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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

19 octobre 2022 (*)

« Fonction publique – Concours général EPSO/AD/374/19 – Décision de ne pas inscrire le nom du requérant sur la liste de réserve – Requête déposée par e-Curia – Article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure – Pièces justificatives requises pour la validation du compte d’accès à e-Curia – Tardiveté – Absence de cas fortuit – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑370/22,

QH, représentée par Me A. Papadopoulos, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

Composé, lors des délibérations, de MM. R. da Silva Passos (rapporteur), président, V. Valančius et L. Truchot, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, QH, demande, en substance, l’annulation de plusieurs actes relatifs au concours général EPSO/AD/374/19 (ci-après le « concours »), dans le domaine notamment du droit de la concurrence, auquel elle a participé sans que son nom figure sur la liste de réserve dudit concours.

 Antécédents du litige

2        Le 6 juin 2019, l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) a publié au Journal officiel de l’Union européenne l’avis de concours général sur titres et sur épreuves EPSO/AD/374/19, ayant pour objet le recrutement d’administrateurs (groupe de fonctions AD) dans le domaine du droit de la concurrence, du droit financier, du droit de l’Union économique et monétaire, des règles financières applicables au budget de l’Union européenne et de la protection des pièces en euro contre la contrefaçon (JO 2019, C 191 A, p. 1, ci-après l’« avis de concours »), en vue de la constitution d’une liste de réserve à partir de laquelle la Commission européenne recruterait de nouveaux membres de la fonction publique en tant qu’administrateurs.

3        La requérante s’est portée candidate au concours et a participé, au cours de l’année 2020, à l’ensemble des épreuves prévues dans l’avis de concours. Le 14 janvier 2021, elle a été informée de la décision du jury de ne pas inscrire son nom sur la liste de réserve dudit concours. Le 22 janvier suivant, elle a formé une demande de réexamen de cette décision, qui a été rejetée par décision du jury le 8 avril 2021. Le 12 avril suivant, elle a introduit, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, une réclamation à l’égard de cette décision. Par décision du 22 mars 2022, l’autorité investie du pouvoir de nomination a rejeté cette réclamation.

 Conclusions de la requérante

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 juin 2022, la requérante a introduit le présent recours. Elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la liste de réserve du concours ou les décisions concernant le recrutement de candidats effectué sur la base de cette liste ou la décision du jury de ne pas inscrire son nom sur ladite liste ou l’addendum à l’avis de concours ou la convocation du 22 janvier 2020 à aller passer une épreuve ou la décision portant rejet de la réclamation ;

–        ordonner à la Commission de produire des informations statistiques en ce qui concerne ses décisions prises dans le cadre du concours, en particulier en ce qui concerne les emplois antérieurs au sein des institutions de l’Union, l’âge et les modalités de passage des épreuves au centre d’évaluation en présentiel en 2020 et à distance en 2021 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 En droit

5        Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

6        Conformément à l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure, si un acte de procédure est déposé par e‑Curia avant que les pièces justificatives requises pour valider le compte d’accès n’aient été produites, ces pièces doivent parvenir en format papier au greffe du Tribunal dans un délai de dix jours à compter du dépôt de l’acte. Ce délai ne peut pas être prorogé et l’article 60 du règlement de procédure n’est pas applicable. À défaut de réception des pièces justificatives dans le délai imparti, le Tribunal déclare irrecevable l’acte de procédure déposé par e‑Curia [ordonnance du 16 septembre 2019, Brand IP Licensing/EUIPO – Facebook (lovebook), T‑728/18, non publiée, EU:T:2019:664, point 9].

7        Le 17 juin 2022, en vue du dépôt de la requête, le représentant de la requérante a procédé à l’ouverture d’un compte d’accès à e-Curia, selon la procédure spéciale prévue aux points 9 et 13 des conditions de l’application e-Curia, établies par le Tribunal à la suite de la décision du Tribunal du 11 juillet 2018 relative au dépôt et à la signification d’actes de procédure par la voie de l’application e-Curia (JO 2018, L 240, p. 72) (ci-après les « conditions d’utilisation de l’application e-Curia »).

8        Les pièces justificatives requises pour valider le compte d’accès à e-Curia visées au point 6 ci-dessus (ci-après les « pièces justificatives ») sont parvenues en format papier au greffe du Tribunal le 29 juin 2022.

9        Au vu de ce qui précède, il appartient au Tribunal de statuer sur la question de savoir si, en l’espèce, par le dépôt de la requête, la requérante a formé un recours recevable.

10      À cet égard, il y a lieu de constater que la requérante a déposé une requête par e-Curia avant que les pièces justificatives n’aient été produites. En effet, ces pièces sont parvenues au greffe du Tribunal le 29 juin 2022, soit après l’expiration, le 27 juin 2022, du délai de dix jours prévu à l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure, calculé à compter de la date du dépôt de la requête, le 17 juin 2022. La requérante a été invitée à présenter ses observations à cet égard.

11      Dans ses observations, déposées au greffe le 27 juillet 2022, la requérante a fait valoir l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure. À cet égard, elle s’est prévalue, preuve à l’appui, d’avoir effectué, par l’intermédiaire de son représentant, le dépôt auprès de la poste grecque d’un courrier contenant les pièces justificatives à la date du 20 juin 2022, soit trois jours, et le premier jour ouvrable, après l’ouverture de son compte d’accès à e-Curia et le dépôt de la requête auprès du greffe, en vue d’un envoi à destination du greffe par courrier recommandé. Dans ces conditions, le retard du dépôt au greffe de ces pièces dans le délai de dix jours s’expliquerait par un retard de livraison postale seul imputable à la poste grecque. Par conséquent, elle estime, en substance, avoir pris toutes les mesures raisonnables pour que lesdites pièces arrivent au greffe dans le délai requis et, partant, que le non-respect de celui-ci ne saurait lui être imputé.

12      Il convient de rappeler que l’application stricte des réglementations de l’Union en matière de délais de procédure, y compris le délai prévu à l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure, répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019, RF/Commission, C‑660/17 P, EU:C:2019:509, point 57). Conformément à l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, paragraphe 1, dudit statut, il ne peut être dérogé aux délais de procédure que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, de cas fortuit ou de force majeure. En vertu de ce même article, c’est à celui qui invoque un cas fortuit ou de force majeure d’en établir l’existence (ordonnance du 16 septembre 2019, lovebook, T‑728/18, non publiée, EU:T:2019:664, point 15).

13      La notion de cas fortuit comporte un élément objectif, relatif aux circonstances anormales et étrangères à l’intéressé, et un élément subjectif, tenant à l’obligation, pour l’intéressé, de se prémunir contre les conséquences de l’événement anormal en prenant des mesures appropriées sans consentir des sacrifices excessifs. En particulier, l’intéressé doit surveiller soigneusement le déroulement de la procédure entamée et, notamment, faire preuve de diligence afin de respecter les délais prévus. Ainsi, la notion de cas fortuit ne s’applique pas à une situation où une personne diligente et avisée aurait objectivement été en mesure d’éviter l’expiration d’un délai de procédure (voir ordonnance du 12 juillet 2016, Vichy Catalán/EUIPO, C‑399/15 P, non publiée, EU:C:2016:546, point 24 et jurisprudence citée).

14      En outre, pour être qualifié de cas fortuit, un événement doit présenter un caractère inévitable, de sorte que cet événement devienne la cause déterminante de la forclusion (voir ordonnance du 16 septembre 2019, lovebook, T‑728/18, non publiée, EU:T:2019:664, point 17 et jurisprudence citée).

15      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la circonstance que le règlement de procédure prévoit un délai forfaitaire de dix jours pour l’envoi d’un original après un envoi par communication électronique n’implique pas que l’acheminement du courrier dans un délai supérieur à dix jours constitue un cas fortuit ou de force majeure. Ce délai permet de tenir compte des distances plus ou moins longues à parcourir et de la rapidité variable des opérateurs postaux. Il correspond ainsi non pas au temps maximal garanti pour l’acheminement du courrier, mais au laps de temps dans lequel tout courrier, en provenance de tout point de l’Union, devrait normalement pouvoir parvenir au greffe du Tribunal, sans qu’il puisse être exclu que ce laps de temps soit dépassé (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019, RF/Commission, C‑660/17 P, EU:C:2019:509, point 40 et jurisprudence citée). De plus, un délai de livraison du courrier supérieur à dix jours n’est pas un événement imprévisible, mais constitue une possibilité qui peut se réaliser malgré les indications des opérateurs postaux (arrêt du 19 juin 2019, RF/Commission, C‑660/17 P, EU:C:2019:509, point 41).

16      Il résulte d’une jurisprudence constante que la seule lenteur dans l’acheminement du courrier, en dehors d’autres circonstances particulières, telles qu’un dysfonctionnement administratif, une catastrophe naturelle ou une grève, ne saurait constituer, en soi, un cas fortuit ou un cas de force majeure contre lequel la requérante ne pouvait se prémunir [arrêts du 19 juin 2019, RF/Commission, C‑660/17 P, EU:C:2019:509, point 42, et du 29 juin 2018, hoechstmass Balzer/EUIPO (Forme d’un boîtier de mètre ruban), T‑691/17, non publié, EU:T:2018:394, point 15 ; voir, également, ordonnance du 16 septembre 2019, lovebook, T‑728/18, non publiée, EU:T:2019:664, point 18 et jurisprudence citée]. À cet égard, le fait de ne pas admettre qu’une lenteur des services postaux puisse elle-même constituer un cas fortuit ou de force majeure est une règle qui s’applique à tous les justiciables, indépendamment du lieu de leur résidence ou du lieu d’envoi du document concerné. L’application de cette règle permet d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire des justiciables, aucun d’entre eux n’étant favorisé lorsqu’il invoque et prouve la survenance inattendue d’un cas fortuit ou d’un cas de force majeure (arrêt du 19 juin 2019, RF/Commission, C‑660/17 P, EU:C:2019:509, point 45).

17      En l’espèce, s’agissant en premier lieu de l’élément subjectif du cas fortuit, il convient de rappeler que la requérante se limite à affirmer que le dépassement du délai de distance de dix jours prévu par l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure était dû à des raisons imputables au seul opérateur postal grec.

18      Toutefois, force est de constater que la requérante a laissé s’écouler une partie du délai dont elle disposait avant de confier au service postal grec les pièces justificatives. En effet, si elle invoque avoir effectué l’envoi de ces pièces dès le premier jour ouvrable suivant l’ouverture de son compte d’accès à e-Curia et la transmission de la requête au greffe, elle n’apporte néanmoins aucun élément de nature à démontrer la fermeture des services postaux en Grèce au cours du week-end des 18 et 19 juin 2022. Partant, il y a lieu de relever que, en manquant d’expédier lesdites pièces immédiatement après l’ouverture de son compte d’accès à e-Curia et l’envoi électronique de la requête, la requérante a augmenté le risque que ces pièces parviennent tardivement au Tribunal et n’a pas fait preuve de la diligence attendue d’une requérante normalement avisée en vue de respecter les délais (voir, en ce sens, ordonnance du 12 juillet 2016, Vichy Catalán/EUIPO, C‑399/15 P, non publiée, EU:C:2016:546, point 30).

19      De plus, le fait que la requérante ait attendu jusqu’au 20 juin 2022 avant d’aller déposer les pièces justificatives auprès de l’opérateur postal s’explique d’autant moins qu’elle avait demandé l’ouverture de son compte d’accès à e-Curia selon la procédure spéciale prévue par les points 9 et 13 des conditions d’utilisation de l’application e-Curia.

20      À cet égard, il convient de rappeler que le point 9 des conditions d’utilisation de l’application e-Curia énonce que « la procédure spécifique vise à régir une situation commandée par l’urgence et permet d’obtenir l’ouverture provisoire d’un compte en vue du dépôt d’actes de procédure devant le seul Tribunal », tandis que le point 13 desdites conditions d’utilisation, rappelant l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose ce qui suit :

« [l]orsqu’un représentant visé au point 6 des présentes conditions n’a pas entrepris les démarches nécessaires à l’ouverture d’un compte selon la procédure normale en temps utile avant l’expiration d’un délai imparti pour le dépôt d’un acte de procédure devant le Tribunal, il lui est possible d’ouvrir provisoirement un compte pour effectuer ce dépôt selon la procédure spécifique. Afin que l’ouverture de ce compte soit validée par le greffe du Tribunal, le représentant doit compléter en ligne le formulaire de demande d’ouverture d’un compte, l’imprimer, le dater, le signer de manière manuscrite et le faire parvenir en version papier par envoi recommandé ou par remise physique au greffe du Tribunal [Rue du Fort Niedergünewald, L-2925 Luxembourg], accompagné des pièces justificatives nécessaires. Si la version papier du formulaire dûment complété, daté, signé de manière manuscrite et accompagné des pièces justificatives nécessaires ne parvient pas au greffe du Tribunal dans un délai de dix jours à compter du dépôt de l’acte de procédure par e-Curia, le Tribunal déclare l’acte de procédure déposé par e-Curia irrecevable. Ce délai n’est pas prorogeable et le délai de distance forfaitaire prévu à l’article 60 du règlement de procédure du Tribunal n’est pas applicable ».

21      Au regard des points 9 et 13 des conditions d’utilisation de l’application e-Curia, le choix de la procédure spéciale par le représentant de la requérante révèle, en plus d’une négligence de ce dernier de ne pas avoir procédé à l’ouverture d’un compte d’accès à e-Curia en amont du dépôt de la requête, que celle-ci n’ignorait pas l’urgence qui caractérisait sa situation procédurale. Dans ces circonstances, le fait que la requérante n’a pas déposé les pièces justificatives auprès de la poste grecque immédiatement après l’ouverture de son compte d’accès à e-Curia et l’envoi électronique de sa requête témoigne de ce que la requérante n’a pas pris toutes les mesures appropriées afin de se prémunir contre un dépassement du délai de distance de dix jours et, partant, d’un manque de diligence de sa part.

22      Par conséquent, la requérante reste en défaut de démontrer avoir fait preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie. Ainsi, l’existence de l’élément subjectif nécessaire à une qualification de cas fortuit au sens de la jurisprudence visée au point 13 ci-dessus n’est pas établie.

23      En second lieu, s’agissant de l’élément objectif du cas fortuit, il y a lieu de relever que la requérante n’a pas établi qu’elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les pièces justificatives envoyées par le service postal parviennent au greffe dans le délai imparti, c’est-à-dire, compte tenu du jour du dépôt de ces pièces à la poste grecque, à ce que le délai habituel pour l’envoi international par cette poste soit inférieur ou égal à sept jours. En outre, elle n’a pas présenté d’arguments ni de preuves pour démontrer que la durée d’acheminement effective de son courrier, à savoir dix jours, résultait de la survenance d’un événement anormal [voir, en ce sens, ordonnance du 20 septembre 2018, Ghost – Corporate Management/EUIPO (Dry Zone), T‑488/17, non publiée, EU:T:2018:571, point 45]. À cet égard, en application de la jurisprudence visée au point 16 ci-dessus, la seule lenteur dans l’acheminement du courrier, en dehors d’autres circonstances particulières, telles qu’un dysfonctionnement administratif, une catastrophe naturelle ou une grève, ne saurait constituer, en soi, un cas fortuit ou un cas de force majeure contre lequel la requérante ne pouvait se prémunir.

24      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la requérante n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, que le dépassement du délai de dix jours serait imputable à un dysfonctionnement ou à une défaillance de l’opérateur postal grec et que la durée d’acheminement du courrier a été la cause déterminante de la forclusion, au sens où il s’agirait d’un événement présentant un caractère inévitable contre lequel elle n’aurait pu se prémunir (voir, en ce sens, ordonnance du 20 septembre 2018, Dry Zone, T‑488/17, non publiée, EU:T:2018:571, point 46).

25      Il s’ensuit que l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure n’a pas été établie et que, partant, le dépôt par e-Curia de la requête n’est pas conforme aux exigences de l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure.

26      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le présent recours comme étant manifestement irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de signifier la requête à la Commission.

 Sur les dépens

27      La présente ordonnance étant adoptée avant la signification de la requête à la partie défenderesse et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, la requérante supportera ses propres dépens, conformément à l’article 133 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      QH supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 19 octobre 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

R. da Silva Passos


*      Langue de procédure : l’anglais.