Language of document : ECLI:EU:F:2014:232

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

15 octobre 2014 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Fonctionnaire à la retraite – Procédure disciplinaire – Sanction disciplinaire – Retenue sur pension – Audition du témoin à charge par le conseil de discipline – Absence d’audition du fonctionnaire concerné – Non-respect du droit d’être entendu »

Dans l’affaire F‑107/13,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

José António de Brito Sequeira Carvalho, ancien fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Lisbonne (Portugal), représenté par Mes É. Boigelot et R. Murru, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Currall et Mme C. Ehrbar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de MM. S. Van Raepenbusch, président, E. Perillo (rapporteur) et J. Svenningsen, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 25 octobre 2013, M. de Brito Sequeira Carvalho a introduit le présent recours tendant principalement à l’annulation de la décision de la Commission européenne du 14 mars 2013 de lui imposer, à titre de sanction disciplinaire, une retenue d’un tiers du montant mensuel net de sa pension pour une durée de deux ans, ainsi qu’à la condamnation de la Commission à réparer le préjudice qu’il estime avoir subi.

 Cadre juridique

2        L’article 12 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable au litige (ci-après le « statut »), dispose :

« Le fonctionnaire s’abstient de tout acte et de tout comportement qui puissent porter atteinte à la dignité de sa fonction. »

3        Aux termes de l’article 86 du statut :

« 1.      Tout manquement aux obligations auxquelles le fonctionnaire ou l’ancien fonctionnaire est tenu, au titre du présent statut, commis volontairement ou par négligence, l’expose à une sanction disciplinaire.

[…]

3.      Les règles, procédures et sanctions disciplinaires, ainsi que les règles et procédures régissant les enquêtes administratives, sont établies à l’annexe IX. »

4        L’article 4 de l’annexe IX du statut prévoit :

« Si, pour des raisons objectives, le fonctionnaire ne peut être entendu au titre des dispositions de la présente annexe, il peut être invité à formuler ses observations par écrit ou peut se faire représenter par une personne de son choix. »

5        Dans le cadre de la procédure disciplinaire devant le conseil de discipline, le fonctionnaire peut, aux termes de l’article 13, paragraphe 3, de l’annexe IX du statut, « être assisté d’une personne de son choix ».

6        L’article 16, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut dispose :

« Le fonctionnaire concerné est entendu par le conseil [de discipline] ; à cette occasion, il peut présenter des observations écrites ou verbales, personnellement ou par l’intermédiaire d’un représentant de son choix. Il peut faire citer des témoins. »

7        Conformément à l’article 18 de l’annexe IX du statut, le conseil de discipline, « [a]u vu des pièces produites devant [lui] et compte tenu des déclarations écrites ou verbales éventuelles, ainsi que des résultats de l’enquête à laquelle il a pu être procédé, […] émet à la majorité un avis motivé quant à la réalité des faits incriminés et, le cas échéant, quant à la sanction que les faits reprochés devraient selon lui entraîner. […] »

8        Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, « [a]près avoir entendu le fonctionnaire, l’autorité investie du pouvoir de nomination prend sa décision conformément aux articles 9 et 10 de la présente annexe, dans un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis du conseil [de discipline]. Cette décision doit être motivée. »

9        L’article 9, paragraphe 2, de l’annexe IX du statut prévoit que, dans le cas d’un pensionné ou d’un fonctionnaire bénéficiant d’une allocation d’invalidité, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») peut, à titre de sanction disciplinaire, décider, pour une durée déterminée, une retenue sur le montant de sa pension ou de l’allocation d’invalidité, sans que les effets de cette sanction puissent s’étendre aux ayants droit du fonctionnaire. Le revenu du fonctionnaire concerné ne peut toutefois être inférieur au minimum vital prévu à l’article 6 de l’annexe VIII du présent statut, augmenté, le cas échéant, des allocations familiales.

10      La sanction disciplinaire infligée, conformément à l’article 10 de l’annexe IX du statut, doit être, en tout état de cause, proportionnelle à la gravité de la faute commise. Pour déterminer la gravité de la faute et décider de la sanction disciplinaire, le même article impose de tenir compte notamment des critères qu’il énumère, parmi lesquels figurent, d’une part, « la nature de la faute et des circonstances dans lesquelles elle a été commise » [article 10, sous a)] et, d’autre part, « [l]es motifs ayant amené le fonctionnaire à commettre la faute » [article 10, sous d)].

 Faits à l’origine du litige

 Faits antérieurs à la décision du 24 mars 2011 par laquelle la Commission a imposé une première sanction disciplinaire au requérant

11      Fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères de la République portugaise, le requérant a été autorisé, par décision de son ministre de tutelle du 8 juillet 1988, à assumer les fonctions d’administrateur principal à la Commission.

12      Le requérant a été nommé fonctionnaire de grade A 5 à la direction générale (DG) « Environnement » le 16 juillet 1988 et a ensuite occupé divers postes à la Commission. Au moment où il a pris sa retraite en tant que fonctionnaire de l’Union européenne, le 1er mars 2012, le requérant détenait le grade AD 12 et était affecté à la DG « Développement et coopération » (ci-après la « DG ‘Développement’ »). Le 19 septembre 2012, après y avoir été dûment autorisé par la Commission au titre de l’article 16 du statut, le requérant a réintégré la fonction publique portugaise.

13      À partir de 1999, le requérant a transmis, à sa hiérarchie au sein de la Commission et à différentes autorités au sein de certains États membres de l’Union, divers rapports, études et critiques qui, bien qu’étant l’expression de ses opinions personnelles, étaient envoyés sur papier à en-tête de la Commission, entretenant ainsi une certaine confusion entre la position du requérant et celle de son institution.

14      Par note du 2 février 2001, le requérant a été informé par le directeur général de la DG « Personnel et administration », renommée par la suite DG « Ressources humaines et sécurité » (ci-après la « DG ‘Ressources humaines’ »), de l’ouverture d’une enquête administrative à son endroit pour avoir diffusé des « documents diffamatoires ». Ce courrier indiquait que Mme A, chef de l’unité « Procédures disciplinaires et administratives » de la DG « Ressources humaines », avait été mandatée pour procéder à son audition dans le cadre de ladite enquête.

15      Le 13 février 2001, Mme A a pris contact avec le requérant et prévu son audition pour le 1er mars 2001. Par une note du 12 avril 2001, le requérant a confirmé par écrit les déclarations orales faites au cours de l’audition.

16      Par courriel du même jour, le 13 février 2001, Mme A a également demandé, en faisant référence à l’enquête ouverte le 2 février 2001, un avis sur l’état de santé du requérant au médecin exerçant les fonctions de chef du service médical de la Commission. Celui-ci s’est entretenu avec le requérant le 7 mars 2001, en présence d’un second médecin, qui a, le lendemain, adressé à Mme A une note faisant état de l’« état pathologique » du requérant. Ce constat n’a pas été porté à la connaissance de l’intéressé et il ne lui a été réservé aucune suite immédiate.

17      Le 3 avril 2001, M. B, l’assistant du directeur général de la DG « Développement », a adressé une note à Mme A dans laquelle il précisait que le requérant « continu[ait] à se présenter comme [un] ‘[d]iplomate de carrière portugais’, alors qu[ʼil] lui av[ait été] rappelé à maintes reprises que [cette façon de se présenter] était incompatible avec son statut de fonctionnaire [d’une institution européenne] ».

18      Le 20 avril 2001, Mme A a eu un entretien avec le requérant pour lui rappeler ses obligations de fonctionnaire de l’Union et la nécessaire séparation de ses activités privées et professionnelles.

19      Le 24 avril 2001, Mme A a rédigé un document intitulé « Note pour le dossier » au sujet de l’état d’avancement de l’enquête ouverte le 2 février 2001, dans lequel elle mentionnait avoir consulté le service médical au sujet du requérant. Dans cette même note, Mme A indiquait que le requérant avait d’importantes difficultés à comprendre que son ancien travail au sein de la fonction publique portugaise ne l’autorisait pas à s’engager dans des activités extérieures, à l’occasion desquelles il se présentait comme étant à la fois diplomate de carrière portugais et administrateur principal à la Commission.

20      Les 19 et 31 mai 2004, le requérant a fait l’objet de deux examens médicaux, à la suite desquels il a été mis en congé de maladie d’office, pour une durée de trois mois, par décision du 18 juin 2004 (ci-après la « décision du 18 juin 2004 »). Par décisions des 22 septembre 2004, 18 mars 2005, 12 avril 2006 et 22 juin 2006, le congé de maladie a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2006.

21      Le 18 mai 2005, le requérant a adressé au secrétaire général de la Commission un document intitulé « Réclamation », dans lequel il se plaignait de ce que Mme A et M. B auraient constitué et fait usage d’un « dossier parallèle » contenant des informations fausses et tendancieuses, notamment d’ordre médical, afin de le discréditer.

22      Par arrêt du 13 décembre 2006, de Brito Sequeira Carvalho/Commission (F‑17/05, ci-après l’« arrêt du 13 décembre 2006 », EU:F:2006:132), le Tribunal a rejeté, en raison de leur tardiveté, les conclusions du requérant tendant à l’annulation de la décision du 18 juin 2004. Le Tribunal a également rejeté les conclusions tendant à faire reconnaître l’inexistence de la décision du 18 juin 2004 au motif que, si ladite décision était effectivement entachée d’irrégularités, celles-ci n’avaient pas un caractère exceptionnel d’évidence et de gravité tel que la décision devait être considérée comme étant inexistante. Ensuite, le Tribunal a estimé qu’en demandant l’annulation de tous les actes se référant, confirmant ou visant à prolonger les effets de la décision du 18 juin 2004 le requérant avait entendu contester en particulier la décision du 22 septembre 2004 prolongeant de six mois le congé de maladie d’office, ainsi que les décisions subséquentes de prolongation dudit congé. Ayant constaté plusieurs irrégularités, le Tribunal a notamment annulé la décision du 22 septembre 2004 et les décisions subséquentes de prolongation du congé de maladie d’office. Le Tribunal a rejeté les conclusions du requérant pour le surplus. En particulier, il a rejeté comme irrecevables pour non-respect de la procédure précontentieuse les conclusions du requérant tendant à la condamnation de la Commission à l’indemniser des préjudices que celle-ci lui aurait causés ainsi qu’à sa famille, d’une part, en mettant en circulation à son insu, à partir de 2001, un document le présentant comme un « malade mental » et, d’autre part, en constituant un « dossier parallèle » en vue de lui nuire. Par arrêt du 15 juin 2011, de Brito Sequeira Carvalho/Commission (F‑17/05 REV, EU:F:2011:78), le Tribunal a rejeté la demande en révision de l’arrêt du 13 décembre 2006 (EU:F:2006:132) introduite le 26 août 2010.

23      Par arrêt du 5 octobre 2009, de Brito Sequeira Carvalho et Commission/Commission et de Brito Sequeira Carvalho (T‑40/07 P et T‑62/07 P, ci-après l’« arrêt du 5 octobre 2009 », EU:T:2009:382), le Tribunal de première instance des Communautés européennes a rejeté le pourvoi du requérant contre l’arrêt du 13 décembre 2006 (EU:F:2006:132). En revanche, il a accueilli en partie le pourvoi de la Commission et a annulé l’arrêt du 13 décembre 2006 (EU:F:2006:132) dans la mesure où celui-ci avait annulé les décisions de prolongation du congé de maladie d’office subséquentes à la décision du 22 septembre 2004. Par requête déposée au greffe du Tribunal de l’Union européenne le 28 novembre 2011, le requérant a introduit une demande tendant à obtenir la révision de l’arrêt du 5 octobre 2009 (EU:T:2009:382). Cette demande a été rejetée par ordonnance du 16 avril 2012, de Brito Sequeira Carvalho/Commission (T‑40/07 P‑REV et T‑62/07 P‑REV, EU:T:2012:182).

24      Entre-temps, au début du mois de janvier 2007, le requérant a repris son travail à la Commission. Il a été déclaré apte au travail le 2 avril 2007 après avoir été examiné par l’un des médecins du service médical de la Commission.

25      Le 16 novembre 2009, le requérant a adressé un courriel à cinq personnes, dont le secrétaire général et un membre de la Commission, en mettant en copie cinq autres personnes, à savoir le président de la Commission, trois de ses collaborateurs directs et un autre membre de la Commission. Il affirmait que « [Mme A] a[vait] forgé un dossier parallèle et un processus ‘psychiatrique’ frauduleux pour [lui] porter préjudice ». Était joint à ce courriel un document intitulé « Réclamation […] » adressé par le requérant au secrétaire général de la Commission le 18 mai 2005.

26      Le 8 décembre 2009, le requérant a reçu, en réponse à une demande de sa part, un courriel du directeur de l’Office d’investigation et de discipline de la Commission (IDOC) l’informant de ce que l’IDOC ne disposait d’aucun dossier d’enquête le concernant. Ce courriel indiquait également que le dossier de l’enquête ouverte le 2 février 2001 n’avait pas reçu de suivi disciplinaire et avait, par conséquent, été détruit en 2007.

27      Le 10 février 2010, le requérant a adressé un courriel, présenté comme une réclamation introduite en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à quinze personnes, dont le président, un vice-président et plusieurs membres de la Commission, le secrétaire général de la Commission, un membre du cabinet du président de la Commission, des membres des représentations permanentes des Pays-Bas et du Portugal et le secrétaire général du Conseil de l’Union européenne, ainsi qu’en copie à deux autres personnes travaillant dans les cabinets de deux membres de la Commission. Dans ce courriel, le requérant indiquait notamment que Mme A avait « détourn[é] et transform[é] » l’enquête ouverte le 2 février 2001 en « un procès psychiatrique frauduleux visant à [l’]écarter […] par des moyens illégaux du service actif de la Commission », qu’elle avait « construit toute la cabale du procès psychiatrique [et ensuite fait] faire dispara[î]tre en marge des règles du [s]tatut […] les traces de l’enquête [ouverte le 2 février 2001] […] qui est à l’origine de cette affaire », qu’elle s’était rendue coupable de « manipulations illégales » et avait constitué et utilisé « illégalement pendant des années un dossier secret parallèle visant à porter préjudice au requérant ».

28      Par lettre du 15 février 2010, le directeur de la direction « Affaires juridiques, communication et relations avec les parties prenantes » de la DG « Ressources humaines » a informé le requérant que la Commission « n’a[vait] pas l’intention de revenir sur [l]es questions […] qu[ʼil] soulev[ait] depuis des années et pour lesquelles des réponses exhaustives [lui] [avaient] été données. Pour cette raison, même à l’avenir, d’éventuelles demandes de [sa] part concernant les mêmes sujets ne ser[aie]nt plus prises en considération ».

29      Par note du 23 février 2010, Mme A a introduit une demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut, sollicitant de la Commission son intervention auprès du requérant afin que celui-ci cesse « ses agissements abusifs à [s]on [égard] ».

30      Le 7 décembre 2010, l’AIPN a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire sans consultation du conseil de discipline à l’encontre du requérant pour « diffusion de manière répétitive d’accusations à l’encontre d[e] […] Mme [A] ».

31      Le 24 mars 2011, l’AIPN a décidé d’infliger au requérant un blâme, sanction prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous b), de l’annexe IX du statut (ci-après la « décision du 24 mars 2011 »), pour avoir manqué aux obligations de l’article 12 du statut en transmettant « [deux] courriels présentés comme des réclamations […] [le] 16 novembre 2009 et [le] 10 février 2010 à une dizaine de destinataires […] sous couvert d’informer ces derniers », contenant « des accusations portées à l’encontre de Mme [A] », lesquelles étaient la « réitération d’accusations et de réclamations ayant déjà fait l’objet d’un jugement ». Dans la décision du 24 mars 2011, il était précisé que ces courriels ne pouvaient pas être considérés comme des réclamations, car le requérant avait « agi en dehors de la pratique courante d’introduction de[s] réclamations (en termes de délais à respecter et […] de destinataires » et, enfin, que ce n’était pas la première fois que le requérant diffusait des allégations à l’encontre de Mme A « de nature à jeter le discrédit sur l’honorabilité professionnelle de [celle-ci] ».

 Faits postérieurs à la décision du 24 mars 2011 et ouverture d’une seconde procédure disciplinaire

32      Le 31 août 2011, après avoir reçu la décision, en date du 29 août 2011, rejetant la réclamation qu’il avait introduite, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision du 24 mars 2011, le requérant a envoyé un courriel à trois destinataires, dont le vice-président de la Commission, et en copie à neuf autres personnes, dont le président de la Commission, cinq membres de son cabinet et des membres de la représentation permanente du Portugal. Dans ce courriel, le requérant a réitéré ses accusations contre Mme A, estimant qu’elle avait diffusé en 2001 des « documents qu[’il] consid[érait] mensongers et calomnieux », qu’elle avait « produit et diffusé sans aucune base légale » de « [faux] documents […] sur [s]a qualité de diplomate de carrière » et qu’il s’agissait « d’affaires et de situations sur lesquels [Mme A] n’avait la moindre information ni connaissance, ni […] compétence ».

33      Par courriel du même jour, le 31 août 2011, un membre de l’unité « Recours et suivi des cas », agissant à la demande du vice-président de la Commission, a rappelé au requérant que, comme mentionné dans la décision du 29 août 2011 rejetant sa réclamation, s’il entendait contester cette décision il lui appartenait d’introduire un recours devant le Tribunal.

34      Le 5 septembre 2011, le requérant a envoyé un courriel, intitulé « Réclamation aux termes de l’article 90[, paragraphe] 2[,] du [s]tatut et du [règlement] [no] 1045/2001 » au président de la Commission, à quatre autres membres de la Commission et au secrétaire général de la Commission, ainsi qu’en copie à six autres personnes, réitérant et renforçant ses accusations contre Mme A, laquelle aurait mené en 2001 une enquête « inquisitorial[e] et discriminatoire », sur la base d’« informations erronées », issues « uniquement d[e l’]interprétation subjective » et de « malentendus cré[é]s par [Mme A] ». Cette dernière aurait, de surcroît, entendu « diffuser au sein de la Commission ‘l’information’ selon laquelle [le requérant] serai[t] atteint d’une prétendue ‘maladie mentale’ » et aurait « produit et diffusé au sein de la Commission, voire […] à l’extérieur […] [une] note du 24 avril 2001 ».

35      Le 12 octobre 2011, estimant qu’en envoyant le courriel du 5 septembre 2011 susmentionné le requérant avait « réitéré [postérieurement à la décision du 24 mars 2011] sa conduite abusive », le directeur général de la DG « Ressources humaines » a décidé, en sa qualité d’AIPN, qu’il y avait lieu de procéder à l’audition préalable du requérant au titre de l’article 3 de l’annexe IX du statut et a donné mandat à l’IDOC à cette fin.

36      Le 19 janvier 2012, le requérant a été auditionné au titre de l’article 3 de l’annexe IX du statut.

37      Le 1er mars 2012, le requérant est parti à la retraite en tant que fonctionnaire de l’Union.

38      Le 11 mai 2012, l’AIPN a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire devant le conseil de discipline (ci-après la « décision du 11 mai 2012 d’ouvrir la procédure disciplinaire ») et en a régulièrement informé le requérant par courriers envoyés à son adresse de Bruxelles (Belgique).

39      Par lettre du 21 mai 2012, parvenue à l’adresse du destinataire à Bruxelles le jour suivant, le requérant a été informé notamment de ce que « l’audition [devant le conseil de discipline] aura[it] probablement lieu le lundi 25 juin 2012 à 14 h 30 » et qu’il était invité à « garder cette date libre ».

40      Par courriel du 25 mai 2012, le requérant a demandé au conseil de discipline de « surseoir à procéder [à] l’organisation de [s]on audition » jusqu’à ce qu’il soit statué sur la réclamation qu’il avait introduite la veille contre la décision du 11 mai 2012 d’ouvrir la procédure disciplinaire. Il lui a été répondu par courriel du même jour qu’aucune disposition ne prévoyait une telle suspension et que la procédure se poursuivrait donc comme prévu.

41      Par lettre et par courriel du 31 mai 2012, le requérant a été formellement convoqué à l’audition devant le conseil de discipline, prévue le 25 juin 2012. La convocation précisait que le requérant pourrait « présenter [devant le conseil de discipline] des observations écrites ou verbales, citer des témoins et [se] faire assister d’un défenseur de [son] choix ». Le courriel du 31 mai 2012 a été lu par le requérant le jour même. En revanche, la transmission de la lettre du 31 mai 2012 par voie postale à son adresse de Bruxelles a échoué.

42      Par lettre et par courriel du 5 juin 2012, transmis en copie notamment au requérant, Mme A a été convoquée, en tant que témoin cité par l’AIPN, à l’audition devant le conseil de discipline prévue le 25 juin 2012. Le courriel du 5 juin 2012 a été lu par le requérant le jour même. En revanche, la transmission de la note du 5 juin 2012 par voie postale a échoué.

43      Par note du 11 juin 2012, adressée au requérant « [p]ar courrie[l] […] et via la [r]eprésentation de la Commission au Portugal », le conseil de discipline a rappelé les dates et la teneur des courriers qu’il lui avait transmis concernant l’organisation de l’audition, à savoir celui du 21 mai 2012 (voir point 39 du présent arrêt), celui du 31 mai 2012 (voir point 41 du présent arrêt) et celui du 5 juin 2012 (voir point 42 du présent arrêt). Le conseil de discipline précisait également que les services de la Commission avaient téléphoné à son domicile à Bruxelles au cours du mois de mai et avaient appris qu’il « travaill[ait] actuellement au [m]inistère des Affaires [é]trangères à Lisbonne [(Portugal)] et qu[ʼil] ne rentrer[ait] pas à Bruxelles pendant un mois ». Le conseil de discipline soulignait à cet égard son « manque de coopération », notamment au vu du fait qu’il était parti de Bruxelles sans donner d’adresse ou de point de contact. En outre, il précisait que les difficultés rencontrées pour le contacter, dues à son manque de coopération, ne constituaient pas un motif valable pour reporter l’audition du 25 juin 2012, dont il connaissait la date depuis le 22 mai 2012. Enfin, le requérant était averti de ce que, s’il avait des raisons objectives de ne pas assister à l’audition, il avait la possibilité, au titre de l’article 4 de l’annexe IX du statut, de présenter des observations par écrit ou de se faire représenter à l’audition par une personne de son choix.

44      Par note du 14 juin 2012, le requérant a transmis à l’AIPN un certificat médical du docteur G., établi à Bruxelles, daté du même jour, indiquant que, « suite à [sa] maladie », il « [était] incapable de travailler du 15 […] au 30[ juin 20]12 inclus » et que les sorties étaient autorisées. Il a également transmis une convocation, du 25 mai 2012, à un examen devant la commission médicale de la fonction publique portugaise prévu pour le 20 juin 2012 à Lisbonne, en précisant, dans sa note, que ce dernier examen avait été prévu de longue date et que « [c]ette consultation pourr[ait] être prolongée de plusieurs jours ou même pendant plusieurs semaines ».

45      Par lettre et par courriel du 21 juin 2012, le requérant a demandé une nouvelle fois le report de l’audition devant le conseil de discipline prévue pour le 25 juin 2012 afin de pouvoir y assister en personne. À cette fin, il a transmis au conseil de discipline, premièrement, un second certificat médical, établi le 20 juin 2012 par un médecin sis au Portugal, attestant qu’il était malade et n’était pas en mesure de travailler du 20 au 30 juin 2012 et, deuxièmement, une « [n]ote de transmission » de la commission médicale de la fonction publique portugaise du 20 juin 2012 indiquant qu’il « [devait] reprendre son service » au sein de la fonction publique portugaise. Dans sa lettre, le requérant précisait également qu’il se trouvait à Lisbonne depuis le mois de mars 2012 pour traiter des différentes questions administratives liées à sa réintégration dans la fonction publique portugaise et qu’il faisait des aller-retour à Bruxelles pour des raisons familiales.

46      Par courriel du 22 juin 2012, le conseil de discipline a répondu, en particulier, qu’« [a]ssister à l’audition devant le [c]onseil de discipline ne constitu[ait] pas ‘travailler’ » et a répété que le requérant pouvait se faire représenter ou envoyer des commentaires par écrit en vue de l’audition du 25 juin 2012.

47      Le 25 juin 2012, le conseil de discipline s’est réuni pour procéder à l’audition du requérant et à celle de Mme A. Le requérant ne s’est pas présenté à l’audition, mais le conseil de discipline a cependant entendu Mme A, en qualité de témoin, en l’absence du requérant.

48      Le 16 juillet 2012, le conseil de discipline a rendu son avis. Dans cet avis, il a estimé, sur le fond, que le requérant avait manqué aux obligations résultant de l’article 12 du statut et recommandé qu’il soit sanctionné par la réduction d’un tiers du montant de sa pension mensuelle nette pour une durée de deux ans. Le conseil de discipline a pris soin de préciser que le requérant avait été mis en mesure d’être entendu et que le choix de ne pas déposer d’observations écrites ou de ne pas se faire représenter lui était entièrement imputable.

49      À cet égard, le conseil de discipline a en particulier considéré, au point 25 de son avis, que s’il « avait accepté de reporter l’audition, [le requérant] aurait pu retarder la procédure sans justification afin d’éviter une éventuelle sanction disciplinaire ». En outre, le conseil de discipline a observé, au point 27 de son avis, que le certificat médical du 20 juin 2012 déclarait, comme d’ailleurs le certificat médical du 14 juin 2012, que le requérant « n’[était] pas en état de ‘travaillerʼ mais ne mentionn[ait] pas d’interdiction de sortir, ni donc d’assister à l’audition devant le [c]onseil, ce qu’il aurait pu faire puisqu’il [était] à la retraite depuis le 1er mars 2012 ».

50      En ce qui concerne, par ailleurs, la sanction à infliger, le conseil de discipline a précisé, d’une part, au point 40 de son avis, qu’il « n’[était] pas en mesure de vérifier si le comportement difficilement compréhensible d[u requérant] à l’encontre de [Mme A] [était] dû à des raisons qui auraient pu être prises en compte en tant que circonstances atténuantes » étant donné que « [le requérant] a[vait] choisi de ne pas présenter des explications éventuelles au [c]onseil de discipline ». D’autre part, au point 39 de son avis, le conseil de discipline a estimé qu’en revanche « le comportement obstructif d[u requérant] depuis l’ouverture de la présente procédure disciplinaire [était] un élément à prendre en compte lors de la fixation de la sanction appropriée ».

51      Le 21 septembre 2012, le requérant a été entendu par l’AIPN tripartite composée du directeur général de la DG « Ressources humaines », du directeur général de la DG « Élargissement » et du directeur général adjoint de la DG « Développement ». Au cours de cette audition, le requérant a fait valoir notamment que l’audition devant le conseil de discipline avait eu lieu en son absence, alors que Mme A avait été entendue en qualité de témoin.

52      Le 29 octobre 2012, l’AIPN tripartite a adressé une note au conseil de discipline, précisant qu’elle « [s’]interrog[eait] quant aux conséquences possibles de l’absence d[u requérant] pendant l’audition devant le [c]onseil de discipline compte tenu des deux certificats médicaux, pour le moins ambigus, produits peu avant cette audition » et l’invitant à convoquer à nouveau le requérant.

53      Le 27 novembre 2012, le conseil de discipline a répondu qu’il n’y avait pas lieu de convoquer le requérant à une nouvelle audition, en l’absence de faits nouveaux et compte tenu de la possibilité qui lui avait été donnée, en temps utile, d’être présent ou représenté à l’audition du 25 juin 2012, à laquelle il avait été régulièrement convoqué, ou de transmettre ses observations écrites.

54      Par décision du 14 mars 2013, l’AIPN tripartite a considéré que les « allégations émises par [le requérant] à l’encontre de Mme [A] [étaient] de nature à jeter le discrédit sur l’honorabilité professionnelle de la fonctionnaire concernée et constitu[ai]ent à ce titre une violation de l’obligation énoncée à l’article 12 du statut ». Aux fins de déterminer la sanction à infliger au requérant, l’AIPN a pris en considération les critères énumérés à l’article 10 de l’annexe IX du statut et précisé, en particulier, que « la faute [commise] [était] de nature sérieuse dans la mesure où elle port[ait] atteinte à l’honorabilité professionnelle d’un collègue », le requérant ayant agi « en l’absence de toute preuve et en dépit des nombreux arrêts des juridictions de l’Union et des multiples explications données par l’administration », et que « la procédure a[vait] mis en évidence que malgré son engagement vis-à-vis de l’AIPN lors de la première procédure disciplinaire […] à ne plus réitérer ses agissements offensants envers Mme [A], [le requérant] a[vait] de nouveau, à peine cinq mois après l’imposition de la première sanction disciplinaire, fait exactement ce qu’il avait promis de ne plus faire[.] Par conséquen[t], l’AIPN [a] constat[é] que [le requérant] n’a[vait] manifestement pas compris le premier signal de la sanction disciplinaire de 2011 et [qu’il était nécessaire] d’infliger une sanction beaucoup plus lourde qu’auparavant dans un souci de mettre un terme [à ses agissements] répété[s] ». En ce qui concerne la fixation de la sanction, l’AIPN n’a pas fait état, dans sa décision, du « comportement obstructif » du requérant au cours de la procédure disciplinaire, tel que l’avait préconisé le conseil de discipline dans son avis, et a décidé d’infliger au requérant la sanction de réduction d’un tiers du montant mensuel net de sa pension pour une durée de deux ans au titre de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe IX du statut (ci-après la « décision attaquée »).

55      Par deux lettres du 8 avril 2013, le requérant a introduit une réclamation demandant l’annulation de la décision attaquée et la suspension de son exécution. Il demandait également réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi. Par lettres des 15 avril 2013, 3 mai 2013 et 16 mai 2013, le requérant a apporté des précisions à sa réclamation.

56      La réclamation a été rejetée par décision du 24 juillet 2013.

57      Par arrêt du 11 septembre 2013, de Brito Sequeira Carvalho/Commission (F‑126/11, ci-après l’« arrêt du 11 septembre 2013 », EU:F:2013:126), le Tribunal a rejeté le recours par lequel le requérant demandait essentiellement l’annulation de la décision du 24 mars 2011. En particulier, aux points 72 et 73 de l’arrêt du 11 septembre 2013 (EU:F:2013:126), le Tribunal a considéré que le requérant ne pouvait pas prendre prétexte de l’introduction d’une demande ou d’une réclamation pour diffuser auprès de tiers des accusations à l’égard d’un autre fonctionnaire, en l’occurrence Mme A. En outre, au point 88 de l’arrêt du 11 septembre 2013 (EU:F:2013:126), le Tribunal a précisé que, si le requérant entendait alerter l’institution sur la conduite de Mme A, il aurait dû recourir aux voies de droit qui lui étaient ouvertes au titre des articles 22 bis, 22 ter ou 24 du statut, au lieu de diffuser ses accusations, par les courriels du 16 novembre 2009 et du 10 février 2010, auprès de plusieurs hauts responsables de la Commission, ce qui ne pouvait pas manquer de nuire à l’honorabilité professionnelle de Mme A. Enfin, au point 108 de l’arrêt du 11 septembre 2013 (EU:F:2013:126), le Tribunal a souligné que, à supposer même que Mme A ait elle-même diffusé des allégations diffamatoires envers le requérant, une telle circonstance n’autorisait pas le requérant à enfreindre à son tour le devoir de loyauté et le respect de la dignité de sa fonction prescrits par l’article 12 du statut.

 Procédure et conclusions des parties

58      Le 23 juillet 2014, le Tribunal a demandé à la Commission, par une mesure d’organisation de la procédure, de lui transmettre divers documents et de répondre à une question. La Commission a déféré à cette mesure dans le délai imparti.

59      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission à réparer le préjudice qu’il a subi, pour un montant de 10 000 euros, sous réserve d’augmentation en cours de procédure ;

–        condamner la Commission aux dépens.

60      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

61      Le requérant soulève quatre moyens, tirés d’un défaut de motivation et de l’erreur d’appréciation, de la violation du devoir de sollicitude, de la violation des règles en matière de procédure disciplinaire et de la violation du principe de proportionnalité et de l’article 10 de l’annexe IX du statut.

 Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation et de l’erreur d’appréciation

–       Arguments des parties

62      Le requérant soutient que la décision attaquée est entachée d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation et d’une erreur d’appréciation, car l’AIPN n’a pas tenu compte des circonstances de fait qui sont à l’origine du différend qui l’oppose à Mme A.

63      Mme A se serait rendue coupable d’abus de droit ou d’autorité pendant plusieurs années, conduisant à écarter le requérant de ses fonctions et à sa mise en congé de maladie d’office. L’attitude de Mme A révélerait en définitive « un comportement abusif, diffamatoire, voir[e] harcelant » à l’égard du requérant. En revanche, ce dernier n’aurait fait, pour sa part, que « tenter de rétablir la vérité » des faits.

64      Le conseil de discipline et l’AIPN ne se seraient fondés que sur la version des faits de Mme A. La décision attaquée reposerait donc sur des faits matériellement inexacts.

65      La Commission conclut au rejet de ce moyen.

–       Appréciation du Tribunal

66      Il y a lieu d’abord de rappeler que le requérant ne conteste ni l’existence ni le contenu des courriels du 31 août 2011 et du 5 septembre 2011 (voir points 32 et 34 du présent arrêt).

67      Il est également constant que la procédure disciplinaire en cause, la seconde ouverte à l’encontre du requérant pour violation de l’article 12 du statut, porte exclusivement sur les affirmations de ce dernier visant Mme A figurant dans lesdits courriels, et non sur le comportement de Mme A que le requérant considère, pour sa part, « abusif, diffamatoire, voir[e] harcelant ».

68      Or, comme l’a rappelé le Tribunal au point 108 de l’arrêt du 11 septembre 2013 (EU:F:2013:126), un fonctionnaire ne saurait prendre prétexte d’un comportement d’un autre fonctionnaire qu’il considère irrégulier, voire attentatoire à sa dignité, pour enfreindre à son tour le devoir de loyauté et le respect de la dignité de sa fonction prescrits précisément par l’article 12 du statut.

69      Dès lors, force est de constater, premièrement, que, s’agissant d’identifier le comportement du requérant constituant un manquement à l’article 12 du statut, tant le conseil de discipline que l’AIPN se sont valablement fondés sur le fait, non contesté, que ce dernier a envoyé les courriels des 31 août 2011 et 5 septembre 2011. Dans ce contexte, la décision attaquée repose donc sur des circonstances factuelles établies et correctes.

70      En revanche, l’attitude de Mme A à l’égard du requérant entre en ligne de compte, le cas échéant, au titre de l’article 10, sous a) et d), de l’annexe IX du statut, uniquement en tant que circonstance pour déterminer la gravité de la faute commise et décider de la sanction appropriée. Dans ce contexte, la prise en considération de cette circonstance de la part de l’AIPN relève exclusivement de l’examen du caractère proportionnel de la sanction. Elle sera par conséquent examinée dans le cadre du moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité et de l’article 10 de l’annexe IX du statut.

71      Dès lors, aucune erreur manifeste d’appréciation ni aucun défaut de motivation n’ayant été démontré en ce qui concerne l’identification des faits à l’origine du manquement imputé au requérant, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

 Sur le moyen tiré de la violation du devoir de sollicitude

–       Arguments des parties

72      Le requérant soutient qu’il n’a fait que tenter d’attirer l’attention de l’administration sur sa situation, notamment en introduisant diverses réclamations, et que celle-ci n’a fait preuve d’aucune sollicitude à son égard en tant que victime de l’attitude « harcelant[e] » de Mme A, en préférant qualifier ces réclamations d’actions diffamatoires envers cette dernière et sans prendre en considération l’ensemble des éléments susceptibles de déterminer sa décision.

73      La Commission conclut au rejet du moyen.

–       Appréciation du Tribunal

74      Par le présent moyen, le requérant dénonce en substance un manque de sollicitude en ce que l’AIPN a fait une lecture à charge contre lui des courriels du 31 août 2011 et du 5 septembre 2011 et a qualifié leur envoi de fautif.

75      Selon une jurisprudence constante, le devoir de sollicitude de l’administration à l’égard de ses agents reflète l’équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public. Ce devoir implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire ou d’un agent, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de l’intérêt du fonctionnaire concerné (arrêt Brendel/Commission T‑55/03, EU:T:2004:316, point 133).

76      Il est également de jurisprudence constante que la protection des droits et des intérêts des fonctionnaires doit toujours trouver sa limite dans le respect des normes en vigueur (arrêt Brendel/Commission, EU:T:2004:316, point 133). C’est pourquoi il a déjà été jugé que les exigences du devoir de sollicitude ne sauraient être interprétées comme empêchant l’AIPN d’engager et d’instruire une procédure disciplinaire à l’égard d’un fonctionnaire. En effet, une telle décision est prise avant tout dans l’intérêt que possède l’institution à ce que d’éventuels manquements par un fonctionnaire à ses obligations statutaires soient constatés et, s’il y a lieu, sanctionnés (arrêt A et G/Commission, F‑124/05 et F‑96/06, EU:F:2010:2, point 377).

77      Or, comme l’a déjà jugé le Tribunal au point 72 de l’arrêt du 11 septembre 2013 (EU:F:2013:126), un fonctionnaire ne saurait prendre prétexte de l’introduction d’une demande ou d’une réclamation pour diffuser auprès de tiers des accusations à l’égard de l’un de ses collègues. En effet, même dans le cadre de l’exercice des droits prévus par l’article 90 du statut concernant l’introduction d’une demande ou d’une réclamation auprès de l’AIPN, le fonctionnaire est tenu à la réserve et à la modération que lui commandent les devoirs d’objectivité et d’impartialité, ainsi que le respect de la dignité de la fonction, de l’honneur des personnes et de la présomption d’innocence.

78      En l’espèce, comme l’avait également déjà jugé le Tribunal au point 88 de l’arrêt du 11 septembre 2013 (EU:F:2013:126), si le requérant entendait alerter l’institution sur la conduite de Mme A, il aurait dû recourir aux voies de droit qui lui étaient ouvertes au titre des articles 22 bis, 22 ter ou 24 du statut, au lieu de diffuser ses accusations par des courriels auprès de plusieurs hauts responsables de la Commission, ce qui ne pouvait pas manquer de nuire à l’honorabilité professionnelle de Mme A. En diffusant les courriels des 31 août 2011 et 5 septembre 2011, fait non contesté par le requérant (voir point 66 du présent arrêt), celui-ci a donc manqué à ses obligations statutaires. Dans ces circonstances, il incombait à l’AIPN de prendre toutes les mesures administratives nécessaires, parmi lesquelles celle d’engager et d’instruire une procédure disciplinaire. Aucun des éléments invoqués par le requérant ne démontre qu’en procédant à l’ouverture de la procédure disciplinaire et en sanctionnant lesdits manquements l’AIPN aurait manqué à son devoir de sollicitude. De surcroît, en réponse à une question du Tribunal, le requérant a précisé à l’audience qu’il n’a délibérément pas voulu solliciter l’assistance de son institution, au sens de l’article 24 du statut, afin de faire cesser ce qu’il considère être un harcèlement moral de la part de Mme A, et qu’il n’a pas non plus voulu avoir recours aux procédures prévues par le statut ou, le cas échéant, par la réglementation interne de la Commission afin de dénoncer les faits qu’il reproche à Mme A.

79      Il y a lieu, dès lors, de rejeter le moyen tiré de la violation du devoir de sollicitude.

 Sur le moyen tiré de la violation des règles en matière de procédure disciplinaire

–       Arguments des parties

80      En premier lieu, le requérant soutient que la décision du 11 mai 2012 d’ouvrir la procédure disciplinaire aurait dû être précédée d’une enquête administrative et de l’établissement d’un rapport par l’IDOC.

81      En deuxième lieu, le requérant fait valoir qu’il vivait et était domicilié à Lisbonne depuis le mois de mars 2012 et que la décision du 11 mai 2012 d’ouvrir la procédure disciplinaire aurait dû lui être transmise à son adresse à Lisbonne pour être considérée comme régulièrement notifiée.

82      En troisième lieu, le requérant considère que la convocation à l’audition devant le conseil de discipline ne lui a pas été notifiée régulièrement à son adresse à Lisbonne ou par courriel.

83      Le quatrième grief avancé par le requérant tient au fait que le conseil de discipline a rendu son avis sans l’avoir préalablement entendu, alors qu’il avait demandé le report de l’audition pour cause de maladie, certificat médical à l’appui, et qu’il avait expressément demandé de pouvoir être entendu en personne, comme il en avait le droit. À ce stade très en amont de la procédure, et alors qu’il avait fait une simple demande de report de l’audition devant le conseil de discipline, il ne pouvait pas lui être imposé de faire valoir ses arguments par écrit ou de donner mandat à un tiers pour le représenter.

84      Le conseil de discipline aurait uniquement fondé son avis sur le témoignage de Mme A, lequel contiendrait des affirmations contradictoires et reposerait sur l’enquête ouverte le 2 février 2001, qui serait entachée de nombreuses irrégularités. Le requérant estime que, s’il avait été entendu par le conseil de discipline, la décision attaquée aurait pu être substantiellement différente, car il « aurait pu éclairer [le conseil de discipline] sur le contexte à l’origine des faits reprochés. Cette audition aurait pu mettre en évidence l[es] contradiction[s] […] [dans les] affirmations » de Mme A. La « véracité et la valeur probante » des déclarations de Mme A lors de son audition « auraient dû être nuancées et mises en parallèle avec l’audition du requérant ».

85      En outre, la Commission, sur qui reposerait la charge de la preuve, ne démontrerait pas que le requérant aurait retardé indument la procédure disciplinaire ou qu’il en aurait eu l’intention.

86      Enfin, l’audition devant l’AIPN tripartite ne permettrait pas de remédier au non-respect, par le conseil de discipline, du droit du requérant d’être entendu.

87      Après avoir conclu au rejet des trois premiers griefs, la Commission fait valoir en substance, en réponse au quatrième grief, que le requérant était responsable de son absence lors de l’audition devant le conseil de discipline et qu’il avait été averti à temps par le conseil de discipline qui lui avait donné la possibilité de se faire représenter ou de transmettre des observations écrites, ce qu’il n’a pas fait.

–       Appréciation du Tribunal

88      Quant au premier grief, tenant à l’absence d’enquête administrative préalable à l’adoption de la décision du 11 mai 2012 d’ouvrir la procédure disciplinaire, il convient en premier lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 86, second paragraphe, du statut l’AIPN ou l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) « peuvent ouvrir une enquête administrative, en vue de vérifier l’existence d’un manquement [aux obligations auxquelles le fonctionnaire est tenu], lorsque des éléments de preuve laissant présumer l’existence d’un manquement ont été portés à leur connaissance ».

89      En outre, aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, « [s]i le conseil [de discipline] ne se juge pas suffisamment éclairé sur les faits reprochés à l’intéressé ou sur les circonstances dans lesquelles ces faits ont été commis, il ordonne une enquête contradictoire ».

90      Il ressort de ces dispositions du statut que l’ouverture d’une enquête préalable, au titre de l’article 86 du statut, ou complémentaire, au titre de l’article 17 de l’annexe IX du statut, relève du pouvoir d’appréciation de l’AIPN ou du conseil de discipline. Contrairement à l’argument avancé par le requérant, ces dispositions ne prévoient pas que l’ouverture d’une enquête soit automatique ni qu’il s’agisse d’une obligation mise à la charge de l’AIPN toutes les fois que l’existence d’un manquement aux obligations statutaires est présumée.

91      En outre, s’il ressort de l’article 3 de l’annexe IX du statut que l’AIPN exerce ses compétences disciplinaires « [s]ur la base d’un rapport d’enquête », rien ne lui interdit de réaliser une telle « enquête » sous la forme d’un simple examen des faits ayant été portés à sa connaissance sans adopter de mesures supplémentaires (voir arrêt du 11 septembre 2013, EU:F:2013:126, point 123, et la jurisprudence citée).

92      Or, en l’espèce, la réalité des faits portés à la connaissance de l’AIPN, à savoir l’envoi, par le requérant, des courriels des 31 août 2011 et 5 septembre 2011, n’a jamais été contestée. En outre, le requérant ne précise pas en quoi une enquête et un rapport de l’IDOC auraient été nécessaires ni même utiles. Rien ne démontre donc que l’AIPN aurait dû adopter des mesures supplémentaires par rapport à un examen des faits qui ne sont pas contestés.

93      Pour ces motifs, le premier grief du présent moyen doit être rejeté.

94      En ce qui concerne, ensuite, les deuxième et troisième griefs, il échet de constater que la décision du 11 mai 2012 d’ouvrir la procédure disciplinaire a été régulièrement notifiée, le même jour, à l’adresse du requérant à Bruxelles. Le requérant n’apporte aucun élément afin d’étayer l’affirmation selon laquelle la signature figurant sur l’accusé de réception ne serait pas la sienne. En outre, le requérant n’a pas démontré avoir informé l’AIPN, ni à cette date ni par la suite, de ce que toute correspondance devait lui être adressée exclusivement à son adresse à Lisbonne. Au demeurant, le 11 mai 2012, selon les indications du requérant, sa famille résidait encore à l’adresse de Bruxelles.

95      S’il est vrai que, les 1er et 6 juin 2012, le requérant a demandé à la Commission, au titre de l’article 16 du statut, l’autorisation d’exercer des activités rémunérées en tant que fonctionnaire portugais et professeur à Lisbonne, ces demandes sont postérieures à la décision du 11 mai 2012 d’ouvrir la procédure disciplinaire. En outre, les autorisations données par la Commission ont été transmises au requérant, les 9 et 16 juillet 2012, l’une à son adresse de Bruxelles et l’autre à une adresse à Lisbonne et lui sont correctement parvenues, sans que l’utilisation par la Commission de ces deux adresses ait été contestée par le requérant.

96      Il est enfin constant que le courriel convoquant le requérant à l’audition devant le conseil de discipline a été reçu et lu par ce dernier.

97      Pour ces motifs, les deuxième et troisième griefs du présent moyen doivent également être rejetés.

98      S’agissant, enfin, du quatrième grief, tiré de ce que le requérant n’aurait pas été entendu par le conseil de discipline, il convient de rappeler que, en application de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toute personne a le droit d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre.

99      Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. » Tel est d’ailleurs aussi le sens donné au droit d’être entendu et à l’étendue de droit par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (voir arrêt Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics, C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 42).

100    Or, dans le cadre de la procédure disciplinaire telle que régie par le statut, le droit d’être entendu est mis en œuvre, au sens de la Charte, d’une part, notamment par l’article 16, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, qui précise que « [l]e fonctionnaire concerné est entendu par le conseil [de discipline] », et, d’autre part, par l’article 4 de cette même annexe. Cette dernière disposition prévoit en effet que « [s]i, pour des raisons objectives, le fonctionnaire ne peut être entendu au titre des dispositions de la présente annexe, il peut être invité à formuler ses observations par écrit ou peut se faire représenter par une personne de son choix ».

101    À cet égard, il convient aussi de rappeler que, s’agissant spécifiquement de l’obligation pour l’AIPN, après que le conseil de discipline lui a transmis son avis, d’entendre le fonctionnaire avant de prendre sa décision finale en la matière, la jurisprudence a admis que le fait de ne pas avoir entendu l’intéressé conformément à l’article 22, premier alinéa, de l’annexe IX du statut n’entraîne pas l’annulation de la décision lui imposant une sanction disciplinaire si ce manquement est imputable à l’intéressé lui-même. En effet, l’AIPN n’est pas tenue de repousser indéfiniment la date de la dernière audition jusqu’à ce que l’intéressé soit en mesure d’y participer. Au contraire, tant dans l’intérêt du fonctionnaire que de celui de l’administration, la décision mettant fin à la procédure disciplinaire ne peut être retardée sans justification. Tel est l’objet du délai de deux mois prévu à l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, qui constitue en effet une « règle de bonne administration » (voir, en ce sens, arrêt Stevens/Commission, T‑277/01, EU:T:2002:302, point 41, et la jurisprudence citée).

102    C’est donc à l’aune de l’ensemble de ces dispositions de la Charte et du statut, ainsi que de la jurisprudence précitée, qu’il convient d’examiner le quatrième grief invoqué par le requérant.

103    En l’espèce, il est d’abord constant que le requérant n’était ni présent ni représenté lors de l’audition devant le conseil de discipline, le 25 juin 2012, et qu’il n’avait pas non plus transmis d’observations écrites en vue de cette audition. Il y a donc lieu de vérifier si une telle situation, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, est conforme à l’article 4 de l’annexe IX du statut lu à la lumière de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

104    À cet égard, il convient tout d’abord de constater que l’affirmation du requérant, selon laquelle le conseil de discipline a fondé son avis « uniquement » sur le témoignage de Mme A, est dépourvue de tout fondement. Il résulte en effet de la décision du 11 mai 2012 d’ouverture de la procédure disciplinaire et de l’avis du conseil de discipline que le manquement à l’article 12 du statut imputé au requérant est établi sur la base du contenu des courriels du 31 août 2011 et du 5 septembre 2011. Le conseil de discipline en a conclu, sans d’ailleurs faire aucune référence au témoignage de Mme A, que « les faits avancés par l’AIPN à l’encontre d[u requérant] étaient établis ».

105    Ensuite, il convient néanmoins de souligner que l’audition du 25 juin 2012 devait permettre au conseil de discipline d’entendre non seulement le requérant, mais également Mme A en tant que témoin cité par l’AIPN. Le requérant avait été d’ailleurs dûment informé de l’audition de Mme A par une note du 5 juin 2012 (voir point 42 du présent arrêt) et la convocation à l’audition lui était parvenue suffisamment à l’avance pour lui permettre d’organiser son emploi du temps, de se rendre devant le conseil de discipline à la date indiquée et de préparer sa défense en tenant compte également de la présence, à son audition, de Mme A en tant que témoin cité par l’AIPN.

106    À cet égard, le requérant fait valoir, d’une part, qu’il était malade et, d’autre part, qu’il devait se rendre et rester à Lisbonne pour une visite médicale d’embauche devant la commission médicale de la fonction publique de Lisbonne, visite obligatoire avant de réintégrer la fonction publique portugaise.

107    Or, il ressort de la réponse du conseil de discipline à la note que l’AIPN tripartite lui avait adressée le 29 octobre 2012, l’interrogeant précisément quant aux conséquences possibles liées à l’absence du requérant au cours de l’audition du 25 juin 2012, et ceci – précisait encore l’AIPN dans cette note – malgré « deux certificats médicaux, pour le moins ambigus, produits [par le requérant] peu avant cette audition » (voir points 52 et 53 du présent arrêt), que le conseil de discipline a estimé qu’en l’absence de faits nouveaux et compte tenu de la possibilité qui avait été donnée, en temps utile, au requérant d’être présent ou de se faire représenter devant le conseil de discipline il n’y avait pas lieu de convoquer ce dernier à une nouvelle audition.

108    Cette conclusion, cependant, ne peut pas être partagée par le Tribunal.

109    Il convient à titre liminaire de rappeler que, selon la jurisprudence, le respect du caractère contradictoire de la procédure disciplinaire, dans le cadre d’une enquête, exige que le fonctionnaire incriminé ou son défenseur soit mis en mesure d’assister aux auditions de témoins auxquelles il est procédé et de poser à ces derniers les questions qui lui paraissent utiles pour sa défense (arrêt Connolly/Commission, T‑34/96 et T‑163/96, EU:T:1999:102, point 61). Aussi, comme rappelé au point 89 du présent arrêt, lorsque le conseil de discipline ne s’estime pas suffisamment éclairé sur les faits reprochés à l’intéressé ou sur des circonstances dans lesquelles ces faits ont été commis, il ordonne, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, une enquête « contradictoire ».

110    Or, en ce qui concerne la seconde justification invoquée par le requérant pour demander le report de l’audition devant le conseil de discipline, à savoir le fait qu’il devait être présent pour une visite médicale d’embauche à Lisbonne, il suffit de relever que le conseil de discipline n’a jamais mis en cause la véracité ni le caractère objectif de cette information, en se limitant en revanche à souligner le « manque de coopération » du requérant notamment au vu du fait qu’il était parti de Bruxelles sans donner d’adresse ni de point de contact.

111    En outre, le requérant ayant en temps utile dûment averti, certificat médical à l’appui, le conseil de discipline de son congé de maladie, couvrant aussi le jour prévu pour son audition, il incombe à son institution de démontrer, au moyen d’un autre avis médical ou d’un solide faisceau d’indices concordants, qu’il pouvait au contraire se rendre à ladite audition ou qu’aucune raison objective ne justifiait en réalité son absence.

112    Or, d’une part, le conseil de discipline ne disposait d’aucun avis médical qui serait venu contredire les certificats médicaux transmis par le requérant pour justifier son absence le jour de l’audition. Interrogée sur ce point lors de l’audience, la Commission n’a d’ailleurs pas été en mesure de préciser ce qui empêchait le conseil de discipline de demander un contrôle médical sur place. Par ailleurs, si la commission médicale de la fonction publique de Lisbonne a précisé, dans sa « [n]ote de transmission » du 20 juin 2012, que le requérant était apte à réintégrer la fonction publique portugaise à partir du 25 juin 2012, une telle reconnaissance médicale d’aptitude physique au service ne signifiait pas automatiquement qu’à ce moment-là le requérant était aussi en bonne santé, ni, a fortiori, qu’il était en mesure de se rendre à une audition devant le conseil de discipline à Bruxelles.

113    D’autre part, la Commission invoque le fait que, après le 14 juin 2012, date du premier certificat médical établi à Bruxelles, le requérant a voyagé pour se rendre au Portugal et s’est présenté, le 20 juin suivant, à la visite devant la commission médicale de la fonction publique de Lisbonne. Or, un tel élément n’est pas de nature à contredire les certificats médicaux fournis par le requérant et à démontrer que le requérant était dans un état de santé lui permettant de se rendre à Bruxelles et de participer à une audition devant le conseil de discipline fixée pour le 25 juin 2012.

114    En outre, il ressort du courriel que le conseil de discipline a adressé au requérant le 22 juin 2012, en réponse à sa nouvelle demande de report de l’audition prévue le 25 juin suivant, que le conseil de discipline n’a nullement attiré, de façon spécifique, l’attention du requérant sur la circonstance que, à cette audition, ledit conseil allait entendre Mme A en tant qu’unique témoin cité par l’AIPN lors de l’ouverture de la procédure disciplinaire. Au contraire, le conseil de discipline, après avoir considéré au vu du certificat médical du requérant attestant son incapacité de travailler qu’« [a]ssister à l’audition devant le [c]onseil de discipline ne constitu[ait] pas ‘travailler’ », s’est borné à confirmer à nouveau la date d’audition, en invitant le requérant, en cas d’absence, à « envoyer des commentaires écrits ou [à se] faire représenter ».

115    À cet égard, l’affirmation du conseil de discipline selon laquelle le certificat du médecin attestant l’incapacité du requérant à « travailler », non assortie d’une interdiction de « sortir », impliquerait que ce dernier aurait pu néanmoins assister à l’audition devant le conseil de discipline, « puisqu’il [était] à la retraite [et donc ne travaillait pas] depuis le 1er mars 2012 », apparaît manifestement dépourvue de tout fondement. En effet, lorsqu’un fonctionnaire déjà à la retraite fait l’objet d’un certificat médical attestant de son incapacité à « travailler », il appartient, en cas de doute, à l’institution dont il relève de vérifier, auprès du médecin dont il s’agit, la signification et les conséquences exactes de cette constatation médicale. En l’espèce, le conseil de discipline aurait dû vérifier auprès dudit médecin si les conditions de santé du requérant lui permettaient néanmoins de se déplacer à Bruxelles afin de se présenter devant le conseil de discipline pour assurer la défense de ses droits dans le cadre de la procédure disciplinaire ouverte à son égard.

116    Enfin, s’agissant d’évaluer également le caractère récidiviste du comportement du requérant à l’encontre de Mme A ainsi que les conséquences à tirer d’un tel comportement, il était indispensable, une fois décidée la convocation, en tant que témoin, de la victime du comportement imputé au requérant, d’assurer le respect du contradictoire entre ce dernier, ou son représentant, et le témoin cité à sa charge et de prendre ainsi toutes les mesures opportunes à cette fin.

117    Il ressort au contraire des circonstances rappelées au point 113 du présent arrêt que le conseil de discipline n’a, d’une part, rien mis en œuvre pour vérifier la véracité ou la portée exacte des justifications médicales avancées par le requérant de son absence à l’audition prévue le 25 juin 2012 au cours de laquelle il allait aussi entendre Mme A en tant que témoin cité par l’AIPN, ni non plus pris aucune mesure permettant au requérant d’assister à cette audition, notamment en décidant de reporter, au moins une fois, ladite audition à une nouvelle date utile.

118    Il s’ensuit que l’AIPN, ayant par la suite infligé au requérant la sanction de la réduction de sa pension, justifiée précisément par le comportement récidiviste du requérant, sans que ce dernier n’ait pu faire valoir sa défense devant le conseil de discipline lors de l’audition de Mme A en tant que témoin à charge cité par l’AIPN, n’a pas respecté le droit du requérant d’être entendu.

119    Certes, à cet égard la décision attaquée précise que, lors de son audition devant l’AIPN, conformément à l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, le requérant d’une part, a reconnu être en possession de l’avis du conseil de discipline et de son annexe relative au témoignage de Mme A et, d’autre part, « a eu l’occasion de présenter ses arguments pour justifier son comportement et contester la procédure devant le [c]onseil de discipline ».

120    Cependant, il est également constant que la décision attaquée ne fait pas état d’une quelconque adhésion du requérant à la déposition faite par Mme A, adhésion qui aurait pu être de nature, éventuellement, à pallier, a posteriori, le caractère non contradictoire de l’audition de celle-ci devant le conseil de discipline. Il ressort également de la décision attaquée que Mme A n’a pas non plus été convoquée à l’audition du requérant devant l’AIPN afin d’assurer entre eux le débat contradictoire nécessaire dans un tel cas.

121    Par ailleurs, il y a également lieu de constater, comme l’a fait valoir à juste titre le requérant dans sa requête, que le témoignage de Mme A devant le conseil de discipline contient une erreur de fait. En effet, Mme A a précisé, dans son témoignage, qu’elle avait « fixé un rendez-vous avec [le requérant] », que, « [p]endant cet entretien, [le requérant] a[vait] parlé de sa vie et a[vait] donné l’impression qu’il avait besoin d’aide » et que c’était « [p]our cette raison [qu’elle] a[vait] demandé un avis au [s]ervice [m]édical sur l’éventuel état de santé d[u requérant] ». Or, comme rappelé aux points 15 et 16 du présent arrêt, Mme A a demandé l’intervention du service médical par courriel du 13 février 2001, soit le jour même où elle avait adressé une convocation au requérant pour une audition, et non après l’audition. Ce n’est donc pas en raison de l’attitude du requérant au cours de l’entretien qu’elle a eu avec lui que Mme A a demandé l’intervention du service médical.

122    Dans ces circonstances, et en tout état de cause, l’audition du requérant par l’AIPN tripartite, avant l’adoption de la décision attaquée, ne saurait pallier l’absence d’audition du requérant par le conseil de discipline ni remédier ipso jure au caractère non contradictoire de l’audition par le conseil de discipline de Mme A en tant que témoin à charge cité par l’AIPN.

123    Il découle de l’ensemble de ce qui précède que le quatrième grief soulevé par le requérant doit être accueilli. Il y a lieu, dès lors, d’annuler la décision attaquée pour ce motif.

 Sur le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité et de l’article 10 de l’annexe IX du statut

–       Arguments des parties

124    Le requérant considère que la décision attaquée lui inflige une sanction extrêmement sévère et disproportionnée, car elle ne tient pas compte du différend qui l’oppose à Mme A depuis des années, de l’atteinte portée à son honorabilité et à sa réputation et du fait que sa réaction est due uniquement au comportement fautif de Mme A et à l’inertie de la Commission. Le requérant aurait envoyé les courriels du 31 août 2011 et du 5 septembre 2011 car l’administration aurait refusé, pendant de nombreuses années, de lui donner les informations qu’il sollicitait et qu’il était en droit d’obtenir.

125    En outre, les propos contenus dans les courriels du 31 août 2011 et du 5 septembre 2011 correspondraient à la réalité des faits et ne pourraient donc pas être qualifiés de « diffamatoires ».

126    La décision attaquée ne tiendrait aucun compte de la carrière exemplaire du requérant, telle qu’attestée par de nombreux supérieurs et collègues de celui-ci.

127    De surcroît, le requérant n’aurait jamais fait obstacle au bon déroulement de la procédure disciplinaire ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.

128    Enfin, le requérant fait valoir que la majorité des destinataires des courriels du 31 août 2011 et du 5 septembre 2011 étaient des membres du personnel de la Commission et que les destinataires externes étaient des fonctionnaires portugais qui n’auraient été mis en copie qu’en raison de la future réintégration du requérant dans la fonction publique portugaise. Certains de ces destinataires externes auraient même demandé au requérant qu’il leur transmette les courriels litigieux.

129    La Commission conclut au rejet du moyen.

–       Appréciation du Tribunal

130    Par ce moyen, le requérant soutient, en substance, que la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée, car elle ne tient pas compte du différend qui l’oppose à Mme A depuis des années et de l’attitude de cette dernière à son endroit.

131    À cet égard, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a accueilli le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, le conseil de discipline ayant entendu Mme A sans entendre concomitamment le requérant, alors que celui-ci avait demandé de pouvoir assister en personne à l’audition.

132    Partant, sauf à préjuger de l’exécution du présent arrêt et en particulier de l’évaluation de la gravité de la faute et donc du caractère proportionnel de la sanction disciplinaire qui pourrait, le cas échéant, être infligée au requérant par la nouvelle décision de l’AIPN qui sera prise après nouvel avis du conseil de discipline, le Tribunal considère qu’il est prématuré de statuer sur le présent moyen, précisément en ce qui concerne le caractère proportionnel de la sanction infligée au requérant, avant que l’audition de ce dernier, organisée contradictoirement avec celle de Mme A en tant que témoin à charge cité par l’AIPN, n’ait effectivement eu lieu.

133    À titre surabondant, il y a lieu néanmoins, s’agissant de certains griefs soulevés par le requérant dans le cadre du présent moyen, d’observer ce qui suit.

134     En ce qui concerne d’abord l’affirmation du requérant selon laquelle sa réaction consistant en l’envoi des courriels incriminés du 31 août 2011 et du 5 septembre 2011 est due uniquement, d’une part, au comportement fautif de Mme A et, d’autre part, à l’inertie de l’administration qui aurait refusé, pendant de nombreuses années, de lui donner les informations qu’il sollicitait, il y a lieu de la rejeter comme dépourvue de tout fondement.

135    Comme le Tribunal l’a déjà relevé aux points 77 et 78 du présent arrêt, le requérant ne saurait prendre prétexte du comportement de Mme A qu’il considère irrégulier, mais qu’il n’a jamais contesté par les voies de droit prévues par le statut, pour enfreindre à son tour le devoir de loyauté et le respect de la dignité de sa fonction tels que prescrits par l’article 12 du statut. En outre, au cours de l’audience et en réponse à une question du Tribunal visant à savoir pourquoi le requérant, dans le cas d’espèce, n’avait pas introduit une demande d’assistance aux termes de l’article 24 du statut – ce qui lui aurait permis, le cas échéant, d’obtenir dans le cadre de l’enquête correspondante les renseignements demandés –, le représentant de ce dernier s’est limité à constater que telle avait été la volonté délibérée de son client.

136    Quant au grief du requérant selon lequel ses propos au sujet de Mme A correspondraient à la réalité des faits et ne pourraient donc être qualifiés de « diffamatoires », il suffit de considérer que, même à supposer que tel soit le cas, ce qui compte aux fins de la détermination de la sanction disciplinaire par rapport au manquement à l’article 12 du statut est, comme le précise aussi l’article 10, sous a), de l’annexe IX du statut, le « degré d’intentionnalité […] [de la part du fonctionnaire concerné] dans la faute commise ».

137    Or, il convient de relever à cet égard que, dans la décision attaquée, l’AIPN affirme, sans être contredite par le requérant, que celui-ci « a, de manière répétitive, cherché par l’envoi de ses messages à un grand nombre de destinataires à faire valoir son point de vue en dehors des voies de droit statutaires au mépris des intérêts légitimes de Mme [A] et de [son] institution ». Aussi, l’AIPN rappelle qu’« aucun élément ne permet d’établir que le [requérant] n’était pas en pleine possession de ses moyens lors de l’envoi des courriels et lors de ses auditions ». Le présent grief apparaît donc également dépourvu de tout fondement.

138    En ce qui concerne ensuite le grief selon lequel la décision attaquée ne tiendrait pas compte de la carrière exemplaire du requérant, il convient d’abord de constater que l’article 10 de l’annexe IX du statut précise que « [p]our déterminer la gravité de la faute et décider de la sanction disciplinaire à infliger, il est tenu compte notamment : [sous] e)[,] du grade et de l’ancienneté du fonctionnaire ; [sous] f)[,] du degré de responsabilité personnelle du fonctionnaire ; [sous] g)[,] du niveau des fonctions et responsabilités du fonctionnaire ; [sous] h)[,] de la récidive de l’acte ou du comportement fautif ; [et sous] i)[,] de la conduite du fonctionnaire tout au long de sa carrière ».

139    Or, s’il est constant que, dans la décision attaquée, l’AIPN a pris expressément en compte les éléments figurant sous e), f), g) et h) de l’article 10 de l’annexe IX du statut, nulle part dans cette décision n’est en revanche mentionnée la prise en compte de la conduite du requérant tout au long de sa carrière, et ceci, précisément, aux fins du choix de la sanction disciplinaire à infliger.

 Sur les conclusions indemnitaires

140    Le requérant fait valoir que la Commission lui a causé un préjudice moral en violant les règles en matière de procédure disciplinaire, l’obligation de motivation et le devoir de sollicitude.

141    Or, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (arrêt Petrilli/Commission, F‑98/07, EU:F:2011:119, point 28, et la jurisprudence citée).

142    Le requérant ne démontrant pas, en l’espèce, avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation ou des autres illégalités alléguées, même à les supposer établies, et insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation, il y a lieu de rejeter sa demande indemnitaire.

 Sur les dépens

143    Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

144    Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que la Commission est la partie qui succombe. En outre, le requérant a, dans ses conclusions, expressément demandé que la Commission soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par le requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 14 mars 2013 imposant à M. de Brito Sequeira Carvalho, à titre disciplinaire, une retenue d’un tiers du montant mensuel net de sa pension pour une durée de deux ans est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission européenne supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par M. de Brito Sequeira Carvalho.

Van Raepenbusch

Perillo

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 octobre 2014.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.