.

7        Des concertations entre la BCE, la CMFC et la requérante ont eu lieu à plusieurs reprises entre le 16 et le 23 février 2018. À cet égard, la BCE a, notamment, indiqué à la requérante que, pour éviter une défaillance, elle devait disposer d’un milliard d’euros en liquidités au plus tard le 23 février 2018 à 18 h 00 sur son compte auprès de la banque centrale lettone, la Latvijas Banka (Banque de Lettonie).

8        Le 22 février 2018, la BCE a communiqué au CRU son projet d’évaluation relative à la situation de défaillance avérée ou prévisible en ce qui concerne la requérante et ABLV Luxembourg, dans le but de consulter celui-ci à ce propos conformément à l’article 18, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 806/2014.

9        Le 23 février 2018, la BCE a estimé que la défaillance de la requérante et d’ABLV Luxembourg était avérée ou prévisible au sens de l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement. Les évaluations de la défaillance avérée ou prévisible des deux établissements de crédit effectuées par la BCE ont été communiquées au CRU le même jour.

10      La BCE a indiqué que ni la requérante ni ABLV Luxembourg ne seraient, dans un proche avenir, en mesure de s’acquitter de leurs dettes ou d’autres engagements à l’échéance au sens de l’article 18, paragraphe 4, sous c), du règlement no 806/2014. Elle a tenu compte, pour ce qui concerne la requérante, notamment des éléments suivants :

–        dans les trois jours suivant la publication du projet de mesure du FinCEN (voir point 4 ci-dessus), environ 600 millions d’euros, soit 23 % des dépôts détenus par la requérante, ont été retirés ;

–        dans ces conditions, compte tenu de l’atteinte à la réputation qu’avait subie la requérante, il était fort probable que les sorties de dépôts après la levée du moratoire se poursuivraient au même rythme qu’avant sa mise en œuvre ;

–        la requérante n’avait plus accès aux actifs liquides en dollar des États-Unis et avait un accès limité aux liquidités en euro ;

–        il appartenait à la requérante de disposer de suffisamment de liquidités pour couvrir les retraits attendus, estimés à 200 millions d’euros par jour, voire plus, pendant au moins une semaine après la levée éventuelle du moratoire ;

–        la capacité de rééquilibrage dont la disponibilité a été prouvée par la requérante, d’un montant de 694 millions d’euros détenus auprès de la Banque de Lettonie le 23 février 2018 à 18 h 00, n’aurait pas été suffisante pour compenser les retraits attendus ;

–        d’autres actifs invoqués par la requérante ne pouvaient pas être pris en considération, étant donné que ceux-ci n’étaient pas disponibles immédiatement et que les retraits allaient probablement reprendre aussitôt après l’éventuelle levée du moratoire au même rythme qu’avant sa mise en œuvre. Seules les liquidités disponibles sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie étaient pertinentes ;

–        dans ces conditions, il était impossible de lever le moratoire. Durant le moratoire, la requérante n’a pas démontré sa capacité de dégager des liquidités suffisantes à court terme ;

–        d’autres mesures pour redresser la requérante ont été envisagées, explorées ou effectuées, mais il n’existait pas de perspective raisonnable que celles-ci empêchent la défaillance de la requérante.

11      Pour ce qui concerne l’analyse de défaillance relative à ABLV Luxembourg, elle a été fondée, notamment, sur des motifs analogues.

12      Par deux décisions (SRB/EES/2018/09 et SRB/EES/2018/10), du 23 février 2018, le CRU a décidé de ne pas adopter de dispositif de résolution à l’égard de la requérante et d’ABLV Luxembourg respectivement (ci-après, ensemble, les « décisions attaquées »). Le CRU a fait sienne l’estimation de la BCE selon laquelle ces établissements de crédit étaient en défaillance avérée ou prévisible, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014. Il a également considéré qu’il n’existait pas de perspective raisonnable que d’autres mesures empêchent leur défaillance dans un délai raisonnable, conformément à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de ce règlement. Toutefois, le CRU a considéré que, compte tenu des caractéristiques particulières de la requérante et d’ABLV Luxembourg, une mesure de résolution à leur égard n’était pas nécessaire dans l’intérêt public au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et de l’article 18, paragraphe 5, du même règlement. Le même jour, les décisions attaquées ont été notifiées à leurs destinataires respectifs, la CMFC et la CSSF.

13      L’article 1er du dispositif de la décision SRB/EES/2018/09 est ainsi libellé : « ABLV Bank AS ne sera pas soumise à une procédure de résolution ».

14      Conformément à l’article 2, paragraphe 1, du dispositif de la décision SRB/EES/2018/09 : « [c]ette décision est adressée à la [CMFC], en sa capacité d’autorité de résolution nationale au sens de l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 806/2014 ».

15      L’article 2, paragraphe 2, du dispositif de la décision SRB/EES/2018/09 prévoit que, « [c]onformément à l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, la [CMFC] mettra en œuvre cette [d]écision et s’assurera que toute mesure prise y est conforme, selon les considérations prévues ».

16      Les articles 1er et 2 du dispositif de la décision SRB/EES/2018/10, relative à ABLV Luxembourg, ont une teneur analogue.

17      Le 24 février 2018, le CRU a émis un communiqué de presse relatif aux décisions attaquées. Le premier alinéa du communiqué de presse est ainsi libellé : « [à] la suite de la décision de la [BCE] de déclarer [ABLV Bank] et sa filiale [ABLV Luxembourg] en défaillance avérée ou prévisible, le [CRU] a décidé qu’il n’[était] pas nécessaire d’adopter un dispositif de résolution étant donné l’absence d’intérêt public pour ces banques [ ; p]ar conséquent, les banques seront liquidées respectivement selon les droits letton et luxembourgeois ».

18      Des résumés des décisions attaquées (« Notices summarising the decision taken in respect of ABLV Bank, AS et ABLV Bank Luxembourg SA ») ont été publiés sur le site Internet du CRU.

19      Le 26 février 2018, les actionnaires de la requérante ont engagé une procédure nationale permettant à cette dernière de mener à terme sa propre liquidation et ont soumis à la CMFC une demande d’approbation de son plan de liquidation volontaire.

20      Le 9 mars 2018, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg) a rejeté la demande de la CSSF de dissolution et de liquidation d’ABLV Luxembourg tout en admettant cette dernière au bénéfice de la procédure du sursis de paiement pour une période de six mois, qui a été prolongée à plusieurs reprises. Par jugement du 2 juillet 2019, cette même juridiction a prononcé la dissolution et a ordonné la liquidation d’ABLV Luxembourg.

 Conclusions des parties

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner le CRU aux dépens.

22      Le CRU, soutenu par la BCE, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

23      Le CRU soulève quatre fins de non-recevoir, tirées, en substance, la première, du fait que la requérante n’aurait pas fondé le recours sur le texte des décisions attaquées, mais sur celui du communiqué de presse, la deuxième, du caractère non attaquable des décisions attaquées, la troisième, du défaut de qualité pour agir de la requérante en ce qu’elle ne serait pas directement concernée par les décisions attaquées et la quatrième, du défaut d’intérêt à agir de la requérante .

24      La requérante conteste ces fins de non-recevoir.

 Sur la fin de non-recevoir tirée du fait que la requérante n’aurait pas fondé son recours sur les textes des décisions attaquées

25      Le CRU fait valoir que la requérante n’a pas fondé sa requête sur le texte des décisions attaquées. Par ses arguments, elle critiquerait plutôt le communiqué de presse relatif aux décisions attaquées et les notes résumant celles-ci publiées sur Internet. À cet égard, le CRU relève, notamment, que les décisions attaquées n’ordonnent pas aux autorités de résolution nationales (ARN) respectives de procéder à la liquidation des deux établissements de crédit concernés.

26      Force est de constater que la requérante s’est fondée sur le communiqué de presse selon lequel le CRU a décidé de ne pas adopter un dispositif de résolution à l’égard de la requérante et d’ABLV Luxembourg ainsi que les résumés des décisions relatives à ces dernières et a déposé devant le Tribunal ces documents en tant qu’actes lui faisant grief annexés à la requête. Il est constant que, lors de l’introduction du recours, la requérante ne disposait pas du texte intégral des décisions attaquées.

27      La requérante a pourtant demandé à plusieurs reprises au CRU de lui faire parvenir le texte intégral des décisions attaquées. La première demande en ce sens date du 7 mars 2018, donc bien avant le dépôt de la requête. Le CRU reconnaît que des représentants de la requérante et son avocat lui ont demandé de leur communiquer une copie de la décision SRB/EES/2018/09 concernant la requérante. En outre, le CRU relève qu’il a été informé par la CMFC, par courriel en date du 11 avril 2018, que la requérante avait demandé la divulgation des décisions attaquées. Ce n’est qu’au cours de la présente procédure devant le Tribunal que la requérante a reçu le texte intégral des décisions attaquées. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la requérante d’avoir initialement appuyé son recours sur le communiqué de presse du CRU du 24 février 2018 et les notes publiées sur Internet relatives aux décisions attaquées.

28      En tout état de cause, les faits cités aux points 25 à 27 ci-dessus ne sont pas de nature à affecter la recevabilité du recours, mais auraient tout au plus des répercussions sur l’examen du fond de l’affaire. Cette fin de non-recevoir doit donc être rejetée.

 Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère non attaquable des décisions attaquées

29      Selon le CRU, les décisions attaquées ne sont pas des actes attaquables, étant donné qu’elles ne visent pas à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Les décisions attaquées n’auraient pas ordonné la liquidation des deux établissements de crédit. Selon le CRU, il appartenait aux ARN de prendre les mesures nécessaires, conformément au droit national applicable, à l’encontre desdits établissements après qu’il a décidé de ne pas adopter un dispositif de résolution.

30      Il convient de rappeler que constituent en principe des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position d’une institution au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, qui n’ont pas de tels effets (voir arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 48 et jurisprudence citée).

31      Plus particulièrement, la Cour a déjà considéré que, si l’évaluation faite par la BCE de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité, visée à l’article 18, paragraphe 1, deuxième et troisième alinéas, du règlement no 806/2014, ne constitue pas un acte attaquable, il n’en reste pas moins que l’adoption subséquente par le CRU d’un dispositif de résolution, conformément à l’article 18, paragraphe 6, dudit règlement, ou la décision de ne pas adopter un tel dispositif, peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions de l’Union, dans le cadre duquel ladite évaluation est susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 56).

32      En outre, l’article 86, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 prévoit que les États membres et les institutions de l’Union, de même que toute personne physique ou morale, peuvent, conformément à l’article 263 TFUE, introduire un recours auprès de la Cour de justice de l’Union européenne contre une telle décision du CRU (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 56).

33      Il s’ensuit que la décision du CRU d’adopter ou de ne pas adopter un dispositif de résolution à l’égard d’un établissement de crédit est un acte attaquable. En effet, cette décision fixe définitivement la position du CRU au terme de la procédure administrative complexe prévue par l’article 18 du règlement no 806/2014 et déclenchée par l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité, laquelle est effectuée, dans un premier temps, par la BCE. Cette procédure vise à produire des effets de droit obligatoires à l’égard de la requérante en ce qu’elle ne fera pas l’objet d’une résolution.

34      En outre, il convient de souligner qu’une décision de ne pas adopter un dispositif de résolution, telle que les décisions attaquées, est un acte attaquable tout aussi bien qu’une décision d’adopter un tel dispositif. En effet, la décision d’adopter une mesure de résolution implique l’imposition d’instruments de résolution visés à l’article 18, paragraphe 6, sous b) et c), et à l’article 22 du règlement no 806/2014, tels que la cession des activités, le recours à un établissement-relais, la séparation des actifs, le renflouement interne ou encore le recours au Fonds de résolution unique à l’appui de la mesure de résolution. Dès lors, la décision de ne pas adopter de tels instruments, dont certains sont susceptibles de permettre à la requérante de maintenir une partie de ses activités, produit des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante.

35      Enfin, ainsi qu’il découle également des conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans les affaires jointes ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:16, point 93), le respect du droit à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), est assuré par le fait que la décision du CRU qui conclut la procédure visée à l’article 18 du règlement no 806/2014 est un acte attaquable, de sorte que les éventuelles illégalités entachant l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante, effectuée par la BCE au premier stade de la procédure, puissent être invoquées à l’appui d’un recours dirigé contre ladite décision du CRU. Il s’ensuit que la requérante doit être en mesure de demander l’annulation de la décision du CRU d’adopter ou de ne pas adopter un dispositif de résolution à son égard.

36      Partant, les décisions attaquées sont des actes attaquables.

 Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la requérante

37      Le CRU fait valoir que la requérante n’est pas directement concernée par les décisions attaquées. Celles-ci n’auraient pas produit directement d’effets sur sa situation juridique et laisseraient toute latitude aux ARN chargées de leur mise en œuvre. La liquidation de la requérante et de sa filiale serait le résultat de décisions prises au niveau national et non pas de l’application des règles du droit de l’Union.

38      Il convient de relever, tout d’abord, que l’affectation individuelle de la requérante, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, n’a pas été remise en cause par le CRU. En effet, les décisions attaquées visent respectivement la requérante et sa filiale à 100 % en tant qu’établissements de crédit à l’égard desquels le CRU n’adopte pas de dispositif de résolution et, ainsi, elles individualisent la requérante d’une manière analogue à celle dont l’est leur destinataire. La requérante est donc individuellement concernée par les décisions attaquées.

39      S’agissant de l’absence prétendue d’affectation directe de la requérante en l’espèce, il y a lieu de rappeler que la condition selon laquelle une personne physique ou morale qui n’est pas destinataire de la décision faisant l’objet du recours doit être directement concernée par celle-ci, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur sa situation juridique et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts du 22 mars 2007, Regione Siciliana/Commission, C‑15/06 P, EU:C:2007:183, point 31 ; du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 66, et du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42).

–       Sur l’affectation directe de la requérante dans la mesure où le recours est dirigé contre la décision SRB/EES/2018/10 relative à ABLV Luxembourg

40      Il y a lieu de relever, d’emblée, que le recours a été déposé par la requérante en son propre nom contre la décision SRB/EES/2018/09 et en tant que société mère et actionnaire unique d’ABLV Luxembourg pour ce qui concerne la décision SRB/EES/2018/10.

41      Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 12 ci-dessus, la décision SRB/EES/2018/10 prévoit qu’aucun dispositif de résolution ne sera adopté à l’égard d’ABLV Luxembourg. Ainsi, cette décision produit des effets sur la situation juridique de cet établissement de crédit (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2020, Bernis e.a./CRU, T‑282/18, non publiée, EU:T:2020:209, point 39).

42      En revanche, la décision SRB/EES/2018/10 ne produit pas directement d’effets sur la situation juridique des actionnaires tels que la requérante, puisque le droit desdits actionnaires de percevoir des dividendes et de participer à la gestion d’ABLV Luxembourg n’a pas été affecté par ladite décision (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 110).

43      En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923), l’effet négatif pour les actionnaires d’un retrait de l’agrément d’un établissement de crédit est de nature économique et non juridique, puisque, quand bien même celui-ci ne serait plus en mesure de poursuivre son activité à la suite de ce retrait et, en fait, de distribuer des dividendes, le droit des actionnaires de percevoir des dividendes et de participer à la gestion reste inchangé (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 111, et ordonnance du 14 mai 2020, Bernis e.a./CRU, T‑282/18, non publiée, EU:T:2020:209, point 41).

44      En l’occurrence, il en va d’autant plus ainsi que la décision SRB/EES/2018/10 prévoit seulement qu’ABLV Luxembourg ne sera pas soumise à une procédure de résolution. Ainsi, contrairement à la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923), ladite décision n’a ni pour objet ni pour effet de retirer à ladite banque son agrément l’autorisant à exercer une activité d’établissement de crédit (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2020, Bernis e.a./CRU, T‑282/18, non publiée, EU:T:2020:209, point 42).

45      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que la requérante n’est pas directement concernée par la décision SRB/EES/2018/10 au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

–       Sur l’affectation directe de la requérante dans la mesure où le recours est dirigé contre la décision SRB/EES/2018/09 relative à la requérante

46      Le présent recours a été intenté par la requérante en son propre nom pour autant qu’il vise à l’annulation de la décision SRB/EES/2018/09.

47      En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si cette décision produit directement des effets sur la situation juridique de la requérante, il convient de rappeler que, conformément à l’article 18 du règlement no 806/2014, si la BCE estime, dans son évaluation, que l’entité concernée se trouve en situation de défaillance avérée ou prévisible au sens de l’article 18, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, cela a pour conséquence l’engagement de la procédure prévue à l’article 18 de ce règlement. En revanche, si la BCE parvient à la conclusion inverse, la procédure de résolution n’est pas entamée, puisque l’article 18, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 806/2014 dispose que la BCE doit communiquer son évaluation à la Commission et au CRU seulement lorsqu’elle estime que l’entité est en situation de défaillance avérée ou prévisible (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, points 67 et 70).

48      Ainsi, d’une part, la conclusion du CRU, fondée sur l’évaluation faite par la BCE, selon laquelle la requérante est en situation de défaillance avérée ou prévisible, est donc une condition sine qua non du dispositif de la décision SRB/EES/2018/09 qui prévoit de ne pas adopter de dispositif de résolution à l’égard de la requérante. Dès lors, la conclusion selon laquelle la requérante se trouve en situation de défaillance avérée ou prévisible constitue le support nécessaire de l’article 1er du dispositif de ladite décision. Partant, la décision SRB/EES/2018/09, en ce qu’elle constate la défaillance avérée ou prévisible de la requérante produit directement des effets sur la situation juridique de celle-ci au sens de la jurisprudence citée au point 39 ci-dessus.

49      D’autre part, ainsi qu’il a été relevé au point 34 ci-dessus, la décision de ne pas adopter de dispositif de résolution et dès lors de ne pas imposer des instruments de résolution au sens du règlement no 806/2014, dont certains sont susceptibles de permettre à la requérante de maintenir une partie de ses activités, produit directement des effets sur la situation juridique de celle-ci.

50      En second lieu, quant à la question de savoir si cette décision laisse un pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre au sens de la jurisprudence rappelée au point 39 ci-dessus, il convient de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la décision de ne pas adopter un dispositif de résolution à l’égard de la requérante ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires. En effet, l’ARN concernée ne dispose d’aucune marge de manœuvre par rapport à la décision du CRU selon laquelle aucun instrument de résolution ne sera adopté à l’égard de la requérante, cette décision ne nécessitant l’application d’aucune règle ou mesure intermédiaire pour produire ses effets juridiques obligatoires. Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que ladite ARN puisse être amenée à prendre des mesures de mise en œuvre de la décision SRB/EES/2018/09, conformément à l’article 29, paragraphe 1, du règlement n °806/2014, dont la teneur est rappelée à l’article 2, paragraphe 2, du dispositif de ladite décision, puisque celles-ci se situent en dehors du cadre du mécanisme de résolution (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2020, Bernis e.a./CRU, T‑282/18, non publiée, EU:T:2020:209, point 43).

51      En particulier, la liquidation de la requérante, conformément au droit letton, se situe en dehors de tout dispositif de résolution et ne découle pas de la décision SRB/EES/2018/09. En effet, ladite liquidation a été décidée par les actionnaires de cette société à la suite de cette décision du CRU, aux termes de laquelle il n’était pas nécessaire dans l’intérêt public d’appliquer un dispositif de résolution à la requérante conformément au règlement n °806/2014 (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 49). Ainsi, la liquidation n’a pas été ordonnée par cette décision (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2020, Bernis e.a./CRU, T‑282/18, non publiée, EU:T:2020:209, points 39 à 45).

52      Il découle de ce qui précède que la requérante n’a pas qualité pour agir à l’encontre de la décision SRB/EES/2018/10 et que le recours est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre cette décision. En revanche, elle dispose d’une telle qualité pour agir à l’encontre de la décision SRB/EES/2018/09.

 Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’un intérêt à agir de la requérante

53      Selon le CRU, la requérante n’a pas établi qu’elle a un intérêt à agir né et actuel. Elle n’aurait pas démontré de quelle façon elle bénéficierait d’une annulation des décisions attaquées. S’agissant des intérêts invoqués par la requérante en ce que les décisions attaquées auraient porté atteinte à la réputation des établissements de crédit, le CRU soutient que celle-ci n’a pas été affectée par les décisions attaquées, mais par le projet de mesure du FinCEN ou par l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible des deux établissements de crédit faite par la BCE. L’intérêt consistant à ouvrir la voie à un recours en indemnité ne serait pas un intérêt né et actuel dans le contexte du présent recours en annulation. Enfin, dans l’hypothèse où la requérante aurait subi un préjudice, celui-ci serait le résultat de la décision des actionnaires de procéder à son autoliquidation.

54      Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55 et jurisprudence citée).

55      Il est constant que, tout en demandant l’annulation intégrale de la décision SRB/EES/2018/09, la requérante ne se plaint pas du refus de mettre en place un dispositif de résolution, mais elle s’oppose, en substance, aux conclusions du CRU selon lesquelles elle était en défaillance avérée ou prévisible et il n’existait pas de perspective raisonnable que d’autres mesures empêchent cette défaillance.

56      Toutefois, la présente affaire est caractérisée par des particularités qui, de ce fait, ne permettent pas de nier l’intérêt à agir de la requérante.

57      D’une part, ainsi qu’il résulte également des points 47 et 48 ci-dessus, si la BCE parvient à la conclusion que l’entité concernée n’est pas dans une situation de défaillance avérée ou prévisible, aucune évaluation n’est transmise au CRU et la procédure de résolution n’est donc pas entamée. L’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible, dès lors que celle-ci est adoptée par le CRU, est donc une condition préalable sine qua non du déclenchement de la procédure de résolution prévue par l’article 18 du règlement no 806/2014 et, partant, d’une décision formelle d’adopter ou de ne pas adopter un dispositif de résolution.

58      Ainsi, les motifs de la décision SRB/EES/2018/09, notamment l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante par la BCE, adoptée par le CRU, constituent le support nécessaire du dispositif de cette décision. En effet, si le Tribunal devait conclure que cette évaluation était erronée, la procédure ayant donné lieu à cette décision n’aurait pas dû être déclenchée à l’encontre de la requérante.

59      D’autre part, en vue de l’exercice de ses activités bancaires, l’entité concernée a un intérêt légitime à ne pas faire l’objet d’une évaluation dont il résulterait qu’elle est en défaillance avérée ou prévisible.

60      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que la requérante justifie d’un intérêt à agir en annulation de la décision SRB/EES/2018/09.

61      Le recours est donc irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision SRB/EES/2018/10 et recevable pour autant qu’il vise à l’annulation de la décision SRB/EES/2018/09.

 Sur le fond

62      La requérante soulève treize moyens à l’appui de son recours tirés, le premier, de l’absence de compétence du CRU et de fondement juridique pour décider de la liquidation de la requérante et d’ABLV Luxembourg ; le deuxième, de la violation des droits de la requérante en ce que le CRU a annoncé une décision formelle de ne pas adopter un dispositif de résolution ; le troisième, de la violation de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement no 806/2014 ; le quatrième, de la violation de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement ; le cinquième, d’une violation du droit d’être entendu et d’autres droits connexes ; le sixième, d’une violation de l’obligation de motivation ; le septième, d’un défaut d’examen complet et impartial de tous les aspects pertinents du dossier ; le huitième, d’une violation du principe de proportionnalité ; le neuvième, d’une violation du principe d’égalité de traitement ; le dixième, d’une violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise ; le onzième, d’une violation du principe nemo auditur ; le douzième, d’un détournement de pouvoir et, le treizième, d’une violation de l’article 41 de la Charte.

 Sur la recevabilité des moyens

63      S’agissant de la recevabilité de l’argumentation de la requérante, le CRU considère, sans motivation particulière hormis celle d’alléguer en substance de manière générale que l’argumentation de la requérante serait peu claire ou insuffisamment étayée, que les deuxième, septième, huitième, onzième et douzième moyens présentés dans la requête sont irrecevables.

64      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens et que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle, le cas échéant, sans autre information à l’appui (arrêt du 7 mars 2017, United Parcel Service/Commission, T‑194/13, EU:T:2017:144, point 191).

65      Il y a également lieu de rappeler qu’il est notamment nécessaire, pour qu’un recours devant le Tribunal soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêt du 7 mars 2017, United Parcel Service/Commission, T‑194/13, EU:T:2017:144, point 192).

66      En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 79 à 85, 179 à 185, 187, 188, 195 à 200 et 202 à 206 ci-après, force est de constater que les éléments de fait et de droit sur lesquels la requérante fonde son argumentation sont immédiatement intelligibles à la lecture des moyens concernés de la requête. De même, force est de constater que le CRU a été en mesure, dans le mémoire en défense, de répondre à cette argumentation. Le Tribunal a également été à même d’identifier l’argumentation de la requérante à la lecture de la requête.

67      Il ressort des considérations qui précèdent que les deuxième, septième, huitième, onzième et douzième moyens de la requête sont recevables au regard des exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

  Sur la recevabilité des nouvelles preuves

68      Le 27 octobre 2021, la requérante a produit onze documents comportant de nouvelles preuves à l’appui de son argumentation.

69      Le CRU et la BCE objectent que lesdites preuves doivent être rejetées comme irrecevables au motif qu’elles ont été produites tardivement.

70      Conformément aux dispositions de l’article 85 du règlement de procédure, si les parties peuvent produire des preuves à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, le Tribunal n’admet la production de preuves postérieurement à la duplique que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir si l’auteur de la production ne pouvait, avant la clôture de la phase écrite de la procédure, disposer des preuves en question ou si les productions tardives de son adversaire justifient que le dossier soit complété de façon à assurer le respect du principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Pethke/EUIPO, T‑169/17, non publié, EU:T:2019:135, point 43 et jurisprudence citée).

71      En l’espèce, il convient de relever que, d’une part, les documents A.1, A.2, A.4 à A.7, A.9 et A.11, produits le 27 octobre 2021, datent d’après la clôture de la procédure écrite, intervenue le 5 septembre 2019, et que les autres annexes, A.3, A.8 et A.10, se rapportent, selon la requérante, à des événements et à des publications survenus ou portés à sa connaissance après le dépôt de la réplique, de sorte que la requérante ne pouvait pas les présenter avant cette date. D’autre part, les preuves en cause ont été présentées avant la clôture de la phase orale de la procédure au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Achemos Grupė et Achema/Commission, T‑417/16, non publié, EU:T:2019:597, points 37 et 38).

72      Pour ces raisons, il y a lieu d’admettre, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, la production des preuves figurant dans les annexes A.1 à A.11 produites le 27 octobre 2021.

 Sur le premier moyen tiré de l’absence de compétence du CRU pour décider de la liquidation de la requérante

73      La requérante fait valoir, en substance, que le CRU a excédé la compétence qui lui est conférée par le règlement no 806/2014 en ordonnant sa liquidation. Dans le mémoire en réplique, la requérante étaye son affirmation selon laquelle sa liquidation a été ordonnée par le CRU dans le communiqué de presse relatif aux décisions attaquées, dans ces décisions mêmes ainsi que par les déclarations publiques ultérieures du CRU.

74      Le CRU conteste ces arguments.

75      L’article 2, paragraphe 2, du dispositif de la décision SRB/EES/2018/09 se borne à prévoir que, conformément à l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, la CMFC mettra en œuvre cette décision et s’assurera que toute mesure prise y est conforme, selon les considérations prévues. Ledit article ne précise pas la nature des mesures que la CMFC doit ou peut prendre. De toute manière, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 51 ci-dessus, il résulte de l’ordonnance du 14 mai 2020, Bernis e.a./CRU (T‑282/18, non publiée, EU:T:2020:209), que la décision attaquée SRB/EES/2018/09 n’impose pas directement et immédiatement à la CMFC de procéder à une liquidation de la requérante. La Cour, au point 49 de son arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369), a également souligné que la liquidation de la requérante a découlé d’une décision prise par les actionnaires de cette société à la suite de la décision du CRU aux termes de laquelle il n’était pas nécessaire dans l’intérêt public d’appliquer un dispositif de résolution à son égard, conformément au règlement no 806/2014.

76      Étant donné que le CRU n’a pas, par sa décision SRB/EES/2018/09, décidé de la liquidation de la requérante, l’argumentation de celle-ci ne saurait être retenue.

77      Dans la mesure où la requérante invoque, à l’appui de son argumentation, les termes employés dans le communiqué de presse du CRU du 24 février 2018, il convient de relever que celui-ci n’est qu’un acte informatif qui annonce et résume les décisions attaquées. Ainsi, le communiqué de presse ne se substitue pas à ces décisions, ni ne saurait créer des obligations qui ne découlent pas de celles-ci.

78      Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré de ce que le CRU n’était pas compétent pour prendre une décision formelle de ne pas adopter un dispositif de résolution 

79      La requérante fait valoir, en substance, que le CRU n’était pas compétent pour prendre une décision formelle de ne pas adopter un dispositif de résolution au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, en ce que, bien que la défaillance de la requérante fût avérée ou prévisible et qu’il n’existât aucune perspective raisonnable que d’autres mesures empêchent sa défaillance dans un délai raisonnable, un dispositif de résolution n’était pas nécessaire dans l’intérêt public.

80      Le CRU conteste ces arguments.

81      Ainsi qu’il ressort du point 70 de l’arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369), lorsque la BCE parvient à la conclusion que l’entité concernée est dans une situation de défaillance avérée ou prévisible, son évaluation est transmise au CRU et la procédure de résolution est entamée. Il incombe, à ce moment, au CRU de vérifier si les conditions visées par l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 sont réunies afin de décider s’il y a lieu d’adopter un dispositif de résolution.

82      Au point 56 de l’arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369), la Cour a également considéré que ladite évaluation faite par la BCE, étant un acte intermédiaire et non un acte attaquable, était susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel dans le cadre d’un recours devant les juridictions de l’Union contre l’adoption par le CRU d’un dispositif de résolution ou contre la décision de ne pas adopter un tel dispositif. Il s’ensuit que le CRU est tenu de prendre une décision positive ou négative une fois qu’il a examiné les trois conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, ne fût-ce que pour éviter une lacune dans la protection juridictionnelle d’une entité, surtout en ce qui concerne l’évaluation de sa défaillance avérée ou prévisible par la BCE.

83      En outre, ainsi que le souligne également le CRU, cette conclusion trouve appui dans le contexte réglementaire plus large dans lequel s’inscrit l’article 18 du règlement no 806/2014. Ainsi, il ressort de l’article 82, paragraphe 2, de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190) que « [l]a décision de prendre ou non une mesure de résolution en ce qui concerne un établissement ou une entité […] contient les informations suivantes ». Cette disposition prévoit ainsi expressément la possibilité d’adopter une décision de ne pas prendre une mesure de résolution. Or, ladite disposition peut être considérée comme l’équivalent de l’article 18 du règlement no 806/2014, qui s’applique à l’égard des établissements de crédit moins importants qui ne sont pas soumis à la surveillance directe de la BCE, mais qui relèvent de la surveillance des ARN.

84      De surcroît, une fois que la BCE a estimé qu’un établissement de crédit est en situation de défaillance avérée ou prévisible, il incombe au CRU de décider si cette évaluation est correcte et, si tel est le cas, si l’établissement de crédit en question fera ou non l’objet d’une résolution. Au demeurant, l’incompétence alléguée du CRU pour adopter une décision de ne pas mettre en place un dispositif de résolution risquerait de compromettre la stabilité de l’établissement concerné et potentiellement des marchés financiers, en laissant planer un doute sur les suites qu’il conviendrait d’envisager à l’égard de cet établissement au regard de l’évaluation de la BCE.

85      Il s’ensuit que, à la suite du déclenchement de la procédure par la BCE, le CRU était tenu d’examiner les critères énumérés à l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 et de prendre une décision à l’issue de cet examen.

86      Il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur les troisième et quatrième moyens, tirés de la violation de l’article 18, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 806/2014

87      Les troisième et quatrième moyens, qu’il convient de traiter ensemble, sont composés, respectivement, d’une branche et de quatre branches. Dans le cadre du quatrième moyen, qu’il convient d’aborder en premier, la requérante fait valoir, en premier lieu, que c’est à tort que le CRU n’a pas effectué un propre examen de la condition prévue par l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement no 806/2014. Le CRU se serait appuyé complètement sur l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante faite par la BCE. En deuxième lieu, s’agissant de cette évaluation, la requérante argue que les problèmes de liquidité temporaires auxquels elle a été confrontée à la suite du projet de mesure du FinCEN ne constituent pas à eux seuls un motif suffisant pour l’estimer en défaillance avérée ou prévisible. Conformément aux orientations ABE/GL/2015/07 de l’Autorité bancaire européenne (ABE), du 6 août 2015, sur l’interprétation des différentes situations dans lesquelles la défaillance d’un établissement est considérée comme avérée ou prévisible en vertu de l’article 32, paragraphe 6, de la directive 2014/59 (ci-après les « orientations de l’ABE »), il serait recommandé de tenir compte de tous les éléments objectifs et il serait déconseillé de fonder l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité sur un seul élément, tel que la disponibilité immédiate de liquidités. En troisième lieu, la requérante soutient que le montant exigé par la BCE d’un milliard d’euros disponible sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie, avant la levée éventuelle du moratoire, le 23 février 2018, était disproportionné. En effet, la BCE aurait surestimé le retrait de dépôts prévu en cas d’une réouverture de la requérante en se fondant sur une moyenne de retraits de 200 millions d’euros par jour pendant une période de cinq jours d’affilée. En quatrième lieu, la requérante soulève une série d’arguments à l’appui de sa thèse selon laquelle la BCE n’a pas pris en compte tous ses actifs liquides, surtout ceux auxquels elle n’avait pas accès instantanément. Dans le cadre du troisième moyen, la requérante fait valoir que le CRU n’a pas suffisamment examiné s’il existait une perspective raisonnable que d’autres mesures empêchent sa défaillance.

88      Le CRU et la BCE contestent l’ensemble de ces arguments.

89      Avant d’examiner le bien-fondé des troisième et quatrième moyens, il convient d’opérer les considérations liminaires suivantes.

–       Sur le degré du contrôle juridictionnel de l’évaluation, par le CRU, de la défaillance avérée ou prévisible d’un établissement de crédit

90      Tout d’abord, il convient d’examiner l’étendue du contrôle qu’exerce, en l’espèce, le Tribunal.

91      Il ressort de la jurisprudence que le contrôle des juridictions de l’Union sur les appréciations économiques complexes effectuées par les institutions, organes ou organismes de l’Union est restreint, en ce sens qu’il se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. Dans le cadre de ce contrôle, il n’appartient donc pas au juge de l’Union de substituer son appréciation économique à celle de l’autorité de l’Union compétente (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, EU:C:1985:327, point 34 ; du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 100 et jurisprudence citée, et du 16 janvier 2020, Iberpotash/Commission, T‑257/18, EU:T:2020:1, point 96 et jurisprudence citée).

92      Les évaluations par le CRU de la défaillance avérée ou prévisible d’un établissement de crédit étant fondées sur des appréciations économiques complexes, il y a lieu de considérer que cette jurisprudence est transposable à ce type d’évaluations.

93      Or, s’il est reconnu au CRU une marge d’appréciation à cet égard, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par le CRU, des données de nature économique qui fondent sa décision. En effet, ainsi que la Cour l’a jugé, même dans le cas des appréciations complexes, le juge de l’Union doit vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, par analogie, arrêts du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, EU:C:2007:698, point 57 et jurisprudence citée ; du 26 mars 2019, Commission/Italie, C‑621/16 P, EU:C:2019:251, point 104 et jurisprudence citée, et du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 115 et jurisprudence citée).

94      À cet égard, afin d’établir que le CRU a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée, les éléments de preuve apportés par la requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus (voir, par analogie, arrêts du 14 juin 2018, Lubrizol France/Conseil, C‑223/17 P, non publié, EU:C:2018:442, point 39 ; du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, EU:T:1996:195, point 59, et du 13 décembre 2018, Comune di Milano/Commission, T‑167/13, EU:T:2018:940, point 108 et jurisprudence citée).

95      Les considérations précédentes ne sont pas remises en cause par l’argument de la requérante affirmant que la notion de liquidité aurait été définie par le législateur de l’Union dans le règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1), et le règlement délégué (UE) 2015/61 de la Commission, du 10 octobre 2014, complétant le règlement no 575/2013 en ce qui concerne l’exigence de couverture des besoins de liquidité pour les établissements de crédit (JO 2015, L 11, p. 1). La requérante considère qu’il n’existe pas de marge de manœuvre à cet égard pour le CRU et la BCE et qu’il incombe au Tribunal de contrôler de manière stricte le respect de ces règles, de sorte que le contrôle juridictionnel n’est pas circonscrit.

96      Toutefois, contrairement à ce que fait valoir la requérante, l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante faite par la BCE et adoptée par le CRU ne s’appuie pas sur la définition de la notion de liquidité énoncée dans le cadre des instruments législatifs cités au point 95 ci-dessus, qui s’inscrivent dans le contexte de la surveillance prudentielle, mais concerne la question de savoir si une entité ne sera pas en mesure dans un proche avenir de s’acquitter de ses dettes ou d’autres engagements à l’échéance, au sens de l’article 18, paragraphe 4, sous c), du règlement no 806/2014. En l’espèce, la BCE et le CRU ont estimé que, pour empêcher la défaillance de la requérante, celle-ci devait disposer d’un milliard d’euros en liquide sur son compte auprès de la Banque de Lettonie à un moment précis. Cette exigence est fondée sur une analyse prospective de la situation économique dans laquelle se trouverait la requérante après la levée éventuelle du moratoire. Une telle analyse implique nécessairement de tenir compte d’un ensemble de données économiques et d’effectuer des pronostics concernant l’évolution de la situation sur le marché après la levée dudit moratoire et les risques qui y sont associés et repose donc sur des évaluations économiques complexes au sens de la jurisprudence citée au point 91 ci-dessus.

–       Autres remarques liminaires

97      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les événements ultérieurs quant à sa situation en matière de liquidités ont démontré que l’analyse prospective de la BCE était erronée, le Tribunal est appelé à trancher la question de savoir si, au moment de l’adoption de l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante, la BCE et le CRU ont commis une erreur d’appréciation manifeste en concluant, sur le fondement d’éléments objectifs, que la requérante ne serait plus en mesure, dans un proche avenir, de s’acquitter de ses dettes, tout en tenant compte de la marge d‘appréciation dont disposaient lesdites institutions.

98      En effet, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté et que les appréciations portées par le CRU ne doivent être examinées qu’en fonction des seuls éléments dont celui-ci disposait au moment où il les a effectuées (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 37 et jurisprudence citée, et du 3 mars 2010, Freistaat Sachsen/Commission, T‑102/07 et T‑120/07, EU:T:2010:62, point 115 et jurisprudence citée).

99      Partant, les événements ultérieurs invoqués par la requérante, qui démontreraient la nature temporaire de ses problèmes de liquidité, même à les supposer établis, ne sauraient infirmer l’évaluation de sa défaillance avérée ou prévisible par la BCE, adoptée par le CRU, ni l’estimation selon laquelle il n’existait pas de mesures alternatives de nature à empêcher la défaillance.

100    La requérante invoque, ensuite, à plusieurs reprises le caractère illicite de la proposition de mesure du FinCEN et la réaction à celle-ci de la part de ses partenaires refusant d’effectuer des transactions en dollar des États-Unis avec elle. Ces faits auraient provoqué les retraits massifs de dépôts à son égard et une pénurie de trésorerie. Selon la requérante, la BCE était obligée de clarifier, auprès de ces partenaires, la portée de la proposition de mesure du FinCEN, qui ne comportait pas de mesure définitive interdisant de libérer les actifs de la requérante en dollar des États-Unis.

101    Toutefois, il convient de relever que les causes de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante ne constituent pas un élément à prendre en compte pour effectuer l’examen prévu par l’article 18, paragraphe 4, du règlement no 806/2014. Cette disposition définit quatre situations dans le cadre desquelles une entité est réputée être en défaillance avérée ou prévisible. En l’espèce, la BCE a estimé, sur le fondement des retraits massifs ayant affecté la requérante, que celle-ci ne serait, dans un proche avenir, pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance au sens de l’article 18, paragraphe 4, sous c), dudit règlement. Le CRU a adopté la conclusion de la BCE. Les causes ayant donné lieu à cette situation n’étant pas pertinentes, il n’y a pas lieu, dans le cadre du présent recours, de déterminer si le projet de mesure du FinCEN et le fait que les partenaires de la requérante ont décidé, à la suite de la publication de ce projet, de suspendre tous les paiements envers elle, étaient justifiés. Au demeurant, il n’est pas non plus pertinent d’examiner, dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision fondée sur l’article 18 du règlement n° 806/2014, si la BCE avait l’obligation de clarifier la situation juridique de la requérante auprès des autorités américaines ou de ses partenaires opérant sur le marché américain.

102    C’est à la lumière de ces observations et principes qu’il convient d’examiner si le CRU pouvait fonder la décision SRB/EES/2018/09 sur l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante selon laquelle il existait des éléments objectifs permettant de conclure que, dans un avenir proche, elle ne serait plus en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance au sens de l’article 18, paragraphe 4, sous c), du règlement no 806/2014 et que, compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes, il n’existait aucune perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée, y compris des mesures prévues par un système de protection institutionnel, ou des mesures prudentielles, y compris des mesures d’intervention précoce ou la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres pertinents conformément à l’article 21 dudit règlement, prises à l’égard de l’entité, empêchent sa défaillance dans un délai raisonnable, au sens de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du même règlement.

–       Sur la question de savoir si le CRU était en droit de se fonder sur l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante par la BCE

103    La requérante fait valoir, dans la réplique, que le CRU ne pouvait se fonder uniquement sur l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante effectuée par la BCE sans procéder lui-même à un examen propre. Ce grief, qu’il convient de traiter en premier, doit être rejeté indépendamment de la question de savoir s’il s’agit d’un grief nouveau au sens de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.

104    En effet, ce grief revient à méconnaître le rôle de la BCE dans le système mis en place par l’article 18 du règlement no 806/2014, tel qu’il a été relevé par la Cour dans l’arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369).

105    Certes, le CRU n’est pas lié par l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité établie par la BCE. En effet, cette évaluation n’est pas un acte contraignant et, en particulier, ne place pas le CRU en situation de compétence liée au regard de cette évaluation. Rien dans le libellé de cette disposition n’indique que le CRU serait privé d’un pouvoir d’appréciation concernant la situation de défaillance avérée ou prévisible de l’entité en question (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 67).

106    Toutefois, l’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du même règlement confère un rôle prioritaire, même s’il n’est pas exclusif, à la BCE, puisque c’est à celle-ci qu’il revient, en règle générale, de procéder, dans un premier temps, à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité. Si le CRU peut également procéder à une telle évaluation, ce n’est qu’après avoir informé la BCE de son intention de le faire et seulement si celle-ci ne procède pas à une évaluation dans les trois jours calendaires à compter de la réception de cette information. À la BCE est donc reconnue une compétence prioritaire pour procéder à une telle évaluation, fondée sur l’expertise dont elle dispose en tant qu’autorité de surveillance, puisque, ayant accès, en cette qualité, à l’ensemble des informations prudentielles au sujet de l’entité concernée, elle est la mieux placée pour déterminer, au regard de la définition de la défaillance avérée ou prévisible figurant à l’article 18, paragraphe 4, de ce règlement, qui se réfère, notamment, à des éléments liés à la situation prudentielle tels que les conditions d’agrément, le montant de l’actif comparé à celui du passif ou l’endettement actuel ou futur, si cette condition est remplie (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 62).

107    En l’espèce, le CRU a exposé au point 3.2.1 de la décision attaquée SRB/EES/2018/09, en se fondant sur l’évaluation effectuée par la BCE, que la défaillance de la requérante était réputée avérée ou prévisible au sens de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement no 806/2014, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 4, sous c), du même règlement, au motif que, si le moratoire était levé après le 23 février 2018, il était fort probable que les sorties de trésorerie des établissements se poursuivraient au même rythme qu’avant la mise en place de celui-ci, compte tenu de l’atteinte à sa réputation provoquée par le projet de mesure du FinCEN. De ce fait, le CRU a fait sienne l’appréciation de la BCE selon laquelle la requérante devait disposer d’une capacité de rééquilibrage d’un milliard d’euros sur son compte auprès de la Banque de Lettonie, montant permettant de répondre à l’ampleur des retraits escomptés pendant les cinq jours suivant immédiatement la levée du moratoire. Étant donné que cette capacité de rééquilibrage n’a pas été atteinte, le CRU a également fait sienne l’estimation de la BCE affirmant que la requérante ne serait probablement pas capable, dans un avenir proche, de payer ses dettes à leur échéance et que sa défaillance était prévisible ou avérée.

108    Dans ces conditions et eu égard à la large marge d’appréciation dont disposait le CRU en application de la jurisprudence évoquée aux points 91 à 94 ci-dessus dans le cadre de l’appréciation économique complexe qu’est l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante, le CRU, tout en n’étant pas lié par l’examen et l’estimation de la BCE, n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur celle-ci, la BCE étant l’institution la mieux placée pour effectuer l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante.

109    L’argumentation de la requérante ne saurait donc être retenue.

–       Sur l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante qui est essentiellement fondée sur sa crise de liquidité

110    Selon la requérante, la BCE a considéré, à tort, qu’un problème temporaire d’accès à certaines liquidités justifiait la conclusion selon laquelle elle était en défaillance avérée ou prévisible. La BCE se serait fondée sur une seule circonstance, à savoir la pénurie temporaire de trésorerie à la suite des retraits massifs pendant la période entre le 14 et le 16 février 2018, et n’aurait pas suffisamment tenu compte de la situation globale de la requérante. Celle-ci soutient que ni son ratio de couverture ni sa forte capitalisation n’ont été suffisamment pris en compte. Il résulterait notamment des orientations de l’ABE que tous les éléments objectifs entourant les difficultés d’un établissement de crédit devraient être mis en balance pour déterminer si celui-ci est en défaillance avérée ou prévisible.

111    Il convient de relever, d’emblée, que, conformément à l’article 18, paragraphe 4, du règlement no 806/2014, la défaillance d’une entité est réputée avérée ou prévisible si celle-ci se trouve dans l’une ou plusieurs des situations énumérées aux points a) à d) de ladite disposition. En l’occurrence, la BCE a estimé que la requérante n’était pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance, ou qu’il existait des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produirait dans un proche avenir, au sens de l’article 18, paragraphe 4, sous c), du même règlement. Ainsi que l’a fait valoir à juste titre la BCE, il ne ressort pas de l’article 18 du règlement no 806/2014 que la BCE et le CRU doivent tenir compte d’éléments tels que le ratio de couverture ou la capitalisation d’un établissement de crédit avant de pouvoir conclure que celui-ci est en défaillance avérée ou prévisible.

112    Cette considération ne saurait être remise en cause par les orientations de l’ABE. En effet, selon le point 5 de leur version en langue anglaise, lesdites orientations visent à favoriser, en vertu de l’article 32, paragraphe 6, de la directive 2014/59, la convergence des pratiques de surveillance et de résolution en ce qui concerne l’interprétation des différentes situations dans lesquelles la défaillance d’un établissement est considérée comme avérée ou prévisible. La BCE soutient à juste titre que ces orientations ne sauraient être interprétées en contradiction avec le règlement no 806/2014 et qu’elles n’imposent donc pas de conditions supplémentaires qui ne découlent pas de l’article 18 dudit règlement.

113    En tout état de cause, conformément au point 14 des orientations de l’ABE, dans la version en langue anglaise, l’autorité de résolution devrait évaluer les éléments objectifs concernant, notamment, la situation de fonds propres de l’établissement de crédit et la position de liquidité de celui-ci. Or, selon le point 16 de la version en langue anglaise de ces orientations, si, dans la plupart des cas, il est prévu que plusieurs des facteurs définis dans lesdites orientations et non un seul d’entre eux permettent de déterminer si la défaillance d’un établissement de crédit est avérée ou prévisible, il n’en reste pas moins que, dans certaines situations, il est possible qu’une seule des conditions suffise à déclencher une résolution, en fonction de sa sévérité et de son impact prudentiel. Contrairement à ce que fait valoir la requérante, il ne ressort donc pas des orientations de l’ABE que plusieurs conditions ou facteurs doivent nécessairement être pris en considération avant de pouvoir conclure qu’un établissement de crédit n’est pas ou ne sera pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance dans un proche avenir.

114    Ensuite, ainsi que l’a fait valoir la BCE, la présence de liquidités est primordiale pour un établissement de crédit, étant donné que sa fonction principale est de recevoir des dépôts du public et de les réinvestir dans l’économie réelle en octroyant des prêts. Cette fonction d’intermédiaire repose sur la prémisse qu’un déposant doit être en mesure de se faire restituer les dépôts sur demande, en principe dans l’immédiat. Si une banque ne peut pas rembourser les fonds des déposants, cela affecte non seulement la confiance dans cet établissement de crédit, mais aussi, potentiellement, par propagation, la confiance dans l’ensemble du système bancaire. Il est constant, par ailleurs, que les phénomènes de retrait massif des dépôts affectent non seulement des établissements de crédit en difficulté, mais également des établissements sains à la suite d’une perte de confiance du public dans la solidité de ce système (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Kantarev, C‑571/16, EU:C:2018:807, point 56 et jurisprudence citée).

115    Par conséquent, dans les circonstances telles que celles de l’espèce caractérisées par des retraits massifs de dépôts à la suite d’une rupture de confiance entre l’établissement de crédit et sa clientèle, le ratio de couverture de cet établissement et sa capitalisation sont d’une moindre importance par rapport à la disponibilité immédiate de liquidités au sein de cet établissement. L’argumentation de la requérante doit donc être rejetée.

–       Sur la conclusion de la BCE selon laquelle la requérante devait disposer, pour empêcher sa défaillance, d’un milliard d’euros en liquide détenus auprès de la Banque de Lettonie le 23 février 2018 à 18 h 00

116    La requérante fait valoir, en substance, que la capacité de rééquilibrage à hauteur d’un milliard d’euros sur son compte auprès de la Banque de Lettonie, considérée comme nécessaire par la BCE pour rembourser les dépôts susceptibles d’être retirés à court terme au moment d’une réouverture éventuelle de la requérante après une levée du moratoire, était disproportionnée.

117    Premièrement, la requérante soutient que l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de celle-ci par la BCE, reprise par le CRU, n’a pas tenu compte du fait que des dépôts à vue, sans échéance, donc exigibles dans l’immédiat, avaient été convertis en dépôts à terme à hauteur d’un montant de 449 millions d’euros le 22 février 2018. Selon la requérante, ces dépôts ne seraient pas exigibles, sans son consentement, pendant une période de six mois après la conversion, raison pour laquelle ces dépôts ne pouvaient pas être réclamés à court terme. Le montant des dépôts immédiatement exigibles s’élèverait donc à 1,596 milliard d’euros et non pas à 2,043 milliards d’euros comme cela a été évalué par la BCE.

118    Deuxièmement, selon la requérante, la thèse de la BCE affirmant que les retraits de dépôts auraient continué au même rythme que durant les trois jours précédant la suspension des paiements, du 14 au 16 février 2018, à savoir des retraits de 200 millions d’euros en moyenne par jour, n’est pas fondée. Rien ne démontrerait que le retrait des dépôts aurait repris de façon linéaire après la levée éventuelle du moratoire. Elle fait valoir que, après le retrait initial des dépôts les plus volatils, il resterait un solde de base de dépôts plus stables. Sur ce point, la requérante se réfère au processus interne d’évaluation de l’adéquation de la liquidité (internal liquidity adequacy assessment process, ILAAP), approuvé par la BCE dans le cadre de sa décision la plus récente portant sur le processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP) de 2017, dont il ressortirait qu’une grande partie des dépôts à vue serait stable et bénéficierait de la confiance des déposants.

119    En outre, le volume des sorties aurait été déjà moins élevé le 16 février 2018 par rapport à la veille. Les tentatives de retirer des sommes par le biais d’Internet ne concerneraient que 28 millions d’euros par jour ouvrable durant le moratoire. De surcroît, la requérante se serait déjà acquittée d’un nombre considérable de ses obligations de paiement en dollar des États-Unis par des transferts de titres en euro même si, le 15 février 2018, elle avait pris la décision de remplacer les versements en dollar des États-Unis par des versements en euro ou en nature et, à partir du 16 février, de cesser complètement les versements sur les dettes libellées en dollar des États-Unis, en invoquant une cause de force majeure. Au cours de cette période de force majeure, 167 millions d’euros auraient encore été versés en nature au titre des obligations de paiement en dollar des États-Unis de la requérante. Il serait fort improbable que les demandes visant à retirer des dépôts immédiatement après la levée du moratoire concerneraient des montants de 200 millions d’euros par jour.

120    En réponse à ces arguments, premièrement, il convient de relever, à l’instar de la BCE, qu’il n’y avait pas de garantie que les dépôts convertis en dépôts à terme ne seraient pas retirés à court terme, le cas échéant moyennant le paiement d’une pénalité. La BCE a souligné encore, lors de l’audience de plaidoiries, que la grande majorité des déposants n’avait pas accepté la conversion en dépôt à terme. Elle en a déduit que ces déposants ayant refusé la conversion étaient susceptibles de réclamer la restitution de leurs dépôts à court terme. Il s’agissait de dépôts d’une valeur de 1,596 milliard d’euros. En outre, elle a relevé que la conversion d’un certain nombre de dépôts n’a pas changé l’estimation selon laquelle les retraits allaient se poursuivre à un rythme de 200 millions d’euros par jour en moyenne et qu’il fallait, dès lors, que la requérante dispose d’une capacité de rééquilibrage d’un milliard d’euros avant la réouverture éventuelle de cet établissement de crédit.

121    Les arguments invoqués par la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause l’appréciation des faits par la BCE. En effet, la requérante se borne à affirmer, sans présenter de preuves à l’appui, qu’il était convenu quant aux dépôts à terme que ceux-ci ne seraient pas réclamés pendant une période de six mois. En tout état de cause, même à supposer que cette affirmation soit prouvée et étayée, elle n’infirmerait pas l’estimation de la BCE que les retraits allaient probablement se poursuivre à la même vitesse et dans la même ampleur après une réouverture hypothétique de l’entité en cause et qu’il fallait dès lors disposer d’un montant élevé en liquidité pour subvenir aux demandes pendant les cinq jours suivant cette réouverture. En effet, les dépôts non convertis se seraient encore élevés à 1,596 milliard d’euros, montant qui dépasse largement la capacité de rééquilibrage d’un milliard d’euros exigé par la BCE.

122    Deuxièmement, rien dans le dossier dont dispose le Tribunal ne permet de mettre en cause l’estimation de la BCE selon laquelle les évaluations internes passées de l’adéquation de la liquidité de la requérante, invoquées par celle-ci, étaient d’une valeur limitée au moment de la situation exceptionnelle ayant donné lieu à la décision SRB/EES/2018/09. Certes, l’ILAAP de la requérante avait été approuvé par la BCE en 2017, mais il est constant que la requérante a été confrontée, en février 2018, à une situation imprévue de retraits massifs des dépôts à la suite d’une perte de confiance du public dans la solidité de cet établissement de crédit, et ce indépendamment de la question de savoir si elle était un établissement sain ou en difficulté.

123    Dans ces conditions extraordinaires, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la BCE s’est fondée sur la hauteur des retraits de dépôts du 14 au 16 février 2018, qui reflétait de manière adéquate la situation de cet établissement de crédit au moment de l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible et de l’adoption de la décision attaquée. En effet, ainsi que l’a fait valoir à juste titre la BCE, l’utilisation de la moyenne des sorties de trésorerie de 200 millions d’euros par jour du 14 au 16 février 2018 aux fins du calcul de la réserve de liquidités visée à la date limite s’explique par le fait que, pendant une crise de liquidité, les retraits de trésorerie peuvent être volatils et que la prise en compte d’une moyenne réduit le risque d’erreur de calcul. En outre, la BCE s’est fondée sur des données non contestées, objectives et actuelles au moment de l’adoption de la décision SRB/EES/2018/09. Eu égard à l’atteinte à la réputation de la requérante et au manque de confiance qui en a résulté, c’était sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la BCE a estimé que les retraits continueraient au même rythme après la levée du moratoire, aucun événement susceptible de rassurer les marchés n’étant intervenu entre-temps.

124    Au demeurant, l’argument de la requérante selon lequel l’ampleur des retraits aurait démontré une tendance à la baisse entre le 14 et le 16 février 2018 ne saurait prospérer non plus. À cet égard, la BCE a indiqué, lors de l’audience de plaidoiries, sans être contredite, que le montant des retraits était plus élevé le 15 février que le 14 février, de sorte qu’il n’y avait pas moyen de constater une tendance à la hausse, ni à la baisse. L’argumentation de la requérante doit donc être rejetée.

–       Autres arguments concernant l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante par la BCE, adoptée par le CRU

125    La requérante invoque une série d’autres arguments à l’appui de sa contestation du résultat de l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible par la BCE, adoptée par le CRU. Ainsi, elle fait valoir, en substance, que la BCE n’a pas tenu compte de tous les actifs liquides dont elle disposait ou pouvait disposer. La BCE aurait tenu compte du montant de 694 millions d’euros disponibles à la date limite, le 23 février 2018 à 18 h 00, sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie et elle aurait méconnu les actifs qui ne figuraient pas sur ce compte. La requérante argue, en substance, qu’une série d’actifs d’une valeur de 690 millions d’euros ont été exclus à tort par la BCE, actifs qui auraient pu être convertis en espèces si la BCE l’avait demandé. Ces actifs auraient été disponibles dans un délai raisonnable au fur et à mesure des retraits de dépôts.

126    S’agissant, d’emblée, du fait que seuls les actifs liquides sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie ont été pris en considération par la BCE, il y a lieu de relever que celle-ci a confirmé, lors de l’audience de plaidoiries, que seule la liquidité disponible sur ce compte était vérifiable pour elle, tandis que la disponibilité immédiate d’autres actifs n’était pas contrôlable. Au demeurant, l’argument de la requérante selon lequel elle n’avait pas été informée du fait que seules les liquidités disponibles sur ce compte pouvaient être prises en considération pour calculer la capacité de rééquilibrage à la date butoir ne peut qu’être rejeté. Ainsi que l’a fait valoir la BCE, au point 93 du mémoire en intervention et sans être contredite, cette exigence a été communiquée de manière claire aux représentants de la requérante, notamment lors d’une réunion du 20 février 2018, dont le compte-rendu figure à l’annexe F.4.1 du mémoire en intervention de la BCE.

127    La requérante ne saurait valablement reprocher à la BCE de ne pas avoir fait la distinction entre les liquidités en sa possession et l’accès à celles-ci, étant donné que certains actifs étaient temporairement inaccessibles. En effet, la requérante n’a pas démontré que l’accès à ces liquidités aurait été rétabli à temps pour satisfaire à la demande de retraits de dépôts.

128    Il s’ensuit que la BCE a pris en compte et évalué les actifs mentionnés par la requérante, mais qu’elle a fondé, du fait de l’incertitude quant à la disponibilité immédiate de ces actifs, sa conclusion sur les seuls actifs concrètement disponibles sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie à la date butoir.

129    La BCE a expliqué, à cet égard, aux points 15 à 19 du mémoire en intervention, que les actifs liquides qu’un établissement de crédit détient pour répondre aux sorties de trésorerie proviennent principalement de deux sources. La première source est constituée d’espèces, qui sont en principe des comptes d’espèces détenus auprès de la banque centrale ou auprès d’autres acteurs, auxquels l’établissement en question peut avoir accès sur demande. La seconde source de liquidité est constituée de certains titres négociables de haute qualité qui peuvent être donnés en garantie, généralement après application d’une décote sur la valeur nominale, pour obtenir un prêt d’espèces auprès d’une banque centrale ou d’un partenaire ou qui peuvent être cédés au comptant à un tiers pour en obtenir le prix en espèces. L’obtention d’un prêt requiert du dépositaire qui détient les titres qu’il donne ces titres en garantie, tandis que la cession de titres peut nécessiter plus de temps étant donné qu’elle implique l’assistance d’acteurs supplémentaires, outre le dépositaire qui détient le titre, tels que le dépositaire central de titres et la banque commerciale ou centrale.

130    Elle a soutenu, ensuite, que les fonds existants sur les comptes d’espèces, en particulier ceux détenus auprès d’une banque centrale, étaient immédiatement disponibles pour une banque qui avait besoin de trésorerie pour rembourser des déposants et d’autres créanciers. Toutefois, l’emprunt sur les marchés monétaires, ou l’obtention d’espèces auprès de sources autres que la banque centrale, dépend de la volonté des partenaires commerciaux. Le financement de marché ne saurait donc être considéré comme acquis et il peut être limité, ou faire l’objet de décotes très importantes appliquées aux garanties, ou parfois être complètement indisponible. Compte tenu de ces restrictions au financement de marché, de nombreuses banques centrales conservent une fonction de prêteur de dernier recours, dans le cadre de laquelle elles accordent généralement des prêts d’urgence en espèces aux banques commerciales en échange de garanties, dans les situations où les autres acteurs opérant sur le marché ne souhaitent pas le faire.

131    Dans ce contexte, toujours d’après la BCE, la solution à la crise de liquidité de la requérante, à laquelle celle-ci et la requérante ont souscrit, était de chercher à transformer les actifs supposés liquides de cet établissement de crédit en un montant d’espèces suffisant, une capacité de rééquilibrage, qui serait immédiatement mobilisable par la banque sans aucune restriction afin de répondre aux demandes de retrait.

132    Or, étant donné que plusieurs partenaires détenant les valeurs mobilières de la requérante n’ont pas souhaité libérer les actifs de celle-ci en raison du projet de mesure du FinCEN et que la plupart des banques correspondantes de la requérante ont mis fin à leurs relations d’affaires ou ont imposé des limites importantes aux montants des opérations, seuls les soldes de trésorerie ou les titres détenus auprès de la Banque de Lettonie pouvaient être considérés comme étant immédiatement mobilisables afin de répondre aux demandes de retrait des dépôts à venir, selon la BCE.

133    Eu égard à ce qui précède, la BCE a fourni une explication plausible des raisons pour lesquelles les actifs dont la disponibilité réelle sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie au moment de l’échéance n’était pas prouvée ne pouvaient pas être pris en compte aux fins du calcul de la capacité de rééquilibrage.

134    Par ailleurs, la requérante invoque un certain nombre de catégories spécifiques d’actifs que la BCE aurait dû prendre en considération pour établir l’évaluation de sa défaillance avérée ou prévisible.

135    Concernant, premièrement, les revenus de la vente de titres à hauteur de 407 millions d’euros, force est de constater que la requérante n’a pas établi à suffisance de droit que ces titres constituaient des actifs facilement et immédiatement mobilisables et utilisables pour payer les déposants souhaitant retirer leurs dépôts tout de suite après la levée éventuelle du moratoire. Il est constant que les produits de cette vente, à supposer qu’elle ait été réalisée, n’ont pas été versés au compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie avant le 23 février 2018 à 18 h 00, ainsi que l’a relevé à bon droit la BCE. Il ne saurait donc être reproché à la BCE de ne pas avoir compté les titres ou les revenus de leur vente présumée parmi les liquidités directement disponibles le lendemain du 23 février 2018 pour restituer les dépôts en cas de demande.

136    Pour ce qui concerne, deuxièmement, les actifs liquides que la requérante détenait sur les comptes nostro (comptes bancaires détenus par la requérante au sein d’autres banques) à hauteur de 29 millions d’euros et les actifs d’une valeur de 13 millions d’euros en sa possession sur le compte qu’elle détient auprès d’Euroclear, il convient de noter que la BCE les a pris en compte aux points 30 et 31 de l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante. Les titres détenus auprès d’Euroclear pour le compte de la requérante étaient, selon elle, des titres de haute qualité, tels que des obligations d’État, et facilement convertibles dans un délai raisonnable. Toutefois, force est de constater que le produit de ces conversions n’avait pas non plus été libéré à temps, de sorte que les montants correspondants n’étaient pas disponibles sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie le 23 février 2018 à 18 h 00. En effet, il résulte des tableaux figurant dans les annexes G.4 et G.5 des observations de la requérante relatives au mémoire en intervention de la BCE qu’une partie considérable des produits de ventes ont été versés par Euroclear à la requérante bien après cette date.

137    L’argument de la requérante selon lequel la conversion des actifs très liquides devait se faire en fonction des paiements courants et qu’il s’est avéré après le 23 février 2018 que le délai de conversion de certains titres avait baissé ne saurait remettre en question l’appréciation de la BCE, étant donné que celle-ci avait considéré, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, ainsi qu’il ressort des points 126 à 133 ci-dessus, que seule la présence des liquidités sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie garantissait la disponibilité immédiate de celles-ci.

138     La même considération vaut, troisièmement, pour ce qui concerne les autres titres dont aurait disposé la requérante et qui auraient pu être vendus à hauteur de 358 millions d’euros, au nombre desquels figuraient une quantité de titres de premier ordre d’une valeur de 229 millions d’euros et, quatrièmement, les 12 millions d’euros en espèces dont la requérante prétend avoir disposé. Force est de constater que la disponibilité immédiate desdits actifs après la levée éventuelle du moratoire n’a pas été prouvée et que ces actifs n’avaient pas non plus été convertis en liquidités figurant sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie le 23 février 2018 en fin de journée.

139    Cinquièmement, la requérante fait valoir que la BCE a eu tort de décider le 21 février 2018 de limiter l’accès de la requérante aux opérations de politique monétaire (monetary policy operations, MPO). Ainsi, elle n’aurait pas eu accès à une ligne de crédit de 40 millions d’euros qui aurait pu être utilisée pour dégager d’autres liquidités. La BCE rétorque qu’il s’agit d’une décision du conseil de ses gouverneurs du 21 février 2018 prise dans le cadre de la surveillance prudentielle. Force est de constater que la requérante ne conteste pas réellement le bien-fondé de cette décision du conseil des gouverneurs et n’expose pas clairement de quelle manière l’accès à ladite ligne de crédit aurait pu contribuer à libérer d’autres liquidités afin de satisfaire à l’objectif de la disponibilité d’un milliard d’euros sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie. En tout état de cause, ladite décision ne fait pas partie de la décision attaquée dans le présent recours, ni n’en constitue le fondement juridique, de sorte qu’elle ne fait pas l’objet du litige.

140    Il convient de souligner, dans des conditions telles que celles de l’espèce, eu égard à la précaution et à la prudence exigées de la BCE en situation de crise, qu’elle était en droit de prendre en compte uniquement les liquidités immédiatement disponibles sur le compte de la requérante auprès de la Banque de Lettonie, afin d’écarter tout risque que les demandes de retraits ne soient pas satisfaites dans les cinq jours suivant la levée du moratoire, les actifs dont la requérante prétend disposer ailleurs n’étant pas rapidement disponibles.

141    L’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante par la BCE, adoptée ensuite par le CRU, n’est pas non plus remise en cause par l’argument selon lequel l’exigence formulée par la BCE concernant la capacité de rééquilibrage n’était pas raisonnable étant donné que la requérante, afin de satisfaire à cette exigence, aurait dû débourser des sommes importantes afin de convertir des titres et d’autres actifs en espèces immédiatement disponibles. En effet, cet argument n’enlève rien à l’appréciation de la BCE en matière de capacité de rééquilibrage dont la présence devait être prouvée à l’échéance.

142    Enfin, selon la requérante, le moratoire aurait pu être prolongé afin de rétablir sa situation en matière de liquidité sans déclencher le système de garantie des dépôts. À cet égard, la BCE se serait fondée sur une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 8, de la Noguldījumu garantiju likums (loi lettonne sur la garantie des dépôts). Cette disposition indiquerait que la CMFC devait prendre une décision concernant l’indisponibilité des dépôts dans les cinq jours ouvrables à compter de la date à laquelle il a été établi qu’un preneur de dépôts était incapable de restituer ces derniers. Or, lors d’un moratoire, il serait impossible de constater l’indisponibilité des dépôts, les paiements étant de toute manière suspendus. De ce fait, l’argument avancé par la BCE selon lequel une prolongation du moratoire aurait déclenché automatiquement le système de garantie des dépôts et n’aurait, dès lors, pas été possible, serait donc erroné.

143    Cet argument ne saurait prospérer non plus.

144    En l’espèce, la BCE a estimé que la requérante était en pénurie de trésorerie à la suite du retrait de dépôts massif qui s’était manifesté du 14 au 16 février 2018. Elle a imparti à la requérante un délai de cinq jours, à compter de l’entrée en vigueur du moratoire, pour rétablir sa situation en matière de liquidité afin de pouvoir faire face à une prochaine vague de retraits. Toutefois, ce délai passé, la requérante n’était pas en mesure de démontrer qu’elle disposait d’un milliard d’euros sur son compte auprès de la Banque de Lettonie.

145    C’est donc sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la BCE a conclu, à ce moment, sur le fondement de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), et deuxième alinéa, et paragraphe 4, sous c), du règlement no 806/2014, que la requérante était en défaillance avérée ou prévisible. Dans ces conditions, la BCE n’était nullement tenue de donner instruction à la CMFC de prolonger le moratoire.

146    Partant, eu égard à la marge d’appréciation dont disposait le CRU dans le cadre de son analyse économique complexe, la requérante n’a pas démontré qu’il avait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’elle était en défaillance avérée ou prévisible.

–       Sur l’existence d’une perspective raisonnable que d’autres mesures empêchent une défaillance

147    La requérante soutient, en substance, que le CRU n’a pas suffisamment étayé sa conclusion selon laquelle il n’existait aucune perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée ou des mesures prudentielles, prises à l’égard de la requérante, puissent empêcher sa défaillance dans un délai raisonnable.

148    Le CRU conteste ces arguments.

149    Conformément à l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement no 806/2014, un dispositif de résolution peut uniquement être adopté si, notamment, compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes, il n’existe aucune perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée, y compris des mesures prévues par un système de protection institutionnel, ou des mesures prudentielles, y compris des mesures d’intervention précoce ou la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres pertinents conformément à l’article 21 du même règlement, prises à l’égard de l’entité, empêchent sa défaillance dans un délai raisonnable.

150    Au point 3.2.2 de la décision SRB/EES/2018/09, le CRU a considéré qu’il n’existait aucune mesure alternative qui aurait raisonnablement pu éviter la défaillance de la requérante. Le CRU s’est appuyé, en substance, dans le cadre de son examen, sur des éléments produits par la BCE dans le contexte de son évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante.

151    Il ne saurait être reproché au CRU de s’être fondé sur l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante par la BCE pour effectuer l’examen de la condition prévue par l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement no 806/2014. Certes, les conditions visées par l’article 18, paragraphe 1, sous a) et b), de ce règlement sont distinctes. Il n’en demeure pas moins que, en l’occurrence, l’examen de mesures alternatives visées par l’article 18, paragraphe 1, sous b), dudit règlement a été intégré à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante effectuée par la BCE relative à la condition prévue par l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement. En effet, avant de conclure que, selon la BCE, la défaillance de la requérante était avérée ou prévisible, celle-ci a examiné si cette défaillance pouvait encore être évitée par des mesures alternatives, telles qu’un prolongement du moratoire ou la mise en œuvre des options de récupération des liquidités disponibles prévues dans le plan de redressement de la requérante de 2017. En outre, selon l’article 18, paragraphe 1, quatrième alinéa, « [l]’évaluation de la condition visée au premier alinéa, [sous] b), est réalisée par le CRU […] en étroite collaboration avec la BCE » et « [l]a BCE peut aussi informer le CRU […] qu’elle juge remplie la condition fixée audit point ». Le CRU pouvait donc se fonder sur l’examen effectué par la BCE.

152    Face aux éléments concrets et objectifs avancés par le CRU au point 3.2.2 de la décision SRB/EES/2018/09, la requérante reste en défaut d’exposer les raisons pour lesquelles les mesures alternatives prises en considération par le CRU et par la BCE étaient de nature à empêcher sa défaillance dans un délai raisonnable. La requérante n’identifie pas d’autres mesures dont le CRU aurait dû tenir compte dans le cadre de son examen. Dans ces conditions, la seule affirmation non étayée selon laquelle le CRU aurait méconnu l’existence des mesures alternatives ne suffit pas pour priver de plausibilité l’appréciation de celui-ci et n’est pas de nature à démontrer l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation.

153    Il y a donc lieu de rejeter les troisième et quatrième moyens.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu et du droit à l’accès au dossier administratif

154    La requérante fait valoir que le CRU a violé son droit d’être entendue, au sens de l’article 41 de la Charte, en ne lui donnant pas la possibilité de formuler des observations auprès de lui avant l’adoption de la décision SRB/EES/2018/09. Elle n’aurait pas non plus eu accès au dossier administratif du CRU.

155    Le CRU conteste ces arguments.

156    Il y a lieu de rappeler que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte prévoit que le droit à une bonne administration comporte le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

157    Le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts. Ensuite, il convient de préciser que le droit d’être entendu poursuit un double objectif. D’une part, il sert à l’instruction du dossier et à l’établissement des faits le plus précisément et correctement possible et, d’autre part, il permet d’assurer une protection effective de l’intéressé. Le droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (voir arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, points 68 et 69 et jurisprudence citée).

158    Il convient de relever que la Cour a affirmé l’importance du droit d’être entendu et sa portée très large dans l’ordre juridique de l’Union, en considérant que ce droit devait s’appliquer à toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief. Le respect du droit d’être entendu s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (voir arrêts du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, points 85 et 86 et jurisprudence citée ; du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 67 et jurisprudence citée, et du 7 novembre 2019, ADDE/Parlement, T‑48/17, EU:T:2019:780, point 89 et jurisprudence citée).

159    De même, l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte prévoit le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires.

160    Il convient de relever, d’emblée, que le règlement no 806/2014 a pour objectif d’instaurer, conformément à son considérant 8, des mécanismes de résolution plus efficaces, lesquels doivent constituer un instrument essentiel pour éviter les conséquences dommageables des défaillances des banques survenues par le passé. Or s’agissant de la procédure prévue à l’article 18 de ce règlement, un tel objectif suppose une prise de décision rapide, souvent dans des conditions d’urgence, comme l’illustrent les brefs délais prévus dans cette disposition, afin que la stabilité financière ne soit pas mise en péril (arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 55).

161    Toutefois, alors que la nécessité de célérité de la procédure prévue à l’article 18 du règlement no 806/2014 doit ainsi être prise en compte, elle doit également être conciliée avec le droit d’être entendu.

162    En outre, le considérant 26 du règlement no 806/2014 confirme à la fois la compétence partagée entre la BCE, autorité de surveillance au sein du MSU, et le CRU, autorité de résolution, pour apprécier si un établissement de crédit est en situation de défaillance avérée ou prévisible, et la compétence exclusive du CRU pour apprécier si les autres conditions requises pour l’adoption d’un dispositif de résolution sont remplies (arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 64).

163    Eu égard à la nature de cette procédure administrative complexe visée par l’article 18 du règlement no 806/2014 et menée par la BCE et le CRU conjointement et successivement, ni l’article 41 de la Charte ni les dispositions dudit règlement n’exigent que l’entité concernée par la décision d’adopter ou de ne pas adopter un dispositif de résolution soit entendue à chaque phase de la procédure par chacun de ces deux organes séparément.

164    En l’occurrence, il est constant, premièrement, que, si la requérante n’a pas été entendue par le CRU avant l’adoption de la décision SRB/EES/2018/09, elle a en revanche été entendue à plusieurs reprises par la BCE.

165    Ainsi, la requérante a été mise en mesure de s’exprimer, dans le cadre de l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible, sur les éléments pertinents. En outre, ainsi qu’il ressort du point 151 ci-dessus, la BCE a examiné les mesures alternatives de nature à empêcher la défaillance de la requérante. Dans son évaluation, effectuée après avoir entendu la requérante, la BCE a examiné ses arguments, en les résumant et en y répondant. Le CRU, auquel l’évaluation de la BCE a été ensuite communiquée, avait donc pleine connaissance des arguments de la requérante lors de l’adoption de la décision SRB/EES/2018/09, dans laquelle il a fait siennes les conclusions de la BCE relatives aux conditions posées par l’article 18, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 806/2014.

166    Certes, dans la décision SRB/EES/2018/09, le CRU a examiné pour la première fois la condition posée par l’article 18, paragraphe 1, sous c), du règlement no 806/2014, selon laquelle une mesure de résolution doit être nécessaire dans l’intérêt public. Toutefois, aucun des griefs de la requérante n’est dirigé contre l’absence alléguée d’un intérêt public, mais ils sont dirigés contre, d’une part, les conclusions selon lesquelles la défaillance de la requérante était avérée ou prévisible, conformément à l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement no 806/2014, et, d’autre part, le constat que, compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes, il n’existait aucune perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée ou des mesures prudentielles empêchent sa défaillance dans un délai raisonnable au sens de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du même règlement. Sur les points qu’elle conteste, la requérante a donc été entendue dans le cadre de la procédure administrative.

167    Il importe de souligner également qu’aucun nouvel événement n’est survenu et qu’aucune nouvelle donnée n’a été portée à la connaissance du CRU entre, d’une part, la communication, par la BCE, de son évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante et, d’autre part, l’adoption de la décision attaquée. De surcroît, le CRU n’a pas fondé la décision SRB/EES/2018/09 sur des éléments autres que ceux déjà retenus par la BCE et sur lesquels la requérante a déjà été entendue, en ce qui concerne les éléments de cette décision qui ont été contestés par la requérante dans le cadre de la présente procédure. Le CRU n’a pas non plus fondé cette décision sur des motifs différents de ceux exposés par la BCE.

168    Dans ces conditions, il y a lieu de relever que le droit d’être entendue de la requérante n’a pas été violé.

169    Deuxièmement, à l’égard du droit d’accès au dossier, la Cour a jugé que l’existence d’une violation des droits de la défense, y compris ledit droit, doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 97 et jurisprudence citée). En l’espèce, il suffit de relever que la requérante n’a pas allégué, ni établi qu’elle n’avait pas pu consulter les documents pertinents pour l’examen effectué par la BCE, notamment dans le cadre du dialogue entre elle et cette institution dans le cadre dudit examen et le dossier soumis devant le Tribunal ne contient aucun indice en ce sens. La requérante n’a pas non plus précisé les documents auxquels elle n’aurait pas eu accès dans le cadre de l’examen effectué par la BCE et auxquels elle aurait dû avoir accès dans le cadre de la procédure devant le CRU, ni comment ceux-ci lui auraient permis de mieux assurer sa défense. De surcroît, force est de constater que le CRU ne s’est pas fondé sur des documents autres que ceux sur lesquels l’examen effectué par la BCE était fondé.

170    Il y a donc lieu de rejeter le cinquième moyen.

 Sur le sixième moyen tiré d’un défaut de motivation

171    La requérante fait valoir que le CRU a insuffisamment motivé la décision attaquée SRB/EES/2018/09. Il se serait borné à citer le texte des dispositions pertinentes sans exposer les éléments de fait sur lesquels repose la décision. En outre, le CRU n’aurait pas analysé tous les critères énoncés à l’article 18, paragraphe 4, du règlement no 806/2014. La requérante maintient ce moyen dans sa réplique (point 98) après avoir pris connaissance du texte intégral de la décision attaquée SRB/EES/2018/09.

172    Le CRU conteste ces arguments.

173    Il ressort de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, que le droit à une bonne administration comporte, notamment, l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

174    Par ailleurs, il convient de rappeler que la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences fixées à l’article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, EU:C:2011:551, point 125 et jurisprudence citée ; arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, C‑450/17 P, EU:C:2019:372, point 87).

175    Il s’ensuit qu’une motivation ne doit pas être exhaustive, mais doit être considérée comme suffisante dès lors qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 169, et du 3 mars 2010, Freistaat Sachsen/Commission, T‑102/07 et T‑120/07, EU:T:2010:62, point 180).

176    En l’occurrence, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, dans la décision SRB/EES/2018/09, le CRU a expliqué de façon non équivoque et suffisamment précise les raisons pour lesquelles il a considéré que, premièrement, sa défaillance était avérée ou prévisible et, deuxièmement, compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes, il n’existait aucune perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée, y compris des mesures prévues par un système de protection institutionnel et des mesures prudentielles prises à son égard, soient de nature à empêcher sa défaillance dans un délai raisonnable. En outre, le CRU a exposé dans cette décision, troisièmement, les raisons détaillées pour lesquelles il a considéré que l’adoption d’une mesure de résolution n’était pas nécessaire dans l’intérêt public. La condition prévue par l’article 18, paragraphe 1, sous c), du règlement no 806/2014 n’étant donc pas remplie, il en résultait qu’il n’y avait pas lieu d’adopter un dispositif de résolution à l’égard de la requérante.

177    Il s’ensuit, en application de la jurisprudence citée aux points 174 et 175 ci-dessus, que la décision SRB/EES/2018/09 fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du CRU de manière à permettre à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle.

178    Partant, l’argumentation de la requérante ne saurait être accueillie et il y a lieu de rejeter le sixième moyen.

 Sur les septième et treizième moyens, tirés de la violation du droit de la requérante de voir ses affaires traitées impartialement

179    À l’appui de ses septième et treizième moyens, qu’il convient de traiter conjointement, la requérante fait valoir, en substance, que l’article 41 de la Charte a été violé en ce que son affaire n’a pas été traitée par les institutions en toute impartialité. L’ingérence des autorités américaines aurait violé la souveraineté de la République de Lettonie dans le secteur bancaire. Ces autorités auraient également empiété sur les domaines de compétence de la BCE et du CRU. Ces derniers auraient pourtant accepté le projet de mesure du FinCEN et auraient, à tort, fondé la décision SRB/EES/2018/09 sur celui-ci ou sur les conséquences directes de celui-ci.

180    Le CRU conteste les arguments de la requérante.

181    L’article 41, paragraphe 1, de la Charte énonce notamment que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union.

182    À cet égard, l’exigence d’impartialité, qui s’impose aux institutions, aux organes et aux organismes dans l’accomplissement de leurs missions, vise à garantir l’égalité de traitement qui est à la base de l’Union. Cette exigence vise, notamment, à éviter des situations de conflits d’intérêts éventuels à l’égard de fonctionnaires et d’agents agissant pour le compte des institutions, des organes et des organismes. Compte tenu de l’importance fondamentale de la garantie d’indépendance et d’intégrité en ce qui concerne tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union, l’exigence d’impartialité couvre toutes circonstances que le fonctionnaire ou l’agent amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptibles d’affecter son indépendance en la matière (voir arrêt du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 53 et jurisprudence citée).

183    Il incombe à ces institutions, organes et organismes de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (voir arrêt du 25 février 2021, Dalli/Commission, C‑615/19 P, EU:C:2021:133, point 112 et jurisprudence citée). À cet égard, la Cour a précisé que, afin de démontrer que l’organisation de la procédure administrative n’offre pas des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, il n’est pas requis d’établir l’existence d’un manque d’impartialité. Il suffit qu’un doute légitime à cet égard existe et ne puisse pas être dissipé (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 37).

184    En l’espèce, il est constant que la proposition de mesure du FinCEN a engendré une atteinte grave à la réputation de la requérante et des retraits massifs de dépôts. Dans ces conditions, il incombait à la BCE, en sa qualité d’autorité de surveillance prudentielle chargée de la surveillance directe de la requérante, et ensuite au CRU, d’intervenir afin de tenter de préserver la stabilité du système bancaire. Le fait que, en l’occurrence, la défaillance avérée ou prévisible de la requérante et, par la suite, la décision du CRU de ne pas adopter un dispositif de résolution à l’égard de celle-ci ont été la conséquence indirecte d’un acte d’une autorité d’un État tiers ne signifie pas à lui seul que le CRU et la BCE ont été partiaux au sens de la jurisprudence citée aux points 182 et 183 ci-dessus.

185    En effet, force est de constater, à cet égard, ainsi que le CRU l’a relevé à juste titre, que celui-ci et la BCE ont suivi la procédure visée par l’article 18 du règlement no 806/2014. Ainsi qu’il ressort notamment de l’analyse des troisième et quatrième moyens, aux points 87 à 153 ci-dessus, l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de la requérante a été fondée sur des éléments de fait objectifs démontrant un manque de liquidité imminent en ce qui concernait celle-ci. L’absence de perspective raisonnable que d’autres mesures de droit privé ou public permettent d’éviter la défaillance a également été étayée par des éléments de fait objectifs. La requérante n’apporte aucun élément de preuve concret de nature à établir que, en raison d’un parti pris, d’un préjugé, d’un conflit d’intérêts ou encore d’un manque d’indépendance, le CRU ou la BCE auraient fait preuve de partialité à son égard.

186    Dans ces conditions, la requérante ne parvient pas à démontrer qu’il existe un doute légitime quant au fait que le CRU et la BCE n’auraient pas été impartiaux lors de leur prise de décision. Il y a donc lieu d’écarter les septième et treizième moyens.

 Sur les huitième et dixième moyens, tirés, respectivement, de la violation du principe de proportionnalité et des articles 16 et 17 de la Charte

187    Par son huitième et dixième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, d’une part, la requérante fait valoir que le CRU a violé le principe de proportionnalité dans la décision SRB/EES/2018/09 dès lors qu’il a méconnu l’existence d’autres solutions moins invasives que sa liquidation. D’autre part, le CRU aurait violé le droit de propriété et la liberté d’entreprise de la requérante, consacrés par les articles 16 et 17 de la Charte. Selon elle, le motif réel de la décision SRB/EES/2018/09 était de réduire le nombre des banques en Lettonie au profit de la lutte contre le blanchiment d’argent. La requérante aurait été expropriée de fait et sa liberté d’entreprise aurait été restreinte de manière arbitraire.

188    Ces moyens reposent sur la prémisse selon laquelle le CRU a imposé la liquidation et la sortie du marché de la requérante à travers la décision SRB/EES/2018/09. Or, ainsi qu’il ressort des points 75 et 76 ci-dessus, cette décision n’a pas ordonné la liquidation de la requérante. L’argumentation de la requérante, en ce qu’elle repose sur une prémisse erronée, ne peut donc qu’être rejetée.

189    Dès lors, il y a lieu de rejeter les huitième et dixième moyens.

 Sur le neuvième moyen, tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

190    La requérante allègue que le CRU a violé son droit à l’égalité de traitement, consacré par l’article 20 de la Charte, ainsi que le principe de non-discrimination énoncé à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 806/2014. Selon elle, un établissement de crédit letton, tel qu’elle-même, n’est pas traité de la même manière que le serait un établissement établi dans un grand État membre. En outre, la requérante aurait fait, de manière arbitraire, l’objet d’une proposition de mesure du FinCEN tandis que les autres établissements de crédit lettons n’ont pas été affectés par de telles propositions, visant en réalité à réduire la taille du secteur bancaire en Lettonie. Cela aurait été confirmé par des déclarations du président de la CMFC et de la ministre des Finances lettonne, selon lesquelles le choix du FinCEN de proposer des mesures à l’encontre de la requérante au lieu d’une autre banque lettonne serait arbitraire. Le FinCEN aurait voulu envoyer un message politique du fait que la CMFC, la BCE et le CRU ne seraient pas à même de gérer la lutte contre le blanchiment d’argent.

191    Le CRU conteste ces arguments.

192    Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, « [a]ucune mesure, proposition ou politique du CRU, du Conseil, de la Commission ou d’une [ARN] n’exerce, à l’encontre d’entités, de déposants, d’investisseurs ou d’autres créanciers établis dans l’Union, de discrimination fondée sur leur nationalité ou leur lieu d’établissement ». Cette disposition constitue une expression spéciale du principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission, C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 70).

193    En l’espèce, il suffit de constater que la requérante n’a pas établi in concreto qu’une autre banque se trouvant dans une situation comparable aurait été traitée d’une manière différente. Au contraire, les allégations de la requérante restent vagues et imprécises, de même que la pertinence des déclarations du président de la CMFC invoquées à l’appui du présent moyen. Les arguments de la requérante n’ayant pas été suffisamment étayés, celle-ci n’a pas démontré avoir été victime d’une violation du principe d’égalité de traitement.

194    Partant, il convient d’écarter le neuvième moyen.

 Sur le onzième moyen, tiré de la violation de l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans

195    La requérante estime, dans le cadre du onzième moyen, que le CRU a violé l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans, selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. En particulier, elle fait valoir que le CRU aurait dû rectifier la fausse déclaration du gouverneur de la Banque de Lettonie selon laquelle le projet de mesure du FinCEN comportait une interdiction d’opérer encore des transactions avec la requérante. Sans ces irrégularités, l’issue de la procédure aurait été différente.

196    Le CRU conteste cette argumentation.

197    Pour se prévaloir de l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans, encore faut-il qu’il soit établi un comportement fautif imputable au CRU, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

198    Au surplus, le CRU ne saurait être tenu pour responsable des déclarations, prétendument fausses, du président de la CMFC.

199    En outre, ainsi qu’il ressort du point 101 ci-dessus, la cause de la situation de défaillance avérée ou prévisible ne saurait remettre en question l’examen opéré par le CRU et la BCE, de sorte que cette publication des déclarations du président de la CMFC ne saurait leur être reprochée.

200    La requérante n’est donc pas fondée à alléguer que le CRU a bénéficié de ses propres actes fautifs éventuels.

201    Il y a donc lieu d’écarter le onzième moyen.

 Sur le douzième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir du CRU

202    La requérante fait valoir, en substance, que la décision SRB/EES/2018/09 est le résultat d’un détournement de pouvoir par le CRU. Le FinCEN aurait pris la requérante comme exemple afin de dénoncer des lacunes dans le système de contrôle du respect de la réglementation de lutte contre le blanchiment d’argent. Or, il serait erroné de partir de la prémisse selon laquelle une réduction du nombre d’établissements de crédit en Lettonie aiderait à faire baisser le risque d’opérations de blanchiment d’argent. Pour des raisons politiques, la Lettonie, en tant que petit pays, considérerait comme inévitable une réduction de la taille de son secteur bancaire. En tout état de cause, ces objectifs ne sauraient être atteints au moyen de mesures adoptées par les autorités de surveillance ou de résolution, mais uniquement par le biais de mesures de lutte contre le blanchiment d’argent.

203    Le CRU conteste les arguments de la requérante.

204    Il importe de rappeler qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêt du 10 mars 2005, Espagne/Conseil, C‑342/03, EU:C:2005:151, point 64).

205    Eu égard à cette jurisprudence, la requérante est restée en défaut d’apporter des éléments de nature à étayer son argumentation. En effet, les éléments de fait avancés par la requérante, même à les supposer prouvés, ne sauraient être attribués au CRU, mais tout au plus à d’autres acteurs tels que le FinCEN ou encore aux dirigeants politiques lettons.

206    Compte tenu de tout ce qui précède, le moyen tiré d’un détournement de pouvoir doit donc être écarté.

207    Il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

208    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du CRU.

209    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la BCE supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      ABLV Bank AS est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de résolution unique (CRU).

3)      La Banque centrale européenne (BCE) supportera ses propres dépens.

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

Hesse

 

      Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juillet 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.