Language of document : ECLI:EU:T:2005:106

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
17 mars 2005 (1)

« Dumping – Non-adoption par le Conseil d'une proposition de règlement de la Commission instituant un droit antidumping définitif – Absence de majorité simple nécessaire à l'adoption du règlement – Obligation de motivation »

Dans l'affaire T-177/00,

Koninklijke Philips Electronics NV, établie à Eindhoven (Pays-Bas), représentée par MM. C. Stanbrook, QC, et F. Ragolle, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par M. S. Marquardt, en qualité d'agent, assisté par Me G. M. Berrisch, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation de la décision du Conseil, du 8 mai 2000, rejetant la proposition de règlement (CE) du Conseil instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines pièces de systèmes de caméras de télévision originaires du Japon, présentée par la Commission des Communautés européennes le 7 avril 2000 [document COM (2000) 195 final],



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie),



composé de M. H. Legal, président, Mme P. Lindh, M. P. Mengozzi, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. V. Vadapalas, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 1er décembre 2004,

rend le présent



Arrêt




Antécédents du litige

1
Par règlement (CE) nº 1015/94, du 29 avril 1994, le Conseil a institué un droit antidumping définitif sur les importations de certaines pièces de systèmes de caméras de télévision originaires du Japon (JO L 111, p. 106).

2
À la suite d’une enquête, le Conseil, par règlement nº 1952/97 du 7 octobre 1997, a amendé le précédent règlement et augmenté le droit antidumping définitif (JO L 276, p. 20).

3
La Commission a ouvert, au mois de juin 1998, une enquête concernant un prétendu contournement du droit antidumping définitif susmentionné par l’assemblage de pièces et de modules de systèmes de caméras de télévision dans la Communauté. La Commission avait été saisie d’une plainte déposée par la requérante, qui est un des producteurs majeurs des pièces concernées dans la Communauté.

4
En l’absence d’accord concernant la procédure anti-contournement au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la requérante a été invitée à retirer sa plainte et l’enquête relative au contournement a été clôturée par la Commission le 9 février 1999 (JO L 38, p. 56).

5
La Commission a ouvert d’office, le 12 février 1999, une enquête antidumping portant sur l’importation de certaines pièces de systèmes de caméras de télévision originaires du Japon (JO C 38, p. 2).

6
La Commission a établi, le 7 avril 2000, une proposition de règlement (CE) du Conseil instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines pièces de systèmes de caméras de télévision originaires du Japon [document COM (2000) 195 final].

7
Aux termes de l’article 6, paragraphe 9, du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), les enquêtes antidumping sont, «dans tous les cas, terminées dans un délai de quinze mois suivant leur ouverture». En l’espèce, ce délai s’achevait donc le 12 mai 2000.

8
Le 8 mai 2000, le Conseil de l’Union européenne a publié un communiqué de presse (communiqué de presse sur la 2258ème réunion du Conseil – ECOFIN, 8204/00 – Presse 141) qui, sous la rubrique « Antidumping – Japon », indique :

« Le Conseil confirme l’absence de majorité simple en faveur de la proposition soumise au Conseil le 10 avril de règlement instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines pièces de systèmes de caméras de télévision originaires du Japon. »


Procédure et conclusions des parties

9
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juin 2000, Koninklijke Philips Electronics NV a introduit le présent recours.

10
Par arrêt du 29 novembre 2000, Eurocoton e.a./Conseil, T-213/97, Rec. p. II-3727, le Tribunal, saisi d’un recours dirigé contre un précédent refus du Conseil d’adopter une proposition de règlement de la Commission instituant un droit antidumping définitif sur des importations semblables à celles concernées par la présente affaire - recours auquel le Conseil avait opposé une exception d’irrecevabilité - a rejeté les conclusions en annulation comme irrecevables, considérant que, à défaut pour le Conseil d’avoir adopté une décision, il n’y avait pas d’acte attaquable. Il a également rejeté les conclusions indemnitaires que comportait le recours, pour absence de faute du Conseil.

11
Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi des requérants en première instance devant la Cour.

12
Par ordonnance du 10 mai 2001, la procédure dans la présente affaire a été suspendue jusqu’à ce que la Cour ait statué sur le pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal dans l’affaire T-213/97, en raison de la similitude des questions, concernant la recevabilité et le fond, posées dans les deux affaires.

13
Par arrêt du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C-76/01 P, Rec. p. I‑10091, la Cour, annulant l’arrêt du Tribunal, a jugé recevable le recours dont il était saisi, puis annulé la décision du Conseil pour défaut de motivation.

14
En premier lieu, sur la recevabilité, la Cour a jugé que la non-adoption par le Conseil de la proposition de règlement de la Commission instituant un droit anti‑dumping définitif constituait une prise de position à l’égard de cette proposition, constitutive d’un rejet implicite de celle-ci et devenue définitive à l’expiration du délai de quinze mois imparti aux institutions, en vertu de l’article 6, paragraphe 9, du règlement (CE) n° 384/96, précité au point 5 ci-dessus, pour terminer l’enquête et instituer, le cas échéant, des droits antidumping définitifs (points 57 à 65). La Cour a considéré qu’une telle prise de position affectait les intérêts des requérants à l’origine de l’enquête antidumping et constituait ainsi un acte attaquable qui avait produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants (points 66 et 67).

15
En second lieu, sur le fond, la Cour, après avoir relevé que les requérants au pourvoi faisaient désormais uniquement valoir, au soutien de leur recours en annulation, que le Conseil avait méconnu l’obligation de motivation en n’indiquant pas les raisons pour lesquelles la proposition de règlement instituant un droit antidumping définitif présentée par la Commission avait été rejetée, a annulé la décision du Conseil pour défaut de motivation.

16
La Cour a jugé, d’une part, que, lorsque le Conseil décide de ne pas adopter une proposition de règlement instituant des droits antidumping définitifs, il lui incombe de fournir une motivation suffisante qui fasse apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu, à la lumière des dispositions du règlement nº 384/96, d’adopter cette proposition et, d’autre part, que le respect de l’obligation de motivation impliquait donc que l’acte litigieux fasse apparaître l’absence de dumping ou de préjudice correspondant ou encore le fait que l’intérêt de la Communauté ne nécessitait aucune action de sa part (points 87, 89 et 91).

17
Constatant que, en l’espèce, le seul motif présenté pour la non-adoption de la proposition de règlement instituant un droit antidumping définitif présentée par la Commission avait été l’absence d’une majorité en faveur de cette proposition, la Cour a conclu que de telles précisions sur le résultat de la procédure de vote au sein du Conseil ne sauraient satisfaire à l’obligation de motivation prévue à l’article [253] CE et annulé par voie de conséquence la décision attaquée (points 93 à 95).

18
La Cour a, en revanche, rejeté les conclusions indemnitaires des requérants, rappelant qu’une insuffisance de motivation d’un acte réglementaire n’est pas de nature à engager la responsabilité de la Communauté (point 98).

19
La procédure dans la présente instance a été reprise à la suite du prononcé de l’arrêt de la Cour. Le Tribunal a invité Koninklijke Philips Electronics NV et le Conseil à faire connaître leurs observations sur les conséquences qu’ils tiraient de cet arrêt. Les parties ont communiqué ces observations le 21 novembre 2003. La partie requérante a également indiqué qu’elle retirait les conclusions indemnitaires que comportait initialement son recours.

20
La partie défenderesse a produit son mémoire en défense, le 9 mars 2004.

21
En outre, par courrier du 5 novembre 2004, faisant suite à la convocation à l’audience, la requérante a circonscrit l’argumentation de son recours au moyen relatif au défaut de motivation de la décision attaquée en se référant aux arguments invoqués dans l’affaire C-76/01 P.

22
Lors de l’audience tenue le 1er décembre 2004, le Tribunal a constaté l’absence des parties et clos la procédure orale.

23
Koninklijke Philips Electronics NV conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision du Conseil du 8 mai 2000 rejetant la proposition de règlement (CE) du Conseil instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines pièces de systèmes de caméras de télévision originaires du Japon [document COM (2000) 195 final] ;

condamner le Conseil aux dépens.

24
Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

statuer sur le recours en annulation à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire C-76/01 P.


Moyens et arguments des parties

25
Sur la recevabilité, Koninklijke Philips Electronics NV fait valoir qu’il résulte de l’arrêt de la Cour C-76/01 P que son recours est recevable.

26
Sur le fond, en l’état initial de ses conclusions, Koninklijke Philips Electronics NV soutenait, à titre principal, que le Conseil n’avait pas le pouvoir de rejeter la proposition de la Commission. À titre subsidiaire, à supposer que le Conseil ait eu le pouvoir de rejeter la proposition de la Commission, la requérante faisait valoir que la décision était illégale pour trois raisons. Elle serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits établis par la Commission, d’une méconnaissance des droits procéduraux des plaignants et d’un défaut de motivation comme il résulterait de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C-6/01 P.

27
Dans son courrier susmentionné du 5 novembre 2004, Koninklijke Philips Electronics NV a limité l’argumentation de son recours, en se référant aux arguments développés dans le pourvoi dans l’affaire C-76/01 P, indiquant au Tribunal que sa demande en annulation était fondée seulement sur le moyen tiré d’une motivation insuffisante de la décision attaquée. La requérante a par ailleurs rappelé qu’elle renonçait à ses conclusions indemnitaires.

28
Le Conseil, qui a reconnu, dans ses observations en défense, que, conformément à l’arrêt de la Cour dans l’affaire C-76/01 P, le présent recours était recevable, a admis, qu’il résultait également de cet arrêt que la décision attaquée n’était pas suffisamment motivée et encourait, pour ce motif, l’annulation.


Appréciation du Tribunal

Sur la recevabilité

29
Il ressort du dossier que le Conseil a publié, le 8 mai 2000, un communiqué de presse, précité au point 8 ci-dessus, indiquant que la procédure écrite concernant l’institution d’un droit antidumping définitif s’était conclue de manière négative. Au terme de la procédure de vote, le Conseil a ainsi pris position sur la proposition de la Commission, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Eurocoton e.a./Conseil, susmentionné, pour des circonstances analogues à celles de la présente affaire.

30
Le délai maximal de quinze mois imparti aux institutions pour terminer l’enquête et instituer, le cas échéant, des droits antidumping définitifs, conformément à l’article 6, paragraphe 9, du règlement nº 384/96, susmentionné, ayant expiré quelques jours plus tard, le12 mai 2000, il s’ensuit que la prise de position du Conseil sur la proposition de règlement présentée par la Commission, constitutive d’un rejet implicite de celle-ci, est devenue définitive à cette date.

31
Ainsi que l’a jugé la Cour dans l’arrêt Eurocoton e.a./Conseil, susmentionné, la non-adoption de cette proposition, qui a fixé définitivement la position du Conseil dans la dernière phase de la procédure antidumping, a affecté les intérêts des requérantes dont la plainte avait été, notamment, à l’origine de l’enquête antidumping (voir point 3 ci-dessus).

32
Le rejet de la proposition de règlement présentée par la Commission revêt toutes les caractéristiques d’un acte attaquable au sens de l’article 230 CE, en ce qu’il a produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant sans que le caractère réglementaire de la procédure dans le cadre de laquelle s’est inscrite la position définitive du Conseil soit de nature à modifier cette conclusion (voir, arrêt de la Cour, Eurocoton e.a./Conseil, précité, points 68 à 73).

33
Il résulte de ce qui précède que le présent recours est recevable.

Sur le moyen unique tiré du défaut de motivation de l’acte attaqué

34
L’article 253 CE dispose : « [l]es règlements, les directives et les décisions adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil ainsi que lesdits actes adoptés par le Conseil ou la Commission sont motivés et visent les propositions ou avis obligatoirement recueillis en exécution du présent traité ».

35
Ainsi que l’a jugé la Cour dans l’arrêt Eurocoton e.a./Conseil, précité, lorsque le Conseil décide de ne pas adopter une proposition de règlement instituant des droits antidumping définitifs, il lui incombe de fournir une motivation suffisante qui fasse apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu, à la lumière des dispositions du règlement nº 384/96, d’adopter cette proposition (point 89). Le respect de l’obligation de motivation implique, en effet, que l’acte litigieux fasse apparaître l’absence de dumping ou de préjudice correspondant ou encore le fait que l’intérêt de la Communauté ne nécessite aucune action de sa part (point 91).

36
Le Tribunal constate, que, dans la présente affaire, comme dans celle dont était saisie la Cour, la prise de position du Conseil sur la proposition de règlement instituant un droit antidumping définitif sur les importations ici en cause, présentée par la Commission, ressort d’un communiqué de presse du Conseil, précité au point 8 ci-dessus, qui invoque, comme seul motif du rejet de cette proposition, l’absence d’une majorité simple en faveur de celle-ci.

37
Conformément à ce qu’a jugé la Cour dans l’arrêt Eurocoton e.a./Conseil, précité, de telles indications ne satisfont pas à l’obligation de motivation requise par l’article 253 CE.

38
Par conséquent, il y a lieu, pour le même motif, tiré d’un défaut de motivation de la décision du Conseil rejetant la proposition de règlement que lui avait soumise la Commission, d’annuler la décision attaquée.


Sur les dépens

39
L’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé et la partie requérante ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de le condamner aux dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)
La décision du Conseil du 8 mai 2000 rejetant la proposition de règlement (CE) du Conseil instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines pièces de systèmes de caméras de télévision originaires du Japon, présentée par la Commission des Communautés européennes le 7 avril 2000 [document COM (2000) 195 final], est annulée.

2)
Le Conseil de l'Union européenne est condamné aux dépens.

Legal

Lindh

Mengozzi

Wiszniewska-Białecka

Vadapalas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 mars 2005.

Le greffier

Le président

H. Jung

H. Legal


1
Langue de procédure : l'anglais.