Language of document : ECLI:EU:T:2023:670

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

25 octobre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Notion d’“association” – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑386/22,

QF, représentée par Mes T. Marembert et A. Bass, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes D. Laurent, S. Van Overmeire et M. A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. D. Spielmann (rapporteur), président, Mme M. Brkan et M. T. Tóth, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante demande l’annulation de la décision (PESC) 2022/582 du Conseil du 8 avril 2022 modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 55) et du règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil du 8 avril 2022 mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en tant que son nom a été inscrit sur les listes des personnes et entités figurant à l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16) et à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6) (ci-après les « listes litigieuses »).

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        La requérante est de nationalité russe et israélienne et [confidentiel](1). En 1989, elle s’est mariée avec M. Mikhail Fridman, de qui elle a divorcé en 2005.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145.

4        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement no 269/2014.

5        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives interdisant notamment le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale.

6        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

7        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives applicables notamment dans le domaine de la finance, de la défense, de l’énergie, dans le secteur de l’aviation et de l’industrie spatiale.

8        À la même date, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause. Selon le considérant 11 de la décision 2022/329, le Conseil a estimé qu’il convenait de modifier les critères de désignation de façon à inclure les personnes et entités qui apportent un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tirent avantage de ce gouvernement ainsi que les personnes et entités qui lui fournissent une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et entités figurant sur la liste.

9        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)       à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[…]

d)       à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

10      Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants de l’article 2 de la décision 2014/145 modifiée.

11      L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, de cette décision.

12      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

13      Dans ce contexte, le 8 avril 2022, le Conseil a adopté les actes attaqués, sur le fondement de l’article 29 TUE et de l’article 215 TFUE.

14      Par ces deux actes, le nom de la requérante a été ajouté aux listes litigieuses aux motifs suivants :

« [La requérante] est l’ex-femme de Mikhail Fridman, le fondateur et l’un des principaux actionnaires d’Alfa Group (qui comprend la grande banque russe Alfa Bank), considéré comme l’un des plus grands financiers russes et comme facilitateur du cercle rapproché du président Vladimir Poutine. Mikhail Fridman est la principale source de financement des activités et besoins de son ex-femme depuis son déménagement à Paris.

Elle est une personne physique liée à Mikhail Fridman qui a apporté un soutien actif, matériel ou financier, aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine et en a tiré avantage. En outre, Mikhail Fridman a également apporté son soutien aux actions ou politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ».

15      Le 11 avril 2022, un avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes attaqués a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2022, C 157, p.3).

16      La requérante a sollicité par divers courriels adressés au Conseil, respectivement les 26 avril, 5 mai et 6 juin 2022 le retrait de son nom des listes litigieuses. Elle a également formulé une demande d’accès aux informations pertinentes et la communication des preuves sur lesquelles le Conseil s’était fondé pour adopter les mesures restrictives à son égard.

17      Le Conseil lui a adressé le dossier de preuves WK 5042/2022 INIT (ci-après le « dossier WK ») par courrier du 17 mai 2022.

18      Le 15 septembre 2022, le Conseil a adressé un courrier à la requérante, lui indiquant que son nom avait été retiré, le 14 septembre 2022, des listes litigieuses aux termes de la décision (PESC) 2022/1530 modifiant la décision 2014/145 (JO 022, L 239, p. 149) et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 239, p. 1).

 Conclusions des parties

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils la visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ; 

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

21      À l’appui du recours, la requérante invoque un moyen unique tiré d’une « erreur manifeste d’appréciation ». Dans le cadre de ce moyen, elle fait valoir des arguments qui s’articulent, en substance, en deux branches. La première branche concerne la valeur probante des preuves produites et, la seconde, le caractère erroné des appréciations effectuées.

 Sur la première branche du moyen unique, tirée de l’absence de valeur probante des preuves produites

22      La requérante fait valoir, en substance, que le Conseil n’apporte pas d’éléments concrets, précis et pertinents permettant de constituer une base factuelle suffisante afin d’étayer l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Selon elle, les éléments de preuve figurant dans le dossier WK se résument essentiellement à trois lignes extraites d’un article, mal traduit, au sujet de son ex-époux, publié sur un site Internet qu’elle qualifie de « people » dont le contenu n’aurait aucune valeur. Elle ajoute, à cet égard, que le Conseil se base pour le reste sur des sources issues de sites Internet « douteux », non-datées, dont les auteurs seraient parfois inconnus. Elle soutient que les éléments de preuve du Conseil ne contiennent aucun indice susceptible d’étayer les motifs de son inscription.

23      En particulier, la requérante estime que l’élément de preuve no 4 du dossier WK qui est un article intitulé « Mikhail Fridman » publié sur le site Internet « en.24.smi.org » constitue la source principale sur laquelle se fonde le Conseil. Selon elle, il s’agit de la traduction d’un article en russe, non-daté, censé porter sur les grandes étapes de la vie de son ex-époux. Elle soutient que l’auteur dudit article ne possède aucune expertise sur les sujets traités, la quasi-totalité des sources mentionnées sont douteuses et que l’essentiel des affirmations contenues dans cet article reste vague et peu étayée. Cette source n’aurait aucune valeur au regard de la jurisprudence du Tribunal.

24      La requérante considère également que l’élément de preuve no 1 du dossier WK, qui est un article intitulé « Mikhail Fridman » publié également sur le site Internet « en.24.smi.org » et reprenant la trame et l’essentiel du contenu de l’élément de preuve no 4 du même dossier, n’a aucune valeur probante.

25      En outre, la requérante soutient que d’autres éléments de preuve du dossier WK qui sont tirés de sites Internet commerciaux contiennent des informations recopiées d’autres sites Internet et constituent des sources qui ne seraient pas des productions originales offrant une information précise ou pertinente. Elle vise en particulier l’élément de preuve no 3 qui est un extrait du site Internet « st-martin.ru » intitulé « Fridman’s wife, Mikhail Fridman’s wife : photo, what she does », l’élément de preuve no 6 qui est un extrait du site Internet « Begeton.ru », daté du 12 janvier 2022, intitulé « Mikhail Fridman : biography, personnal life, wife, children. business, fortune, books » et l’élément de preuve no 7 qui est un extrait du site « hrmonitor.ru », daté du 7 juin 2020, intitulé « How did Mikhail Fridman make billions ? ». En outre, s’agissant de ces éléments de preuve, elle ajoute qu’une simple recherche dans un moteur de recherche suffit à trouver des résultats renvoyant vers des sites Internet comportant les mêmes informations douteuses.

26      Selon la requérante, l’élément de preuve no 5 du dossier WK, intitulé « Why billionaire Mikhail Fridman wants to leave children without an inheritance », daté du 26 janvier 2020, est un extrait du réseau social russe « zen.yandex.ru » qui constitue un site participatif dont le contenu peut être modifié en l’absence de tout contrôle.

27      Enfin, selon la requérante, la page d’un site Internet contenant une biographie intitulée « Mikhail Fridman » présentée avec l’élément de preuve no 6 du dossier WK, est également issue d’un site participatif « biographie.ru » qui a été rédigée par un auteur inconnu et éditée à une date inconnue, de sorte qu’il est dépourvu de toute valeur probante.

28      Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.

29      Il convient de rappeler que l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].

30      En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59). Or, selon la jurisprudence, les articles de presse peuvent être utilisés aux fins de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant aux faits qui y sont décrits (voir arrêts du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 147 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59 et jurisprudence citée).

31      En outre, il importe d’observer que la situation de conflit entre la Fédération de Russie et l’Ukraine rend en pratique difficile, voire impossible, le recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées et les difficultés d’investigation qui s’ensuivent et le danger auquel s’exposent ceux qui livrent des renseignements font obstacle à ce que des sources précises de comportements personnels de soutien au régime soient apportées [voir, par analogie, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 46, et du 24 novembre 2021, Al Zoubi/Conseil, T‑257/19, EU:T:2021:819, point 73 (non publié)].

32      En l’espèce, les preuves apportées par le Conseil proviennent d’articles publiés sur des sites Internet d’information ou commerciaux.

33      Il convient de relever que le fait que l’élément de preuve no 4 du dossier WK soit tiré d’un site Internet d’information « people », c’est-à-dire spécialisé sur la vie privée des personnes publiques, ne constitue pas un élément susceptible de lui enlever toute valeur probante. S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’auteur de cet article n’aurait aucune expertise, force est de constater qu’il ressort dudit dossier que cet auteur est présenté comme une biographe disposant d’une expérience professionnelle de plus de cinq années. En outre, le fait que le style rédactionnel dudit auteur relève d’un registre romancé n’est également pas de nature à priver cet élément de preuve de toute valeur probante.

34      En ce qui concerne l’élément de preuve no 1 du dossier WK, force est de constater qu’il ne saurait être privé de toute valeur probante au motif qu’il reprend le contenu de l’élément de preuve no 4 du même dossier ou que son auteur et sa date ne sont pas précisés.

35      En outre, il convient de relever, ainsi que le fait valoir la requérante, que certains éléments du dossier WK sont tirés de sites Internet commerciaux qui reproduisent avec des modifications mineures le contenu d’informations publiées sur d’autres sites Internet. Tel est notamment le cas des éléments de preuve nos 3, 6 et 7. Toutefois, le seul fait que ces éléments de preuve sont tirés de sites Internet commerciaux qui reproduisent en substance le contenu d’autres sites dans le but de générer du trafic ne saurait suffire pour priver ces éléments de preuve de toute valeur probante. De même, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les informations figurant dans ces éléments de preuves figurent également sur d’autres sites Internet commerciaux non référencés dans ledit dossier, celui-ci vise, en substance, à contester le contenu des éléments de preuve et relève donc de l’examen du bien-fondé des motifs d’inscription dans le cadre de la deuxième branche. Il doit donc être rejeté comme inopérant en ce qu’il est avancé à l’appui de la présente branche.

36      En ce qui concerne l’élément de preuve no 5 du dossier WK et la page d’un site Internet contenant une biographie intitulée « Mikhail Fridman » présentée avec l’élément de preuve no 6 du même dossier, il y a lieu de relever qu’ils sont issus de sites Internet participatifs dont le contenu éditorial n’est pas soumis à un contrôle. Néanmoins, bien que la valeur probante de tels éléments soit nécessairement limitée, il ne convient pas de les écarter.

37      Il ressort des considérations qui précèdent que, compte tenu de la situation de conflit dans lequel la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliqués et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans des pays tiers (voir la jurisprudence citée aux points 30 et 31 ci-dessus), la valeur probante des éléments de preuve du dossier WK ne saurait être écartée du fait qu’il s’agit d’informations reprises de sites Internet et notamment de sites Internet d’information sur la vie privée des personnes publiques ou de sites Internet commerciaux.

38      Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur la seconde branche, tirée de l’appréciation erronée des faits

39      La requérante soutient que le Conseil a commis une « erreur manifeste d’appréciation » en considérant que, au jour de l’adoption des actes attaqués, M. Fridman, en sa qualité d’ex-époux, était la principale source de financement de ses activités et besoins et qu’il existait donc un lien d’association entre eux. Elle relève que les éléments de preuve figurant dans le dossier WK consistent en substance en trois lignes extraites d’un article sans valeur au sujet de son ex-époux qui est reproduit par les autres sources constituant ledit dossier. Elle conteste avoir eu des relations d’ordre familial ou financier avec son ex-époux depuis leur divorce qui a eu lieu en 2005. Elle affirme que ce dernier ne lui verse plus de pension alimentaire depuis 2009 et qu’il n’a jamais financé ses activités professionnelles. Elle ajoute que ses revenus proviennent, à titre principal, de ses placements et, à titre secondaire, de son entreprise de décoration intérieure. Les biens constituant son patrimoine ne seraient pas détenus conjointement avec M. Fridman et ce dernier n’aurait pas davantage financé ceux acquis après leur divorce. Enfin, elle soutient que le Conseil s’est basé sur une information erronée pour affirmer qu’elle habitait à Paris, alors que son lieu principal de résidence se trouve actuellement à [confidentiel].

40      En réplique, la requérante allègue que le Conseil tente de procéder à une substitution de motifs irrecevable, inopérante et en toute hypothèse, fausse. Le Conseil changerait, en premier lieu, sa motivation en s’appuyant sur des pièces nouvelles, non incluses dans le dossier WK. Selon la requérante, le Conseil tente, en second lieu, d’établir un lien d’association entre elle et son ex-époux en se basant sur une situation révolue depuis longtemps et antérieure à l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie. Par ailleurs, elle estime que le Conseil a, à tort, considéré que son ex-époux était, tout le moins jusqu’à la date d’adoption des actes attaqués, un « oligarque » proche du Kremlin et que la contribution alimentaire qu’il versait jusqu’en 2009 excédait largement ce qui était perçu comme une charge alimentaire « normale » pour entretenir un ex-conjoint et ses deux enfants.

41      Le Conseil rétorque que, lors de l’adoption des actes attaqués, il disposait d’un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants permettant de conclure que la requérante pouvait être considérée comme « associée » à son ex-époux, au sens de la décision 2014/145 modifiée, en raison de la situation financière et de l’ascension économique dont elle a pu bénéficier eu égard à sa relation avec lui.

42      En particulier, le Conseil argue que, au moment de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, il pouvait présumer qu’elle était en mesure de tirer profit du fait que M. Fridman était un oligarque proche du gouvernement russe ayant soutenu les décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ainsi que les actions ou politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

43      En ce qui concerne tout particulièrement les liens de la requérante avec son ex-époux, le Conseil estime que celle-ci lui est associée. Depuis son divorce, la requérante aurait bénéficié pendant des années et dans une très grande mesure de son lien avec son ex-époux pour s’assurer un train de vie luxueux. Selon le Conseil, la somme versée mensuellement entre 2005 à 2009 par M. Fridman à la requérante a constitué l’élément lui ayant permis de présumer qu’elle était en mesure de tirer profit de la fonction exercée par son ex-époux et de sa richesse, de sorte qu’elle tire également profit des politiques économiques du gouvernement russe. Il ajoute que la requérante n’a pas clairement condamné le gouvernement russe sur le sujet de la guerre déclenchée par la Fédération de Russie en Ukraine.

44      Dans la duplique, le Conseil allègue qu’il n’invite pas le Tribunal à procéder à une substitution de motifs. Il relève à cet égard que les arguments soulevés et les éléments de preuve produits dans ses écritures ne sont pas constitutifs d’une motivation a posteriori, mais permettent d’étayer le contexte dans lequel il a adopté les actes attaqués. Il ajoute, en s’appuyant sur des articles de presse annexés à la duplique, que M. Fridman est un oligarque russe proche du Kremlin et conclut que l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de personnes « associées » permet de contrer le risque non-négligeable qu’ils compromettent les objectifs poursuivis.

45      À titre liminaire, il importe de relever que la présente branche doit être considérée comme tirée d’une erreur d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

46      Ensuite, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

47      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

48      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée).

49      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

50      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).

51      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

52      C’est à la lumière de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’examiner le bien-fondé des arguments de la requérante.

53      En l’espèce, les motifs des actes attaqués sont fondés sur le critère visé à l’article 2, paragraphe 1, in fine de la décision 2014/145 modifiée (ci-après le « critère d’association »), ce qui n’est pas contesté.

54      À cet égard, il y a lieu de souligner que, bien que la notion d’association soit souvent employée dans les actes du Conseil relatifs aux mesures restrictives, elle n’est pas en tant que telle définie et sa signification dépend des contextes et des circonstances en cause. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’elle peut être considérée comme visant des personnes physiques ou morales qui sont, de façon générale, liées par des intérêts communs sans pour autant nécessiter un lien par les biais d’une activité économique (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 93 et jurisprudence citée). La notion d’association prévue par les dispositions pertinentes de la décision 2014/145 modifiée et du règlement no 269/2014 modifié peut donc être interprétée en ce sens qu’elle vise, toute personne physique ou morale ou toute entité qui ont un lien avec une personne qui fait l’objet de mesures restrictives au titre de l’un des critères d’inscription prévus à l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision et à l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g) dudit règlement, étant précisé qu’un lien familial ne saurait, à lui seul, être suffisant.

55      S’agissant spécifiquement des membres de la famille d’une personne qui fait l’objet de mesures restrictives sur le fondement de la décision 2014/145 modifiée, il y a lieu d’observer que le considérant 7 de la décision 2022/582 souligne que les mesures restrictives doivent s’appliquer non seulement à l’égard des personnes qui figurent sur les listes des mesures restrictives, mais également « aux personnes physiques qui leur sont associées, y compris les membres de leur famille qui [en] tirent indûment avantage ».

56      En l’espèce, il ressort des motifs des actes attaqués que le critère d’association a été considéré comme étant rempli sur le fondement, d’une part, du fait que la requérante est l’ex-épouse de M. Fridman et, d’autre part, du constat selon lequel ce dernier constitue la principale source de financement de la requérante depuis son déménagement à Paris (voir point 14 ci-dessus).

57      Il y a donc lieu d’examiner si le dossier WK constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que la requérante pouvait être considérée, à la date d’adoption des actes attaqués, comme « associée » à une personne physique elle-même responsable d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine.

58      En premier lieu, il convient de relever que les pièces constituant le dossier WK ne mentionnent que brièvement la requérante et qu’aucune d’entre elles ne contient des informations précises sur ses liens avec son ex-époux. En effet, il ressort d’une lecture d’ensemble des pièces dudit dossier que, après son divorce, la requérante a fait des études de créatrice de mode, s’est installée à Paris avec ses deux filles et, que M. Fridman fournissait à son ancienne famille une existence confortable.

59      Or, il convient de rappeler que selon les motifs des actes attaqués, « M. Fridman est la principale source de financement des activités et besoins de son ex-femme depuis son déménagement à Paris ». À cet égard, il y a lieu de constater que les informations figurant dans le dossier WK se réfèrent de manière vague et abstraite à la période « après le divorce » entre la requérante et son ex-époux. Ainsi, en l’absence de précisions, étant donné que ledit divorce a eu lieu en 2005, il n’est pas évident que les faits relatés reflètent la situation entre la requérante et son ex-époux lors de l’adoption des actes attaqués. En particulier, aucun élément de preuve ne permet d’étayer la constatation selon laquelle, M. Fridman constituait au moment de ladite adoption « la principale source de financement des activités et besoins de son ex-épouse ».

60      En deuxième lieu, les éléments de preuve produits par la requérante confirment que le Conseil a erronément considéré qu’elle était « associée » à M. Fridman lors de l’adoption des actes attaqués.

61      Premièrement, il est constant entre les parties que la requérante et M. Fridman se sont mariés en 1989 et que, en 2004, à savoir six ans après leur séparation de corps, ils sont passés d’un régime de communauté à celui de séparation de biens. Aux termes du contrat signé le 30 septembre 2004, par M. Fridman et la requérante, le premier s’est engagé à verser à la seconde, à compter de janvier 2005 et « en contribution à l’entretien de la famille », une pension alimentaire de 1 200 000 euros par an, majorée du montant de l’impôt payé par la requérante. Le couple a divorcé en 2005 et M. Fridman a versé à la requérante une pension alimentaire à hauteur de 100 000 euros par mois pendant une période de cinq ans, à savoir jusqu’en 2009.

62      Par conséquent, à la date d’adoption des actes attaqués, aucun lien matrimonial ne subsistait entre la requérante et M. Fridman, leur mariage ayant été dissout 17 ans auparavant. Par ailleurs, il est constant entre les parties que, depuis 2009, M. Fridman ne versait plus de pension alimentaire à la requérante.

63      Deuxièmement, la requérante a produit dans la présente procédure devant le Tribunal des éléments de preuve dont il ressort que depuis 2010, elle procède à des opérations d’investissement de son capital et de gestion de portefeuille sur la base des services fournis par une société de conseil en investissement et d’une banque privée, et que les rendements de son portefeuille constituent une source importante de revenus pour elle-même. Par ailleurs, elle a démontré l’existence de revenus complémentaires provenant d’une société de décoration qu’elle a elle-même créée et dont le siège se situe à [confidentiel], qu’elle perçoit par le biais d’indemnités de gérance. Il ressort ainsi des éléments de preuve produits par la requérante, sans que cela soit contesté par le Conseil, que son ex-époux est étranger à ces initiatives financières et activités professionnelles.

64      Troisièmement, s’agissant de son patrimoine immobilier, la requérante a produit les statuts de trois sociétés civiles immobilières familiales ainsi que d’une société en nom collectif, dont chacune est propriétaire d’un bien immobilier en France, et auxquelles la requérante est associée avec ses filles ou avec son père. Elle fournit aussi les preuves d’un patrimoine immobilier à [confidentiel], acquis soit par des fonds propres soit par un emprunt bancaire. Il ressort des éléments de preuve produits par la requérante, sans que cela soit contesté par le Conseil, que son ex-époux est étranger à ce patrimoine immobilier.

65      Par conséquent, et au vu des éléments de preuve soumis au Tribunal par la requérante, dont la fiabilité n’est pas contestée par le Conseil, il ne saurait être admis que celui-ci a satisfait à la charge de la preuve qui lui incombait en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, pour établir que, lors de l’adoption des actes attaqués, son ex-époux constituait sa principale source de financement.

66      En troisième lieu, si le Conseil a soutenu, dans le mémoire en défense, que la requérante « [avait] bénéficié pendant des années et dans une très grande mesure de son lien avec son ex-époux pour subvenir à ses besoins et s’assurer un train de vie luxueux » et que « [m]ême s’il devait être considéré que la requérante ne [dépendait] plus financièrement de son [ex-époux], […] il était permis de présumer que la requérante était en mesure de pouvoir tirer profit de la fonction exercée par M. Fridman et de la richesse acquise par celui-ci en raison de ses activités » pour conclure que, « en raison de la nature spécifique de leur relation, le Conseil était donc en mesure de considérer qu’un lien clair et persistant était toujours établi entre la requérante et son [ex-époux], et que celle-ci devait être considérée comme “associée” à son ancien mari ».

67      Toutefois, il y a lieu de souligner que, tandis que les motifs des actes attaqués emploient le présent de l’indicatif en relevant que « Mikhail Fridman est la principale source de financement » de son ex-épouse, le Conseil se prévaut uniquement, dans le mémoire en défense et la duplique, d’une situation passée et révolue depuis plusieurs années. En effet, selon le Conseil, le critère d’association est rempli du fait que M. Fridman aurait substantiellement subvenu, dans un passé distant, aux besoins de la requérante. La pension alimentaire versée à la requérante jusqu’en 2009, à savoir treize ans avant l’adoption des actes attaqués, constituerait le « socle de l’élément déclencheur ayant permis à la requérante de développer son propre empire financier ».

68      Or, cette thèse ne saurait être accueillie, dès lors qu’elle ne correspond pas aux motifs repris dans les actes attaqués. En effet, selon la jurisprudence, la légalité des actes attaqués ne peut être appréciée que sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels ils ont été adoptés. Le Tribunal ne saurait dès lors procéder à une substitution des motifs sur lesquels ces actes se fondent (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2013, North Drilling/Conseil, T‑552/12, non publié, EU:T:2013:590, point 25).

69      À cet égard, force est d’observer que, si le Conseil pouvait avancer des nouveaux motifs distincts de ceux énoncés dans les actes attaqués en vue de régulariser l’absence ou le caractère erroné en fait des motifs desdits actes, cette situation porterait atteinte aux droits de la défense de la requérante et à son droit à une protection juridictionnelle effective. En effet, la requérante n’ayant pas reçu communication des motifs nouveaux en temps utile, elle serait, d’une part, privée de la possibilité de faire valoir utilement son point de vue à leur sujet dans le cadre de la procédure administrative. D’autre part, la requérante ne serait pas en mesure d’apprécier le bien-fondé de son inscription ainsi que l’opportunité de former un recours. Le principe d’égalité des parties devant le juge de l’Union s’en trouverait ainsi affecté (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2013, North Drilling/Conseil, T‑552/12, non publié, EU:T:2013:590, point 26).

70      Il s’ensuit que la thèse invoquée par le Conseil devant le Tribunal ne peut pas être prise en considération en l’espèce.

71      En quatrième lieu, à supposer même que, par cette argumentation, le Conseil tende à faire valoir que la pension alimentaire versée jusqu’en 2009 à la requérante par son ex-époux est à l’origine des rendements financiers qui constituent ses revenus financiers actuels, de sorte que son ex-époux peut être considéré comme la source principale de son financement à la date d’adoption des actes attaqués, celle-ci ne saurait être accueillie. En effet, cela conduirait à figer la situation de la requérante dans un passé lointain et révolu au seul motif que son ex-époux lui avait versé une pension alimentaire entre 2005 et 2009. Il s’ensuit que, sauf à associer perpétuellement la requérante à son ex-époux, le Conseil ne saurait soutenir que le critère d’association est susceptible d’être rempli sur le seul fondement d’une pension alimentaire dont les versements ont cessé plusieurs années avant l’annexion de la Crimée en 2014 par la Fédération de la Russie et l’invasion de l’Ukraine par cette dernière.

72      Il résulte des considérations qui précèdent que les motifs d’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses qui se rattachent au critère d’association ne sont pas suffisamment étayés. En particulier, les éléments de preuve figurant dans le dossier WK n’établissent pas que la requérante pouvait être considérée, à la date d’adoption des actes attaqués, comme « associée » à son ex-époux, aux termes de la décision 2014/145 modifiée.

73      Au vu de ce qui précède, il convient d’accueillir le moyen unique du recours et d’annuler les actes attaqués, en ce qu’ils visent la requérante, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres arguments invoqués par cette dernière à leur égard.

 Sur les dépens

74      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2022/582 du Conseil, du 8 avril 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et le règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil, du 8 avril 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine sont annulés en tant qu’ils concernent QF.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par QF.

Spielmann

Brkan

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 octobre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.


1 Données confidentielles occultées.