Language of document : ECLI:EU:T:2008:500

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

14 novembre 2008 (*)

« Référé – Demande de sursis à exécution – Méconnaissance des exigences de forme – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑398/08 R,

Stowarzyszenie Autorów ZAiKS, établie à Varsovie (Pologne), représentée par Mes B. Borkowska et M. Błeszyński, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. F. Castillo de la Torre et Mme K. Mojzesowicz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution des dispositions combinées de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC), dans la mesure où la requérante est concernée,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents et objet du litige

1        Par la présente demande en référé, la requérante, Stowarzyszenie Autorów ZAiKS, une société polonaise de gestion collective de droits d’auteur, cherche à obtenir le sursis à l’exécution partielle de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC) (ci-après la « décision attaquée »).

2        La décision attaquée concerne les conditions de gestion des droits d’exécution publique des œuvres musicales ainsi que d’octroi des licences correspondantes. Elle est adressée aux 24 sociétés de gestion collective établies dans l’Espace économique européen (EEE) qui sont membres de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC), parmi lesquelles figure la requérante.

3        Les sociétés de gestion collective membres de la CISAC et établies dans l’EEE (ci-après les « sociétés de gestion ») gèrent les droits que détiennent les auteurs (paroliers et compositeurs) sur les œuvres musicales qu’ils ont créées. Ces droits comportent généralement le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’exploitation des œuvres protégées. C’est notamment le cas en ce qui concerne les droits d’exécution publique. Une société de gestion acquiert ces droits soit par cession directe des ayants droit originaux, soit par transmission de la part d’une autre société de gestion gérant les mêmes catégories de droits dans un autre pays de l’EEE, et concède au nom de ses membres (auteurs et éditeurs) des licences d’exploitation aux utilisateurs commerciaux, tels que les entreprises de radiodiffusion ou les organisateurs de spectacles.

4        La gestion des droits d’auteur implique pour chaque société de gestion de s’assurer que chaque ayant droit reçoive la rémunération qui lui est due pour chaque exploitation faite de l’une de ses œuvres, quel que soit le territoire sur lequel cette exploitation a lieu, et de surveiller qu’aucune exploitation non autorisée d’œuvres protégées n’ait lieu. Le coût d’une telle surveillance est tel que les sociétés de gestion ont conclu entre elles des accords de représentation par lesquels elles se confient, sur une base réciproque, la gestion de leur répertoire sur leurs territoires d’exercice respectifs, afin d’éviter la multiplication des moyens de contrôle mis en place sur chaque territoire.

5        Dans ce contexte, la CISAC a élaboré un contrat type non contraignant dont la version initiale remonte à 1936 et qui doit être complété par les sociétés de gestion contractantes, notamment en ce qui concerne la définition du territoire d’exercice. Sur la base de ce contrat type, les sociétés de gestion ont constitué un réseau d’accords de représentation réciproque par lesquels elles s’accordent mutuellement le droit de concéder des licences. Ces accords couvrent non seulement l’exercice des droits pour les applications traditionnelles dites « off-line » (concerts, radio, discothèques, etc.), mais également l’exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble.

6        Du fait de ce réseau d’accords de représentation réciproque, chaque société de gestion est en mesure de concéder, sur son territoire d’exercice, les licences d’exécution publique d’œuvres musicales non seulement sur le répertoire de ses propres membres, mais également sur le répertoire de toutes les autres sociétés de gestion faisant partie du réseau (licences dites « multirépertoires monoterritoriales »). Grâce au réseau créé par la conclusion de l’ensemble des accords de représentation réciproque, chaque société de gestion peut donc offrir un portefeuille global d’œuvres musicales aux utilisateurs commerciaux. Cela permet auxdits utilisateurs de bénéficier d’un accès à tous les répertoires auprès de la même société de gestion, à savoir la société établie dans le pays où les répertoires sont destinés à être exploités, sans avoir à solliciter une autorisation auprès de chaque société de gestion dont le répertoire est concerné par l’utilisation envisagée (« guichet unique »).

7        Lorsque les sociétés de gestion se font concéder par leurs auteurs membres le droit de gestion mondiale des droits d’utilisation et à condition qu’elles ne se cèdent pas leur répertoire de façon exclusive dans le cadre de leurs accords de représentation réciproque, elles sont habilitées, en dépit du réseau d’accords de représentation réciproque, à gérer elles-mêmes le répertoire de leurs propres membres également en dehors de leur propre territoire d’exercice (licences dites « monorépertoires multiterritoriales »).

8        À cet égard, il ressort de la décision attaquée (considérant 193) que les sociétés de gestion du Royaume-Uni et allemande, la Performing Right Society (PRS) et la Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA), ont créé une entreprise commune destinée à servir de « guichet unique » à l’échelle paneuropéenne pour concéder aux utilisateurs commerciaux établis dans tout pays de l’EEE des licences multiterritoriales sur les droits dits « on-line » et « mobiles » en ce qui concerne le répertoire anglo-américain de la société Electric & Musical Industries (EMI).

9        En 2000, RTL Group SA, un groupe de radio- et télédiffusion, a déposé auprès de la Commission une plainte contre une société de gestion membre de la CISAC pour dénoncer le refus par celle-ci de lui accorder, pour ses activités de radiodiffusion musicale, une licence à l’échelle communautaire. En 2003, Music Choice Europe Ltd, qui fournit des services de radiodiffusion et de télévision sur Internet, a déposé une seconde plainte, dirigée contre la CISAC et visant le contrat type de cette dernière. Ces plaintes ont amené la Commission à ouvrir une procédure d’application des règles communautaires de concurrence, qui a été close par l’adoption de la décision attaquée.

10      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de certaines clauses contenues dans les accords de représentation réciproque, à savoir la clause d’affiliation des auteurs membres et la clause d’exclusivité, ainsi que celle de la pratique concertée des sociétés de gestion en ce qui concerne la délimitation territoriale du mandat d’octroi des licences, ayant comme résultat une exclusivité territoriale. Selon la Commission, ces clauses et cette pratique concertée sont contraires à l’article 81 CE.

11      S’agissant de la clause d’affiliation, l’article 11, paragraphe 2, du contrat type de la CISAC prévoit que les sociétés de gestion ne peuvent accepter comme membre un auteur déjà affilié à une autre société de gestion ou ayant la nationalité de l’un des pays dans lesquels une autre société de gestion exerce son activité que sous certaines conditions. Selon la décision attaquée, un certain nombre de contrats bilatéraux contiennent toujours une telle clause, qui restreint la possibilité pour un auteur de devenir membre de la société de gestion de son choix ou d’être simultanément membre de plusieurs sociétés de gestion opérant au sein de l’EEE pour la gestion de ses droits sur différents territoires.

12      En ce qui concerne la clause d’exclusivité, l’article 1er, paragraphe 1, du contrat type de la CISAC prévoit que l’une des sociétés de gestion confère à l’autre le droit exclusif, sur les territoires où cette dernière opère, d’octroyer les autorisations nécessaires pour toute exécution publique. Selon la décision attaquée, cette clause – par laquelle les sociétés de gestion se garantiraient réciproquement un monopole sur leurs marchés nationaux pour l’octroi de licences « multirépertoires » aux exploitants commerciaux – est encore présente dans les accords bilatéraux signés par 17 sociétés de gestion.

13      Il ressort de la décision attaquée que la CISAC et l’ensemble des sociétés de gestion auraient reconnu, lors de la procédure administrative devant la Commission, que ces deux clauses étaient anticoncurrentielles et injustifiées.

14      Quant à la prétendue pratique concertée relative à la délimitation territoriale, il ressort de la décision attaquée que chaque société de gestion limiterait, dans ses accords bilatéraux, le droit de délivrer des licences couvrant son répertoire au seul territoire national de l’autre société de gestion contractante. Dans la mesure où toutes les sociétés de gestion ont conclu des accords réciproques entre elles, chaque société de gestion aurait un portefeuille global d’œuvres et octroierait des licences couvrant l’utilisation de ce portefeuille global uniquement dans son propre pays.

15      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de cette pratique concertée uniquement en ce qui concerne les modes d’exploitation par Internet, le satellite et la retransmission par câble, tandis que les modes d’exploitation dits « off-line » (concerts, radio, discothèques, bars, etc.) ne font pas l’objet de la décision attaquée. La Commission estime que, en raison de cette pratique concertée, la concurrence est restreinte à deux niveaux : sur le marché des services d’administration que les sociétés de gestion s’offrent mutuellement et sur le marché de l’octroi des licences.

16      Selon la décision attaquée, ladite pratique concertée entraîne une délimitation systématique du territoire au niveau national, qui aurait été précédée de contacts et ne pourrait être expliquée par un prétendu besoin de proximité géographique entre la société de gestion qui délivre la licence et l’utilisateur commercial, car une présence locale ne serait pas nécessaire pour vérifier l’utilisation qui est faite de la licence dans le cadre d’une exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble. La pratique concertée ne serait pas davantage objectivement nécessaire pour assurer que les sociétés de gestion se donnent des mandats réciproques.

17      La Commission se limite à constater, dans le dispositif de la décision attaquée, les infractions décrites ci-dessus, sans infliger des amendes. Ce dispositif se lit comme suit :

« Article premier

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en utilisant, dans leurs accords de représentation réciproque, les restrictions d’affiliation contenues à l’article 11 (II) du contrat type de la [CISAC] (‘le contrat type de la CISAC’) ou en appliquant de facto ces restrictions d’affiliation :

[…]

ZA[i]KS

Article 2

Les dix-sept entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en conférant, dans leurs contrats de représentation réciproque, des droits exclusifs comme prévu à l’article 1[er] (I) et (II) du contrat type de la CISAC :

[…]

ZA[i]KS

Article 3

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en coordonnant les délimitations territoriales de manière à restreindre la portée d’une licence au territoire national de chaque société de gestion collective :

[…]

ZA[i]KS

Article 4

1.      Les entreprises visées aux articles 1er et 2 mettent immédiatement fin, si elles ne l’ont pas déjà fait, aux infractions visées auxdits articles et informent la Commission de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

2.      Les entreprises visées à l’article 3 mettent fin, dans un délai de cent vingt jours à compter de la date de notification de la présente décision, à l’infraction visée audit article et informent la Commission, dans le même délai, de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

En particulier, les entreprises visées à l’article 3 devront revoir de manière bilatérale avec les autres entreprises visées à l’article 3 la portée territoriale de leurs mandats en ce qui concerne la retransmission par satellite et par câble et l’utilisation sur Internet dans chacun de leurs accords de représentation réciproque, et fournir à la Commission des copies des accords réexaminés.

3.      Les destinataires de la présente décision s’abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement décrit aux articles 1er, 2 et 3, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 5

La Commission peut, à sa seule discrétion sur la base d’une demande raisonnée faite dans les temps par une ou plusieurs entreprises mentionnées à l’article 3, accorder une extension du délai prévu à l’article 4, paragraphe 2.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 septembre 2008, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

19      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 23 septembre 2008, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de suspendre l’exécution de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée, en ce qui concerne les actes de la requérante visés audit article 3 (ci-après les « dispositions incriminées »), en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, dans l’attente de l’adoption d’une ordonnance qui mettra fin à la présente procédure de référé et, en tout état de cause, jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours au principal.

20      Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 17 octobre 2008, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

21      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le Tribunal peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant lui ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

22      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit (fumus boni juris) justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes en référé doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73, et la jurisprudence citée).

23      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

24      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales. Dans les circonstances de l’espèce, il convient d’examiner d’abord l’allégation d’irrecevabilité de la Commission ayant trait à la demande en référé.

25      Selon la Commission, la présente demande en référé doit être déclarée irrecevable dès lors qu’elle ne comporte pas la moindre indication concernant l’urgence, c’est-à-dire l’imminence d’un préjudice grave et irréparable dans l’hypothèse où le sursis à exécution sollicité ne serait pas accordé.

26      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé, énoncé à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie requérante. Il n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de cette disposition d’alléguer seulement que l’exécution de l’acte dont le sursis à l’exécution est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la partie requérante présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (ordonnance du président de la Cour du 22 janvier 1988, Top Hit Holzvertrieb/Commission, 378/87 R, Rec. p. 161, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 18 octobre 2001, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01 R, Rec. p. II‑3107, point 32, et du 3 juillet 2000, Carotti/Cour des comptes, T‑163/00 R, RecFP p. I‑A‑133 et II‑607, point 8 ; ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 16 juillet 1999, Hortiplant/Commission, T‑143/99 R, Rec. p. II‑2451, point 18).

27      En outre, le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que la partie requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice. Un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est basé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II‑37, point 37, et du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 101].

28      Il importe d’ajouter que, en vertu de l’article 104, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure, les demandes en référé doivent spécifier « les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent » et être présentées « par acte séparé et dans les conditions prévues aux articles 43 et 44 » du même règlement.

29      Il s’ensuit qu’une demande en référé doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé (ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 34 ; du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 52, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T‑85/05 R, Rec. p. II‑1721, point 37).

30      En l’espèce, s’agissant de la condition relative à l’urgence, dans la demande en référé, la requérante se borne à exposer, premièrement, que l’application immédiate de la décision attaquée créerait une situation de fait accompli, qui épuiserait irréversiblement le contenu de cette décision, en lui imposant de dénoncer environ 1 600 contrats passés avec des utilisateurs, deuxièmement, que la motivation très générale de la décision attaquée ne tient aucun compte de sa situation particulière et ne lui permet pas d’exécuter les injonctions figurant aux dispositions incriminées, la Commission n’ayant notamment pas indiqué en quoi consistait la pratique concertée censurée. Selon la requérante, cette situation d’insécurité juridique porte préjudice tant aux auteurs qu’aux utilisateurs, en violant les droits et intérêts légitimes de ces deux groupes, et menace gravement et irrévocablement l’efficacité de la gestion des droits d’auteur. En outre, la requérante courrait le risque de mal exécuter la décision attaquée, en subissant les conséquences d’une éventuelle sanction financière.

31      Force est de constater que, en se limitant à avancer lesdits arguments – qui portent, d’ailleurs, pour la plupart non sur l’urgence, mais sur le fumus boni juris –, la requérante s’abstient de fournir des indications concrètes, assorties éventuellement d’offres de preuve suffisantes, susceptibles de permettre au juge des référés d’apprécier le caractère grave et irréparable du préjudice allégué, alors que de telles indications et preuves auraient dû être présentées dans la demande en référé elle-même. Par ailleurs, la requérante n’a nullement abordé la question de la balance des différents intérêts en présence.

32      Ainsi, la requérante s’est abstenue d’exposer, en vue de démontrer la gravité du préjudice invoqué, que le domaine d’activités dit « on-line » représentait la très grande majorité de ses revenus. Or, une telle explication, qui était du ressort de la requérante, aurait été nécessaire, étant donné qu’il ressort de la décision attaquée que les dispositions incriminées concernent la seule exploitation des droits d’auteur par Internet, le satellite et la retransmission par câble, alors qu’elles n’ont aucun impact sur l’exploitation dite « off-line » (concerts, radio, discothèques, bars, etc.).

33      En outre, contrairement aux craintes exprimées par la requérante, il ressort également de la décision attaquée que la mise en œuvre de celle-ci ne signifie pas que les accords de licence conclus avec 1 600 utilisateurs commerciaux doivent être annulés dans leur totalité. En effet, la Commission a indiqué, dans la décision attaquée, dont le dispositif doit être interprété à la lumière de ses considérants (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑91/01, Rec. p. I‑4355, point 49), qu’elle n’interdisait pas le système des accords de représentation réciproque en tant que tel ni n’empêchait les sociétés de gestion de pratiquer une certaines délimitations territoriales, mais qu’elle contestait le caractère coordonné de l’approche adoptée à cet effet par l’ensemble de ces sociétés. Ainsi, selon la décision attaquée, la concession d’une licence limitée à un territoire donné ne restreint pas, en soi, la concurrence, le donneur de licence pouvant limiter celle-ci à un territoire déterminé sans violer l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, les considérants 95, 201 et 215).

34      Or, en dépit de ces passages de la décision attaquée, la requérante s’est abstenue d’exposer les raisons concrètes qui l’obligeraient à mettre fin à l’ensemble de ses accords de représentation réciproque.

35      Au demeurant, à l’article 5 de la décision attaquée, la Commission permet aux destinataires de celle-ci, en cas de difficulté, de lui demander d’accorder une extension du délai de révision de 120 jours. Or, la requérante n’a pas fait valoir que la Commission avait rejeté une telle demande de sa part ou refusé de dialoguer avec elle en vue de résoudre d’éventuels problèmes d’exécution de son obligation de révision.

36      Par ailleurs, même si la requérante devait modifier quelques accords de représentation réciproque à la suite de ladite révision, elle est restée muette sur la raison pour laquelle il lui serait impossible de modifier à nouveau lesdits accords après l’annulation de la décision attaquée ou de prévoir, d’ores et déjà, une telle modification. Elle s’est, notamment, abstenue d’expliquer pourquoi les autres sociétés de gestion s’opposeraient à son éventuelle demande de réintroduction du système actuel.

37      Quant à la prétendue menace grave et irrévocable qui affecterait l’efficacité de la gestion des droits d’auteur, il suffit de relever qu’il s’agit là d’une simple affirmation, qui ne fait l’objet d’aucune argumentation.

38      Enfin, dans la mesure où la requérante semble craindre que la décision attaquée puisse, en raison de l’insécurité juridique dont elle serait à l’origine quant à la validité et au contenu des futurs accords de représentation réciproque, l’exposer au risque inadmissible d’être sanctionnée par la Commission pour violation de son obligation de révision, il suffit de constater que le risque invoqué a une nature purement hypothétique, en ce qu’il repose sur la survenance d’événements futurs et incertains. Au demeurant, il incombera à la Commission, qui a la charge de la preuve, de démontrer le caractère infractionnel du futur comportement de la requérante, si jamais elle avait l’intention d’infliger une sanction à cette dernière. Dans l’hypothèse où la requérante ne serait pas d’accord avec l’approche de la Commission, rien ne l’empêcherait de saisir le juge communautaire pour dénoncer l’illégalité de la sanction infligée, en invoquant l’ambiguïté de l’obligation de révision imposée dans la décision attaquée.

39      Cette absence d’explications suffisamment concrètes, dans la demande en référé, tant des éléments constitutifs de l’urgence que des raisons faisant pencher la balance des intérêts en faveur du sursis à exécution sollicité, ne saurait être compensée ni par la simple adjonction d’annexes jointes à cette demande ni par la requête au principal déposée au greffe du Tribunal.

40      En effet, si une demande en référé peut être étayée et complétée sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, ces dernières ne sauraient pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite demande (ordonnance Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 52). D’une part, les exigences formelles de l’article 104 du règlement de procédure sont justifiées par la nécessité de permettre à la partie défenderesse de comprendre les prétentions de la requérante. D’autre part, le respect de ces exigences permet au juge de contrôler le bien-fondé de la demande en référé. Il n’incombe pas au juge de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éventuels éléments contenus dans les annexes ou dans la requête déposée au principal qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à compromettre les droits de la défense et à priver d’effet la disposition du règlement de procédure qui prévoit que la demande en référé doit être présentée par acte séparé (ordonnance Stauner e.a./Parlement et Commission, précitée, point 37) et ne permettrait pas au juge de se prononcer, avec la célérité requise en la matière, sur la condition relative à l’urgence.

41      Au demeurant, le point 68 des Instructions pratiques du Tribunal aux parties (JO 2007, L 232, p. 7) prévoit que « [l]a demande […] doit être compréhensible par elle-même, sans qu’il soit nécessaire de se référer à la requête dans l’affaire au principal ».

42      Il s’ensuit qu’une demande en référé, qui ne remplit pas les conditions édictées par l’article 104, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure, ne saurait non plus être utilement remplacée ou complétée, en vue de remédier à sa déficience formelle, par un mémoire postérieur, déposé par la partie requérante, le cas échéant, en réponse aux observations de la partie adverse. L’ouverture d’une telle possibilité de simple « rattrapage » serait incompatible non seulement avec la célérité requise en matière de référé, mais aussi, et surtout, avec l’esprit de l’article 109 du règlement de procédure en vertu duquel, en cas de rejet d’une demande en référé, la partie requérante ne peut présenter une autre demande que si cette dernière est « fondée sur des faits nouveaux ».

43      Il résulte de tout ce qui précède que la présente demande en référé doit être déclarée irrecevable en ce que l’exposé des motifs qu’elle contient n’est pas conforme aux exigences de l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 14 novembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le polonais.