Language of document : ECLI:EU:T:2023:98

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

1er mars 2023 (*) 

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne verbale CAMEL – Éléments de preuve produits pour la première fois devant la chambre de recours – Article 95, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1001 – Article 27, paragraphe 4, du règlement délégué (UE) 2018/625 – Usage sérieux de la marque – Article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 – Absence d’appréciation de certains éléments de preuve présentés »

Dans l’affaire T‑552/21,

Worldwide Brands, Inc. Zweigniederlassung Deutschland, établie à Cologne (Allemagne), représentée par Mes J. L. Gracia Albero, R. Ahijón Lana et B. Tomás Acosta, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. R. Raponi et D. Hanf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Eric Guangyu Wan, demeurant à Vancouver, Colombie-Britannique (Canada), représenté par Mes V. Piccarreta et G. Romanelli, avocats,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. G. De Baere, président, K. Kecsmár et Mme S. Kingston (rapporteure), juges,

greffier : M. G. Mitrev, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 20 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Worldwide Brands, Inc. Zweigniederlassung Deutschland, demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 5 juillet 2021 (affaire R 1548/2020-1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 14 décembre 1998, un prédécesseur en droit de l’intervenant, M. Eric Guangyu Wan, a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour le signe verbal CAMEL.

3        La marque demandée désignait les produits relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Vêtements et chapellerie ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 63/1999, du 9 août 1999. La marque a été enregistrée le 23 octobre 2003 sous le numéro 1015593.

5        Le 19 novembre 2018, la requérante a déposé une demande de déchéance de la marque contestée au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), pour tous les produits visés au point 3 ci‑dessus, au motif que ladite marque n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pendant une période ininterrompue de cinq ans.

6        Le 26 mars 2019, l’intervenant a produit devant l’EUIPO divers éléments de preuve numérotés de 1 à 11 en vue d’établir l’usage de la marque contestée.

7        Par décision du 28 mai 2020, la division d’annulation a prononcé la déchéance de la marque contestée pour défaut d’usage sérieux pour l’ensemble des produits visés par ladite marque.

8        Le 27 juillet 2020, l’intervenant a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation. Le 28 septembre 2020, le mémoire exposant les motifs du recours est parvenu à l’EUIPO. En même temps que ledit mémoire, l’intervenant a produit des preuves supplémentaires numérotées de 1 à 10.

9        Par la décision attaquée, la chambre de recours a partiellement annulé la décision de la division d’annulation. En premier lieu, s’agissant des preuves produites pour la première fois au cours de la procédure de recours, elle a estimé que les conditions permettant l’acceptation de preuves produites tardivement par le titulaire de la marque de l’Union européenne, au stade du recours, étaient satisfaites, dès lors que ces preuves semblaient, à première vue, pertinentes pour l’issue de l’affaire et qu’elles étaient complémentaires au regard des éléments déjà présentés par l’intervenant devant la division d’annulation. La chambre de recours a relevé que rien ne suggérait que l’intervenant avait, à cet égard, fait preuve de négligence ou avait recouru à des tactiques dilatoires. En second lieu, s’agissant de la preuve de l’usage sérieux, la chambre de recours a considéré que, contrairement à ce qu’avait décidé la division d’annulation, l’usage sérieux avait été prouvé pour la sous-catégorie de produits « chemises » compris dans la classe 25, notamment en Espagne, en France et en Italie. Elle a ainsi annulé la décision de la division d’annulation dans cette mesure. En revanche, elle a confirmé la conclusion de la division d’annulation selon laquelle aucun usage sérieux de la marque contestée n’avait été démontré pour les autres produits compris dans la catégorie générale des « vêtements » relevant de la classe 25 ainsi que pour les articles de « chapellerie » relevant de la même classe.

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision attaquée, en ce que la chambre de recours a rejeté la demande de déchéance de la marque contestée pour les « chemises » comprises dans la classe 25 ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris ceux exposés devant la division d’annulation et la chambre de recours.

11      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

12      L’intervenant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        confirmer la décision attaquée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      À titre liminaire, il convient de relever que, par son premier chef de conclusions, l’intervenant demande au Tribunal de confirmer la décision attaquée.

14      Or, étant donné que « confirmer » la décision attaquée équivaut à rejeter le recours, il y a lieu d’appréhender le premier chef de conclusions de l’intervenant comme tendant, en substance, au rejet du recours [voir arrêt du 13 décembre 2016, Apax Partners/EUIPO – Apax Partners Midmarket (APAX), T‑58/16, non publié, EU:T:2016:724, point 15 et jurisprudence citée].

 Sur la recevabilité des preuves présentées à l’audience

15      Lors de l’audience, la requérante a présenté de nouvelles preuves, consistant en :

–        premièrement, une impression du résultat de l’hyperlien mentionné par l’intervenant au point 64 de son mémoire exposant les motifs du recours déposé devant la chambre de recours, afin de démontrer qu’il ne correspondait pas au résultat que l’intervenant avait produit en tant que pièce supplémentaire no 1 devant la chambre de recours ;

–        deuxièmement, un document reprenant des factures émises par le prédécesseur en droit de l’intervenant à des clients établis en Espagne, en France ainsi qu’en Italie et déposées par ce dernier devant la division d’annulation, dans lequel certains éléments ont été surlignés ou encadrés par la requérante ;

–        troisièmement, une facture mentionnant le signe CAPRI dans l’en-tête, émise par le prédécesseur en droit de l’intervenant ;

–        quatrièmement, une décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 20 juillet 2022 (affaire R 1879/2021-1) relative à une procédure d’opposition entre un tiers et le prédécesseur en droit de l’intervenant.

16      Les parties ont été invitées à se prononcer sur la recevabilité et sur le contenu de ces preuves lors de l’audience. La requérante a fait valoir, en substance, que la présentation de ces preuves était justifiée dans les circonstances de l’espèce. L’EUIPO et l’intervenant ont soutenu qu’elles étaient tardives et en tout état de cause non probantes.

17      À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, les preuves et les offres de preuve doivent être présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. En vertu de l’article 85, paragraphe 3, du même règlement, à titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

18      En l’espèce, les deux premières preuves présentées sont des documents établis par la requérante, déposés en vue de contester l’authenticité d’éléments de preuve produits par l’intervenant durant la procédure devant l’EUIPO.

19      Or, de telles pièces ne sauraient être admises à ce stade, la requérante n’ayant fait valoir aucun argument convaincant permettant de justifier le retard apporté à leur présentation. Elles sont dès lors irrecevables.

20      Cela étant, il convient de préciser, s’agissant de la deuxième preuve déposée, qui consiste en une compilation, à des fins de comparaison, de plusieurs factures émises par le prédécesseur en droit de l’intervenant, que l’irrecevabilité de cette nouvelle pièce n’affecte en rien la prise en compte, par le Tribunal, des factures en cause qui, comme l’a reconnu l’EUIPO lors de l’audience, font partie intégrante du dossier de l’EUIPO.

21      En ce qui concerne la troisième preuve déposée, il s’agit d’une facture établie par le prédécesseur en droit de l’intervenant, mentionnant le signe CAPRI dans l’en-tête, et qui aurait été déposée, selon la requérante, dans le cadre d’une autre procédure devant l’EUIPO, relative à la marque de l’Union européenne figurative CAPRI et clôturée par une décision de la division d’annulation du 27 mai 2013 (affaire 6339 C).

22      Selon la requérante, cette facture permet de réfuter la conclusion de la chambre de recours selon laquelle les chemises listées dans les factures produites par l’intervenant, mentionnant la marque CAMEL dans leur en-tête, sont des chemises arborant ladite marque, car la nouvelle facture produite montrerait que les mêmes produits, référencés sous le mode code produit no 62052000, ont été revendiqués comme arborant la marque CAPRI dans l’autre procédure.

23      L’argumentation de la requérante avancée lors de l’audience pour justifier le dépôt tardif de cette preuve ne saurait prospérer.

24      En effet, celle-ci a indiqué, en substance, qu’elle avait réalisé que les mêmes produits étaient revendiqués comme arborant la marque CAPRI dans l’autre procédure, après avoir pris connaissance du point 44 du mémoire en défense, dans lequel l’EUIPO fait référence au code produit no 62052000 figurant sur certaines factures de la marque CAMEL produites par l’intervenant durant la procédure devant l’EUIPO. Toutefois, au point 44 dudit mémoire, l’EUIPO n’a fait que décrire des éléments qui figuraient déjà dans le dossier de la procédure administrative et sur lesquels la requérante aurait pu prendre position antérieurement.

25      Enfin, en ce qui concerne la quatrième pièce déposée, elle ne constitue pas une preuve proprement dite, au sens notamment de l’article 85 du règlement de procédure, mais concerne la pratique décisionnelle de l’EUIPO, à laquelle, même si ladite pratique est postérieure à la procédure devant l’EUIPO, comme c’est le cas en l’espèce, une partie a le droit de se référer pour la première fois lors de l’audience [voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2018, Crocs/EUIPO – Gifi Diffusion (Chaussures), T‑651/16, non publié, EU:T:2018:137, point 17, et du 24 mars 2021, Lego/EUIPO – Delta Sport Handelskontor (Élément de construction d’une boîte de jeu de construction), T‑515/19, non publié, EU:T:2021:155, point 21 et jurisprudence citée].

26      Pour ces raisons, il convient de conclure que la présentation des trois premiers éléments de preuve produits par la requérante lors de l’audience est intervenue tardivement au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure et que la décision de l’EUIPO produite en tant que quatrième élément de preuve est recevable.

 Sur le fond 

27      La requérante soulève deux moyens à l’appui du recours.

28      Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), en ce que la chambre de recours aurait accepté à tort les éléments de preuve produits par l’intervenant pour la première fois au stade du recours.

29      Le second moyen est tiré d’une violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement, en ce que la chambre de recours aurait commis des erreurs dans l’examen des arguments et des éléments de preuve produits pour apprécier l’usage sérieux de la marque contestée.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625

30      La requérante soutient que la chambre de recours a accepté à tort les éléments de preuve produits par l’intervenant pour la première fois au stade du recours.

31      L’EUIPO et l’intervenant concluent au rejet du premier moyen.

32      À cet égard, il ressort du dossier de la procédure devant l’EUIPO que, dans le cadre de son recours contre la décision de la division d’annulation ayant prononcé la déchéance de la marque contestée, l’intervenant a déposé un mémoire exposant les motifs de son recours ainsi que des annexes (voir point 8 ci-dessus). Il est constant entre les parties que ces annexes contiennent des éléments de preuve produits par l’intervenant pour la première fois devant la chambre de recours.

33      Selon l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, l’EUIPO « peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile ».

34      Il découle du libellé dudit article que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation, en application des dispositions du même règlement, et qu’il n’est nullement interdit à l’EUIPO de tenir compte de faits et de preuves ainsi tardivement invoqués ou produits [arrêts du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 42 ; du 19 avril 2018, EUIPO/Group, C‑478/16 P, non publié, EU:C:2018:268, point 34, et du 2 juin 2021, Franz Schröder/EUIPO – RDS Design (MONTANA), T‑854/19, EU:T:2021:309, point 24].

35      En précisant que l’EUIPO « peut », en pareil cas, décider de ne pas tenir compte de telles preuves, l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 l’investit en effet d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre celles-ci en compte (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 43 ; du 24 janvier 2018, EUIPO/European Food, C‑634/16 P, EU:C:2018:30, point 56, et du 2 juin 2021, MONTANA, T‑854/19, EU:T:2021:309, point 25).

36      Par ailleurs, l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 encadre l’exercice du pouvoir d’appréciation prévu à l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, en ce qui concerne les faits invoqués et les preuves produites pour la première fois devant la chambre de recours. En effet, cette disposition prévoit ce qui suit :

« Conformément à l’article 95, paragraphe 2, du règlement […] 2017/1001, la chambre de recours peut accepter des faits invoqués ou des preuves produites pour la première fois devant elle uniquement si ces faits ou preuves répondent aux exigences suivantes :

a)      ils semblent, à première vue, pertinents pour l’issue de l’affaire ; et

b)      ils n’ont pas été présentés en temps utile pour des raisons valables, en particulier lorsqu’ils viennent uniquement compléter des faits et preuves pertinents qui avaient déjà été soumis en temps utile, ou sont déposés pour contester les conclusions tirées ou examinées d’office par la première instance dans la décision objet du recours. »

37      En premier lieu, la requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur en considérant que l’exigence posée par l’article 27, paragraphe 4, sous b), du règlement délégué 2018/625 pour accepter ces preuves produites pour la première fois devant elle était satisfaite, à savoir que les éléments de preuve en cause pouvaient être considérés comme « complémentaires » au regard des éléments de preuve déjà déposés, au sens de cette disposition.

38      La requérante fait valoir, à cet égard, que la division d’annulation a considéré la mention de la marque contestée sur l’en-tête des factures produites comme insuffisante pour prouver l’usage sérieux de cette marque, dans la mesure où, d’une part, aucun lien ne pouvait être établi entre ladite marque et les produits figurant sur les factures et, d’autre part, les autres preuves produites ne contribuaient pas à prouver un tel lien. Dans ces circonstances, selon la requérante, les éléments de preuve supplémentaires produits par l’intervenant, pour pouvoir être qualifiés de complémentaires au sens de l’article 27, paragraphe 4, sous b), du règlement délégué 2018/625, auraient dû se focaliser sur la preuve du lien entre la marque contestée et les produits répertoriés dans les factures.

39      À cet égard, il convient de relever que, en l’espèce, l’intervenant a produit, dans le délai imparti par l’EUIPO, divers éléments de preuve, visés au point 6 ci-dessus, destinés à établir l’usage de la marque contestée, qui consistaient en plusieurs centaines de factures émises par son prédécesseur en droit entre 2014 et 2018 à l’attention de clients situés en Espagne, en France et en Italie (pièces no 1 à 7) ; en des factures émises entre 2014 et 2018 par des sociétés tierces à l’attention du prédécesseur en droit de l’intervenant pour l’achat d’étiquettes arborant la marque contestée, destinées à être apposées sur des vêtements (pièce no 8), d’étiquettes de prix (pièce no 9) et de boîtes (pièce no 10) ; ainsi qu’en la photographie d’une chemise portant une étiquette CAMEL et une impression non datée tirée d’un site Internet du prédécesseur en droit de l’intervenant montrant six chemises portant une étiquette CAMEL (pièce no 11).

40      La division d’annulation a considéré que les preuves produites étaient insuffisantes pour établir l’usage sérieux de la marque contestée. Elle a donc prononcé la déchéance de cette marque pour tous les produits pour lesquels elle avait été enregistrée.

41      Dans le cadre du recours qu’il a introduit contre la décision de la division d’annulation, l’intervenant a produit, en annexes à son mémoire exposant les motifs du recours, les éléments additionnels visés au point 8 ci-dessus, qui consistent en une impression datée tirée du site Internet de son prédécesseur en droit montrant six chemises portant une étiquette CAMEL (pièce supplémentaire no 1), en diverses déclarations de tiers (pièces supplémentaires no 2 à 6) et en des factures émises par le prédécesseur en droit de l’intervenant pour la vente de produits relevant d’autres marques dont il est titulaire, afin d’illustrer la pratique commerciale de ce dernier consistant à émettre des factures distinctes pour chacune de ses marques (pièces supplémentaires no 7 à 10).

42      Ces éléments de preuve supplémentaires produits devant la chambre de recours s’ajoutent à ceux déjà produits devant la division d’annulation. Ils visaient à répondre aux constatations de la division d’annulation quant au caractère insuffisant de la preuve de l’usage sérieux de la marque contestée. Dès lors, non seulement ces éléments de preuve se révélaient pertinents pour la solution du litige, mais ils pouvaient valablement compléter les preuves déjà produites au sens de l’article 27, paragraphe 4, sous b), du règlement délégué 2018/625. C’est donc à juste titre que la chambre de recours a considéré que les exigences prévues par cette disposition étaient remplies.

43      Le premier argument de la requérante doit ainsi être rejeté.

44      En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la chambre de recours n’a pas fourni de motivation, dans la décision attaquée, quant à la manière dont elle a concrètement exercé son pouvoir d’appréciation pour admettre les éléments de preuve déposés par l’intervenant pour la première fois au stade du recours.

45      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Cette obligation de motivation a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE, selon laquelle le raisonnement de l’auteur de l’acte doit apparaître de façon claire et non équivoque. Elle a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, EU:C:2004:649, points 63 à 65).

46      S’agissant, en particulier, de la situation dans laquelle l’EUIPO décide ou non de tenir compte de faits invoqués ou d’éléments de preuve produits tardivement, il a été souligné, dans la jurisprudence, que l’éventuelle prise en compte par l’EUIPO desdits faits ou éléments de preuve ne constitue en aucune manière une « faveur » accordée à l’une ou à l’autre partie, mais doit incarner le résultat d’un exercice objectif et motivé du pouvoir d’appréciation, dont l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 investit cet organisme, la motivation ainsi requise s’avérant d’autant plus nécessaire lorsque l’EUIPO décide d’écarter des preuves ainsi tardivement produites [voir arrêt du 24 septembre 2019, Pink Lady America/OCVV – WAAA (Cripps Pink), T‑112/18, EU:T:2019:679, point 100 et jurisprudence citée].

47      En l’espèce, conformément à la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus, la chambre de recours a exposé les raisons pour lesquelles elle a considéré qu’il y avait lieu de prendre en compte les éléments de preuve supplémentaires déposés par l’intervenant au stade du recours aux fins de rendre la décision qu’elle était appelée à prendre.

48      En effet, au point 20 de la décision attaquée, après avoir cité les dispositions de l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 et de l’article 27, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 et décrit les nouveaux éléments de preuve produits, la chambre de recours a indiqué que les conditions permettant l’acceptation de preuves produites tardivement étaient réunies, car :

–        les éléments produits avaient trait à l’usage sérieux et aux autres exigences prévues par l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 ;

–        les éléments produits étaient complémentaires au regard des documents déposés devant la division d’annulation ;

–        ces éléments de preuve complémentaires semblaient à première vue pertinents pour l’issue du litige.

49      Au point 21 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que rien ne suggérait, par ailleurs, une négligence ou des tactiques dilatoires de la part de l’intervenant, étant donné que les deux parties avaient déjà produit certains éléments de preuve au cours de la procédure devant la division d’annulation.

50      Le deuxième argument de la requérante doit ainsi être rejeté.

51      En troisième lieu, la requérante invoque un manque de diligence de l’intervenant, qui aurait dû empêcher la chambre de recours d’exercer son pouvoir d’appréciation en faveur de cette partie. Dans ce cadre, premièrement, elle relève que l’intervenant a déposé les éléments de preuve supplémentaires pour la première fois devant la chambre de recours, soit largement après le délai imparti initialement par l’EUIPO pour fournir la preuve de l’usage. Deuxièmement, elle soutient que l’intervenant a également omis de les présenter dans ses observations déposées le 15 novembre 2019 devant la division d’annulation. Aucune explication n’aurait, par ailleurs, été fournie par l’intervenant pour expliquer les raisons du dépôt tardif des éléments de preuve supplémentaires.

52      À cet égard, il convient de relever que l’allégation de la requérante selon laquelle l’intervenant n’aurait pas expliqué la raison pour laquelle il n’avait pas présenté dans le délai imparti les éléments de preuve produits pour la première fois devant la chambre de recours ne saurait prospérer.

53      En effet, l’intervenant a expliqué, concomitamment au dépôt des éléments de preuve supplémentaires devant la chambre de recours, qu’il se trouvait dans une situation où il avait dû procéder à la collecte et à la présentation des preuves de l’usage devant la division d’annulation quelques mois seulement après avoir acquis la marque contestée.

54      Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que l’intervenant ait abusé des délais impartis en recourant sciemment à des tactiques dilatoires ou en faisant manifestement preuve de négligence. Celui-ci s’est borné à produire des pièces complémentaires après que les éléments de preuve qu’il avait initialement produits ont été jugés insuffisants par la division d’annulation [voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Stayer Ibérica/OHMI – Korporaciya « Masternet » (STAYER), T‑254/13, non publié, EU:T:2015:362, point 42].

55      Le troisième argument de la requérante doit ainsi être rejeté et, partant, le premier moyen dans son intégralité.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement

56      La requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur en prenant pour acquis une simple supposition, à savoir que les produits répertoriés dans les factures déposées par l’intervenant étaient des produits visés par la marque contestée. La mention de la marque contestée sur l’en-tête des factures ne suffirait pas, à elle seule, à prouver l’usage sérieux de ladite marque. Selon la requérante, d’autres éléments de preuve permettant de corroborer le lien entre les produits répertoriés dans les factures et la marque contestée auraient dû être  produits par l’intervenant. Cependant, les autres éléments de preuve produits par cette partie ne permettraient pas de démontrer ce lien.

57      La chambre de recours aurait par ailleurs commis plusieurs erreurs dans l’appréciation des éléments de preuve présentés par les parties. Notamment, elle n’aurait pas mis en balance certaines pièces présentées par l’intervenant avec le rapport d’enquête que la requérante a produit devant la division d’annulation et qui jetterait des doutes sur les preuves fournies par l’intervenant. La chambre de recours ne ferait même pas référence à ce rapport dans la décision attaquée, alors qu’elle aurait dû confronter l’ensemble des pièces pour évaluer leur force probante.

58      L’EUIPO conclut au rejet de l’argumentation de la requérante. L’intervenant considère le second moyen comme étant irrecevable et, à titre subsidiaire, comme étant non fondé.

–       Sur la recevabilité du second moyen

59      L’intervenant fait valoir, en substance, que, par le second moyen, la requérante tente d’obtenir du Tribunal qu’il procède à un nouvel examen des preuves produites devant la chambre de recours aux fins de prouver l’usage sérieux de la marque contestée, ce qui serait irrecevable.

60      À cet égard, il convient de relever que, en vertu de l’article 72, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, le recours contre les décisions des chambres de recours est ouvert, notamment, pour violation de ce règlement.

61      Or, comme il est indiqué au point 29 ci-dessus, le second moyen est tiré de la violation d’une disposition du règlement 2017/1001, à savoir l’article 58, paragraphe 1, sous a), lu conjointement avec l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement.

62      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, dans le cadre de l’article 72, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, le Tribunal est appelé à apprécier la légalité des décisions des chambres de recours en contrôlant l’application du droit de l’Union effectuée par celles-ci eu égard, notamment, aux éléments de fait qui ont été soumis auxdites chambres (arrêt du 18 décembre 2008, Les Éditions Albert René/OHMI, C‑16/06 P, EU:C:2008:739, point 38, et ordonnance du 28 mars 2011, Herhof/OHMI, C‑418/10 P, non publiée, EU:C:2011:187, point 47).

63      En particulier, le Tribunal est habilité à se livrer à un entier contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO, au besoin en recherchant si ces chambres ont donné une qualification juridique exacte aux faits du litige ou si l’appréciation des éléments de fait qui ont été soumis auxdites chambres n’est pas entachée d’erreurs (arrêt du 18 décembre 2008, Les Éditions Albert René/OHMI, C‑16/06 P, EU:C:2008:739, point 39).

64      Partant, contrairement à ce que l’intervenant soutient, la requérante est en droit de demander au Tribunal d’examiner, dans le cadre de son contrôle entier de la légalité de la décision attaquée, les éléments de preuve qui ont été soumis par les parties devant l’EUIPO afin de vérifier si la chambre de recours les a pris suffisamment en considération et a correctement apprécié leur pertinence et leur valeur probante respective et si, sur cette base, elle a conclu, à bon droit, que l’usage sérieux de la marque contestée avait été établi [voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Holzer y Cia/EUIPO – Annco (ANN TAYLOR et AT ANN TAYLOR), T‑3/18 et T‑4/18, EU:T:2019:357, point 30].

65      Pour ces raisons, le second moyen est recevable.

–       Sur le bien-fondé du second moyen

66      Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, le titulaire d’une marque de l’Union est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’EUIPO, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et s’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.

67      En ce qui concerne les critères d’appréciation de l’usage sérieux, en vertu de l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué 2018/625, applicable aux procédures de déchéance conformément à l’article 19, paragraphe 1, de ce même règlement, la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque contestée.

68      Il convient de rappeler que, dans le cadre d’une procédure de déchéance d’une marque, c’est au titulaire de cette dernière qu’il incombe, en principe, d’établir l’usage sérieux de ladite marque (voir arrêt du 23 janvier 2019, Klement/EUIPO, C‑698/17 P, non publié, EU:C:2019:48, point 57 et jurisprudence citée).

69      À cet égard, il ressort de la jurisprudence qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits et des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque [voir arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, EU:T:2004:225, point 39 et jurisprudence citée].

70      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque [voir arrêt du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 40 et jurisprudence citée].

71      Pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque contestée, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 42 et jurisprudence citée).

72      Enfin, l’usage sérieux d’une marque ne peut être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [voir arrêt du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, EU:T:2004:292, point 28 et jurisprudence citée].

73      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner le second moyen.

74      À titre liminaire, il importe de rappeler que la marque contestée a été enregistrée le 23 octobre 2003 et que la demande en déchéance a été déposée le 19 novembre 2018. Par conséquent, la marque contestée étant enregistrée depuis plus de cinq ans à la date de dépôt de ladite demande, l’intervenant devait prouver l’usage sérieux de cette marque pour les produits pour lesquels elle était enregistrée au cours des cinq années précédant la date de ce dépôt, à savoir du 19 novembre 2013 au 18 novembre 2018 inclus (ci-après la « période pertinente »).

75      Cela étant précisé, il convient d’examiner si, comme le prétend la requérante, les éléments de preuve que l’intervenant a produits ne pouvaient pas être considérés comme suffisants pour démontrer un usage sérieux de la marque contestée durant la période pertinente pour les « chemises » relevant de la classe 25.

76      La plus grande partie des éléments de preuve déposés par l’intervenant concernent des factures comportant sur leur en-tête la marque contestée, renvoyant à des ventes de vêtements listés dans chaque facture. Ont ainsi été produites :

–        161 factures adressées à des clients situés en Italie concernant des commandes effectuées en 2014 (pièce no 1) ; 119 factures pour l’année 2015 (pièce no 2) ; 145 factures pour l’année 2016 (pièce no 3) ; 163 factures pour l’année 2017 (pièce no 4) et 174 factures pour l’année 2018 (pièces no 5, 5 bis et 5 ter) ;

–        42 factures adressées à des clients situés en Espagne pour des commandes effectuées de 2014 à 2018 (pièce no 6) ;

–        5 factures adressées à des clients situés en France pour des commandes effectuées de 2014 à 2018 (pièce no 7).

77      Or, sur ces éléments de preuve, premièrement, la requérante fait valoir qu’il n’a pas été démontré à suffisance par l’intervenant que les produits répertoriés dans ces factures étaient des produits visés par la marque contestée. Selon la requérante, l’intervenant aurait dû fournir des catalogues, des listes de prix, des photographies de produits arborant la marque contestée portant l’une des références indiquées dans les factures produites ou d’autres moyens de preuve qui auraient pu permettre de recouper les références des produits répertoriés dans les factures avec les références des produits visés par la marque contestée. Lors de l’audience, la requérante a fait valoir que, en considérant que l’usage sérieux de la marque contestée était établi sur la base de telles factures, en l’absence d’autres éléments de preuve tels que ceux visés ci-dessus, la chambre de recours s’était écartée de sa pratique décisionnelle reflétée dans la décision du 22 juillet 2022 adoptée par la première chambre de recours (affaire R 1879/2021-1), visée au point 15, quatrième tiret, ci-dessus.

78      À cet égard, il convient de relever que, comme l’a indiqué l’EUIPO, le seul fait que des factures ne comportent pas la marque en cause à côté du nom de chacun des produits qui y sont listés ne suffit pas à priver celles-ci de toute pertinence. En effet, les factures sont destinées à reprendre la liste des produits vendus, de sorte que doit y figurer essentiellement le nom de l’article concerné, accompagné le cas échéant d’une référence [arrêt du 16 septembre 2013, Avery Dennison/OHMI – Dennison-Hesperia (AVERY DENNISON), T‑200/10, non publié, EU:T:2013:467, point 43 ; voir, également, arrêt du 5 octobre 2017, Versace 19.69 Abbigliamento Sportivo/EUIPO – Gianni Versace (VERSACCINO), T‑337/16, non publié, EU:T:2017:692, point 43 et jurisprudence citée].

79      Toutefois, pour que de telles factures puissent constituer des éléments de preuve pertinents de l’usage de la marque contestée par rapport aux produits pour lesquels elle a été enregistrée, il faut qu’elles concernent effectivement lesdits produits et qu’il soit établi que ces derniers étaient revêtus de la marque contestée ou, du moins, que cette dernière était utilisée, conformément à sa fonction essentielle, publiquement et vers l’extérieur, pour la vente desdits produits aux consommateurs (voir arrêt du 5 octobre 2017, VERSACCINO, T‑337/16, non publié, EU:T:2017:692, point 44 et jurisprudence citée).

80      À cet égard, tout d’abord, il convient de relever que, comme l’a indiqué la chambre de recours au point 58 de la décision attaquée, les nombreuses factures figurant aux pièces no 1 à 7, qui remontent à la période pertinente et concernent des ventes effectuées dans trois États membres (Espagne, France et Italie), portent effectivement sur des « chemises », à savoir des produits relevant de la classe 25 pour lesquels la marque contestée a été enregistrée.

81      Par ailleurs, l’intervenant a expliqué, devant la chambre de recours, en produisant les pièces supplémentaires no 7 à 9, que la pratique commerciale de son prédécesseur en droit consistait à émettre des factures distinctes pour chacune de ses lignes de produits et que, dans chaque facture, le signe mentionné à gauche dans l’en-tête faisait référence à tous les produits indiqués sur la facture, tandis que les indications figurant dans la partie droite correspondaient au nom commercial et aux coordonnées du prédécesseur en droit de l’intervenant.

82      Ainsi, les factures produites par l’intervenant, accompagnées des éléments complémentaires apportés par ce dernier pour démontrer la pratique commerciale du groupe en ce qui concerne les mentions figurant dans ces factures et considérées avec les autres éléments de preuve apportés par l’intervenant, tels que la photographie et les impressions tirées du site Internet (pièce no 11 et pièce supplémentaire no 1), pouvaient permettre à la chambre de recours, dans le cadre de l’appréciation globale visée au point 71 ci-dessus, de faire le lien entre la marque contestée apparaissant en haut à gauche de ces documents et tous les produits répertoriés dans lesdites factures.

83      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’intervenant aurait dû fournir des catalogues, des listes de prix, des photographies de produits arborant la marque contestée portant l’une des références indiquées dans les factures produites ou d’autres moyens de preuve qui auraient pu permettre de recouper les références des produits répertoriés dans les factures avec les références des produits de la marque contestée, il convient de relever que l’article 10 du règlement délégué 2018/625 donne des exemples de preuves acceptables en mentionnant les emballages, étiquettes, barèmes de prix, catalogues, factures, photographies, annonces dans les journaux et déclarations écrites. Il ne saurait ainsi être exigé du titulaire de la marque contestée qu’il produise, dans tous les cas, chacun des éléments de preuve mentionnés comme exemples dans ladite disposition.

84      Enfin, il convient de relever que la décision de la première chambre de recours du 22 juillet 2022 (affaire R 1879/2021-1) invoquée par la requérante ne permet pas d’identifier une quelconque pratique décisionnelle des chambres de recours de l’EUIPO refusant d’admettre l’usage sérieux d’une marque en l’absence d’éléments de preuve tels que des catalogues, des listes de prix et des photographies des produits. La requérante n’a pas indiqué le passage de cette décision qui pourrait soutenir une telle thèse. Par ailleurs, le fait que, dans cette affaire, le titulaire de la marque antérieure, pour démontrer l’usage sérieux de sa marque, avait produit des factures, mais également d’autres éléments de preuve tels que des listes de prix et des articles de journaux, ne permet pas de déduire de ladite décision que de tels éléments devraient être produits dans chaque cas. En tout état de cause, il convient de relever que, selon la jurisprudence, l’EUIPO est appelé à décider en fonction des circonstances de chaque cas d’espèce, n’étant pas lié par des décisions antérieures prises dans d’autres affaires. En effet, la légalité des décisions de la chambre de recours doit être appréciée uniquement sur le fondement du règlement 2017/1001 et non sur celui d’une pratique décisionnelle antérieure à celles-ci. En outre, dans le cadre de son contrôle de légalité, le Tribunal n’est pas lié par la pratique décisionnelle de l’EUIPO [voir arrêt du 15 décembre 2015, LTJ Diffusion/OHMI – Arthur et Aston (ARTHUR & ASTON), T‑83/14, EU:T:2015:974, point 39 et jurisprudence citée].

85      Le premier grief de la requérante doit ainsi être rejeté.

86      Deuxièmement, la requérante soutient que les factures concernant le territoire italien sont essentiellement adressées à des entreprises, et non à des consommateurs finaux, et qu’elles n’établiraient donc pas que les produits qui y sont répertoriés ont été proposés à la vente aux consommateurs finaux.

87      À cet égard, il convient de relever que l’usage sérieux de la marque suppose que celle-ci soit utilisée publiquement et vers l’extérieur, et pas seulement au sein de l’entreprise concernée. La protection de la marque et les effets que son enregistrement rend opposables aux tiers ne sauraient perdurer si la marque perdait sa raison d’être commerciale, consistant à créer ou à conserver un débouché pour les produits ou les services portant le signe qui la constitue, par rapport aux produits ou aux services provenant d’autres entreprises. L’usage de la marque doit ainsi porter sur des produits et des services qui sont déjà commercialisés ou dont la commercialisation, préparée par l’entreprise en vue de la conquête d’une clientèle, notamment dans le cadre de campagnes publicitaires, est imminente. Un tel usage peut être le fait tant du titulaire de la marque que d’un tiers autorisé à utiliser la marque (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 37).

88      Cependant, l’usage extérieur d’une marque n’équivaut pas nécessairement à un usage orienté vers les consommateurs finaux. L’usage effectif de la marque se rapporte au marché sur lequel le titulaire de celle-ci exerce ses activités commerciales et sur lequel il espère exploiter sa marque. Ainsi, considérer que l’usage extérieur d’une marque, au sens de la jurisprudence, consiste nécessairement en un usage orienté vers les consommateurs finaux reviendrait à exclure les marques utilisées dans les seuls rapports entre les sociétés de la protection du règlement 2017/1001. En effet, le public pertinent auquel les marques ont vocation à s’adresser ne comprend pas uniquement les consommateurs finaux, mais également des spécialistes, des clients industriels et d’autres utilisateurs professionnels [voir arrêt du 10 novembre 2021, AC Milan/EUIPO – InterES (ACM 1899 AC MILAN), T‑353/20, non publié, EU:T:2021:773, point 26 et jurisprudence citée].

89      Dans un marché tel que celui de l’Union, afin de créer ou de préserver des débouchés pour des produits tels que ceux en cause en l’espèce, il est courant – voire nécessaire, lorsqu’un fabricant de tels produits ne dispose pas d’un circuit de distribution propre – de s’adresser, par des actes commerciaux, à des professionnels du secteur, à savoir, notamment, à des revendeurs. Ainsi, il ne saurait par principe être exclu que l’usage d’une marque démontré par des actes commerciaux adressés uniquement à des professionnels du secteur concerné puisse être considéré comme étant un usage conforme à la fonction essentielle de la marque, au sens de la jurisprudence citée au point 69 ci-dessus [arrêt du 7 juillet 2016, Fruit of the Loom/EUIPO – Takko (FRUIT), T‑431/15, non publié, EU:T:2016:395, point 50].

90      Il résulte des considérations qui précèdent que les factures produites à titre d’éléments de preuve de l’usage de la marque contestée, destinées à différentes entreprises établies en Italie, ne peuvent être écartées du seul fait qu’elles ne sont pas adressées à des consommateurs finaux.

91      Le deuxième grief de la requérante doit ainsi être rejeté.

92      Troisièmement, la requérante allègue que les factures relatives à l’Espagne sont adressées à la même entreprise, Detecami SAU, qui fait partie du groupe du prédécesseur en droit de l’intervenant, ce qui ne permettrait pas de démontrer des ventes externes.

93      L’EUIPO allègue que les factures adressées à Detecami ne sauraient être ignorées. Conformément à la jurisprudence, lorsque des produits sont fabriqués par le titulaire de la marque, mais qu’ils sont mis ensuite sur le marché par des distributeurs au niveau du commerce de gros ou de détail, cette pratique devrait être considérée comme un usage de la marque.

94      À cet égard, il convient de relever que les factures produites pour le territoire espagnol en tant que pièce no 6 sont adressées à Detecami, une société faisant partie du groupe de sociétés du prédécesseur en droit de l’intervenant, ce qui n’a été contesté ni par l’EUIPO ni par l’intervenant.

95      Il ressort de la jurisprudence invoquée par l’EUIPO que les factures produites par une partie, adressées par elle à une société de distribution faisant partie du même groupe, qui apparaissent authentiques et sincères ne doivent pas être écartées lorsqu’il ressort du dossier que les produits en cause, fabriqués par le titulaire de la marque et facturés par lui à la société de distribution en question, sont écoulés par celle-ci sur le marché. Il s’agit là d’un mode d’organisation commerciale courant dans la vie des affaires, impliquant un usage de la marque qui ne saurait être considéré comme étant un usage purement interne par un groupe de sociétés, dès lors que la marque est également utilisée vers l’extérieur et publiquement. Dans un tel contexte, l’usage de la marque d’une société de production par une société de distribution économiquement liée à celle-ci est présumé être un usage de ladite marque fait avec le consentement du titulaire et est donc à considérer comme fait par le titulaire, conformément à l’article 18, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 [arrêts du 17 février 2011, J & F Participações/OHMI – Plusfood Wrexham (Friboi), T‑324/09, non publié, EU:T:2011:47, point 32, et du 5 mars 2020, Dekoback/EUIPO – DecoPac (DECOPAC), T‑80/19, non publié, EU:T:2020:81, point 53].

96      S’agissant des éléments du dossier qui permettent d’établir que les produits en cause sont écoulés par la société de distribution liée au titulaire de la marque, le Tribunal a relevé, dans l’arrêt du 17 février 2011, Friboi (T‑324/09, non publié, EU:T:2011:47, point 32), que « les brochures permettent de constater que les produits en cause, fabriqués par l’intervenante et facturés par elle à la société de distribution faisant partie du même groupe, sont écoulés par celle-ci sur le marché ». Dans le même sens, dans l’arrêt du 5 mars 2020, DECOPAC (T‑80/19, non publié, EU:T:2020:81, point 53), le Tribunal a relevé ce qui suit :

« [L]es 78 factures portant l’en-tête “DECOPAC” envoyées par DecoPac à Culpitt (pièce 13, voir point 9 ci-dessus) permettent de déduire, à la lumière des autres éléments de preuve soumis, dont les extraits des catalogues de Culpitt cités au point 52 ci-dessus, les déclarations sous serment du directeur général de DecoPac (pièces 1, 25 et 26) et les photos des emballages des décorations comestibles et non comestibles (pièces 6, 21 et 22), que les produits concernés, livrés par DecoPac et facturés par elle à la société de distribution faisant partie du même groupe, sont écoulés par cette dernière sur le marché de l’Union. »

97      En l’espèce, en revanche, ainsi que l’a confirmé l’intervenant lors de l’audience, aucun élément du dossier ne fait apparaître que des ventes de produits visés par la marque contestée, fabriqués par le prédécesseur en droit de l’intervenant et facturés par lui à Detecami, ont été écoulés par cette dernière sur le marché, impliquant ainsi un usage de la marque qui ne saurait être considéré comme étant un usage purement interne par un groupe de sociétés dès lors que la marque est également utilisée vers l’extérieur et publiquement.

98      Eu égard à cette constatation, le Tribunal considère que le troisième grief est fondé, la chambre de recours ayant commis une erreur en ce qui concerne l’appréciation de la valeur probante des factures de vente de vêtements relatives à l’Espagne.

99      Il convient de relever, en outre, que, devant la division d’annulation, la requérante a produit un rapport d’enquête élaboré par une entreprise qui a notamment approché Detecami à Barcelone (Espagne) et interrogé l’une de ses employés ainsi que l’un de ses représentants pour le centre et le nord de l’Espagne, afin de déterminer si cette entreprise utilisait effectivement la marque contestée pour la vente de chemises.

100    Dans ce rapport, il est notamment indiqué que l’employée interrogée a déclaré que la marque contestée ne leur appartenait pas et qu’ils ne vendaient pas de produits de cette marque ; le représentant a mentionné qu’il avait connaissance d’une marque CAMEL représentée par une entreprise basée au Pays basque ; l’employée et le représentant ont tous deux connu la marque et l’ont associée à un style vestimentaire décontracté ; aucune référence à la marque contestée n’a été trouvée sur le site Internet de l’entreprise, dans les profils de l’entreprise sur les réseaux sociaux, dans les catalogues, les publicités et les étiquettes de vêtements présents au siège de l’entreprise à Barcelone ; la seule référence au signe CAMEL dans l’industrie textile correspond à la marque CAMEL ACTIVE, une marque de vêtements allemande appartenant à la requérante. Le rapport d’enquête conclut que la marque CAMEL à laquelle les deux personnes interrogées ont fait référence est la marque CAMEL ACTIVE appartenant à la requérante, étant donné qu’aucune autre preuve n’a pu être collectée pour établir à quelle marque CAMEL elles faisaient référence.

101    En réponse, l’intervenant a produit la pièce supplémentaire no 6, dans laquelle l’employée interrogée déclarait notamment que les paroles qu’elle avaient prononcées et qui étaient consignées dans le rapport d’enquête produit par la requérante avaient été sorties de leur contexte et que, employée dans cette entreprise depuis septembre 1976 et chargée de la gestion commerciale du secteur vestimentaire de l’entreprise depuis juin 2015, elle n’avait personnellement jamais dû s’occuper du marketing de la marque contestée en Espagne.

102    À cet égard, il convient de relever que la chambre de recours a indiqué, aux points 72 et 73 de la décision attaquée, qu’elle avait pris en considération le fait qu’une appréciation globale des éléments de preuve devait être effectuée en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et que, lors de cette appréciation de l’usage sérieux, elle devait examiner les éléments de preuve dans leur intégralité sans pouvoir ignorer certains d’entre eux.

103    Cependant, comme l’a fait valoir la requérante, la chambre de recours n’a indiqué nulle part dans la décision attaquée si et comment elle avait tenu compte du rapport d’enquête, tout comme elle n’a pas non plus examiné, dans le cadre de son appréciation des éléments de preuve, la déclaration produite en réponse par l’intervenant (pièce supplémentaire no 6).

104    Or, la chambre de recours était tenue de fonder sa décision au regard de tous les éléments de fait et de droit présentés par les parties durant la procédure [arrêt du 6 juin 2018, Uponor Innovation/EUIPO – Swep International (SMATRIX), T‑264/17, non publié, EU:T:2018:329, point 80].

105    En effet, en raison de la continuité fonctionnelle entre les différentes instances de l’EUIPO, dans le cadre du réexamen que les chambres de recours doivent effectuer des décisions prises par les unités de l’EUIPO statuant en première instance, elles sont tenues de fonder leur décision sur tous les éléments de fait et de droit que les parties ont fait valoir soit dans la procédure devant l’unité ayant statué en première instance, soit dans la procédure de recours [voir arrêt du 26 mars 2020, Armani/EUIPO – Asunción (le Sac 11), T‑654/18, non publié, EU:T:2020:122, point 22 et jurisprudence citée].

106    La chambre de recours était ainsi tenue de prendre en compte le rapport d’enquête invoqué par la requérante et le doute que celui-ci était susceptible de jeter sur les éléments de preuve produits par l’intervenant. Cette erreur implique que la chambre de recours a omis d’examiner un facteur potentiellement pertinent dans l’appréciation globale des éléments de preuve de l’usage de la marque contestée. En effet, toutes les factures déposées pour l’Espagne, qui sont au nombre de 42, sont adressées à Detecami. Le rapport d’enquête était donc susceptible de remettre en cause l’ensemble des factures qui ont été déposées pour démontrer l’usage sérieux de la marque contestée en Espagne, lesquelles ne sont par ailleurs étayées par aucun élément du dossier permettant de considérer que les produits y figurant, facturés par le prédécesseur en droit de l’intervenant à Detecami, ont été écoulés par cette dernière sur le marché, comme cela a été relevé aux points 94 à 98 ci-dessus.

107    Interrogé lors de l’audience sur la question de l’absence de prise en compte du rapport d’enquête en cause par la chambre de recours, l’EUIPO a invoqué l’arrêt du 29 juin 2022, bet-at-home.com Entertainment/EUIPO (bet-at-home) (T‑640/21, non publié, EU:T:2022:408), pour conclure que la chambre de recours n’était pas tenue de mentionner cet élément dans la décision attaquée.

108    Cependant, l’arrêt du 29 juin 2022, bet-at-home (T‑640/21, non publié, EU:T:2022:408) ne permet pas de modifier la conclusion tirée par le Tribunal au point 106 ci-dessus.

109    Il est vrai que, dans l’arrêt du 29 juin 2022, bet-at-home (T‑640/21, non publié, EU:T:2022:408), le Tribunal a rejeté l’argumentation de la partie requérante dans cette affaire qui soutenait que la chambre de recours avait procédé à une appréciation incomplète des faits, malgré le fait qu’il avait dans un premier temps constaté que la chambre de recours n’avait pas expressément pris position sur un argument soulevé par cette partie durant la procédure administrative, concernant la question de savoir si l’élément figuratif de la marque demandée était susceptible de conférer un caractère distinctif à cette marque.

110    Cependant, c’est après avoir relevé, au point 31 de l’arrêt du 29 juin 2022, bet-at-home (T‑640/21, non publié, EU:T:2022:408), que les faits de l’affaire contenaient une série d’indices que le Tribunal est arrivé à cette conclusion, lesquels ne sont pas présents en l’espèce.

111    En effet, premièrement, le Tribunal a relevé, aux points 24, 25 et 29 de l’arrêt du 29 juin 2022, bet-at-home (T‑640/21, non publié, EU:T:2022:408), que l’examinatrice avait analysé dans sa décision l’élément figuratif de la marque demandée, que la chambre de recours avait fait état, dans le résumé des motifs de la décision de l’examinatrice, de la position de cette dernière sur cette question, que la chambre de recours avait entériné la décision de l’examinatrice dans son intégralité et qu’elle avait donc implicitement confirmé la position de l’examinatrice relatif à l’élément figuratif et écarté les arguments de la requérante contestant cette position.

112    Or, il ne pourrait en être de même en l’espèce, la division d’annulation n’ayant fourni aucune appréciation du rapport d’enquête produit par la requérante. En effet, la division d’annulation a déclaré la déchéance de la marque contestée dans son intégralité, en se fondant essentiellement, premièrement, sur le fait que les factures produites mentionnant seulement sur leur en-tête la marque contestée ne permettaient pas d’établir que cette marque avait été utilisée conjointement avec des produits spécifiques et, deuxièmement, sur la circonstance que les autres éléments de preuve ne permettaient pas de démontrer que des produits portant la marque contestée avaient effectivement été distribués ou proposés à la vente. Dans le cadre du recours formé contre cette décision, la chambre de recours l’a partiellement annulée pour ce qui concerne les « chemises » comprises dans la classe 25, sans faire mention du rapport d’enquête.

113    Deuxièmement, le Tribunal a relevé, aux points 26 et 27 de l’arrêt du 29 juin 2022, bet-at-home (T‑640/21, non publié, EU:T:2022:408), que la chambre de recours avait fait état, dans le résumé des moyens de la requérante, de l’ensemble des arguments de la requérante, y compris celui relatif à l’élément figuratif de la marque, et qu’elle avait par ailleurs mentionné, au début de son propre raisonnement relatif au caractère non distinctif de la marque demandée, la circonstance que cette marque se composait, notamment, d’un arc vert soulignant les éléments verbaux « bet at home ». Le Tribunal a ajouté que cette description de la marque demandée montrait que la chambre de recours n’avait pas ignoré la présence de l’élément figuratif.

114    Or, en l’espèce, le rapport d’enquête et le doute que celui-ci est susceptible de jeter sur les éléments de preuve produits par l’intervenant ne sont ni mentionnés dans la décision attaquée ni examinés par la chambre de recours dans son appréciation des facteurs pertinents. Seule l’existence de la pièce supplémentaire no 6, à savoir la déclaration de l’employée de Detecami que l’intervenant a déposée en réponse à la production, par la requérante, du rapport d’enquête, est mentionnée aux points 9 et 32 de ladite décision.

115    Ainsi, en l’espèce, compte tenu des différences identifiées, il ne saurait être conclu, comme dans l’arrêt du 29 juin 2022, bet-at-home (T‑640/21, non publié, EU:T:2022:408), que la chambre de recours a pris en considération le rapport d’enquête produit par la requérante et qu’elle lui a implicitement nié toute force probante.

116    S’agissant de l’incidence des erreurs commises par la chambre de recours sur la légalité de la décision attaquée, l’EUIPO fait valoir qu’elles concerneraient uniquement les factures relatives à l’Espagne, de sorte qu’elles ne sauraient, en toute hypothèse, remettre en cause les autres factures déposées concernant d’autres clients situés dans d’autres États membres, qui constitueraient cependant la grande majorité des factures produites par l’intervenant.

117    À cet égard, il convient de relever que, en s’abstenant de prendre en considération le rapport d’enquête produit par la requérante, la chambre de recours a omis d’examiner un facteur potentiellement pertinent dans l’appréciation globale des éléments de preuve de l’usage de la marque contestée (voir point 106 ci-dessus), de surcroît, dans un contexte où aucune preuve apportée par l’intervenant ne permettait de démontrer que des ventes de produits visés par la marque contestée, fabriqués par le prédécesseur en droit de l’intervenant et facturés par lui à Detecami, avaient été écoulés par cette dernière sur le marché (voir point 97 ci-dessus).

118    Or, lorsque la chambre de recours omet d’examiner un facteur potentiellement pertinent pour son appréciation, le Tribunal ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour vérifier le bien-fondé de l’appréciation globale opérée par la chambre de recours dans la décision attaquée (voir arrêt du 6 juin 2018, SMATRIX, T‑264/17, non publié, EU:T:2018:329, point 84 et jurisprudence citée).

119    En effet, il n’est pas exclu que l’examen d’un élément de preuve au cours de la procédure devant l’EUIPO eût amené la chambre de recours à adopter une décision ayant un contenu différent de celui de la décision attaquée [arrêt du 6 juin 2018, SMATRIX, T‑264/17, non publié, EU:T:2018:329, point 85].

120    Il convient de relever, dans ce cadre, que l’étendue territoriale de l’usage constitue également l’une des composantes de l’usage sérieux, qui doit être intégrée dans l’analyse globale à opérer par la chambre de recours et être étudiée parallèlement aux autres composantes de celui-ci [voir, en ce sens, arrêts du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 76 ; du 19 décembre 2012, Leno Merken, C‑149/11, EU:C:2012:816, point 36, et du 7 novembre 2019, Intas Pharmaceuticals/EUIPO – Laboratorios Indas (INTAS), T‑380/18, EU:T:2019:782, point 74]. Ainsi, les erreurs commises par la chambre de recours pourraient être de nature à remettre en cause sa conclusion s’agissant de l’étendue de l’usage.

121    Eu égard à ces considérations, le Tribunal considère que la chambre de recours n’a pas effectué un examen approprié de l’ensemble des facteurs pertinents et que l’examen erroné réalisé par la chambre de recours affecte la décision attaquée et constitue une base suffisante pour l’annuler, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs soulevés par la requérante.

122    Il en résulte qu’il y a lieu d’accueillir le second moyen soulevé par la requérante et d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

123    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, l’EUIPO ayant succombé, il y lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante dans le cadre de la présente instance, conformément aux conclusions de cette dernière.

124    En outre, la requérante a conclu à ce que l’EUIPO soit condamné aux dépens afférents à la procédure devant la division d’annulation et devant la chambre de recours. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Il n’en va toutefois pas de même des frais exposés aux fins de la procédure devant la division d’annulation. Partant, la demande de la requérante concernant les dépens afférents à la procédure devant la division d’annulation, qui ne constituent pas des dépens récupérables, est irrecevable. S’agissant de la demande formulée par la requérante relative aux dépens de la procédure devant la chambre de recours, il appartiendra à la chambre de recours de statuer, à la lumière du présent arrêt, sur les frais afférents à cette procédure [voir, en ce sens, arrêt du 11 février 2020, Dalasa/EUIPO – Charité – Universitätsmedizin Berlin (charantea), T‑732/18, non publié, EU:T:2020:43, point 91 et jurisprudence citée].

125    Par ailleurs, en application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenant supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 5 juillet 2021 (affaire R 1548/2020-1) est annulée dans la mesure où elle a maintenu l’enregistrement de la marque de l’Union européenne pour les « chemises ».

2)      L’EUIPO supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Worldwide Brands, Inc. Zweigniederlassung Deutschland au cours de la procédure devant le Tribunal.

3)      M. Eric Guangyu Wan supportera ses propres dépens exposés au cours de la procédure devant le Tribunal.

De Baere

Kecsmár

Kingston

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er mars 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.