Language of document : ECLI:EU:T:2015:921

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

2 décembre 2015 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Enregistrement international désignant la Communauté européenne – Marque verbale KENZO ESTATE – Marque communautaire verbale antérieure KENZO – Motif relatif de refus – Renommée – Article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 207/2009 – Obligation de motivation – Article 75 du règlement n° 207/2009 – Rejet partiel de l’opposition »

Dans l’affaire T‑528/13,

Kenzo, établie à Paris (France), représentée par Mes P. Roncaglia, G. Lazzeretti, F. Rossi et N. Parrotta, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. P. Bullock, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

Kenzo Tsujimoto, demeurant à Osaka (Japon), représenté par Mes A. Wenninger-Lenz, W. von der Osten-Sacken et M. Ring, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 3 juillet 2013 (affaire R 1363/2012-2), relative à une procédure d’opposition entre Kenzo et M. K. Tsujimoto,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen (rapporteur), président, Mme I. Pelikánová et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2013,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 14 janvier 2014,

vu le mémoire en réponse de l’intervenant déposé au greffe du Tribunal le 31 janvier 2014,

vu le mémoire en réplique déposé au greffe du Tribunal le 2 mai 2014,

vu le mémoire en duplique de l’intervenant déposé au greffe du Tribunal le 18 août 2014,

vu la question écrite du Tribunal aux parties sur les arrêts du 22 janvier 2015, Tsujimoto/OHMI – Kenzo (KENZO) (T‑322/13, EU:T:2015:47) et Tsujimoto/OHMI – Kenzo (KENZO) (T‑393/12, EU:T:2015:45),

vu les réponses à la question du Tribunal déposées par les parties au greffe du Tribunal les 17 et 25 juin 2015,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 18 août 2009, M. Kenzo Tsujimoto, l’intervenant, a présenté une demande d’enregistrement international désignant la Communauté européenne, signifiée à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) le 5 novembre 2009, en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal KENZO ESTATE.

3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 29, 30, 31, 35, 41 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 29 : « Huile d’olive (à usage alimentaire) ; huile aux pépins de raisin (à usage alimentaire) ; huiles et graisses alimentaires ; raisins secs ; fruits et légumes transformés ; légumes congelés ; fruits congelés ; légumineuses à grains crues ; produits transformés à base de viande ; fruits de mer transformés » ;

–        classe 30 : « Confiseries, pains et petits-pains ; vinaigre de vin ; sauces aux olives ; assaisonnements (autres épices) ; épices ; sandwiches ; pizzas ; hot-dogs (sandwiches) ; tourtes à la viande ; raviolis » ;

–        classe 31 : « Raisins (frais) ; olives (fraiches) ; fruits (frais) ; légumes (frais) ; semences et bulbes » ;

–        classe 35 : « Services de recherche dans le domaine du vin ; informations et renseignements sur la vente de vin ; services d’annonces publicitaires et de publicité : agences d’import-export ; services de vente au détail ou en gros de produits alimentaires et de boissons ; services de vente au détail ou en gros de liqueurs » ;

–        classe 41 : « Services éducatifs et d’instruction en matière de culture générale dans le domaine du vin ; services éducatifs et d’instruction en matière de culture générale dans le domaine de l’obtention d’un diplôme de sommellerie ; organisation et conduite de dégustations de vin et tests de simulation dans ce domaine ; examen et homologation de diplômes de sommellerie ; préparation, organisation et conduite de séminaires sur le vin ; préparation, organisation et conduite de séminaires au sujet du diplôme de sommellerie ; mise à disposition de publications électroniques sur le vin ; mise à disposition de publications électroniques au sujet du diplôme de sommellerie ; édition de livres sur le vin ; édition de livres sur le diplôme de sommellerie ; mise à disposition d’installations de formation scolaire dans le domaine du vin ; mise à disposition d’installations de formation scolaire pour le diplôme de sommellerie » ;

–        classe 43 : « Fourniture d’aliments et de boissons ; fourniture de logements temporaires ».

4        La demande d’enregistrement a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 44/2009, du 16 novembre 2009.

5        Le 12 août 2010, la requérante, Kenzo, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement n° 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits et les services visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la marque communautaire verbale antérieure KENZO, enregistrée le 20 février 2001 sous le numéro 720706, pour des produits relevant notamment des classes 3, 18 et 25 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; produits de parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices » ;

–        classe 18 : « Cuir et imitations du cuir, ceintures, sacs, sacs à main, malles et valises, sacoches, sacs de voyages et autres bagages ; laisses, portefeuilles, porte-documents, serviettes, pochettes (maroquinerie), porte-monnaie, étuis pour clés (maroquinerie), boîtes et coffrets en cuir, imitations de cuir, porte-cartes, porte-chéquiers, attaché-case, mallettes pour produits de maquillages, trousses de voyage (maroquinerie) ; trousses de toilette et de maquillage (non équipée), peaux d’animaux ; parapluies, parasols et cannes ; fouets, harnais et sellerie » ;

–        classe 25 : « Vêtements (habillement), chaussures (à l’exception des chaussures orthopédiques), chapellerie ».

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

8        Par décision du 24 mai 2012, la division d’opposition a rejeté l’opposition.

9        Le 23 juillet 2012, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 3 juillet 2013 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’OHMI a accueilli partiellement le recours. Selon la chambre de recours, les trois conditions cumulatives d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 étaient remplies en l’espèce pour les services visés par l’enregistrement demandé. S’agissant de la première condition, la chambre de recours a relevé que les marques en conflit étaient hautement similaires. S’agissant de la deuxième condition, la chambre de recours a estimé, contrairement à la division d’opposition, que la requérante avait démontré que la marque antérieure jouissait d’une renommée. S’agissant de la troisième condition, la chambre de recours a considéré, pour les services visés par l’enregistrement demandé, qu’il semblait hautement probable que la marque dont l’enregistrement était demandé, pour laquelle aucun juste motif pour l’usage n’avait été démontré, allait se placer dans le sillage de la marque antérieure renommée, afin de bénéficier du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige de cette dernière et d’exploiter, sans compensation financière, l’effort commercial déployé par le titulaire de cette marque pour créer et entretenir l’image de celle-ci. En revanche, la chambre de recours a considéré, pour les produits compris dans les classes 29 à 31 et visés par l’enregistrement demandé, qu’ils n’étaient pas considérés comme des produits de luxe et qu’ils n’étaient pas invariablement associés au monde du glamour ou de la mode. Ce seraient des produits alimentaires courants de grande consommation, qui sont achetés dans toutes les supérettes de quartier, et ils n’auraient qu’un lien périphérique avec les produits de la requérante. Cette dernière n’aurait pas justifié les raisons pour lesquelles l’enregistrement demandé tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice. La chambre de recours a rejeté l’opposition pour ces produits.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en ce qu’elle accueille la demande d’enregistrement pour les produits compris dans les classes 29 à 31 ;

–        condamner l’OHMI aux dépens ;

–        condamner l’intervenant à supporter les dépens engagés devant la division d’opposition et devant la chambre de recours de l’OHMI.

12      L’OHMI et l’intervenant concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 75 du règlement n° 207/2009 et, le second, de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du même règlement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 75 du règlement n° 207/2009

14      La requérante fait valoir que la chambre de recours n’a pas expliqué en détail les raisons qui l’ont amenée à rejeter l’opposition pour les produits compris dans les classes 29 à 31. La chambre de recours n’aurait pas tenu compte de ses arguments concernant les effets préjudiciables que l’usage de la marque contestée pourrait causer à la renommée, au caractère distinctif et à l’image de la marque antérieure.

15      L’OHMI et l’intervenant contestent l’argumentation de la requérante.

16      En vertu de l’article 75 du règlement n° 207/2009, les décisions de l’OHMI doivent être motivées.

17      Selon une jurisprudence constante, cette obligation a la même portée que celle consacrée par l’article 296 TFUE. La motivation exigée par cet article doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte. Cette obligation a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision [voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2008, Shaker/OHMI – Limiñana y Botella (Limoncello della Costiera Amalfitana shaker), T‑7/04, Rec, EU:T:2008:481, point 73 et jurisprudence citée].

18      En l’espèce, la chambre de recours a indiqué, au point 52 de la décision attaquée, qu’elle considérait que les produits compris dans les classes 29 à 31 et visés par l’enregistrement demandé n’étaient pas typiquement considérés comme des produits de luxe. Elle a précisé que ces produits étaient des produits alimentaires courants de grande consommation et elle a ajouté qu’ils n’avaient qu’un lien périphérique avec ceux couverts par la marque antérieure. Elle a conclu que la requérante n’avait pas justifié les raisons pour lesquelles l’enregistrement demandé tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice.

19      Par ces explications, la chambre de recours a permis à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles elle a rejeté l’opposition pour les produits compris dans les classes 29 à 31 et visés par l’enregistrement demandé.

20      Ce faisant, il n’apparaît pas que la chambre de recours ait manqué à son obligation de motivation.

21      Il convient d’ajouter que, si la chambre de recours n’a pas apporté de plus amples précisions quant aux arguments de la requérante concernant les effets préjudiciables que l’usage de la marque contestée pourrait causer à la renommée, au caractère distinctif et à l’image de la marque antérieure, il ne saurait toutefois lui être reproché de ne pas avoir motivé plus en détail sa décision.

22      En effet, les chambres de recours ne sont pas obligées, dans la motivation des décisions qu’elles sont amenées à adopter, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent devant elles. Il suffit qu’elles exposent les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision [arrêt du 30 juin 2010, Matratzen Concord/OHMI – Barranco Schnitzler (MATRATZEN CONCORD), T‑351/08, EU:T:2010:263, point 18].

23      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009

24      D’une part, la requérante fait valoir que la chambre de recours aurait dû distinguer les produits relevant des classes 29 à 31, qui ne peuvent pas être considérés comme des produits de luxe, comme les hot-dogs et les tourtes à la viande, et les autres produits, tels que les huiles d’olive et le vinaigre, qui peuvent évoquer des images de glamour, de succès et de statut social. Elle aurait dû alors conclure que, pour ces derniers produits, la marque contestée tirerait indûment profit de la renommée de la marque antérieure.

25      D’autre part, la requérante soutient que l’usage de la marque contestée pour des produits que la chambre de recours a qualifiés de « denrées alimentaires communes destinées à la consommation de masse et qui s’achètent dans toutes les supérettes de quartier » affecterait et affaiblirait le caractère distinctif et la renommée de la marque antérieure. La requérante ajoute, à cet égard, que l’usage de la marque contestée pour de nombreux produits compris dans les classes 29 à 31 et visés par l’enregistrement demandé, tels que les pizzas, les hot-dogs, les sandwiches et les tourtes à la viande, qui sont associés à une mauvaise alimentation, impliquerait un préjudice pour la renommée de la marque antérieure.

26      En premier lieu, l’OHMI soutient que la chambre de recours a considéré à juste titre que les produits couverts par l’enregistrement demandé ne pouvaient pas être considérés comme des produits de luxe sophistiqués auxquels l’image positive dont jouit la marque antérieure pourrait être transférée. La requérante se limiterait à des déclarations sans preuve lorsqu’elle soutient que l’huile d’olive et le vinaigre de vin sont liés à l’idée de luxe et d’exclusivité. Le fait que de nombreuses denrées alimentaires puissent être présentées de manière à évoquer le luxe et le glamour ne serait pas concluant, dès lors que cela relèverait simplement d’un choix de marketing. L’exemple pris par la requérante ne tiendrait pas compte de la nature des produits concernés ni des circonstances normales dans lesquelles ils sont commercialisés. Les huiles alimentaires et le vinaigre seraient des ingrédients de base qui sont achetés assez fréquemment, nonobstant le fait qu’il puisse exister des huiles d’olive et du vinaigre de qualités diverses et à des prix différents.

27      En deuxième lieu, l’OHMI allègue que la requérante s’est limitée à des déclarations sans preuve en ce qui concerne le prétendu préjudice causé au caractère distinctif de la marque antérieure et n’a pas expliqué comment une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits couverts par la marque antérieure pourrait se produire.

28      En troisième lieu, l’OHMI fait valoir que la nature et les caractéristiques inhérentes des produits visés par l’enregistrement demandé ne sont pas incompatibles avec l’image positive associée à la marque antérieure. S’agissant de l’argument selon lequel certains produits seraient associés à une mauvaise alimentation, ces produits pourraient être également considérés comme sains en fonction de leurs ingrédients et des méthodes de préparation et il ne serait pas correct de partir du principe qu’ils sont intrinsèquement incompatibles avec l’image associée à la marque antérieure, dès lors qu’ils sont vendus aussi dans des grands magasins.

29      L’intervenant considère que les conditions pour l’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 ne sont pas réunies. Non seulement les marques en conflit ne seraient pas identiques ni similaires et la renommée de la marque antérieure ne serait pas établie, mais, en outre, la marque dont l’enregistrement est demandé ne tirerait pas un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure. Les produits pour lesquels la marque antérieure jouirait d’une renommée, à savoir les cosmétiques, les parfums et les vêtements, viseraient un public et revêtiraient une nature très différents de ceux des produits visés par l’enregistrement demandé. Il n’existerait aucune corrélation entre les marques en conflit.

30      À cet égard, il convient de souligner que les diverses atteintes visées par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque antérieure et la marque dont l’enregistrement est demandé, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre celles-ci, alors même qu’il ne les confond pas. Dès lors, l’existence d’un lien entre la marque dont l’enregistrement est demandé et la marque antérieure, qui doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, est une condition essentielle pour appliquer cette disposition. Parmi ces facteurs peuvent être cités le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou de ces services ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public [voir arrêt du 27 septembre 2012, El Corte Inglés/OHMI – Pucci International (Emidio Tucci), T‑373/09, EU:T:2012:500, point 63 et jurisprudence citée].

31      Il convient d’ajouter que le titulaire de la marque antérieure n’est pas tenu de démontrer l’existence d’une atteinte effective et actuelle à sa marque. Il doit toutefois apporter des éléments permettant de conclure prima facie à un risque futur non hypothétique de profit indu ou de préjudice. Une telle conclusion peut être établie notamment sur la base de déductions logiques résultant d’une analyse des probabilités et en prenant en compte les pratiques habituelles dans le secteur commercial pertinent ainsi que toutes autres circonstances de l’espèce (voir arrêt Emidio Tucci, point 30 supra, EU:T:2012:500, point 64 et jurisprudence citée).

32      Il y a lieu de préciser que, conformément à la jurisprudence, il est possible, notamment dans le cas d’une opposition fondée sur une marque bénéficiant d’une renommée exceptionnellement élevée, que la probabilité d’un risque futur non hypothétique de préjudice porté ou de profit indûment tiré par la marque dont l’enregistrement est demandé pour la marque antérieure soit tellement évidente que l’opposant n’a besoin d’invoquer et de prouver aucun autre élément factuel à cette fin. Toutefois, il ne saurait être présumé que tel soit toujours le cas. En effet, il est possible que la marque dont l’enregistrement est demandé n’apparaisse pas, à première vue, susceptible de créer l’un des trois types de risque visés par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 pour la marque antérieure renommée, en dépit de son identité ou de sa similitude avec cette dernière. Dans ce cas, l’opposition doit être rejetée comme non fondée, à moins qu’un tel risque futur non hypothétique de préjudice ou de profit indûment tiré puisse être démontré à l’aide d’autres éléments, qu’il appartient à l’opposant d’invoquer et de prouver (voir arrêt Emidio Tucci, point 30 supra, EU:T:2012:500, point 65 et jurisprudence citée).

33      En ce qui concerne les produits des classes 29 à 31, visés par l’enregistrement demandé, même s’ils sont tous différents de ceux couverts par la marque antérieure, certains d’entre eux peuvent faire partie des produits vendus comme produits de luxe sous des marques renommées de fabricants réputés. Tel est le cas de l’huile d’olive, du vinaigre de vin, mais aussi de tous les produits qui peuvent se retrouver commercialisés dans d’élégants paniers garnis, comme le relève à juste titre la requérante. Cette circonstance met en évidence l’existence d’une certaine proximité entre ces produits et ceux couverts par la marque antérieure, notamment dans le domaine des produits de luxe. Eu égard à cette proximité, ainsi qu’au haut degré de similitude des marques en conflit, au caractère distinctif et à la renommée de la marque antérieure, il y a lieu de considérer qu’il existe un lien entre les signes en conflit et que, contrairement à ce qu’a retenu la chambre de recours, il existe un risque que l’intervenant puisse profiter du lien existant entre la marque dont l’enregistrement est demandé et la marque antérieure pour associer son signe à la notoriété dont bénéficie cette dernière marque et tirer indûment profit de la renommée de celle-ci, bénéficiant de l’image de luxe et d’exclusivité que véhicule ladite marque.

34      Il convient d’ajouter que la circonstance que les produits en question seraient vendus, dans des circonstances normales ou principalement, dans la grande distribution, ce qui relève des modalités de commercialisation qui peuvent varier dans le temps et suivant la volonté de ses titulaires, n’enlève rien au fait que la protection de la marque dont l’enregistrement est demandé, si celui-ci devait être accepté, s’étendrait à tous les produits en question, de sorte que c’est pour l’ensemble de ces produits qu’il y a lieu de définir le public pertinent, et donc aussi ceux vendus comme produits de luxe [voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2012, Ella Valley Vineyards/OHMI – HFP (ELLA VALLEY VINEYARDS), T‑32/10, Rec, EU:T:2012:118, point 29 et jurisprudence citée].

35      En ce qui concerne les produits qui seraient davantage associés à des produits de consommation courante, voire à une mauvaise alimentation, les arguments présentés par la requérante suffisent à établir que l’enregistrement demandé pour lesdits produits pourrait porter préjudice à la renommée de la marque antérieure (voir, en ce sens, arrêt Emidio Tucci, point 30 supra, EU:T:2012:500, point 67).

36      En effet, contrairement à ce qu’a fait valoir la chambre de recours et comme le relève à juste titre la requérante, l’enregistrement de la marque demandée pour de tels produits risque de porter atteinte à l’image d’exclusivité, de luxe et de haute qualité associée à la marque antérieure. Étant donné le haut degré de similitude entre les marques en conflit, le caractère distinctif et la renommée de la marque antérieure, il y a lieu de considérer qu’il existe un lien entre les marques en conflit. Il est probable que le consommateur des produits couverts par la marque antérieure établisse une association entre ces produits et ceux couverts par la marque demandée susceptibles de porter atteinte à l’image d’exclusivité, de luxe et de haute qualité véhiculée par la marque antérieure et, donc, de porter préjudice au caractère distinctif et à la renommée de la marque antérieure.

37      Une telle conclusion ne saurait être renversée par l’argumentation de l’intervenant, qui se contente, à cet égard, de renvoyer aux arguments développés par lui dans le cadre de son recours introduit devant le Tribunal et enregistré sous le numéro d’affaire T‑522/13.

38      La formulation aussi laconique de ladite argumentation ne saurait être prise en considération, sans autres informations à l’appui, étant précisé que l’intervenant n’a au demeurant même pas communiqué, en annexe à ses écritures, la requête déposée dans l’affaire T-522/13 et que, à supposer même qu’il l’ait fait, il serait contraire à la fonction purement probatoire et instrumentale des annexes que celles-ci puissent servir à faire la démonstration détaillée d’une allégation présentée de manière insuffisamment claire et précise (voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission, T‑587/08, Rec, EU:T:2013:129, point 542 et jurisprudence citée). L’argumentation de l’intervenant doit être déclarée, par conséquent, irrecevable.

39      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de considérer fondé le second moyen soulevé par la requérante et d’annuler en conséquence la décision attaquée, en ce qu’elle a rejeté l’opposition pour les produits visés par l’enregistrement demandé.

 Sur les dépens

40      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

41      L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens exposés par la requérante, conformément aux conclusions de celle-ci. L’OHMI et l’intervenant supporteront leurs propres dépens exposés dans le cadre de la présente instance.

42      En outre, la requérante a conclu à la condamnation de l’intervenant aux dépens exposés aux fins de la procédure devant l’OHMI. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Il n’en va toutefois pas de même des frais exposés aux fins de la procédure devant la division d’opposition. Partant, la demande de la requérante tendant à ce que l’intervenant, ayant succombé en ses conclusions, soit condamné aux dépens exposés dans le cadre de la procédure devant l’OHMI ne peut être accueillie que s’agissant des seuls dépens indispensables exposés par la requérante aux fins de la procédure devant la chambre de recours. Dans la mesure où la présente procédure ne vise qu’une partie de la décision attaquée, l’intervenant supportera ses dépens et la moitié des dépens exposés par la requérante aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 3 juillet 2013 (affaire R 1363/2012-2) est annulée, en ce qu’elle a rejeté l’opposition pour les produits des classes 29 à 31 couverts par l’enregistrement international demandé.

2)      L’OHMI est condamné aux dépens exposés par Kenzo dans le cadre de la présente instance.

3)      L’OHMI et M. Kenzo Tsujimoto supporteront leurs propres dépens exposés dans le cadre de la présente instance.

4)      M. K. Tsujimoto supportera ses dépens et la moitié des dépens supportés par Kenzo aux fins de la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 décembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.