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Affaire T-325/01

DaimlerChrysler AG

contre

Commission des Communautés européennes

« Concurrence — Article 81 CE — Ententes — Contrat d’agence — Distribution de véhicules automobiles — Unité économique — Mesures visant à entraver le commerce parallèle de véhicules automobiles — Fixation des prix — Règlement (CE) nº 1475/95 — Amende »

Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 15 septembre 2005 ?II ‑ 0000

Sommaire de l’arrêt

1.     Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Notion — Comportements bilatéraux ou multilatéraux — Inclusion — Comportement unilatéral — Exclusion

(Art. 81, § 1, CE)

2.     Concurrence — Règles communautaires — Entreprise — Notion — Unité économique — Personnes juridiques distinctes liées par un contrat d’agence — Conditions d’existence de l’unité économique

(Art. 81, § 1, CE)

3.     Concurrence — Ententes — Interdiction — Exemption par catégories — Règlement nº 1475/95 — Notion de « revente »

(Règlement de la Commission nº 1475/95, art. 10, § 12)

4.     Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire — Respect des droits de la défense

(Règlement du Conseil nº 17, art. 19, § 1 ; règlement de la Commission nº 99/63, art. 2 et 4)

5.     Concurrence — Ententes — Pratique concertée — Notion — Coordination et coopération incompatibles avec l’obligation pour chaque entreprise de déterminer de manière autonome son comportement sur le marché

(Art. 81, § 1, CE)

6.     Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Preuve de l’infraction à la charge de la Commission — Preuve rapportée d’une participation à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel — Preuve d’une distanciation par rapport aux décisions prises à la charge de l’entreprise

(Art. 81, § 1, CE)

7.     Concurrence — Ententes — Décisions d’associations d’entreprises — Décision non obligatoire d’une association appliquée par ses membres — Inclusion

(Art. 81, § 1, CE)

8.     Concurrence — Ententes — Affectation du commerce entre États membres — Entente produisant ses effets sur l’ensemble du territoire d’un État membre — Affectation automatique

(Art. 81, § 1, CE)

9.     Concurrence — Règles communautaires — Infraction commise par une filiale — Imputation à la société mère — Conditions — Absence d’incidence de l’existence d’une personnalité juridique distincte de la filiale — Incidence de la détention de la totalité du capital de la filiale — Obligation pour la société mère de renverser la présomption d’exercice effectif d’un pouvoir de direction sur sa filiale

(Art. 81, § 1, CE)

1.     L’interdiction édictée par l’article 81, paragraphe 1, CE concerne exclusivement des comportements coordonnés bilatéralement ou multilatéralement, sous forme d’accords entre entreprises, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées. Dès lors, la notion d’accord au sens de cette disposition est axée sur l’existence d’une concordance de volontés entre deux parties au moins. Il s’ensuit que, lorsqu’une décision d’une entreprise constitue un comportement unilatéral de celle-ci, cette décision échappe à l’interdiction de cet article.

(cf. points 83-84)

2.     Aux fins de l’application des règles de la concurrence, la séparation formelle entre deux sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, n’est pas déterminante, ce qui s’impose étant l’unité ou non de leur comportement sur le marché. Il peut donc s’avérer nécessaire de déterminer si deux sociétés ayant des personnalités juridiques distinctes forment ou relèvent d’une seule et même entreprise ou entité économique qui déploie un comportement unique sur le marché.

Une telle situation ne se limite pas à des cas où les sociétés entretiennent des relations de société mère à société filiale, mais vise, également, dans certaines circonstances, les relations entre une société et son représentant de commerce ou entre un commettant et son commis. En effet, s’agissant de l’application de l’article 81 CE, la question de savoir si un commettant et son intermédiaire ou « représentant de commerce » forment une unité économique, le deuxième étant un organe auxiliaire intégré dans l’entreprise du premier, est importante aux fins de déterminer si un comportement relève du champ d’application de cet article. Ainsi, si un intermédiaire exerce une activité au profit de son commettant, il peut en principe être considéré comme organe auxiliaire intégré dans l’entreprise de celui-ci, tenu de suivre les instructions du commettant et formant ainsi avec cette entreprise, à l’instar de l’employé de commerce, une unité économique.

Il en est autrement si les conventions passées entre le commettant et ses agents confèrent ou laissent à ces derniers des fonctions se rapprochant économiquement de celles d’un négociant indépendant, du fait qu’elles prévoient la prise en charge, par lesdits agents, des risques financiers liés à la vente ou à l’exécution des contrats conclus avec des tiers. Ainsi, les agents ne sont susceptibles de perdre leur qualité d’opérateur économique indépendant que lorsqu’ils ne supportent aucun des risques résultant des contrats négociés pour le commettant et opèrent comme auxiliaires intégrés à l’entreprise du commettant. Dès lors, lorsqu’un agent, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique les instructions qui lui sont imparties par son commettant, les interdictions édictées par l’article 81, paragraphe 1, CE sont inapplicables dans les rapports entre l’agent et son commettant, avec lequel il forme une unité économique.

(cf. points 85-88)

3.     Il ressort de la définition du terme « revente » contenue à l’article 10, paragraphe 12, du règlement nº 1475/95, concernant l’application de l’article [81], paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords de distribution et de service de vente et d’après-vente de véhicules automobiles, que la possibilité pour un fournisseur d’interdire aux distributeurs de livrer à des personnes physiques ou morales assimilées à des « revendeurs » se limite au cas où ces derniers aliènent des véhicules automobiles à l’état neuf. Cette assimilation à la revente des contrats de leasing qui comportent un transfert de propriété ou une option d’achat avant l’échéance du contrat a pour objectif de permettre au fournisseur d’assurer l’intégrité du réseau de distribution en évitant qu’un contrat de crédit-bail soit utilisé pour faciliter l’acquisition, en dehors du réseau de distribution exclusive, de la propriété d’un véhicule lorsque celui-ci est toujours à l’état neuf.

(cf. point 153)

4.     La Commission doit communiquer les griefs qu’elle fait valoir contre les entreprises et les associations intéressées et ne peut retenir dans ses décisions que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l’occasion de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission.

La communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, fussent-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n’est, en effet, qu’à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n’adopte une décision définitive. Cette exigence est respectée lorsque la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer. La décision finale de la Commission ne doit toutefois pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs.

Lorsque la communication des griefs fournit une indication claire de la nature de l’infraction au droit de la concurrence reprochée à l’entreprise en cause et les faits essentiels invoqués à cet égard, celle-ci est en mesure de répondre à cette accusation et de défendre ses droits. Une présentation ultérieure des griefs dans la décision adoptée par la Commission qui qualifie un accord économique de « vertical » ou d’« horizontal » ne constitue pas une modification matérielle des griefs tels que présentés dans la communication des griefs.

(cf. points 188-189, 192)

5.     Pour qu’il y ait accord, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée.

Les critères de coordination et de coopération, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable « plan », doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on a décidé ou que l’on envisage de tenir soi-même sur le marché.

(cf. points 199-200)

6.     En cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de la concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction.

Toutefois, dès lors qu’il a été établi qu’une entreprise a participé à des réunions entre entreprises à caractère manifestement anticoncurrentiel, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur. En l’absence d’une telle preuve de distanciation, le fait que cette entreprise ne se conforme pas aux résultats de ces réunions n’est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l’entente.

(cf. points 201-202)

7.     Un acte peut être qualifié de décision d’association d’entreprises au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, sans nécessairement avoir un caractère obligatoire pour les membres concernés, à tout le moins dans la mesure où les membres visés par cette décision s’y conforment.

(cf. point 210)

8.     Lorsqu’une entente s’étend à l’ensemble du territoire d’un État membre, elle a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité.

(cf. point 212)

9.     La circonstance qu’une entreprise filiale a une personnalité juridique distincte de sa société mère ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à cette dernière, notamment lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère.

À cet égard, si la détention de 100 % du capital de la filiale par la société mère ne saurait à elle seule suffire à démontrer l’exercice effectif par cette dernière d’un pouvoir de direction, lequel conditionne l’imputation du comportement de l’une à l’autre, la Commission peut fonder sa décision sur cette imputation sur la circonstance que la société mère ne conteste pas avoir été en mesure d’influencer de façon déterminante la politique commerciale de sa filiale et n’apporte pas d’éléments de preuve au soutien de ses affirmations sur l’autonomie de cette dernière. En effet, en présence de la détention de la totalité du capital de la filiale, la Commission peut légitimement supposer que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, en particulier si la société mère s’est présentée lors de la procédure administrative comme étant le seul interlocuteur pour les sociétés du groupe.

Dans ces conditions, il incombe à la société mère de renverser cette présomption par des éléments de preuve suffisants.

(cf. points 218-220)