Language of document : ECLI:EU:T:2005:81

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
8 mars 2005 (1)

« Agents de la BEI – Recours en annulation – Recevabilité – Prolongation de la période d'essai – Résiliation du contrat – Conditions – Recours en indemnité »

Dans l'affaire T-275/02,

D, ancien agent de la Banque européenne d'investissement, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Me  J. Choucroun, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Banque européenne d'investissement (BEI), représentée par M. J.-P. Minnaert, en qualité d'agent, assisté de Me P. Mousel, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation des décisions de la BEI portant prorogation de la période d'essai et résiliation du contrat de la requérante et, d'autre part, une demande de réparation du préjudice matériel et moral prétendument subi,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),



composé de MM. M. Vilaras, président, F. Dehousse et D. Šváby, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 23 novembre 2004,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique

1
Les statuts de la Banque européenne d’investissement (BEI) sont établis par un protocole annexé au traité CE, dont il fait partie intégrante.

2
L’article 9, paragraphe 3, sous h), des statuts de la BEI prévoit l’approbation, par le conseil des gouverneurs, de son règlement intérieur. Ce règlement a été approuvé le 4 décembre 1958 et a subi plusieurs modifications. Son article 29 dispose que les règlements relatifs au personnel de la BEI sont arrêtés par le conseil d’administration.

3
Le règlement du personnel de la BEI (ci-après le « règlement du personnel ») a été approuvé le 20 avril 1960, puis modifié à diverses reprises. Le personnel de la BEI est assujetti aux obligations prévues par ce règlement.

4
Le règlement du personnel dispose notamment :

« [...] Article 13

Les relations entre la [BEI] et les membres de son personnel sont réglées en principe par des contrats individuels dans le cadre du présent règlement. Le règlement fait partie intégrante de ces contrats.

[...]

Article 15

Les contrats individuels entre la [BEI] et les membres de son personnel prennent la forme de lettres d’engagement. Les personnes engagées contresignent leur lettre d’engagement ainsi qu’un exemplaire du présent règlement.

La lettre d’engagement fixe la rémunération, la durée et les autres conditions de l’emploi.

Article 16

Les contrats sont conclus soit pour une durée déterminée, soit pour une durée indéterminée.

Un contrat conclu pour une durée déterminée peut prévoir :

a)      qu’il pourra prendre fin de plein droit à l’arrivée du terme fixé

[…]

La [BEI] peut régler, par des dispositions internes, la procédure à suivre en cas de licenciement autre que celui visé à l’article 38.

[…]

Article 18

À la demande du membre du personnel, il peut être mis fin à son contrat sans que soient observées les dispositions des articles 16 et 17 supra.

[…]

Article 38

Les membres du personnel qui manquent à leurs obligations sont passibles, selon le cas, des mesures suivantes :

1)
blâme par écrit ;

2)
retard d’avancement d’un an au plus ;

3)
licenciement pour motif grave, sans préavis ou sans allocation de départ ;

4)
licenciement pour motif grave, sans préavis ni allocation de départ, et avec réduction des droits à pension à la fraction correspondant aux contributions versées par les intéressés.

[…]

Article 41

Les différends de toute nature d’ordre individuel entre la [BEI] et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice des Communautés européennes.

Les différends, autres que ceux découlant de la mise en jeu de mesures prévues à l’article 38, font l’objet d’une procédure amiable devant la commission de conciliation de la [BEI] et ce indépendamment de l’action introduite devant la Cour de justice.

La commission de conciliation se compose de trois membres. Lorsque la commission doit se réunir, l’un des membres est désigné par le président de la [BEI], le deuxième par l’intéressé − ces deux désignations ayant lieu dans le délai d’une semaine à partir de la demande d’une des parties à l’autre ; le troisième membre, qui préside la commission, est désigné par les deux premiers dans un délai d’une semaine après la désignation des deux premiers membres ; il peut être choisi en dehors de la [BEI]. Si les deux premiers membres ne peuvent, dans la semaine suivant leur désignation, se mettre d’accord sur la désignation du président, il y est procédé par le président de la Cour de justice des Communautés européennes.

La procédure de conciliation est considérée […] comme ayant échoué :

si, dans un délai de quatre semaines à dater de la requête qui lui est adressée par le président de la [BEI], le président de la Cour de justice n’a pas procédé à la désignation du président visé à l’alinéa précédent ;

si, dans les deux semaines de sa constitution, la commission de conciliation n’aboutit pas à un règlement accepté par les deux parties.

[...]

Article 44

Sont applicables aux contrats individuels conclus dans le cadre du présent règlement, conformément à l’article 13, les principes généraux communs aux droits des États membres de la [BEI]. »

5
Les « [d]ispositions relatives aux licenciements », adoptées en application de l’article 16, troisième alinéa, et de l’article 35 du règlement du personnel et applicables aux licenciements autres que ceux visés à l’article 38 dudit règlement, prévoient notamment au point A ce qui suit :

« […] [e]n dehors du licenciement pour faute grave, objet de l’article 38 du règlement du personnel, la [BEI] a arrêté les dispositions suivantes destinées à régler les licenciements avec préavis en cas de :

1) suppression de poste ;

2) insuffisance professionnelle […] »

6
Aux termes du point F de la même annexe, ces dispositions « ne s’appliquent qu’une fois la période d’essai terminée, l’engagement étant confirmé de ce fait ».

7
Enfin, le manuel des procédures de la direction des ressources humaines de la BEI (ci-après le « manuel des procédures ») prévoit notamment en son chapitre 3 ce qui suit :

« Gestion et suivi

3.2.4.1 Rapport intermédiaire de la direction transmis à la [division ‘Développement’ de la direction des ressources humaines] (après quatre mois de service pour le personnel cadre, trois mois pour les non-cadres, au milieu de la période d’essai dans le cas de contrats à durée déterminée). Le rapport doit être signé par le supérieur hiérarchique et le directeur général ou son délégué, d’une part, et par l’agent, d’autre part.

3.2.4.2 Entretien de l’agent avec un responsable de la division [‘Développement’ de la direction des ressources humaines].

3.2.4.3 Cinq semaines avant la fin de la période d’essai, la [division ‘Développement’ de la direction des ressources humaines] invite la[dite] direction à établir une appréciation de fin de période d’essai, sur la base d’un formulaire qui doit impérativement parvenir à la [division ‘Développement’] dans un délai permettant à l’agent concerné de recevoir sa lettre d’engagement, de prolongation de période d’essai ou de résiliation de contrat au moins quinze jours avant la conclusion de la période d’essai.

3.2.4.4 Réception du formulaire d’appréciation de fin de période d’essai signé par le chef de division, le directeur et le directeur général de l’agent.

Contrôle et supervision

3.2.4.5 Établissement de la lettre correspondant aux conclusions de l’exercice d’appréciation (lettre de confirmation d’engagement, de prolongation de période d’essai ou de non-confirmation du contrat). Le formulaire et la lettre sont signés par le directeur [des ressources humaines] et éventuellement par le chef de [la] division [‘Développement’] en cas de non-confirmation de contrat.

3.2.4.6 Entretien avec un responsable de la division [‘Développement’] au cours duquel l’agent signe le formulaire d’appréciation.

3.2.4.7 Mise en place d’un suivi régulier et de rapports intermédiaires en cas de prolongement de période d’essai. »


Faits à l’origine du litige

8
La requérante a été engagée par la BEI en qualité de juriste par un contrat à durée déterminée de trois ans commençant le 16 octobre 2001. La lettre d’engagement du 2 octobre 2001 (ci-après la « lettre d’engagement ») précisait l’existence d’une période d’essai de six mois, jusqu’au 15 avril 2002, date avant laquelle chacune des parties pouvait mettre fin au contrat, sans obligation de motivation, moyennant un préavis de quinze jours. La lettre d’engagement précisait, en outre, que, à l’expiration de la période d’essai, la requérante serait considérée comme étant engagée pour la durée de son contrat.

9
Le 18 janvier 2002, la BEI a établi un rapport intermédiaire sur l’activité de la requérante.

10
La BEI a, ensuite, établi un document intitulé « appréciation à la fin de la période d’essai », signé les 21 et 26 mars 2002 par les supérieurs hiérarchiques de la requérante et par le directeur des ressources humaines de la BEI, M. Verykios. Sous la rubrique « D » de ce document, intitulée « commentaires et propositions [de la direction des ressources humaines] », figure la mention suivante : « confirmation de la prolongation de la période d’essai du 16 avril 2002 au 15 août 2002 ». Un premier exemplaire de ce document a été signé par la requérante le 9 avril 2002 et le second le 10 avril 2002. Au document signé le 9 avril 2002, la requérante a annexé un courrier électronique daté du même jour, intitulé « Response to extension of Trial Period » (réponse à la prolongation de la période de stage) et contenant ses remarques sur les appréciations de ses supérieurs hiérarchiques quant à la qualité de son travail.

11
Parallèlement, la BEI a adressé à la requérante une lettre, datée du 25 mars 2002 et signée par M. Verykios le lendemain, libellée comme suit :

« Pour faire suite à votre lettre d’engagement [...] datée du 2 octobre 2001, nous sommes heureux de vous informer que votre période d’essai a été prolongée pour une durée de quatre mois, du 16 avril 2002 au 15 août 2002. Un formulaire détaillé d’appréciation sera requis au terme de cette prolongation.

Les termes et conditions du règlement du personnel contenus dans la lettre précitée demeurent applicables.

Afin de nous signifier votre accord, voudriez-vous s’il vous plaît renvoyer la copie ci-annexée de ce contrat, signée, datée et portant la mention ‘lu et approuvé’ ? »

12
Par lettre du 25 juin 2002, la BEI a informé la requérante de la résiliation de son contrat avec effet au 15 juillet 2002 (ci-après la « décision de résiliation »). Cette lettre est ainsi libellée :

« En nous référant à votre ‘contract letter’ (lettre d’engagement) [...] datée du 2 octobre 2001, [à] l’ ‘extended contract letter’ (avenant à la lettre d’engagement) [...] daté du 25 mars 2001 et [au] ‘trial period report’ (rapport de la période d’essai) daté du 13 juin 2001, nous avons le regret de vous informer que la [BEI] résilie par la présente votre contrat avec effet au 15 juillet 2002.

À titre d’accusé de réception de ceci, veuillez nous renvoyer l’exemplaire ci-annexé dûment signé, daté et portant la mention ‘lu et approuvé’. »

13
Par lettre du 28 juin 2002, la requérante a exprimé son total désaccord avec la teneur de la décision de résiliation et a demandé à la BEI de lui faire parvenir des copies certifiées des documents cités dans cette lettre, à savoir du rapport daté du 13 juin 2001 et de l’avenant à la lettre d’engagement daté du 25 mars 2001, dont elle ignorait l’existence et qui concernent une période durant laquelle elle n’était pas encore engagée à la BEI.

14
Le même jour (à savoir le 28 juin 2002), la BEI a réitéré la décision de résiliation en corrigeant les erreurs quant aux dates des deux documents susvisés. La décision de résiliation reformulée est ainsi libellée :

« En nous référant à votre ‘contract letter’ (lettre d’engagement) [...] datée du 2 octobre 2001, [à] l’ ‘extended contract letter’ (avenant à la lettre d’engagement) [...] daté du 25 mars 2002 et [au] ‘trial period report’ (rapport de la période d’essai) daté du 13 juin 2002, nous avons le regret de vous informer que la [BEI] résilie par la présente votre contrat avec effet au 15 juillet 2002.

À titre d’accusé de réception de ceci, veuillez nous renvoyer l’exemplaire ci-annexé dûment signé, daté et portant la mention ‘lu et approuvé’. »

15
Le 1er juillet 2002, la BEI a remis à la requérante la décision du 28 juin 2002, précitée, ainsi que la copie d’un document intitulé « appréciation à la fin de la période d’essai », signé les 13 et 17 juin 2002 par les mêmes agents que ceux ayant signé le document visé au point 10 ci-dessus. Le même jour et tout en exprimant son désaccord avec leur contenu, la requérante a accusé réception de ces deux documents.

16
Par lettre du 2 juillet 2002, la requérante a proposé à la BEI un règlement amiable de leur différend, prévoyant qu’elle serait considérée par les services de la BEI comme étant membre du personnel jusqu’au 15 octobre 2003.

17
La BEI n’ayant pas donné suite à cette proposition de règlement amiable, la requérante a, par lettre du 22 juillet 2002, demandé la saisine de la commission de conciliation prévue à l’article 41 du règlement du personnel et a désigné M. E. Ulhmann, directeur général de la direction des affaires juridiques de la BEI, comme membre de ladite commission.

18
Par lettre du 25 juillet 2002, le président de la BEI a désigné M. Jean‑Philippe Minnaert comme membre de la commission de conciliation et a invité la requérante à désigner une autre personne pour être membre de cette commission, compte tenu de l’impossibilité dans laquelle se trouvait M. Ulhmann d’accepter sa désignation.

19
Par courrier du 3 septembre 2002, la requérante a désigné M. A. Taruffi, secrétaire de l’Union syndicale, comme membre de la commission de conciliation.

20
Cette dernière désignation étant intervenue en dehors du délai d’une semaine prévu à l’article 41, troisième alinéa, du règlement du personnel, le président de la BEI a, par lettre recommandée du 10 septembre 2002, reçue par la requérante le lendemain, informé cette dernière que la désignation tardive de M. Taruffi ne pouvait être acceptée et que, partant, les conditions pour la constitution de la commission de conciliation n’étaient pas remplies.


Procédure

21
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 septembre 2002, la requérante a introduit le présent recours. Elle a également présenté une demande d’anonymat à laquelle il a été fait droit.

22
Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour et enregistré sous le numéro T‑275/02 R, la requérante a demandé le sursis à l’exécution des deux décisions de la BEI attaquées dans le cadre du présent recours. En outre, elle a sollicité l’anonymat pour la procédure en référé, que le juge des référés lui a accordé.

23
Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 25 octobre 2002, la BEI a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a présenté ses observations sur cette exception le 2 janvier 2003.

24
Par ordonnance du 6 décembre 2002, D/BEI (T‑275/02 R, RecFP p. I‑A‑259 et II‑1295), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé et réservé les dépens.

25
Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 19 décembre 2002, la requérante a sollicité le bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite.

26
Par ordonnance du 14 avril 2003, le président de la quatrième chambre du Tribunal a rejeté cette demande.

27
Par ordonnance du 29 avril 2003, le Tribunal (quatrième chambre) a joint l’exception d’irrecevabilité au fond et réservé les dépens.

28
Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 23 décembre 2003, la BEI a demandé le traitement confidentiel des documents figurant en annexe à son mémoire en défense et portant les numéros 14, 15‑6/6, 16 et 18, ainsi que du point 23 de ce mémoire mentionnant lesdits documents, de sorte que seuls le Tribunal et la requérante puissent en prendre connaissance dans le cadre de l’instance.

29
À la suite de l’élection des présidents de chambre prévue à l’article 15 du règlement de procédure et intervenue le 10 septembre 2004, le juge rapporteur a été affecté par décision du Tribunal du 13 septembre 2004, en qualité de président de chambre, à la cinquième chambre du Tribunal, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

30
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité la BEI à produire certains documents et à répondre par écrit à certaines questions. La BEI a déféré à cette demande dans le délai imparti.

31
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 novembre 2004.


Conclusions des parties

32
Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours recevable et fondé ;

annuler la décision de la BEI du 26 mars 2002 portant prorogation de quatre mois de la période d’essai de six mois initialement convenue entre les parties ;

annuler la décision de la BEI du 25 juin 2002, telle que reformulée le 28 juin 2002, portant résiliation de son contrat à durée déterminée avec effet au 15 juillet 2002 ;

condamner la BEI à lui verser un montant de 45 000 euros à titre de réparation du préjudice matériel et moral subi à la suite des décisions attaquées, ce montant étant fixé ex aequo et bono et à titre provisionnel ;

condamner la BEI aux dépens.

33
Dans ses mémoires et dans l’exception d’irrecevabilité, la BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable ou, à tout le moins, comme non fondé ;

statuer sur les dépens comme de droit.

34
Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

déclarer le recours recevable ;

statuer sur les dépens comme de droit.


Sur la recevabilité

35
À titre liminaire, il y a lieu de constater que, lors de l’audience, la BEI a renoncé à son argumentation afférente à l’irrecevabilité du présent recours au motif que la requérante n’aurait pas suivi du tout, avant son introduction, la procédure de conciliation prévue à l’article 41 du règlement du personnel, s’agissant de la décision de prorogation de la période d’essai de son contrat, et n’aurait pas suivi jusqu’à son terme ladite procédure, s’agissant de la décision de résiliation. Le Tribunal en a pris acte au procès-verbal d’audience.

36
À cet égard, la BEI a admis que la recevabilité du recours de ses agents devant le juge communautaire n’est nullement subordonnée à l’épuisement de cette procédure administrative, qui est facultative et indépendante de l’action introduite devant le juge communautaire (arrêts du Tribunal du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, RecFP p. I‑A‑49 et II‑185, points 96 et 101 ; du 17 juin 2003, Seiller/BEI, T‑385/00, RecFP p. I‑A‑161 et II‑801, points 50 et 51, et ordonnance D/BEI, précitée, point 43). Il convient, toutefois, d’examiner l’autre fin de non-recevoir invoquée par la BEI.

Arguments des parties

37
La BEI maintient que le présent recours, en ce qu’il vise à l’annulation de la décision de prorogation de la période d’essai de la requérante du 26 mars 2002, est irrecevable comme tardif, puisqu’il a été introduit cinq mois après l’adoption de l’acte, soit très largement au-delà du « délai raisonnable » de trois mois, au sens de la jurisprudence en la matière (ordonnances du Tribunal du 30 mars 2000, Méndez Pinedo/BCE, T‑33/99, RecFP p. I‑A‑63 et II‑273, point 34 ; D/BEI, précitée, points 33 et 42 ; et arrêt De Nicola/BEI, précité, points 107 et 119).

38
En effet, la requérante aurait pris connaissance de cette décision au plus tard le 9 avril 2002, date à laquelle elle a signé le formulaire intitulé « appréciation à la fin de la période d’essai », du 26 mars 2002, lequel confirmait la prolongation de ladite période du 16 avril 2002 au 15 août 2002. Elle en aurait également été informée par la lettre datée du 25 mars 2002 et signée le lendemain par le directeur des ressources humaines, M. Verykios. Cette lettre ne ferait que confirmer les entretiens en ce sens que la requérante a eus avec son supérieur hiérarchique direct, Mme Nicola Barr, en date des 22 et 25 mars 2002. À cet égard, la BEI propose que Mme Barr soit, le cas échéant, entendue par le Tribunal sur ce point.

39
La requérante soutient que le présent recours vise à l’annulation de la décision de prorogation de sa période d’essai exclusivement en tant que la défenderesse s’en est prévalue pour prolonger unilatéralement son droit de résilier le contrat avec un simple préavis de quinze jours.

40
Elle ajoute que le recours, pour autant qu’il vise à l’annulation de cette décision, ne saurait être considéré comme tardif. D’une part, la lettre du 25 mars 2002, précitée, n’aurait jamais été communiquée ou remise à la requérante conformément aux règles internes applicables à la BEI. En effet, la requérante n’aurait pris connaissance de l’existence de cette lettre qu’à la lecture de la décision de résiliation du 25 juin 2002, réitérée le 28 juin 2002, et elle n’aurait été informée de son contenu, pour la première fois, qu’à l’occasion de la lecture des observations de la BEI sur la demande en référé, le 7 octobre 2002. D’autre part, la requérante conteste que des entretiens portant sur la prolongation de sa période d’essai aient eu lieu les 22 et 25 mars 2002, avec Mme Barr ou avec un autre agent de la BEI, et prétend que les propos échangés avec Mme Barr étaient sans rapport avec ladite prolongation.

Appréciation du Tribunal

41
Avant de se prononcer sur les arguments des parties relatifs au délai de recours contre la décision de prorogation de la période d’essai, il importe de déterminer si cette décision constitue un acte faisant grief à la requérante, comme tel susceptible de recours. En effet, une réponse négative à cette question rendrait inutile l’examen de l’argumentation susvisée des parties.

42
À cet égard, il y a lieu de rappeler que les conditions de recevabilité d’un recours étant d’ordre public, le Tribunal peut les examiner d’office et son contrôle n’est pas limité aux fins de non-recevoir soulevées par les parties. Il appartient, notamment, au seul Tribunal, quelles que soient les prises de position des parties, de rechercher et de définir si, dans chaque espèce, un acte faisant grief au requérant est bien intervenu (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 décembre 1990, B/Commission, T‑130/89, Rec. p. II‑761, publication sommaire, points 13 et 14 ; du 5 décembre 2002, Hoyer/Commission, T‑209/99, RecFP p. I‑A‑243 et II‑1211, point 47, et ordonnance du Tribunal du 25 octobre 1996, Lopes/Cour de justice, T‑26/96, RecFP p. I‑A‑487 et II‑1357, point 17).

43
Selon une jurisprudence constante, seuls font grief les actes ou mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de ce dernier (voir arrêt Hoyer/Commission, précité, point 48, et la jurisprudence citée, et ordonnance du Tribunal du 11 février 2003, Pflugradt/BCE, T‑83/02, RecFP p. I‑A‑47 et II‑281, point 33, confirmée, sur pourvoi, par ordonnance de la Cour du 9 mars 2004, Pflugradt/BCE, C‑159/03 P, non publiée au Recueil, point 17, et la jurisprudence citée).

44
Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, il résulte de cette même jurisprudence qu’en principe ne constituent un acte attaquable que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires, dont l’objectif est de préparer la décision finale (ordonnance de la Cour Pflugradt/BCE, précitée, point 17). Les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief et ce n’est qu’à l’occasion d’un recours contre la décision prise au terme de la procédure que le requérant peut faire valoir l’irrégularité des actes antérieurs qui lui sont étroitement liés (voir ordonnance du Tribunal Pflugradt/BCE, précitée, point 34, et la jurisprudence citée).

45
En l’espèce, certes, à la suite de la prorogation de la période d’essai, la requérante a continué d’être dans une situation professionnelle fragile ou précaire pendant une période plus longue, au cours de laquelle la BEI pouvait résilier le contrat la liant à la requérante, moyennant seulement un préavis de quinze jours et sans autre motivation (voir point 8 ci-dessus). Néanmoins, bien qu’une telle prorogation constituât, en l’espèce, une condition préalable obligatoire à une éventuelle résiliation du contrat par la BEI moyennant un préavis de quinze jours et sans autre motivation, elle n’avait pas, en soi, pour conséquence inévitable le licenciement de la requérante. Même s’il s’inscrivait dans une procédure susceptible, le cas échéant, d’aboutir à un licenciement de l’intéressée, l’acte attaqué était donc purement préparatoire, comme n’affectant pas directement et immédiatement ses intérêts et ne modifiant pas de façon caractérisée sa situation juridique. Partant, l’acte attaqué ne fait pas grief à la requérante (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal Pflugradt/BCE, précitée, point 36).

46
Une telle conclusion n’a pas pour conséquence d’enfreindre les droits fondamentaux de la requérante en la privant d’un recours juridictionnel effectif. En effet, ainsi qu’il a déjà été relevé, en cas de résiliation du contrat de travail d’un agent, ce dernier dispose de la faculté d’introduire un recours contre cette décision et de faire valoir l’irrégularité des actes antérieurs qui lui sont étroitement liés (ordonnance du Tribunal Pflugradt/BCE, précitée, point 37). Or, en l’espèce, la requérante a fait usage de cette faculté en mettant en cause la légalité de la prolongation de sa période d’essai dans le cadre de sa demande en annulation de la décision de résiliation, qui fait également l’objet du présent recours. Cette question sera traitée dans le cadre de l’examen du litige au fond, dont elle relève.

47
Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté comme irrecevable en tant qu’il vise à l’annulation de la décision de prolongation de la période d’essai de la requérante, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la forclusion invoquée à cet égard par la BEI.


Sur le fond

Sur la demande en annulation

48
À l’appui de son recours en annulation, la requérante invoque en substance deux moyens, tirés, premièrement, d’une violation du principe de légalité et du principe « pacta sunt servanda » et, deuxièmement, d’une violation du devoir de sollicitude et du principe de protection de la confiance légitime.

Sur le premier moyen, tiré d’une violation du principe de légalité et du principe pacta sunt servanda

    Arguments des parties

49
La requérante relève que la décision de résiliation est entachée de plusieurs illégalités. Elle soutient, tout d’abord, que ni la lettre d’engagement qui la liait à la BEI ni le règlement du personnel ne prévoient une quelconque possibilité de prolongation de la période d’essai. Le manuel des procédures, qui prévoit une telle possibilité, ne serait pas opposable à la requérante. D’une part, le manuel des procédures contiendrait tout simplement des règles d’exécution d’actes administratifs relevant de la compétence de la direction des ressources humaines et ne serait opposable qu’aux seuls agents de la BEI chargés de la mise en œuvre desdites procédures. D’autre part, la communication du manuel des procédures aux agents de la BEI ne serait pas prévue et il n’aurait à aucun moment été transmis à la requérante ni accepté par celle-ci.

50
La requérante fait valoir, ensuite, que, lorsqu’il s’agit de contrats à durée déterminée, le régime généralement prévu par le droit du travail des États membres de la BEI interdit toute prolongation de la période d’essai, sauf si, à la date fixée contractuellement comme terme de ladite période, le travailleur n’a pas fourni de prestations d’une durée équivalente, par exemple en cas d’absence pour cause de maladie.

51
En outre, la requérante conteste avoir accepté la prolongation de sa période d’essai. Sa signature à la dernière page du formulaire intitulé « appréciation à la fin de la période d’essai », du 26 mars 2002, ne constituerait pas une acceptation contractuelle de sa part de la prolongation de la période d’essai, mais confirmerait tout simplement que le « formulaire a été vu par le membre du personnel ». Par ailleurs, la requérante aurait, dans son courrier électronique du 9 avril 2002 (voir point 10 ci-dessus), émis des commentaires sur certaines appréciations de ses supérieurs hiérarchiques contenues dans ledit formulaire et afférentes à la qualité de ses prestations. De surcroît, contrairement à la lettre d’engagement, le formulaire en cause ne ferait pas mention de l’extension dans le temps de la faculté de résiliation du contrat de la requérante moyennant simplement un préavis de quinze jours.

52
La requérante conclut que, dans la mesure où la prolongation de sa période d’essai était dépourvue de fondement réglementaire ou contractuel, la BEI se serait trouvée en l’espèce en situation de compétence liée et aurait, dès lors, été tenue d’employer la requérante pour la durée prévue par son contrat. Par conséquent, la résiliation unilatérale du contrat de la requérante par la BEI ne constituerait pas une exécution de bonne foi dudit contrat et violerait le principe pacta sunt servanda. Les allégations de la BEI quant à l’insuffisance professionnelle de la requérante, la qualité de ses prestations et l’absence de maîtrise de la langue française seraient à la fois inexactes et dépourvues de pertinence en l’espèce.

53
La BEI rétorque que le grief de la requérante tiré d’une violation du principe pacta sunt servanda est inopérant, dès lors que la possibilité de prolongation de la période d’essai est expressément prévue dans le cadre réglementaire de la BEI et, concrètement, dans le manuel des procédures. Le manuel des procédures appartiendrait aux normes juridiques internes de la BEI et serait affiché sur sa base intranet et accessible à l’ensemble du personnel. La requérante, juriste employée au service juridique de la BEI, ne saurait valablement prétendre qu’elle n’a jamais eu connaissance du manuel des procédures en cause. La requérante se trouvant, dès lors, en prolongation de période d’essai, c’est à bon droit que la BEI a mis fin à son contrat moyennant un préavis de quinze jours.

54
La BEI ajoute que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, le principe de prolongation de la période d’essai n’est pas interdit par le droit du travail en général et constitue une pratique constante dans les relations entre employeur et employé au sein des organismes communautaires. Par ailleurs, en l’espèce, la circonstance que la BEI pouvait unilatéralement mettre fin au contrat de la requérante au cours de la période d’essai initiale l’autoriserait, a fortiori, à prolonger unilatéralement ladite période (arrêt du Tribunal du 27 juin 2002, Tralli/BCE, T‑373/00, T‑27/01, T‑56/01 et T‑69/01, RecFP p. I‑A‑97 et II‑453, point 52).

55
En tout état de cause, selon la BEI, la requérante a non seulement pris connaissance de la prolongation de la période d’essai, mais elle a, en outre, accepté cette prolongation par son comportement et ses déclarations orales et écrites dont, notamment, le contreseing de l’« appréciation à la fin de la période d’essai » du 26 mars 2002.

    Appréciation du Tribunal

56
Il importe, à titre liminaire, de déterminer la nature juridique du lien d’emploi existant entre la BEI et ses agents.

57
Ainsi qu’il ressort clairement des articles 13 et suivants du règlement du personnel, les relations entre la BEI et les membres de son personnel sont réglées en principe par des contrats individuels, dont fait partie intégrante ledit règlement. Les contrats fixent, notamment, la rémunération, la durée et les autres conditions d’emploi.

58
Interprétant ces dispositions dans son arrêt du 15 juin 1976, Mills/BEI (110/75, Rec. p. 955, points 22, 23 et 25), la Cour a estimé que le régime adopté pour les relations entre la BEI et ses agents n’était pas de nature statutaire mais contractuelle et reposait ainsi sur le principe selon lequel les contrats individuels conclus entre la BEI et chacun de ses agents étaient le résultat d’un accord de volontés. La Cour a ajouté qu’il s’ensuivait que le contrat pouvait être dénoncé et résilié par chacune des parties dans les conditions prévues tant au contrat lui-même que par le règlement du personnel. Cependant, si la continuation du contrat dépend avant tout de la volonté réciproque des parties, condition fondamentale de son existence, cela n’empêche pas que tant les clauses du contrat que les principes généraux du droit du travail communs aux États membres de la BEI, auxquels se réfère l’article 44 du règlement du personnel, imposent des limites à cette volonté.

59
À cet égard, il convient de relever que le règlement du personnel ne comporte aucune disposition relative à une période d’essai des agents de la BEI et, a fortiori, à la prorogation de ladite période.

60
Toutefois, compte tenu de la nature contractuelle du lien d’emploi entre la BEI et ses agents, de l’absence de disposition, tant dans les statuts et le règlement intérieur de la BEI que dans le règlement du personnel, interdisant la période d’essai et sa prorogation et, enfin, de l’absence de preuve par la requérante, dans un tel contexte, de l’existence d’un principe général de droit de travail commun aux États membres de la BEI imposant des limites à la liberté contractuelle des parties en la matière, il n’existe aucun obstacle empêchant les parties de prévoir, d’un commun accord, dans le contrat d’engagement d’un agent de la BEI différentes modalités relatives à une période d’essai.

61
En l’espèce, dans la lettre d’engagement de la requérante, les parties sont convenues d’une période d’essai de six mois, au cours de laquelle chacune d’entre elles pouvait résilier le contrat moyennant un préavis de quinze jours.

62
Il y a lieu de relever que le contrat de la requérante, qui a pris la forme de la lettre d’engagement du 2 octobre 2001, ne contient aucune clause quant à une prorogation éventuelle de la période d’essai initialement convenue.

63
La possibilité d’une telle prorogation et les modalités de celle-ci sont uniquement prévues par le manuel des procédures, établi par la direction des ressources humaines de la BEI. Force est, toutefois, de constater que la lettre d’engagement ne contient aucune référence directe ou indirecte au manuel des procédures et que, partant, ses dispositions relatives à la prorogation de la période d’essai ne peuvent être considérées comme faisant partie du contrat convenu entre les parties. La requérante ne pouvait, dès lors, préalablement donner son accord sur une éventuelle prorogation de sa période d’essai sur la base d’un texte qui n’avait pas été inclus dans le contrat d’engagement (voir, a contrario, arrêt Tralli/BCE, précité, point 51).

64
Au demeurant, le manuel des procédures établi par la direction des ressources humaines de la BEI ne constitue qu’une communication interne qui n’est pas susceptible, en tant que telle, de fonder une prorogation unilatérale de la période d’essai par la BEI. À cet égard, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 29 du règlement intérieur de la BEI, les règlements relatifs au personnel de cette dernière sont arrêtés par le conseil d’administration, seul compétent en la matière. Par conséquent, et sans préjudice de l’hypothèse d’une référence expresse dans un contrat d’engagement, évoquée au point précédent, les conditions d’emploi et de travail du personnel ne sauraient être définies par des communications internes émanant des services de la BEI (arrêt De Nicola/BEI, précité, point 104).

65
Il s’ensuit que la période d’essai de la requérante ne pouvait valablement être prorogée sans que cette dernière consente à une telle mesure. Il convient donc d’examiner si, au cours de la période d’essai initiale, le contrat, dont la teneur peut évoluer dans le temps en fonction de la commune intention des parties, a pu connaître une telle évolution en l’espèce.

66
Ainsi qu’il ressort du dossier, le 18 janvier 2002, la BEI a établi un rapport intermédiaire d’appréciation du travail de la requérante. Ce rapport, tout en constatant la capacité de compréhension et d’analyse des questions juridiques de la requérante, soulignait que se faisaient sentir la concernant le besoin d’investissement en temps et la nécessité d’améliorer certaines connaissances requises pour l’exécution des tâches qui lui étaient confiées. Le rapport relevait également le manque d’expérience de la requérante dans le domaine des marchés des capitaux, qui ne lui permettait pas de se familiariser et de s’engager de manière responsable dans ce domaine. Enfin, ledit rapport soulignait la nécessité pour elle de progresser dans la connaissance de la langue française, l’une des deux langues de travail de la BEI. La requérante n’a pas contesté les appréciations de ses supérieurs contenues dans le rapport en question.

67
Dans le rapport d’« appréciation à la fin de la période d’essai », du 26 mars 2002, les supérieurs hiérarchiques de la requérante ont formulé des appréciations plus défavorables concernant ses connaissances et aptitudes professionnelles, la qualité de son travail, son rendement, sa disponibilité et son sens relationnel. Ils ont, en outre, souligné que la requérante devait mieux organiser son temps et son travail, afin qu’elle puisse donner des conseils sur différentes matières dans les délais imposés. Pour ces raisons, les supérieurs hiérarchiques immédiats de la requérante ont proposé la prorogation de la période d’essai initiale pour quatre mois, afin de lui permettre de démontrer son engagement à acquérir l’expérience requise et d’augmenter son rendement, parallèlement à une adaptation de ses méthodes au style plus formel de la BEI. Enfin, sous la rubrique D du même rapport, le directeur des ressources humaines de la BEI, M. Verykios, a validé cette proposition, pour une période allant du 16 avril 2002 au 15 août 2002.

68
Or, force est de constater que la requérante, qui a été informée de la volonté de la BEI de procéder à la prorogation de sa période d’essai par courrier électronique adressé par un agent de la direction des ressources humaines le jour même de la finalisation du rapport cité au point précédent, à savoir le 26 mars 2002, a reçu la version complète dudit rapport le 9 puis le 10 avril 2002. Sur ces documents identiques, qui contenaient expressément la mention de la « confirmation de la prolongation de la période d’essai du 16 avril 2002 au 15 août 2002 », et sous la rubrique « le présent formulaire a été vu par le membre du personnel », la requérante a complété les dates respectives (9 et 10 avril 2002) et a apposé sa signature, à deux reprises, sans émettre aucune réserve ni, a fortiori, un désaccord quant à la prorogation de la période d’essai.

69
Ce comportement doit être rapproché de celui de la requérante adopté lors de la notification de la décision de résiliation et sur laquelle elle a expressément porté la mention « not agreed » (non approuvé). Il est, également, très significatif de constater que la requérante a exprimé clairement son désaccord sur le rapport d’appréciation final du 17 juin 2002, qui a précédé la décision de résiliation, en y ajoutant la mention « Received, not agreed » (reçu, non approuvé).

70
Il importe aussi de souligner que, au moment de la signature, intervenue à deux reprises (les 9 et 10 avril 2002), du rapport d’appréciation évoquant la prorogation de la période d’essai, la requérante n’était pas sans savoir que, en refusant ou en contestant, au lieu d’approuver, ladite prorogation, elle ne courait aucun risque de voir son contrat immédiatement résilié par la BEI sans motivation, dès lors que la période d’essai initiale expirait le 15 avril 2002 et que la BEI ne pouvait plus respecter le délai de préavis de quinze jours prévu dans la lettre d’engagement.

71
Dans ces conditions, le Tribunal considère que la prorogation de la période d’essai est le résultat d’un accord de volontés des parties contractantes, dès lors que la requérante a exprimé de manière libre et éclairée son consentement, sans aucune réserve, à cette prorogation souhaitée par la BEI, étant observé qu’aucun formalisme particulier ne s’attachait à l’expression dudit consentement.

72
Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le courrier électronique du 9 avril 2002, adressé par la requérante à la BEI. Ainsi qu’il ressort de son contenu, la requérante n’a nullement exprimé dans ce document son désaccord ou même sa réserve sur la prorogation de sa période d’essai, mais elle s’est limitée exclusivement à faire des commentaires sur certaines appréciations de ses supérieurs hiérarchiques afférentes à ses aptitudes professionnelles et à la qualité de ses prestations.

73
En outre, l’existence de la prorogation contractuelle de la période d’essai ne saurait être remise en cause par la circonstance, invoquée par la requérante, selon laquelle la lettre de la BEI, datée du 25 mars 2002 et signée par M. Verykios le lendemain, ne lui avait pas été notifiée quinze jours avant la fin de la période d’essai initiale, contrairement aux dispositions du manuel des procédures.

74
En effet, la référence au manuel des procédures est dépourvue de pertinence en l’espèce, dès lors que la prorogation de la période d’essai trouve son origine dans l’accord de volontés des parties et n’a pas été unilatéralement imposée par la BEI sur le fondement du document interne en question.

75
Sur la base de l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de considérer que, au moment de l’adoption par la BEI de la décision de résiliation du contrat de la requérante, cette dernière se trouvait en période d’essai, régulièrement prorogée, au cours de laquelle la BEI disposait de la faculté de résiliation du contrat moyennant un préavis de quinze jours. Par conséquent, il convient de rejeter le grief de la requérante tiré d’une violation du principe pacta sunt servanda, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la mesure d’instruction demandée par la BEI (voir point 38 ci-dessus).

76
Dans ces conditions, il n’y a pas davantage lieu d’examiner le bien-fondé des arguments de la BEI quant à la possibilité pour elle de proroger unilatéralement la période d’essai de la requérante sur le fondement d’un prétendu principe général de droit du travail commun aux États membres de la BEI.

77
Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

Sur le second moyen, tiré d’une violation du devoir de sollicitude et du principe de protection de la confiance légitime

    Arguments des parties

78
La requérante reproche à la BEI d’avoir manqué à son devoir de sollicitude, puisqu’elle a méconnu les normes applicables à la relation de travail et n’a, à aucun moment, pris en considération les graves conséquences que pourrait avoir pour elle la décision de résiliation. Les enregistrements inexacts effectués par la requérante quant au temps effectif de sa présence au service, allégués par la BEI, seraient dus au système de pointage défaillant de la BEI, dont le degré de qualité et d’efficience serait incompatible avec la gestion rigoureuse du personnel par une administration communautaire.

79
La requérante considère également que, en résiliant son contrat sans pouvoir invoquer une quelconque base légale, la BEI a non seulement manqué à son devoir de protection de la confiance légitime, mais a aussi violé le principe de sécurité juridique en omettant de respecter les droits acquis et de reconnaître l’immutabilité des situations juridiques subjectives auxquelles la requérante était en droit de s’attendre. En effet, la requérante ne s’étant pas rendue coupable d’une quelconque violation de son contrat ou du règlement du personnel, elle aurait dû être considérée, à l’expiration de la période d’essai initiale, comme étant engagée pour la durée de son contrat.

80
La BEI soutient qu’elle a largement fait preuve de sollicitude en prorogeant la période d’essai de la requérante. Elle précise que le premier rapport d’appréciation de la requérante, du 18 janvier 2002, indiquait déjà qu’elle devait faire des progrès dans l’acquisition de certaines connaissances professionnelles et s’investir en temps dans son travail. En prorogeant la période d’essai, la BEI aurait donc offert une seconde chance à la requérante, que cette dernière n’aurait pas saisie.

81
La BEI considère, en revanche, que c’est la requérante qui n’a pas respecté l’équilibre des droits et obligations réciproques que reflète le devoir de sollicitude, tel que consacré par la jurisprudence. D’une part, les différents rapports d’appréciation de la requérante démontreraient l’insuffisance de ses prestations sur le plan professionnel. D’autre part, il ressortirait de ses relevés de pointage qu’elle faisait de fausses déclarations concernant ses horaires. À cet égard, la BEI fournit des exemples d’enregistrements manuels de la requérante, dont certains, de l’avis de la hiérarchie de cette dernière, ne correspondent pas au temps de sa présence effective à la BEI.

82
La BEI conteste également avoir violé le principe de protection de la confiance légitime, dès lors que la décision de résiliation est intervenue au cours de la période d’essai, laquelle avait été prolongée régulièrement. En revanche, c’est la requérante qui, par les fausses déclarations susvisées, aurait à la fois trahi la confiance de son employeur et manqué à son devoir de loyauté. Ce comportement, incompatible avec l’intégrité exigée d’un agent de la BEI, à plus forte raison assumant des responsabilités au sein de son service juridique, aurait même pu justifier une décision de révocation.

    Appréciation du Tribunal

83
Il importe à titre liminaire de rappeler que l’autorité compétente dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’évaluation de l’intérêt du service et que, partant, le contrôle du juge communautaire doit se limiter à la question de savoir si l’autorité concernée s’est tenue dans des limites raisonnables et n’a pas usé de son pouvoir d’appréciation de manière manifestement erronée (arrêts du Tribunal du 11 février 1999, Carrasco Benítez/EMEA, T‑79/98, RecFP p. I‑A‑29 et II‑127, point 55, et du 6 février 2003, Pyres/Commission, T‑7/01, RecFP p. I‑A‑37 et II‑239, point 51). Quant à l’appréciation de l’intérêt du service, il ressort également d’une jurisprudence constante que l’autorité compétente est tenue, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un agent, de prendre en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision, et notamment l’intérêt de l’agent concerné. Cela résulte, en effet, du devoir de sollicitude de l’administration, qui reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut et le régime applicable aux autres agents ont créé dans les relations entre l’autorité publique et ses agents (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 juin 1994, Klinke/Cour de justice, C‑298/93 P, Rec. p. I‑3009, point 38 ; arrêts du Tribunal du 18 avril 1996, Kyrpitsis/CES, T‑13/95, RecFP p. I‑A‑167 et II‑503, point 52, et Pyres/Commission, précité, point 51). Ces principes s’appliquent, par analogie, dans les relations entre la BEI et ses agents.

84
En l’espèce, la requérante ne saurait valablement reprocher à la BEI d’avoir manqué à son devoir de sollicitude ni de n’avoir pas pris en considération l’intérêt de la requérante. En effet, d’une part, il est constant que la période d’essai de la requérante s’est déroulée dans des conditions normales (voir, à cet égard, arrêt du Tribunal du 5 mars 1997, Rozand-Lambiotte/Commission, T‑96/95, RecFP p. I‑A‑35 et II‑97, point 96). L’intérêt de la requérante n’a nullement été méconnu si l’on tient notamment compte du fait que la BEI aurait pu, à bon droit, résilier le contrat de la requérante le 26 mars 2002 au lieu d’envisager la prorogation de sa période d’essai. D’autre part, la BEI a, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, évalué l’intérêt du service en tenant compte de la qualité moyenne, voire médiocre, des prestations de la requérante, relevée dans les rapports d’appréciation intermédiaires précités, ainsi que dans le rapport d’appréciation final du 17 juin 2002, ayant précédé la décision de résiliation. Enfin et surtout, la requérante se trouvant au moment de la résiliation de son contrat en période d’essai régulièrement prorogée, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, la BEI était en droit de résilier le contrat de la requérante moyennant un préavis de quinze jours, cette dernière condition ayant été, en l’occurrence, respectée.

85
Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré d’une violation du devoir de sollicitude par la BEI comme étant non fondé.

86
Il convient encore de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue un des principes fondamentaux de la Communauté, s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître dans son chef des espérances fondées (voir arrêt du Tribunal du 7 juillet 2004, Schmitt/AER, T‑175/03, non encore publié au Recueil, point 46, et la jurisprudence citée).

87
Or, dans les circonstances de l’espèce, il n’a nullement été démontré que la BEI ait fourni à la requérante des assurances précises, susceptibles de faire naître dans son chef des espérances fondées que son contrat ne serait pas résilié au cours de la période d’essai prorogée, en renonçant à la faculté que le contrat prévoyait pour chacune des parties à cet égard. Dès lors, le grief tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime doit également être rejeté ainsi que le second moyen dans son ensemble.

Sur la demande en indemnité

Arguments des parties

88
La requérante fait valoir que les illégalités commises par la BEI et contestées dans le cadre du recours en annulation lui ont causé un préjudice moral et matériel grave, que l’annulation de la décision attaquée ne saurait réparer de façon adéquate à elle seule. Ce préjudice, évalué ex aequo et bono et à titre provisionnel, s’élèverait à 45 000 euros.

89
Selon la requérante, quel que soit le dénouement du litige, son curriculum vitae restera entaché à jamais par cet incident et rendra ses recherches d’emploi plus difficiles. De surcroît, la requérante estime que le présent litige fera naître des présomptions défavorables concernant sa personnalité et ses capacités professionnelles dans le chef d’employeurs potentiels. Or, après avoir poursuivi avec succès des études juridiques avancées à Oxford et après avoir travaillé dans un cabinet d’avocats réputé, la requérante aurait du mal à fournir une explication prosaïque de son inactivité professionnelle.

90
La BEI considère que la demande en indemnité doit être rejetée comme dépourvue de fondement, dès lors qu’aucune illégalité qui lui soit imputable n’a été commise en l’espèce. En tout état de cause, poursuit-elle, ainsi que le juge des référés l’a relevé à juste titre, en cas d’annulation de la décision de résiliation, le préjudice allégué serait réparé par le versement à la requérante des sommes qu’elle aurait dû percevoir à partir de la date de son licenciement jusqu’à sa réintégration ou jusqu’à la date de fin de contrat prévue dans la lettre d’engagement. De même, un tel arrêt d’annulation serait de nature à justifier la période d’inactivité professionnelle de la requérante.

Appréciation du Tribunal

91
Il convient de rappeler que les conclusions tendant à la réparation d’un préjudice matériel et moral doivent être rejetées dans la mesure où elles présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation qui ont elles-mêmes été rejetées soit comme irrecevables soit comme non fondées (arrêts du Tribunal du 16 juillet 1992, Della Pietra/Commission, T‑1/91, Rec. p. II‑2145, point 34 ; du 15 mai 1997, N/Commission, T‑273/94, RecFP p. I‑A‑97 et II‑289, point 159, et du 10 juin 2004, Liakoura/Conseil, T‑330/03, non encore publié au Recueil, point 69).

92
En l’espèce, il existe un lien étroit entre les conclusions en indemnité et les conclusions en annulation. Dans ces circonstances, les conclusions en indemnité doivent être rejetées, dans la mesure où l’examen des moyens présentés au soutien des conclusions en annulation n’a pas révélé d’illégalité commise par la BEI de nature à engager sa responsabilité.

Sur la demande de confidentialité de la BEI

Arguments des parties

93
La BEI demande le traitement confidentiel des documents produits en annexe au mémoire en défense et portant les numéros 14, 15‑6/6, 16 et 18, compte tenu de la nature des informations qu’ils contiennent, de sorte que seuls la requérante et le Tribunal puissent en prendre connaissance dans le cadre de l’instance. Elle demande également le traitement confidentiel du point 23 de son mémoire en défense qui fait mention desdits documents.

94
La requérante a fait valoir en réplique que les documents en question étaient dénués de pertinence pour la solution du litige. Ces documents devraient être retirés du dossier, puisque leur divulgation à des tiers constituerait des infractions à la loi pénale luxembourgeoise ainsi qu’à certains principes et prescriptions établis par le règlement (CE) n° 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1).

Appréciation du Tribunal

95
Le Tribunal relève que les documents dont le traitement confidentiel est demandé sont dépourvus de toute pertinence pour la solution du présent litige. En outre, la requérante a demandé et obtenu l’anonymat et aucun tiers n’a été admis à intervenir au litige. Dans ces conditions, la demande de traitement confidentiel des documents en cause est dépourvue d’objet. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur cette demande.


Sur les dépens

96
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. La requérante ayant succombé, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de confidentialité de la Banque européenne d’investissement.

3)
Chaque partie supportera ses propres dépens.

Vilaras

Dehousse

Šváby

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2005.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Vilaras


1
Langue de procédure : le français.