Language of document : ECLI:EU:T:2020:435

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

23 septembre 2020 (*)

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Fonds de résolution unique (FRU) – Décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 – Recours en annulation – Affectation directe et individuelle – Recevabilité – Formes substantielles – Authentification de la décision – Obligation de motivation – Droit à une protection juridictionnelle effective – Exception d’illégalité – Limitation des effets de l’arrêt dans le temps »

Dans l’affaire T‑411/17,

Landesbank Baden-Württemberg, établie à Stuttgart (Allemagne), représentée par Mes H. Berger et K. Rübsamen, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par Mes A. Martin-Ehlers, S. Raes, T. Van Dyck et A. Kopp, avocats,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mme A. Steiblytė et M. K.-P. Wojcik, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du CRU dans sa session exécutive du 11 avril 2017 sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique (SRB/ES/SRF/2017/05), en ce qu’elle concerne la requérante,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),

composé de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva, MM. R. Barents, J. Passer (rapporteur) et G. De Baere, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 décembre 2019,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du second pilier de l’union bancaire, relatif au mécanisme de résolution unique (MRU), érigé par le règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1). L’instauration du MRU a pour but de renforcer l’intégration du cadre de résolution dans les États membres de la zone euro et les États membres qui ne font pas partie de la zone euro et qui choisissent de participer au mécanisme de surveillance unique (MSU) (ci-après les « États membres participants »).

2        Plus spécifiquement, cette affaire concerne le Fonds de résolution unique (FRU) instauré par l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 806/2014. Le FRU est financé par les contributions des établissements perçues au niveau national sous la forme, notamment, de contributions ex ante, en exécution de l’article 67, paragraphe 4, du même règlement. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, point 13, dudit règlement, la notion d’établissement vise un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement couverte par la surveillance sur base consolidée conformément à l’article 2, sous c), du même règlement. Les contributions sont transférées au niveau de l’Union européenne conformément à l’accord intergouvernemental concernant le transfert et la mutualisation des contributions au FRU, signé à Bruxelles (Belgique) le 21 mai 2014.

3        L’article 70 du règlement no 806/2014, intitulé « Contributions ex ante », dispose :

« 1. La contribution individuelle de chaque établissement est perçue au moins chaque année et est calculée proportionnellement au montant de son passif (hors fonds propres) moins les dépôts couverts, rapporté au passif cumulé (hors fonds propres) moins les dépôts couverts, de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants.

2. Chaque année, le CRU, après consultation de la BCE ou de l’autorité compétente nationale et en étroite coopération avec les autorités de résolution nationales, calcule les contributions individuelles pour faire en sorte que les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible.

Chaque année, le calcul de la contribution de chaque établissement s’appuie sur :

a)      une contribution forfaitaire, qui est proportionnelle au montant du passif de l’établissement, hors fonds propres et dépôts couverts, rapporté au total du passif, hors fonds propres et dépôts couverts, de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire des États membres participants ; et

b)      une contribution en fonction du profil de risque, fondée sur les critères fixés à l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59/UE, tenant compte du principe de proportionnalité, sans créer de distorsions entre les structures du secteur bancaire des États membres.

Le rapport entre la contribution forfaitaire et la contribution en fonction du profil de risque est défini avec le souci d’une répartition équilibrée des contributions entre les différents types de banques.

En tout état de cause, le cumul des contributions de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants, calculées en vertu des points a) et b), ne dépasse pas annuellement 12,5 % du niveau cible.

[...]

6. Les actes délégués précisant la notion d’adaptation des contributions en fonction du profil de risque des établissements, adoptés par la Commission au titre de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59/UE, s’appliquent.

7. Le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, adopte, dans le cadre des actes délégués visés au paragraphe 6, des actes d’exécution pour définir les conditions de la mise en œuvre des paragraphes 1, 2 et 3, notamment en ce qui concerne :

a)      l’application de la méthode de calcul des contributions individuelles ;

b)      les modalités pratiques de l’attribution aux établissements des facteurs de risque prévus dans les actes délégués. »

4        Le règlement no 806/2014 a été complété, en ce qui concerne lesdites contributions ex ante, par le règlement d’exécution (UE) 2015/81 du Conseil, du 19 décembre 2014, définissant des conditions uniformes d’application du règlement no 806/2014 en ce qui concerne les contributions ex ante au FRU (JO 2015, L 15, p. 1).

5        Par ailleurs, le règlement no 806/2014 et le règlement d’exécution 2015/81 procèdent par renvoi à certaines dispositions contenues dans deux autres actes :

–        d’une part, la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190) ;

–        d’autre part, le règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59 en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).

6        Le Conseil de résolution unique (CRU) a été institué en tant qu’agence de l’Union (article 42 du règlement no 806/2014). Il comporte notamment une session plénière et une session exécutive (article 43, paragraphe 5, du règlement no 806/2014). Le CRU en session exécutive prend toutes les décisions pour mettre en œuvre le règlement no 806/2014, sauf disposition contraire dudit règlement [article 54, paragraphe 1, sous b), du règlement no 806/2014].

 Antécédents du litige

7        La requérante, Landesbank Baden-Württemberg, est un établissement de crédit établi en Allemagne. Elle est rattachée au système de protection institutionnel (ci-après le « SPI ») de la Sparkassen-Finanzgruppe (groupe financier des caisses d’épargne, Allemagne).

8        Le 26 janvier 2017, la requérante a transmis à l’autorité de résolution allemande, la Bundesanstalt für Finanzmarktstabilisierung (Office fédéral de stabilisation des marchés financiers, Allemagne ; ci-après la « FMSA ») sa déclaration aux fins de la contribution ex ante pour 2017.

9        Par décision du 11 avril 2017 sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au FRU (SRB/ES/SRF/2017/05 ; ci-après la « décision attaquée »), le CRU dans sa session exécutive a décidé, en vertu de l’article 54, paragraphe 1, sous b), et de l’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014, du montant de la contribution ex ante de chaque établissement, dont la requérante, pour l’année 2017.

10      Par avis de perception du 21 avril 2017, reçu le 24 avril 2017, la FMSA a informé la requérante que le CRU avait fixé sa contribution ex ante pour 2017 au FRU et lui a indiqué le montant à payer au profit du Restrukturierungsfonds (fonds de restructuration, Allemagne) (ci-après l’« avis de perception »). La FMSA a joint deux documents à l’avis de perception, à savoir une version allemande du texte de la décision attaquée, sans l’annexe que ce texte mentionne, et un document intitulé « Détails du calcul (ajusté au risque) : Contributions ex ante au [FRU] pour 2017 » (ci-après le « document intitulé “Détails du calcul” »).

 Procédure et conclusions des parties

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 juin 2017, la requérante a introduit le présent recours.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 septembre 2017, la Commission européenne a demandé à intervenir au soutien des conclusions du CRU.

13      Par décision du 13 novembre 2017, le président de la huitième chambre du Tribunal (ancienne composition) a fait droit à la demande d’intervention de la Commission.

14      Sur proposition de la huitième chambre du Tribunal (ancienne composition), ce dernier a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure du Tribunal, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

15      Par mesure d’organisation de la procédure, adoptée le 12 février 2019 au titre de l’article 89 du règlement de procédure, premièrement, le Tribunal, a invité le CRU à produire, d’une part, la copie intégrale de l’original de la décision attaquée, en ce compris son annexe, et, d’autre part, l’ensemble des décisions intermédiaires prises par lui et qui sont à la base du calcul de la contribution ex ante pour 2017. Deuxièmement, le Tribunal a invité le CRU à décrire la procédure d’adoption de la décision attaquée, en fournissant les pièces justificatives. Troisièmement, le CRU a été invité à préciser, au sujet des données du tableau relatif aux intervalles pour le multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque et publié sur son site Internet, mentionnées au point 154 du mémoire en défense et au point 102 de la duplique, la date de la première publication de ces données. Quatrièmement, le CRU a été invité à indiquer les valeurs du multiplicateur pour l’indicateur SPI et celles du multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque appliquées, dans le cadre de la décision attaquée, dans le cas des autres établissements mentionnés à l’annexe A.12 de la requête.

16      Par acte du 20 mars 2019, le CRU a répondu à cette mesure d’organisation de la procédure. S’agissant de la demande de production de documents, il a indiqué, en substance, ne pas pouvoir produire les documents pour des raisons de confidentialité. Pour ce motif, il a demandé au Tribunal d’adopter une mesure d’instruction.

17      Par ordonnance du 10 avril 2019, le Tribunal a ordonné au CRU, sur le fondement, d’une part, de l’article 24, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, de l’article 91, sous b), de l’article 92, paragraphe 3, ainsi que de l’article 103 du règlement de procédure, de produire, en versions non confidentielle et confidentielle, les copies intégrales de l’original de la décision attaquée, en ce compris son annexe, de l’ensemble des décisions intermédiaires prises par lui et qui sont à la base du calcul de la contribution ex ante pour 2017, de l’ensemble des pièces justificatives relatives à la procédure d’adoption de la décision attaquée, et les valeurs des multiplicateurs visés au point 15 ci-dessus.

18      Par acte du 3 mai 2019, le CRU a répondu à l’ordonnance du 10 avril 2019. S’agissant de la décision attaquée, le CRU a expliqué que l’annexe de celle-ci avait été adoptée sous format XLSX. Cependant, le document produit devant le Tribunal était sous format PDF. S’agissant des décisions intermédiaires, le CRU a produit, d’une part, des décisions relatives au calcul des contributions ex ante pour 2016 et, d’autre part, des projets de décisions et des notes de synthèse (cover notes). Enfin, le CRU a donné certaines indications sur les valeurs des multiplicateurs visés au point 15 ci-dessus.

19      En vue de permettre au CRU de compléter la réponse visée au point 18 ci-dessus, le Tribunal a adopté, le 9 septembre 2019, une seconde ordonnance portant des mesures d’instruction.

20      Par acte du 26 septembre 2019, le CRU a répondu à l’ordonnance du 9 septembre 2019 et a produit, d’une part, une copie, au format PDF, du texte de la décision attaquée et, s’agissant de l’annexe de celle-ci, une clé USB comportant, en versions non confidentielle et confidentielle, un fichier au format XLSX. D’autre part, le CRU a produit, en versions non confidentielle et confidentielle, onze documents décrivant la procédure d’approbation par sa session exécutive des projets de décisions contenus dans les notes de synthèse visées au point 18 ci-dessus ou annexés à celles-ci. Enfin, il a produit un tableau anonymisé des valeurs des multiplicateurs visés au point 15 ci-dessus.

21      Par ordonnance du 10 octobre 2019, à la suite de l’examen prévu à l’article 103, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Tribunal a retiré du dossier l’ensemble des documents produits par le CRU en version confidentielle en réponse aux ordonnances portant des mesures d’instruction des 10 avril et 9 septembre 2019 et a considéré que les versions non confidentielles des notes de synthèse visées au point 18 ci-dessus comportaient des passages occultés qui étaient à la fois pertinents pour le litige et non confidentiels. Par conséquent, il a ordonné au CRU de produire de nouvelles versions non confidentielles desdites notes.

22      Par acte du 18 octobre 2019, le CRU a déféré à cette ordonnance.

23      Par lettres du 6 novembre 2019, la requérante et la Commission ont déposé leurs observations à l’égard des réponses du CRU à la mesure d’organisation de la procédure du 12 février 2019, aux ordonnances portant des mesures d’instruction des 10 avril et 9 septembre 2019 et à l’ordonnance du 10 octobre 2019.

24      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle la concerne ;

–        condamner le CRU aux dépens.

25      Le CRU conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou comme non fondé ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal déciderait d’annuler la décision attaquée, différer les effets de l’annulation de six mois après que l’arrêt est devenu définitif ;

–        condamner la requérante aux dépens.

26      La Commission n’a pas déposé de mémoire en intervention dans le délai imparti.

 En droit

 Sur la recevabilité

27      Dans ses mémoires, le CRU a, en substance, contesté la qualité de la requérante pour agir en annulation de la décision attaquée, en faisant valoir qu’elle n’était pas directement et individuellement concernée par celle-ci et que seul l’avis de perception pouvait avoir un effet sur sa situation.

28      Force est de constater que, dans son arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca (C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 65), la Cour a jugé, en substance, que, bien que les destinataires des décisions du CRU sur le calcul des contributions ex ante au FRU soient, conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81, les autorités de résolution nationales (ci-après les « ARN »), les établissements débiteurs de ces contributions sont, sans aucun doute, directement et individuellement concernés par ces décisions.

29      Il s’ensuit que la requérante a qualité pour agir en annulation de la décision attaquée, ce que le CRU a reconnu lors de l’audience et dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

30      Quant à l’argument du CRU selon lequel le recours serait « dirigé directement […] contre les règlements et directives qui concernent le système de calcul des contributions ex ante » et devrait, pour ce motif, être rejeté comme irrecevable, il convient de relever que le présent recours vise l’annulation de la décision attaquée uniquement. Le règlement délégué 2015/63 ne fait pas l’objet d’une demande d’annulation, mais constitue l’acte de portée générale à l’encontre duquel la requérante dirige une exception d’illégalité.

31      À cet égard, il convient d’ajouter que, conformément à l’article 277 TFUE, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant les juridictions de l’Union l’inapplicabilité de cet acte.

32      Par conséquent, dans la mesure où le présent recours est dirigé contre une décision du CRU, adoptée sur le fondement d’un acte de portée générale adopté par une institution de l’Union, ce recours ne saurait être considéré comme irrecevable, dans son intégralité ou en partie, en raison du simple fait que, dans le cadre de ce recours, la requérante invoque l’inapplicabilité de cet acte en vertu de l’article 277 TFUE.

33      Par ailleurs, dans la mesure où, selon la jurisprudence constante, l’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et qu’il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée), il suffit de relever que la décision attaquée cite le règlement délégué 2015/63 – dont la requérante excipe l’illégalité en ce qui concerne ses articles 4 à 7 et 9 ainsi que son annexe I (voir point 35 ci-après) – comme une de ses bases juridiques. En outre, il ressort du dossier que la contribution ex ante de la requérante pour 2017 a été calculée selon la méthode appelée « ajusté au risque », donc précisément en application, notamment, des dispositions précitées du règlement délégué 2015/63.

34      Il résulte des considérations qui précèdent que le présent recours est recevable tant en ce qui concerne la demande d’annulation de la décision attaquée qu’en ce qui concerne l’exception d’illégalité invoquée par la requérante.

 Sur le fond

35      À l’appui de son recours, la requérante soulève six moyens tirés :

–        le premier, d’une violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 41, paragraphes 1 et 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») en raison d’une motivation insuffisante de la décision attaquée ;

–        le deuxième, d’une violation de l’article 41, paragraphes 1 et 2, sous a), de la Charte au motif qu’elle n’a pas été entendue ;

–        le troisième, d’une violation de l’article 47, paragraphe 1, de la Charte en raison du caractère invérifiable de la décision attaquée ;

–        le quatrième, d’une violation de l’article 103, paragraphe 7, sous h), de la directive 2014/59, de l’article 113, paragraphe 7, du règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1), de l’article 6, paragraphe 5, première phrase, du règlement délégué 2015/63, des articles 16 et 20 de la Charte et du principe de proportionnalité du fait de l’application du multiplicateur pour l’indicateur SPI ;

–        le cinquième, d’une violation de l’article 16 de la Charte et du principe de proportionnalité en raison de l’application du multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque ;

–        le sixième, d’une illégalité des articles 4 à 7 et 9 du règlement délégué 2015/63 ainsi que de l’annexe I à ce règlement.

36      Il convient d’abord d’examiner le moyen d’ordre public tiré de la violation des formes substantielles que le juge de l’Union est tenu de relever d’office (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67 ; du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a., C‑265/97 P, EU:C:2000:170, point 114 ; du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, EU:T:2003:57, point 143, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 70 et jurisprudence citée).

37      La violation des formes substantielles recouvre, notamment, le défaut d’authentification de l’acte (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247, points 75 et 76, et du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, points 40 et 41) et l’absence ou l’insuffisance de la motivation (voir arrêt du 15 juin 2017, Espagne/Commission, C‑279/16 P, non publié, EU:C:2017:461, point 22 et jurisprudence citée), cette dernière question faisant l’objet du premier moyen d’annulation, qui doit être examiné ensemble avec les troisième et sixième moyens.

 Sur l’authentification de la décision attaquée

38      Il convient de rappeler que, l’élément intellectuel et l’élément formel constituant un tout indissociable, la mise en forme écrite de l’acte est l’expression nécessaire de la volonté de l’autorité qui l’adopte (arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247, point 70 ; du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 38, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 74).

39      L’authentification de l’acte a pour but d’assurer la sécurité juridique en figeant le texte adopté par l’auteur de l’acte et constitue une forme substantielle (arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247, points 75 et 76 ; du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, points 40 et 41, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 75).

40      Il a également déjà été jugé que la violation d’une forme substantielle est constituée par le seul défaut d’authentification de l’acte, sans qu’il soit nécessaire d’établir, en outre, que l’acte est affecté d’un autre vice ou que l’absence d’authentification a causé un préjudice à celui qui l’invoque (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 42, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 76).

41      Le contrôle du respect de la formalité de l’authentification et, ainsi, du caractère certain de l’acte est un préalable à tout autre contrôle tel que celui de la compétence de l’auteur de l’acte, du respect du principe de la collégialité ou encore celui du respect de l’obligation de motiver les actes (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 46, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 77).

42      Si le juge de l’Union constate, à l’examen de l’acte produit devant lui, que ce dernier n’a pas été régulièrement authentifié, il lui appartient de soulever d’office le moyen tiré de la violation d’une forme substantielle consistant en un défaut d’authentification régulière et d’annuler, en conséquence, l’acte entaché d’un tel vice (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 51, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 78).

43      Il importe peu, à cet égard, que l’absence d’authentification n’ait causé aucun préjudice à l’une des parties au litige. En effet, l’authentification des actes est une forme substantielle au sens de l’article 263 TFUE, essentielle à la sécurité juridique, dont la violation entraîne l’annulation de l’acte vicié, sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un tel préjudice (arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 52, et du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822, point 79 ; voir également, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Goldfish e.a./Commission, T‑54/14, EU:T:2016:455, point 47).

44      En l’espèce, dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure adoptée le 12 février 2019, le CRU indique que la décision attaquée a été adoptée par procédure écrite, conformément à l’article 7, paragraphe 5, et à l’article 9 des règles de procédure du CRU en session exécutive, telles qu’adoptées par la décision du CRU en session plénière, du 29 avril 2015 (SRB/PS/2015/8), lancée par l’envoi aux membres de la session exécutive du CRU, par courrier électronique, de documents comportant, notamment, un document au format DOC correspondant au projet de texte de la décision attaquée et un document au format XLSX correspondant au projet de l’annexe à laquelle se réfère le texte de la décision attaquée.

45      À cet égard, il découle de la réponse du CRU à l’ordonnance du 10 avril 2019 que, le 11 avril 2017, à la suite de l’approbation, également par voie de courriers électroniques, des deux documents mentionnés au point 44 ci-dessus, tels que modifiés au cours de la procédure, par tous les membres de la session exécutive, le secrétariat du CRU a imprimé le document au format DOC (texte de la décision attaquée, sans son annexe) et la présidente du CRU a signé ce document ainsi que la fiche d’acheminement relative au dossier. La version signée dudit document serait conservée dans les locaux du CRU.

46      Dans sa réponse à l’ordonnance du 10 avril 2019, le CRU a produit une copie de cette version signée du texte de la décision attaquée ainsi qu’une copie de ladite fiche d’acheminement.

47      Force est toutefois de constater que le CRU n’a apporté aucune preuve de l’authentification de l’annexe de la décision attaquée, laquelle annexe est un document électronique au format XLSX qui comporte les montants des contributions ex ante et constitue donc un élément essentiel de cette décision.

48      En effet, le CRU n’a produit aucune version de l’annexe de la décision attaquée comportant une signature électronique, alors même que ladite annexe n’est nullement liée de manière indissociable au texte de la décision attaquée.

49      S’agissant de la fiche d’acheminement évoquée au point 45 ci-dessus, dont la mention « Attachment(s) : 2 » [Pièce(s) jointe(s) : 2] devrait en théorie signifier que, lors de sa signature manuscrite par la présidente du CRU, cette fiche était accompagnée de deux pièces jointes, à savoir du texte de la décision attaquée et d’une version imprimée de l’annexe, force est de constater que, en réalité, elle n’établit pas la présence de deux pièces jointes, qu’elle n’identifie, au demeurant, même pas.

50      Le CRU a d’ailleurs indiqué, lors de l’audience, ne pas avoir imprimé l’annexe qui, comme déjà indiqué, est un document au format XLSX, à savoir un document électronique. Dès lors, sa signature ne pouvait être qu’électronique et ce document ne pouvait donc pas être joint physiquement à une fiche d’acheminement établie sous forme papier.

51      Or, le CRU ne mentionne de signature qu’en ce qui concerne le texte de la décision attaquée. Le CRU n’établit pas la signature électronique de cette annexe par la présidente du CRU.

52      Quant à l’argument avancé par le CRU lors de l’audience, selon lequel l’annexe aurait été disponible dans un système documentaire dénommé ARES (Advanced Records System) au moment de la signature de la fiche d’acheminement, force est de constater qu’il est nouveau et, à ce titre irrecevable, ainsi que, en tout état de cause, non étayé.

53      À cet égard, il convient d’observer que la fiche d’acheminement ne comporte aucun élément prouvant cette allégation et encore moins d’élément permettant d’établir un lien indissociable entre ladite fiche, signée à la main par la présidente du CRU, et un document prétendument présent dans ARES, qui correspondrait à l’annexe de la décision attaquée, telle que produite devant le Tribunal.

54      En définitive, la signature manuscrite d’une fiche d’acheminement mentionnant deux pièces jointes sans les identifier, ni leur être ensuite liée de manière indissociable, et ce alors même qu’il n’y avait en réalité qu’une pièce jointe à cette fiche, ne saurait emporter authentification d’un autre document – l’annexe sous format XLSX – prétendument présent dans ARES.

55      Il résulte des considérations qui précèdent que l’exigence d’authentification de la décision attaquée n’est pas satisfaite.

56      Le Tribunal estime opportun, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de se prononcer également sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective, et sur le sixième moyen, tiré d’une exception d’illégalité de certaines dispositions du règlement délégué 2015/63, ces différents moyens étant pris ensemble.

 Sur les premier, troisième et sixième moyens, pris ensemble, tirés, respectivement, de la violation de l’obligation de motivation, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et d’une exception d’illégalité du règlement délégué 2015/63

–       Arguments des parties

57      La requérante fait valoir que le CRU a violé l’obligation de motivation et son droit à une protection juridictionnelle effective en raison d’une motivation insuffisante de la décision attaquée.

58      Elle soutient que, selon la jurisprudence, une décision exigeant le paiement d’une taxe n’est motivée avec l’intensité requise en vue du contrôle juridictionnel que lorsqu’elle contient un décompte exact et détaillé des éléments de la créance dont elle forme le titre exécutoire.

59      En l’espèce, les exigences de motivation seraient d’ailleurs élevées en raison de la complexité de l’ajustement en fonction du profil de risque, de l’importance de la charge financière imposée et de la marge d’appréciation dont disposerait le CRU.

60      Or, aucun des documents fournis à la requérante en annexe de l’avis de perception ne contiendrait les indications dont elle aurait besoin pour apprécier l’exactitude du calcul de sa contribution, et ce tant par rapport au calcul de la contribution annuelle de base que par rapport à l’ajustement de cette contribution en fonction du profil de risque.

61      La seule reproduction des données concernant exclusivement la requérante serait manifestement insuffisante.

62      La requérante ajoute que le CRU ne saurait justifier le non-respect de l’obligation de motivation par des obligations de confidentialité des données concernant les autres établissements, qui sont indispensables au contrôle du calcul. Elle renvoie à l’article 84, paragraphe 3, de la directive 2014/59 et aux obligations de divulgation des établissements de crédit prévues par les articles 431 et suivants du règlement no 575/2013.

63      Le CRU aurait donc violé l’obligation de motivation de manière substantielle et à divers égards, ce qui devrait entraîner l’annulation de la décision attaquée. La motivation fournie ne permettrait ni aux établissements ni à la FMSA de vérifier et de contrôler le calcul de la contribution. Même le Tribunal serait dans l’impossibilité de contrôler la décision attaquée et, par conséquent, de lui-même respecter l’obligation de motivation. L’arrêt qu’il serait amené à rendre ne pourrait que violer la garantie du droit à un procès équitable consacré par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

64      Selon la requérante, les violations de l’obligation de motivation font apparaître la possibilité de lacunes de fond non constatables à défaut précisément d’une motivation complète.

65      Pour les mêmes raisons, le CRU aurait également violé le droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective. En effet, en l’absence de motivation suffisante de la décision attaquée, le Tribunal ne pourrait pas s’assurer qu’elle repose sur une base factuelle suffisamment solide, ni même apprécier la vraisemblance abstraite des données et des valeurs ainsi que des étapes à la base du calcul de la contribution litigieuse.

66      Enfin, la requérante, invoquant l’article 277 TFUE, soutient que la décision attaquée doit être annulée également au motif que les articles 4 à 7 et 9 du règlement délégué 2015/63 ainsi que son annexe I violent eux-mêmes le principe d’une protection juridictionnelle effective, en ce qu’ils créent un système complexe de détermination des contributions, qui se caractérise par de nombreuses marges d’appréciation ainsi qu’un caractère totalement opaque et dans le cadre de l’application duquel le CRU ne serait pas en mesure de fournir une motivation vérifiable et contrôlable de la charge individuelle imposée aux établissements.

67      Le CRU, soutenu en substance par la Commission, conteste ces arguments.

68      Tout d’abord, le CRU affirme que la motivation de la décision attaquée est suffisante non seulement à l’égard des ARN pour comprendre les raisons du calcul, mais aussi de manière générale.

69      Ensuite, le CRU invoque plusieurs éléments du contexte, susceptibles, selon lui, d’avoir un impact sur la portée de l’obligation de la motivation.

70      Premièrement, tant la FMSA que les établissements auraient été impliqués dans le processus de calcul des contributions ex ante.

71      Deuxièmement, la méthodologie à appliquer pour le calcul des contributions ex ante serait clairement exposée dans la réglementation applicable, notamment à l’article 70, paragraphes 1 et 2, du règlement no 806/2014, ainsi qu’à la section 2 et à l’annexe I du règlement délégué 2015/63.

72      Troisièmement, il ressortirait de la jurisprudence qu’une décision qui se situe dans la lignée d’une pratique décisionnelle constante peut être motivée de manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique.

73      En outre, le CRU fait valoir que l’obligation de motivation à l’égard de la requérante – contrairement à ce que celle-ci prétendrait – n’a pas une portée telle qu’elle devrait lui permettre d’évaluer avec précision si les calculs sont corrects ou non. Cela se déduirait de la jurisprudence relative à d’autres domaines du droit de l’Union, notamment celui du droit de concurrence.

74      Dans ce contexte, le CRU met en exergue le fait que les contributions ex ante des (environ) 3 500 établissements sont liées entre elles, dans la mesure où la somme de toutes les contributions doit correspondre au niveau cible annuel et que, par conséquent, le calcul de la contribution de la requérante n’est pas seulement fondé sur les informations transmises par cette dernière, mais également sur celles transmises par les 3 500 autres établissements et liées aux spécificités de l’activité de ces établissements, à leurs responsabilités et à leurs risques, que le CRU évaluerait, dans le cadre de la décision attaquée, sous forme d’un classement relatif des établissements. Ces informations seraient confidentielles. L’obligation de motivation devrait dès lors être mise en balance avec l’obligation de protéger le secret professionnel de tous les établissements concernés, imposée au CRU.

75      De plus, il ressortirait de la jurisprudence que la portée de l’obligation de motivation peut être également restreinte en raison de considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales.

76      Enfin, partager toutes les informations confidentielles de tous les établissements des États membres participants avec chaque ARN irait au-delà de ce qui serait requis par l’article 5, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81.

77      En conséquence, le niveau de détail choisi pour la motivation de la décision attaquée serait suffisant.

78      Dans la mesure où la requérante suggérerait que le droit à une protection juridictionnelle effective requiert que le Tribunal soit en mesure de recalculer la contribution, le CRU prétend que cette interprétation du contrôle de légalité est trop extensive et ne correspond pas à la jurisprudence existante en la matière. En effet, le droit à une protection juridictionnelle effective devrait être évalué dans le contexte de l’équilibre institutionnel mis en place par le règlement no 806/2014 et le règlement d’exécution 2015/81. Le CRU serait chargé du calcul des contributions ex ante. Par conséquent, le rôle du Tribunal ne devrait pas être de substituer sa décision à celle du CRU en recalculant la contribution. Dans la présente affaire, le Tribunal serait à même de contrôler la légalité de la décision attaquée en prenant en compte le cadre juridique pertinent. Par conséquent, le droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective ne serait pas violé.

79      Quoi qu’il en soit, le Tribunal pourrait, dans le cadre de son contrôle, demander de produire des informations ou des preuves pertinentes pour un tel contrôle, tout en mettant en balance le respect de la confidentialité avec le besoin de garantir suffisamment le droit à une protection juridictionnelle effective, et remédier ainsi à tout manque éventuel d’informations qui mettrait en péril ce droit.

80      Pour les mêmes raisons, l’exception d’illégalité invoquée par la requérante à l’égard des dispositions du règlement délégué 2015/63 serait infondée.

81      En tout état de cause, étant donné que la requérante ne fournirait aucune preuve relative à la prétendue commission d’une erreur dans le calcul des contributions ex ante 2017, ce calcul resterait en principe valide. Dès lors, elle n’aurait aucun intérêt légitime à l’annulation de la décision attaquée.

82      Dans sa réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, le CRU a précisé que la possibilité prévue à l’article 84, paragraphe 3, de la directive 2014/59, évoqué par la requérante (voir point 62 ci-dessus), et à l’article 88, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 de divulguer des informations confidentielles sous une forme résumée ou agrégée de telle sorte que les établissements ne puissent être identifiés ne saurait être envisagée en l’espèce. Il aurait fourni à la requérante le maximum des données permis par le système existant.

–       Appréciation du Tribunal

83      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 59 et jurisprudence citée).

84      L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués ainsi que de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 7 mars 2013, Acino/Commission, T‑539/10, non publié, EU:T:2013:110, point 124 et jurisprudence citée).

85      Par ailleurs, la motivation d’un acte doit être logique, ne présentant notamment pas de contradiction interne entravant la bonne compréhension des raisons sous-tendant cet acte (voir arrêt du 15 juillet 2015, Pilkington Group/Commission, T‑462/12, EU:T:2015:508, point 21 et jurisprudence citée).

86      En outre, il existe un rapport étroit entre l’obligation de motivation et le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective (conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Housieaux, C‑186/04, EU:C:2005:70, point 32).

87      En effet, selon une jurisprudence constante, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels la décision contestée est fondée, tant pour lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de ladite décision qui lui incombe en vertu du traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2017, LS Customs Services, C‑46/16, EU:C:2017:839, point 40 et jurisprudence citée, et du 13 mars 2019, AlzChem/Commission, C‑666/17 P, non publié, EU:C:2019:196, point 54 et jurisprudence citée).

88      À titre liminaire, il convient de rappeler que, si, dans le système instauré par le règlement no 806/2014 et le règlement d’exécution 2015/81, les décisions fixant les contributions ex ante sont notifiées aux ARN, les établissements débiteurs de ces contributions, dont la requérante, sont individuellement et directement concernés par lesdites décisions (voir point 28 ci-dessus).

89      Dès lors, l’intérêt que peuvent avoir ces établissements à recevoir des explications doit également être pris en compte lorsqu’il s’agit d’apprécier l’étendue de l’obligation de motiver les décisions en cause (arrêts du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 176, et du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824, point 164).

90      Par ailleurs, c’est le CRU qui calcule et fixe les contributions ex ante. Ses décisions sur le calcul desdites contributions ne sont adressées qu’aux ARN (article 5, paragraphe 1, du règlement d’exécution 2015/81) et il incombe aux ARN de les communiquer aux établissements (article 5, paragraphe 2, du règlement d’exécution 2015/81) et de percevoir les contributions auprès des établissements sur la base desdites décisions (article 67, paragraphe 4, du règlement no 806/2014) (arrêts du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 204, et du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824, point 179).

91      Ainsi, quand le CRU agit en vertu de l’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014, il adopte des décisions revêtues d’un caractère définitif et qui concernent, individuellement et directement, les établissements (arrêts du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 205, et du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824, point 180).

92      Par conséquent, il incombe au CRU, auteur de ces décisions, de les motiver. Cette obligation ne saurait être déléguée aux ARN, ni sa violation palliée par celles-ci, sauf à méconnaître la qualité du CRU d’auteur desdites décisions et sa responsabilité à ce titre, et à susciter, compte tenu de la diversité des ARN, un risque d’inégalité de traitement des établissements en ce qui concerne la motivation des décisions du CRU (arrêts du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 206, et du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824, point 181).

93      En l’espèce, s’agissant du texte de la décision attaquée, les visas citent le règlement no 806/2014, la directive 2014/59, le règlement d’exécution 2015/81, le règlement délégué 2015/63 et l’accord intergouvernemental mentionné au point 2 ci-dessus comme bases juridiques et comportent plusieurs indications relatives à la prise en compte des contributions ex ante perçues au titre des années 2015 et 2016. Suivent le dispositif principal de la décision attaquée (« [Le CRU dans sa session exécutive] approuve les montants des contributions ex ante au [FRU] pour 2017 tels qu’ils figurent en annexe ») et onze points qui exposent, en termes généraux, la procédure du calcul des contributions ex ante. Enfin, le point 12 précise que « [la décision attaquée] entre en vigueur le jour de son adoption ».

94      Quant à l’annexe de la décision attaquée, telle que produite par le CRU dans sa réponse à l’ordonnance du 9 septembre 2019, elle comporte un tableau qui indique, pour chaque établissement concerné, l’État membre participant où il est agréé, le type de méthode utilisée pour calculer la part « européenne » de la contribution ex ante pour 2017, le montant de cette contribution et, dans la colonne intitulée « Facteur d’ajustement au risque (EA) », le montant du multiplicateur « européen » d’ajustement en fonction du profil de risque [voir article 9 du règlement délégué 2015/63 et article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement d’exécution 2015/81], appliqué dans son cas.

95      Il est constant que la décision attaquée ne contient, au-delà des explications générales figurant dans son texte, quasi aucun élément du calcul de la contribution de la requérante. En effet, cette décision ne fournit que le type de méthode et le montant du multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque appliqués à la requérante pour calculer la part « européenne » de sa contribution.

96      Il convient d’ajouter qu’il ressort de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement d’exécution 2015/81 que la part du calcul de la contribution opérée par le CRU en référence au contexte européen entre, en 2017, pour 60 % seulement dans le calcul de cette contribution, tandis que la part nationale y entre pour 40 %.

97      Quant au document intitulé « Détails du calcul » (voir point 10 ci-dessus), à supposer qu’il émane effectivement du CRU, comme ce dernier l’a affirmé lors de l’audience, force est de constater que, même s’il indique, outre les éléments mentionnés au point 94 ci-dessus, le type de méthode pour calculer la part « nationale » de la contribution et le montant du multiplicateur « national » d’ajustement en fonction du profil de risque ainsi que d’autres éléments de calcul, toutefois, il ne comporte aucun élément suffisant pour vérifier l’exactitude de la contribution.

98      En particulier, ce document ne comporte aucun élément de calcul propre aux (environ) 3 500 autres établissements, alors même que, en application notamment des articles 4 à 7 et 9 du règlement délégué 2015/63, le calcul de la contribution de la requérante implique, d’une part, une mise en proportion du montant de son passif (hors fonds propres et dépôts couverts) avec le total du passif (hors fonds propres et dépôts couverts) de l’ensemble des autres établissements et, d’autre part, une évaluation de son profil de risque en rapport avec les profils de risque de ces autres établissements selon les indicateurs prévus.

99      Pour justifier l’absence de ces éléments, le CRU fait valoir, en substance, que les éléments relatifs aux autres établissements sont confidentiels.

100    Le Tribunal ne conteste pas la nature confidentielle des données des (environ) 3 500 autres établissements, mais relève que, dans la mesure où il repose de manière interdépendante sur ces données, le calcul de la contribution de la requérante s’avère intrinsèquement opaque.

101    La requérante peut certes examiner la méthode de calcul de la contribution ex ante telle que définie dans la réglementation et exposée dans le texte de la décision attaquée. Elle peut, le cas échéant, en contester certains aspects et leur mise en œuvre à son égard, comme, par exemple, l’appréciation, par le CRU, de ses données au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63.

102    Cela étant, au-delà de telles contestations ciblées, la contribution de la requérante étant calculée de manière interdépendante et sur des bases non communicables, la méthode de calcul porte atteinte à sa possibilité de contester utilement la décision attaquée.

103    Ces considérations sont incidemment corroborées par le CRU dans le cadre de sa réponse aux quatrième et cinquième moyens. Dans ces moyens, la requérante conteste des éléments précis du calcul de sa contribution, en invoquant, notamment, son prétendument bon profil de risque qui ressortirait d’une comparaison, opérée par elle, de ses données financières avec des données d’autres établissements. Le CRU écarte cette comparaison au motif qu’elle n’équivaut pas à l’analyse exhaustive réalisée par lui conformément à la réglementation. Or, le Tribunal ne peut que constater, s’agissant de cette réponse du CRU, que précisément, la requérante est dans l’impossibilité d’accéder aux données précises et exhaustives qui lui permettraient de procéder à une telle analyse.

104    En outre, dans la mesure où, dans le cadre de sa réponse au cinquième moyen, le CRU insiste sur le fait que les montants du multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque, appliqués dans le cas de la requérante, « reste[nt] dans les limites prescrites par l’article 9, paragraphe 3, du règlement délégué [2015/63], à savoir entre 0,8 et 1,5 », il convient de relever que cette insistance ne répond pas aux préoccupations de la requérante. Ces préoccupations ne sont pas de savoir si le multiplicateur reste dans les limites susvisées, ce que la motivation fournie permet de constater, mais si ce multiplicateur ne comporte pas d’erreur à l’intérieur de ces limites, tenant compte de ce que, selon ce qui est indiqué dans le document intitulé « Détails du calcul », la fourchette prévue à la disposition précitée représente, en ce qui concerne le montant de la contribution de la requérante, une différence de [confidentiel] (1).

105    Quant au tableau publié par le CRU sur son site Internet et mentionné par lui également dans sa réponse au cinquième moyen, il n’apporte rien à cet égard. Ce tableau indique le nombre d’établissements qui se sont vu appliquer les montants du multiplicateur d’ajustement en fonction du profil du risque dans le contexte de la zone euro dans les intervalles entre 0,8 et 0,9, entre 0,9 et 1, etc. jusqu’à entre 1,4 et 1,5. Comme l’annexe de la décision attaquée, ce tableau ne fournit qu’une information partielle sur le calcul de la contribution ex ante, puisqu’il ne concerne que le multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque dans le contexte européen. Ce tableau – publié au demeurant après l’introduction du présent recours – ne permet pas de vérifier l’exactitude du calcul dudit multiplicateur dans le cas de la requérante et, par voie de conséquence, de sa contribution.

106    Il n’est d’ailleurs pas contesté par le CRU qu’un établissement comme la requérante ne peut pas savoir exactement pourquoi sa contribution augmente, baisse ou stagne d’une année sur l’autre, puisque ces variations ou cette stagnation résultent d’une position relative dont il ignore par définition les termes. Un établissement pourra ainsi voir sa contribution augmenter alors que son profil de risque propre a baissé, et vice versa, sans disposer des éléments justificatifs, s’agissant d’éléments confidentiels.

107    Or, il résulte de l’article 296 TFUE que les actes juridiques doivent être motivés, et la jurisprudence rappelle que l’obligation de motivation s’applique à tout acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, EU:C:2009:590, point 42).

108    Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu’un défaut de motivation ne saurait être justifié par l’obligation de respecter le secret professionnel. L’obligation de respecter les secrets d’affaires ne saurait être interprétée à ce point extensivement qu’elle vide l’exigence de motivation de son contenu essentiel (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 48 et jurisprudence citée).

109    En l’espèce, la motivation fournie à la requérante ne lui permet pas de vérifier le montant de sa contribution, lequel constitue pourtant l’élément essentiel de la décision attaquée en ce qu’elle la concerne. Elle place la requérante dans une position où elle n’est pas en mesure de savoir si ce montant a été calculé correctement ou si elle doit le contester devant le Tribunal, sans toutefois pouvoir, comme il lui incombe pourtant dans un recours juridictionnel, identifier, s’agissant dudit montant, les éléments contestés de la décision attaquée, formuler des griefs à cet égard et apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, EU:C:2011:816, point 132).

110    Il s’ensuit que le CRU a violé l’obligation de motivation.

111    Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments avancés par le CRU.

112    S’agissant de la référence à l’implication de la requérante dans le processus décisionnel, il convient de relever que cette implication se limite à la fourniture d’informations par l’établissement au CRU, conformément à l’article 14 du règlement délégué 2015/63 et selon les formats et schémas définis par le CRU en application de l’article 6 du règlement d’exécution 2015/81. Elle ne donne à l’établissement aucun moyen de vérifier l’exactitude de sa contribution.

113    Il en est de même, pour les raisons indiquées aux points 101 et 102 ci-dessus, de la référence par le CRU au fait que la méthode de calcul est exposée dans la réglementation applicable.

114    S’agissant de l’argument du CRU fondé sur la jurisprudence relative aux décisions qui s’inscrivent dans la lignée d’une pratique décisionnelle constante et peuvent être motivées d’une manière sommaire, il convient de relever ce qui suit.

115    Cette jurisprudence est dénuée de pertinence en ce qu’elle ne concerne pas la question, en cause en l’espèce, de l’occultation de données en raison de leur caractère confidentiel.

116    Au demeurant, dans la mesure où il ressort du dossier que le CRU utilise les technologies de l’information (fichiers XLSX, courriers électroniques) aux fins du calcul des contributions ex ante et de l’adoption des décisions sur ces contributions, ce qui permet une mise en forme et une diffusion aisées et rapides d’un grand nombre d’informations, il ne saurait être allégué que des considérations matérielles, techniques ou de délai, parfois invoquées pour justifier une motivation sommaire, pourraient s’appliquer en l’espèce.

117    Enfin et en tout état de cause, il ne saurait être question en l’espèce d’une pratique décisionnelle constante. Ainsi que l’observe la requérante, c’est seulement pour la deuxième fois que, en 2017, le CRU a fixé les contributions ex ante au FRU. De plus, la décision du CRU fixant les contributions ex ante au FRU pour 2016 a été annulée (arrêts du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU, T‑323/16, EU:T:2019:822 ; du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, et du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824).

118    S’agissant de l’argument fondé sur la jurisprudence relative à la motivation dans le domaine du droit de la concurrence, il est vrai qu’il est de jurisprudence constante, dans ce domaine, que les exigences de la motivation n’imposent pas à la Commission d’indiquer, dans sa décision, les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul du montant des amendes (voir arrêt du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, EU:T:2012:275, point 100 et jurisprudence citée).

119     Cependant, il convient de souligner qu’il ressort de cette jurisprudence que les amendes constituent un instrument de la politique de concurrence de la Commission qui doit pouvoir disposer d’une marge d’appréciation dans la fixation de leur montant afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. Ainsi, la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d’appréciation. Si la Commission avait l’obligation d’indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul du montant des amendes, il serait porté atteinte à l’effet dissuasif de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission, C‑182/99 P, EU:C:2003:526, point 75 ; du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, points 335 et 336, et du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU, T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823, point 198 et jurisprudence citée).

120    Or, de telles considérations ne sont pas transposables au cas d’espèce.

121    D’une part, le cas d’espèce ne s’inscrit pas dans le cadre d’une réglementation comportant l’existence d’une marge d’appréciation aux fins d’orienter le comportement des entreprises, mais dans le cadre d’un calcul objectif ne laissant, en principe, aucune marge d’appréciation de cette nature à l’auteur dudit calcul.

122    D’autre part, le cas d’espèce ne relève pas d’un processus de sanction justifiant que soit préservé un caractère dissuasif, mais relève d’un processus comparable à celui d’une taxation. Il n’y a, dans ce contexte, aucun motif de priver le débiteur de la possibilité de vérifier l’exactitude de sa contribution. À cet égard, et contrairement à ce que fait valoir le CRU, c’est à juste titre que la requérante invoque l’arrêt du 13 juin 1958, Meroni/Haute Autorité (9/56, EU:C:1958:7, p. 30 et 31), dans lequel la Cour a jugé que la justification légale de la décision attaquée dans cette affaire, opérant taxation d’office, exigeait le décompte exact et détaillé des éléments de la créance dont elle formait titre exécutoire, que seul pareil décompte pouvait permettre le contrôle juridictionnel et que, en l’absence de tels éléments, cette décision n’était pas suffisamment motivée (voir également arrêt du 16 décembre 1963, Macchiorlati Dalmas/Haute Autorité, 1/63, EU:C:1963:58, p. 636).

123    S’agissant de la référence opérée par le CRU à l’ordonnance du 22 février 2005, Hynix Semiconductor/Conseil (T‑383/03, EU:T:2005:57, point 35), celle-ci est manifestement dénuée de pertinence en l’espèce. En effet, cette ordonnance ne concernait pas l’obligation de motivation d’un acte, mais uniquement l’obligation d’une partie, qui présente une demande de confidentialité dans une procédure devant le Tribunal, de motiver sa demande.

124    S’agissant des références opérées par le CRU à des affaires concernant la passation de marchés publics et les aides d’État, le Tribunal a constaté, dans les affaires en cause, que l’occultation des données économiques dans la version non confidentielle de la décision litigieuse n’avait pas empêché les requérants de comprendre le raisonnement suivi par la Commission, ni entravé leur possibilité de contester cette décision devant le Tribunal, ni empêché celui-ci d’exercer son contrôle judiciaire dans le cadre du recours en cause (arrêt du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, points 73 à 77), et que les requérants avaient une connaissance suffisante des avantages relatifs des offres des autres soumissionnaires retenus (arrêt du 8 juillet 2015, European Dynamics Luxembourg e.a./Commission, T‑536/11, EU:T:2015:476, point 47 et point 50 in fine).

125    En l’espèce, en revanche, et ainsi qu’il a déjà été relevé aux points 93 à 106 et 109 ci-dessus, la motivation fournie à la requérante, même en tenant compte du document intitulé « Détails du calcul » (voir point 10 ci-dessus), ne lui permet pas de vérifier si le montant de sa contribution est conforme à la réglementation applicable et, donc, de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent et en quels termes.

126    Quant à la référence faite par le CRU à la jurisprudence relevant du domaine relatif à la lutte contre le terrorisme, qui admet que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales peuvent s’opposer à la communication de certains éléments de motivation (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 81), il suffit de relever que la matière de l’union bancaire ne concerne aucunement des thématiques s’apparentant à la lutte contre le terrorisme.

127    Enfin, et contrairement à ce qu’avance le CRU, force est de constater que la possibilité, pour le Tribunal, de lui demander de produire des informations aux fins de l’examen de la légalité de la décision attaquée ne peut pas modifier, en l’espèce, le constat d’une violation de l’obligation de motivation, ni garantir le respect du droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective.

128    En effet, la décision attaquée devait être suffisamment motivée à la date de son adoption et, en tout état de cause, avant l’introduction du recours en annulation. Le défaut de motivation ne saurait être pallié après l’introduction du recours devant le Tribunal, notamment à la suite de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction prises par ce dernier.

129    S’agissant de l’exception d’illégalité invoquée par la requérante, il convient d’écarter l’argument soulevé par la Commission lors de l’audience, selon lequel elle ne saurait contester la légalité de la décision attaquée, dès lors que la méthode de calcul de sa contribution, fondée sur l’interdépendance des contributions et le recours à des données confidentielles, découlerait non pas tant du règlement délégué 2015/63 que du règlement no 806/2014 et de la directive 2014/59, à l’encontre desquels elle n’aurait pas soulevé d’exception d’illégalité. En effet, ainsi qu’il ressort des considérations exposées ci-après, le fait que le calcul de la contribution ex ante de la requérante soit opaque et, partant, que cette dernière ne soit pas en mesure d’en vérifier l’exactitude résulte, à tout le moins en partie, de la méthode de calcul définie par la Commission elle-même, à savoir sans que cela lui ait été imposé par le règlement no 806/2014 ou la directive 2014/59, dans le règlement délégué 2015/63.

130    En application de l’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 et de l’article 103, paragraphe 2, de la directive 2014/59, une contribution ex ante d’un établissement est calculée, en substance, en deux étapes.

131    Est d’abord calculée une « contribution forfaitaire » (en réalité, pour les établissements les plus importants, dont la requérante, une « contribution annuelle de base » au sens du règlement délégué 2015/63, voir son considérant 5), qui est proportionnelle au montant du passif de l’établissement, hors fonds propres et dépôts couverts, rapporté au total du passif, hors fonds propres et dépôts couverts, de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire des États membres participants.

132    La « contribution annuelle de base » est ensuite adaptée en fonction du profil de risque de l’établissement.

133    Les critères de cette adaptation sont établis dans le règlement délégué 2015/63, pris par la Commission sur le fondement de l’article 103, paragraphe 2, second alinéa, et paragraphe 7, de la directive 2014/59 et applicable dans le contexte du règlement no 806/2014 en vertu de son article 70, paragraphe 6.

134    Toutefois, il ne ressort pas de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, base juridique du règlement délégué 2015/63, que l’adaptation en fonction du profil de risque devrait nécessairement emprunter un mode de calcul interdépendant et fondé sur des données confidentielles de tiers.

135    En effet, les éléments à prendre en compte pour l’adaptation en fonction du profil de risque, dont l’article 103, paragraphe 7, susvisé dresse la liste, se rapportent tous exclusivement à l’établissement concerné, à savoir, premièrement, l’exposition au risque de l’établissement, y compris l’importance de ses activités de négociation, de ses engagements hors bilan et de son niveau d’endettement, deuxièmement, la stabilité et la diversité des sources de financement de l’établissement et de ses actifs non grevés très liquides, troisièmement, la situation financière de l’établissement, quatrièmement, la probabilité qu’il soit soumis à une procédure de résolution, cinquièmement, la mesure dans laquelle il a déjà bénéficié d’un soutien financier public exceptionnel, sixièmement, la complexité de sa structure et sa résolvabilité, septièmement, l’importance de l’établissement pour la stabilité du système financier ou de l’économie d’un ou de plusieurs États membres ou de l’Union et, huitièmement, l’appartenance à un système de protection institutionnel.

136    Quant à soutenir que l’interdépendance et le recours aux données confidentielles des autres établissements découleraient de l’article 69, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 qui fixe, à travers le niveau cible, un niveau de financement du FRU à atteindre au terme de la période initiale, et de l’article 70, paragraphe 2, du même règlement, qui prévoit que le cumul des contributions ne doit pas dépasser annuellement 12,5 % dudit niveau cible, force est de constater que ces deux dispositions n’imposent pas, à travers les seuils qu’elles fixent, un système d’adaptation en fonction du profil de risque opaque pour les établissements concernés, dont la requérante.

137    Premièrement, l’article 69, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 ne définit pas le niveau cible comme un plafond exact de financement qu’il conviendrait de remplir au centime d’euro près, mais seulement comme un minimum (« au moins 1 % »).

138    Deuxièmement, ce niveau cible est défini par référence au montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements de crédit concernés au terme de la période dite initiale, donc à un montant qui ne pourra être chiffré qu’à la fin de 2023.

139    Troisièmement, si l’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 exige que les contributions ex ante perçues pour l’année en cause ne dépassent pas 12,5 % dudit niveau cible, cela n’a pas pour résultat une nécessité absolue de fixer, pour chaque année, un montant précis qui devrait ensuite être réparti, dans le cadre du calcul des contributions ex ante, entre tous les établissements concernés. En effet, outre le fait que le taux de 12,5 % se rapporte lui-même au niveau cible défini comme un minimum et par référence à un montant qui ne pourra être chiffré qu’à la fin de 2023, cette disposition n’interdit pas un cumul des contributions ex ante qui s’élèverait éventuellement, pour l’année en cause, à moins de 12,5 % dudit niveau cible.

140    Il s’ensuit que, dès lors que, d’une part, la directive 2014/59 et le règlement no 806/2014 n’imposaient pas à la Commission d’adopter, par le règlement délégué 2015/63, une méthode d’adaptation au profil de risque opaque pour la requérante et, d’autre part, la Commission a admis que, d’un point de vue économique, il était possible d’évaluer le profil de risque d’un établissement uniquement sur la base de ses propres données (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824, point 156), la circonstance que la requérante ait limité son exception d’illégalité au seul règlement délégué 2015/63 ne fait nullement obstacle à la constatation, par le Tribunal, de l’illégalité de la méthode de calcul des contributions ex ante au regard des exigences de l’article 296 TFUE, à tout le moins pour ce qui concerne la partie de cette méthode relative à l’adaptation en fonction du profil de risque, déterminée dans ce règlement délégué.

141    Il convient donc de conclure que la violation de l’obligation de motivation constatée en l’espèce au point 110 ci-dessus trouve sa cause, pour la partie du calcul de la contribution ex ante relative à l’adaptation en fonction du profil de risque, dans l’illégalité, invoquée par voie d’exception, des articles 4 à 7 et 9 et de l’annexe I du règlement délégué 2015/63.

142    Au demeurant et en tout état de cause, dès lors que l’exigence d’une motivation suffisamment précise des actes, consacrée par l’article 296 TFUE, constitue l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union, dont il appartient au juge d’assurer le respect, au besoin en soulevant d’office un moyen tiré de la méconnaissance de cette obligation (voir points 36 et 37 ci-dessus) et que, en violation de cette obligation, la requérante ne dispose pas des éléments suffisants pour vérifier l’exactitude de sa contribution, le CRU ne saurait pallier une telle violation par l’invocation d’une réglementation de droit dérivé.

143    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure, après avoir accueilli le moyen tiré de la violation de l’exigence d’authentification, que la décision attaquée doit également être annulée sur le fondement de la violation de l’obligation de motivation et du droit à une protection juridictionnelle effective, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par la requérante.

 Sur la limitation dans le temps des effets de l’arrêt

144    Le CRU conclut, en substance, que, si le Tribunal annulait la décision attaquée, il conviendrait de différer les effets de l’annulation de six mois après que l’arrêt est devenu définitif.

145    La requérante ne s’est pas exprimée sur ce point.

146    Les arrêts par lesquels le Tribunal annule une décision prise par une institution ou un organe de l’Union ont, en principe, un effet immédiat, en ce sens que l’acte annulé est éliminé rétroactivement de l’ordre juridique et censé n’avoir jamais existé. Il n’en reste pas moins que, sur le fondement de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut maintenir provisoirement les effets d’une décision annulée (voir arrêt du 2 avril 2014, Ben Ali/Conseil, T‑133/12, non publié, EU:T:2014:176, point 83 et jurisprudence citée).

147    En l’espèce, il découle de ce qui précède que le CRU ne pourra pas remplacer la décision attaquée sans violer, de nouveau, l’obligation de motivation et le droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective, avant que le cadre juridique, et notamment le règlement délégué 2015/63, ne soit modifié.

148    Dans ces conditions, il y a lieu, conformément aux conclusions du CRU, de maintenir les effets de la décision attaquée pendant six mois à compter du jour où le présent arrêt devient définitif.

 Sur les dépens

149    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le CRU ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

150    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision du Conseil de résolution unique (CRU) dans sa session exécutive du 11 avril 2017 sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique (SRB/ES/SRF/2017/05) est annulée en ce qu’elle concerne Landesbank Baden-Württemberg.

2)      Les effets de la décision SRB/ES/SRF/2017/05 sont maintenus, en ce qu’elle concerne Landesbank Baden-Württemberg, pendant six mois à compter du jour où le présent arrêt devient définitif.

3)      Le CRU supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Landesbank Baden-Württemberg.

4)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Collins

Kancheva

Barents

Passer

 

      De Baere

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.


1 Données confidentielles occultées.