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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (dixième chambre)

13 mars 2024 (*)

  « Recours en carence – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Prise de position mettant fin à la carence – Non-lieu à statuer »

Dans l’affaire T‑409/23,

Sulberg Services Ltd, établie à Road Town, Tortola (Îles Vierges britanniques), représentée par Me H. Sbert Pérez, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. Limonet, Mmes H. Marcos Fraile et P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. L. Madise et P. Nihoul (rapporteur), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 265 TFUE, la requérante, Sulberg Services Ltd, demande au Tribunal de constater que le Conseil de l’Union européenne s’est illégalement abstenu de modifier les motifs de l’inscription du nom de Mme Anastasia Ignatova sur les listes contenues dans l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), et dans l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6) (ci-après, prises ensembles, les « listes concernant les mesures restrictives »).

 Antécédents du litige

2        La requérante (anciennement Delima Services Limited), est une société établie aux Îles Vierges britanniques.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil a adopté la décision no 2014/145 et le règlement no 269/2014 dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

4        Le 14 mars 2022, la Dirección General de la Marina Mercante (Direction générale de la Marine marchande, Espagne) a ordonné la saisie provisoire du yacht « Valérie » pour le temps nécessaire afin de recueillir les informations opportunes pour vérifier si celui-ci était sous la propriété, la détention ou le contrôle d’une personne physique ou morale inscrite sur les listes  concernant les mesures restrictives.

5        Le 8 avril 2022, compte tenu de l’aggravation de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/582 modifiant la décision no 2014/145 (JO 2022, L 110, p. 55) et le règlement d’exécution (UE) 2022/581 mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 110, p. 3).

6        La décision no 2022/582 et le règlement d’exécution no 2022/581 ont, notamment, ajouté Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives pour les motifs suivants (no 923) :

« Anastasia Ignatova est la belle-fille de Sergei Chemezov, qui est le PDG de la société d’État russe Rostec (société d’État d’aide au développement, à la production et à l’exportation de technologies russes et de produits industriels de haute technologie). En tant que belle-fille de Sergei Chemezov, elle détient d’importants actifs qui ont un lien avec lui, par l’intermédiaire de sociétés offshore.

Anastasia Ignatova détient officiellement le yacht de 85 mètres ‘Valerie’, d’une valeur de 140 millions de dollars US (plus de 10 milliards de roubles), par l’intermédiaire d’une entreprise des Îles Vierges britanniques dénommée Delima Services Limited.

En outre, elle est la bénéficiaire de sociétés offshore disposant de centaines de millions de dollars d’actifs. Anastasia Ignatova est associée à une personne physique (son beau-père) qui figure sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives eu égard aux actions qui menacent ou compromettent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »

7        Le 20 juin 2022, la Secretaria General de Transportes y Movilidad del Ministerio de Transportes, Movilidad y Agenda Urbana (Secrétariat général aux Transports et à la Mobilité du Ministère des Transports, de la Mobilité et de la Planification urbaine, Espagne) a rejeté le recours qui avait été introduit par la requérante à l’encontre de la décision visée au point 4 ci-dessus et a confirmé la saisie provisoire du yacht « Valérie », au motif qu’il résultait des listes concernant les mesures restrictives que Mme Anastasia Ignatova était, par l’intermédiaire de la requérante, la propriétaire dudit yacht.

8        Le 21 juin 2022, la direction générale de la Marine marchande a ordonné l’immobilisation du yacht « Valérie », au motif qu’il s’agissait d’une ressource économique sous la propriété, la détention ou le contrôle d’une personne physique ou morale inscrite sur les listes concernant les mesures restrictives.

9        Le 23 janvier 2023, le Secrétariat général aux Transports et à la Mobilité du Ministère des Transports, de la Mobilité et de la Planification urbaine a rejeté le recours de la requérante à l’encontre de la décision visée au point 8 ci-dessus et a confirmé l’immobilisation du yacht « Valérie ».

10      Le 16 mars 2023, la requérante a demandé au Conseil, sur le fondement de l’article 14 du règlement no 269/2014, de supprimer du résumé des motifs justifiant l’inscription de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives le fait qu’elle était la propriétaire du yacht « Valérie » (ci-après la « demande de modification du résumé des motifs »). En effet, selon la requérante, ce yacht n’appartenait pas à Mme Anastasia Ignatova, mais à la requérante elle-même dont le bénéficiaire effectif était M. Albert Avdolyan à qui, le 23 juillet 2021, Mme Anastasia Ignatova avait cédé, par l’intermédiaire de plusieurs sociétés, l’intégralité des actions de la requérante.

11      Le 17 mars 2023, le Conseil a informé les avocats de la requérante qu’il avait reçu la demande de modification du résumé des motifs.

12      Le 23 mai 2023, le Conseil a avisé la requérante que la demande de modification du résumé des motifs fera l’objet d’une évaluation dans le cadre du réexamen périodique des mesures restrictives et ce, au plus tard, le 15 septembre 2023.

13      Le 20 juin 2023, dans l’avis à l’attention de certaines personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision no 2014/145 et par le règlement no 269/2014 (JO 2023, C 217, p. 9), le Conseil a informé notamment Mme Anastasia Ignatova qu’il envisageait de maintenir les mesures restrictives prises à son encontre sur la base de nouveaux motifs.

14      Le 17 juillet 2023, la requérante a introduit le présent recours.

 Faits postérieurs à l’introduction du recours

15      Le 21 août 2023, par un avis à l’attention de certaines personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision no 2014/145 et par le règlement no 269/2014 (JO 2023, C 295, p. 3), le Conseil a informé Mme Anastasia Ignatova qu’il avait reçu des informations qui seraient examinées dans le cadre du réexamen annuel des mesures restrictives.

16      Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/1767 modifiant la décision no 2014/145 (JO 2023, L 226 p. 104) et le règlement d’exécution (UE) 2023/1765 mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 226, p. 3).

17      Dans la décision no 2023/1767 et dans le règlement d’exécution no 2023/1765, le Conseil a modifié les motifs justifiant l’inscription de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives. Du fait de cette modification, Mme Anastasia Ignatova n’est plus décrite comme propriétaire du yacht « Valerie », mais comme l’ancienne propriétaire de celui-ci. Plus particulièrement, dans l’exposé des motifs du numéro 923 des listes concernant les mesures restrictives, la phrase « Anastasia Ignatova détient officiellement le yacht de 85 mètres ‘Valerie’, d’une valeur de 140 millions de dollars US (plus de 10 milliards de roubles), par l’intermédiaire d’une entreprise des Îles Vierges britanniques dénommée Delima Services Limited » a été remplacée par la phrase « Anastasia Ignatova était officiellement propriétaire du yacht de 85 mètres ‘Valerie’, d’une valeur de 140 millions de dollars US (plus de 10 milliards de roubles), par l’intermédiaire d’une entreprise des Îles Vierges britanniques dénommée Delima Services Limited ».

18      Le 15 septembre 2023, le Conseil a informé la requérante que, à la suite de la demande de modification du résumé des motifs, les motifs d’inscription de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives avaient été modifiés.

 Conclusions des parties

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de :

–        déclarer, conformément à l’article 265 TFUE, que le fait que le Conseil ne se soit pas prononcé sur la demande de la requérante du 16 mars 2023 relative à la modification des motifs concernant l’inscription de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives constitue une carence ;

–        enjoindre au Conseil d’adopter une décision, dans le délai maximal d’un mois, afin que soit supprimée la mention suivante figurant dans l’exposé des motifs du numéro  923 des listes concernant les mesures restrictives : « Anastasia Ignatova détient officiellement le yacht de 85 mètres ‘Valerie’, d’une valeur de 140 millions de dollars US (plus de 10 milliards de roubles), par l’intermédiaire d’une entreprise des Îles Vierges britanniques dénommée Delima Services Limited » ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      Le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal de :

–        constater que le recours est devenu sans objet ;

–        rejeter le recours soit comme étant porté devant une juridiction incompétente pour en connaître soit comme étant irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

21      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 130, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, une partie peut demander au Tribunal de constater que le recours est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer. Conformément à l’article 130, paragraphe 7, du même règlement, le Tribunal statue dans les meilleurs délais sur la demande visée audit article 130, paragraphe 2. 

22      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans poursuivre la procédure.

23      À titre liminaire, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la voie de recours prévue à l’article 265 TFUE est fondée sur l’idée que l’inaction illégale de l’institution mise en cause permet de saisir le juge de l’Union afin que celui-ci déclare que l’abstention d’agir est contraire au traité, lorsque l’institution concernée n’a pas remédié à cette abstention (voir ordonnance du 1er septembre 2021, Be Smart/Commission, T‑18/21, non publiée, EU:T:2021:531, point 16 et jurisprudence citée).

24      En l’espèce, il convient de rappeler que, le 16 mars 2023, la requérante a adressé au Conseil une demande de modification du résumé des motifs et que, le 23 mai 2023, le Conseil a avisé la requérante que sa demande fera l’objet d’une évaluation dans le cadre du réexamen périodique des mesures restrictives et ce, au plus tard, le 15 septembre 2023.

25      À cet égard, il y a lieu de considérer que, comme le fait valoir à juste titre la requérante dans ses observations du 18 décembre 2023, la lettre du Conseil du 23 mai 2023 ne saurait être qualifiée de « prise de position » au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE. En effet, selon la jurisprudence, une lettre émanant d’une institution, aux termes de laquelle l’analyse des questions soulevées se poursuit, ne constitue pas une prise de position mettant fin à une carence (voir ordonnance du 23 juillet 2008, Química Atlântica et Martins de Freitas Moura/Commission, T‑165/08, non publiée, EU:T:2008:298, point 11 et jurisprudence citée).

26      Toutefois, selon la jurisprudence, dans le cas où l’acte dont l’omission fait l’objet du litige a été adopté après l’introduction du recours, mais avant le prononcé de l’arrêt, une déclaration de la juridiction de l’Union constatant l’illégalité de l’abstention initiale ne peut plus conduire aux conséquences prévues par l’article 266 TFUE. Il en résulte que, dans un tel cas, l’objet du recours a disparu, en sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer (voir ordonnances du 9 septembre 2015, Alsharghawi/Conseil, T‑66/15, non publiée, EU:T:2015:716, point 18 et jurisprudence citée, et du 1er septembre 2021, Be Smart/Commission, T‑18/21, non publiée, EU:T:2021:531, point 17 et jurisprudence citée).

27      Par ailleurs, la circonstance que la prise de position de l’institution ne donne pas satisfaction à la partie requérante est sans pertinence pour la résolution du litige, dès lors que l’article 265 TFUE vise la carence par abstention de statuer ou de prendre position et non l’adoption d’un acte autre que celui que cette partie aurait souhaité ou estimé nécessaire (voir ordonnances du 10 décembre 2014, Mabrouk/Conseil, T‑277/14, non publiée, EU:T:2014:1106, point 33 et jurisprudence citée, et du 9 septembre 2015, Alsharghawi/Conseil, T‑66/15, non publiée, EU:T:2015:716, point 19 et jurisprudence citée).

28      En l’espèce, il suffit de constater que, par l’adoption, le 13 septembre 2023, de la décision no 2023/1767 et du règlement d’exécution no 2023/1765, le Conseil a pris position sur la demande de modification du résumé des motifs formulée par la requérante et a corrigé l’exposé des motifs justifiant l’inscription de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives de manière à ce qu’elle ne soit plus désignée comme étant l’actuel propriétaire du yacht « Valérie ».

29      À cet égard, conformément à la jurisprudence visée au point 27 ci-dessus, l’argument de la requérante, formulé dans ses observations du 18 décembre 2023, selon lequel la modification adoptée par le Conseil le 13 septembre 2023 ne lui donne pas satisfaction, dès lors qu’elle maintient dans l’exposé des motifs, avec une formulation ambiguë, la référence au fait que par le passé Mme Anastasia Ignatova était propriétaire du yacht « Valérie », est sans pertinence pour la résolution du présent litige.

30      Par conséquent, il convient de constater que la prise de position du Conseil, intervenue le 13 septembre 2023 avec l’adoption de la décision no 2023/1767 et du règlement d’exécution no 2023/1765, a fait disparaître, postérieurement à l’introduction du présent recours, l’objet du premier chef de conclusions visant à faire constater par le Tribunal la carence du Conseil.

31      Pour les mêmes motifs, il n’y a plus lieu de statuer sur le deuxième chef de conclusions visant à enjoindre au Conseil de modifier les motifs justifiant l’inscription de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives.

32      Dès lors, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par le Conseil, il n’y a plus lieu de statuer sur le présent recours.

 Sur les dépens

33      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, en cas de non‑lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.

34      À cet égard, il y a lieu de constater qu’il n’est pas contesté que, lors de l’inscription par le Conseil, le 8 avril 2022, de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives, elle n’était déjà plus, par l’intermédiaire de la requérante, propriétaire du yacht « Valérie ». En effet, le 23 juillet 2021, Mme Anastasia Ignatova a cédé, par l’intermédiaire de plusieurs sociétés, l’intégralité des actions de la requérante à M. Albert Avdolyan (voir point 10 ci-dessus).

35      De plus, il y a lieu de rappeler que, c’est seulement après l’introduction du présent recours, à savoir le 13 septembre 2023, que le Conseil a pris position sur la demande de modification du résumé des motifs formulée par la requérante et a révisé les motifs d’inscription de Mme Anastasia Ignatova sur les listes concernant les mesures restrictives.

36      Dans ces conditions, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que le Conseil supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

ordonne :

1)      Il n’y a plus lieu de statuer sur le recours.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 13 mars 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

O. Porchia


*      Langue de procédure : l’espagnol.