Language of document :

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 25 janvier 2024 (1)

Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P et affaire C597/22 P

Commission européenne

contre

HB

« Pourvoi – Marchés publics de services – Irrégularités dans la procédure d’attribution – Décisions de recouvrement des montants déjà versés adoptées après la signature du contrat – Recours en annulation – Recevabilité – Compétence du juge de l’Union – Décisions formant titre exécutoire adoptées afin de recouvrer les montants réclamés – Compétence de la Commission européenne pour adopter lesdites décisions formant titre exécutoire »






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

B. Le règlement relatif à la protection des intérêts financiers de l’Union

C. Les règlements financiers de l’Union

1. Le règlement financier de 2002

2. Le règlement financier de 2018

III. Les antécédents des pourvois

A. Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P

1. Décisions de recouvrement CARDS et TACIS

a) La décision de recouvrement CARDS

b) La décision de recouvrement TACIS

2. Arrêts T795/19 et T796/19

B. Affaire C597/22 P

1. Décisions formant titre exécutoire CARDS et TACIS

2. Arrêt T408/21

IV. Les procédures de pourvoi et les conclusions des parties

A. Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P

B. Affaire C597/22 P

V. Appréciation

A. Affaires C160/22 P et C161/22 P

1. Sur la recevabilité des pourvois

2. Sur la compétence juridictionnelle pour connaître des recours introduits contre les décisions de recouvrement CARDS et TACIS

a) Raisonnement litigieux du Tribunal

b) Appréciation de l’argumentation de la Commission

1) Les décisions de recouvrement CARDS et TACIS à l’aune des conditions de recevabilité de recours en annulation à l’encontre d’actes adoptés dans un contexte contractuel

2) Les décisions de recouvrement CARDS et TACIS et la « double casquette » de la Commission en matière contractuelle

3. Conclusion sur les affaires C160/22 P et C161/22 P

B. Affaire C597/22 P

C. Conclusion intermédiaire

VI. Dépens

VII. Conclusion


I.      Introduction

1.        Lorsqu’un cocontractant de l’Union européenne a commis une irrégularité au cours de la procédure d’attribution d’un contrat, qui ne se révèle qu’après la signature de ce dernier, la Commission européenne peut adopter, à l’égard de ce cocontractant, une décision de recouvrement de montants versés dans le cadre du contrat. Or, une telle décision relève-t-elle, aux fins de la détermination de la compétence juridictionnelle pour en connaître, du cadre contractuel ou extracontractuel ?

2.        En d’autres termes, une telle décision de recouvrement relève-t-elle de la compétence du juge du contrat – juge national ou juge de l’Union, selon les cas, en fonction de la présence ou non, dans le contrat, d’une clause compromissoire au sens de l’article 272 TFUE – ou est-ce au contraire un acte attaquable devant le seul juge de l’Union au moyen d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE ?

3.        C’est la question à laquelle la Cour devra répondre dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P. Cette réponse déterminera si le Tribunal a qualifié à juste titre les décisions de recouvrement en cause comme s’inscrivant dans un cadre contractuel et décliné sa compétence au profit du juge belge, juge du contrat, ou s’il aurait au contraire dû se déclarer compétent pour connaître des recours introduits par le cocontractant de la Commission contre lesdites décisions.

4.        La réponse que la Cour apportera à cette question dictera ensuite la réponse à la question posée dans l’affaire C‑597/22 P. Celle-ci concerne le point de savoir si la Commission pouvait adopter des décisions formant titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE pour recouvrer les montants réclamés par les décisions de recouvrement litigieuses.

5.        En accord avec sa qualification desdites décisions comme relevant du cadre contractuel, le Tribunal a répondu à cette question par la négative. En effet, d’après l’arrêt ADR Center/Commission (ci-après l’« arrêt ADR ») (2), la Commission ne peut adopter de décision formant titre exécutoire dans le cadre de relations contractuelles qui ne contiennent pas de clause compromissoire en faveur du juge de l’Union.

6.        Partant, le bien-fondé de l’annulation, par le Tribunal, des décisions formant titre exécutoire en cause dans l’affaire C‑597/22 P dépend du bien-fondé de ses constatations quant aux décisions de recouvrement en cause dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P.

II.    Le cadre juridique

A.      Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

7.        Les articles 272, 274 et 299 TFUE disposent :

« Article 272

La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte.

Article 274

Sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice de l’Union européenne par les traités, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales.

Article 299

Les actes du Conseil, de la Commission ou de la Banque centrale européenne qui comportent, à la charge des personnes autres que les États, une obligation pécuniaire forment titre exécutoire.

L’exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l'État sur le territoire duquel elle a lieu. La formule exécutoire est apposée, sans autre contrôle que celui de la vérification de l’authenticité du titre, par l’autorité nationale que le gouvernement de chacun des États membres désignera à cet effet et dont il donnera connaissance à la Commission et à la Cour de justice de l’Union européenne.

Après l’accomplissement de ces formalités à la demande de l'intéressé, celui-ci peut poursuivre l'exécution forcée en saisissant directement l’organe compétent, suivant la législation nationale.

L’exécution forcée ne peut être suspendue qu’en vertu d'une décision de la Cour. Toutefois, le contrôle de la régularité des mesures d’exécution relève de la compétence des juridictions nationales. »

B.      Le règlement relatif à la protection des intérêts financiers de l’Union

8.        Les articles 1er et 4 du règlement (CE, Euratom) nº 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (ci-après le « règlement PIF ») (3), sont libellés comme suit :

« Article premier

1.      Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2.      Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.

Article 4

1.      Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu :

–        par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus,

–        par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l’appui de la demande d’un avantage octroyé ou lors de la perception d’une avance.

2.      L’application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l’avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d’intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire.

3.      Les actes pour lesquels il est établi qu’ils ont pour but d’obtenir un avantage contraire aux objectifs du droit communautaire applicable en l’espèce, en créant artificiellement les conditions requises pour l’obtention de cet avantage, ont pour conséquence, selon le cas, soit la non-obtention de l’avantage, soit son retrait.

4.      Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions. »

C.      Les règlements financiers de l’Union

1.      Le règlement financier de 2002

9.        L’article 103 du règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (4), dans sa version modifiée par le règlement (CE, Euratom) nº 1995/2006 du Conseil, du 13 décembre 2006 (5) (ci-après le « règlement financier de 2002 »), disposait :

« Lorsque la procédure de passation d’un marché se révèle entachée d’erreurs substantielles, d’irrégularités ou de fraude, les institutions la suspendent et prennent toutes les mesures nécessaires, y compris l’annulation de la procédure.

Si, après l’attribution du marché, la procédure de passation ou l’exécution du marché se révèle entachée d’erreurs substantielles, d’irrégularités ou de fraude, les institutions peuvent s’abstenir de conclure le contrat, suspendre l’exécution du marché ou, le cas échéant, résilier le contrat, selon le stade atteint par la procédure.

Si ces erreurs, irrégularités ou fraudes sont le fait du contractant, les institutions peuvent en outre refuser d’effectuer le paiement, recouvrer les montants déjà versés ou résilier tous les contrats conclus avec ledit contractant, proportionnellement à la gravité desdites erreurs, irrégularités ou fraudes. »

2.      Le règlement financier de 2018

10.      L’article 98 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 (ci-après le « règlement financier de 2018 ») (6), établit la procédure pour la constatation des créances de l’Union et l’établissement du titre à exiger de ce débiteur le paiement de sa dette.

11.      L’article 100 du règlement financier de 2018, intitulé « Ordonnancement des recouvrements », dispose à son paragraphe 2, premier alinéa :

« Une institution de l’Union peut formaliser la constatation d’une créance à charge de personnes autres que des États membres dans une décision qui forme titre exécutoire au sens de l’article 299 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »

12.      L’article 131 de ce règlement, intitulé « Suspension, résiliation et réduction », dispose notamment :

1.      Lorsqu’une procédure d’attribution est entachée d’irrégularités ou de fraude, l’ordonnateur compétent la suspend et peut prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’annulation de la procédure. [...]

2.      Si, après l’octroi, il se révèle que la procédure d’attribution est entachée d’irrégularités ou de fraude, l’ordonnateur compétent peut :

a)      refuser de contracter l’engagement juridique ou annuler l’attribution d’un prix ;

b)      suspendre des paiements ;

c)      suspendre l’exécution de l’engagement juridique ;

d)      le cas échéant, résilier l’engagement juridique dans sa totalité ou pour la partie qui concerne un ou plusieurs destinataires particuliers.

3.      L’ordonnateur compétent peut suspendre des paiements ou l’exécution de l’engagement juridique, lorsque :

a)      l’exécution de l’engagement juridique se révèle entachée d’irrégularités, de fraude ou d’une violation d’obligations ;

b)      il est nécessaire de vérifier si le soupçon d’irrégularités, de fraude ou de violation d’obligations est fondé ;

c)      toute irrégularité, fraude ou violation d’obligations remet en question la fiabilité ou l’efficacité des systèmes de contrôle interne de la personne ou de l’entité qui exécute des fonds de l’Union en vertu de l’article 62, paragraphe 1, premier alinéa, point c), ou la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes.

Lorsque le soupçon d’irrégularités, de fraude ou de violation d’obligations visé au premier alinéa, point b), n’est pas confirmé, l’exécution ou les paiements reprennent le plus tôt possible.

L’ordonnateur compétent peut résilier l’engagement juridique dans sa totalité ou pour la partie qui concerne un ou plusieurs destinataires dans les cas visés au premier alinéa, points a) et c).

4.      En plus des mesures visées au paragraphe 2 ou 3, l’ordonnateur compétent peut réduire la subvention, le prix attribué, la contribution au titre de la convention de contribution ou le prix à payer dans le cadre d’un contrat en proportion de la gravité des irrégularités, de la fraude ou de la violation des obligations, y compris en cas d’inexécution, de mauvaise exécution ou d’exécution partielle ou tardive des activités en question.

[...] »

III. Les antécédents des pourvois

13.      Les présentes affaires concernent deux contrats conclus par l’Union avec la requérante, HB, le contrat CARDS et le contrat TACIS. Au cours de l’exécution de ces contrats, des irrégularités qui avaient été commises par la requérante durant les procédures de passation ont été révélées.

14.      À la suite de ces révélations, la Commission a adopté des décisions de recouvrement des montants versés dans le cadre des contrats, qui ont fait l’objet des arrêts du Tribunal du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, ci-après l’« arrêt T‑795/19 », EU:T:2021:917) et HB/Commission (T‑796/19, ci-après l’« arrêt T‑796/19 », EU:T:2021:918), attaqués par les pourvois dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P. De plus, ultérieurement, la Commission a adopté des décisions formant titre exécutoire afin de recouvrer les montants réclamés, qui ont fait l’objet de l’arrêt du Tribunal du 6 juillet 2022, HB/Commission (T‑408/21, ci-après l’« arrêt T‑408/21 », EU:T:2022:418), attaqué par le pourvoi dans l’affaire C‑597/22 P.

15.      À toutes fins utiles, il peut être indiqué qu’il y a d’autres affaires en cours devant la Cour qui concernent également les contrats CARDS et TACIS (7).

A.      Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P

1.      Décisions de recouvrement CARDS et TACIS

a)      La décision de recouvrement CARDS

16.      Les antécédents du litige dans l’affaire C‑160/22 P figurent, notamment, aux points 1 à 29 de l’arrêt T‑795/19 ainsi que dans les considérants de la décision C(2019)7319 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché CARDS/2008/166‑429 et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision de recouvrement CARDS »), et peuvent être résumés comme suit :

17.      Le 24 octobre 2007, l’Union, représentée par l’Agence européenne pour la reconstruction (AER), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/125037/D/SER/YU dans le but de conclure un marché de services pour la fourniture de services d’assistance technique au Haut Conseil judiciaire, en Serbie. Ce marché s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilisation (CARDS) dont l’objet était de fournir une assistance aux pays de l’Europe du Sud-Est en vue de leur participation au processus de stabilisation et d’association avec l’Union.

18.      Le 10 juin 2008, le marché CARDS/2008/166‑429 (ci-après le « marché CARDS ») a été attribué au consortium coordonné par la requérante, HB. Le contrat correspondant nº 06SER01/05/004 (ci-après le « contrat CARDS ») a été signé le 30 juillet 2008 pour une valeur maximale de 1 999 125 euros.

19.      Le contrat CARDS stipulait notamment que le droit applicable au contrat était le droit de l’Union, complémenté, si nécessaire, par le droit belge (article 9.1 des conditions spéciales), que tout litige relatif à ce contrat était du ressort exclusif des juridictions de Bruxelles (Belgique) (article 11 des conditions spéciales), que, si le cocontractant de l’Union s’était rendu coupable d’erreurs, d’irrégularités ou d’actes de fraude lors de la procédure de passation du marché, l’Union pouvait refuser d’effectuer les paiements dus ou recouvrer des montants déjà payés proportionnellement à la gravité des erreurs, des irrégularités ou des fraudes (articles 35.1 et 35.2 des conditions générales) et que l’Union pouvait résilier le contrat dans toute une série d’hypothèses, notamment, si le cocontractant s’était rendu coupable de fautes professionnelles graves (article 36.3,sous g), des conditions générales).

20.      À la suite de la cessation du travail de l’AER en décembre 2008, le contrat CARDS a été transféré à la délégation de l’Union en Serbie (ci-après la « délégation en Serbie »).

21.      Le 31 mars 2010, l’exécution du contrat CARDS a été suspendue à la suite d’une mission d’enquête et d’un rapport d’analyse de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), qui ont relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption ayant eu lieu pendant la procédure de passation du marché.

22.      À la suite du rapport d’enquête final puis d’un rapport d’analyse complémentaire de l’OLAF, la délégation en Serbie a informé la requérante de son intention de résilier le contrat CARDS. Par lettre du 8 mai 2015, elle lui a notamment indiqué que ce contrat devait être considéré comme vicié dès l’origine par des irrégularités relatives à l’attribution du marché correspondant et que la Commission procéderait au recouvrement de tous les montants versés. Par lettre du 9 octobre 2015, la délégation en Serbie a confirmé sa décision de résilier ledit contrat.

23.      Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision de recouvrement CARDS. Cette décision portait les visas, notamment, de l’article 103 du règlement financier de 2002, des articles 131 et 98 du règlement financier de 2018 ainsi que de l’article 4 du règlement PIF, et son dispositif était libellé comme suit :

« Article premier

La procédure d’attribution de l’appel d’offres restreint portant la référence EuropeAid/125037/D/SER/YU a fait l’objet d’une irrégularité au sens de l’article 103 du règlement [financier de 2002] et de l’article 131 du règlement [financier de 2018].

Ladite irrégularité est imputable au consortium emmené par [la requérante], qui a signé le marché [CARDS] attribué à l’issue de l’appel d’offres.

Article 2

Le montant du marché [CARDS] est réduit de 1 199 125,00 EUR à 0 (zéro) EUR.

Article 3

Tous les paiements, d’un montant de 1 197 055,86 EUR, effectués au titre dudit marché [CARDS] sont considérés comme indûment versés et font l’objet d’un recouvrement.

Article 4

Le directeur général de la direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement émet un ordre de recouvrement à l’encontre d[e la requérante] pour le montant visé à l’article 3.

[La requérante] est destinataire de la présente décision et de la note de débit qui l’accompagne. La présente décision est applicable à compter de sa réception par [la requérante].

Article 5

Conformément à l’article 263 [TFUE], la présente décision peut faire l’objet d’un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne dans un délai de deux mois. »

b)      La décision de recouvrement TACIS

24.      Les antécédents du litige dans l’affaire C‑161/22 P figurent, notamment, aux points 1 à 24 de l’arrêt T‑796/19 ainsi que dans les considérants de la décision C(2019)7318 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché TACIS/2006/101‑510 et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision de recouvrement TACIS »), et peuvent être résumés comme suit :

25.      Le 25 janvier 2006, l’Union, représentée par sa délégation en Ukraine (ci-après la « délégation en Ukraine »), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/122038/C/SV/UA dans le but de conclure un marché de services pour la fourniture d’une assistance technique aux autorités ukrainiennes en vue du rapprochement de la législation ukrainienne avec la législation de l’Union. Ce marché s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS) dont l’objet était de favoriser la transition vers une économie de marché et de renforcer la démocratie et l’État de droit dans les États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale.

26.      Le 17 juin 2006, le marché TACIS/2006/101-510 (ci-après le « marché TACIS ») a été attribué au consortium coordonné par la requérante, HB. Le contrat correspondant nº 2006/101‑510 (ci-après le « contrat TACIS ») a été signé le 17 juillet 2006 pour une valeur maximale de 4 410 000 euros.

27.      Le contrat TACIS stipulait notamment que toute question non couverte par ledit contrat était régie par le droit belge (article 9.1 des conditions spéciales), que tout litige relatif à celui-ci était du ressort exclusif des juridictions de Bruxelles (article 11 des conditions spéciales), que, si le cocontractant de l’Union s’était rendu coupable d’erreurs, d’irrégularités ou d’actes de fraude lors de la procédure de passation du marché, l’Union pouvait refuser d’effectuer les paiements dus ou recouvrer des montants déjà payés proportionnellement à la gravité des erreurs, des irrégularités ou des fraudes (articles 35.3 et 35.4 des conditions générales) et que l’Union pouvait résilier le contrat dans toute une série d’hypothèses, notamment, si le cocontractant s’était rendu coupable de fautes professionnelles graves (article 36.3, sous g), des conditions générales).

28.      Le 16 juillet 2009, l’exécution du contrat TACIS et les paiements s’y rapportant ont été suspendus à la suite d’une mission d’enquête et d’un rapport d’analyse de l’OLAF, qui ont relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption ayant eu lieu pendant la procédure de passation du marché. Les constatations de l’OLAF ont également donné lieu, notamment, à une transmission aux autorités judiciaires belges.

29.      Dans son rapport d’enquête final du 19 avril 2010, l’OLAF a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. L’OLAF a recommandé à la délégation en Ukraine de résilier le contrat TACIS et de procéder au recouvrement des montants indûment versés.

30.      Le 20 avril 2012, la délégation en Ukraine a informé la requérante de son intention de lever la suspension du contrat TACIS, au motif, d’une part, que l’enquête judiciaire menée par les autorités belges se prolongeait dans la durée et, d’autre part, que ledit contrat pouvait être considéré comme exécuté.

31.      Le 19 mars 2013, la délégation en Ukraine a informé la requérante que le contrat TACIS pouvait être considéré comme ayant été exécuté à la suite de l’approbation du rapport final, du paiement de la facture finale et du remboursement de la garantie bancaire.

32.      Le 24 mai 2018, la délégation en Ukraine a notifié à la requérante son intention de recouvrer toutes les sommes versées au titre du marché TACIS, soit un montant de 4 241 507 euros.

33.      Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision de recouvrement TACIS. Cette décision portait les visas, notamment, de l’article 103 du règlement financier de 2002, des articles 131 et 98 du règlement financier de 2018 ainsi que de l’article 4 du règlement PIF, et son dispositif était libellé comme suit :

« Article premier

La procédure d’attribution de l’appel d’offres restreint portant la référence EuropeAid/122038/C/SV/UA a fait l’objet d’une irrégularité au sens de l’article 103 du règlement [financier de 2002] et de l’article 131 du règlement [financier de 2018].

Ladite irrégularité est imputable au consortium emmené par [la requérante], qui a signé le marché [TACIS] attribué à l’issue de l’appel d’offres.

Article 2

Le montant du marché [TACIS] est réduit de 4 410 000,00 EUR à 0 (zéro) EUR.

Article 3

Tous les paiements, d’un montant de 4 241 507,00 EUR, effectués au titre dudit marché sont considérés comme indûment versés et font l’objet d’un recouvrement.

Article 4

Le directeur général de la direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement émet un ordre de recouvrement à l’encontre d[e la requérante] pour le montant visé à l’article 3.

[La requérante] est destinataire de la présente décision et de la note de débit qui l’accompagne. La présente décision est applicable à compter de la date de sa réception par [la requérante].

Article 5

Conformément à l’article 263 [TFUE], la présente décision peut faire l’objet d’un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne dans un délai de deux mois. »

2.      Arrêts T795/19 et T796/19

34.      Les procédures devant le Tribunal et les évolutions ultérieures sont décrites aux points 30 à 51 de l’arrêt T‑795/19 et aux points 25 à 46 de l’arrêt T‑796/19, et peuvent être résumées comme suit.

35.      Par actes déposés le 19 novembre 2019, la requérante a introduit des recours contre les décisions de recouvrement CARDS (affaire T‑795/19) et TACIS (affaire T‑796/19). Par ces recours, elle demandait au Tribunal, notamment, l’annulation desdites décisions ainsi que la condamnation de la Commission au paiement de dommages-intérêts. La Commission, quant à elle, demandait au Tribunal, notamment, de rejeter les demandes d’annulation comme non fondées et les demandes indemnitaires comme irrecevables ou non fondées.

36.      Le 7 février 2020, la requérante a attrait l’Union, représentée par la Commission, devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), à qui, en substance, elle a demandé, au titre du marché TACIS, de juger que l’Union n’était pas en droit d’ordonner la réduction à zéro du montant dudit marché et, au titre du marché CARDS, de juger que l’Union n’était pas en droit de résilier celui-ci. À titre subsidiaire, elle a sollicité la condamnation de l’Union au paiement de dommages et intérêts contractuels équivalents à l’intégralité du montant des marchés TACIS et CARDS.

37.      Le 19 février 2021, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rendu un jugement par lequel il a déclaré qu’il disposait du pouvoir de juridiction requis pour connaître de l’action introduite par la requérante contre l’Union, en ce qui concernait tant le marché TACIS que le marché CARDS, tout en décidant de surseoir à statuer sur le fond dans l’attente de la ou des décisions mettant fin à l’instance dans les affaires T‑795/19 et T‑796/19.

38.      Par les arrêts T‑795/19 et T‑796/19, le Tribunal a, d’une part, rejeté les deux recours formés devant lui comme étant irrecevables, en ce qu’ils tendaient à l’annulation des décisions de recouvrement CARDS et TACIS, et comme étant non fondés, en ce qu’ils tendaient à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union. D’autre part, il a condamné la Commission au paiement des dépens en application de l’article 135, paragraphe 2, de son règlement de procédure. Selon cette disposition, il peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires. Le Tribunal a estimé que, en l’espèce, la Commission avait favorisé la naissance du litige par la formulation des articles 5 des décisions CARDS et TACIS.

B.      Affaire C597/22 P

1.      Décisions formant titre exécutoire CARDS et TACIS

39.      Le 5 mai 2021, la Commission a adopté la décision C(2021)3340 final relative au recouvrement, au titre du marché CARDS, d’une créance d’un montant de 1 197 055,86 euros à la charge de la requérante (ci-après la « décision formant titre exécutoire CARDS »), ainsi que la décision C(2021)3339 final relative au recouvrement, au titre du marché TACIS, d’une créance d’un montant de 4 241 507 euros à la charge de la requérante (ci-après la « décision formant titre exécutoire TACIS »). Selon les termes de leur article 5, ces deux décisions forment titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE.

2.      Arrêt T408/21

40.      Le 9 juillet 2021, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal tendant, notamment, à l’annulation des décisions formant titre exécutoire CARDS et TACIS, enregistré sous le numéro T‑408/21.

41.      Par l’arrêt T‑408/21, le Tribunal a annulé lesdites décisions aux motifs, en substance, que la Commission, en l’absence d’une clause compromissoire dans les contrats CARDS et TACIS, ne disposait pas du pouvoir d’adopter des décisions formant titre exécutoire sur le fondement de l’article 299 TFUE.

IV.    Les procédures de pourvoi et les conclusions des parties

A.      Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P

42.      Par actes déposés le 7 mars 2022, la Commission a formé des pourvois contre les arrêts T‑795/19 et T‑796/19, qui ont été enregistrés sous les numéros C‑160/22 P et C‑161/22 P.

43.      Par décision du président de la Cour du 11 mai 2022, les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

44.      La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        annuler les arrêts T‑795/19 et T‑796/19 dans la mesure où ils rejettent comme irrecevables les recours en annulation présentés par la requérante contre les décisions de recouvrement CARDS et TACIS (point 1 des dispositifs), et où ils condamnent la Commission aux dépens, y compris ceux afférents aux procédures de référé (point 3 des dispositifs) ;

–        renvoyer les affaires au Tribunal pour une décision sur le fond par rapport aux recours en annulation, ainsi que sur les dépens, et

–        condamner la partie requérante aux dépens.

45.      La requérante conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        rejeter les pourvois introduits par la Commission, et

–        condamner la Commission aux dépens.

B.      Affaire C597/22 P

46.      Par acte déposé le 16 septembre 2022, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt T‑408/21, qui a été enregistré sous le numéro C‑597/22 P.

47.      La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        annuler l’arrêt T‑408/21, dans la mesure où il annule les décisions formant titre exécutoire CARDS et TACIS ;

–        renvoyer l’affaire au Tribunal pour une décision sur le fond par rapport au recours en annulation, et

–        condamner la partie requérante aux dépens.

48.      La requérante conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        rejeter le pourvoi introduit par la Commission, et

–        condamner la Commission aux dépens.

49.      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et leurs réponses aux questions de la Cour lors d’une audience commune aux trois pourvois tenue le 27 septembre 2023.

V.      Appréciation

50.      Ainsi qu’il a été indiqué dans l’introduction, la solution à adopter dans l’affaire C‑597/22 P (B) dépend de la solution qui sera adoptée dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P. Partant, il y a lieu d’examiner celles-ci en premier (A).

A.      Affaires C160/22 P et C161/22 P

51.      Avant de se pencher sur le fond de ces affaires, qui concerne le point de savoir si les décisions de recouvrement CARDS et TACIS relèvent effectivement du cadre contractuel et, par la suite, de la compétence du juge du contrat (2), il convient d’examiner la recevabilité des pourvois de la Commission, mise en doute par la requérante (1).

1.      Sur la recevabilité des pourvois

52.      Aux termes de l’article 56, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi peut être formé par toute partie ayant partiellement ou totalement succombé en ses conclusions.

53.      Or, selon la requérante, en l’espèce, la Commission n’a pas succombé en ses conclusions en ce qui concerne les demandes d’annulation introduites par la requérante contre les décisions de recouvrement CARDS et TACIS devant le Tribunal, puisque celui-ci a rejeté ces demandes. Le fait qu’elles ont été rejetées comme irrecevables au lieu d’être rejetées comme non fondées, ainsi que l’avait demandé la Commission, ne saurait, selon la requérante, signifier que la Commission a succombé en ses conclusions.

54.      Par ailleurs, toujours selon la requérante, la Commission n’a pas d’intérêt à agir, en tant qu’elle fonde son pourvoi sur la nécessité de protéger les intérêts financiers de l’Union. Cette argumentation méconnaîtrait en effet la répartition des compétences juridictionnelles fixée par le traité FUE ainsi que le fait que le juge national en tant que juge d’un contrat conclu par l’Union serait tout autant à même de protéger les intérêts financiers de celle-ci que le juge de l’Union.

55.      Cette fin de non-recevoir doit être rejetée sans qu’il soit besoin de trancher la question de savoir si la Commission, en tant que requérante privilégiée, doit démontrer un intérêt à agir lorsqu’elle introduit un pourvoi dans des litiges comme ceux de l’espèce. Il n’est pas davantage nécessaire d’examiner les arguments avancés par la requérante pour contester l’intérêt à agir de la Commission, qui relèvent, à notre sens, de l’examen du bien-fondé des pourvois, c’est-à-dire de la question de la compétence du juge de l’Union pour l’examen des recours en première instance, et non de la recevabilité des pourvois.

56.      En effet, il suffit de constater que, en tout état de cause, contrairement à l’avis de la requérante, la Commission a bel et bien succombé en ses conclusions en première instance en ce qui concerne les demandes d’annulation des décisions de recouvrement CARDS et TACIS, ce qui lui confère un intérêt à agir en pourvoi afin d’obtenir l’annulation des arrêts T‑795/19 et T‑796/19.

57.      À cet égard, il importe de rappeler que le Tribunal a rejeté lesdites demandes d’annulation parce qu’il considérait que les litiges revêtaient une nature contractuelle et relevaient par conséquent de la compétence du juge belge, juge du contrat en vertu des clauses des contrats CARDS et TACIS (8). Par ailleurs, la requérante a également saisi ce juge belge de demandes identiques, quant à leurs effets, à celles introduites devant le Tribunal, et le juge belge s’est déclaré compétent pour en connaître, tout en sursoyant à statuer dans l’attente des décisions mettant fin à l’instance dans les présentes affaires (9).

58.      Ainsi, comme l’indique à juste titre la Commission, le fait que le Tribunal a rejeté les demandes d’annulation des décisions de recouvrement CARDS et TACIS introduites par la requérante comme irrecevables au lieu de non fondées lui fait grief, en sorte que le pourvoi est susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice (10). En effet, si le Tribunal avait examiné le fond de ces demandes et les avait rejetées comme non fondées, les litiges auraient été terminés et le bien-fondé des prétentions de la Commission aurait été établi (sous réserve de confirmation lors d’un éventuel pourvoi).

59.      Il s’ensuit que, la Commission ayant ainsi succombé en ses conclusions devant le Tribunal en ce qui concerne les demandes d’annulation des décisions de recouvrement CARDS et TACIS, les pourvois dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P sont bien recevables.

2.      Sur la compétence juridictionnelle pour connaître des recours introduits contre les décisions de recouvrement CARDS et TACIS

60.      Selon la Commission, le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a jugé que les décisions de recouvrement CARDS et TACIS relevaient du cadre contractuel aux fins de la détermination de la compétence juridictionnelle pour en connaître, de sorte qu’elles relevaient de la compétence du juge du contrat et non du juge de l’annulation. La Commission est au contraire d’avis que ces décisions sont des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE.

61.      Au soutien de cette argumentation, la Commission avance trois moyens qui, selon ses propres dires, sont intimement liés, et qui peuvent donc être examinés ensemble. Par ces moyens, elle fait, en substance, valoir que le Tribunal a erronément qualifié de contractuelles ses prérogatives de puissance publique qui lui sont conférées par des règlements aux fins de la protection des intérêts financiers de l’Union et qui consistent à constater de manière unilatérale des irrégularités, réduire les prix des marchés et recouvrer les montants indûment payés.

a)      Raisonnement litigieux du Tribunal

62.      Pour ce qui est du raisonnement litigieux du Tribunal, celui-ci a d’abord rappelé la jurisprudence constante de la Cour, depuis l’arrêt Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission (ci-après l’« arrêt Lito ») (11), selon laquelle le juge de l’Union ne peut étendre sa compétence juridictionnelle au-delà des limites tracées par l’article 274 TFUE, lequel confie aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels l’Union est partie. Partant, en présence d’un contrat liant une partie requérante à l’une des institutions de l’Union, le juge de l’Union ne peut être saisi d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative (12).

63.      Au vu de cette double condition, le Tribunal a rejeté l’argument de la Commission selon lequel les décisions de recouvrement CARDS et TACIS, du seul fait qu’elles auraient été adoptées sur le fondement de dispositions de droit dérivé conférant à la Commission des prérogatives de puissance publique, relèveraient de la « sphère administrative » (opposée à la « sphère contractuelle ») (13).

64.      D’après le Tribunal, à supposer que les règlements financiers de 2002 et de 2018 (14) ainsi que le règlement PIF autorisent la Commission, sous certaines conditions, à mettre en œuvre des mesures relevant de prérogatives de puissance publique, il résulte des conditions posées par l’arrêt Lito que cela ne saurait suffire à exclure d’emblée lesdites mesures du cadre contractuel, dès lors que la mise en œuvre de ces règlements trouve son origine dans des manquements imputés à une partie engagée dans une relation contractuelle avec l’Union (15).

65.      Or, selon le Tribunal, même si les procédures d’appel d’offres ne relèvent pas encore du cadre contractuel, après la signature du contrat, le pouvoir adjudicateur est bien engagé contractuellement envers le soumissionnaire choisi. Partant, l’exercice de pouvoirs conférés au pouvoir adjudicateur par des dispositions du droit dérivé pour sanctionner des irrégularités commises durant la procédure de passation s’inscrirait, à compter de la signature du contrat, dans le cadre de relations contractuelles. En l’espèce, les facteurs déterminants seraient donc le fait que ces pouvoirs ont été exercés alors que les parties étaient déjà engagées l’une envers l’autre au titre des contrats CARDS et TACIS, qu’elles avaient déjà exécuté une part substantielle, voire la totalité de leurs obligations respectives, et que les mesures litigieuses ont eu pour effet d’annuler les obligations de la Commission au titre des contrats, à savoir les paiements effectués au profit de la requérante (16).

66.      Partant, selon l’analyse du Tribunal, la seconde condition posée par la jurisprudence pour qualifier un acte adopté dans un cadre contractuel d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE faisait défaut, puisque les décisions de recouvrement CARDS et TACIS étaient uniquement susceptibles de produire des effets relevant du cadre contractuel (17).

b)      Appréciation de l’argumentation de la Commission

67.      La Commission fait valoir, notamment dans le cadre de son premier moyen, que le raisonnement du Tribunal crée une jurisprudence nouvelle consistant à « contractualiser » ses prérogatives de puissance publique. Ce faisant, il bouleverserait le système juridique de l’Union, rendrait inefficaces les dispositions des décisions prises par la Commission, la dépouillerait de ses prérogatives de puissance publique et la priverait d’un outil essentiel pour la défense des intérêts financiers de l’Union.

68.      Cette argumentation ne saurait toutefois prospérer.

69.      En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, le raisonnement litigieux du Tribunal relève d’une juste application des principes bien établis, notamment, par les arrêts Lito et ADR (1). De même, sa solution n’affecte pas la compétence de la Commission pour mettre en œuvre ses prérogatives de puissance publique, mais concerne uniquement la compétence juridictionnelle pour connaître des mesures adoptées à ce titre (2).

1)      Les décisions de recouvrement CARDS et TACIS à l’aune des conditions de recevabilité de recours en annulation à l’encontre d’actes adoptés dans un contexte contractuel

70.      Comme l’a indiqué le Tribunal, selon l’arrêt Lito, en présence d’un contrat liant une partie requérante à une institution de l’Union, pour être attaquable par un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE, un acte doit remplir une double condition : il ne doit pas seulement résulter de l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative, mais il doit également viser à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties.

71.      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission dans le cadre de son premier moyen, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré que la seule origine extracontractuelle des pouvoirs mis en œuvre par la Commission lors de l’adoption des décisions de recouvrement CARDS et TACIS, à la supposer établie, ne suffisait pas pour qualifier ces décisions d’actes attaquables au titre de l’article 263 TFUE en l’absence d’effets de ces décisions en dehors des relations contractuelles entre les parties.

72.      Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait, mis en avant par la Commission, notamment, dans le cadre de son premier moyen ainsi qu’à l’audience, que ces pouvoirs lui ont été attribués en tant qu’autorité administrative afin de sanctionner des irrégularités au sens de l’article 4 du règlement PIF et de l’article 103 du règlement financier de 2002, et de protéger le budget de l’Union. De même, le fait que la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation pour recouvrer les montants déjà versés proportionnellement à la gravité des irrégularités commises ne suffit pas pour conclure que les mesures adoptées à ce titre ne sauraient être qualifiées comme relevant du cadre contractuel aux fins de leur traitement contentieux.

73.      De tels pouvoirs s’apparentent certes à des mesures de type « administratif », qui diffèrent de la mise en œuvre de droits et obligations contractuels classiques comme, par exemple, la demande de dommages pour mauvaise exécution du contrat (18). Toutefois, cela ne signifie pas pour autant, en ce qui concerne les contrats des institutions de l’Union, que les actes de mise en œuvre de tels pouvoirs adoptés par l’institution contractante doivent être qualifiés d’actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE s’ils s’inscrivent dans le cadre contractuel et ne produisent pas d’effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de celui-ci (19). Il ne serait pas compatible avec le système des voies de recours instauré par le droit primaire si la mise en œuvre de ces pouvoirs entraînait automatiquement la compétence du juge de l’Union au titre de cette disposition.

74.      Ainsi qu’il découle des considérations de l’arrêt Lito reproduites au point 62 des présentes conclusions, la double condition à remplir pour qu’un acte adopté par l’Union envers un cocontractant soit attaquable par un recours en annulation résulte en effet du système des voies de recours instauré par le traité FUE. Selon les articles 272 et 274 de celui-ci, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales et le juge de l’Union n’est compétent, pour statuer sur des litiges découlant d’un contrat passé par l’Union, que si celui-ci contient une clause compromissoire au profit des juridictions de l’Union.

75.      Partant, comme la Cour l’a constaté au point 19 de l’arrêt Lito et au point 64 de l’arrêt ADR, si le juge de l’Union se déclarait compétent pour statuer, sur la base de l’article 263 TFUE, sur la légalité d’actes s’inscrivant dans un cadre contractuel, il risquerait de vider de son sens l’article 272 TFUE. De plus, dans les cas où le contrat ne contiendrait pas de clause compromissoire au profit des juridictions de l’Union, il risquerait d’étendre sa compétence juridictionnelle au-delà des limites tracées par l’article 274 TFUE.

76.      C’est en raison de cette répartition des compétences juridictionnelles que la définition de l’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE est conçue de manière plus étroite dans un contexte contractuel que dans d’autres contextes. Ainsi, lorsqu’un acte concerne un cocontractant de l’Union, il ne suffit pas qu’il produise des effets juridiques contraignants à l’égard de son destinataire pour être attaquable au titre de l’article 263 TFUE ; il faut également que ces effets juridiques contraignants se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties (20). Cette restriction de l’accès des cocontractants de l’Union au juge de l’annulation ne porte pas atteinte à leur droit au recours s’ils disposent d’un recours effectif devant le juge du contrat (21).

77.      Des effets extracontractuels d’une décision prise dans un contexte contractuel existent, par exemple, lors de l’exclusion temporaire, d’autres marchés publics et subventions de l’Union, d’un cocontractant qui a violé le contrat ou lors de l’inscription d’un tel cocontractant sur une liste noire dans une base de données centrale des institutions de l’Union (22).

78.      Or, en l’espèce, la Commission est restée en défaut d’établir quelles seraient les effets des décisions de recouvrement CARDS et TACIS qui se situeraient en dehors des relations contractuelles entre les parties.

79.      Comme le Tribunal l’a, en substance, constaté à juste titre, même si elles sanctionnent une irrégularité commise avant la conclusion des contrats litigieux, ces décisions ont pour effet d’obliger la requérante à restituer les paiements effectués par l’Union à son profit au titre de ces contrats. Elles concernent donc les droits et obligations des parties dans le cadre desdits contrats. Ces paiements n’étaient, au départ, dus à la requérante qu’en raison des stipulations contractuelles et n’auraient pas été effectués par l’Union si ces derniers n’avaient pas encore été signés. L’obligation imposée à la requérante de restituer les montants en cause affecte donc sa situation en tant que cocontractante de l’Union, mais ne lui impose pas d’obligations allant au-delà ou déployant leurs effets en dehors de cette relation contractuelle.

80.      Même si les mesures adoptées par la Commission ne se rapportent pas à l’exécution du contrat par la requérante, elles sanctionnent donc bien celle-ci dans son état de cocontractante de l’Union. Par ailleurs, la Commission elle-même a souligné, notamment lors de l’audience dans les présentes affaires, que le fait que les irrégularités sanctionnées en l’espèce avaient été commises avant la conclusion des contrats n’était pas décisif. Selon la Commission, l’élément décisif pour qualifier les décisions de recouvrement litigieuses d’actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE est que le comportement sanctionné constitue une « irrégularité » au sens du règlement PIF et du règlements financier de 2002.

81.      Or, ainsi que l’a pointé à juste titre la requérante, une telle position est tout à fait inconcevable avec la répartition des compétences juridictionnelles instaurée par le traité. En effet, au vu de la définition large du concept d’« irrégularité » à l’article premier du règlement PIF, il serait impossible de différencier entre irrégularités dont la sanction entraînerait la compétence du juge de l’annulation et manquements à des obligations contractuelles dont la sanction entraînerait la compétence du juge du contrat. Une telle situation serait de surcroît source d’insécurité juridique pour les cocontractants de l’Union comme pour les juges nationaux.

82.      Pour finir, il importe de noter que les décisions de recouvrement CARDS et TACIS adoptées par la Commission en l’espèce se distinguent des décisions formant titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE en cause dans l’affaire ADR, qui ont été qualifié es d’actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE. En effet, comme la Cour l’a constaté, les effets et la force obligatoire de telles décisions formant titre exécutoire (permettant de recourir directement à l’exécution forcée) ne sauraient résulter des clauses contractuelles, mais émanent de l’article 299 TFUE, lu en combinaison avec la disposition du règlement financier constituant la base juridique pour l’adoption d’une telle décision dans un cas concret (23).

83.      En l’espèce, les décisions de recouvrement litigieuses instaurent certes une obligation de payer, mais ne permettent pas directement l’exécution forcée de cette obligation, à la différence des décisions formant titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE. Or, les effets juridiques extracontractuels de telles décisions formant titre exécutoire consistent en ce que la Commission établit la force exécutoire d’une créance contractuelle au moyen d’un acte de puissance publique unilatéral qu’elle a elle‑même adopté (24).

84.      De plus, l’exécution forcée d’une décision fondée sur l’article 299 TFUE ne peut être suspendue qu’en vertu d’une décision de la Cour, alors que les organes juridictionnels nationaux ne sont compétents que pour contrôler la régularité des mesures d’exécution. Partant, une décision formant titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE doit relever de la compétence juridictionnelle du juge de l’Union (25). En revanche, en l’espèce, la Commission est restée en défaut d’établir pourquoi les décisions de recouvrement litigieuses devraient, à son avis, absolument relever de la compétence du juge de l’Union.

85.      Il découle des considérations qui précèdent que les deuxième et troisième moyens de pourvoi sont inopérants. Par ces moyens, la Commission fait, en substance, valoir que le Tribunal a commis des erreurs lorsqu’il a assimilé les mesures adoptées par la Commission au moyen des décisions de recouvrement CARDS et TACIS à des mesures contractuelles, par exemple en tant que sanction d’un vice affectant la conclusion du contrat ou « dol » au sens du droit belge ou encore en tant qu’annulation rétroactive des effets obligatoires du contrat.

86.      Or, quand bien même le Tribunal se serait trompé en analysant ces mesures à travers le prisme du droit contractuel, il n’en demeurerait pas moins qu’il a appliqué correctement les conditions posées par la jurisprudence pour analyser le caractère attaquable ou non, au sens de l’article 263 TFUE, d’actes adoptés par la Commission à l’encontre de ses cocontractants. Partant, les deuxième et troisième moyens de pourvoi doivent être rejetés sans qu’il y ait lieu d’examiner les arguments spécifiques avancés par la Commission dans le cadre de ces moyens.

2)      Les décisions de recouvrement CARDS et TACIS et la « double casquette » de la Commission en matière contractuelle

87.      Contrairement à ce que soutient la Commission, la solution adoptée par le Tribunal ne la prive pas de la possibilité d’exercer les pouvoirs de sanction d’irrégularités que lui confient le règlement PIF et les règlements financiers de 2002 et de 2018. En effet, le Tribunal ne s’est pas, comme semble l’insinuer la Commission, prononcé sur la compétence de celle-ci pour adopter les décisions de recouvrement CARDS et TACIS, mais uniquement sur la compétence juridictionnelle pour connaître des recours introduits à l’encontre de ces décisions.

88.      Ainsi, le Tribunal n’a-t-il même pas problématisé le point de savoir si la Commission était en droit d’adopter les décisions de recouvrement CARDS et TACIS uniquement sur la base de l’article 4 du règlement PIF et de l’article 103 du règlement financier de 2002, ou s’il était nécessaire que les dispositions pertinentes de ces règlements soient également reprises dans les clauses contractuelles, tel que cela a été le cas en l’espèce (26). Selon le Tribunal, lesdits règlements s’appliquent en effet directement aux contrats litigieux ; néanmoins, il a constaté que, en tout état de cause, en l’espèce, les dispositions concernées de ces mêmes règlements étaient également reprises dans les clauses desdits contrats (27). Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de trancher, dans le cadre des présentes affaires, la question de savoir si la Commission pourrait néanmoins exercer les pouvoirs que lui confèrent le règlement PIF et les règlements financiers de 2002 et de 2018 dans un cas dans lequel la possibilité d’avoir recours à ces pouvoirs ne serait pas indiquée dans les clauses contractuelles.

89.      Comme la Commission l’a elle-même expliqué à l’audience, lorsqu’elle conclut des contrats, elle porte une « double casquette », pour ainsi dire : quoiqu’engagée contractuellement, elle ne poursuit pas un intérêt propre comme un cocontractant privé, mais exerce ses compétences afin d’accomplir ses missions, dont la mise en œuvre des politiques et la protection des intérêts financiers de l’Union. Partant, même en tant que cocontractante, elle ne se dépouille pas des droits et obligations spécifiques dont elle est titulaire en tant qu’autorité publique, de sorte que ses contrats sont soumis à un régime différent de celui des contrats entre cocontractants privés. Ceci est d’autant plus le cas dans la mesure où le législateur de l’Union lui a conféré, par des dispositions de droit dérivé, des pouvoirs d’action envers ses cocontractants comme ceux mis en œuvre en l’espèce (28).

90.      Cependant, cela ne signifie pas que les mesures adoptées au titre de ces pouvoirs relèvent de la compétence du juge de l’annulation si les effets de ces mesures se situent à l’intérieur de la relation contractuelle liant les parties. Sinon, cela serait contraire à la répartition des compétences juridictionnelles en matière de contrats conclus par l’Union établie par le traité FUE, ainsi qu’il a été expliqué aux points 70 à 76 ci-dessus.

91.      Par ailleurs, contrairement à ce qu’allègue la Commission, la solution adoptée par le Tribunal ne prive pas les actes qu’elle adopte pour sanctionner des irrégularités commises par ses cocontractants de leur efficacité ou l’oblige de s’adresser au juge pour la mise en œuvre de ses pouvoirs, l’empêchant ainsi de protéger les intérêts financiers de l’Union. Ainsi, le Tribunal n’a aucunement mis en doute le fait que les décisions unilatérales de résiliation des contrats et de recouvrement des montants versés (dans le sens que ces dernières établissent une obligation de payer) déploient leurs effets dès leur adoption, indépendamment d’une quelconque intervention du juge du contrat. La seule chose pour laquelle la Commission doit passer par le juge du contrat est, en application de la jurisprudence ADR, l’obtention d’un titre exécutoire pour le recouvrement de ces montants, si le contrat ne contient pas de clause compromissoire au profit du juge de l’Union. Or, cela découle de la répartition des compétences juridictionnelles en matière contractuelle fixée par le droit primaire, ainsi qu’il vient d’être expliqué.

92.      Enfin, à l’audience dans les présentes affaires, a été évoqué le droit administratif français qui présente, notamment en matière de contrats de l’administration, certaines similitudes avec le droit administratif des institutions de l’Union. Or, une solution consistant à admettre l’existence de prérogatives de l’administration contractante tout en faisant relever les mesures adoptées dans l’exercice de ces pouvoirs de la compétence du juge du contrat et non du juge de l’annulation, correspond également à la solution adoptée en droit administratif français (29).

3.      Conclusion sur les affaires C160/22 P et C161/22 P

93.      Il résulte des considérations qui précèdent que les arguments avancés par la Commission pour démontrer des erreurs commises par le Tribunal dans les arrêts T‑795/19 et T‑796/19 ne sauraient prospérer. Les pourvois dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P doivent donc être rejetés.

B.      Affaire C597/22 P

94.      Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus (30), l’affaire C‑597/22 P a pour objet des décisions formant titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE, adoptées par la Commission à l’encontre de la requérante afin de recouvrer les montants réclamés par les décisions de recouvrement CARDS et TACIS.

95.      Par l’arrêt T‑408/21, le Tribunal a annulé ces décisions formant titre exécutoire en application des principes issus de l’arrêt ADR. Comme l’a rappelé le Tribunal  (31), dans cet arrêt, la Cour a jugé que la Commission ne pouvait adopter de décision formant titre exécutoire dans le cadre de relations contractuelles si ces dernières ne comportaient pas une clause compromissoire en faveur du juge de l’Union et relevaient, de ce fait, de la compétence juridictionnelle des juridictions d’un État membre.

96.      Partant, il découlait de la solution adoptée par le Tribunal dans les arrêts T‑795/19 et T‑796/19, selon laquelle les décisions de recouvrement CARDS et TACIS revêtaient une nature contractuelle, que la Commission ne disposait pas du pouvoir d’adopter des décisions formant titre exécutoire pour leur mise en œuvre, les contrats CARDS et TACIS ne comportant pas de clause compromissoire en faveur du juge de l’Union.

97.      Par son pourvoi dans l’affaire C‑597/22 P, la Commission fait valoir que cette conclusion tirée par le Tribunal dans l’arrêt T‑408/21 est erronée, puisque sa conclusion quant à la nature contractuelle des décisions de recouvrement CARDS et TACIS dans les arrêts T‑795/19 et T‑796/19 est elle-même erronée.

98.      Il s’ensuit que, ainsi que la Commission le reconnaît elle-même, si la Cour confirme la nature contractuelle des décisions de recouvrement CARDS et TACIS, cela prive la Commission du pouvoir d’adopter les décisions formant titre exécutoire CARDS et TACIS et son pourvoi dans l’affaire C‑597/22 P de son fondement.

99.      En accord avec notre proposition dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P, consistant à confirmer la solution retenue par le Tribunal dans les arrêts T‑795/19 et T‑796/19, nous proposons donc à la Cour de confirmer également la solution retenue par le Tribunal dans l’arrêt T‑408/21 et de rejeter par conséquent le pourvoi dans l’affaire C‑597/22 P.

C.      Conclusion intermédiaire

100. Il résulte des considérations qui précèdent qu’aussi bien les pourvois dans les affaires jointes C‑160/22 P et C‑161/22 P que le pourvoi dans l’affaire C‑597/22 P doivent être rejetés.

VI.    Dépens

101. Conformément à l’article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

102. Selon l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

103. La Commission ayant succombée, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

VII. Conclusion

104. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit dans les affaires jointes C‑160/22 P et C‑161/22 P et dans l’affaire C‑597/22 P :

1)      Les pourvois sont rejetés.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.


1      Langue originale : le français.


2      Arrêt du 16 juillet 2020 (C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 73).


3      JO 1995, L 312, p. 1.


4      JO 2002, L 248, p. 1.


5      JO 2006, L 390, p. 1.


6      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 18 juillet 2018 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) nº 1296/2013, (UE) nº 1301/2013, (UE) nº 1303/2013, (UE) nº 1304/2013, (UE) nº 1309/2013, (UE) nº 1316/2013, (UE) nº 223/2014, (UE) nº 283/2014 et la décision nº 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) nº 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1).


7      Il s’agit, d’une part, du pourvoi dans l’affaire C‑770/23 P, Commission/HB, dirigé contre l’arrêt du 4 octobre 2023, HB/Commission (T‑444/22, EU:T:2023:604), qui a pour objet une décision par laquelle la Commission a procédé à la compensation entre la créance détenue par la requérante à son égard au titre des dépens auxquels la Commission a été condamnée par les arrêts T‑795/19 et T‑796/19 et la créance que la Commission déclare détenir à l’égard de la requérante au titre du contrat CARDS. D’autre part, il s’agit des pourvois dans les affaires C‑721/22 P, Commission/PB, dirigé contre l’arrêt du 14 septembre 2022, PB/Commission (T‑775/20, EU:T:2022:542), et C‑768/23 P, dirigé contre l’arrêt du 4 octobre 2023, PB/Commission (T‑407/21, EU:T:2023:603), qui concernent une décision par laquelle la Commission a déclaré l’administrateur de HB solidairement responsable du paiement des montants réclamés au titre des contrats TACIS et CARDS et une décision formant titre exécutoire adoptée à son encontre pour la récupération de ces montants.


8      Voir points 19 et 27 des présentes conclusions.


9      Voir points 36 et 37 des présentes conclusions.


10      Voir, sur cette condition, arrêt du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission (C‑19/93 P, EU:C:1995:339, point 13).


11      Arrêt du 9 septembre 2015 (C‑506/13 P, EU:C:2015:562, points 19 et 20) ; voir aussi arrêt ADR (points 64 et 65).


12      Arrêts T‑795/19 (points 55 et 56), et T‑796/19 (points 50 et 51).


13      Arrêts T‑795/19 (point 75), et T‑796/19 (point 70).


14      Selon les considérations de la Commission exposées aux considérants 19 à 21 de la décision de recouvrement CARDS et aux considérants 13 à 15 de la décision de recouvrement TACIS, l’article 103 du règlement financier de 2002, applicable au moment où le comportement contesté a eu lieu, est pertinent en ce qui concerne la compétence de la Commission de recouvrer les montants versés en raison des irrégularités commises. Dans la mesure où le règlement financier de 2018, applicable au moment de l’adoption des décisions de recouvrement CARDS et TACIS, contient néanmoins, en substance, des règles identiques, il n’y a pas besoin d’examiner si cette interprétation est correcte.


15      Arrêts T‑795/19 (point 76), et T‑796/19 (point 71).


16      Arrêts T‑795/19 (points 71, 72 et 80), et T‑796/19 (points 66, 67 et 75).


17      Arrêts T‑795/19 (point 89), et T‑796/19 (point 86).


18      Voir, sur l’existence de tels pouvoirs dans le régime des contrats de l’Union, également, nos conclusions dans l’affaire ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2019:941, points 84, 127 et 154).


19      Voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 2013, GRP Security/Cour des comptes (T‑87/11, EU:T:2013:161, points 16 et 30), et du 24 février 2021, Universität Koblenz-Landau/EACEA (T‑108/18, EU:T:2021:104, points 50 à 59), confirmé par l’arrêt du 22 décembre 2022, Universität Koblenz-Landau/EACEA (C‑288/21 P, EU:C:2022:1027).


20      Voir, sur ce point, nos conclusions dans l’affaire ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2019:941, point 150 et les références qui y sont citées).


21      Voir, sur ce point, arrêt ADR (points 81 à 89), ainsi que nos conclusions dans l’affaire ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2019:941, points 137 à 158).


22      Voir nos conclusions dans l’affaire ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2019:941, point 98 et jurisprudence citée).


23      Arrêt ADR (points 69 à 71) ; voir, également, nos conclusions dans l’affaire ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2019:941, points 97 à 104).


24      Voir nos conclusions dans l’affaire ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2019:941, point 103).


25      Voir nos conclusions dans l’affaire ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2019:941, point 49).


26      Voir points 19 et 27 des présentes conclusions.


27      Arrêts T‑795/19 (points 77 et 81), et T‑796/19 (points 72 et 77).


28      Voir point 73 des présentes conclusions.


29      Voir, à cet égard, Wachsmann, P., « La recevabilité du recours pour excès de pouvoir à l’encontre des contrats – Pour le centenaire de l’arrêt Martin », Revue française de droit administratif (RFDA), 1/2006, p. 24 et suiv. : « [P]our ce qui concerne les actes détachables postérieurs à la conclusion du contrat, la théorie des actes détachables est essentiellement à la disposition des tiers, les parties devant s’en tenir à la saisine du juge du contrat et se voyant opposer, en cas de méconnaissance de cette obligation, l’exception de recours parallèle. L’arrêt d’Assemblée du 2 février 1987, Société TV 6, indique ainsi nettement, s’agissant d’une résiliation, la distinction qu’il y a lieu d’opérer entre le cas des tiers, admis à intenter un recours pour excès de pouvoir dès lors que leur intérêt pour agir est démontré, et celui de la société concessionnaire qui adresse sa demande au juge du contrat. La “définition objective de l’acte détachable” [...] ne vaut donc qu’en amont de la conclusion du contrat et ne s’étend guère aux mesures d’exécution, pour lesquelles la distinction entre les parties et les tiers conserve son empire. » Voir également, sur les évolutions plus récentes, Hoepffner, H., Droit des contrats administratifs, Dalloz, Paris, 3e édition, 2022, p. 899, nº 1013 et suiv., p. 912, nº 1033 et suiv., ainsi que Conseil d’État (France), commentaire de l’arrêt du 28 décembre 2009, Commune de Béziers, https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-28-decembre-2009-commune-de-beziers.


30      Voir points 39 et suiv. des présentes conclusions.


31      Arrêt T‑408/21 (point 50).