Language of document : ECLI:EU:T:2004:270

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
21 septembre 2004 (1)

« Remise de droits à l'importation – Article 1er, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 3319/94 – Notion de ‘situation particulière’ au sens de l'article 905 du règlement (CEE) n° 2454/93 – Droit antidumping frappant les importations de mélange d'urée et de nitrate d'ammonium en solution en provenance de Pologne – Facturation directe à l'importateur »

Dans l'affaire T-104/02,

Société française de transports Gondrand Frères SA, établie à Paris (France), représentée par Me M. Famchon, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Durand, MM. B. Stromsky et X. Lewis, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision C(2002) 24 final de la Commission, du 14 janvier 2002, constatant que la remise des droits à l'importation n'est pas justifiée dans un cas particulier,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),



composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas, J. D. Cooke, P. Mengozzi et Mme M. E. Martins Ribeiro, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 18 décembre 2003,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique

1
Le considérant 39 du règlement (CE) n° 3319/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de mélange d’urée et de nitrate d’ammonium en solution originaire de Bulgarie et de Pologne, exporté par des sociétés autres que celles qui sont exemptées du droit, et portant perception définitive des montants garantis par le droit provisoire (JO L 350, p. 20), figurant sous le titre H intitulé « Mesures antidumping », prévoit :

« Compte tenu du préjudice important subi par l’industrie communautaire, caractérisé par des pertes financières, et en raison du fait que l’institution d’un droit ad valorem serait préjudiciable à la situation de prix sur le marché communautaire de ce produit saisonnier et hautement sensible au prix et étant donné l’existence de divers circuits d’importation par l’intermédiaire de sociétés de pays tiers, il est jugé approprié d’instituer un droit variable à un niveau permettant à l’industrie communautaire d’augmenter ses prix jusqu’à un niveau rentable pour les importations facturées directement par les producteurs bulgares ou polonais ou par des parties ayant exporté le produit concerné au cours de la période d’enquête et, d’autre part, un droit spécifique calculé sur la même base pour toutes les autres importations afin d’éviter le contournement des mesures antidumping. »

2
L’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94 établit le droit antidumping définitif suivant :

« Le montant du droit antidumping institué sur les importations originaires de Pologne est égal à la différence entre le prix minimal à l’importation de 89 écus par tonne de produit et le prix [coût, assurance et fret (caf)] frontière communautaire majoré du droit [tarif douanier commun] (TDC) à payer par tonne de produit, dans tous les cas où le prix caf frontière communautaire majoré du droit TDC à payer par tonne de produit est inférieur au prix minimal à l’importation et lorsque les importations mises en libre pratique sont directement facturées à un importateur non lié par l’un des exportateurs ou producteurs suivants situés en Pologne :

[…]

- Zaklady Azotowe Pulawy, Pulawy,

- (code TARIC additionnel : 8793).

Pour les importations mises en libre pratique qui ne sont pas directement facturées à l’importateur non lié par l’un des exportateurs ou producteurs susmentionnés situés en Pologne, il est institué le droit spécifique suivant :

pour le produit […] certifié de Zaklady Azotowe Pulawy […] un droit spécifique de 19 écus par tonne de produit [...] (code TARIC additionnel : 8795). »

3
L’article 236 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le « code des douanes »), prévoit le remboursement des droits à l’importation ou des droits à l’exportation, dans la mesure où il est établi qu’au moment de leur paiement, ou de leur prise en compte, leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220, paragraphe 2, du même code. Cependant, le remboursement ou la remise des droits est exclu lorsque les faits ayant conduit au paiement ou à la prise en compte d’un montant qui n’était pas légalement dû résultent d’une manœuvre de l’intéressé.

4
L’article 239 du code des douanes (ci-après la « clause d’équité ») se lit comme suit :

« 1. Il peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation dans des situations autres que celles visées aux articles 236, 237 et 238 :

- à déterminer selon la procédure du comité,

- qui résultent de circonstances n’impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé. Les situations dans lesquelles il peut être fait application de cette disposition ainsi que les modalités de procédure à suivre à cette fin sont définies selon la procédure du comité. Le remboursement ou la remise peuvent être subordonnées à des conditions particulières.

2. Le remboursement ou la remise des droits pour les motifs indiqués au paragraphe 1 est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date de la communication desdits droits au débiteur. Toutefois, les autorités douanières peuvent autoriser un dépassement de ce délai dans des cas exceptionnels dûment justifiés. »

5
L’article 905 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du code des douanes (JO L 253, p. 1, ci-après le « règlement d’application »), prévoit, en son paragraphe 1 :

« Lorsque l’autorité douanière de décision, saisie de la demande de remboursement ou de remise au titre de l’article 239, paragraphe 2, du code, n’est pas en mesure, sur la base de l’article 899, de décider et que la demande est assortie de justifications susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé, l’État membre dont relève cette autorité transmet le cas à la Commission pour être réglé conformément à la procédure prévue aux articles 906 à 909 […] »

6
L’article 399 du code des douanes français définit comme « intéressés » à la fraude ceux qui ont participé d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d’importation ou d’exportation sans déclaration. Les intéressés à la fraude sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l’article 432 du même code.


Faits à l’origine du litige

7
La requérante est une société française qui exerce l’activité de commissionnaire agréé en douane. Les 22 et 23 août et le 17 septembre 1996, elle a mis en libre pratique, auprès du bureau des douanes de Rouen (France), trois cargaisons de mélange d’urée et de nitrate d’ammonium en solution, originaires de Pologne, pour le compte de trois sociétés françaises, à savoir UNCAA, Champagne Fertilisants et EFI Trade (ci-après les « sociétés destinataires »).

8
Ces marchandises avaient été achetées auprès de la société polonaise Zaklady Azotowe Pulawy (ci-après « ZAP ») par la société française Evertrade. Elles ont fait l’objet d’une première facturation par ZAP à Evertrade avant d’être facturées par Evertrade aux sociétés destinataires (factures du 12 août 1996, nos 96.00230 et 96.00231 à Champagne Fertilisants, et 96.00232 à UNCAA, et du 21 août 1996, nos 96.00243, 96.00244, 96.00245 et 96.00246 à EFI Trade).

9
Les déclarations en douane déposées par la requérante contenaient une demande d’exemption de droits antidumping sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94. Les marchandises ont été acceptées par l’administration douanière au bureau des douanes de Rouen (ci-après l’« administration douanière compétente »), qui a apposé la mention « ACD » (admis conforme sur documents) sur ces déclarations, lors de leur présentation les 22 et 23 août et le 17 septembre 1996. Les sept factures émises par Evertrade (voir point 8 ci-dessus) étaient jointes à ces déclarations.

10
Par lettre du 4 juillet 1997, le receveur principal des douanes et droits indirects à la direction interrégionale des douanes de Rouen a indiqué à la requérante que, après contrôle a posteriori des déclarations en douane, il avait constaté que les importations en cause n’avaient pas été directement facturées aux trois sociétés destinataires par ZAP. Il a estimé que, dès lors, le droit spécifique de 19 écus par tonne de produit aurait dû être appliqué en l’espèce et que la requérante devait s’acquitter d’une dette de 1 757 175 francs français (FRF) au titre du droit antidumping et de 96 643 FRF au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) incidente, soit un montant total de 1 853 818 FRF (ci-après la « dette antidumping »).

11
Par lettre du 3 août 2000 adressée au directeur général des douanes (Rouen), la requérante a demandé, sur la base de l’article 236, paragraphe 1, et de l’article 239, paragraphe 1, du code des douanes, une remise des droits antidumping qui lui étaient réclamés. Le 12 décembre 2000, la direction générale des douanes et droits indirects française lui a indiqué que sa demande de remise avait été transmise à la Commission sur la base de l’article 239 du code des douanes.

12
Par décision C(2002) 24 final de la Commission, du 14 janvier 2002, constatant que la remise des droits à l’importation n’est pas justifiée dans un cas particulier, la Commission a rejeté cette demande (ci-après la « décision litigieuse »).


Procédure et conclusions des parties

13
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 avril 2002, la requérante a introduit le présent recours.

14
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d’instruction.

15
La requérante ne s’étant pas présentée à l’audience du 18 décembre 2003, le greffier a confirmé que la convocation à l’audience avait été envoyée au domiciliataire désigné par la requérante au Luxembourg et que l’accusé de réception de cette convocation avait été renvoyé au greffe du Tribunal. Après avoir consulté la Commission sur l’éventualité d’une suspension, le Tribunal a décidé de poursuivre l’audience, la Commission ayant déféré cette question à la sagesse de celui-ci.

16
La Commission a été entendue en ses plaidoiries et en ses réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience.

17
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours recevable ;

annuler la décision litigieuse ;

accorder à la requérante la remise des droits antidumping mis à sa charge.

18
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme non fondé ;

condamner la requérante aux dépens.


Sur la recevabilité du chef de conclusions tendant à ce que le Tribunal accorde à la requérante la remise des droits antidumping mis à sa charge

Arguments des parties

19
La Commission excipe de l’irrecevabilité du chef de conclusions de la requérante tendant à ce que le Tribunal accorde à cette dernière la remise des droits antidumping qui lui ont été réclamés. Elle fait valoir que le Tribunal ne saurait, en effet, se substituer aux institutions administratives chargées de prendre les décisions de remise.

Appréciation du Tribunal

20
Selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation d’un acte fondé sur l’article 230 CE, d’adresser des injonctions aux institutions communautaires ou de se substituer à celles-ci. En effet, si le Tribunal annule l’acte attaqué, il incombe alors à l’institution concernée de prendre, en vertu de l’article 233 CE, les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt d’annulation (arrêts du Tribunal du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T-67/94, Rec. p. II-1, point 200, et du 16 septembre 1998, IECC/Commission, T-133/95 et T-204/95, Rec. p. II-3645, point 52). Dès lors, le chef de conclusions de la requérante visant à ce que le Tribunal lui accorde la remise des droits antidumping mis à sa charge doit être rejeté comme étant irrecevable.


Sur le fond

21
Au soutien de son recours, la requérante invoque trois moyens, tirés, premièrement, de l’inexistence de la dette antidumping, deuxièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation et, troisièmement, d’une irrégularité en la forme de la décision litigieuse.

Sur le premier moyen, tiré de l’inexistence de la dette antidumping 

Arguments des parties

22
La requérante conteste l’existence de la dette antidumping. Elle fait valoir que le prix facturé par ZAP à Evertrade, et a fortiori par Evertrade aux sociétés destinataires, était largement supérieur au prix minimal à l’importation de 89 écus visé à l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 3319/94 et que, par conséquent, il ne s’agissait pas d’un prix de dumping. La requérante estime que faire supporter au commissionnaire en douane la charge financière des droits antidumping au titre d’importations qui, de toute évidence, n’ont fait l’objet ni d’un dumping ni d’un contournement de dumping constitue une situation inacceptable tant en fait qu’en droit et en équité.

23
La Commission considère que la requérante ne saurait arguer de l’inexistence de la dette antidumping pour contester la validité de la décision litigieuse. Ses décisions prises au titre de la remise en équité n’auraient, en effet, pas pour objet de statuer sur l’existence d’une dette douanière (arrêt de la Cour du 24 septembre 1998, Sportgoods, C‑413/96, Rec. p. I-5285, points 39 à 43, et arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Kia Motors et Broekman Motorships/Commission, T‑195/97, Rec. p. II-2907, point 36).

Appréciation du Tribunal

24
Le Tribunal relève que l’article 239 du code des douanes constitue une « clause générale d’équité ». Cette disposition et l’article 905 du règlement d’application sont destinés à couvrir une situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l’opérateur économique concerné par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 25 février 1999, Trans-Ex-Import, C-86/97, Rec. p. I-1041, point 18, et du 7 septembre 1999, De Haan, C-61/98, Rec. p. I-5003, point 52). La clause d’équité et l’article 905 du règlement d’application sont, notamment, destinés à être appliqués lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l’opérateur économique concerné et l’administration sont telles qu’il n’est pas équitable d’imposer à cet opérateur un préjudice qu’il n’aurait normalement pas subi (arrêt du Tribunal du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission, T-42/96, Rec. p. II-401, point 132). Le remboursement ou la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation, qui ne peuvent être accordés que sous certaines conditions et dans des cas spécifiquement prévus par les dispositions susvisées, constituent une exception au régime normal des importations et des exportations (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 mars 2003, Pays‑Bas/Commission, C-156/00, Rec. p. I-2527, point 91).

25
Il s’ensuit que les demandes adressées à la Commission en vertu des dispositions combinées de la clause d’équité et de l’article 905 du règlement d’application ne concernent pas la question de savoir s’il existe ou non une dette antidumping mais visent uniquement à établir l’existence ou non de circonstances particulières qui peuvent justifier, du point de vue de l’équité, un remboursement des droits à l’importation ou des droits à l’exportation (voir, par analogie, arrêts Sportgoods, précité, points 39 à 43, et Kia Motors et Broekman Motorships/Commission, précité, points 36 et 37). Or, l’introduction d’une telle demande auprès de la Commission présuppose l’existence de la dette en question, la requérante disposant d’autres voies de recours pour contester l’existence de cette dette, notamment en application du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), tel que modifié.

26
Dès lors, il y a lieu de considérer que la requérante ne saurait remettre en cause dans le cadre du présent litige l’existence de la dette antidumping.

27
Il découle de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

28
Le présent moyen s’articule en deux branches. En premier lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de reconnaître l’existence d’une « situation particulière » en l’espèce. En second lieu, la requérante avance qu’aucune manœuvre ou négligence manifeste ne peut lui être reprochée.

S’agissant de la première branche

    Arguments des parties

29
En premier lieu, la requérante soutient que le manquement qui lui est reproché est « strictement formel » et est resté sans conséquence réelle sur le fonctionnement correct du régime douanier considéré, au sens de l’article 204 du code des douanes.

30
En deuxième lieu, elle avance que l’assujettissement des importations en cause à des droits antidumping au seul motif que la facturation par l’exportateur à un premier destinataire installé dans la Communauté ne permettrait pas à l’importateur de démontrer l’absence de contournement du dumping va très au-delà des objectifs recherchés par la réglementation applicable. Elle invoque une inadéquation entre les objectifs du règlement n° 3319/94, tels que décrits dans ses considérants, et le texte de ce règlement. Elle soutient que le but recherché par le législateur communautaire, énoncé au considérant 39 du règlement n° 3319/94, était d’éviter le contournement des mesures de dumping par la mise en place de circuits d’importation incluant l’intervention de sociétés intermédiaires situées dans des pays tiers. Tel ne serait pas le cas en l’espèce, dès lors que le premier acheteur auprès de l’exportateur polonais était une société française. Selon la requérante, si le législateur communautaire avait souhaité exclure toute forme de circuit triangulaire, les considérants du règlement n° 3319/94 n’auraient pas défini le but recherché par le texte en le limitant aux seuls « circuits d’importation par l’intermédiaire de sociétés de pays tiers ».

31
La requérante conteste l’allégation de la Commission exposée au point 50 ci-après selon laquelle, en s’effaçant volontairement du circuit commercial « visible » pour le service des douanes, Evertrade reprenait une pleine et entière liberté par rapport au prix qui lui était facturé et privait ainsi l’administration douanière compétente de tout droit de regard sur un éventuel rabais a posteriori. Elle prétend que, si cette administration avait des doutes en ce qui concerne le prix payé par Evertrade à ZAP, elle pouvait vérifier ce prix, conformément à l’article 65 du code des douanes français. L’argument tiré de la possibilité pour Evertrade d’obtenir un rabais a posteriori serait inopérant. En effet, d’une part, le risque de fraude serait identique, que l’acheteur direct en Pologne soit ou non l’importateur désigné. D’autre part, en cas de fraude, Evertrade serait passible de peines identiques, sur la base de l’article 399 du code des douanes français, que ce soit en qualité d’auteur principal, si les déclarations en douane avaient été souscrites en son nom, ou en qualité d’intéressé à la fraude, dans le cas d’importations souscrites au nom de son propre acquéreur.

32
Par ailleurs, la requérante invoque le fait que l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94 présente des difficultés d’interprétation et qu’un très grand nombre d’opérateurs et d’administrations douanières dans les États membres ont interprété erronément cette disposition. Elle relève que la lettre du 12 décembre 2000 de la direction générale des douanes et droits indirects française l’informant que sa demande de remise avait été transmise à la Commission (voir point 11 ci-dessus) reconnaissait l’existence d’une situation particulière en l’espèce parce que le prix à l’importation des marchandises n’était pas inférieur au prix minimal prévu par le règlement n° 3319/94 et que la mise à la consommation au nom du destinataire final, avec une facture établie par l’intermédiaire français, justifiait seule l’application du droit spécifique.

33
La requérante fait valoir que la Commission interprète l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94 comme instituant deux droits distincts. D’une part, il prévoirait un droit variable égal à la différence entre le prix minimal à l’importation, fixé à 89 écus, et le prix caf franco frontière communautaire majoré du droit TDC à payer par tonne de produit lorsque le prix caf est inférieur à 89 écus et que les importations sont directement facturées par la société ZAP à l’importateur non lié. D’autre part, un droit spécifique de 19 écus par tonne serait prévu lorsque cette société n’a pas facturé directement à l’importateur. Toutefois, cette disposition ne prévoirait pas de méthode de calcul de la marge de dumping lorsque le prix facturé par la société ZAP est supérieur à 89 écus par tonne. La requérante conteste le bien-fondé de la position de la Commission selon laquelle, dans une telle hypothèse, le droit antidumping est applicable dès lors que l’exportateur polonais n’a pas facturé directement à l’importateur. En effet, d’une part, la disposition pourrait également être interprétée comme n’établissant la distinction que pour le cas où le prix caf est inférieur au prix minimal de 89 écus et, d’autre part, le considérant 39 du règlement n° 3319/94 ne serait pas explicite, en ce qu’il se réfère à « un niveau permettant à l’industrie communautaire d’augmenter ses prix jusqu’à un niveau rentable » et indique que le droit spécifique est calculé « afin d’éviter le contournement des mesures antidumping ». Elle souligne que ce même considérant fait référence à l’ « existence de divers circuits d’importation par l’intermédiaire de sociétés de pays tiers », situation qui n’existerait pas en l’espèce.

34
La requérante ajoute que la microfiche du tarif des douanes relative à la position tarifaire incriminée entretient cette confusion.

35
Elle considère qu’il existe donc en l’espèce une situation particulière consistant dans le fait que, par une « erreur commune d’interprétation » de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94, elle a sollicité le bénéfice d’une exonération de droits antidumping pour des marchandises qui remplissaient toutes les conditions objectives pour en bénéficier, en optant pour une mise en libre pratique au nom des destinataires finaux alors qu’elle aurait dû la souscrire au nom de la société Evertrade, et que l’administration douanière compétente, qui n’a enregistré les déclarations qu’après un examen des marchandises et des documents qui les accompagnaient, avait considéré que le choix du code TARIC additionnel et l’exonération en résultant étaient justifiés.

36
Dans sa réplique, la requérante conteste l’argument de la Commission selon lequel l’existence d’une situation particulière est exclue en l’espèce car un nombre indéfini d’opérateurs économiques se trouvent dans la même situation. Elle indique que la particularité de sa situation découle du fait que le prix caf frontière communautaire auquel les marchandises importées ont été vendues par ZAP était manifestement supérieur au prix minimal ᅠ l’importation visé à l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94 et que les marchandises étaient facturées par ZAP à une société française, Evertrade, dont la comptabilité pouvait être examinée librement par les enquêteurs des douanes français. De telles circonstances ne seraient pas communément partagées par un nombre indéfini d’opérateurs économiques.

37
En troisième lieu, la requérante fait valoir que, lors de l’importation des marchandises, les déclarations de douane ont été acceptées sans restriction par l’administration douanière compétente, qui aurait eu une parfaite connaissance des conditions de réalisation de l’importation.

38
À l’appui de cette thèse, la requérante expose que les marchandises étaient passées en circuit 1 (comme en attesterait le fait que les déclarations portaient le cachet « CIR1 »), impliquant un contrôle physique et documentaire. Elle ajoute que l’administration douanière compétente a vu qu’elle avait souscrit les déclarations en complétant la position tarifaire par référence au code TARIC additionnel 8793, correspondant aux importations bénéficiant d’une exonération de droits antidumping, et non pas au code TARIC additionnel 8795, applicable aux importations de ZAP ne pouvant bénéficier d’une telle exonération. Selon la requérante, le fait que l’administration douanière compétente a apposé la mention « ACD », et non « reconnu », sur les déclarations implique qu’elle avait vérifié les documents joints à ces déclarations.

39
Par conséquent, l’administration douanière compétente aurait dû constater, d’une part, qu’il n’y avait aucune identité entre ZAP, figurant comme expéditeur sur la déclaration, et la société qui avait émis la facture jointe à cette déclaration, à savoir Evertrade, et, d’autre part, que le code TARIC additionnel indiqué ne pouvait être admis compte tenu de l’existence de la facture de la société Evertrade et du fait que la valeur déclarée résultait de cette facture. Elle aurait d’elle-même commis une erreur en ayant accepté, dans ces circonstances, d’accorder l’exemption des droits antidumping aux marchandises.

40
La requérante estime que la Commission ne peut, sans se contredire, à la fois prétendre que l’administration douanière compétente n’était pas tenue de vérifier que les déclarations en douane étaient conformes à la réglementation, renvoyant ainsi l’examen de la conformité la plus élémentaire de la déclaration aux contrôles a posteriori, et affirmer que le fait qu’Evertrade n’apparaisse pas comme importateur direct aurait pu lui permettre de tourner la réglementation. Il aurait simplement suffi, lors du contrôle a posteriori, de vérifier le prix effectivement payé par Evertrade afin d’écarter cette hypothèse. D’ailleurs, en l’espèce, Evertrade aurait envoyé les factures concernées à l’administration douanière compétente à la première réquisition.

41
Elle soutient que le fait que l’administration douanière compétente ait accepté la première déclaration, déposée le 22 août 1996, sans aucun commentaire ne pouvait que la conduire à déposer les déclarations suivantes dans les mêmes conditions.

42
Enfin, la requérante ajoute, dans sa réplique, que l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes milite aussi en faveur d’une remise des droits.

43
La Commission conteste que la requérante se soit trouvée dans une situation particulière.

44
S’agissant, en premier lieu, du caractère prétendument formel du manquement, la Commission affirme notamment que la requérante ne saurait utilement se prévaloir de l’article 204 du code des douanes. Elle réaffirme que « ses décisions [prises] au titre de la remise en équité n’ont pas pour objet de statuer sur l’existence d’une dette douanière ». Or, l’article 204 précité déterminerait l’un des modes de naissance de la dette douanière.

45
En deuxième lieu, la Commission conteste la pertinence des arguments de la requérante tirés de ce que l’assujettissement des importations en cause à des droits antidumping va au-delà des objectifs du règlement n° 3319/94 et de ce que l’article 1er, paragraphe 3, de ce règlement soulève des difficultés d’interprétation.

46
Elle avance, à cet égard, que les deux « principes essentiels » suivants régissent l’octroi de remises en équité. D’une part, selon la Commission, une circonstance de nature objective, applicable à un nombre indéfini d’opérateurs économiques, n’est pas constitutive d’une situation particulière au sens de la clause d’équité (arrêt de la Cour du 26 mars 1987, Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons, 58/86, Rec. p. 1525, point 22). D’autre part, la Commission soutient que les erreurs ou déficiences éventuelles des autorités administratives ne sont susceptibles de permettre l’application de la clause d’équité que lorsque ces erreurs ou déficiences ont fait supporter à un opérateur économique une charge financière qu’aucune voie de droit ne lui permettait de contester (arrêt de la Cour du 12 mars 1987, Cerealmangimi et Italgrani/Commission, 244/85 et 245/85, Rec. p. 1303, point 17).

47
La Commission estime qu’une éventuelle inadéquation entre les objectifs du règlement n° 3319/94, tels que repris dans ses considérants, et la lettre de ce règlement ne saurait constituer une situation particulière au sens de l’article 905 du règlement d’application.

48
Dans le même sens, la Commission fait valoir qu’une éventuelle difficulté d’interprétation du règlement n° 3319/94 ne placerait pas la requérante dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité, puisqu’elle affecterait un nombre indéterminé d’opérateurs économiques.

49
La Commission soutient que l’argument de la requérante selon lequel l’objectif du mode de calcul alternatif du droit antidumping est sans rapport avec le type d’opérations la concernant doit être rejeté, dès lors que « ce sont tous les circuits triangulaires mettant en jeu un intermédiaire qui présentent le risque de permettre un contournement d’un droit antidumping ‘variable’ (fondé sur un prix minimal) ».

50
Elle ajoute que l’argument de la requérante tiré de ce que le prix facturé à Evertrade par ZAP était supérieur au prix minimal à l’importation est dépourvu de pertinence. L’application du droit antidumping spécifique aurait été justifiée, dès lors qu’il existait une incertitude quant au prix payé au producteur ou à l’exportateur. Elle relève que, « en s’effaçant volontairement du circuit commercial ‘visible’ pour le service des douanes (en ne dédouanant pas [elle]-même), Evertrade reprenait une pleine et entière liberté par rapport au prix qui lui était facturé, privant ainsi le service des douanes d’importation de tout droit de regard sur un éventuel rabais a posteriori qu’[elle] aurait pu demander et obtenir du fournisseur polonais ».

51
En troisième lieu, la Commission soutient que la requérante ne saurait tirer argument de ce que les autorités douanières compétentes ont accepté les déclarations de douane en cause. Elle nie que lesdites autorités aient d’elles-mêmes commis une erreur en l’espèce, invoquant plusieurs arguments.

52
Premièrement, la Commission affirme que, lors de l’importation, contrairement à ce que prétend la requérante, les déclarations de douane n’ont pas été acceptées sans restriction par l’administration douanière compétente. À l’appui de cette affirmation, elle fait valoir qu’il est « matériellement inexact » de prétendre que l’apposition de la mention « ACD » sur les déclarations en douane implique une vérification des documents joints à celles-ci. Une telle apposition signifierait seulement que les déclarations ont été admises comme conformes aux exigences de la législation douanière. La Commission relève que, dans le cadre de l’admission conforme d’une déclaration, l’administration douanière compétente se borne à vérifier que les rubriques de la déclaration devant obligatoirement être remplies le sont effectivement et que les documents devant impérativement y être joints sont également présents. En l’espèce, l’administration douanière compétente se serait donc bornée à vérifier l’existence des documents et non pas le contenu de ces derniers. Il n’y aurait pas eu de contrôle approfondi de ces documents ni de contrôle physique de la marchandise au moment du dédouanement.

53
Selon la Commission, la mention « circuit 1 » sur les déclarations en douane ne contredit pas ces constatations mais, au contraire, les conforte. Elle relève que, en « circuit 1 », la douane peut certes procéder à un contrôle physique de la marchandise, mais qu’elle ne l’a pas fait en l’espèce, ce qu’indique la mention « ACD ». L’exercice d’un contrôle documentaire approfondi résulterait d’un passage en « circuit 2 », qui ferait défaut en l’espèce.

54
Deuxièmement, la Commission précise que seules les erreurs résultant d’un comportement actif des autorités compétentes ou de leur inaction fautive, lorsqu’une intervention minimale aurait permis de déceler une irrégularité, permettent de ne pas procéder au recouvrement a posteriori des droits de douane. Cela exclurait les erreurs provoquées par des déclarations inexactes du redevable (arrêt de la Cour du 27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89, Rec. p. I-3277, points 23 et 26).

55
Par conséquent, selon la Commission, la simple acceptation par l’administration douanière compétente d’une déclaration en douane admise comme conforme n’est pas constitutive d’une situation particulière, alors même que tous les éléments permettant de déceler la non-conformité de la déclaration avec la législation douanière auraient été en possession de cette administration au moment de l’acceptation.

56
Troisièmement, la Commission soutient que la requérante ne saurait tirer argument de l’acceptation par le bureau des douanes de Rouen, sans aucun commentaire, de la première déclaration. Elle fait observer qu’une violation du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être invoquée en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (arrêt du Tribunal du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission, T-571/93, Rec.  p. II‑2379, point 72). La Commission soutient également que la requérante, en tant que commissionnaire en douane, ne pouvait avoir de doute sur la signification de la mention « ACD » et ne pouvait donc fonder aucune confiance légitime sur l’acceptation initiale de ses déclarations en douane.

    Appréciation du Tribunal

57
Il ressort du libellé de l’article 905 du règlement d’application que le remboursement des droits à l’importation est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir, premièrement, l’existence d’une situation particulière et, deuxièmement, l’absence de négligence manifeste et de manœuvre de la part de l’intéressé. En conséquence, il suffit que l’une des deux conditions fasse défaut pour que le remboursement des droits doive être refusé (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 janvier 2000, Mehibas Dordtselaan/Commission, T-290/97, Rec. p. II-15, point 87).

58
Il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que des éléments « susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé », au sens de la disposition précitée, existent lorsque, à la lumière de la finalité qui sous-tend la clause d’équité, des éléments qui sont susceptibles de mettre le demandeur dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques exerçant la même activité sont constatés (arrêt Trans‑Ex‑Import, précité, point 22, et arrêt de la Cour du 27 septembre 2001, Bacardi, C-253/99, Rec. p. I-6493, point 56).

59
S’agissant de l’argumentation de la requérante selon laquelle l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94 soulève des difficultés d’interprétation (voir, notamment, points 32 à 35 ci-dessus) et un très grand nombre d’opérateurs et d’administrations douanières dans les États membres ont interprété erronément cette disposition, le Tribunal considère que le libellé de celle-ci ne présente pas de difficulté notable.

60
À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, paragraphe 3, du règlement nº 3319/94 prévoit l’institution, d’une part, d’un droit antidumping variable qui s’applique lorsque les importations mises en libre pratique sont directement facturées à un importateur non lié par certains exportateurs ou producteurs situés en Pologne, dont la société ZAP, pour autant que le prix caf frontière communautaire, majoré du droit TDC, soit inférieur au prix minimal à l’importation de 89 écus par tonne de produit, et, d’autre part, d’un droit fixe ou spécifique applicable lorsque les importations mises en libre pratique ne sont pas directement facturées à l’importateur non lié.

61
Il ressort du règlement nº 3319/94 que, contrairement au droit variable prévu par l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement, le droit spécifique, prévu au deuxième alinéa de cette disposition, s’applique indépendamment de la différence entre le prix caf frontière communautaire et le prix minimal à l’importation fixé à 89 écus, lorsque les importations mises en libre pratique ne sont pas directement facturées à l’importateur non lié.

62
L’institution d’un droit spécifique résulte de la volonté du législateur communautaire, ainsi que le considérant 39 du règlement nº 3319/94 le met en exergue, d’éviter de toute manière que, par le biais d’importations qui n’ont pas été facturées directement par les exportateurs ou producteurs désignés à l’importateur non lié, les mesures antidumping soient contournées. L’article 1er, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement nº 3319/94 vise ainsi les situations où il n’y a pas eu facturation directe par l’exportateur ou le producteur à un importateur non lié, afin d’exclure toute forme de circuit triangulaire qui pourrait engendrer un risque de contournement des mesures antidumping.

63
En l’espèce, il ressort du dossier que les trois cargaisons mises en libre pratique par la requérante les 22 et 23 août et le 17 septembre 1996 n’ont pas été directement facturées par ZAP aux sociétés destinataires, mais ont fait l’objet d’une première facturation par ZAP à Evertrade avant d’être facturées par cette dernière aux sociétés destinataires. ZAP n’ayant pas directement facturé les marchandises aux sociétés destinataires, cette situation relève par conséquent clairement du champ d’application de l’article 1er, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement nº 3319/94.

64
Cette appréciation ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel l’assujettissement des importations en question à des droits antidumping irait au-delà des objectifs du règlement nº 3319/94, dans la mesure, selon elle, où il n’y a pas eu en l’espèce contournement des mesures antidumping et où le prix payé par Evertrade pouvait être vérifié.

65
En effet, en premier lieu, le Tribunal rappelle que la requérante ne saurait remettre en cause dans le cadre du présent litige l’existence de la dette antidumping. Il s’ensuit que les arguments présentés par la requérante dans le cadre du présent moyen quant au prix effectivement payé par Evertrade à ZAP sont inopérants.

66
En deuxième lieu, ainsi qu’il a été indiqué aux points 59 à 62 ci-dessus, la règle établie par l’article 1er, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement nº 3319/94 ne présente pas de difficulté notable d'interprétation et a été instaurée afin de préserver l’effet utile des dispositions du règlement, dans le but d’écarter le risque de contournement des mesures antidumping par le recours à des circuits d’importation triangulaires, lesquels seraient notamment susceptibles d’augmenter artificiellement les prix caf frontière communautaire en permettant d’éluder le droit variable prévu par l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement nº 3319/94. À cet égard, le Tribunal considère qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un contournement des mesures antidumping pour que l’article 1er, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement nº 3319/94 s’applique. En revanche, il découle du règlement nº 3319/94 que le risque de contournement est présumé avéré dès lors que les importations ne sont pas directement facturées par le producteur ou l’exportateur à l’importateur non lié. Dans ces conditions, le droit spécifique de 19 écus par tonne de produit certifié par ZAP, visé par cette disposition, trouvait bien à s’appliquer.

67
Même à supposer établies les prétendues difficultés d’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement nº 3319/94 invoquées par la requérante, ces dernières ne sauraient justifier l’existence de circonstances susceptibles de créer une situation particulière dans le chef de la requérante. En effet, les difficultés en question affecteraient de la même façon tous les opérateurs économiques qui importent du mélange d’urée et de nitrate d’ammonium en solution en provenance de Pologne et ne placeraient pas la requérante dans une situation exceptionnelle par rapport à de nombreux autres opérateurs économiques.

68
Par conséquent, la requérante n’a pas apporté la preuve de l’existence de circonstances susceptibles de constituer une situation particulière au sens de l’article 905 du règlement d’application.

69
Quant à l’argumentation de la requérante relative au caractère purement formel du manquement qui lui est reproché, force est de constater que, à la lecture de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement nº 3319/94 et au vu de la finalité de cette disposition, la condition relative à la facturation directe par l’exportateur ou le producteur à l’importateur non lié, afin de permettre l’application d’un droit antidumping variable, ne présente pas, contrairement à ce que soutient la requérante, un caractère purement formel. En effet, la méconnaissance de cette condition emporterait des conséquences réelles pour le fonctionnement correct du régime douanier, car l’existence de divers circuits d’importation peut augmenter le risque de contournement des mesures antidumping.

70
De surcroît, comme l’a fait valoir à bon droit la Commission, l’absence de facturation directe ne relève pas de la liste des manquements n’ayant pas de conséquences réelles sur le fonctionnement correct du régime douanier considéré, prévue par l’article 859 du règlement d’application, à la lumière duquel l’article 204 du code des douanes doit être lu (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 novembre 1999, Söhl & Söhlke, C-48/98, Rec. p. I-7877, point 43).

71
La requérante soutient, ensuite, que les déclarations en cause n’auraient pas dû être acceptées par l’administration douanière compétente étant donné qu’il n’y avait aucune identité entre la société polonaise figurant comme expéditeur sur ces déclarations et la société qui a émis les factures qui y étaient jointes.

72
Le Tribunal considère que cet argument repose sur une mauvaise compréhension du traitement accordé aux documents en cause par les autorités françaises, à savoir l’apposition de la mention « ACD » sur les déclarations. Comme la Commission l’a exposé en défense (voir points 52 et 53 ci-dessus), cette apposition signifie seulement que les rubriques de la déclaration en douane devant obligatoirement être remplies l’étaient effectivement et que les documents devant impérativement y être joints étaient également présents. Dès lors, la mise en libre pratique des trois cargaisons à la suite de l’apposition de cette mention ne constitue pas une confirmation de la part des autorités douanières françaises de la validité ou de l’exactitude des données figurant sur les déclarations en cause ou les documents y annexés et ne les empêchait pas de procéder à une vérification a posteriori de ces données au regard des conditions relatives au code TARIC indiqué par la requérante au nom de l’importateur.

73
En tout état de cause, il convient de rappeler que ZAP, qui est l’un des exportateurs ou producteurs polonais spécifiquement mentionnés par l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94, dont les produits pouvaient se voir appliquer un droit antidumping variable lorsque certaines conditions étaient remplies, a été identifié sur les déclarations comme exportateur et que des sociétés domiciliées en France ont été désignées comme destinataires. En outre, le code TARIC 8793, applicable lorsque les importations mises en libre pratique étaient directement facturées à un importateur non lié à l’un des exportateurs ou producteurs mentionnés par le règlement nº 3319/94 et situés en Pologne, figure sur les déclarations en cause. Dès lors, le Tribunal considère que l’irrégularité relative au respect des conditions nécessaires pour se voir appliquer un droit antidumping variable en application de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement n° 3319/94 réside dans le fait que des factures directes entre ZAP et les sociétés destinataires n’ont pas été annexées aux déclarations en douane.

74
Il convient de relever également qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un dépôt par erreur de factures incorrectes au lieu des factures pertinentes, à savoir des factures directes entre l’exportateur polonais et les sociétés destinataires. En effet, ZAP n’a pas émis de factures vis-à-vis des sociétés destinataires, car les transactions en l’espèce se sont déroulées en deux étapes (voir point 8 ci-dessus).

75
Le Tribunal considère, par conséquent, que les autorités douanières françaises n’avaient aucune obligation de rejeter les déclarations en cause dans de telles circonstances et qu’elles n’ont pas commis d’elles-mêmes une erreur en apposant la mention « ACD » sur lesdites déclarations avant de procéder à un examen approfondi des informations contenues dans les déclarations et de la cohérence de ces informations avec celles résultant de l’examen des factures annexées auxdites déclarations. En effet, il y a lieu de relever que l’importateur et le commissionnaire en douane agissant pour son compte sont responsables des informations contenues dans les déclarations en cause. Ainsi, s’il a pu apparaître, après un examen approfondi, que les informations en question étaient erronées, cela ne saurait impliquer pour autant l’existence d’une erreur de la part des autorités douanières françaises lors de la mise en libre pratique des produits en cause du fait de l’apposition de la mention « ACD ».

76
Dans la mesure où la requérante fait grief aux autorités douanières françaises de l’avoir, du fait de l’acceptation sans commentaire de sa première déclaration, le 22 août 1996, conduit à déposer les déclarations suivantes dans les mêmes conditions (voir point 41 ci-dessus), il y a lieu de rappeler que seules trois déclarations ont été déposées en l’espèce, au cours d’une période inférieure à un mois, à savoir entre le 22 août et le 17 septembre 1996 (voir point 9 ci-dessus). Le Tribunal constate que la brièveté de ce délai ne permettait pas matériellement aux autorités françaises de procéder à la vérification approfondie de la première déclaration et, par suite, de déceler l’erreur y figurant avant le dépôt des déclarations suivantes.

77
En tout état de cause, même si les autorités douanières françaises avaient procédé à un contrôle plus approfondi des documents déposés par la requérante lors de la mise en libre pratique des trois cargaisons et avaient décelé l’erreur commise par la requérante dans les formulaires quant au code TARIC utilisé, cette circonstance n’aurait changé ni la réalité des transactions commerciales en l’espèce ni le fait que ces cargaisons faisaient l’objet d’une double facturation, d’abord entre ZAP et Evertrade, puis entre cette société et les sociétés destinataires, et qu’un droit fixe antidumping trouvait donc à s’appliquer. Il y a lieu de conclure, dès lors, que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les circonstances de l’espèce n’étaient pas constitutives d’une situation particulière au sens de la clause d’équité et de l’article 905 du règlement d’application.

78
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter la première branche du présent moyen.

79
Une des conditions cumulatives prévues par l’article 905 du règlement d’application pour le remboursement des droits à l’importation faisant défaut, il n’y a pas lieu d’examiner l’autre branche du présent moyen.

80
En conséquence, le deuxième moyen est rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré de l’irrégularité en la forme de la décision litigieuse

Arguments des parties

81
La requérante fait valoir que la décision litigieuse est irrégulière en la forme car elle ne lui fait aucune référence. Elle prétend que le seul indice permettant de relever que cette décision lui est applicable réside dans un rapprochement du montant des droits visés par la décision litigieuse avec celui faisant l’objet de la demande de remise. Cela lui serait d’autant plus préjudiciable qu’il s’agit d’une décision individuelle qui ne saurait avoir de caractère général.

82
La Commission soutient que la décision litigieuse est régulière en la forme et qu’il n’y a pas eu de violation des formes substantielles.

Appréciation du Tribunal

83
Il convient de relever que, ainsi que la Commission le souligne à juste titre, aucune disposition des articles 905 et suivants du règlement d’application, qui établissent la procédure relative à la remise des droits en application de la clause d’équité, n’oblige la Commission à préciser le nom du demandeur de la remise dans la décision adoptée à la suite de cette procédure. Il ressort de ces dispositions que c’est l’État membre dont relève l’autorité douanière de décision qui transmet le cas à la Commission pour que ce dernier soit réglé. Ensuite, la décision de la Commission sur l’existence ou non d’une situation particulière est notifiée à l’État membre concerné.

84
En tout état de cause, la requérante n’a pas contesté que la décision litigieuse lui a été communiquée par les autorités douanières françaises. En outre, il ressort du dossier que la Commission, par lettre du 27 septembre 2001, a informé la requérante qu’elle avait bien reçu sa demande de remise des droits à l’importation, transmise par les autorités françaises, et lui a fait part de son analyse de l’affaire afin qu’elle puisse exercer ses droits de la défense. La Commission a en outre indiqué dans cette lettre que la demande de remise avait été enregistrée sous le numéro de référence REM 06/01, à savoir le même numéro de référence que celui mentionné dans la décision litigieuse. Dès lors, ce numéro a permis à la requérante de faire en toute certitude un lien entre la demande de remise introduite par les autorités françaises auprès de la Commission et la décision litigieuse.

85
Il résulte de ces considérations que le présent moyen n’est pas fondé et doit, par suite, être rejeté.

86
Aucun des moyens soulevés à l’encontre de la décision litigieuse n’ayant été retenu, le recours doit donc être rejeté.


Sur les dépens

87
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission.

Lindh

García-Valdecasas

Cooke

Mengozzi

Martins Ribeiro

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 septembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1
Langue de procédure : le français.