Language of document : ECLI:EU:T:2004:283

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
30 septembre 2004 (1)

« Fonctionnaires  –  Rapport de notation  –  Irrégularités de procédure  –  Motivation – Annulation du rapport  –  Réparation du préjudice subi »

Dans l'affaire T-16/03,

Albano Ferrer de Moncada, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représenté par Mes G. Vandersanden, L. Levi et A. Finchelstein, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall et Mme C. Berardis-Kayser, en qualité d'agents, assistée de Me D. Waelbroeck, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation du rapport de notation concernant le requérant pour la période 1995/1997 et, d'autre part, une demande de dommages et intérêts,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),



composé de MM. J. Azizi, président, M. Jaeger et F. Dehousse, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 25 mars 2004,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique

1
L’article 43 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »), en vigueur au moment des faits, dispose :

« La compétence, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire, à l’exception de ceux des grades A 1 et A 2, font l’objet d’un rapport périodique établi au moins tous les deux ans, dans les conditions fixées par chaque institution, conformément aux dispositions de l’article 110.

Ce rapport est communiqué au fonctionnaire. Celui-ci a la faculté d’y joindre toutes observations qu’il juge utiles. »

2
Selon l’article 2, paragraphe 1, des dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut, adoptées par la Commission le 15 mai 1997 (ci‑après les « DGE ») :

« La notation est établie :

pour les fonctionnaires/agents temporaires de la catégorie A et ceux relevant du cadre linguistique : par le directeur (conseiller principal, chef de cabinet, conseiller thématique) compétent. »

3
En vertu de l’article 5 des DGE :

« […] le notateur poursuit la procédure de notation par un dialogue avec le fonctionnaire/agent temporaire noté. Le notateur et le noté vérifient les tâches attribuées au noté et effectuées par celui-ci pendant la période de référence afin d’évaluer sa compétence, son rendement ainsi que sa conduite dans le service, sur base des éléments d’appréciation correspondant à sa situation professionnelle. La notation doit porter sur la période de référence.

Le noté et le notateur expriment aussi leurs souhaits/recommandations sur la formation, la mobilité, les orientations, les tâches. Le noté pourra s’exprimer sur son milieu de travail.

Le notateur établit ensuite le rapport de notation et le communique, dans les dix jours ouvrables (à partir du 1er juillet), au fonctionnaire/agent temporaire noté. Celui-ci est appelé à le compléter, pour les rubriques qui lui incombent, et à le viser dans un délai de 10 jours ouvrables.

Le fonctionnaire/agent temporaire noté a le droit, dans ce délai, de demander un second dialogue avec son notateur. Dans ce cas, le notateur est tenu de lui accorder un nouveau dialogue et peut, le cas échéant, modifier le rapport de notation et, enfin, il doit communiquer sa décision dans les 10 jours ouvrables suivant la demande du fonctionnaire/agent temporaire noté. Un nouveau délai de 10 jours ouvrables court alors pendant lequel le fonctionnaire/agent temporaire noté est invité à viser son rapport de notation ou à demander au notateur l’intervention du notateur d’appel. Cette demande doit être transmise sans délai au notateur d’appel. »

4
Selon l’article 6, premier alinéa, des DGE, le notateur d’appel est le directeur général pour les fonctionnaires de catégorie A notés en premier ressort par un directeur.

5
En vertu de l’article 6, troisième alinéa, des DGE :

« Le notateur d’appel doit entendre le notateur et le fonctionnaire/agent temporaire noté, et procéder à toutes consultations utiles. Le notateur d’appel a la faculté de confirmer la première notation attribuée, ou de la modifier. Après la prise de position du notateur d’appel, qui doit intervenir dans un délai de 10 jours ouvrables après la réception de la demande du fonctionnaire/agent temporaire noté, dans les conditions prévues à l’article 5, dernier alinéa, le rapport de notation est communiqué à ce dernier qui dispose d’un délai de 10 jours ouvrables pour le viser ou pour demander l’intervention du comité paritaire des notations (CPN). »

6
Aux termes de l’article 7 des DGE :

« […]

Sans se substituer au notateur dans l’appréciation des qualités professionnelles du noté, le comité veille au respect de l’esprit d’équité et d’objectivité qui doit présider à l’établissement de la notation, ainsi qu’à l’application correcte des procédures (notamment dialogue, consultations, procédure d’appel, délais).

[…]

Le CPN doit se prononcer dans un délai de deux mois à compter de la date de transmission du dossier de la part du rapporteur.

L’avis du CPN est transmis sans retard au fonctionnaire/agent temporaire noté et au notateur d’appel. Celui-ci arrête le rapport de notation et le notifie au fonctionnaire/agent temporaire noté dans un délai de dix jours ouvrables ; il en transmet copie au CPN. La notation est alors considérée comme définitive.

Toute la procédure doit être terminée au plus tard pour le 31 décembre. »

7
Le guide de la notation comporte notamment les précisions suivantes :

« 3) Phases de la procédure

[...]

b) le dialogue

Le dialogue doit notamment permettre au notateur et au noté de :

faire le point sur le travail et les tâches attribués au noté et effectués par celui-ci (y compris dans d’autres services éventuels d’affectation) au cours de la période de référence ainsi que, le cas échéant, sur les difficultés rencontrées ;

apprécier les points forts du noté et déterminer, s’il y a lieu, les aspects qu’il doit améliorer ;

déceler les problèmes et rechercher leurs solutions éventuelles ;

examiner leurs souhaits et l’ensemble des aspects du développement professionnel du noté.

c) la notation

[...]

vii)
consultations

après avoir établi la notation, le notateur consulte, le cas échéant :

le supérieur hiérarchique immédiat du noté ;

les autres supérieurs hiérarchiques éventuels ;

les supérieurs hiérarchiques dans les autres services auxquels le noté est ou a été affecté au cours de la période de référence ;

[...]

d) deuxième dialogue

Le noté peut demander un deuxième dialogue avec son notateur s’il estime que le projet du rapport de notation qui lui est proposé ne reflète pas le contenu de leur premier dialogue.

e) appel

i) dialogue/consultation

le notateur d’appel s’entretient avec le noté et le notateur ainsi qu’avec toute autre personne qu’il estime nécessaire pour s’informer. Lors du dialogue, le noté et/ou le notateur peuvent, s’ils le souhaitent, demander la présence d’un collègue fonctionnaire de leur choix. »


Faits et procédure

8
Le requérant est fonctionnaire des Communautés européennes de grade A 4 au sein de l’Office du contrôle de sécurité d’Euratom depuis le 1er septembre 1988.

9
Le 10 novembre 1998, il a accusé réception d’un premier rapport de notation, daté du 20 octobre 1998, pour la période de référence 1995/1997. Ce rapport était signé par M. Gmelin, directeur de l’Office du contrôle de sécurité d’Euratom, en sa qualité de notateur, et concluait à la nécessité, pour le requérant, de s’améliorer. Il est motivé comme suit :

s’agissant de ses compétences : « La compétence de M. Moncada, c’est-à-dire l’approche méthodologique, le jugement et/ou les capacités d’organisation nécessitent une amélioration. S’agissant des connaissances : M. Moncada a la connaissance nécessaire pour exécuter les tâches dont il est responsable. »

s’agissant de son rendement : « Le rendement de M. Moncada, à savoir accomplir des tâches données en respectant les priorités, et avec la rapidité, l’exactitude et/ou l’adaptabilité requises, nécessite une amélioration, étant donné son grade A 4. M. Moncada peut travailler de manière efficace. Il peut aussi faire preuve d’un grand dévouement, même lorsque le travail doit être accompli sur le terrain dans des conditions difficiles (personnel insuffisant, situation évoluant rapidement, port d’un masque en présence de plutonium, etc.). Toutefois, son efficacité s’améliorerait s’il écoutait plus et parlait moins. En outre, il est très difficile de lui faire accepter un point de vue différent du sien. »

s’agissant de la conduite dans le service : « Sur le plan des relations humaines et/ou du sens des responsabilités et du devoir, la conduite de M. Moncada, en tant que membre d’une équipe, nécessite une amélioration. M. Moncada peut avoir de bonnes relations avec certains collègues et de très mauvaises avec d’autres, spécialement quand il pense que le monde entier devrait tourner autour de lui. »

10
Le requérant a sollicité, le 12 novembre 1998, l’intervention du notateur d’appel, à l’époque M. Benavides, directeur général de la direction générale « Énergie » de la Commission.

11
Après l’annulation d’un premier rendez-vous avec le notateur d’appel pour des raisons propres au requérant, celui-ci et ses conseils ont entrepris diverses démarches ayant notamment pour objet l’établissement du rapport de notation en question.

12
Le requérant s’est vu notifier, le 4 juillet 2001, une note relative à sa notation en appel, confirmant le rapport initial du 20 octobre 1998. Datée du 8 juin 2001, elle était signée par M. Benavides, bien que celui-ci ait quitté l’institution le 31 décembre 1999.

13
Le requérant a saisi, le 9 juillet 2001, le comité paritaire des notations (ci-après le « CPN »).

14
Dans une note du 27 septembre 2001, le service juridique de la Commission a indiqué :

« […] est responsable de la notation (ou de la notation d’appel) la personne qui, du point de vue organique, est appelée à exercer les fonctions de notateur, à la date à laquelle s’achève la période qui fait l’objet de l’exercice de notation.

Si la personne qui occupait ce poste à la fin de la période de référence a quitté l’institution, la compétence ne peut que relever de la personne qui a été affectée sur le poste en question et a ainsi succédé dans les fonctions de notateur/notateur d’appel.

Ceci dit, dans un souci de bonne administration (et dans la mesure où ceci s’avère encore possible), le nouveau notateur/notateur d’appel serait bien avisé de consulter son prédécesseur afin de pouvoir se forger une opinion éclairée sur la personne qu’il est appelé à noter. »

15
Le service juridique de la Commission a rendu un second avis en ce sens le 27 novembre 2001.

16
En date du 5 mars 2002, le CPN a rendu un avis sur la notation du requérant. Selon celui-ci :

« [L]e comité a relevé qu’il y a eu un retard de trois ans et demi dans l’établissement du rapport de notation. À cela s’ajoutent des irrégularités relatives à la tenue des dialogues formels ainsi que la disparition de l’original.

Quant au fond, le comité a constaté que le rapport de notation, extrêmement négatif quant aux appréciations analytiques, présente des incohérences. En effet, les appréciations d’ordre général relatives à sa compétence ne correspondent pas à une note ‘Exceptionnel’ (capacité : ‘nécessite une amélioration’ ; connaissances : ‘a les connaissances nécessaires pour exécuter les tâches dont il est responsable’). Par ailleurs, les cotes ‘insuffisant’ sous les rubriques de compétence et de conduite ne sont pas suffisamment argumentées.

Le comité attire l’attention du notateur et du notateur d’appel sur les vices de forme entachant le rapport de notation. En outre, il demande au notateur d’appel de se pencher sur la question du décalage notable entre les appréciations analytiques et d’ordre général, et d’étayer les raisons qui l’amènent, le cas échéant, à marquer 1 Exceptionnel et 5 Insuffisant, en conformité avec les instructions du guide de la notation.

Le comité regrette enfin que la hiérarchie ne soit pas intervenue au cours de ces trois ans et demi pour remédier activement à une situation professionnelle et relationnelle très dégradée. »

17
Cet avis a été communiqué à M. Lamoureux, successeur de M. Benavides, le 25 mars 2002 avec la mention suivante : « Comme vous êtes en charge actuellement des responsabilités exercées antérieurement par M. Benavides, notateur d’appel à l’époque, et qui a désormais quitté ses fonctions à la Commission (article 50 du statut), je vous saurais gré de bien vouloir établir la notation définitive de M. Moncada pour l’exercice 1995/1997. » Suit une note de bas de page exposant que, « [s]elon les plus récentes orientations [du service juridique], si le notateur a quitté l’institution, il incombe à son successeur […] de s’acquitter des obligations afférentes à la notation ».

18
Le 9 août 2002, la Commission a décidé d’accéder partiellement à une demande d’indemnité que le requérant avait formulée le 28 août 2001 en raison des retards pris dans l’élaboration des rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999. Cette décision lui a été notifiée le 12 septembre 2002. Entre-temps, le 13 août 2002, le requérant avait notamment introduit un recours en indemnité. Cette affaire a été enregistrée au greffe du Tribunal sous le numéro T‑246/02.

19
M. Lamoureux a arrêté, le 27 septembre 2002, le rapport de notation du requérant. Il est motivé de la manière suivante :

concernant ses capacités : « M. Moncada a de très bonnes connaissances pour exécuter les tâches dont il a la responsabilité. L’approche méthodologique, le jugement et les capacités d’organisation de M. Moncada sont suffisants. Néanmoins, eu égard à son grade (A 4) et à sa longue expérience de terrain, une progression de sa part serait bienvenue pour satisfaire aux attentes de sa hiérarchie. »

s’agissant de son rendement : « Étant donné son grade en particulier, le rendement de M. Moncada dans l’accomplissement de tâches données en respectant les priorités, ainsi que sa rapidité et son exactitude doivent être considérablement améliorées. M. Moncada peut travailler de manière efficace, mais son rendement souffre de son manque d’adaptabilité. Ne faisant preuve d’aucune flexibilité, il a de grandes difficultés à accepter un point de vue différent du sien. En outre, en raison de son refus d’écouter les autres et de coopérer, on ne peut pas compter sur lui pour fournir un travail de qualité en temps voulu. »

s’agissant de sa conduite dans le service : « Il est urgent que la conduite de M. Moncada en tant que membre d’une équipe et sur le plan des relations humaines s’améliore. M. Moncada peut faire preuve d’un grand dévouement, même lorsque le travail doit être accompli sur le terrain dans des conditions difficiles (personnel insuffisant, situation évoluant rapidement, port d’un masque en présence de plutonium, etc.). »

20
Ce rapport a été communiqué au requérant le 17 octobre 2002. Il s’agit de l’acte attaqué.

21
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 janvier 2003, le requérant a introduit le présent recours.

22
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a posé par écrit une question à la défenderesse, laquelle y a répondu dans le délai imparti.

23
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 25 mars 2004.


Conclusions des parties

24
Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler le rapport de notation pour la période de référence 1995/1997 ;

lui allouer 1 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, ce montant devant être fixé ex aequo et bono ;

condamner la défenderesse à l’ensemble des dépens.

25
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme étant dénué d’objet et, en tout cas, comme étant non fondé ;

statuer sur les dépens comme de droit.


Sur le recours en annulation

26
Le requérant invoque trois moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen, lui-même subdivisé en six branches, se fonde sur l’article 43 du statut, sur l’obligation de dialogue instituée par les articles 5 et 6 des DGE et sur le guide de la notation. Il se fonde aussi sur le « principe général de transparence », sur le non-respect d’un délai raisonnable dans l’élaboration du rapport de notation litigieux, sur le principe de bonne administration, sur la violation de l’obligation de motivation, sur une erreur manifeste d’appréciation et sur la méconnaissance de l’obligation de faire figurer dans le rapport de notation une description des tâches attribuées au noté et effectuées par ce dernier. Le deuxième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir que le requérant déduit du harcèlement dont il aurait été l’objet. Le troisième moyen est pris d’une violation, par la Commission, des principes de sollicitude et de bonne administration.

27
Le Tribunal estime devoir analyser d’abord les troisième et quatrième branches du premier moyen.

Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’obligation de dialogue, du droit d’être entendu et du principe général de bonne administration

Arguments des parties

28
Le requérant fait valoir que les notateur et notateur d’appel ont systématiquement refusé de tenir les dialogues prescrits. En conséquence, M. Lamoureux, qui a succédé comme notateur d’appel à M. Benavides, aurait dû, après l’avis du CPN qui a souligné les manquements à l’obligation de dialogue, établir lui‑même un tel dialogue. La méconnaissance de cette obligation serait d’autant plus grave que cinq des dix éléments d’appréciation du rapport de notation sont assortis de la mention « insuffisant ».

29
La Commission soutient, pour sa part, que le requérant a omis de demander un second entretien avec le notateur initial avant de solliciter l’intervention du notateur d’appel, en sorte qu’il ne saurait se prévaloir d’une absence de dialogue à ce premier stade.

30
Concernant la procédure d’appel, la Commission souligne les difficultés d’ordre divers qu’elle a eues à organiser un dialogue avec le requérant. Elle fait observer néanmoins que M. Benavides a confirmé le rapport initial le 8 juin 2001 « suivant notre entretien », car son départ de la Commission ne l’aurait pas empêché de « passe[r] des heures d’entretien téléphonique, depuis sa résidence en Espagne, avec le requérant ». Elle fait aussi valoir que le point de vue du requérant était connu des personnes concernées par la notation « du fait des innombrables échanges épistolaires intervenus au sujet du rapport de notation litigieux ». La Commission soutient enfin que le nouveau notateur d’appel, M. Lamoureux, a consulté des supérieurs hiérarchiques et des membres du personnel de l’Office du contrôle de sécurité d’Euratom, conformément à l’article 3, sous c), vii), et sous e), du guide de la notation, avant de noter le requérant.

Appréciation du Tribunal

31
Les articles 5 et 6 des DGE prévoient un dialogue entre le notateur ou le notateur d’appel, d’une part, et le noté, d’autre part.

32
Selon le guide de la notation, ce dialogue doit notamment permettre au notateur et au noté de faire le point sur le travail du noté, d’apprécier ses points forts, d’identifier les aspects à améliorer, de déceler les problèmes et de rechercher leurs solutions éventuelles. Il procède des droits de la défense du fonctionnaire dans la procédure d’évaluation qui le concerne.

33
La Commission admet qu’en l’espèce un tel dialogue n’a pas précédé le rapport initial établi par M. Gmelin. Elle reproche cependant au requérant de ne pas lui avoir demandé un « second dialogue », en application de l’article 5, quatrième alinéa, des DGE, avant de solliciter l’intervention du notateur d’appel.

34
Cette critique n’est, en toute hypothèse, pas justifiée. À supposer même que l’intéressé puisse solliciter un « second dialogue » au sens de cette disposition, malgré l’absence d’un premier entretien, il ne s’agit que d’une étape facultative, comme le confirme l’annexe II du guide de la notation, qui la qualifie d’« éventuelle ».

35
S’agissant de la procédure d’appel, il convient d’emblée de souligner que la régularité de la procédure de notation ne saurait résulter d’un entretien antérieur à la période de notation en cause. Le Tribunal ne peut donc pas prendre en considération l’entretien que M. Benavides a eu avec le requérant en 1996.

36
Les parties s’opposent surtout sur le point de savoir si un dialogue en appel a été tenu, par téléphone, entre le requérant et M. Benavides qui était en fonction durant la période de référence, mais qui avait quitté l’institution entre-temps.

37
Sans qu’il soit besoin d’examiner cette question de fait, il suffit de constater que la compétence ratione temporis des organes de l’administration, combinée avec l’article 6, troisième alinéa, des DGE, en vertu duquel le notateur d’appel doit procéder à toutes consultations utiles, imposait, dans les circonstances de l’espèce, de désigner comme notateur d’appel le supérieur hiérarchique en fonction au moment de l’établissement du rapport de notation, à charge pour celui-ci de consulter, dans toute la mesure du possible, l’ancien notateur. Il s’ensuit que le dialogue également prévu par l’article 6, troisième alinéa, susmentionné, devait impérativement se tenir avec le notateur d’appel en fonction lors de l’établissement du rapport de notation. Par conséquent, et à supposer qu’il ait effectivement eu lieu, l’entretien téléphonique avec l’ancien notateur d’appel, M. Benavides, ne pouvait constituer le dialogue prévu par cette disposition.

38
De surcroît, une conversation téléphonique ne saurait constituer l’audition de l’agent noté, qualifiée de « dialogue » par l’article 5 des DGE et le guide de la notation.

39
En effet, la nature même d’un dialogue et son objet, décrit au point 32 ci-dessus, supposent un contact direct entre le noté et le notateur. Sans un échange direct, la notation ne saurait remplir pleinement sa fonction d’outil de gestion des ressources humaines et d’instrument d’accompagnement du développement professionnel de l’intéressé. Par ailleurs, seul ce contact est de nature à favoriser un dialogue franc et approfondi entre le notateur et le noté, leur permettant, d’une part, de mesurer avec exactitude la nature, les raisons et la portée de leurs divergences éventuelles et, d’autre part, de parvenir à une meilleure compréhension réciproque.

40
Un dialogue de qualité s’impose d’autant plus que, comme l’a déjà constaté le Tribunal, « [à] partir de l’exercice de notation relatif à la période du 1er juillet 1995 au 30 juin 1997, la Commission a modifié le système de notation [...] en accordant une importance accrue au dialogue entre notateur et noté » (arrêt du Tribunal du 5 octobre 2000, Rappe/Commission, T‑202/99, RecFP p. I‑A‑201 et II‑911, point 3). Le dialogue est ainsi devenu la clé du système de notation.

41
Un échange de courriers ne peut, a fortiori, constituer un substitut valable à un contact direct entre le notateur et le noté.

42
Enfin, la Commission ne peut invoquer le fait que M. Benavides a quitté ses fonctions en décembre 1999 pour justifier une forme de dialogue moins contraignante. En effet, la procédure de notation aurait dû être close deux ans auparavant. De plus, la Commission ne soutient pas que ce départ présentait un caractère imprévisible.

43
La procédure suivie jusque-là était par conséquent irrégulière.

44
M. Lamoureux, le successeur de M. Benavides, devait donc y remédier. Or, il n’a pas entendu le requérant, et ce, de surcroît, en dépit de l’avis du CPN qui avait signalé l’irrégularité de la « tenue des dialogues formels » en sa qualité d’organe paritaire chargé, par l’article 7 des DGE, de veiller à l’application correcte des procédures, notamment en ce qui concerne la tenue des dialogues.

45
L’organisation d’un dialogue avec le requérant s’imposait d’autant plus, en l’occurrence, que M. Lamoureux avait, selon la Commission, consulté les supérieurs hiérarchiques immédiats de celui-ci, ainsi que certains de ses collègues. Or, le CPN avait précisément regretté, dans son avis susmentionné, que la hiérarchie du requérant ne soit pas intervenue « pour remédier à une situation professionnelle et relationnelle très dégradée ».

46
Dans les circonstances de l’espèce, l’absence totale de dialogue constitue la violation d’une formalité substantielle justifiant l’annulation du rapport de notation attaqué. Le moyen est donc fondé en cette branche.

Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée de la violation de l’obligation de motivation

Arguments des parties

47
Le requérant fait valoir que les appréciations figurant dans le rapport de notation litigieux sont moins favorables que celles contenues dans ses précédentes notations. Selon le requérant, la régression étant considérable, il revenait aux différents notateurs de motiver avec le plus grand soin ce changement substantiel d’appréciation. Tel ne serait pas le cas, en dépit notamment de l’avis du CPN qui avait souligné une incohérence dans le rapport de notation initial, lequel avait été confirmé en appel par M. Benavides.

48
La Commission considère que ses appréciations sont suffisamment précises et argumentées pour satisfaire à l’obligation de motivation imposée par l’article 25 du statut. S’agissant de l’argument selon lequel le notateur d’appel devait motiver les appréciations moins favorables par rapport à celles de l’exercice précédent, la défenderesse note que, dès lors que le rapport de notation comporte une motivation suffisante, il ne saurait être exigé du notateur d’appel qu’il fournisse des explications complémentaires sur les appréciations moins favorables par rapport à celles de l’exercice précédent. Par ailleurs, les appréciations de M. Lamoureux confirmeraient largement les appréciations d’ordre général formulées aux premiers stades de la procédure par MM. Gmelin et Benavides. Enfin, la Commission estime que M. Lamoureux a tenu compte de l’avis du CPN en veillant à une meilleure cohérence entre les appréciations analytiques et celles d’ordre général.

Appréciation du Tribunal

49
L’administration a l’obligation de motiver les rapports de notation de façon suffisante et circonstanciée. Une telle motivation figure, en principe, sous l’intitulé « appréciation d’ordre général » du formulaire ad hoc. Elle explicite en trois points, relatifs respectivement à la compétence, au rendement et à la conduite dans le service, la grille d’appréciation analytique du même formulaire.

50
La jurisprudence requiert par ailleurs qu’un soin particulier soit apporté dans certains cas à la motivation. Le rapport de notation doit ainsi être spécialement motivé au regard des recommandations du CPN si le notateur entend ne pas les suivre et si l’avis fait état de circonstances spéciales propres à jeter le doute sur la validité ou le bien-fondé de l’appréciation initiale et appelle, de ce fait, une appréciation spécifique du notateur d’appel quant aux conséquences éventuelles à tirer de ces circonstances (arrêts du Tribunal du 12 juin 2002, Mellone/Commission, T‑187/01, RecFP p. I‑A‑81 et II‑389, point 33, et du 5 novembre 2003, Lebedef-Caponi/Commission, T‑98/02, non encore publié au Recueil, point 61).

51
En l’occurrence, M. Lamoureux a pu, par la nouvelle notation, purger la notation initiale de l’incohérence, relevée par le CPN, qu’il y avait à qualifier d’« exceptionnelles » les compétences du requérant, tout en considérant seulement qu’il avait les connaissances nécessaires à l’exécution des tâches dont il était chargé. En effet, le rapport de notation litigieux est désormais rédigé de telle manière que les compétences du requérant ne sont plus jugées que « très bonnes » dans les appréciations analytiques, tandis que les appréciations générales ont été adaptées en conséquence.

52
La motivation du rapport de notation litigieux ayant donc pris en considération l’avis du CPN, il incombe encore au Tribunal d’examiner si les appréciations de M. Lamoureux sont suffisamment motivées.

53
Le Tribunal rappelle à cet égard qu’une attention particulière doit être accordée à la motivation d’une notation comportant des appréciations moins favorables que celles figurant dans un rapport de notation précédent (arrêts du Tribunal du 21 octobre 1992, Maurissen/Cour des comptes, T‑23/91, Rec. p. II‑2377, et Mellone/Commission, précité, point 27). Il importe en effet que la régression constatée par l’autorité soit motivée de manière à permettre au fonctionnaire d’en apprécier le bien-fondé et, le cas échéant, au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel.

54
La Commission est, en outre, convenue, lors de l’audience, qu’une motivation spéciale s’impose particulièrement dans l’hypothèse où l’établissement du rapport de notation intervient avec retard et où le notateur n’est plus le supérieur hiérarchique qui était en fonction pendant la période soumise à évaluation. La motivation doit laisser apparaître que l’autorité s’est entourée des garanties indispensables pour que l’exercice de notation puisse s’appuyer sur des éléments précis et fiables. Elle doit aussi refléter l’obligation pour le notateur de procéder avec circonspection.

55
En l’occurrence, il n’est pas contesté que la notation pour la période 1995/1997 marque un recul par rapport aux exercices antérieurs.

56
La notation relative aux connaissances du requérant n’appelait toutefois pas une motivation spécifique et circonstanciée. En effet, l’évaluation demeurait très positive, passant seulement d’« exceptionnel » à « supérieur ».

57
L’évaluation du requérant sur le plan de sa rapidité et de sa précision d’exécution, ainsi que sur le plan des relations humaines, connaît en revanche une sévère régression, puisqu’elle contient la mention « insuffisant » alors que le requérant s’était vu attribuer la mention « supérieur » lors des exercices antérieurs. Moins prononcés, mais tout aussi réels, sont les reculs de sa notation au sujet, d’une part, de son adaptabilité et de sa capacité à travailler en équipe, qui passe de « normal » à « insuffisant », et, d’autre part, de son sens des responsabilités, qui passe de « supérieur » à « normal ».

58
Ces appréciations ont été justifiées par les motifs figurant au point 19 ci-dessus. M. Lamoureux a ainsi reproduit la plupart des appréciations de M. Gmelin, confirmées sans justification par M. Benavides, avec une motivation qui, en dépit d’adaptations mineures essentiellement formelles, est demeurée substantiellement inchangée. Or, le CPN avait considéré, dans son avis du 12 mars 2002, que les évaluations négatives du rapport initial établi par M. Gmelin étaient insuffisamment motivées. Cette constatation s’impose a fortiori en ce qui concerne le rapport litigieux, compte tenu de la similitude des motivations et du fait que, en raison du retard avec lequel il a été établi, son auteur n’est pas le supérieur hiérarchique qui était en fonction pendant la période soumise à évaluation.

59
Par ailleurs, la motivation du rapport de notation litigieux ne fait pas ressortir l’effectivité de l’exercice, par M. Lamoureux, de son pouvoir d’appréciation. En effet, elle constitue en substance une paraphrase de la motivation du rapport de notation initial et ne corrobore pas l’affirmation de la Commission, selon laquelle M. Lamoureux a consulté des supérieurs et des collègues du requérant.

60
Les circonstances de l’espèce, associant des reculs de notation à un retard tout à fait inhabituel aboutissant au remplacement de tous les notateurs initiaux, amènent à conclure que la motivation de l’acte attaqué est insuffisante.

61
Le moyen, en cette branche, est donc fondé.

62
L’acte attaqué doit en conséquence être annulé sur le fondement du premier moyen, sans qu’il soit nécessaire, pour répondre au premier chef de conclusions du requérant, d’examiner les autres branches et moyens de la requête.


Sur le recours en indemnité

Arguments des parties

63
Le requérant fait valoir que les illégalités identifiées dans son recours en annulation constitueraient autant de fautes. Il met en exergue un harcèlement dont il aurait fait l’objet, la longueur fautive de la procédure de notation, son opacité et la grave atteinte à sa réputation professionnelle résultant du rapport de notation litigieux. Le requérant estime que, dans ces conditions, un arrêt d’annulation ne réparerait pas adéquatement son préjudice. Il évalue son dommage à 1 000 euros.

64
La Commission, en revanche, conteste l’existence de fautes et considère, en toute hypothèse, qu’un arrêt d’annulation réparerait adéquatement le préjudice moral subi.

Appréciation du Tribunal

65
Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêt du Tribunal du 26 septembre 2002, Borremans e.a./Commission, T‑319/00, RecFP p. I‑A‑171 et II-905, point 82).

66
En l’occurrence, le Tribunal a constaté, lors de l’examen du recours en annulation, que le rapport de notation litigieux est entaché d’irrégularités, car il a été insuffisamment motivé et a été dressé en méconnaissance de l’obligation de dialogue.

67
Le préjudice moral ressort des circonstances de l’espèce. En dépit de l’invitation formulée par le CPN dans son avis non contesté du 5 mai 2002, la hiérarchie du requérant non seulement n’est pas intervenue pour remédier à une situation professionnelle et relationnelle très dégradée, mais a au contraire adopté une attitude qui ne pouvait que l’aggraver. Elle a en effet établi un rapport de notation négatif insuffisamment motivé, au terme d’une procédure caractérisée par l’absence de dialogue. Le comportement fautif rappelé ci-dessus est au demeurant en relation causale avec ce préjudice.

68
Par ailleurs, le requérant ne demande que la réparation d’un préjudice moral. La jurisprudence reconnaît dans beaucoup de cas que l’annulation de l’acte attaqué constitue une réparation adéquate et suffisante de celui-ci. Mais, en l’occurrence, l’annulation du rapport de notation litigieux ne saurait suffire, contrairement à ce que prétend la Commission. Il convient en effet de prendre en considération l’importance du droit d’être entendu et le caractère systématique, en l’espèce, de l’absence de dialogue, et cela en dépit de l’avis du CPN et spécialement de son insistance quant à la nécessité d’une initiative de la hiérarchie remédiant à une situation professionnelle et relationnelle très dégradée.

69
Il convient, dans ces conditions, de faire droit à la prétention du requérant.


Sur les dépens

70
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter l’ensemble des dépens, conformément aux conclusions en ce sens du requérant.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)
Le rapport de notation du requérant pour la période 1995/1997 est annulé.

2)
La Commission est condamnée à verser au requérant une somme de 1 000 euros.

3)
La Commission est condamnée aux dépens.

Azizi

Jaeger

Dehousse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 septembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1
Langue de procédure : le français.