Language of document : ECLI:EU:T:2007:64

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

27 février 2007(*)

« Aides d’État – Acte susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑44/05,

SP Entertainment Development GmbH, établie à Norderfriedrichskoog (Allemagne), représentée par Me C. Demleitner, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Kreuschitz, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision qui serait contenue dans une lettre de la Commission du 20 octobre 2004 relative à la récupération de l’aide d’État accordée par les autorités allemandes en faveur de Space Park Development GmbH & Co. KG,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, J. Azizi et Mme E. Cremona, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 15 avril 1999, Space Park Development GmbH & Co. KG (ci-après « SP Development »), prédécesseur dans les droits de la requérante, s’est vu accorder un prêt par la ville de Brême (Allemagne), par l’intermédiaire de SWG Grundstücks GmbH & Co. KG (ci-après « SWG ») en vue d’investir dans Space Park GmbH & Co. KG (ci-après « SP »), société ayant pour projet la création d’un parc de loisirs dénommé « Space Park ».

2        Entre le 14 juin 1999 et le 19 septembre 2001, la Commission a reçu plusieurs plaintes mentionnant l’octroi d’aides d’État importantes à ce projet. Par lettre du 26 octobre 2001, la Commission a adressé une demande de renseignements à la République fédérale d’Allemagne afin de vérifier ces allégations.

3        Par décision 2004/167/CE, du 17 septembre 2003, relative à l’aide d’État accordée par l’Allemagne en faveur de SP Development (JO 2004, L 61, p. 66), la Commission a déclaré que le prêt accordé par la République fédérale d’Allemagne à SP Development contenait une aide d’État illégale et incompatible avec le marché commun. En conséquence, la Commission a exigé que cette aide soit immédiatement supprimée.

4        Dans les négociations qui ont suivi, la Commission ne s’est pas opposée à la proposition de la République fédérale d’Allemagne selon laquelle le remboursement s’effectuerait sous forme d’une cession à SWG, société de participation financière de la ville de Brême, de la part de 10 % détenue par le bénéficiaire de l’aide dans SP, à condition, toutefois, que cette part ait une valeur commerciale correspondant au moins au montant du prêt au moment de la cession.

5        Par lettre du 16 janvier 2004, la République fédérale d’Allemagne a informé la Commission que la cession des parts avait eu lieu, conformément au droit des obligations, à compter du 1er janvier 2003. Ayant des doutes à cet égard, la Commission a répondu que la cession des parts n’était réputée accomplie qu’une fois transcrite au registre du commerce. Il s’en est suivi un échange de courrier à l’issue duquel, par lettre du 20 octobre 2004, les services de la Commission ont indiqué qu’ils estimaient que la décision 2004/167 n’avait pas été complètement exécutée et qu’ils envisageaient de saisir la Cour d’un recours contre la République fédérale d’Allemagne au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE (ci-après l’« acte attaqué »).

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 février 2005, la requérante a introduit le présent recours.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 21 avril 2005, la Commission a, en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d’irrecevabilité.

8        Le 14 juin 2005, la requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision qui serait contenue dans une lettre de la Commission du 20 octobre 2004 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

11      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 En droit

12      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale sauf décision contraire du Tribunal.

13      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sans poursuivre la procédure.

 Arguments des parties

14      En premier lieu, la Commission soutient que le recours a été introduit hors délai. Elle estime que la requérante n’a pas démontré à suffisance de droit qu’elle avait formé son recours en temps utile dès lors que rien n’explique la raison pour laquelle la requérante n’aurait eu connaissance de l’acte attaqué envoyé par télécopie le 20 octobre 2004 au ministère fédéral des Finances que cinq semaines après cette date.

15      En second lieu, la Commission soutient que l’acte attaqué n’est pas susceptible de recours, dans la mesure où il ne fait qu’exposer l’opinion des services de la Commission et n’affecte aucunement la situation juridique de la requérante.

16      En premier lieu, s’agissant du caractère prétendument tardif du recours, la requérante soutient que celui-ci a été introduit dans le délai de deux mois, augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours, conformément à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure. En effet, malgré des demandes répétées, ce ne serait que le 4 janvier 2005 que SWG et ses avocats auraient mis à la disposition de la requérante une copie de l’acte attaqué.

17      En second lieu, s’agissant de la fin de non-recevoir tirée du caractère non attaquable de l’acte, la requérante soutient que, si l’acte attaqué n’est certes pas rédigé sous la forme d’une décision produisant directement des effets juridiques, il contient néanmoins des constatations produisant de tels effets. Elle invoque, à cet égard, la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en matière d’aides d’État, les mesures provisoires produisant des effets juridiques propres, distincts de ceux de la décision finale qu’elles préparent, constituent également des actes susceptibles de recours au sens de l’article 230 CE (arrêt de la Cour du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C-400/99, Rec. p. I‑7303, point 57).

18      Au soutien de cette prétention, la requérante fait observer que la Commission indique dans l’acte attaqué que la conclusion de l’« accord complémentaire du 23 décembre 2003 complétant l’accord-cadre du 10 décembre 2002 » n’emporte pas remboursement du prêt de SWG. Elle considère que, en l’absence de cette indication, la décision 2004/167 aurait été exécutée par la conclusion et l’application de l’accord du 23 décembre 2003. Par ailleurs, la requérante prétend que la sommation adressée par la Commission à la République fédérale d’Allemagne, accompagnée de la menace d’introduction d’une procédure en manquement sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, de faire recouvrer le prêt de SWG a produit des effets juridiques à son détriment. Cette sommation aurait, en effet, exercé une pression telle sur SWG que celle-ci aurait, à son tour, menacé la requérante de l’assigner en remboursement du prêt, en dépit de l’accord de dation en paiement conclu le 23 décembre 2003.

 Appréciation du Tribunal

19      Selon une jurisprudence constante, ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 230 CE que des mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir ordonnance du Tribunal du 30 septembre 1999, UPS Europe/Commission, T‑182/98, Rec. p. II‑2857, point 39, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, Rec. p. II‑2125, point 44).

20      Pour déterminer si un acte ou une décision produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à sa substance (ordonnance de la Cour du 13 juin 1991, Sunzest/Commission, C‑50/90, Rec. p. I‑2917, point 12, et arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 63).

21      À cet égard, il convient de constater que, dans l’acte attaqué, la Commission, en réponse à des lettres des autorités allemandes des 29 juillet et 23 septembre 2004, dans lesquelles lesdites autorités faisaient état de ce qu’elles estimaient avoir satisfait à l’obligation de récupération de l’aide déclarée illégale et incompatible, rappelle tout d’abord que, « conformément à […] la décision [2004/167], l’Allemagne doit veiller au remboursement, dans un bref délai, du prêt accordé à SP Development ». La Commission indique, ensuite, que « l’Allemagne n’a pas complètement exécuté la décision [2004/167] concernant SP Development » et, enfin, qu’elle envisage de saisir la Cour d’un recours au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE.

22      Dans l’acte attaqué, la Commission se borne ainsi à rappeler à la République fédérale d’Allemagne son obligation, résultant de la décision 2004/167 déclarant l’aide incompatible avec le marché commun, d’obtenir le remboursement du prêt et ajoute simplement qu’elle considère que les mesures adoptées par celle-ci ne satisfont pas pleinement à cette obligation. Il ne saurait dès lors être considéré que l’acte attaqué élargit la portée de l’obligation incombant à la République fédérale d’Allemagne de procéder à la récupération de l’aide ou crée de nouvelles obligations à sa charge. Partant, l’acte attaqué ne saurait être considéré comme affectant la situation juridique de la requérante. Il convient d’ailleurs de relever à cet égard que la Commission aurait pu saisir directement la Cour d’un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE sans devoir adopter au préalable l’acte attaqué. En outre, dans l’hypothèse où un recours en manquement serait introduit, les droits et obligations incombant à la République fédérale d’Allemagne seraient déterminés uniquement sur la base de la décision 2004/167, laquelle n’a pas fait l’objet d’un recours en annulation et est donc devenue définitive, et non sur celle de l’acte attaqué.

23      Dès lors, l’acte attaqué ne produisant pas d’effet juridique obligatoire de nature à affecter la situation juridique de la requérante, il ne constitue pas un acte faisant grief et n’est donc pas susceptible de recours sur le fondement de l’article 230 CE.

24      Aucun des arguments soulevés par la requérante n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

25      S’agissant de l’argument tiré de ce que la menace, exercée par la Commission, de saisir la Cour sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE aurait exercé une telle pression sur SWG que celle-ci aurait, à son tour, menacé la requérante de l’assigner en remboursement du prêt, en dépit de l’accord de dation en paiement conclu le 23 décembre 2003, il suffit de relever qu’un échange de correspondance, tel que celui de l’espèce, a pour unique but de permettre à l’État membre de se conformer volontairement aux exigences résultant d’une décision déclarant une aide incompatible et ordonnant d’en obtenir la récupération ou, le cas échéant, de lui donner l’occasion de justifier sa position (voir, s’agissant d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 226 CE, ordonnance du Tribunal du 19 septembre 2005, Aseprofar et Edifa/Commission, T‑247/04, Rec. p. II‑3449, point 47). Il convient d’ailleurs de relever que, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, si l’État en cause ne se conforme pas à la décision déclarant l’aide incompatible et dont il est le destinataire, la Commission peut saisir directement la Cour, par dérogation à l’article 226 CE, sans avoir au préalable émis un avis motivé à ce sujet et mis ledit État en mesure de présenter ses observations.

26      En outre, il a été jugé dans le cadre d’un recours au titre de l’article 226, premier alinéa, CE, que la phase précontentieuse de la procédure ne comporte aucun acte de la Commission revêtu de force obligatoire (arrêt de la Cour du 1er mars 1966, Lütticke/Commission, 48/65, Rec. p. 27).

27      Un avis motivé rendu par la Commission au titre de l’article 226 CE n’étant pas un acte revêtu de force obligatoire produisant des effets juridiques et n’étant donc pas un acte susceptible de recours, il en va a fortiori de même d’un échange de correspondance informel, tel que celui de l’espèce, lequel ne constitue pas une condition préalable à la saisine de la Cour au titre de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE.

28      De même, l’argument de la requérante tiré de l’arrêt Italie/Commission, précité, ne saurait être retenu dès lors qu’il n’est d’aucune pertinence au regard de la situation en l’espèce. En effet, dans l’affaire ayant fait l’objet de cet arrêt, le recours tendait à l’annulation d’une décision de la Commission d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’égard d’une mesure en cours d’exécution et qualifiée d’aide nouvelle. Or, si ce type de décision de la Commission comporte des effets juridiques autonomes selon la qualification d’aide nouvelle ou d’aide existante, l’acte attaqué ne saurait toutefois lui être assimilé, puisqu’il ne constitue qu’une simple mesure d’information quant à la question de savoir si la décision déclarant l’incompatibilité de l’aide et obligeant la République fédérale d’Allemagne à procéder à sa récupération a été correctement exécutée.

29      Ensuite, en ce qui concerne l’argument de la requérante tiré de ce que la sommation à la République fédérale d’Allemagne d’exécuter la décision 2004/167 aurait produit des effets juridiques à son détriment, force est de constater que cette sommation est la conséquence directe de l’exécution de ladite décision et non celle de l’acte attaqué.

30      Ainsi, sans qu’il soit besoin de vérifier si le recours a été introduit dans les délais, il y a lieu de rejeter celui-ci comme irrecevable.

 Sur les dépens

31      Selon l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La requérante, SP Entertainment Development GmbH, est condamnée à supporter l’ensemble des dépens.

Fait à Luxembourg, le 27 février 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’allemand.