Language of document : ECLI:EU:T:2022:842

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

21 décembre 2022 (*)

« Aides d’État – Production d’électricité à partir de sources renouvelables – Plainte – Recours en carence – Invitation à agir – Recevabilité – Obligation d’agir – Absence »

Dans l’affaire T‑702/21,

Ekobulkos EOOD, établie à Todorichene (Bulgarie), représentée par Me M. Dimitrov, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes C.-M. Carrega et C. Georgieva, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, R. Mastroianni et I. Gâlea, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 265 TFUE, la requérante, Ekobulkos EOOD, demande au Tribunal de constater que la Commission européenne s’est illégalement abstenue de prendre position sur sa plainte, présentée le 21 février 2020, concernant une prétendue mesure d’aide d’État octroyée par la République de Bulgarie et favorisant certains producteurs d’électricité à partir de sources renouvelables.

 Antécédents du litige

2        La requérante est un producteur d’électricité actif sur le territoire de la Bulgarie et possède une centrale photovoltaïque mise en service le 19 mai 2012.

3        Par la décision C(2016) 5205 final, du 4 août 2016, dans l’affaire SA.44840 (2016/NN) (ci-après la « décision dans l’affaire SA.44840 »), la Commission a considéré que le régime bulgare d’aide à la production d’énergie à partir de sources renouvelables, notifié par les autorités bulgares et constitué de la Zakon za energiata ot vazobnovyaemi iztochnitsi (ZEVI) (loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables), en vigueur depuis le 3 mai 2011 (DV no 35, du 3 mai 2011), ainsi que des deux ordonnances du 18 mars 2013 sur la réglementation des prix de l’électricité et du 20 février 2004 sur la régulation des prix de l’électricité, était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et a décidé de ne pas soulever d’objections.

4        Le 21 février 2020, la requérante a adressé une plainte à la Commission, enregistrée sous la référence SA.56620, dans laquelle elle soutenait que la République de Bulgarie avait octroyé aux producteurs d’électricité à partir de sources renouvelables une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur, sous la forme de prix préférentiels d’achat d’électricité produite à partir de sources renouvelables. Dans sa plainte, la requérante expliquait que l’aide résultait d’une modification introduite par le paragraphe 18 de la Zakon za ismenenie i dopalnenie na Zakona za energetikata (ZID-ZE) (loi modifiant et complétant la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables), du 24 juillet 2015 (DV no 56, du 24 juillet 2015, ci-après, la « loi modificative »), qui s’écartait considérablement de la mesure précédemment autorisée par la Commission. Selon elle, la modification introduite par le paragraphe 18 de la loi modificative établissait, entre des producteurs identiques, ayant réalisé des investissements d’un même montant, ayant mis leurs installations en service au même moment et ayant bénéficié d’une aide d’un montant identique, une distinction en fonction de la date d’introduction de la demande d’aide. Ainsi, certains producteurs bénéficiaient d’un montant d’aide quatre fois supérieur à d’autres, au motif qu’ils avaient déposé une demande d’aide au titre de régimes d’aides nationaux ou de l’Union européenne après le 3 mai 2011, ce qui serait contraire notamment au principe d’égalité de traitement.

5        La Commission a accusé réception de cette plainte le 6 mars 2020.

6        Le 7 octobre 2020, la Commission a envoyé à la requérante un courrier indiquant notamment que, comme cela était mentionné aux paragraphes 27 et 28 de la décision dans l’affaire SA.44840, en vertu des règles anti-cumul et du paragraphe 129 des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1), les aides à l’investissement reçues précédemment devaient être déduites des aides au fonctionnement ayant le même objectif. Selon la Commission, dès lors que les aides à l’investissement accordées avant le 3 mai 2011, date d’entrée en vigueur de la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables, n’avaient pas été déduites de l’aide au fonctionnement, le paragraphe 18 de la loi modificative remédiait à cette différence de traitement pour supprimer la surcompensation des producteurs ayant bénéficié d’une aide avant 2011. Ce faisant, le régime bulgare de soutien aux sources d’énergie renouvelables était, selon elle, conforme à la décision dans l’affaire SA.44840 déclarant le régime bulgare compatible avec le marché intérieur et dont le paragraphe 29 indiquait que, « lorsque l’aide à l’investissement n’a[vait] pas été initialement déduite lors de la fixation du niveau de soutien, le prix d’achat préférentiel a[vait] été réduit par la modification de la ZEVI du 24 juillet 2015 afin de garantir le respect des règles de cumul et l’élimination du risque de surcompensation ». La Commission a indiqué qu’elle avait ainsi approuvé la loi modificative, y compris le paragraphe 18, et que, sur la base des informations fournies dans la plainte, elle n’avait pas identifié d’application erronée de l’aide autorisée par la décision dans l’affaire SA.44840, ni de nouvelles mesures qui constitueraient une aide d’État. Elle a conclu ne pas être en mesure d’identifier correctement la mesure prétendument constitutive d’une aide et les circonstances pertinentes pour apprécier cette mesure. Enfin, elle a invité la requérante à lui faire parvenir, s’il y avait lieu, d’autres éléments à l’appui de sa plainte dans un délai d’un mois, sans quoi sa plainte serait considérée comme étant retirée.

7        Par lettre du 7 novembre 2020 adressée à la Commission, la requérante a maintenu les arguments avancés dans sa plainte.

8        En premier lieu, la requérante a souligné avoir perçu une subvention non remboursable (de minimis) du budget de l’Union, sur le fondement du programme de développement rural 2007-2013, adopté en exécution du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1). Elle a indiqué que cette subvention avait été accordée aux fins de la réalisation des objectifs de la politique de développement rural de l’Union visant la création de nouveaux emplois dans des microentreprises non agricoles dans les zones rurales et la  promotion de l’entreprenariat dans ces mêmes zones, qui n’était pas une aide à l’investissement et qui visait un objectif différent. La requérante a fait valoir qu’il ne serait pas approprié que des fonds, affectés à l’objectif de la politique de développement rural de l’Union, consistant en la « création de possibilités d’emploi et de conditions de croissance » dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), soient traités comme des fonds destinés à la réalisation de la part indicative d’énergie renouvelable dans la consommation finale brute d’énergie dans le cadre de la politique environnementale de l’Union. Elle a rappelé que le point 190 de l’encadrement de l’Union des aides d’État pour la protection de l’environnement de 2008 permettait de cumuler les aides à l’investissement et au fonctionnement lorsqu’elles étaient accordées dans la poursuite de différents objectifs de différentes politiques de l’Union, à condition que le total ne dépasse pas les plafonds imposés par la réglementation. En outre, elle a fait valoir que, même s’il pouvait s’agir d’une aide à l’investissement, les autorités bulgares n’avaient pas respecté les règles relatives au cumul des aides, notamment, car elles n’avaient pas déduit l’aide à l’investissement de l’aide au fonctionnement, mais avaient, sans justification, réduit quatre fois l’aide au fonctionnement avant d’en déduire l’aide à l’investissement. De plus, les prix imposés par le paragraphe 18 de la loi modificative ne correspondaient pas, selon elle, à ce qui était indiqué aux paragraphes 16 à 19 de la décision dans l’affaire SA.44840.

9        En second lieu, la requérante a soutenu que le paragraphe 18 de la loi modificative était contraire au principe d’égalité de traitement, dès lors qu’il aboutissait à des prix préférentiels favorisant certains producteurs au regard d’autres se trouvant dans une situation analogue dans ses éléments essentiels, sans que cela soit justifié par des raisons objectives. D’une part, cette discrimination se manifesterait entre les entités individuelles relevant du champ d’application des dispositions du paragraphe 18 de la loi modificative, car les entités-propriétaires d’installations énergétiques qui ont été construites et mises en service à des moments différents, à des coûts d’investissement et à des taux de rendement différents (le prix des installations voltaïques ayant fortement diminué entre 2009 et 2014), bénéficieraient du même prix préférentiel pour l’achat d’électricité. D’autre part, cette discrimination se manifesterait au regard des propriétaires d’installations énergétiques dont les demandes d’aide ont été soumises après l’entrée en vigueur de la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables et au regard d’autres catégories de producteurs d’énergie renouvelable ayant également bénéficié d’une aide avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Le paragraphe 18 de la loi modificative enfreindrait ainsi le principe d’égalité de traitement et le principe de non-discrimination garantis par l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

10      Par une lettre du 22 juin 2021 adressée à la Commission, la requérante a réitéré ses arguments tendant à démontrer que le paragraphe 18 de la loi modificative introduisait une nouvelle mesure constituant une aide illégale, imposant des conditions discriminatoires à un groupe de producteurs ayant demandé une aide avant le 3 mai 2011. Elle a souligné que la loi modificative n’avait pas été mentionnée dans la décision dans l’affaire SA.44840, qu’elle était contraire à la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables et aux règles sur le cumul des aides. Elle a soutenu que la République de Bulgarie avait enfreint l’article 72, sous a), du règlement no 1698/2005 et l’article 175 TFUE en ne se conformant pas aux objectifs de la politique de développement rural de l’Union. Se fondant sur l’article 13, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), elle a demandé à la Commission d’adopter une décision suspendant l’application de la mesure visée au paragraphe 18 de la loi modificative dans l’attente d’une décision définitive sur sa compatibilité avec le marché intérieur et a précisé que sa lettre constituait une invitation à agir au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater la carence de la Commission en ce qu’elle s’est abstenue de prendre une décision concernant la plainte enregistrée sous la référence SA.56620 ;

–        condamner la Commission aux dépens, y compris si elle adoptait une décision postérieurement au dépôt du recours.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable et non fondé ;

–        condamner les parties à leurs propres dépens.

 En droit

13      La requérante soutient que la Commission n’a pas examiné sa plainte en temps utile, comme le prévoit l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, du règlement 2015/1589, et qu’elle ne s’est pas prononcée par une décision, comme le prévoient l’article 4 et l’article 15, paragraphe 1, du même règlement.

14      La Commission fait valoir que le recours est irrecevable et non fondé.

 Sur la recevabilité du recours

15      La Commission soutient que le recours est irrecevable. Elle rappelle que la mise en demeure est une formalité substantielle qui a notamment pour effet de délimiter le cadre d’un recours en carence éventuel. Or, en l’espèce, elle soutient que le contenu de l’invitation à agir du 22 juin 2021, fondée sur la violation de l’article 72, sous a), du règlement no 1698/2005 et de l’article 175 TFUE, est différent de l’objet de la requête, laquelle est fondée sur les articles 12, 13 et 15 du règlement 2015/1589.

16      La requérante soutient que son recours est recevable, dès lors que, à la suite des informations et des arguments complémentaires qu’elle a fournis, la Commission n’a pas clos la procédure de plainte, ce qui l’a obligée à réitérer ses arguments dans le cadre de l’invitation à agir du 22 juin 2021. Elle indique que, si cette invitation à agir ne visait que l’article 13, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, il était évident qu’elle visait une décision sur la compatibilité de la mesure et non sur sa suspension temporaire.

17      Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, un recours en carence n’est recevable que si l’institution en cause a été préalablement invitée à agir. Il est de jurisprudence constante que cette mise en demeure de l’institution est une formalité essentielle et qu’elle a pour effet, d’une part, de faire courir le délai de deux mois dans lequel l’institution est tenue de prendre position et, d’autre part, de délimiter le cadre dans lequel un recours pourra être introduit au cas où l’institution s’abstiendrait de prendre position. Bien que non soumise à une condition de forme particulière, il est, néanmoins, nécessaire que la mise en demeure soit suffisamment explicite et précise pour permettre à la Commission de connaître de manière concrète le contenu de la décision qu’il lui est demandé de prendre et pour faire ressortir qu’elle a pour objet de contraindre celle-ci à prendre parti (arrêts du 3 juin 1999, TF1/Commission, T‑17/96, EU:T:1999:119, point 41, et du 29 septembre 2011, Ryanair/Commission, T‑442/07, non publié, EU:T:2011:547, point 22). Cependant, les termes du recours en carence et ceux de la mise en demeure ne doivent pas être identiques (arrêt du 10 mars 2021, ViaSat/Commission, T‑245/17, EU:T:2021:128, point 39).

18      En l’espèce, force est de constater que, comme le souligne la Commission, il existe une divergence entre, d’une part, la conclusion de l’invitation à agir du 22 juin 2021, qui délimite le cadre du présent recours et, d’autre part, la requête introduite devant le Tribunal. En effet, d’une part, la lettre de la requérante du 22 juin 2021 invite la Commission à adopter une décision suspendant l’application du paragraphe 18 de la loi modificative dans l’attente d’une décision définitive sur sa compatibilité avec le marché intérieur, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, qui permet à la Commission d’enjoindre à l’État membre concerné de suspendre le versement de toute aide illégale jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur. D’autre part, dans sa requête, la requérante invoque la violation des dispositions relatives aux aides d’État, à savoir des articles 107 et 108 TFUE ainsi que des articles 4, 12 et 15 du règlement 2015/1589, et vise donc à faire constater la carence de la Commission pour défaut d’adoption d’une décision sur la légalité ou sur la compatibilité du paragraphe 18 de la loi modificative au regard du droit des aides d’État.

19      Toutefois, une telle divergence entre l’invitation à agir, qui délimite le cadre du litige, et le présent recours, tel que défini par la requête, n’est pas telle qu’elle doive entraîner l’irrecevabilité du présent recours, en application de la jurisprudence citée précédemment (voir point 17 ci-dessus).

20      En effet, il résulte de la plainte de la requérante du 21 février 2020, à laquelle elle se réfère au début de son invitation à agir, qu’elle alléguait en substance que le paragraphe 18 de la loi modificative constituait notamment une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur. Cela ressort également de la lettre du 7 novembre 2020 dont il ressort que la requérante visait non seulement la suspension de la mise en œuvre du paragraphe 18 de la loi modificative, mais également l’obtention d’une décision sur la compatibilité de la mesure avec le marché intérieur, ce que confirme la requérante dans la réplique devant le Tribunal.

21      En outre, ainsi qu’il ressort du point 10 ci-dessus, dans l’invitation à agir, la requérante ne vise certes, dans sa conclusion, que la suspension de la mesure en cause dans l’attente d’une décision finale sur sa compatibilité avec le marché intérieur. Cela étant, elle réitère son analyse selon laquelle l’article 18 de la loi modificative introduirait une nouvelle mesure constituant une aide illégale, qui serait notamment contraire aux règles relatives au cumul des aides accordées en vue de la réalisation de différents objectifs de différentes politiques de l’Union, et selon laquelle il s’agirait d’une aide illégale imposant des conditions discriminatoires à un groupe de producteurs.

22      Au surplus, une suspension de la mesure en cause de la part de la Commission, telle que demandée dans l’invitation à agir, paraît à première vue nécessairement liée à l’examen au fond de la légalité et de la compatibilité de ladite mesure au regard du droit des aides d’État.

23      Dès lors, malgré la conclusion de l’invitation à agir du 22 juin 2021 invitant la Commission à suspendre l’application du paragraphe 18 de la loi modificative sur le fondement de l’article 13 du règlement 2015/1589, compte tenu des éléments du dossier et en particulier de la procédure administrative l’ayant précédée, ladite invitation à agir, qui se réfère à la plainte et à l’attente d’une décision sur la compatibilité avec le marché intérieur, était suffisamment explicite et précise pour permettre à la Commission de connaître de manière concrète le contenu de la décision qu’il lui était demandé de prendre, à savoir non seulement suspendre la mesure en cause, mais également prendre position sur sa compatibilité au regard du droit des aides d’État.

24      Dès lors, le présent recours doit être déclaré recevable, pour autant qu’il a pour objet de faire constater que la Commission s’est illégalement abstenue d’adopter une décision concernant la question de savoir si le paragraphe 18 de la loi modificative constituait une mesure d’aide illégale ou incompatible avec le marché intérieur.

 Sur le bien-fondé du recours

25      La requérante fait valoir que le paragraphe 18 de la loi modificative introduit une modalité de rachat de l’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables qui constitue une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur. Elle soutient que cette disposition n’a pas été prise en compte dans la décision dans l’affaire SA.44840. Elle indique que, à la suite de sa plainte, elle a fourni des informations supplémentaires par la lettre du 7 novembre 2020 et que, sans réponse de la Commission, elle a envoyé une invitation à agir le 22 juin 2021. En substance, elle soutient que la Commission n’a pas examiné en temps utile sa plainte concernant une éventuelle aide illégale, en violation de l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, du règlement 2015/1589, qu’elle ne s’est pas prononcée par une décision, en violation de l’article 15, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 4 dudit règlement, qu’elle ne lui a pas envoyé de copie de sa décision et qu’elle n’a pas pris de mesures appropriées. Selon elle, la Commission était tenue de se prononcer sur la compatibilité du paragraphe 18 de la loi modificative avec le traité FUE et l’analyse de la Commission effectuée dans la lettre du 7 octobre 2020 ne constituait ni un avis définitif, ni une position finale sur sa plainte. Elle conclut à l’existence d’une carence de la Commission.

26      La Commission conteste cette argumentation.

27      Il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle, afin de statuer sur le bien-fondé de conclusions en carence, il y a lieu de vérifier si, au moment de l’invitation à agir de la Commission au sens de l’article 265 TFUE, il pesait sur celle-ci une obligation d’agir (arrêts du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T‑95/96, EU:T:1998:206, point 71 ; du 19 mai 2011, Ryanair/Commission, T‑423/07, EU:T:2011:226, point 25, et du 29 septembre 2011, Ryanair/Commission, T‑442/07, non publié, EU:T:2011:547, point 28).

28      En matière d’aides d’État, les situations dans lesquelles la Commission est tenue d’agir quant aux aides illégales ou incompatibles avec le marché intérieur sont régies par le règlement 2015/1589.

29      Il convient de rappeler que, en matière d’aides illégales, l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, du règlement 2015/1589 prévoit notamment que la Commission examine sans retard indu toute plainte déposée par une partie intéressée, conformément à l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement. Cette disposition, relative aux droits des parties intéressées, prévoit notamment que, si les éléments de fait et de droit invoqués par la partie intéressée ne suffisent pas à démontrer, sur la base d’un examen à première vue, l’existence d’une aide d’État illégale ou l’application abusive d’une aide, la Commission en informe la partie intéressée et l’invite à présenter ses observations dans un délai déterminé qui ne dépasse normalement pas un mois. Si la partie intéressée ne fait pas connaître son point de vue dans le délai fixé, la plainte est réputée avoir été retirée.

30      L’article 15, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2015/1589 prévoit que l’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphe 2, 3 ou 4, dudit règlement, selon lequel la Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception et prend soit une décision constatant que la mesure ne constitue pas une aide, soit une décision de ne pas soulever d’objections si la mesure ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, soit une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen si ladite mesure suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.

31      Il convient donc de vérifier si, en l’espèce, la Commission a été saisie d’une plainte ou mise en possession d’informations concernant une aide prétendument illégale ou incompatible avec le marché intérieur, faits qui auraient dû être suivis d’une décision fondée sur ces dispositions.

32      Il y a lieu de constater que, dans sa décision dans l’affaire SA.44840, la Commission a pris en compte les modifications apportées à la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables et notamment la loi modificative en cause en l’espèce.

33      Premièrement, cela résulte de la note en bas de page no 2 de la décision dans l’affaire SA.44840, qui mentionne la loi modificative. Deuxièmement, cela résulte du paragraphe 29 de ladite décision, qui indique que, lorsque l’aide à l’investissement n’a pas été initialement déduite lors de la détermination du niveau de l’aide, le prix d’achat préférentiel a été réduit par la loi modificative afin de garantir le respect des règles relatives au cumul et d’éliminer le risque d’une surcompensation. Cela est précisément visé par la modification introduite par le paragraphe 18 de la loi modificative. Troisièmement, ainsi qu’il ressort du paragraphe 40 de la décision dans l’affaire SA.44840, au moment de l’analyse du régime notifié par la République de Bulgarie, la Commission avait reçu des plaintes d’une association bulgare pour le photovoltaïque et de petits producteurs concernant notamment la modification introduite par l’article 18 de la loi modificative. Quatrièmement, il ressort du paragraphe 46 de la décision dans l’affaire SA.44840 que les niveaux d’aide aux installations ont été réduits afin de remédier à des irrégularités constatées lors d’un audit effectué dans le cadre du programme de développement rural pour la période 2007-2013. Comme l’indique la Commission, cette modification de la législation, introduite par le paragraphe 18 de la loi modificative, visait à réduire les niveaux d’aide pour certaines installations afin de remédier aux irrégularités constatées par les autorités bulgares. Cette correction concernait les bénéficiaires d’une aide à l’investissement au titre du programme de développement rural évoqué par la requérante, lesquels bénéficiaient à la fois intégralement de prix préférentiels et d’un financement au titre de régimes d’aides nationaux et de l’Union. L’introduction de la modification prévue au paragraphe 18 de la loi modificative corrigeait ainsi la surcompensation existante octroyée aux producteurs ayant soumis des demandes d’aide avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables, c’est-à-dire avant 2011, ce que la Commission a exposé à la requérante dans sa lettre du 7 octobre 2020 en réponse à sa plainte (voir point 6 ci-dessus).

34      Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort de la décision dans l’affaire SA.44840 que la Commission avait pris en compte le paragraphe 18 de la loi modificative dans le cadre de ladite décision et s’était donc prononcée également sur la compatibilité de cette disposition au regard du droit des aides d’État.

35      Or, aucune disposition du règlement 2015/1589 ne fait obligation à la Commission d’adopter une nouvelle décision sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur sur laquelle elle a déjà statué. Comme l’indique la Commission, une telle obligation permettrait aux parties intéressées de contester son analyse quant à la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, y compris après l’expiration du délai de recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE.

36      Par ailleurs, à la suite de la plainte de la requérante du 21 février 2020, la Commission lui a répondu par la lettre du 7 octobre 2020. Après avoir rappelé le contenu de sa décision dans l’affaire SA.44840, elle a précisé y avoir examiné les dispositions de la loi modificative, y compris le paragraphe 18. Elle a ajouté que, sur la base de la plainte de la requérante, il n’était pas possible d’identifier d’application erronée de cette disposition (voir point 6 ci-dessus).

37      Or, la requérante n’établit aucunement, devant le Tribunal, que cette appréciation serait erronée et en quoi l’article 18 de la loi modificative aurait instauré une autre mesure d’aide qui n’aurait pas été examinée dans la décision SA.44840, sur laquelle la Commission aurait dû se prononcer.

38      Au demeurant, comme l’indique la Commission, la décision dans l’affaire SA.44840 a seulement pour objet et pour effet d’autoriser un régime d’aides en le déclarant compatible avec le marché intérieur et l’État membre peut refuser l’octroi d’une aide ou la réduire sans que cela conduise à l’établissement d’une nouvelle aide d’État.

39      Il découle de tout ce qui précède que, au moment de l’invitation à agir adressée à la Commission, il ne pesait sur elle aucune obligation d’agir au sens de la jurisprudence applicable, citée au point 27 ci-dessus, de sorte qu’aucune carence ne saurait lui être reprochée en l’espèce.

40      Concernant l’argument de la requérante relatif à la carence de la Commission au regard du délai d’examen de sa plainte, compte tenu de l’absence d’obligation d’agir de la Commission, une telle carence ne saurait être constatée.

41      Il s’ensuit que le présent recours en carence doit être rejeté.

 Sur les dépens

42      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

43      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens.

44      Conformément aux conclusions de la Commission, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Ekobulkos EOOD et la Commission européenne supporteront chacune leurs propres dépens.

Spielmann

Mastroianni

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 décembre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.