Language of document : ECLI:EU:T:2024:150

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

6 mars 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Interdictions portant sur l’importation, l’achat, le transport et la fourniture des produits et des services dans le secteur des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie – Obligation de motivation – Égalité de traitement – Détournement de pouvoir – Proportionnalité – Droit de propriété – Liberté d’entreprise »

Dans l’affaire T‑258/22,

AAT Byelorussian Steel Works  management company of « Byelorussian Metallurgical Company » holding (BSW  management company of « BMC » holding), établie à Jlobine (Biélorussie), représentée par Mes N. Tuominen et L. Engelen, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. E. Rebasti et A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mmes M. Carpus Carcea et J. Norris, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de MM. S. Papasavvas, président, R. da Silva Passos, S. Gervasoni, Mmes N. Półtorak (rapporteure) et T. Pynnä, juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

–        à la suite de l’audience du 10 octobre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, AAT Byelorussian Steel Works – management company of « Byelorussian Metallurgical Company » holding (BSW – management company of « BMC » holding), demande l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2022/356 du Conseil, du 2 mars 2022, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 67, p. 103, ci-après la « décision attaquée »), et, d’autre part, du règlement (UE) 2022/355 du Conseil, du 2 mars 2022, modifiant le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 67, p. 1, ci-après le « règlement attaqué ») (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), pour autant qu’ils la concernent.

 Antécédents du litige

2        La requérante est une société biélorusse active dans le domaine des produits sidérurgiques.

3        Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a agressé militairement l’Ukraine.

4        Le même jour, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant avec la plus grande fermeté l’invasion de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie.

5        Lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné l’agression militaire de la Fédération de Russie en Ukraine tout en marquant son accord de principe pour l’adoption de mesures restrictives et de sanctions économiques envers la Fédération de Russie au regard des propositions de la Commission européenne et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

6        Le 2 mars 2022, eu égard à la gravité de la situation et en réaction à l’implication de la République de Biélorussie dans l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, le Conseil de l’Union européenne a adopté les actes attaqués afin d’étendre le champ d’application des sanctions préalablement instaurées en raison de la situation en Biélorussie, notamment des restrictions liées au commerce des produits sidérurgiques.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

7        Le 3 août 2023, le Conseil a adopté la décision d’exécution (PESC) 2023/1592 mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 195 I, p. 31). Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2023/1591 mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 195 I, p. 1). Par ces actes, le nom de la requérante a été inscrit aux annexes I respectives de la décision 2012/642/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2012, L 285, p. 1), et du règlement (CE) no 765/2006 du Conseil, du 18 mai 2006, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2006, L 134, p. 1), afin qu’elle fasse l’objet de mesures restrictives.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils la concernent ;

–        annuler la décision d’exécution 2023/1592 et le règlement d’exécution 2023/1591 ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

9        Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

10      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

11      Par le présent recours, la requérante demande, ainsi qu’elle l’a confirmé lors de l’audience, l’annulation de l’article 2 octodecies inséré par la décision attaquée dans la décision 2012/642 et de l’article 1 octodecies inséré par le règlement attaqué dans le règlement no 765/2006. Ces dispositions prévoient, dans des termes quasiment identiques, des restrictions relatives à l’importation, à l’achat, au transport et à la fourniture des produits et services dans le secteur des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie.

12      Sans soulever une exception formelle au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, d’une part, le Conseil fait valoir l’incompétence du Tribunal pour contrôler la légalité de la décision attaquée, dès lors que les mesures prévues par l’article 2 octodecies, inséré par la décision attaquée dans la décision 2012/642, sont de portée générale et ne constituent pas des décisions prévoyant des mesures restrictives adoptées à l’encontre de personnes physiques ou morales, au sens de l’article 275, second alinéa, TFUE. D’autre part, le recours serait irrecevable au motif que la demande en annulation ne répond pas aux critères de recevabilité prévus à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

 Sur la compétence du Tribunal

13      Le Conseil soutient que les restrictions liées au commerce mises en place par la décision attaquée s’appliqueraient aux entités susceptibles de participer à ce commerce et à un nombre indéterminé d’opérateurs. En outre, ces mesures auraient pour finalité et pour effet d’appliquer une sanction économique à l’encontre de la République de Biélorussie afin d’accroître le coût des actions menées par celle‑ci en soutien de l’agression contre l’Ukraine et de faire pression sur la République de Biélorussie pour qu’elle respecte ses obligations internationales. De plus, le fait qu’une mesure puisse avoir des répercussions sur une personne physique ou morale ne lui conférerait pas de portée individuelle. Dès lors, à la lumière du libellé de l’article 275 TFUE et conformément à la jurisprudence, le Tribunal ne serait pas compétent pour statuer sur le recours dans la mesure où celui‑ci tend à l’annulation de la décision attaquée.

14      La Commission, tout en rappelant que les limitations de la compétence du Tribunal doivent être interprétées de manière restrictive, considère que celui-ci est compétent pour statuer sur la légalité des mesures restrictives faisant l’objet du présent recours et figurant dans la décision attaquée. Selon la Commission, puisque le Tribunal est compétent pour contrôler les règlements adoptés sur la base de l’article 215, paragraphe 1, TFUE, celui-ci devrait également être compétent pour contrôler les décisions en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) adoptées sur le fondement de l’article 29 TUE, que les règlements adoptés en vertu de l’article 215 TFUE mettent en œuvre. La Commission identifie, en outre, un risque de défaut d’accès aux tribunaux.

15      La requérante soutient que le Tribunal est compétent pour statuer sur la légalité de la décision attaquée.

16      À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 40, dernier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53 du même statut, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties.

17      En outre, l’article 142, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que « [l]’intervention ne peut avoir d’autre objet que le soutien, en tout ou en partie, des conclusions de l’une des parties principales ».

18      À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, une partie intervenante peut, néanmoins, faire état d’arguments différents de ceux de la partie qu’elle soutient, à la condition qu’ils ne modifient pas le cadre du litige et que l’intervention vise toujours au soutien des conclusions présentées par cette dernière (voir arrêt du 12 avril 2019, Deutsche Lufthansa/Commission, T‑492/15, EU:T:2019:252, point 134 et jurisprudence citée).

19      En l’espèce, il convient de constater que la Commission fait valoir que le Tribunal est compétent pour contrôler la légalité de la décision attaquée. Or, ainsi qu’il ressort du point 12 ci-dessus et du mémoire en défense du Conseil, ce dernier a conclu au rejet du recours en tant que le Tribunal serait incompétent pour statuer sur la décision attaquée. Dès lors, à cet égard, les arguments de la Commission ne viennent pas au soutien des conclusions du Conseil.

20      Dans ces conditions, il convient de rejeter comme étant irrecevables les arguments de la Commission qui tendent à reconnaître la compétence du Tribunal pour contrôler la légalité de la décision attaquée.

21      S’agissant de la compétence du Tribunal pour statuer sur la légalité de la décision attaquée, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 275, second alinéa, TFUE, la Cour et, par voie de conséquence, le Tribunal sont compétents pour « se prononcer sur les recours, formés dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, [TFUE] concernant la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, [TUE] ».

22      En revanche, l’article 275, premier alinéa, TFUE prévoit que « [l]a Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base ».

23      En ce qui concerne les actes adoptés sur le fondement des dispositions relatives à la PESC, c’est la nature individuelle de ces actes qui ouvre, conformément aux termes de l’article 275, second alinéa, TFUE, l’accès aux juridictions de l’Union (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 103, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 53).

24      Il convient dès lors de vérifier si l’article 2 octodecies, inséré par la décision attaquée dans la décision 2012/642, comporte des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, au sens de l’article 275, second alinéa, TFUE.

25      En l’espèce, les mesures restrictives prévues à l’article 2 octodecies, inséré par la décision attaquée dans la décision 2012/642, sont des mesures de portée générale, puisqu’elles s’appliquent à des situations déterminées objectivement et à une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite. En particulier, cette disposition ne cible pas des personnes physiques ou morales identifiées, mais s’applique, de manière générale, à tous les opérateurs impliqués dans l’importation, l’achat, le transport et la fourniture des produits et des services dans le domaine des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie. Dans ces conditions, les mesures prévues dans cette disposition de la décision attaquée constituent non pas des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales au sens de l’article 275, second alinéa, TFUE, mais des mesures de portée générale, à l’égard desquelles le Tribunal n’est pas compétent pour connaître de leur légalité (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 97 à 99, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 60).

26      Cette solution n’est pas remise en cause par le fait que la requérante n’entend obtenir l’annulation de la décision attaquée que pour autant que celle-ci la concerne. En effet, la circonstance que ladite disposition puisse être appliquée à la requérante ne modifie pas sa nature juridique de mesure de portée générale à son égard, d’autant que son nom n’a pas été mentionné dans la décision attaquée. En outre, la circonstance qu’un recours ne soit pas possible devant le juge de l’Union à l’encontre de la décision attaquée ne prive pas les personnes auxquelles celle-ci s’applique de toute protection juridictionnelle. En effet, d’une part, ainsi que le Conseil le soutient, il est loisible à la requérante de contester, comme elle l’a fait dans le cadre du présent litige, les dispositions du règlement attaqué, adopté sur le fondement de l’article 215 TFUE, qui donnent effet à la décision attaquée au niveau de l’Union et qui en reproduisent le contenu. En vertu de l’article 266 TFUE, en cas d’annulation d’un tel règlement, il appartient au Conseil d’adopter les mesures qu’impose la chose jugée par le Tribunal. D’autre part, il ne saurait être exclu que les actes éventuellement adoptés par les États membres en application de la décision attaquée puissent être contestés devant les juridictions nationales, conformément aux règles gouvernant la saisine de ces dernières.

27      Il y a donc lieu de conclure que le Tribunal n’est pas compétent pour connaître du présent recours en ce qu’il est dirigé contre l’article 2 octodecies inséré par la décision attaquée dans la décision 2012/642.

 Sur la recevabilité

28      Le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir que l’article 1 octodecies inséré par le règlement attaqué dans le règlement no 765/2006 (ci-après la « disposition attaquée ») ne concerne pas directement la requérante en ce qu’il ne produit pas d’effets directs sur sa situation juridique. Selon le Conseil, soutenu par la Commission, si la jurisprudence a déjà reconnu l’affectation directe d’un opérateur économique par des mesures restrictives visant le commerce de certains produits, ce n’était qu’en raison du fait que ledit opérateur avait été inscrit sur la liste accompagnant ces mesures. Or, en l’espèce, les interdictions prévues par cette disposition ne s’appliqueraient qu’aux opérateurs économiques de l’Union et non à la requérante, qui ne serait pas empêchée d’exercer son activité économique en Biélorussie, ni au secteur des produits sidérurgiques dans ce pays. En effet, la requérante ne serait ni mentionnée ni identifiée dans le règlement attaqué. De plus, ledit règlement imposerait des interdictions définies de manière objective par rapport à certaines catégories de produits et ne comprendrait pas d’interdiction à l’égard d’un opérateur identifié.

29      En outre, le Conseil invoque l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419), et ajoute que des conséquences économiques négatives ne sont pas pertinentes aux fins de l’appréciation de l’affectation directe de la requérante. À cet égard, le Conseil relève que, en tout état de cause, la requérante n’a pas même démontré que les mesures restrictives contestées produisaient des effets matériels directs sur sa situation économique.

30      Enfin, le Conseil soulève une fin de non-recevoir tirée de l’article 76 du règlement de procédure en ce que la requête manquerait de clarté et de précision dans l’hypothèse où le présent recours s’étendrait au‑delà de l’annulation de la disposition attaquée et viserait l’annulation du règlement attaqué dans son intégralité pour autant qu’il concerne la requérante.

31      La requérante conteste cette argumentation.

32      À titre liminaire, il convient d’observer que la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, tirée de l’article 76 du règlement de procédure, repose sur la prémisse que le présent recours viserait l’annulation du règlement attaqué dans son intégralité. Or, ainsi qu’il est précisé au point 11 ci-dessus, la requérante a confirmé que, s’agissant du règlement attaqué, elle demandait l’annulation seulement de la disposition attaquée. Dès lors, il y a lieu d’écarter ladite fin de non-recevoir.

33      Cela étant précisé, s’agissant de la qualité pour agir de la requérante, il convient de rappeler que, selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. La deuxième branche de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE précise ainsi que si la personne physique ou morale introduisant le recours en annulation n’est pas le destinataire de l’acte attaqué, la recevabilité du recours est soumise à la condition que la partie requérante soit directement et individuellement concernée par celui-ci. Le traité de Lisbonne a en outre ajouté à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE une troisième branche qui a assoupli les conditions de recevabilité des recours en annulation introduits par des personnes physiques et morales. En effet, cette branche, sans soumettre la recevabilité des recours en annulation introduits par les personnes physiques et morales à la condition relative à l’affectation individuelle, ouvre cette voie de recours à l’égard des « actes réglementaires » ne comportant pas de mesures d’exécution et concernant une partie requérante directement (voir arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 71 et jurisprudence citée).

34      En premier lieu, s’agissant de la condition relative à l’affectation directe de la requérante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la mesure faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires [voir arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 61 et jurisprudence citée].

35      Il convient, afin de déterminer l’affectation directe d’une personne, de tenir compte non seulement des effets d’un acte de l’Union sur sa position juridique, mais également de ses effets matériels sur elle, de tels effets devant être plus importants que de simples effets indirects, ce qu’il faudra déterminer dans chaque cas individuel en tenant compte du contenu réglementaire de l’acte juridique de l’Union dont il s’agit (arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 97).

36      En l’espèce, il convient de rappeler que le paragraphe 1 de la disposition attaquée prévoit une interdiction étendue à l’Union, que ce soit directement ou indirectement, d’importation, d’achat, de transport et de fourniture des produits et des services dans le domaine des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie. Aux termes du paragraphe 2 de cette disposition, « [l]es interdictions prévues au paragraphe 1 s’entendent sans préjudice de l’exécution, jusqu’au 4 juin 2022, de contrats conclus avant le 2 mars 2022 ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats ». Ainsi, il y a lieu de constater que, pour des motifs analogues à ceux exposés au point 25 ci-dessus, cette disposition est de portée générale dès lors qu’elle ne cible pas des personnes physiques ou morales identifiées, ni d’ailleurs la requérante, mais s’applique, de manière générale, à tous les opérateurs impliqués dans l’importation, l’achat, le transport et la fourniture des produits et des services dans le domaine des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie.

37      Cela étant précisé, premièrement, en ce qui concerne le premier critère énoncé au point 34 ci-dessus, les mesures restrictives découlant de la disposition attaquée s’appliquent directement à la requérante en conséquence immédiate du fait qu’elle exerce une activité économique dans le secteur visé par lesdites mesures. En effet, lors de l’audience, le Conseil a affirmé ne pas remettre en cause le fait que la requérante soit active sur le marché dans ledit secteur. De plus, la requérante a fourni, d’une part, la liste de ses clients européens et, d’autre part, des éléments de preuve relatifs à des annulations de commandes passées par des opérateurs européens postérieurement et à la suite de la mise en place des mesures restrictives en cause. Il ressort également du paragraphe 2 de la disposition attaquée, relative aux restrictions à l’exportation vers l’Union, que, en raison de son adoption, la requérante se trouvait dans l’incapacité matérielle et juridique de conclure de nouveaux contrats ou de demander l’exécution, après le 4 juin 2022, de contrats conclus avant le 2 mars 2022 avec des opérateurs de l’Union ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, points 88 et 89). Ainsi, les interdictions contenues au paragraphe 1 de ladite disposition, à savoir l’interdiction d’importer, d’acheter, de transporter et de fournir des produits et des services dans le secteur des produits sidérurgiques, ont pour effet immédiat et automatique d’empêcher la requérante, notamment, d’exporter les produits en cause vers l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 69].

38      Il importe peu, à cet égard, que la disposition attaquée n’interdise pas à la requérante d’effectuer les opérations visées en dehors de l’Union, notamment en Biélorussie. En effet, il est constant que cette disposition impose des restrictions à l’accès au marché de l’Union pour des produits sidérurgiques et que la requérante est un opérateur économique actif dans ce domaine. Ainsi, s’agissant d’interdictions telles que celles prévues dans ladite disposition, la condition selon laquelle une personne morale est directement concernée par de telles mesures n’implique pas que ladite personne se trouve dans l’impossibilité absolue de conduire son activité [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, points 69 et 71].

39      De même, il convient de rejeter l’argumentation du Conseil et de la Commission selon laquelle la requérante ne serait pas directement affectée dans sa situation juridique au motif que les mesures instaurées par la disposition attaquée relative à l’accès au marché des produits sidérurgiques s’appliqueraient uniquement aux opérateurs économiques établis dans l’Union. S’il est vrai que cette disposition énonce des interdictions qui s’appliquent aux opérateurs économiques établis dans l’Union, ces interdictions ont pour objet et pour effet d’affecter directement les entités, telles que la requérante, qui se voient limitées dans leur activité économique du fait de leur application à l’égard de ces dernières. En effet, le fait d’interdire aux opérateurs de l’Union d’effectuer certains types d’opérations avec des entités établies en dehors de l’Union, en l’occurrence avec une entreprise établie en Biélorussie, équivaut à interdire à une telle entreprise d’effectuer les opérations en cause avec des opérateurs de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 75).

40      En outre, le Conseil ne saurait utilement invoquer au soutien de son argumentation l’ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419). En effet, dans cette affaire, le Tribunal a considéré que le règlement (CE) no 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, sur le commerce des produits dérivés du phoque (JO 2009, L 286, p. 36), affectait uniquement la situation juridique des parties requérantes qui étaient actives dans la mise sur le marché de l’Union des produits dérivés du phoque et qui étaient donc concernées par l’interdiction générale de mise sur le marché de ces produits, à la différence des parties requérantes intervenant en amont ou en aval de cette mise sur le marché (voir, en ce sens, ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, T‑18/10, EU:T:2011:419, points 75 et 79). Or, en l’espèce, ainsi que la requérante l’a démontré et comme confirmé par le Conseil lors de l’audience, la requérante est active sur le marché des produits sidérurgiques en Biélorussie, visé par la disposition attaquée, et non sur un quelconque marché en amont ou en aval. En effet, c’est en raison de ladite disposition relative à l’accès au marché de l’Union des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie que la requérante se voit dans l’impossibilité d’effectuer des transactions dans le secteur desdits produits avec des organismes ou des entités établis dans l’Union, alors qu’elle aurait été en droit d’effectuer de telles transactions en l’absence de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 76).

41      Deuxièmement, s’agissant du second critère énoncé au point 34 ci-dessus, il ressort du libellé de la disposition attaquée que les interdictions prévues ne laissent aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre. Ces interdictions revêtent un caractère purement automatique et découlent de la seule réglementation en cause, sans application d’autres règles intermédiaires. En effet, la disposition attaquée ne laisse pas de marge d’appréciation aux autorités nationales, dans la mesure où elle prévoit l’interdiction dans l’Union, que ce soit directement ou indirectement, d’importer, d’acheter et de transporter des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie et de fournir des services qui y sont liés.

42      Il y a lieu de conclure, dès lors, que la requérante est directement concernée par les interdictions prévues par la disposition attaquée.

43      En second lieu, d’une part, il convient de relever que le règlement attaqué, qui, ainsi qu’il a été constaté au point 36 ci-dessus, a une portée générale et qui, dès lors qu’il a été adopté sur le fondement de l’article 215 TFUE et, partant, conformément à la procédure non législative prévue dans cette dernière disposition, ne peut être qualifié d’acte législatif, constitue un « acte réglementaire », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 92 et jurisprudence citée].

44      D’autre part, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, aux fins d’apprécier la question de savoir si un acte réglementaire comporte des mesures d’exécution, il y a lieu de s’attacher à la position de la personne invoquant le droit de recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE. Il est donc sans pertinence de savoir si l’acte en question comporte des mesures d’exécution à l’égard d’autres justiciables (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 99 et jurisprudence citée).

45      En l’espèce, il découle du libellé même de la disposition attaquée que les interdictions édictées par cette disposition s’appliquent sans laisser de pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de les mettre en œuvre. Ces interdictions sont en outre applicables sans que cela nécessite l’adoption de mesures d’exécution, ni par l’Union ni par les États membres [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 90].

46      Il y a lieu de conclure, dès lors, que la disposition attaquée relative à l’accès au marché de l’Union des produits sidérurgiques en provenance de Biélorussie constitue une disposition réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, au sens de la troisième branche de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Par conséquent, outre la condition tenant à l’absence de mesures d’exécution qui est satisfaite, il suffit que la requérante soit directement affectée par ladite disposition, ce qui est le cas en l’espèce.

47      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante a qualité pour agir à l’encontre de la disposition attaquée et que le présent recours est recevable en ce qu’il tend à l’annulation de cette disposition.

 Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête

48      Dans son mémoire en adaptation, la requérante sollicite l’annulation de la décision d’exécution 2023/1592 et du règlement d’exécution 2023/1591.

49      Dans ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil, soutenu par la Commission, soulève une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande en adaptation en tant qu’elle tend à l’annulation de ladite décision d’exécution et dudit règlement d’exécution. Selon le Conseil, ces actes ont un objet différent de celui des actes attaqués. Le Conseil ajoute que l’adaptation de la requête n’est pas dans l’intérêt de la bonne administration de la justice.

50      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que lorsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.

51      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, les conclusions des parties sont caractérisées, en principe, par leur immutabilité. L’article 86 du règlement de procédure constitue une codification d’une jurisprudence préexistante relative aux exceptions que ce principe d’immutabilité peut recevoir (arrêt du 9 novembre 2017, HX/Conseil, C‑423/16 P, EU:C:2017:848, point 18). Ainsi, en tant qu’exception au principe d’immutabilité de l’instance, cette disposition doit être interprétée strictement (arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission, C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 54).

52      En outre, selon la jurisprudence, lorsqu’une décision ou un règlement concernant directement et individuellement un particulier sont, en cours de procédure, remplacés par un acte ayant le même objet, celui‑ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de la procédure d’obliger la partie requérante à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge de l’Union contre un acte, adapter l’acte attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à l’acte ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci (voir arrêt du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 53 et jurisprudence citée).

53      En l’espèce, il y a lieu de relever que les actes attaqués et, en particulier, l’article 2 octodecies inséré par la décision attaquée dans la décision 2012/642 et la disposition attaquée contiennent, ainsi qu’il est conclu aux points 25 et 36 ci-dessus, des mesures de portée générale, à savoir des mesures restrictives sectorielles. En revanche, la décision d’exécution 2023/1592 et le règlement d’exécution 2023/1591, en ce qu’ils prévoient l’inscription de la requérante sur les listes de mesures restrictives, revêtent une portée individuelle à l’égard de celle-ci.

54      En outre, lesdits actes n’ont aucune incidence sur les actes attaqués. En effet, les actes attaqués ne constituent pas de base ou des actes préalables à l’adoption de la décision d’exécution 2023/1592 et du règlement d’exécution 2023/1591 et ne présentent aucun lien avec ces actes. De surcroît, ceux-ci ne se réfèrent aucunement aux actes attaqués.

55      Il s’ensuit que la décision d’exécution 2023/1592 et le règlement d’exécution 2023/1591 n’ont pas le même objet que les actes attaqués. Par conséquent, en l’espèce, une exception au principe d’immutabilité des conclusions des parties ne se justifie pas.

56      Il résulte de ce qui précède que la demande en adaptation de la requête est irrecevable.

 Sur le fond

57      À l’appui de son recours, la requérante invoque trois moyens, tirés, le premier, d’un défaut de motivation, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit à un procès équitable, le deuxième, de la violation du principe d’égalité de traitement et d’un détournement de pouvoir et, le troisième, du caractère disproportionné des mesures restrictives prévues par la disposition attaquée et de la violation de ses droits fondamentaux.

 Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de motivation, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit à un procès équitable

58      La requérante fait valoir que le règlement attaqué n’est pas suffisamment motivé en ce qu’il ne contient pas un degré de motivation semblable à celui qui est adopté dans le cadre de mesures restrictives relatives aux gels de fonds.

59      La requérante estime que, en ce qui la concerne, la disposition attaquée instaure des mesures restrictives individuelles.

60      La requérante ajoute que le Conseil était tenu de démontrer que les faits allégués étaient étayés par des éléments de preuve. En outre, il conviendrait de vérifier que la justification des restrictions est correcte. Or, selon la requérante, le Conseil, sur lequel repose la charge de la preuve, n’a pas fourni d’éléments suffisants.

61      La requérante soutient, en outre, qu’aucune explication n’est fournie quant à la nécessité d’imposer des restrictions sur ses produits et quant à la raison pour laquelle les critères d’inscription sur la liste seraient remplis. Le Conseil n’exposerait également pas si la requérante a été contrôlée par le gouvernement biélorusse et les raisons qui amèneraient à conclure qu’elle joue un rôle significatif dans l’économie de la République de Biélorussie. De plus, le règlement attaqué n’indiquerait pas en quoi les restrictions imposées à la requérante contribueraient à l’accomplissement de leurs objectifs.

62      Par ailleurs, lors de l’audience, la requérante a soulevé l’irrecevabilité de l’annexe C.1, jointe au mémoire en duplique, visant à démontrer que le secteur des produits sidérurgiques se classe au premier rang des catégories de produits les plus exportés par la Biélorussie.

63      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

64      En premier lieu, il convient de relever, ainsi que la requérante l’a confirmé lors de l’audience, que celle-ci ne présente aucun argument relatif au grief tiré de la violation du droit à un procès équitable.

65      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, en vertu d’une jurisprudence constante, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Toujours selon une jurisprudence constante, tout moyen qui n’est pas suffisamment articulé dans la requête introductive d’instance doit être considéré comme irrecevable. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen. Cette fin de non-recevoir d’ordre public doit être relevée d’office par le juge de l’Union (voir arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 138 et jurisprudence citée).

66      Par conséquent, faute d’être étayé par le moindre argument, ledit grief doit être rejeté comme étant irrecevable.

67      En second lieu, il convient de rappeler que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard notamment par la lecture de la décision elle-même, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause [voir arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 128 (non publié) et jurisprudence citée].

68      Force est de constater que, en l’espèce, la requérante déplore l’absence de motivation du règlement attaqué.

69      Dans ces conditions, il convient d’examiner si les mesures restrictives prévues par la disposition attaquée sont suffisamment motivées.

70      Ainsi qu’il a été conclu au point 36 ci-dessus, les mesures restrictives prévues par la disposition attaquée sont des mesures de portée générale.

71      Il convient, dès lors, de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement du Conseil, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Le respect de l’obligation de motivation doit par ailleurs être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En outre, il est de jurisprudence constante que la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et que, s’agissant d’actes destinés à une application générale, comme en l’espèce, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 31 janvier 2007, Minin/Commission, T‑362/04, EU:T:2007:25, point 80).

72      En l’espèce, il ressort des considérants 3 à 5 du règlement attaqué que celui-ci a été adopté afin de donner effet, au niveau de l’Union, à la décision attaquée. En outre, au considérant 4 dudit règlement, il est fait état des mesures restrictives figurant dans la décision attaquée, reprises par le règlement attaqué. Dès lors, les motifs invoqués dans la décision attaquée ayant soutenu la mise en place de ces mesures font partie du contexte de leur adoption, ce que la requérante pouvait comprendre à la lecture du règlement attaqué.

73      Premièrement, s’agissant de la situation d’ensemble qui a conduit à l’adoption du règlement attaqué, il ressort de son considérant 3 que le Conseil a adopté la décision attaquée afin de « mettre en œuvre les conclusions du Conseil européen du 24 février 2022 à la suite de l’implication de la [République de] Biélorussie dans l’agression militaire russe inacceptable et illégale contre l’Ukraine, qui, en vertu du droit international, constitue un acte d’agression ». Au considérant 4 dudit règlement, il est fait état de ce que la décision attaquée a mis en place des nouvelles restrictions liées notamment au secteur des produits sidérurgiques.

74      En outre, au considérant 3 de la décision attaquée, il est fait référence aux conclusions du Conseil européen et au fait que, par celles-ci, ce dernier a condamné, d’une part, « l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine », violant ainsi « de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies » et, d’autre part, « l’implication de la Biélorussie dans cette agression », en lui demandant « de s’abstenir d’une telle action et de respecter ses obligations internationales ». Dans ce contexte, le Conseil européen a appelé à « l’élaboration et à l’adoption en urgence d’un nouveau train de sanctions individuelles et économiques couvrant également la Biélorussie ». Ainsi, au considérant 4 de ladite décision, il est indiqué que, « [c]ompte tenu de la gravité de la situation, et en réaction à l’implication de la Biélorussie dans l’agression de la Russie contre l’Ukraine, il y a lieu […] d’instaurer de nouvelles mesures restrictives ».

75      Il ressort des points 72 à 74 ci-dessus que le règlement attaqué, lu conjointement avec la décision attaquée qui fait partie du contexte connu par la requérante et à laquelle ledit règlement donne effet au niveau de l’Union, comporte une motivation suffisante quant à la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, en particulier, à celle de la disposition attaquée.

76      Deuxièmement, s’agissant des objectifs généraux que le règlement attaqué se propose d’atteindre, il résulte du considérant 3 du règlement attaqué et du considérant 3 de la décision attaquée que les mesures restrictives ont été imposées, d’une part, en raison de l’implication de la République de Biélorussie dans l’agression contre l’Ukraine et, d’autre part, afin que la République de Biélorussie s’abstienne « d’une telle action » et afin de l’inciter à « respecter ses obligations internationales ».

77      Il ressort également des conclusions du Conseil européen du 24 février 2022, auxquelles se réfèrent le considérant 3 du règlement attaqué ainsi que le considérant 3 de la décision attaquée, que cette institution « marque […] son accord sur de nouvelles mesures restrictives qui auront des conséquences lourdes et massives pour la Russie consécutivement à ses actions » et « appelle à l’élaboration et à l’adoption en urgence d’un nouveau train de sanctions individuelles et économiques qui couvrira également la Biélorussie ».

78      Il en découle que les mesures restrictives imposées par le règlement attaqué ont pour objectif d’exercer une pression sur la République de Biélorussie afin que celle-ci s’abstienne de toute implication dans l’agression contre l’Ukraine et afin de l’inciter à respecter ses obligations internationales. À cet égard, la requérante ne saurait faire valoir que ces efforts visent à faire renverser le régime biélorusse actuel. En effet, il ressort clairement des considérations exposées aux points 73, 74 et 76 ci-dessus ainsi que de l’intitulé du règlement no 765/2006, tel que modifié par le règlement attaqué, que ce dernier a été adopté en raison de l’implication de la République de Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine.

79      Par ailleurs, même si, conformément à la jurisprudence citée au point 71 ci-dessus, le Conseil n’était pas tenu de fournir une motivation spécifique sur le choix du secteur des produits sidérurgiques, au regard du contexte politique existant à la date d’adoption des mesures restrictives en cause, son choix d’adopter des mesures visant ce secteur peut aisément être compris à la lumière de l’objectif déclaré des actes attaqués, consistant à inciter la République de Biélorussie à s’abstenir de toute implication dans l’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine et à respecter ses obligations internationales (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 124). Il s’ensuit également que l’annexe, mentionnée au point 62 ci-dessus, à supposer même qu’elle soit recevable, n’est, en tout état de cause, pas pertinente aux fins de l’analyse du présent moyen.

80      Il en découle que, conformément à la jurisprudence citée au point 71 ci-dessus, le règlement attaqué est suffisamment motivé, ce qui a permis à la requérante de connaître la situation d’ensemble qui a conduit à l’adoption des mesures restrictives prévues par la disposition attaquée ainsi que leurs objectifs généraux, et au juge de l’Union d’exercer son contrôle.

81      En ce qui concerne les arguments de la requérante relatifs à l’insuffisance d’éléments de preuve et de justification au soutien des faits allégués, il y a lieu de souligner que ces allégations concernent le bien-fondé du règlement attaqué.

82      Or, il convient de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs ne sont pas étayés ou sont entachés d’erreurs, de tels vices entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci (voir arrêt du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil, C‑134/19 P, EU:C:2020:793, point 64 et jurisprudence citée).

83      De plus, dès lors que les mesures restrictives prévues par la disposition attaquée sont des mesures de portée générale, conformément à la jurisprudence citée au point 71 ci-dessus, le Conseil n’était pas tenu de fournir une motivation spécifique relative à la situation individuelle de la requérante qui n’était pas individuellement visée par ces mesures. Contrairement à ce que soutient celle-ci, elle ne fait pas l’objet d’une inscription sur une liste de personnes visées par des mesures restrictives, à tout le moins, figurant dans le règlement attaqué.

84      Le premier moyen doit donc être rejeté sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de l’annexe C.1, ainsi qu’il ressort du point 79 ci-dessus.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement et d’un détournement de pouvoir

85      Le deuxième moyen est divisé en deux branches, tirées, la première, de la violation du principe d’égalité de traitement et, la seconde, d’un détournement de pouvoir.

–       Sur la première branche, tirée de la violation du principe d’égalité de traitement

86      La requérante soutient que le Conseil n’a pas démontré qu’elle se trouvait dans une position différente de celle de toute autre entreprise importante pour la République de Biélorussie sur le plan économique. L’objectif déclaré des mesures restrictives contestées ne justifierait pas la différence de traitement opérée entre les différents secteurs économiques nationaux. La requérante relève également que le principe d’égalité de traitement a été violé au motif qu’elle ne bénéficie pas des droits octroyés aux personnes individuellement visées par des mesures restrictives.

87      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

88      En l’espèce, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental de droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée).

89      En premier lieu, en ce qui concerne la prétendue différence de traitement entre la requérante et toute autre entreprise importante pour la République de Biélorussie sur le plan économique, la requérante ne fournit pas d’exemple concret d’autres entreprises qui se trouveraient dans une situation comparable à la sienne et qui seraient traitées de manière différente. Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas en mesure de vérifier si ses allégations sont fondées en fait (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Export Development Bank of Iran/Conseil, T‑89/14, non publié, EU:T:2016:693, point 120).

90      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument relatif à la différence de traitement entre les différents secteurs économiques, la requérante ne se réfère à aucun autre secteur qui pourrait se trouver dans une situation comparable au secteur des produits sidérurgiques. En outre, il importe de rappeler que le Conseil dispose d’une grande latitude lorsqu’il définit l’objet de mesures restrictives, et cela en particulier lorsque de telles mesures prévoient, conformément à l’article 215, paragraphe 1, TFUE, l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers. En ce qui concerne les mesures restrictives en cause ayant pour cible le secteur des produits sidérurgiques, il était notamment loisible au Conseil d’imposer, s’il le jugeait approprié, des restrictions qui visaient des secteurs spécifiques de l’économie de la République de Biélorussie pour exercer une pression sur cet État tiers afin que ce dernier s’abstienne d’être impliqué dans l’agression contre l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 132, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 144).

91      En tout état de cause, même à supposer que le Conseil aurait omis d’adopter des mesures restrictives à l’égard d’autres entreprises ou d’autres secteurs économiques, cette circonstance ne pourrait être utilement invoquée par la requérante, dès lors que le principe d’égalité de traitement doit être interprété à la lumière du large pouvoir d’appréciation dont dispose le Conseil lorsqu’il détermine au cas par cas si les critères juridiques sur la base desquels les mesures en cause se fondent sont remplis. En l’espèce, en choisissant de cibler le secteur des produits sidérurgiques plutôt qu’un autre secteur de l’économie biélorusse, il n’apparaît pas que le Conseil ait excédé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose au regard de l’objectif général qu’il vise à atteindre ni qu’il aurait violé le principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, С‑72/15, EU:C:2017:236, point 132).

92      En troisième lieu, la requérante ne précise pas quels sont les droits qu’elle vise et dont elle ne bénéficierait pas, contrairement aux personnes individuellement visées par des mesures restrictives.

93      Il s’ensuit que la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.

–       Sur la seconde branche, tirée d’un détournement de pouvoir

94      La requérante fait valoir que les mesures restrictives contestées sont entachées d’un détournement de pouvoir. En premier lieu, la requérante soutient que ses liens avec le gouvernement biélorusse sont insuffisants. En deuxième lieu, le règlement attaqué n’exposerait pas le lien entre les entités ciblées par lesdites mesures et leur objectif, à savoir celui d’augmenter les coûts supportés par la République de Biélorussie afin de renverser le régime actuel. Un tel objectif serait incompatible avec celui consistant à préserver la paix et la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE. En troisième lieu, la requérante fait valoir qu’elle n’a jamais participé aux activités de l’armée biélorusse, ni contribué ou profité du conflit en Ukraine.

95      Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.

96      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 135 et jurisprudence citée).

97      En l’espèce, tout d’abord, en se bornant à souligner qu’elle n’avait pas de lien avec les agissements du gouvernement ou de l’armée biélorusses, la requérante n’a pas démontré que les mesures restrictives contestées avaient été adoptées dans un but autre que celui qui ressort du règlement attaqué, à savoir celui consistant à exercer une pression sur la République de Biélorussie afin qu’elle s’abstienne d’être impliquée dans l’agression contre l’Ukraine, et encore moins fourni d’indices objectifs, pertinents et concordants à cet égard.

98      En outre, les mesures restrictives prévues par la disposition attaquée ont une portée générale, visant certains secteurs économiques au lieu de certaines entités nommément identifiées. Dès lors, le Conseil n’était pas tenu d’exposer un lien entre les entités pouvant être affectées par les mesures restrictives contestées et l’objectif de ces mesures.

99      Ensuite, compte tenu de l’objectif des mesures restrictives contestées, il n’était pas requis que les entreprises susceptibles d’être affectées par ces mesures aient des liens avec le gouvernement biélorusse, contribuent ou profitent de la guerre en Ukraine.

100    Enfin, l’objectif des mesures restrictives contestées, à savoir celui consistant à exercer une pression sur la République de Biélorussie afin qu’elle s’abstienne d’être impliquée dans l’agression contre l’Ukraine, correspond aux objectifs énoncés à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE et visant la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.

101    Par conséquent, il y a lieu de rejeter la seconde branche du deuxième moyen et, partant, ledit moyen dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré du caractère disproportionné des mesures restrictives contestées et de la violation de droits fondamentaux

102    La requérante se prévaut d’une atteinte à la liberté d’entreprise et au droit de propriété en ce que les mesures restrictives contestées l’empêchent d’exercer librement une activité économique. En effet, les conditions permettant de limiter ses droits fondamentaux ne seraient pas, selon la requérante, réunies en l’espèce.

103    En outre, le principe de proportionnalité serait également violé, dans la mesure où l’objectif de renverser le régime biélorusse actuel par le biais de pressions économiques ne serait pas conforme à l’article 21 TUE et où cet objectif ne serait pas atteint en faisant obstacle de manière disproportionnée à son accès à un marché entier. De plus, les mesures restrictives contestées ne seraient ni nécessaires ni appropriées.

104    La requérante ajoute qu’elle n’a aucun lien avec les événements en Ukraine ou avec le régime biélorusse.

105    Par ailleurs, dans ses observations sur le mémoire en intervention de la Commission, la requérante fait valoir que le Conseil n’a fourni ni les critères ni les raisons de son inclusion parmi les destinataires des mesures restrictives. Or, la requérante ne saurait remplir aucun critère dans la mesure où elle n’aurait aucun lien avec les armées biélorusse et russe. La requérante souligne que, conformément à l’article 47 de la Charte, la décision d’imposer des mesures restrictives à une personne ou à une entité concernée individuellement doit reposer sur une base factuelle suffisamment solide, ce qui implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en lui-même pour soutenir cette même décision, sont étayés.

106    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

107    À cet égard, pour autant que la requérante conteste la proportionnalité des mesures restrictives prévues par la disposition attaquée, qui, ainsi qu’il a été conclu au point 36 ci-dessus, sont de portée générale, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Ainsi, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 146 et jurisprudence citée).

108    Contrairement à ce que soutient la requérante, il existe un rapport raisonnable entre lesdites mesures restrictives et l’objectif poursuivi par ces dernières. En effet, dans la mesure où cet objectif est d’exercer une pression sur la République de Biélorussie afin qu’elle s’abstienne de toute implication dans l’agression contre l’Ukraine, l’approche consistant à cibler le secteur biélorusse des produits sidérurgiques dans lequel, selon la requérante, la République de Biélorussie figure parmi les cinq exportateurs les plus importants dans l’Union répond de manière cohérente audit objectif et ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme étant manifestement inappropriée au regard de l’objectif poursuivi.

109    En outre, s’agissant de l’argument relatif à l’absence de lien entre la requérante et les événements en Ukraine ou le régime biélorusse, il convient de relever que, étant donné que les mesures restrictives prévues par la disposition attaquée ne visent pas individuellement la requérante, mais se rapportent de manière générale au secteur des produits sidérurgiques, il n’est pas requis qu’un lien entre celle-ci et les événements en Ukraine ou le régime biélorusse soit établi. En effet, contrairement à ce que soutient la requérante et ainsi qu’il a été indiqué au point 83 ci-dessus, elle ne fait pas l’objet d’une inscription sur une liste de personnes visées par des mesures restrictives, à tout le moins, figurant dans le règlement attaqué. Dès lors, la disposition attaquée ne saurait être assimilée à une décision ayant imposé des mesures restrictives à la requérante de manière individuelle.

110    Par conséquent, il convient de considérer que les mesures restrictives prévues par la disposition attaquée ne sont pas disproportionnées, d’autant plus que le paragraphe 2 de ladite disposition prévoit certaines garanties au regard des contrats en cours à la date de l’adoption du règlement attaqué.

111    S’agissant des droits fondamentaux invoqués par la requérante, à savoir la liberté d’entreprise et le droit de propriété, il y a lieu de souligner que ces droits fondamentaux ne constituent pas des prérogatives absolues et peuvent en conséquence faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 161 et jurisprudence citée).

112    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la […] Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

113    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation doit être prévue par la loi. En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale. Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance du droit ou de la liberté en cause, ne doit pas être atteint (voir arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 163 et jurisprudence citée).

114    Or, en l’espèce, ces trois conditions sont remplies.

115    En premier lieu, les mesures restrictives contestées sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans un acte ayant notamment une portée générale, à savoir le règlement attaqué, et disposant d’un fondement juridique clair en droit de l’Union, à savoir l’article 215 TFUE, ainsi que d’une motivation suffisante, ce qui ressort des points 70 à 84 ci-dessus.

116    En deuxième lieu, ainsi qu’il est exposé aux points 76 à 78 ci-dessus, l’objectif du règlement attaqué est d’exercer une pression sur la République de Biélorussie afin que celle-ci s’abstienne de toute implication dans l’agression contre l’Ukraine. Un tel objectif cadre avec celui consistant à préserver la paix, prévenir des conflits et renforcer la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 115, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 166).

117    En troisième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il convient de se référer aux motifs exposés aux points 107 à 110 ci-dessus et d’ajouter que les mesures restrictives comportent, par définition, des effets qui affectent les droits de propriété et le libre exercice des activités professionnelles, causant ainsi des préjudices à des parties qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 149, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 170).

118    Toutefois, il y a lieu de relever que l’importance de l’objectif poursuivi par les mesures restrictives contestées, qui vise à exercer une pression sur la République de Biélorussie afin qu’elle s’abstienne de toute implication dans l’agression contre l’Ukraine et qui s’inscrit, ainsi qu’il ressort du point 100 ci-dessus, dans l’objectif d’une préservation de la paix, d’une prévention des conflits et du renforcement de la sécurité internationale, est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs qui n’auraient aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions (arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 171 ; voir également, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).

119    Dans ces conditions, l’ingérence dans la liberté d’entreprise et le droit de propriété de la requérante ne saurait être considérée comme disproportionnée.

120    Le troisième moyen doit donc être rejeté.

121    Dès lors que tous les moyens ont été écartés, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

122    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

123    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de celui-ci.

124    La Commission supportera ses propres dépens conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      AAT Byelorussian Steel Works – management company of « Byelorussian Metallurgical Company » holding (BSW – management company of « BMC » holding) est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Papasavvas

da Silva Passos

Gervasoni

Półtorak

 

      Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 mars 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.