Language of document : ECLI:EU:T:2014:781

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

18 septembre 2014 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation au Zimbabwe – Gel des fonds – Responsabilité non contractuelle – Lien de causalité – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑168/12,

Aguy Clement Georgias, demeurant à Harare (Zimbabwe),

Trinity Engineering (Private) Ltd, établie à Harare,

Georgiadis Trucking (Private) Ltd, établie à Harare,

représentés initialement par M. M. Robson, Mme E. Goulder, solicitors, et M. H. Mercer, QC, puis par MM. Robson, Mercer et I. Quirk, barrister,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. B. Driessen et G. Étienne, en qualité d’agents,

et

Commission européenne, représentée par M. M. Konstantinidis et Mme S. Bartelt, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande de réparation du préjudice prétendument subi par les requérants, à la suite de l’adoption du règlement (CE) nº 412/2007 de la Commission, du 16 avril 2007, modifiant le règlement (CE) nº 314/2004 du Conseil concernant certaines mesures restrictives à l’égard du Zimbabwe (JO L 101, p. 6),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. D. Gratsias (rapporteur), président, Mme M. Kancheva et M. C. Wetter, juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 avril 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Dans sa position commune 2002/145/PESC, du 18 février 2002, concernant des mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 50, p. 1), adoptée sur le fondement de l’article 15 du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, le Conseil de l’Union européenne a exprimé sa profonde préoccupation concernant la situation au Zimbabwe, en particulier les graves violations des droits de l’homme, et notamment de la liberté d’opinion, d’association et de réunion pacifique, commises par le gouvernement du Zimbabwe. Il a donc imposé des mesures restrictives pour une période de douze mois renouvelable, devant faire l’objet d’un examen permanent.

2        La position commune 2004/161/PESC du Conseil, du 19 février 2004, renouvelant les mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 50, p. 66), a prévu un renouvellement des mesures restrictives instaurées par la position commune 2002/145. Elle dispose, notamment, en son article 4, paragraphe 1, que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes physiques énumérées à l’annexe dont les activités portent gravement atteinte à la démocratie, au respect des droits de l’homme et à l’État de droit au Zimbabwe. Son article 5, paragraphe 1, prévoit, en outre que « [t]ous les capitaux et ressources économiques appartenant à des membres du gouvernement du Zimbabwe et à toute personne physique ou morale, entité ou organisme qui leur sont associés et dont la liste figure à l’annexe sont gelés ». Enfin, son article 6 dispose que « [l]e Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou de la Commission, modifie la liste figurant à l’annexe si l’évolution de la situation politique au Zimbabwe le justifie ».

3        Conformément à son article 8, deuxième alinéa, la position commune 2004/161 était applicable à compter du 21 février 2004. Son article 9 prévoyait qu’elle s’appliqu[ait] pour une période de douze mois et qu’elle était constamment réexaminée. Selon ce même article, elle devait être « renouvelée ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estim[ait] que ses objectifs n’[avaient] pas été atteints ».

4        Sa durée de validité a, par la suite, été prorogée jusqu’au 20 février 2006 par la position commune 2005/146/PESC du Conseil, du 21 février 2005, prorogeant la position commune 2004/161 (JO L 49, p. 30), jusqu’au 20 février 2007 par la position commune 2006/51/PESC du Conseil, du 30 janvier 2006, renouvelant les mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 26, p. 28), jusqu’au 20 février 2008 par la position commune 2007/120/PESC du Conseil, du 19 février 2007, renouvelant les mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 51, p. 25), jusqu’au 20 février 2009 par la position commune 2008/135/PESC du Conseil, du 18 février 2008, renouvelant les mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 43, p. 39), jusqu’au 20 février 2010 par la position commune 2009/68/PESC du Conseil, du 26 janvier 2009, renouvelant les mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 23, p. 43) et, enfin, jusqu’au 20 février 2011 par la décision 2010/92/PESC du Conseil, du 15 février 2010, prorogeant les mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 41, p. 6).

5        Le règlement (CE) no 314/2004 du Conseil, du 19 février 2004, concernant certaines mesures restrictives à l’égard du Zimbabwe, a été adopté, ainsi que le mentionne son considérant 5, afin de mettre en œuvre les mesures restrictives prévues par la position commune 2004/161. Il prévoit, notamment, en son article 6, paragraphe 1, que les fonds ou ressources économiques appartenant à des membres du gouvernement du Zimbabwe et à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme associé à ces derniers, qui sont énumérés à l’annexe III dudit règlement, sont gelés. En vertu de l’article 11, sous b), du même règlement, la Commission des Communautés européennes est habilitée à modifier l’annexe III dudit règlement sur la base des décisions prises concernant l’annexe de la position commune 2004/161.

6        Le premier requérant, M. Aguy Clement Georgias, est un homme d’affaires zimbabwéen. Il est propriétaire et directeur général de la deuxième requérante, Trinity Engineering (Private) Ltd. La troisième requérante, Georgiadis Trucking (Private) Ltd, est une succursale de la deuxième requérante. Le premier requérant est également son directeur général.

7        Le 29 novembre 2005, le premier requérant a été nommé sénateur non élu au sénat du Zimbabwe par le président de la République du Zimbabwe. Le 6 février 2007, le président de la République du Zimbabwe l’a nommé vice-ministre du développement économique.

8        La décision 2007/235/PESC du Conseil, du 16 avril 2007, mettant en œuvre la position commune 2004/161 (JO L 101, p. 14), a modifié l’annexe de cette dernière pour y inscrire, notamment, en ce qui concerne le premier requérant, la mention « Georgias, Aguy; [v]ice-ministre du développement économique, né le 22.6.1935 ». La Commission a adopté, le même jour, le règlement (CE) nº 412/2007, du 16 avril 2007, modifiant le règlement nº 314/2004 (JO L 101, p. 6), qui a modifié l’annexe III de ce dernier règlement. L’annexe ainsi modifiée comporte, notamment, une mention relative au premier requérant rédigée en des termes identiques à la mention initiale.

9        Le 25 mai 2007, le premier requérant est arrivé à l’aéroport de Heathrow (Royaume‑Uni) afin de voir sa famille installée en Angleterre, puis prendre, le lendemain, un vol à destination de New York (États-Unis). Il s’est vu refuser le droit d’entrer au Royaume-Uni ou de transiter par les aéroports de cet État membre à destination de New York et il a été obligé de passer la nuit en détention audit aéroport et de prendre un vol de retour vers Harare (Zimbabwe) le lendemain.

10      La décision 2007/455/PESC du Conseil, du 25 juin 2007, mettant en œuvre la position commune 2004/161 (JO L 172, p. 89), a modifié une nouvelle fois l’annexe de cette dernière position commune. La phrase suivante a été ajoutée à la mention relative au premier requérant mentionnée au point 8 ci‑dessus :

« Membre du gouvernement et, en tant que tel, mène des activités qui portent gravement atteinte à la démocratie, au respect des droits de l’homme et à l’État de droit ».

11      Par son règlement (CE) nº 777/2007, du 2 juillet 2007, modifiant le règlement nº 314/2004 (JO L 173, p. 3), la Commission a modifié une nouvelle fois l’annexe III du règlement nº 314/2004. Le nom du premier requérant a continué d’y figurer avec, désormais, une mention identique à celle reproduite au point 10 ci‑dessus.

12      La décision 2011/101/PESC du Conseil, du 15 février 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre du Zimbabwe (JO L 42, p. 6), a abrogé la position commune 2004/161. Cette décision a prévu, à l’encontre des personnes dont les noms figuraient en son annexe, des mesures restrictives analogues à celles prévues par la position commune 2004/161. Toutefois, le nom du premier requérant ne figurait pas à l’annexe de cette décision. La Commission a, ensuite, adopté le règlement (UE) nº 174/2011, du 23 février 2011, modifiant le règlement nº 314/2004 (JO L 49, p. 23), qui a remplacé l’annexe III de ce dernier règlement par une nouvelle annexe ne comportant plus le nom du premier requérant.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 avril 2012, les requérants ont introduit le présent recours.

14      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont présenté une demande au titre de l’article 76 bis, du règlement de procédure du Tribunal, tendant à ce que l’affaire soit traitée selon la procédure accélérée. Cette demande a été rejetée par décision du 25 mai 2012.

15      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur initialement désigné a été affecté à la huitième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

16      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

17      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 3 avril 2014.

18      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner l’Union européenne, la Commission et/ou le Conseil à réparer le préjudice causé en les indemnisant, à concurrence des montants suivants ou d’autres montants jugés appropriés par le Tribunal, à savoir 374 986,57 euros ou son équivalent pour le premier requérant, outre un montant jugé approprié au titre du préjudice non financier subi ; 469 520,24 euros ou son équivalent pour la deuxième requérante et 5 627 020 euros ou son équivalent pour la troisième requérante ;

–        si, et dans la mesure où, le Tribunal le juge nécessaire, ordonner une évaluation du préjudice subi par eux ;

–        condamner la Commission et/ou le Conseil aux dépens.

19      Dans la réplique, les requérants ont corrigé à 462 626 euros le montant initialement demandé pour indemniser la seconde requérante. En outre, ils ont indiqué que, bien qu’il appartienne au Tribunal d’évaluer le montant de l’indemnisation appropriée au titre d’un préjudice non financier, ils considéraient les montants suivants comme une indemnisation appropriée du préjudice de ce type subi par le premier requérant :

–        500 euros pour le fait d’avoir passé une nuit en prison à l’aéroport de Heathrow (point 9 ci‑dessus) ;

–        10 000 euros pour la détérioration de son état de santé.

20      Le Conseil et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Présentation du dommage dont la réparation est poursuivie

21      Selon les allégations des requérants, le dommage dont la réparation est poursuivie dans le cadre du présent recours consiste, en ce qui concerne le premier requérant :

–        en frais de voyage et de chambre d’hôtel, évalués au total à 9 689 dollars des États-Unis (USD), perdus en raison du fait qu’il a été obligé d’abandonner son voyage à New York à la suite de sa détention à l’aéroport de Heathrow (point 9 ci‑dessus) ;

–        en frais médicaux, évalués au total à 221 766,74 USD, qu’il déclare avoir dû supporter en raison de la détérioration de son état de santé due au stress personnel induit par le gel de ses avoirs, par les effets de ce gel sur ses activités professionnelles et sur sa capacité à subvenir aux besoins de sa famille, ainsi que par sa détention à l’aéroport de Heathrow ;

–        en frais de justice, évalués à 67 879,30 livres sterling (GBP), engagés dans le cadre de la contestation, devant les juridictions compétentes du Royaume-Uni, de la décision des autorités de cet État membre de lui refuser l’accès sur son territoire et le transit par ses aéroports ;

–        en frais de justice, évalués à 74 097,72 GBP, engagés dans le cadre des démarches entreprises pour faire rayer son nom de l’annexe III du règlement nº 314/2004 ;

–        en frais de publicité, évalués à 9 696,43 USD, qui auraient été engagés afin de pallier les effets négatifs du gel de ses avoirs pour sa réputation professionnelle et de diminuer, ainsi, les pertes subies par ses entreprises ;

–        en un préjudice non financier résultant de l’aggravation de son état de santé et de sa détention à l’aéroport de Heathrow, dans une cellule de prison.

22      En ce qui concerne les deuxième et troisième requérantes, le dommage dont la réparation est poursuivie consiste en pertes commerciales, chiffrées respectivement à 605 675 USD et à 7 375 000 USD, subies par elles en raison des prétendus « effets extraterritoriaux » du règlement no 314/2004, qui auraient conduit certains de leurs partenaires commerciaux à ne plus traiter avec elles.

23      Les requérants précisent qu’ils ont évalué le dommage subi en USD. Les sommes ainsi évaluées, converties en euros, correspondraient aux sommes mentionnées dans leurs chefs de conclusions, tels que corrigés dans la réplique (voir points 18 et 19 ci‑dessus).

 Rappel de la jurisprudence concernant les recours en indemnité introduits au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE

24      Selon une jurisprudence constante, le bien-fondé d’un recours en indemnité introduit au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, points 19 et 81, et arrêt du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec. p. II‑1291, point 77).

25      Pour que la condition tenant à l’illégalité du comportement soit satisfaite, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. 1‑5291, point 42, et du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. 1‑11355, point 53).

26      En outre, selon une jurisprudence également constante, un lien de causalité au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est admis lorsqu’il existe un lien certain et direct de cause à effet entre la faute commise par l’institution concernée et le préjudice invoqué, lien dont il appartient aux requérants d’apporter la preuve (arrêts de la Cour du 15 janvier 1987, GAEC de la Ségaude/Conseil et Commission, 253/84, Rec. p. 123, point 20, et du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, Rec. p. I‑359, point 25). Le préjudice allégué doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, alors qu’il n’y a pas d’obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d’une situation illégale (arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21 ; voir arrêt Galileo International Technology e.a./Commission, point 24 supra, point 130, et la jurisprudence citée).

 Sur la prescription et sur la recevabilité des arguments des requérants tirés de l’illégalité des règlements nos 314/2004 et 412/2007

27      Eu égard à certains arguments avancés par le Conseil dans sa défense, il convient d’analyser la question du respect, par les requérants, du délai de prescription d’une action indemnitaire prévu à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

28      Le Conseil rappelle que le règlement nº 314/2004 a été publié au Journal officiel le 24 février 2004 et considère que, « dans la mesure où les requérants entendraient demander la réparation d’un préjudice subi en raison d’une illégalité alléguée » de ce règlement, leur action serait prescrite.

29      Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon l’article 46 du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, les actions en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue soit par la requête formée devant la Cour, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente. Toutefois, dans ce dernier cas, la requête doit être formée dans un délai de deux mois.

30      Il résulte d’une jurisprudence constante que ce délai de prescription commence à courir lorsque sont réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation et, notamment, lorsque le dommage à réparer s’est concrétisé. Dès lors, s’agissant des cas où la responsabilité de l’Union trouve sa source dans un acte normatif, ce délai de prescription ne saurait commencer à courir avant que les effets dommageables de cet acte ne se soient produits et, partant, avant le moment où les intéressés ont dû subir un préjudice certain (voir arrêt de la Cour du 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., C‑51/05 P, Rec. p. I‑5341, point 54, et la jurisprudence citée).

31      En l’espèce, le règlement nº 314/2004 n’a pu commencer à produire ses effets prétendument préjudiciables à l’égard des requérants qu’à partir de l’adoption, le 16 avril 2007, du règlement nº 412/2007, qui a remplacé l’annexe III du règlement nº 314/2004 par une nouvelle annexe comportant, notamment, le nom du premier requérant. Le présent recours ayant été introduit le 13 avril 2012, il apparaît à l’évidence que l’action des requérants n’est pas prescrite.

32      En outre, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’action en indemnité fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours, et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Elle se différencie du recours en annulation en ce qu’elle tend non à la suppression d’une mesure déterminée, mais à la réparation du préjudice causé par une institution (voir arrêt du Tribunal du 21 juin 2006, Danzer/Conseil, T‑47/02, Rec. p. II‑1779, point 27, et la jurisprudence citée).

33      Il a ainsi été jugé que même l’existence d’une décision individuelle devenue définitive ne saurait faire obstacle à la recevabilité d’un recours indemnitaire, à l’exception de l’hypothèse particulière où un tel recours tend, en réalité, au retrait de cette décision individuelle, comme c’est le cas lorsque le recours indemnitaire poursuit le paiement, au requérant, d’une somme dont le montant correspond exactement à celui de droits qu’il a payés en exécution de ladite décision (arrêt de la Cour du 26 février 1986, Krohn Import-Export/Commission, 175/84, Rec. p. 753, points 32 et 33 ; voir également arrêt Danzer/Conseil, point 32 supra, point 28, et la jurisprudence citée).

34      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 277 TFUE, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, à l’égard de cet acte.

35      En l’espèce, il convient de constater que les actes à l’origine du préjudice prétendument subi par les requérants sont d’une nature particulière, dès lors qu’ils s’apparentent, à la fois, à des actes de portée générale dans la mesure où ils définissent les critères auxquels une personne doit répondre pour faire l’objet d’un gel des fonds et des ressources économiques et où ils interdisent à une catégorie de destinataires déterminés de manière générale et abstraite, notamment, de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition des personnes et des entités dont les noms figurent sur les listes contenues dans leurs annexes, et à un faisceau de décisions individuelles à l’égard de ces personnes et entités (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, point 56, et arrêt du Tribunal du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, points 85 et 86). Il s’ensuit que, pour autant que les règlements nos 314/2004 et 412/2007 constituent des actes de portée générale, les requérants sont recevables à invoquer, à l’appui de leur recours indemnitaire, des prétendues illégalités de ces règlements, nonobstant le fait qu’ils n’ont pas formé un recours en annulation à leur égard. L’argument en sens contraire du Conseil selon lequel l’article 277 TFUE « ne déroge pas à l’article 46 du statut de la Cour de justice » ne saurait prospérer. Ainsi qu’il a été relevé (voir point 31 ci‑dessus), le délai de prescription prévu audit article ne s’était pas encore écoulé lors de l’introduction du présent recours et il n’existe aucune raison pour que cet article puisse faire obstacle à l’application de l’article 277 TFUE au cas d’espèce.

 Sur le dommage allégué résultant de la détention du premier requérant à l’aéroport de Heathrow

36      Il convient de commencer par l’examen du recours en ce qu’il vise la réparation du préjudice prétendument subi par le premier requérant, du fait de sa détention à l’aéroport de Heathrow (voir point 9 ci‑dessus).

37      À cet égard, il y a lieu de relever que les circonstances de cet incident et les motifs pour lesquels le premier requérant s’est vu refuser l’accès au territoire du Royaume-Uni ou le transit par ses aéroports sont exposés dans une lettre du 28 août 2007, envoyée par le Treasury Solicitor’s Department (Service juridique du gouvernement du Royaume-Uni) aux conseils du premier requérant et produite par les requérants en annexe à leur requête.

38      Il ressort de cette lettre que, lors de son arrivée à l’aéroport de Heathrow le 25 mai 2007, le premier requérant s’est vu notifier une décision de l’autorité compétente du Royaume-Uni lui refusant l’accès. Cette décision avait été prise sur la base de l’article 8 B de l’Immigration Act 1971 (loi de 1971 sur l’immigration), telle que cette loi a été modifiée. Cette disposition autorise le secrétaire d’État à désigner, notamment, un acte pris par le Conseil, comme étant un « acte désigné » pour les besoins de cet article, auquel cas toute personne nommée dans l’acte en question doit se voir refuser l’accès au territoire du Royaume-Uni.

39      Toutefois, aux termes de cette même lettre, il s’est avéré sur réexamen que, à l’époque de l’arrivée du premier requérant à l’aéroport de Heathrow, la décision 2007/235 n’avait pas encore été désignée par le Secrétaire d’État conformément à l’article 8 B de l’Immigration Act 1971 et que, par conséquent, cette dernière disposition ne permettait pas de refuser au premier requérant l’accès au territoire du Royaume-Uni. Le Treasury Solicitor’s Department a donc, dans sa lettre susmentionnée, informé les conseils du premier requérant que la décision initiale lui refusant l’accès au territoire du Royaume-Uni allait être retirée et remplacée par une nouvelle, allant dans le même sens, prise par le secrétaire d’État sur la base du paragraphe 321 A, cinquième alinéa, des Immigration Rules (règles sur l’immigration du Royaume-Uni), en vertu duquel l’autorisation d’entrée d’une personne sur le territoire du Royaume-Uni peut être annulée s’il apparaît, sur la base des informations dont disposent les autorités compétentes, qu’une telle annulation est « justifiée par le bien public ».

40      Ces explications ne sont nullement contredites par les requérants et, au demeurant, sont répétées dans la requête et dans une déclaration du premier d’entre eux, annexée à celle-ci. Or, il en ressort que le préjudice allégué par le premier requérant en raison du refus d’entrée sur le territoire du Royaume-Uni qu’il s’est vu opposer et de sa détention à l’aéroport de Heathrow pendant une nuit, avant qu’il ne rejoigne le lendemain un vol de retour à Harare, trouve son origine immédiate dans une décision des autorités compétentes de cet État membre.

41      Les requérants considèrent néanmoins qu’il existe un lien de causalité entre ce préjudice et l’adoption du règlement nº 412/2007. Dans ce contexte, ils rappellent que la position commune 2004/161 qui, depuis la modification de son annexe par la décision 2007/235, visait également le premier requérant, n’a pas d’effet juridiquement contraignant dans le droit des États membres. Il s’ensuit, selon eux, que c’était le fait que le premier requérant « faisait l’objet d’une mesure de gel de ses avoirs en application du règlement [nº 314/2004], qui autorisait les autorités [du Royaume-Uni] à [lui] refuser l’accès pour les motifs discrétionnaires de refus figurant à la règle 321 A, cinquième alinéa, des Immigrations Rules ».

42      Cet argument ne saurait prospérer.

43      Quels qu’aient été les motifs ayant conduit les autorités du Royaume-Uni à annuler l’autorisation d’entrée du premier requérant et à lui refuser, ainsi, l’accès à leur territoire et le transit par leurs aéroports, ce qui importe est qu’il s’agit d’une décision, prise par les autorités compétentes de cet État membre dans l’exercice de leurs compétences souveraines relatives au contrôle d’accès des citoyens des pays tiers, non membres de l’Union, au territoire de cet État. C’est cette décision qui est à l’origine de la détention du premier requérant à l’aéroport de Heathrow, ainsi que de son renvoi par un vol direct au départ d’Heathrow, ces événements ayant prétendument causé le préjudice subi par celui-ci. C’est donc uniquement entre cette décision, d’une part, et le préjudice dont se prévaut le premier requérant, d’autre part, qu’est susceptible d’exister un lien certain et direct de cause à effet, au sens de la jurisprudence citée au point 26 ci-dessus. En revanche, à supposer même que ce soit le gel des avoirs du premier requérant qui ait conduit les autorités du Royaume-Uni à la décision de lui refuser l’accès à leur territoire, son prétendu préjudice résultant de ce refus ne découle pas de façon suffisamment directe du gel des avoirs en question, comme l’exige la même jurisprudence.

44      À cet égard, il convient de relever que, certes, l’article 4, paragraphe 1, de la position commune 2004/161 dispose que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes physiques énumérées à l’annexe de cette position commune, en ce compris le premier requérant. Toutefois, il ressort des arrêts de la Cour du 27 février 2007, Gestoras Pro Amnistía e.a./Conseil (C‑354/04 P, Rec. p. I‑1579, points 51 à 57), et Segi e.a./Conseil (C‑355/04 P, Rec. p. I‑1657, points 51 à 57), qu’une position commune telle que prévue par les titres V et VI du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, n’était pas censée avoir par elle-même d’effet juridique à l’égard des tiers, comme en l’occurrence à l’égard du premier requérant. C’est ainsi que, comme il résulte de l’article 46 du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, aucune compétence de la Cour ou du Tribunal n’était prévue à l’égard des actes adoptés sur le fondement des différentes dispositions du titre V du même traité concernant la PESC.

45      Par ailleurs, les requérants, à l’évidence conscients de l’absence de compétence du Tribunal pour connaître d’un recours en indemnité tendant à la réparation d’un prétendu préjudice résultant de l’adoption d’une position commune sur la base des dispositions du titre V du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, ne font pas valoir, dans leur recours, que le préjudice dont ils poursuivent la réparation trouve son origine, en tout ou en partie, dans l’adoption de la position commune 2004/161. Ils allèguent que ce préjudice résulte de l’adoption du règlement nº 314/2004. Or, tel ne saurait être le cas s’agissant du prétendu préjudice résultant de la détention du premier requérant à l’aéroport de Heathrow, le règlement nº 314/2004 ne contenant aucune disposition interdisant l’entrée du premier requérant au Royaume-Uni, ou le transit de celui-ci par le territoire de cet État.

46      Partant, il convient de conclure qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le comportement reproché aux institutions de l’Union dans le cadre du recours, à savoir l’adoption du règlement nº 412/2007, en ce qu’elle serait prétendument entachée d’illégalité, et le préjudice allégué par le premier requérant en raison de cet incident (voir point 21 ci‑dessus, premier, troisième et sixième tirets). Une des conditions cumulatives de l’engagement de la responsabilité de l’Union aux termes de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE n’étant, dès lors, pas remplie, il convient de rejeter comme non fondé le recours, pour autant qu’il vise la réparation du préjudice prétendument subi par le premier requérant, du fait de sa détention à l’aéroport de Heathrow, c’est-à-dire, concrètement, en ce qu’il vise les frais de voyage et de chambre d’hôtel perdus par le premier requérant, les frais de justice engagés par celui-ci pour contester devant les juridictions compétentes du Royaume-Uni la décision de lui refuser l’accès à cet État membre et le préjudice « non financier », en d’autres termes moral, qu’il prétend avoir subi en raison de cet incident (voir point 21 ci‑dessus, respectivement premier tiret, troisième tiret et sixième tiret).

 Sur les autres chefs de préjudice

47      S’agissant des autres chefs de préjudice, il convient d’analyser les différents griefs que les requérants invoquent afin de déterminer si la condition nécessaire à l’engagement de la responsabilité de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, tenant à l’illégalité du comportement allégué, est en l’espèce remplie.

48      Les requérants avancent plusieurs griefs pour démontrer le caractère illégal du comportement du Conseil et de la Commission consistant en l’adoption des règlements nos 314/2004 et 412/2007. Premièrement, ils invoquent, en substance, une erreur manifeste d’appréciation des institutions de l’Union, en ce qu’elles ont considéré qu’il convenait d’inscrire le nom du premier requérant sur la liste des personnes visées par le gel des avoirs institué par le règlement nº 314/2004. Deuxièmement, ils invoquent un défaut de motivation des règlements attaqués à l’égard du premier requérant, ce qui violerait ses droits de la défense et le priverait de toute protection juridictionnelle effective. Troisièmement, ils invoquent un détournement de pouvoir. Quatrièmement, ils invoquent une violation des droits de la défense du premier requérant, en ce qui concerne plus particulièrement la question du maintien de la mention de son nom à l’annexe III du règlement nº 314/2004, ce qui, selon eux, aurait dû faire l’objet d’un réexamen régulier de la part desdites institutions.

49      Pour développer ces différents griefs, les requérants partent de la prémisse selon laquelle le seul fait que le premier requérant ait été un vice-ministre n’était pas une base suffisante pour justifier l’inscription de son nom à l’annexe III du règlement nº 314/2004 et le gel de ses avoirs. Ils reprochent ainsi aux institutions de l’Union tant une erreur manifeste d’appréciation, en ce qu’elles se seraient à tort fondées sur ce seul fait pour conclure que le premier requérant était responsable de graves violations des droits de l’homme, qu’une violation de l’obligation de motivation, en ce qu’elles auraient omis de fournir une motivation suffisante pour le gel de ses avoirs. Leur grief tiré d’un prétendu détournement de pouvoir est également fondé, en substance, sur la même base. Pour leur part, les institutions défenderesses soutiennent que l’inscription du nom du premier requérant à l’annexe III du règlement nº 314/2004 a légalement été décidée sur la seule base de sa qualité de vice-ministre, sans qu’il ait été nécessaire de la justifier par référence à d’autres éléments de preuve.

50      Cette argumentation des requérants pose la question liminaire de l’identification des motifs ayant justifié le gel des avoirs des personnes visées par le règlement nº 314/2004, au nombre desquelles figurait le nom du premier requérant à la suite de l’adoption du règlement nº 412/2007. Concrètement, il s’agit de déterminer si, selon la conception des auteurs de cette mesure, le gel des avoirs institué était justifié, à l’égard du premier requérant, par sa seule qualité de membre du gouvernement du Zimbabwe ou également par d’autres motifs, qu’il convient, le cas échéant, d’identifier.

 Sur les motifs du gel des avoirs du premier requérant et sur le respect de l’obligation de motivation

51      Il y a tout d’abord lieu de rappeler que le règlement nº 314/2004 a été adopté sur la base des articles 60 CE et 301 CE. L’article 60, paragraphe 1, CE dispose que « [s]i, dans les cas envisagés à l’article 301 [CE], une action de la Communauté est jugée nécessaire, le Conseil, conformément à la procédure prévue à l’article 301 [CE], peut prendre, à l’égard des pays tiers concernés, les mesures urgentes nécessaires en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements ». Pour sa part, l’article 301 CE dispose que, « [l]orsqu’une position commune ou une action commune adoptées en vertu des dispositions du traité [UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne] relatives à la [PESC] prévoient une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, prend les mesures urgentes nécessaires ».

52      Selon la jurisprudence de la Cour, au vu du libellé des articles 60 CE et 301 CE, en particulier des termes « à l’égard des pays concernés » et « avec un ou plusieurs pays tiers » y figurant, ces dispositions visent l’adoption de mesures à l’encontre de pays tiers, cette dernière notion pouvant inclure les dirigeants d’un tel pays ainsi que des individus et des entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par ceux-ci (arrêts de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 166, et du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil, C‑376/10 P, point 53).

53      Il y a lieu de rappeler également les considérants 4 et 5 du règlement nº 314/2004, qui expliquent les motifs de l’adoption, notamment, de l’article 6 dudit règlement, dont le contenu est rappelé au point 5 ci-dessus. Ces considérants sont ainsi libellés :

« (4) Les mesures restrictives prévues par la position commune 2004/161/PESC […] imposent le gel des fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques appartenant à des membres du gouvernement du Zimbabwe et à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme qui leur sont associés.

(5)      Ces mesures entrent dans le champ d’application du traité [CE]. Par conséquent, afin d’éviter toute distorsion de concurrence, un acte communautaire est nécessaire pour leur mise en œuvre […] »

54      Quant au règlement nº  412/2007, son considérant 2 relève simplement que « [l]a décision 2007/235/PESC […] modifie l’annexe de la position commune 2004/161/PESC » et que « [d]ès lors, l’annexe III du règlement […] nº 314/2004 doit être modifiée en conséquence ». Le règlement nº 412/2007 ne comporte que deux articles, l’article 1er dudit règlement procédant simplement, conformément à son annexe, à la modification de l’annexe III du règlement nº 314/2004 et l’article 2 du même règlement précisant la date d’entrée en vigueur de celui-ci.

55      Il convient également de tenir compte des dispositions de la position commune 2004/161 et de la décision 2007/235, résumées respectivement au point 2 et au point 8 ci-dessus, lesquelles font partie du contexte de l’adoption des règlements nos 314/2004 et 412/2007 et ont été publiées au Journal officiel.

56      À cet égard, il y a lieu de rappeler également les termes des considérants 2, 6 et 7 de la position commune 2004/161, qui sont ainsi libellés :

« (2) Par sa position commune 2002/145/PESC, le Conseil a également imposé une interdiction de voyage et une mesure de gel des avoirs à l’encontre du gouvernement du Zimbabwe et de ceux qui sont largement responsables de graves atteintes aux droits de l’homme et à la liberté d’expression et d’association, ainsi qu’à la liberté de réunion pacifique.

[…]

(6)      Eu égard à la dégradation persistante de la situation des droits de l’homme au Zimbabwe, il convient de reconduire les mesures restrictives adoptées par l’Union […]

(7)      Ces mesures restrictives visent à encourager les personnes qui en font l’objet à rejeter les politiques qui ont pour effet d’étouffer les droits de l’homme et la liberté d’expression et d’entraver la bonne gestion des affaires publiques. »

57      Il ressort clairement de la lecture combinée des considérants et des dispositions susmentionnés que, en adoptant l’article 6 du règlement nº 314/2004, le Conseil entendait geler les avoirs des « membres du gouvernement du Zimbabwe », dont les noms étaient mentionnés à l’annexe III dudit règlement, eu égard à leur seule qualité de membre du gouvernement dudit État. En témoigne, notamment, la référence, au considérant 2 et à l’article 5, paragraphe 1, de la position commune 2004/161, à deux catégories distinctes de personnes devant faire l’objet d’une mesure de gel des avoirs, à savoir, d’une part, les membres du gouvernement du Zimbabwe et, d’autre part, « ceux qui sont largement responsables de graves atteintes aux droits de l’homme et à la liberté d’expression et d’association, ainsi qu’à la liberté de réunion pacifique ».

58      La modification de la mention relative au premier requérant dans l’annexe de la position commune 2004/161 et [dans l’annexe III] du règlement nº 314/2004, effectuée respectivement par la décision 2007/455 et le règlement nº 777/2007 (voir points 10 et 12 ci‑dessus), ne saurait conduire à une conclusion différente. En effet, le membre de phrase « en tant que tel » du paragraphe ajouté à cette mention indique que c’est, en ce qui concerne le premier requérant, la simple qualité de membre d’un gouvernement impliqué dans des activités portant atteinte à la démocratie, au respect des droits de l’homme et à l’État de droit, qui a justifié qu’il soit visé par les mesures concernées par ladite position commune. En d’autres termes, il s’agissait à l’évidence d’une simple précision et non d’une modification de cette justification.

59      Ne sauraient davantage conduire à une conclusion différente les arguments en sens contraire avancés par les requérants.

60      En premier lieu, ceux-ci se réfèrent au considérant 2 du règlement nº 314/2004, qui est ainsi libellé :

« Le Conseil continue à considérer que le gouvernement du Zimbabwe porte toujours gravement atteinte aux droits de l’homme. Il juge donc nécessaire, aussi longtemps que ces violations se poursuivent, de continuer à appliquer des mesures restrictives à l’encontre du gouvernement du Zimbabwe et de ceux qui sont responsables au premier chef de ces atteintes. »

61      Selon les requérants, cette référence est conforme au contexte dudit règlement, eu égard également à la référence, au considérant 3 de la position commune 2004/161, à une autre position commune adoptée antérieurement qui « étend [les] mesures restrictives [adoptées par la position commune 2002/145] à d’autres personnes qui sont largement responsables [des] violations » mentionnées au considérant 2 de la position commune 2004/161.

62      L’argument que les requérants s’efforcent de tirer des considérants susmentionnés ne saurait prospérer. La référence, au considérant 2 du règlement nº 314/2004, à la circonstance que, selon le Conseil, le gouvernement du Zimbabwe porte gravement atteinte aux droits de l’homme ne signifie pas que le Conseil reprochait individuellement à chaque membre dudit gouvernement des violations spécifiques des droits de l’homme, pour lesquels ce membre serait personnellement responsable. Une telle référence est parfaitement compatible avec une décision d’imposer à l’ensemble des membres du gouvernement en question un gel de leurs avoirs, en raison de leur simple qualité de membre d’un gouvernement, responsable, en tant que tel, d’avoir porté atteinte aux droits de l’homme.

63      Cette lecture du considérant en cause est confirmée par sa seconde phrase qui distingue clairement entre « le gouvernement du Zimbabwe » et « ceux qui sont responsables au premier chef de ces atteintes », ce qui, en d’autre termes, consiste à reprendre la distinction dont il a déjà été question au point 57 ci‑dessus.

64      En outre, le considérant 3 de la position commune 2004/161, également invoqué par les requérants, est dépourvu de pertinence, dans la mesure où il consiste en un simple rappel du contenu d’une autre position commune ayant modifié la position commune 2002/145. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la durée de validité de cette dernière position commune a expiré le 20 février 2004 et qu’elle a été remplacée par la position commune 2004/161.

65      En deuxième lieu, les requérants se réfèrent à l’article 4, paragraphe 1, de la position commune 2004/161 (voir point 2 ci‑dessus). Ils font valoir que la seule qualité de vice-ministre du premier requérant ne démontre pas son implication dans des activités qui portent gravement atteinte à la démocratie, au respect des droits de l’homme et à l’État de droit au Zimbabwe.

66      Cet argument doit également être écarté. L’article 4, paragraphe 1, de la position commune 2004/161 concerne l’interdiction, à l’égard des personnes physiques dont le nom est mentionné à l’annexe de ladite position commune, d’entrer sur le territoire des États membres ou de passer ou transiter par celui-ci. Il s’agit, comme il ressort du point 44 ci-dessus, d’une mesure qu’il appartenait aux États membres de prendre eux-mêmes. Le règlement nº 314/2004 ne contient aucune disposition en ce sens. Il s’ensuit que, même à admettre que l’interdiction visée à l’article 4 de ladite position commune n’ait pas été imposée aux personnes concernées, dont le premier requérant, en raison de leur seul qualité de membre du gouvernement du Zimbabwe, ce seul fait est sans pertinence pour les motifs de l’imposition, aux mêmes personnes, d’un gel de leurs avoirs. En effet, l’article 5, paragraphe 1, de la même position commune, relatif au gel des avoirs, dont le libellé est rappelé au point 2 ci‑dessus, ne contient pas de référence aux activités des membres du gouvernement du Zimbabwe, analogue à celle figurant à l’article 4, paragraphe 1, de la même position commune.

67      En troisième lieu, les requérants se réfèrent, d’une part, au fait que, lors de la suppression de son nom de l’annexe III du règlement nº 314/2004 (voir point 12 ci‑dessus), le premier requérant était toujours vice-ministre et qu’il a continué d’exercer cette fonction même après cette suppression et, d’autre part, au fait que certains autres ministres ou vice-ministres, membres du gouvernement du Zimbabwe nommés en février 2009, ne se sont pas vu imposer un gel analogue de leurs avoirs. Il en ressort, selon les requérants, que le poste de vice-ministre occupé par le premier d’entre eux n’était pas, en soi, suffisant pour justifier l’inclusion de son nom dans la liste des personnes visées par le gel de leurs avoirs imposé par le règlement nº 314/2004.

68      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il est constant entre les parties que, postérieurement à l’inscription du nom du premier requérant sur la liste des personnes visées par le gel de leurs avoirs imposé par le règlement nº 314/2004, la situation politique au Zimbabwe a connu une évolution importante avec la signature, le 15 septembre 2008, du Global Political Agreement (accord politique global, ci‑après le « GPA ») entre, d’une part, le parti du gouvernement, Zanu PF, et, d’autre part, les deux formations du parti de l’opposition, MDC. Le GPA prévoyait, notamment, la nomination de M. Morgan Tsvangirai, chef de file du MDC, au poste de premier ministre ainsi que la nomination d’un nouveau gouvernement, composé de deux vice-Premiers ministres, proposés par les deux formations du MDC, 31 ministres, dont quinze proposés par le Zanu PF et seize proposés par les deux formations du MDC, ainsi que de quinze vice-ministres, dont huit proposés par le Zanu PF et sept proposés par les deux formations du MDC. La nomination de ce nouveau gouvernement est finalement intervenue en février 2009.

69      Au regard de ce développement important, il ne saurait être tiré argument de la non-inclusion du nom des ministres nommés comme membres du gouvernement du Zimbabwe à la suite du GPA dans la liste des personnes visées par le gel des avoirs prévu par le règlement nº 314/2004, pour prétendre, comme le font les requérants, que, en 2007, lorsque le premier requérant s’est vu imposer un tel gel, le Conseil n’entendait pas geler ses avoirs au seul motif qu’il était membre du gouvernement du Zimbabwe. Cette considération est sans préjudice de l’examen, ci‑après, de la légalité tant de la décision de geler les avoirs du premier requérant que de la décision de ne pas lever, à son égard, cette mesure en février 2009. Il s’agit là de questions distinctes de celle de l’identification des motifs ayant justifié l’inclusion du nom du premier requérant dans la liste des personnes dont les avoirs ont été gelés en application du règlement nº 314/2004.

70      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que le premier requérant s’est vu imposer un gel des avoirs au seul motif de sa qualité de vice-ministre. Cette conclusion permet de rejeter d’emblée, comme non fondé, le grief des requérants tiré de la violation de l’obligation de motivation. En effet, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort des considérations exposées ci‑dessus, le règlement nº 314/2004 indique clairement que le Conseil entendait geler les avoirs des membres du gouvernement du Zimbabwe et où l’annexe III du même règlement, telle que modifiée par le règlement nº 412/2007, mentionne la qualité de vice-ministre du premier requérant, il doit être conclu qu’il comporte un exposé suffisant des motifs ayant justifié le gel des avoirs de ce dernier.

71      La question de savoir si le Conseil a considéré à bon droit que cette qualité du premier requérant était suffisante pour justifier, à elle seule, le gel de ses avoirs ne concerne pas le respect de l’obligation de motivation, mais le bien-fondé de cette motivation, qui relève de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 67, et du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec. p. I‑2481, point 35). C’est cette question qu’il convient d’examiner par la suite, ce qui nécessite de procéder à l’examen des griefs des requérants tirés d’une erreur manifeste d’appréciation et d’un détournement de pouvoir.

 Sur les griefs tirés d’une erreur manifeste d’appréciation et d’un détournement de pouvoir

72      Le Tribunal a déjà jugé, dans son arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil (T‑390/08, Rec. p. II‑3967, point 36), que, en ce qui concernait les règles générales définissant les modalités de mesures restrictives, le Conseil disposait d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures de sanctions économiques et financières sur la base des articles 60 CE et 301 CE, conformément à une position commune adoptée au titre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Le juge communautaire ne pouvant, en particulier, substituer son appréciation des preuves, faits et circonstances justifiant l’adoption de telles mesures à celle du Conseil, le contrôle exercé par le Tribunal doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles de telles mesures sont fondées.

73      Il convient, toutefois, de tenir compte, également dans ce contexte, de la jurisprudence relative à la notion de pays tiers, au sens des articles 60 CE et 301 CE, citée au point 52 ci‑dessus. Il s’ensuit que, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation en la matière, le Conseil, lorsqu’il entend adopter, sur la base de ces articles, des mesures restrictives à l’encontre des dirigeants d’un tel pays ainsi que des individus et des entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par ceux-ci, peut, certes, définir de manière plus ou moins large le cercle des dirigeants et de leurs associés qui feront l’objet des mesures à adopter, mais il ne peut pas étendre le champ d’application desdites mesures à des personnes ou à des entités qui ne relèvent ni de l’une ni de l’autre des catégories susmentionnées (voir, en ce sens, arrêt Tay Za/Conseil, point 52 supra, point 63).

74      Par ailleurs, dans un cas où le Conseil définit de manière abstraite les critères qui peuvent justifier l’inscription du nom d’une personne, ou d’une entité, sur la liste des noms des personnes ou des entités faisant l’objet de mesures restrictives adoptées sur la base des deux articles susmentionnés, il incombe au Tribunal de vérifier, sur la base des moyens soulevés par la personne ou l’entité concernée ou, le cas échéant, soulevés d’office, si son cas correspond aux critères abstraits définis par le Conseil. Ce contrôle s’étend à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués comme justifiant l’inscription du nom de la personne ou de l’entité en cause sur la liste des noms de ceux qui font l’objet de mesures restrictives, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels est fondée cette appréciation. Le Tribunal doit également s’assurer du respect des droits de la défense et de l’exigence de motivation à cet égard ainsi que, le cas échéant, du bien-fondé des considérations impérieuses exceptionnellement invoquées par le Conseil pour s’y soustraire (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 72 supra, point 37).

75      En l’espèce, il est constant entre les parties que le premier requérant était, à l’époque de l’inscription de son nom à l’annexe III du règlement nº 314/2004, vice-ministre au Zimbabwe et qu’il a conservé cette qualité tout au long de la période pendant laquelle son nom figurait dans cette annexe.

76      Les requérants soutiennent qu’il convient de « déterminer dans quelle mesure un vice-ministre jouit d’un pouvoir exécutif » et avancent plusieurs considérations pour démontrer que l’autorité du premier requérant était « strictement limitée aux responsabilités relevant de son portefeuille » et qu’il n’existait aucun « lien entre les portefeuilles ministériels du [premier requérant] et les restrictions aux droits de l’homme, à l’État de droit ou à la démocratie ».

77      Or, le Tribunal considère qu’un vice-ministre relève des « dirigeants » d’un pays tiers, en l’occurrence du Zimbabwe, au sens de la jurisprudence citée au point 52 ci‑dessus et des « membres du gouvernement » de ce pays, au sens de la position commune 2004/161 et du règlement nº 314/2004. Par conséquent, aucune erreur de fait ne saurait être reprochée aux institutions de l’Union, en ce qu’elles ont appliqué au premier requérant la mesure restrictive de gel de ses avoirs à la suite de sa nomination en tant que vice-ministre.

78      Dans ces conditions, les arguments des requérants résumés au point 76 ci‑dessus ne peuvent qu’être examinés sous l’angle d’une éventuelle erreur manifeste d’appréciation du Conseil, en ce qu’il a prévu, lors de l’adoption du règlement nº 314/2004, une mesure restrictive, consistant en un gel de leurs avoirs, à l’égard de tous les membres du gouvernement du Zimbabwe, sans distinguer entre ceux dont les activités ou les compétences présenteraient un lien avec les graves violations des droits de l’homme dans ce pays, constatées par le Conseil (voir considérant 1 du règlement nº 314/2004) et ceux pour lesquels un lien de cette nature ne pouvait être établi.

79      À cet égard, il convient d’observer que c’est à tort que les requérants allèguent que la présente affaire « ne concerne pas une prétendue illégalité dans la formulation des règles » régissant l’inscription du nom d’une personne sur la liste des personnes concernées par un gel de leurs avoirs, mais l’application desdites règles. En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 77 ci‑dessus, compte tenu du critère retenu en l’espèce, tenant à la simple qualité de membre du gouvernement du Zimbabwe de l’intéressé, les règles pertinentes ont été correctement appliquées en l’espèce.

80      S’agissant de la question de savoir si le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la formulation desdites règles, le Tribunal considère, compte tenu, d’une part, de l’objectif du gel d’avoirs litigieux, consistant à « encourager les personnes qui en font l’objet à rejeter les politiques qui ont pour effet d’étouffer les droits de l’homme et la liberté d’expression et d’entraver la bonne gestion des affaires publiques » (considérant 7 de la position commune 2004/161, voir point 56 ci‑dessus) et, d’autre part, du large pouvoir d’appréciation du Conseil en la matière (voir point 72 ci‑dessus), qu’une telle erreur ne saurait être reprochée au Conseil.

81      Les requérants soutiennent que l’engagement d’un individu dans les mécanismes démocratiques de son pays, où la démocratie fonctionne de manière imparfaite et en présence de graves violations des droits de l’homme et de l’État de droit, ne saurait justifier, à son égard, l’adoption de mesures restrictives. La thèse contraire discréditerait la démocratie.

82      Cet argument ne saurait prospérer. Ainsi qu’il résulte des considérants et des dispositions mentionnés aux points 1 à 8 ci‑dessus, au moment de l’institution, par le règlement nº 314/2004, de la mesure litigieuse de gel des avoirs, ainsi qu’au moment de l’inscription, en 2007, du nom du premier requérant sur la liste des personnes visées par cette mesure, le Conseil considérait que le gouvernement du Zimbabwe était responsable de graves violations des droits de l’homme dans ce pays. Compte tenu de cette considération, que les requérants ne tendent pas à remettre en cause, le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, considérer qu’une personne intéressée par une participation dans les « mécanismes démocratiques de son pays » ne devait pas devenir membre d’un tel gouvernement avant que celui-ci, ou un autre qui le remplacerait, ne rejette les politiques qui avaient pour effet d’étouffer les droits de l’homme et la liberté d’expression et d’entraver la bonne gestion des affaires publiques.

83      Les requérants font également valoir que la notion de « sanctions ciblées », dont relèverait le gel litigieux des avoirs, implique nécessairement la prise en compte des activités individuelles des personnes visées. Selon eux, l’objectif de telles sanctions est d’identifier les responsables des violations des droits de l’homme en question.

84      Les requérants se réfèrent, en outre, au document 15114/05 du Conseil, du 2 décembre 2005, intitulé « Lignes directrices concernant la mise en œuvre et l’évaluation de mesures restrictives (sanctions) dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE », dont ils ont annexé une copie à leur requête.

85      Ils invoquent, en particulier, le paragraphe 14 dudit document, lequel, sous l’intitulé « Mesures ciblées », relève ce qui suit :

« Les mesures prises devraient cibler les personnes identifiées comme étant responsables des politiques ou des actions qui ont déclenché la décision de l’UE d’imposer des mesures restrictives. De telles mesures ciblées sont plus efficaces que des mesures imposées sans discrimination et elles minimisent les conséquences négatives pour les personnes qui ne sont pas responsables de ces politiques et actions. »

86      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que les articles 60 CE et 301 CE visent, par leur libellé même, les pays tiers. Dans un tel contexte, il est question de « sanctions ciblées » lorsque les mesures restrictives adoptées sur le fondement de ces deux articles ne visent pas l’ensemble du pays concerné et des personnes qui y résident ou en possèdent la nationalité, mais uniquement les personnes identifiées comme étant les responsables des politiques ou actions qui sont à l’origine de l’imposition desdites mesures. C’est précisément ce que relève, d’ailleurs, le paragraphe 14 du document 15114/05 du Conseil, invoqué par les requérants.

87      La question essentielle qui se pose est seulement celle de l’identification des responsables en cause pouvant faire l’objet de sanctions ciblées. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les dirigeants d’un pays tiers ainsi que les personnes qui leur sont associées peuvent faire l’objet de telles sanctions (voir, en ce sens, arrêt Tay Za/Conseil, point 52 supra, point 68). En d’autres termes, selon cette jurisprudence, ces dirigeants et les personnes qui leur sont associées sont censés être responsables des politiques ou actions à l’origine des mesures restrictives concernées, indépendamment de leur implication personnelle dans la mise en œuvre desdites politiques et actions. Cette conclusion s’impose avec d’autant plus de force s’agissant des membres du gouvernement d’un pays tiers qui, indépendamment de leurs compétences individuelles au sein de ce gouvernement, doivent assumer la responsabilité collective de la politique exercée par ce gouvernement et de l’ensemble des actions menées par celui-ci.

88      Il s’ensuit que les arguments des requérants à l’égard des mesures restrictives litigieuses, tirés de leur caractère de sanctions ciblées, ainsi que du document 15114/05 du Conseil, doivent être rejetés. Il n’est, dès lors, pas nécessaire de s’interroger sur les implications, pour la présente affaire, de la circonstance que le document 15114/05 du Conseil est postérieur à l’adoption du règlement nº 314/2004.

89      Par ailleurs, eu égard à toutes les considérations qui précèdent, il convient d’écarter l’ensemble des arguments des requérants tirés des activités personnelles du premier requérant. En effet, tout au plus, ces arguments, à les supposer fondés, tendent à démontrer que le premier requérant ne s’était pas personnellement impliqué dans les politiques et les actions du gouvernement du Zimbabwe visées par les mesures litigieuses et qu’il a exercé, aussi bien en tant que personne privée qu’en sa qualité de ministre, une influence positive sur son pays. De telles circonstances ne suffisent pas pour démontrer que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’il a décidé de soumettre tous les membres du gouvernement du Zimbabwe à un gel de leurs avoirs, sans distinguer entre ceux qui étaient personnellement impliqués dans des violations des droits de l’homme et ceux qui ne l’étaient pas.

90      Ne sont pas non plus suffisantes, à cet égard, les allégations des requérants, selon lesquelles le premier requérant a apporté son soutien personnel à certains fermiers blancs menacés d’expulsion de leurs terres.

91      Il convient d’observer, à cet égard, que les éléments de preuve que les requérants invoquent à ce titre consistent en des lettres et des déclarations, en partie antérieures à la nomination du premier requérant en tant que vice-ministre. S’agissant des éléments portant une date postérieure à cette nomination, il ne ressort pas clairement de leur contenu s’ils se réfèrent à des événements antérieurs ou postérieurs à ladite nomination.

92      En tout état de cause, même à admettre, sur la base des éléments mentionnés ci-dessus, que, postérieurement à sa nomination en tant que vice-ministre, le premier requérant a continué à apporter son soutien à certains fermiers blancs menacés d’expulsion, ce seul fait est manifestement insuffisant pour permettre de conclure qu’il poursuivait, au sein du gouvernement du Zimbabwe, une politique distincte, allant clairement dans un sens contraire aux violations des droits de l’homme dont ce gouvernement était responsable, et tendant à mettre fin à ces violations. Or, ce n’est que dans cette dernière hypothèse où il pourrait être question d’une erreur manifeste d’appréciation du Conseil en ce qu’il a omis de distinguer entre deux courants différents au sein du même gouvernement, mais a imposé sans distinction une mesure de gel des avoirs à l’ensemble de ses membres.

93      Les considérations qui précèdent permettent de rejeter comme non fondés tant le grief des requérants tiré d’une erreur manifeste d’appréciation que celui tiré d’un détournement de pouvoir, en ce qu’ils visent l’inscription du nom du premier requérant sur la liste des personnes concernées par le gel des avoirs imposé par le règlement nº 314/2004.

94      En particulier, pour ce qui est du grief tiré d’un détournement de pouvoir, il y a lieu de rappeler qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 72 supra, point 50, et la jurisprudence citée).

95      Or, les requérants n’ont pas invoqué d’arguments, ni apporté d’éléments de preuve afin de démontrer que, en imposant aux membres du gouvernement du Zimbabwe un gel de leurs avoirs et en inscrivant le nom du premier requérant sur la liste des personnes visées par ce gel, le Conseil et la Commission poursuivaient un but autre que celui d’encourager les personnes concernées à rejeter les politiques ayant pour effet d’étouffer, dans ce pays, les droits de l’homme et la liberté d’expression et d’entraver la bonne gestion des affaires publiques. Partant, il ne saurait, en l’espèce, être question d’un détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, point 72 supra, point 50).

96      En réalité, les arguments avancés par les requérants dans le cadre du développement de leur grief tiré d’un détournement de pouvoir visent, en substance, à démontrer une erreur manifeste d’appréciation. C’est sous cet angle que ces arguments ont été examinés ci‑dessus et qu’ils ont été rejetés.

97      Il convient ensuite d’examiner le recours, en ce qu’il vise, en particulier, la question du maintien du nom du premier requérant sur la liste des noms des personnes visées par un gel de leurs avoirs. Concrètement, il s’agit de déterminer si le Conseil et la Commission n’ont pas commis une erreur manifeste d’appréciation en ne procédant pas à la radiation du nom du premier requérant de ladite liste antérieurement au 23 février 2011. Sera également examiné, dans ce contexte, le grief des requérants tiré d’une violation des droits de la défense du premier requérant, en ce qu’il vise cette question particulière.

 Sur le maintien du nom du premier requérant sur la liste des noms des personnes dont les avoirs avaient été gelés

98      Les requérants rappellent que la position commune 2004/161, que le règlement nº 314/2004 visait à mettre en œuvre, s’appliquait pour une période initiale de douze mois, qu’elle était « constamment réexaminée » et que sa durée de validité a, par la suite, été prorogée à plusieurs reprises (voir points 3 et 4 ci‑dessus). Selon les requérants, bien que le règlement nº 314/2004 n’ait pas comporté une date d’expiration, il ne s’agissait que d’une question de « convenance administrative », ainsi qu’il ressortirait du paragraphe 31 du document 15114/05 du Conseil, et la nécessité d’un réexamen constant et régulier s’appliquerait également en ce qui concerne l’opportunité du maintien des mesures restrictives prévues par ledit règlement.

99      Les requérants ajoutent que, dès lors que les avoirs des personnes concernées étaient déjà gelés, aucun élément de surprise n’était nécessaire et les intéressés, comme en l’occurrence le premier requérant, auraient pu être informés des motifs et des éléments de preuve pertinents justifiant le renouvellement, à leur égard, des mesures restrictives et disposer de l’occasion de demander le réexamen de leur situation. Or, lesdites personnes, dont le premier requérant, n’auraient pas disposé d’une telle garantie procédurale et il ne serait même pas prouvé qu’un réexamen de leur situation ait effectivement eu lieu. Les droits de la défense du premier requérant auraient été ainsi totalement ignorés lors de la période pendant laquelle il faisait l’objet des mesures restrictives litigieuses, ce qui serait manifestement illégal.

100    En l’espèce, il ne fait pas de doute qu’il existait une obligation des institutions de l’Union de réexaminer régulièrement la situation ayant justifié l’adoption des mesures restrictives litigieuses et l’opportunité de leur prorogation, notamment en ce qui concerne le premier requérant. Cela est d’autant plus le cas que ces mesures comportaient une restriction de l’usage du droit de propriété des personnes visées, cette restriction devant au surplus être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale du gel des avoirs litigieux (voir, en ce sens, arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, point 52 supra, point 358).

101    C’est ainsi que la durée de validité de la position commune 2004/161 a initialement été limitée à un an et nécessitait, pour sa prorogation, une nouvelle décision du Conseil, nécessairement prise à l’issue d’un réexamen de la situation. Par ailleurs, comme le font valoir à juste titre les requérants, le fait que la durée de validité du règlement nº 314/2004 n’était pas limitée dans le temps se justifiait par des motifs de simple convenance administrative.

102    Le paragraphe 31 du document 15114/05 du Conseil mentionne à cet égard ce qui suit :

« Dans les cas où l’instrument juridique PESC comporte une date d’expiration, la nécessité de faire figurer une date d’expiration dans les règlements mettant en œuvre cet instrument juridique ne va pas pour autant de soi ;

–        puisque les règlements mettent en œuvre l’acte PESC, leur abrogation s’impose si l’instrument juridique PESC cesse d’être applicable […] Dans cette situation, les règlements peuvent être abrogés avec effet rétroactif, mais il est souhaitable que la période en question soit aussi courte que possible.

–        si un instrument juridique PESC ultérieur reconduit les mesures, modifier la date d’expiration du règlement ou en adopter un nouveau comportant les mêmes dispositions juridiques représente simplement une charge administrative qu’il convient d’éviter. En particulier lorsque des décisions de dernière minute sont prises en matière de reconduction, il peut y avoir une période pendant laquelle les mesures ne sont pas applicables dans l’attente de la modification ou de l’adoption d’un règlement […]

Il est donc préférable que le règlement reste en vigueur jusqu’à son abrogation. »

103    Il va cependant de soi que, bien que la durée de validité du règlement nº 314/2004 n’ait pas été limitée dans le temps, si la durée de validité de la position commune 2004/161, que ce règlement était censé mettre en œuvre, n’était pas prorogée tant dans son intégralité que s’agissant seulement de certaines des personnes visées par elle, le Conseil et la Commission abrogeraient, à l’égard des personnes concernées, également le règlement nº 314/2004. Cela est en effet admis, du moins implicitement, au paragraphe 31 du document 15114/05 du Conseil, cité ci‑dessus.

104    Par ailleurs, dans son mémoire en défense, le Conseil ne conteste pas l’existence d’une obligation de réexamen régulier des mesures restrictives litigieuses, mais il fait valoir qu’elles ont effectivement fait l’objet d’un tel réexamen qui n’aurait toutefois pas décelé de raisons qui auraient pu justifier leur abrogation avant le 15 février 2011 en ce qui concerne le premier requérant. Quant à la Commission, elle souligne que son rôle se limitait à l’exécution des actes adoptés par le Conseil.

105    Dès lors que les requérants invoquent une violation des droits de la défense du premier requérant dans le contexte du réexamen régulier des mesures litigieuses, il y a lieu de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que le respect des droits de la défense, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci, constitue un principe fondamental du droit de l’Union et doit être assuré même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (voir arrêts de la Cour du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, Rec. p. 2263, point 27, et du 9 novembre 2006, Commission/De Bry, C‑344/05 P, Rec. p. I‑10915, point 37). Ce principe exige que la personne concernée soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments qui pourraient être retenus à sa charge dans l’acte à intervenir (arrêt Commission/De Bry, précité, point 38).

106    Cependant, dans le contexte d’un recours en annulation, il ressort d’une jurisprudence également constante que, pour qu’une telle violation des droits de la défense entraîne l’annulation de l’acte en cause, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (arrêt de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 48, et ordonnance de la Cour du 18 octobre 2001, Kish Glass/Commission, C‑241/00 P, Rec. p. I‑7759, point 36).

107    Dans un cas comme celui de l’espèce, où la partie requérante poursuit, par un recours indemnitaire, la réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait de l’adoption d’un acte ou de la prolongation de sa validité, en méconnaissance de ses droits de la défense, et où cette partie n’a pas formé un recours en annulation contre l’acte en question, il s’ensuit logiquement tant de la jurisprudence citée au point 106 ci‑dessus que des considérations relatives à la nécessité de l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité alléguée et le préjudice invoqué (voir point 24 ci‑dessus), que la seule invocation d’une violation alléguée de ses droits de la défense n’est pas suffisante pour démontrer le bien-fondé de son recours indemnitaire. Encore faut-il expliquer quels sont les arguments et les éléments que l’intéressé aurait fait valoir si ses droits de la défense avaient été respectés et démontrer, le cas échéant, que ces arguments et éléments auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent, c’est-à-dire, en l’occurrence et s’agissant du premier requérant, au non-renouvellement à son égard de la mesure restrictive litigieuse de gel de ses avoirs.

108    Or, force est de constater que, en l’espèce, les requérants n’ont pas respecté cette exigence. Ainsi, ils n’expliquent pas, dans leurs écrits, quels arguments et éléments de preuve le premier requérant aurait pu faire valoir s’il avait été entendu préalablement à chaque renouvellement annuel de la validité de la position commune 2004/161 et comment ces arguments et éléments auraient pu conduire à son égard à un résultat différent, à savoir à la radiation, à une date antérieure au 15 février 2011, de son nom de la liste des noms des personnes soumises à un gel de leurs avoirs.

109    Par conséquent, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si, comme le font valoir les requérants, le Conseil était tenu d’entendre le premier requérant préalablement à chaque renouvellement annuel de la validité de la position commune 2004/161 en ce qu’elle le concernait, il convient d’écarter comme non fondé le grief tiré de la violation des droits de la défense du premier requérant lors du renouvellement des mesures restrictives en cause.

110    Reste ensuite à examiner la question de savoir si les institutions de l’Union ont commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elles n’ont pas radié, antérieurement au 15 février 2011, le nom du premier requérant de la liste des personnes soumises à un gel de leurs avoirs conformément au règlement nº 314/2004, mettant en œuvre la position commune 2004/161.

111    Il convient de constater que le seul élément mentionné dans l’argumentation des requérants qui pouvait présenter une pertinence à cet égard est le fait qu’aucun des nouveaux membres du gouvernement du Zimbabwe, nommés en février 2009, n’a été soumis à un gel de ses avoirs analogue à celui auquel le premier requérant était soumis jusqu’au 15 février 2011. Il convient ainsi de déterminer si les institutions de l’Union ont commis une erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’elles n’ont pas décidé de radier le nom du premier requérant de la liste des noms des personnes soumises à un gel de leurs avoirs, lorsqu’elles ont décidé de ne pas inscrire sur cette liste les noms des membres du gouvernement du Zimbabwe entrés en fonction en février 2009. Plus généralement, il convient de déterminer si le maintien du nom du premier requérant sur ladite liste pendant les deux ans qui ont suivi ce développement résulte d’une erreur manifeste d’appréciation.

112    En l’espèce, il doit être admis que, en février 2009, le choix du Conseil de ne pas étendre les mesures restrictives concernées par la position commune 2004/161 aux nouveaux membres du gouvernement du Zimbabwe, entrés en fonction à la suite du GPA, constitue une modification importante de sa position. Jusqu’à ce développement, la position du Conseil semble avoir été que tout membre du gouvernement du Zimbabwe devait faire l’objet de mesures restrictives, dont notamment le gel de ses avoirs, au seul motif qu’il était membre d’un gouvernement responsable de graves violations des droits de l’homme (voir également point 57 ci-dessus). À l’évidence, cette position n’était plus d’actualité à partir de février 2009, dans la mesure où tous les nouveaux membres du gouvernement du Zimbabwe, y compris ceux proposés par le parti Zanu-PF, qui était seul au pouvoir antérieurement au GPA, n’ont pas été soumis à un gel de leurs avoirs.

113    Le Conseil affirme à ce sujet que, à la suite de la conclusion du GPA et de la nomination des nouveaux membres du gouvernement en février 2009, « la décision a été prise de ne pas radier de la liste [des personnes soumises à des mesures restrictives ni le premier requérant] ni aucun membre du gouvernement y figurant avant d’avoir obtenu plus d’assurance quant à l’attitude des membres du gouvernement déjà en place à l’égard de la coalition » qui a résulté du GPA.

114    Pour leur part, les requérants se plaignent, tout d’abord, du fait que le Conseil ne leur a pas communiqué, en dépit de nombreuses demandes de leur part, ce qu’ils considèrent comme étant la « décision » que le Conseil mentionne dans son argumentation résumée ci‑dessus. Ils invoquent, en outre, des extraits du document PESC/00028/11, du 18 janvier 2011, du Service européen pour l’action extérieure, qu’ils auraient obtenu à la suite d’une demande d’accès aux documents. Ce document mentionne le nom du premier requérant, parmi ceux des « hauts fonctionnaires et politiciens qui sont des modérés et pour lesquels on a estimé qu’ils n’avaient pas été directement liés aux violations des droits de l’homme », et propose qu’il soit radié de la liste des noms des personnes soumises à des mesures restrictives. Selon les requérants, c’est à la suite de cette évaluation que le nom du premier requérant a été radié de la liste en question.

115    Par ailleurs, les requérants font valoir que, lorsque le premier requérant a « simplement affirmé », dans une lettre de ses avocats au Conseil, qu’il était « un homme d’affaires de bonne foi et un partisan acharné des droits de l’homme », son nom a immédiatement été retiré de la liste comportant le nom des personnes soumises à des mesures restrictives.

116    Il y a lieu, tout d’abord, de constater que les requérants font une lecture erronée de l’argumentation du Conseil, lorsqu’ils se plaignent de ne pas avoir reçu communication de la « décision » de ne pas radier le nom du premier requérant de la liste des noms des personnes soumises à un gel de leurs avoirs. Il est évident que, en se référant à une telle « décision », le Conseil entend le choix qu’il a fait, lors du renouvellement, en 2009 et en 2010, de la durée de validité de la position commune 2004/161, de maintenir en vigueur le gel des avoirs des membres du gouvernement du Zimbabwe nommés antérieurement au GPA et à la modification de la composition de ce gouvernement intervenue en février 2009. Or, les motifs de ce choix ressortent de la position commune 2009/68 et de la décision 2010/92, ayant prolongé respectivement jusqu’au 20 février 2010 et au 20 février 2011 la durée de validité de la position commune 2004/161.

117    Ainsi, le considérant 3 de la position commune 2009/68, qui est antérieure à la modification, en février 2009, de la composition du gouvernement du Zimbabwe, relève ce qui suit :

« Compte tenu de la situation au Zimbabwe, plus particulièrement au vu des violences organisées et commises par les autorités zimbabwéennes et du blocage persistant de la mise en œuvre [du GPA], il convient de proroger la position commune 2004/161/PESC pour une nouvelle période de douze mois. »

118    La position commune 2009/68 a, en outre, remplacé l’annexe de la position commune 2004/161 par une nouvelle, afin d’y ajouter les noms de certaines personnes. La mention relative au premier requérant n’a pas été modifiée.

119    Les considérants 3 et 4 de la décision 2010/92 relèvent ce qui suit :

« (3)       Compte tenu de la situation au Zimbabwe, plus particulièrement l’absence de progrès dans la mise en œuvre [du GPA], il conviendrait de proroger les mesures restrictives prévues dans la position commune 2004/161/PESC pour une nouvelle période de douze mois.

(4)      Il n’existe toutefois plus de motif pour maintenir certaines personnes et entités sur la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’applique la position commune 2004/161/PESC. Il y a lieu de modifier en conséquence la liste figurant à l’annexe de la position commune 2004/161/PESC. »

120    Il ressort en outre de l’annexe de cette dernière décision que les noms de six personnes physiques ont été radiés de la liste des noms des personnes soumises à des mesures restrictives, annexée à la position commune 2004/161. Seule une de ces six personnes, en l’occurrence M. Joseph Msika, était membre du gouvernement du Zimbabwe (vice-président). Toutefois, la radiation de son nom de ladite liste tenait, de toute évidence, au fait que, comme l’ont confirmé les parties en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, il était décédé le 4 août 2009.

121    Il apparaît ainsi que le Conseil a considéré, aussi bien lors de l’adoption de la position commune 2009/68 que lors de l’adoption de la décision 2010/92, qu’il n’y avait pas eu suffisamment de progrès dans la mise en œuvre du GPA et que, afin de maintenir la pression sur les forces politiques du Zimbabwe qui étaient seules au pouvoir avant la conclusion du GPA, il convenait de maintenir en vigueur les mesures restrictives instituées à l’encontre des membres du gouvernement de ce pays qui étaient déjà en fonction lors de la conclusion du GPA.

122    Force est de constater que les requérants n’ont invoqué aucun élément concret qui pourrait démontrer que cette appréciation était entachée d’une erreur manifeste. Au contraire, la circonstance que la nomination des ministres proposés par le parti d’opposition MDC, prévue par le GPA conclu en septembre 2008, n’est intervenue qu’avec plusieurs mois de retard, en février 2009, tend plutôt à confirmer l’appréciation du Conseil.

123    L’appréciation ressortant du document PESC/00028/11 du Service européen pour l’action extérieure (voir point 114 ci‑dessus), selon laquelle le premier requérant faisait partie des politiciens « modérés » et qu’il n’avait pas été « directement » lié à des violations des droits de l’homme, ne suffit pas pour démontrer une telle erreur. Certes, au regard de cet élément, il peut être conclu que, le 15 février 2011, lors de l’adoption de la décision 2011/101 qui a eu comme effet de mettre fin aux mesures restrictives imposées au premier requérant, le Conseil a considéré que l’évolution récente de la situation au Zimbabwe avait été suffisamment positive pour justifier l’abrogation des mesures restrictives à l’égard de certains « modérés », dont le premier requérant. Toutefois, à défaut de tout élément en sens contraire invoqué par les requérants, il ne saurait être considéré que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en ce qu’il n’a pas décidé une telle abrogation à une date antérieure.

124    Il ressort des considérations qui précèdent que le grief des requérants tiré d’une erreur manifeste d’appréciation ne saurait davantage être admis en ce qui concerne l’omission du Conseil d’abroger à l’égard du premier requérant la mesure de gel de ses avoirs à une date antérieure au 15 février 2011. Il convient dès lors de rejeter ce grief dans son intégralité.

125    Tous les griefs, résumés au point 49 ci‑dessus, avancés par les requérants pour démontrer le caractère illégal du comportement litigieux du Conseil et de la Commission devant être rejetés, il en va de même du recours dans son intégralité, conformément à la jurisprudence citée au point 24 ci‑dessus.

 Sur les dépens

126    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil et de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Aguy Clement Georgias, Trinity Engineering (Private) Ltd et Georgiadis Trucking (Private) Ltd supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne.

Gratsias

Kancheva

Wetter

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 septembre 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.