Language of document : ECLI:EU:T:2015:237

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

29 avril 2015(*)

« Dumping – Importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de Chine – Modification du règlement instituant un droit antidumping définitif – Article 2, paragraphes 10 et 11, du règlement (CE) n° 1225/2009 – Calcul de la marge de dumping – Ajustements – Obligation de motivation »

Dans les affaires jointes T‑558/12 et T‑559/12,

Changshu City Standard Parts Factory, établie à Changshu City (Chine),

Ningbo Jinding Fastener Co. Ltd, établie à Ningbo (Chine),

représentées par Mes R. Antonini et E. Monard, avocats,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Boelaert, en qualité d’agent, assistée initialement de Mes G. Berrich et A. Polcyn, puis de Me Polcyn et enfin de Me D. Geradin, avocats,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. M. França et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

et par

European Industrial Fasteners Institute AISBL (EIFI), représenté par Mes J. Bourgeois et R. Grasso, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet des demandes d’annulation du règlement d’exécution (UE) n° 924/2012 du Conseil, du 4 octobre 2012, modifiant le règlement (CE) n° 91/2009 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (JO L 275, p. 1).

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. M. Prek (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. V. Kreuschitz, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 juin 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents des litiges

1        La requérante dans l’affaire T-558/12, Changshu City Standard Parts Factory, et la requérante dans l’affaire T-559/12, Ningbo Jinding Fastener Co. Ltd. (ci-après, prises ensemble, les « requérantes »), sont des sociétés établies en Chine qui produisent certains éléments de fixation en fer ou en acier destinées à la vente sur le marché national ou à l’exportation, notamment vers l’Union européenne.

2        Par le règlement (CE) nº 91/2009 du Conseil, du 26 janvier 2009, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (JO L 29, p. 1, ci-après le « règlement initial »), le Conseil de l’Union européenne a imposé un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de Chine.

3        Le 28 juillet 2011, l’organe de règlement des différends (ORD) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a adopté le rapport de l’organe d’appel ainsi que le rapport du groupe spécial modifié par le rapport de l’organe d’appel dans l’affaire « Communautés européennes – mesures antidumping définitives visant certains éléments de fixation en fer ou en acier en provenance de Chine ». Dans ces rapports, il a été constaté que l’Union avait violé un certain nombre de dispositions du droit de l’OMC.

4        Le 6 mars 2012, conformément au règlement (CE) n° 1515/2001 du Conseil, du 23 juillet 2001, relatif aux mesures que la Communauté peut prendre à la suite d’un rapport adopté par l’ORD de l’OMC concernant des mesures antidumping ou antisubventions (JO L 201, p. 10), la Commission européenne a publié un avis concernant les mesures antidumping en vigueur sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine, à la suite des recommandations et décisions adoptées le 28 juillet 2011 par l’ORD de l’OMC dans le litige CE − éléments de fixation (DS397) (JO C 66, p. 29).

5        L’objectif de l’avis publié par la Commission était d’entamer un réexamen des mesures antidumping sur la base du règlement n° 1515/2001 et d’informer les parties intéressées de la manière dont seraient prises en compte les conclusions susmentionnées en ce qui concerne les mesures en vigueur applicables aux importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de Chine, instituées par le règlement initial. L’enquête a couvert la période comprise entre le 1er octobre 2006 et le 30 septembre 2007.

6        Le 30 mai 2012, la Commission a divulgué des informations supplémentaires à toutes les parties intéressées concernant les types de produits utilisés aux fins de la comparaison de la valeur normale avec le prix d’exportation.

7        Le 13 juin 2012, les requérantes ont déposé leurs observations sur lesdites informations supplémentaires dans le cadre desquelles elles ont notamment formulé des demandes d’ajustement.

8        Par courrier du 25 juin 2012, les requérantes ont déposé des observations complémentaires dans lesquelles elles ont complété leur demande d’ajustement par une analyse des prix.

9        Le 5 juillet 2012 et à la suite des demandes d’informations supplémentaires introduites par certaines parties intéressées, la Commission a communiqué à toutes les parties intéressées un deuxième document d’information.

10      Le 10 juillet 2012, les requérantes ont adressé à la Commission des demandes de renseignements et d’éclaircissements supplémentaires.

11      Le 11 juillet 2012, la Commission a divulgué des informations concernant une reclassification de la valeur normale ainsi qu’une proposition visant à ce que soient recalculées des marges de dumping et a sollicité des observations.

12      Par courrier du 19 juillet 2012, les requérantes ont déposé des observations complémentaires.

13      Le 31 juillet 2012, la Commission a transmis le document d’information générale et le document d’information particulière aux requérantes.

14      Par courrier du 14 août 2012, les requérantes ont déposé des observations sur lesdits documents d’information.

15      Le 4 octobre 2012, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) n° 924/2012, modifiant le règlement initial (JO L 275, p. 1, ci‑après le « règlement attaqué »).

16      L’article 1er du règlement attaqué a diminué le droit antidumping, instauré par le règlement initial, sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier autres qu’en acier inoxydable importés par Changshu City Standard Parts Factory dans l’Union à 38,3 % et a maintenu celui instauré pour les produits concernés importés par Ningbo Jinding Fastener à 64,3 %.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 24 décembre 2012, les requérantes ont introduit les présents recours.

18      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal à la même date, les requérantes ont également introduit, en vertu de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, des demandes de procédure accélérée. Le 17 janvier 2013, le Conseil a fait part de ses observations sur ces demandes.

19      Par décisions du 5 février 2013, le Tribunal (septième chambre) a rejeté les demandes de procédure accélérée.

20      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 27 mars 2013, la Commission et l’European Industrial Fasteners Institute AISBL (EIFI) ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Conseil.

21      Dans les observations du 29 avril 2013, le Conseil n’a pas soulevé d’objections à l’encontre de l’intervention de l’EIFI. Les requérantes n’ont pas déposé d’observations.

22      Par ordonnances du 11 juin 2013, le président de la septième chambre du Tribunal a admis les interventions de la Commission et de l’EIFI. Ces derniers ont déposé leurs mémoires en intervention dans les délais impartis.

23      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle les présentes affaires ont, par conséquent, été attribuées.

24      Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 6 mai 2014, les parties entendues, les affaires T-558/12 et T-559/12 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

25      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué dans la mesure où il leur impose un droit antidumping définitif ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

26      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours comme partiellement irrecevables et, en tout état de cause, non fondés ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

27      La Commission et l’EIFI concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours comme non fondés ;

–        condamner les requérantes aux dépens, y inclus ceux exposés par eux du fait de leur interventions.

 En droit

28      À l’appui de leurs recours, les requérantes soulèvent deux moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 7, sous a), et paragraphes 8, 9 et 11, et de l’article 9, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51, rectificatif JO 2010, L 7, p. 22, ci-après le « règlement de base »), de la violation du principe de non-discrimination ainsi que de l’article 2.4.2 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT) (JO L 336, p. 103, ci‑après l’« accord antidumping »), figurant à l’annexe 1 A de l’accord instituant l’OMC (JO 1994, L 336, p. 3). Le second moyen est tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base et de l’article 2.4 de l’accord antidumping. À titre subsidiaire, elles soutiennent que le Conseil a violé l’article 296 TFUE.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 7, sous a), et paragraphes 8, 9 et 11, et de l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base, du principe de non-discrimination ainsi que de l’article 2.4.2 de l’accord antidumping

29      Les requérantes soutiennent que le règlement attaqué doit être annulé en raison de la manière dont le Conseil et la Commission (ci-après, pris ensemble, les « institutions ») ont calculé la marge de dumping, à savoir en comparant, avec la valeur normale, les prix à l’exportation des seuls types de produits fabriqués et exportés par les requérantes pour lesquels étaient disponibles les prix de vente du producteur dans le pays analogue, à savoir l’Inde. Respectivement 38 % et 43 % des ventes à l’exportation des requérantes auraient ainsi été exclues du calcul de la marge de dumping.

30      Ce procédé serait contraire, notamment, à l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base, lu en particulier à la lumière du paragraphe 7, sous a), des paragraphes 8 et 9, et de l’article 9, paragraphe 5, du même règlement ainsi que du principe de non-discrimination. Le règlement attaqué violerait l’ensemble de ces dispositions et ledit principe, de même que l’article 2.4.2. de l’accord antidumping.

31      Le Conseil, soutenu par la Commission, soutient que les institutions de l’Union ont l’obligation de comparer la valeur normale avec toutes les exportations comparables, et ce dans le cadre d’une obligation générale de « comparaison équitable », et que la solution adoptée en l’espèce a été équitable et raisonnable.

32      L’article 2, paragraphe 11, du règlement de base, intitulé « Marge de dumping », prévoit ce qui suit :

« [S]ous réserve des dispositions pertinentes régissant la comparaison équitable, l’existence de marges de dumping au cours de la période d’enquête est normalement établie sur la base d’une comparaison d’une valeur normale moyenne pondérée avec la moyenne pondérée des prix de toutes les exportations vers la Communauté ou sur une comparaison des valeurs normales individuelles et des prix à l’exportation individuels vers la Communauté, transaction par transaction. Toutefois, une valeur normale établie sur une moyenne pondérée peut être comparée aux prix de toutes les exportations individuelles vers la Communauté si la configuration des prix à l’exportation diffère sensiblement entre les différents acquéreurs, régions ou périodes et si les méthodes spécifiées dans la première phrase du présent paragraphe ne permettraient pas de refléter l’ampleur réelle du dumping pratiqué […] »

33      Ledit article constitue la transposition en droit de l’Union de l’article 2.4.2 de l’accord antidumping.

34      En effet, il est constant que le Conseil a adopté le règlement de base pour satisfaire aux obligations internationales découlant de l’accord antidumping et que, par l’article 2, paragraphe 11, de ce règlement, il a entendu donner une exécution aux obligations particulières que comportait l’article 2.4.2 dudit accord. Dans cette mesure, il appartient au juge de l’Union de contrôler la légalité de l’acte en cause au regard de cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêt du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, Rec, EU:C:2003:4, point 56).

35      En outre, il convient de rappeler que les textes de l’Union doivent être interprétés, dans la mesure du possible, à la lumière du droit international, en particulier lorsque de tels textes visent précisément à mettre en œuvre un accord international conclu par l’Union (arrêt Petrotub et Republica/Conseil, point 34 supra, EU:C:2003:4, point 57).

36      L’article 2.4.2 de l’accord antidumping est libellé comme suit :

« Sous réserve des dispositions régissant la comparaison équitable énoncées au paragraphe 4, l’existence de marges de dumping pendant la phase d’enquête sera normalement établie sur la base d’une comparaison entre une valeur normale moyenne pondérée et une moyenne pondérée des prix de toutes les transactions à l’exportation comparables […] »

37      Force est donc de constater que, à la différence de l’article 2.4.2 de l’accord antidumping, l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base mentionne le prix de toutes les exportations et non de toutes les exportations comparables. Or, ledit article devant être interprété à la lumière de l’article correspondant de l’accord antidumping (voir point 35 ci-dessus), il doit être lu comme se référant à toutes les exportations comparables, ou, selon la terminologie de ce dernier article, à « toutes les transactions à l’exportation comparables » (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C‑351/04, Rec, EU:C:2007:547, point 56).

38      Quant au renvoi aux dispositions pertinentes régissant la comparaison équitable par l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base, le paragraphe 10 du même article, intitulé « Comparaison », prévoit qu’« [i]l est procédé à une comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale » et que, « dans les cas où la valeur normale et le prix à l’exportation établis ne peuvent être ainsi comparés, il sera tenu compte dans chaque cas, sous forme d’ajustements, des différences constatées dans les facteurs dont il est revendiqué et démontré qu’ils affectent les prix et, partant, leur comparabilité ». Ainsi, afin de garantir une comparaison équitable, ce dernier paragraphe oblige les institutions de l’Union à établir la comparabilité des prix au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement de base par la méthode d’ajustement.

39      Ces dispositions suivent la logique de l’accord antidumping, qui introduit l’article 2.4.2 par la précision suivante : « sous réserve des dispositions régissant la comparaison équitable énoncées au paragraphe 4 ». De la même manière, l’article 2.4 dudit accord prévoit qu’« [i]l sera procédé à une comparaison équitable entre le prix d’exportation et la valeur normale » et qu’« il sera dûment tenu compte dans chaque cas, selon ses particularités, des différences affectant la comparabilité des prix, y compris des différences dans les conditions de vente, dans la taxation, dans les niveaux commerciaux, dans les quantités et les caractéristiques physiques, et de toutes les autres différences dont il est aussi démontré qu’elles affectent la comparabilité des prix ».

40      En l’espèce, les institutions ont choisi d’opérer une comparaison entre la valeur normale moyenne pondérée et la moyenne pondérée des prix de toutes les transactions à l’exportation vers l’Union (ci-après la « première méthode symétrique ») (considérant 105 du règlement attaqué). Eu égard aux développements exposés aux points précédents, il convient de comprendre cette disposition comme exigeant des institutions de l’Union qu’elles comparent à la valeur normale uniquement les transactions qui sont comparables à celle-ci, mais que toutes les transactions ainsi comparables soient comparées. Dans cet objectif, les institutions devaient, dans la mesure du possible, rendre les transactions comparables en opérant des ajustements.

41      Étant donné que les requérantes ne bénéficiaient pas du statut d’acteur économique opérant dans les conditions d’une économie de marché, la valeur normale a été établie, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, sur la base des prix dans le pays analogue (considérants 29 et 31 du règlement attaqué). En outre, compte tenu des conditions de concurrence et de l’ouverture du marché indien, et eu égard au fait que le producteur indien qui a coopéré vendait des types de produits comparables à ceux qu’exportaient les producteurs-exportateurs de Chine, il a été conclu que l’Inde constituait un pays tiers à économie de marché approprié au sens de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base (considérant 31 du règlement attaqué). Dans le cadre des présentes procédures, les requérantes ne contestent pas ce choix.

42      Or, même si le producteur indien qui a coopéré vendait des types de produits comparables à ceux qu’exportaient les producteurs-exportateurs de Chine, il s’est avéré, au stade de la comparaison, que celui-ci ne produisait pas et ne vendait pas tous les types du produit concerné, exportés par les producteurs-exportateurs chinois. Les requérantes ne contestent pas ce fait.

43      Dans ces circonstances, le règlement attaqué prévoit ce qui suit :

« [U]ne comparaison entre le prix à l’exportation et la valeur normale n’a été effectuée sur une base de moyenne pondérée que pour les types exportés par le producteur-exportateur chinois pour lequel un type correspondant était produit et vendu par le producteur indien. Cette base a été considérée [par les institutions] comme la plus fiable pour établir le niveau de dumping, le cas échéant, de ce producteur-exportateur ; car tenter de faire correspondre tous les autres types exportés à des types très semblables du producteur indien aurait entraîné [selon elles] des conclusions incorrectes. Sur cette base, [ces dernières ont estimé] correct d’exprimer le montant du dumping constaté en pourcentage de ces transactions d’exportation utilisées pour calculer le montant du dumping – cette conclusion [était] considérée comme représentative de tous les types exportés. La même approche a été utilisée en calculant les marges de dumping des autres producteurs-exportateurs. » (Considérant 109 du règlement attaqué.)

44      Certains types du produit concerné, exportés vers l’Union et objets de l’enquête, ont donc été exclus de la comparaison dans le cadre de la détermination de la marge de dumping.

45      Les institutions ont justifié ce choix en se fondant, notamment, sur l’article 2.4.2. de l’accord antidumping. Au considérant 102 du règlement attaqué, elles ont affirmé que cette manière de procéder était « parfaitement conforme à l’article 2.4.2 de l’accord antidumping, qui se réfère aux transactions d’exportation comparables », que « dans ce cas, toutes les transactions comparables (par types de produits) [avaie]nt été utilisées pour la comparaison » et que c’est la raison pour laquelle « il a[vait] été raisonnable[, selon elles,] d’exprimer le montant du dumping constaté en pourcentage des transactions d’exportation utilisées dans le calcul du montant du dumping ». En outre, elles ont affirmé que, « pour tous les producteurs-exportateurs chinois de l’échantillon, une correspondance significative entre les ventes intérieures et les ventes à l’exportation a[vait] été constatée, permettant d’obtenir une représentation équitable des ventes effectuées par les différentes parties » (considérant 82 du règlement attaqué).

46      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le domaine des mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques qu’elles doivent examiner (voir arrêt du 16 décembre 2011, Dashiqiao Sanqiang Refractory Materials/Conseil, T‑423/09, Rec, EU:T:2011:764, point 40 et jurisprudence citée).

47      Or, la mise en œuvre par les institutions de l’Union des dispositions de l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base implique de la part de ces institutions des appréciations économiques complexes (arrêt du Tribunal du 24 octobre 2006, Ritek et Prodisc Technology/Conseil, T‑274/02, Rec, EU:T:2006:332, point 82). Notamment, le large pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union porte, en principe, également sur l’appréciation de faits justifiant le caractère équitable de la comparaison effectuée, la notion d’équité ayant un caractère vague et devant être concrétisée par les institutions de l’Union au cas par cas compte tenu du contexte économique pertinent (arrêt Dashiqiao Sanqiang Refractory Materials/Conseil, point 46 supra, EU:T:2011:764, point 41).

48      Il en résulte que le contrôle du juge sur de telles appréciations des institutions de l’Union doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (voir arrêt du 28 octobre 2004, Shanghai Teraoka Electronic/Conseil, T‑35/01, Rec, EU:T:2004:317, point 49 et jurisprudence citée).

49      C’est sur la base de ces considérations qu’il convient d’examiner si, en l’espèce, en excluant de la comparaison les transactions qui n’avaient pas de correspondant en Inde, les institutions ont commis une erreur manifeste d’appréciation au regard du droit de l’Union lors de la détermination de la marge de dumping.

50      À cette fin, il convient de rappeler brièvement les faits qui ont conduit les institutions à une telle détermination en l’espèce, repris dans le règlement attaqué, notamment aux considérants 82, 85, 87, 92, 95, 102, 105 et 109.

51      Le 30 mai 2012, la Commission a révélé à toutes les parties intéressées des informations sur les types de produits utilisés aux fins de comparer la valeur normale et le prix à l’exportation. À ce stade, comme ce fut le cas pour le règlement initial, la Commission n’a pris en compte que deux critères pour distinguer les différents types d’éléments de fixation. Les ventes sur le marché intérieur indien ont été divisées en ventes d’éléments de fixation « standard » et « spéciaux » ; ces deux catégories ont été subdivisées en différentes classes de résistance. Une valeur normale par kilogramme a été calculée pour chaque type de produit qui avait été défini de cette manière par les critères intitulés « standard/spécial » et « résistance ».

52      Le 13 juin 2012, les requérantes ont présenté des observations sur cette information. Elles ont notamment demandé que la Commission tienne compte des différences dans les caractéristiques physiques des produits, telles que la longueur, le diamètre, le revêtement et l’utilisation de chrome dans le revêtement, et qu’elle opère des ajustements dans ce sens.

53      Le 25 juin 2012, les requérantes ont présenté des observations complémentaires et ont demandé à nouveau des ajustements pour les différents types de revêtement, l’utilisation de chrome dans le revêtement, le diamètre et la longueur.

54      Le 5 juillet 2012, la Commission a présenté une note d’information dans laquelle elle proposait de prendre partiellement en compte les suggestions des requérantes. Elle a introduit des critères supplémentaires pour définir les types de produits, à savoir le type de revêtement, le diamètre et la longueur. Dans ce cadre, la Commission a proposé de fonder la valeur normale sur les éléments de fixation ayant un revêtement traité par électrodéposition (revêtement de type A) et a déclaré à cet égard ce qui suit :

« La Commission propose de considérer que la valeur normale relève du revêtement de type A […] et dès lors de comparer la valeur normale avec un revêtement de type A pour les modèles exportés.

Lorsqu’un exportateur n’exporte pas d’éléments de fixation ayant le revêtement A, la Commission est autorisée à utiliser le type de revêtement le plus proche du type A pour ces exportations, et de les comparer à la valeur normale des produits ayant le revêtement A.

Les éléments de fixation qui n’entrent pas dans les deux paragraphes ci-dessus ne seraient pas pris en compte pour calculer la marge de dumping de l’entreprise en cause. »

55      En outre, concernant le diamètre et la longueur utilisés, la Commission a divisé les éléments de fixation en trois parties : petits, moyens et grands. Elle a proposé d’utiliser ces données afin d’affiner davantage la valeur normale et de calculer les marges de dumping sur cette base. La Commission a aussi précisé que, « [l]orsque les éléments de fixation exportés ne relev[ai]ent pas de ces catégories, ils n[’étaient] pas utilisés dans le calcul du dumping [et que c]ela ne touch[ait] qu’un volume très limité d’exportations ».

56      Enfin, la Commission a présenté un résumé des nouveaux types de produits qu’elle envisageait de distinguer. 

57      Les requérantes ont répondu à cette note d’information, tout d’abord, par le courrier du 10 juillet 2012, dans lequel elles ont résumé les transactions à l’exportation qui seraient exclues de la comparaison et ont demandé à la Commission de confirmer qu’elles avaient compris correctement le champ d’application des transactions qui seraient exclues.

58      Ensuite, par le courrier du 19 juillet 2012, les requérantes ont contesté l’approche proposée par la Commission dans la mesure où elle ne prenait pas en considération toutes les transactions à l’exportation. Selon les requérantes, pour se conformer à l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base, les institutions avaient deux options : soit elles limitaient la portée de leur enquête aux types de produits qui faisaient l’objet de ventes dans le pays analogue, soit elles étaient tenues de prendre en considération toutes les transactions à l’exportation des requérantes, en partant de l’hypothèse que, pour les types de produits qui ne faisaient pas l’objet de ventes dans le pays analogue, la marge de dumping serait de zéro ou même négative. En outre, les requérantes ont de nouveau demandé l’introduction de types de produits supplémentaires.

59      Le 31 juillet 2012, la Commission a adressé aux parties le document d’information générale en application de l’article 20, paragraphes 2 à 5, du règlement de base.

60      Au regard de ce qui précède, force est de constater que, à la suite des observations et propositions des parties, dont les requérantes, les institutions ont procédé à une classification de plus en plus différenciée du produit concerné. Tenant compte de cette différenciation, elles ont aussi ajusté la valeur normale utilisée pour la détermination des marges de dumping (voir, notamment, les considérants 95, 96 et 102 du règlement attaqué). Or, les institutions ont décidé de comparer le prix d’exportation avec cette valeur normale par type de produit ainsi défini tout en excluant de la comparaison les transactions à l’exportation pour les types de produits qui n’étaient pas fabriqués et vendus en Inde. Il convient donc de considérer que si, dans un premier temps, la comparaison a pu être plus précise, le montant du dumping ainsi déterminé a ensuite été généralisé à l’ensemble des types du produit concerné.

61      Il y a lieu d’examiner si une telle approche est possible sur la base de l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base et de l’article 2.4.2 de l’accord antidumping, qui, d’une part, prévoient que les institutions de l’Union doivent prendre en considération les prix de toutes les transactions à l’exportation comparables avec la valeur normale et qui, d’autre part, renvoient aux dispositions pertinentes régissant la comparaison équitable. Dans ce cadre, il convient de s’interroger notamment sur l’interprétation à donner aux termes « prix comparables » et « comparaison équitable », tout en précisant que les articles concernés n’exigent pas que la comparaison soit « la plus équitable » possible, mais uniquement qu’elle soit « équitable ».

62      En premier lieu, quant aux termes « prix comparables », les requérantes soutiennent que, comme cela aurait été confirmé par les décisions des organes de l’OMC, le fait que les produits fabriqués en Chine et exportés dans l’Union et ceux fabriqués par le producteur indien aient été considérés comme similaires rendait ces produits par définition comparables et que, par conséquent, les institutions auraient dû prendre en considération tous ces produits, quel qu’ait été le type dans lequel ils avaient été classés.

63      Or, en l’espèce, la valeur normale a été calculée sur la base des prix pratiqués dans le pays analogue et il s’est avéré, à la suite de la différenciation des types du produit concerné, que le producteur indien fournissant les données pour ce calcul ne pouvait pas communiquer les prix de certains des types ainsi différenciés, car il ne les produisait et ne les vendait pas. Force est donc d’observer que, si les différents types du produit concerné, assimilables tous au produit « similaire », pouvaient, certes, être considérés comme comparables, tel n’était pas automatiquement le cas des prix de certains de ces types, qui n’étaient pas fabriqués ou vendus par le producteur indien. En effet, l’absence de prix de certains de ces types, pourtant similaires, empêchait la réalisation de cette comparaison.

64      Dès lors, la thèse des requérantes ne saurait être accueillie. Par ailleurs, les décisions prises à cet égard par les organes de l’OMC, auxquelles font référence les requérantes, ne sauraient remettre en question cette conclusion (voir points 86 à 89 ci-après).

65      En deuxième lieu, s’agissant de la « comparaison équitable », l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base impose aux institutions de l’Union de tenir dûment compte des différences qui affectent la comparabilité des prix. Pendant la procédure administrative ainsi que lors de la présente procédure, les requérantes ont invoqué plusieurs options qui, selon elles, auraient permis aux institutions de calculer la valeur normale des types de produits qui n’étaient pas vendus par le producteur indien, ce qui aurait permis de prendre en compte toutes les transactions du produit concerné. Ainsi, pendant la procédure administrative, mais pas dans le cadre de la présente procédure, elles ont suggéré soit de limiter le champ des enquêtes en resserrant la définition de l’étendue du produit concerné aux types de produits qui faisaient l’objet de ventes dans le pays analogue, soit de prendre en considération toutes les transactions à l’exportation réalisées par elles, en partant de l’hypothèse que, pour les types de produits qui ne faisaient pas l’objet de ventes dans le pays analogue, la marge de dumping serait de zéro ou même négative (voir point 58 ci-dessus).

66      À l’inverse, les requérantes ont invoqué seulement devant le Tribunal que les institutions auraient dû soit utiliser la méthode de l’ajustement, soit construire en partie les prix ou avoir recours à toute autre méthode raisonnable pour déterminer la valeur normale.

67      Sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur la recevabilité de ces arguments, il convient d’examiner si les institutions auraient dû, sous réserve de l’obligation de comparaison équitable, avoir recours à l’une de ces méthodes, prévues par le règlement de base, leur permettant éventuellement d’obtenir la valeur normale pour les types de produits qui n’avaient pas de correspondant auprès du producteur indien, ce qui leur aurait permis de prendre en considération dans le cadre de la comparaison les prix de toutes les transactions à l’exportation comparables et satisfaire ainsi à la lettre de l’article 2, paragraphe 11, dudit règlement.

68      Premièrement, quant au recours à « tout autre base raisonnable » pour la détermination de la valeur normale, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, il convient d’observer que, une fois que les institutions avaient choisi pour la détermination de la valeur normale une des deux méthodes prioritaires prévues conformément audit article (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2012, GLS, C‑338/10, Rec, EU:C:2012:158, points 24 et 25), elles ne pouvaient plus la « compléter » par celle de la détermination sur « toute autre base raisonnable ».

69      En effet, le pouvoir d’appréciation dont disposent les institutions de l’Union dans le choix d’un pays analogue ne les autorise pas à écarter l’exigence de choisir un pays tiers à économie de marché dans un cas où cela est possible. Ainsi, elles ne peuvent écarter l’application de la règle générale, énoncée à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base pour la détermination de la valeur normale des produits en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché, en se fondant sur une autre base raisonnable, que dans le cas où cette règle générale ne peut être appliquée (arrêt GLS, point 68 supra, EU:C:2012:158, point 26). L’option avancée par les requérantes demanderait un constat préalable selon lequel l’Inde n’était pas un pays analogue approprié. Or, ainsi que le fait valoir le Conseil, les prix du producteur indien ayant coopéré étaient disponibles pour la plupart des types de produits et aucune partie intéressée, à commencer par les requérantes, n’a allégué que ces prix n’étaient pas fiables.

70      En revanche, deuxièmement, les institutions ayant choisi la méthode de détermination de la valeur normale sur la base du prix ou de la valeur construite dans le pays analogue, elles auraient, en principe, pu construire les valeurs pour les types de produits manquants. À cet égard, l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base prévoit que la valeur normale peut être « construite » sur la base soit du coût de production (dans le pays d’origine), soit des prix à l’exportation. Or, en l’espèce, le producteur indien faisant preuve de coopération ne produisait pas et donc ne vendait ni n’exportait ces types de produits. Lors de l’audience, la Commission a notamment précisé qu’elle ne disposait pas de la ventilation du coût de production du producteur indien qui lui aurait permis de procéder à une telle construction. Il convient aussi d’observer que les requérantes ne soutiennent pas que les institutions auraient pu construire en partie la valeur normale sur la base d’autres données dont elles pouvaient éventuellement disposer. Dès lors, il convient de considérer, ainsi que le fait valoir le Conseil, soutenu par la Commission, que les institutions ne disposaient pas de données leur permettant de calculer ainsi la valeur normale pour lesdits types de produits.

71      Quant à l’argument des requérantes tiré de la pratique antérieure des institutions, il ne saurait davantage être accueilli. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 41 à 47 ci-dessus, il appartient aux institutions de l’Union, dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir d’appréciation, sur la base de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base, de procéder à une comparaison équitable entre la valeur normale et le prix à l’exportation en utilisant pour cela une des méthodes prévues par l’article 2, paragraphe 11, du même règlement. Ce pouvoir d’appréciation doit être exercé au cas par cas en fonction de tous les faits pertinents (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 1990, Gestetner Holdings/Conseil et Commission, C‑156/87, Rec, EU:C:1990:116, point 43, et du 17 décembre 2010, EWRIA e.a./Commission, T‑369/08, Rec, EU:T:2010:549, point 93). En l’espèce, il ressort de l’analyse contenue aux points précédents que les institutions ont pu valablement considérer qu’avoir recours, à un stade aussi avancé de l’enquête, à une autre méthode éventuellement possible pour la détermination de la valeur normale pour les types de produits manquants n’aurait pas garanti une comparaison plus précise ou plus équitable de la valeur normale avec les prix à l’exportation comparables que celle effectuée.

72      Troisièmement, il y a lieu d’examiner si les institutions auraient pu obtenir des valeurs valables pour les types de produits qui n’avaient pas de correspondant auprès du producteur indien si elles avaient opéré des ajustements. À cet égard, force est d’observer que les différences constatées ayant mené à la différenciation du produit concerné étaient notamment physiques et que l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base prévoit expressément des ajustements des prix en raison des différences physiques des produits.

73      Il ressort du dossier que les requérantes avaient, tout d’abord, demandé des ajustements au titre des différences physiques des produits (voir points 52 et 53 ci-dessus), mais que, en réponse, la Commission a plutôt choisi la méthode de la différenciation des produits par type. Selon cette dernière, ce procédé permettait de prendre en compte le mieux possible l’ensemble des différents types du produit concerné et de satisfaire ainsi aux demandes des requérantes.

74      Les institutions affirment qu’elles estimaient que la méthode ainsi appliquée était équitable. Si les requérantes estimaient que des ajustements supplémentaires en ce sens étaient nécessaires, elles auraient dû les demander lors de la procédure administrative et fournir des éléments de preuve à cet égard. En l’absence de ces éléments, de tels ajustements auraient forcement été arbitraires, puisque les institutions n’auraient pas été en possession des données du producteur indien leur permettant d’opérer un calcul exact.

75      À cet égard, il convient de préciser que, afin d’opérer une comparaison équitable, les institutions auraient pu estimer elles-mêmes qu’il convenait d’opérer des ajustements des prix leur permettant de comparer un plus grand nombre voire la totalité des types de produits. C’est dans ce sens que la jurisprudence a précisé que la charge consistant à prouver que les ajustements spécifiques énumérés à l’article 2, paragraphe 10, sous a) à k), du règlement de base doivent être opérés incombe à ceux qui souhaitent s’en prévaloir, quels qu’ils soient (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, Conseil/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C‑191/09 P et C‑200/09 P, Rec, EU:C:2012:78, point 60).

76      En l’espèce, ajuster les prix des types de produits qui n’étaient pas fabriqués ou vendus par le producteur indien aurait consisté en une construction des prix prenant comme base le prix d’un autre type de produit et le prix de la différence existant. En effet, conformément à l’article 2, paragraphe 10, sous a), du règlement de base, « [l]e montant de l’ajustement correspond à une estimation raisonnable de la valeur de la différence sur le marché ».

77      Cependant, au considérant 109 du règlement attaqué, le Conseil a affirmé que « tenter de faire correspondre tous les [types exportés par les requérantes pour lesquels un type correspondant n’était pas produit et vendu par le producteur indien] à des types très semblables de [ce dernier producteur] aurait entraîné des conclusions incorrectes ».

78      Aucune erreur manifeste d’appréciation ne saurait être reprochée aux institutions à cet égard. En effet, ces dernières ont suivi la demande des requérantes visant à ce qu’il soit tenu compte des différences dans les caractéristiques physiques des produits de manière suivante. Au lieu de procéder simplement à des ajustements, étant donné qu’elles ne disposaient que des données fournies d’un seul producteur en Inde et que celui-ci ne leur avait pas fourni une ventilation des prix, les institutions ont différencié ces produits par type, tout en opérant certains ajustements de la valeur normale qui se sont révélés nécessaires et possibles en raison de ladite différenciation (voir point 60 ci-dessus). Les institutions ont estimé avoir ainsi répondu d’une manière adéquate et équitable à la demande des requérantes.

79      À cet égard, force est d’observer que, après avoir été informées pendant la procédure administrative de l’exclusion prévue de certains types de produits, les requérantes n’ont pas demandé d’ajustement permettant éventuellement d’empêcher cette exclusion, mais se sont limitées, d’une part, à proposer d’autres méthodes pour déterminer la valeur normale des types de produits non correspondants (voir point 58 ci-dessus) et, d’autre part, à demander des ajustements au titre d’autres différences spécifiques, ces dernières demandes faisant l’objet du second moyen. Il en ressort que les requérantes n’ont pu fournir aux institutions aucune autre information utile dans le sens des ajustements au titre des caractéristiques physiques. En revanche, le fait que les requérantes avaient initialement demandé de tenir compte des différences physiques des produits et que les institutions avaient accepté cette démarche démontre que ces différences étaient assez concrètes et importantes.

80      Lors de l’audience, les institutions ont admis qu’elles auraient éventuellement pu se fonder sur les données disponibles de l’industrie européenne pour opérer de tels ajustements. Il convient de relever que cela consisterait à ajuster le prix indien d’un type de produit disponible par une estimation de la valeur sur le marché européen de la différence par rapport un autre type. Or, le Tribunal considère que, dans les circonstances où un tel calcul présentait un risque concret de manque de précision et où les requérantes n’avaient pas formulé de demande d’ajustements supplémentaires dans ce sens, les institutions ont pu conclure, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que l’approche qu’elles avaient proposée était équitable, étant donné notamment l’objectif de différenciation du produit concerné qui était celui de parvenir à une détermination plus précise de la marge de dumping (voir aussi point 71 ci-dessus).

81      Quatrièmement, les institutions ont considéré que, « pour tous les producteurs-exportateurs chinois de l’échantillon, une correspondance significative entre les ventes intérieures et les ventes à l’exportation a[vait] été constatée, permettant d’obtenir une représentation équitable des ventes effectuées par les différentes parties » et que « [c]ette base a[vait] été considérée comme la plus fiable pour établir le niveau de dumping » (voir considérants 82 et 109 du règlement attaqué et point 45 ci-dessus). Lors de l’audience, elles ont précisé que, pour les cinq types de produits les plus vendus, la correspondance était de 80 %. Par conséquent, le montant du dumping ainsi obtenu et constaté en pourcentage de ces transactions d’exportation a ensuite été considéré comme représentatif de tous les types exportés et appliqué à l’ensemble de ces derniers (considérant 109 du règlement attaqué).

82      Les requérantes affirment que l’approche adoptée par les institutions dans le règlement attaqué n’est ni représentative, ni équitable, ni la plus fiable. Elles précisent que, respectivement, 38 % et 43 % de leurs ventes à l’exportation avaient ainsi été exclues du calcul de la marge de dumping. Or, les institutions auraient simplement supposé que les transactions d’exportation exclues avaient été effectuées à des prix en dumping, et, plus précisément, à la marge de dumping constatée pour les autres transactions. En outre, les institutions n’auraient aucunement démontré que l’approché adoptée était fiable.

83      Ces arguments doivent être rejetés. D’une part, il ressort du règlement attaqué que la même approche a été appliquée à tous les producteurs-exportateurs et que le montant global du dumping calculé a ensuite été appliqué à tous les types du produit concerné, que la marge de dumping individuelle calculée pour ceux-ci ait été positive ou négative. À cet égard, les requérantes n’avancent pas d’éléments tendant à démontrer que, contrairement à ce qui est affirmé au considérant 82 du règlement attaqué, la correspondance entre les ventes intérieures et les ventes à l’exportation, pour l’ensemble des producteurs-exportateurs, n’aurait pas été significative. D’autre part, il y a lieu de relever que les requérantes, qui se bornent à invoquer les pourcentages de leurs produits qui avaient ainsi été exclus, ne présentent aucun élément de preuve tendant à démontrer que la conclusion des institutions selon laquelle le montant du dumping constaté en pourcentage des transactions d’exportations utilisées pour calculer ledit montant était représentatif de tous les types exportés n’était pas correcte. Notamment, les requérantes n’allèguent pas que, en ce qui les concerne, les institutions auraient exclu de la comparaison (une catégorie) des types du produit concerné pour lesquels le montant du dumping était considérablement différent, voire inexistant, et que, par conséquent, le montant calculé pour les types de produits ayant un type correspondant en Inde ne pouvait pas être considéré comme représentatif des autres types exportés par elles. Plus généralement, les requérantes n’affirment pas que, en prenant en compte tous les types de produits, la marge de dumping calculée aurait été substantiellement différente de celle définie dans le règlement attaqué.

84      Il s’ensuit de ce qui précède que, en l’espèce, même à les considérer comme réalisables, les différentes méthodes examinées, pouvant éventuellement permettre d’obtenir la valeur normale pour tous les types du produit concerné, n’auraient pas garanti une comparaison plus équitable que celle effectuée par les institutions.

85      Sur la base de ces considérations, il convient aussi de relever que la solution dégagée dans l’arrêt Ikea Wholesale, point 37 supra (EU:C:2007:547), auquel toutes les parties font référence, n’est pas transposable au cas d’espèce. En effet, dans le cadre dudit arrêt, la Cour s’est prononcé sur la légalité de la méthode de la « réduction à zéro » des marges de dumping négatives, utilisée aux fins de l’établissement de la marge de dumping globale. La Cour a notamment jugé que cette méthode s’était « traduite par une modification des prix des transactions à l’exportation [et que] le Conseil, en utilisant cette méthode, n’a[vait] pas calculé la marge de dumping globale en se fondant sur des comparaisons reflétant pleinement tous les prix à l’exportation comparables, et a[vait], dès lors, […] commis une erreur manifeste d’appréciation au regard du droit » de l’Union. Or, en l’espèce, il ne saurait être considéré que la marge de dumping n’a pas été calculée sur la base d’une représentation significative des types du produit concerné, ne reflétant pas ainsi tous les prix à l’exportation comparables.

86      De même, s’agissant du rapport de l’organe d’appel de l’OMC intitulé « Communautés européennes – Droits antidumping sur les importations de linge de lit en coton en provenance d’Inde » (DS141/AB/R) », auquel font référence les requérantes (voir point 62 ci-dessus), et sans même qu’il soit besoin de trancher la question de savoir si le juge de l’Union est lié par les recommandations et décisions contenues dans les rapports de l’organe d’appel de l’OMC, le Tribunal considère que la thèse des requérantes, selon laquelle la solution retenue dans ce rapport vaudrait également en l’espèce, est erronée.

87      Dans ce rapport, l’organe d’appel de l’OMC a fondé essentiellement sa condamnation de la méthode de la « réduction à zéro » entre modèles dans la première méthode symétrique sur le libellé de la partie de l’article 2.4.2 de l’accord antidumping relative à cette première méthode. Ainsi, aux point 55 dudit rapport, l’organe d’appel a rappelé que, « [s]elon cette méthode, les autorités chargées de l’enquête sont tenues de comparer la valeur normale moyenne pondérée et la moyenne pondérée des prix de toutes les transactions à l’exportation comparables », et l’organe d’appel a insisté expressément sur le terme « toutes ». En outre, au point 58 du rapport, l’organe d’appel a déclaré que « [t]ous les types ou modèles assimilables à un produit ‘similaire’ d[e]v[ai]ent nécessairement être ‘comparables’ et des transactions à l’exportation portant sur ces types ou modèles d[e]v[ai]ent donc être considérées comme des ‘transactions à l’exportation comparables’ au sens de l’article 2.4.2 ». Il en a conclu que la réduction à zéro ne permettait pas de prendre dûment en compte les prix de toutes les transactions à l’exportation et qu’elle n’était pas applicable dans le cadre de la première méthode symétrique.

88      Cependant, ainsi qu’il a été constaté au point 85 ci-dessus, le cas d’espèce ne concerne pas la problématique spécifique de la méthode de la réduction à zéro par laquelle a été ignorée, lors de la comparaison, toute la catégorie des types pour lesquels une marge de dumping négative avait été constatée. Il ne saurait donc être affirmé, ainsi que le constate l’organe d’appel au même point 55 du rapport concerné, que l’approche des institutions dans la présente espèce a eu pour effet de gonfler le résultat du calcul de la marge de dumping.

89      De plus, quant au caractère comparable des prix, le Tribunal relève que, à la différence de l’affaire ayant donné lieu au rapport de l’organe d’appel de l’OMC intitulé « Communautés européennes – Droits antidumping sur les importations de linge de lit en coton en provenance d’Inde » (DS141/AB/R) », le cas d’espèce présente la particularité de mettre en œuvre la valeur normale calculée dans le pays analogue. Dans ce cadre, même si le pays analogue a été choisi, car le produit qui y est vendu est semblable, et donc comparable, au produit concerné par l’enquête, l’obligation d’une comparaison équitable des prix de ces produits peut comporter des difficultés supplémentaires pour les institutions (voir point 63 ci-dessus).

90      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en excluant du calcul de la marge de dumping les types de produits fabriqués et exportés par les requérantes pour lesquels les prix de vente du producteur dans le pays analogue n’étaient pas disponibles. Dès lors, le règlement attaqué ne viole ni l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base ni l’article 2.4.2 de l’accord antidumping.

91      De même, aucune violation des autres articles du règlement de base, invoquée par les requérantes, ne saurait être constatée. Selon celles-ci, en excluant certaines transactions d’exportation réalisées par elles, le prix à l’exportation utilisé pour le calcul de la marge de dumping n’aurait pas été le « prix effectivement payé ou à payer » pour le produit lorsqu’il est vendu à l’exportation vers l’Union. Les institutions auraient donc violé l’article 2, paragraphes 8 et 9, du règlement de base, qui ne mentionnerait pas que le « prix effectivement payé ou à payer » pourrait être ignoré dans une situation comme celle de l’espèce. En outre, il incomberait aux institutions de déterminer la valeur normale, si nécessaire sur toute base raisonnable, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base.

92      Lesdits articles concernent la détermination de la valeur normale et du prix à l’exportation et non la comparaison entre eux pour le calcul de la marge de dumping. Or, ces opérations constituent trois étapes distinctes de l’enquête. Les institutions n’auraient pas pu violer ces articles dans le cadre du calcul de la marge de dumping qui s’opère conformément à l’article 2, paragraphe 11, du même règlement. Par ailleurs, il convient de préciser que, si l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base mentionne le prix de toutes les exportations, son paragraphe 8 précise uniquement quel prix il convient de prendre aux fins de la détermination du prix à l’exportation et n’exige pas expressément que celui-ci soit déterminé pour chacun des types ou modèles du produit concerné. Il en va de même en ce qui concerne la détermination de la valeur normale calculée conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du même règlement. Les requérantes n’allèguent pas qu’un prix autre que celui « réellement payé ou à payer pour le produit vendu à l’exportation vers la Communauté » ait été pris en compte dans le calcul ou que la valeur normale ait été déterminée sur la base d’un prix dans un autre pays que le « pays tiers à économie de marché ».

93      Par l’exclusion du calcul de certaines transactions à l’exportation, les institutions auraient aussi violé l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base, qui dispose que les droits antidumping doivent être imposés « d’une manière non discriminatoire », conformément au principe général d’égalité et de non-discrimination. Le règlement attaqué traiterait différemment des producteurs-exportateurs chinois se trouvant dans des situations similaires, parce que leurs marges de dumping seraient fondées sur un pourcentage différent de leurs transactions à l’exportation sans qu’un tel traitement différencié soit objectivement justifié.

94      Cet argument doit aussi être rejeté. Il convient d’observer que, dans les cas où la marge de dumping est calculée séparément pour les différents producteurs-exportateurs, elle l’est obligatoirement en prenant en compte les situations propres à ces producteurs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les producteurs demandent un traitement individuel. En revanche, en ce qui concerne le traitement effectué en l’espèce, les institutions ont appliqué exactement la même méthode à tous les exportateurs chinois : elles ont utilisé les mêmes classifications en types de produits et n’ont pris en compte, pour le calcul de la marge de dumping, que les transactions d’exportation relatives aux types de produits pour lesquels elles avaient constaté des valeurs normales correspondantes.

95      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

  Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base et de l’article 2.4 de l’accord antidumping

96      Les requérantes soutiennent que les institutions ont violé l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base et l’article 2.4 de l’accord antidumping en rejetant les demandes d’ajustement qu’elles avaient présentées. À titre subsidiaire, elles allèguent une violation de l’obligation de motivation énoncée à l’article 296 TFUE dans la mesure où le règlement attaqué ne mentionnerait pas les raisons pour lesquelles les institutions avaient refusé d’opérer les ajustements demandés.

 Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base et de l’article 2.4 de l’accord antidumping

97      Les requérantes contestent le rejet de plusieurs demandes d’ajustement qu’elles avaient formulées dans leurs observations, notamment, des 13 juin, 19 juillet et 14 août 2012. Il s’agit notamment du refus des ajustements, premièrement, au titre de l’accès aux matières premières, qui serait plus facile pour les requérantes que pour le producteur indien, deuxièmement, au titre des processus de production supplémentaires mis en œuvre par le producteur indien et, troisièmement, au titre des différences entre les requérantes et le producteur indien en termes d’efficacité et de productivité par travailleur.

98      Quant au premier ajustement demandé, les requérantes soutiennent que, tandis qu’elles n’importaient aucune de ses matières premières, le producteur indien importait de l’étranger 80 % de ses matières premières (fil machine) durant la période d’enquête. Il en résulterait que ce dernier supportait des coûts supplémentaires tels que ceux liés au fret, aux dépenses de port et aux droits de douane, qui se répercutaient sur les prix de ce producteur. Concernant le deuxième ajustement, elles font valoir que le producteur indien générait lui-même son électricité, ce qui entraînerait un coût supplémentaire important par rapport aux requérantes, lesquelles achèteraient leur électricité. Enfin, quant au troisième ajustement, les requérantes soutiennent que, pendant la période d’enquête, l’efficacité du producteur indien pour ce qui est de la consommation de matières premières (fil machine) était significativement plus basse que la leur. De plus, la consommation d’électricité du producteur indien par unité produite aurait été significativement plus élevée que la leur, alors que la productivité par travailleur du producteur indien aurait été bien en deçà de celle des requérantes. Selon ces dernières, tous ces coûts supplémentaires se seraient répercutés sur les prix du producteur indien.

99      Ces demandes d’ajustement ont été refusées pour les raisons énoncées aux considérants 41 et 103 comme suit :

« (41)      [… L]es parties ont réitéré leur assertion selon laquelle des ajustements devaient être opérés pour prendre en compte les différences du coût de production, telles que les différences d’efficacité de consommation des matières premières, les différences de consommation de fil machine, de consommation d’électricité, d’électricité autogénérée, de productivité par travailleur, du niveau de profit raisonnable et les différences liées à l’outillage. Comme mentionné ci-dessus, l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base fait référence au prix et non au coût. Aucun élément de preuve n’a été produit par les parties qui alléguaient que les différences de coût se traduisaient en différences de prix. [I]l convient de rappeler que, dans les enquêtes concernant les économies en transition telles que la Chine, un pays analogue est utilisé lorsque cela est justifié afin d’éviter que soient pris en compte les prix et le coût dans des pays n’opérant pas dans une économie de marché, qui ne sont pas la résultante normale des forces qui s’exercent sur le marché. Dès lors, aux fins de l’établissement de la valeur normale, un substitut au coût et aux prix des producteurs dans les économies de marché viables est utilisé. Il s’ensuit que ces demandes d’ajustement pour tenir compte des différences de coût de production sont rejetées.

[…]

(103)            À la suite de la note d’information générale, deux producteurs-exportateurs chinois ont réaffirm[é] que des ajustements devaient être opérés au titre des prétendues différences au niveau de l’efficacité de la consommation de matières premières et l’accès facilité à ces matières, une plus grande efficacité de la consommation d’électricité et une plus faible productivité par travailleur. Il convient de rappeler qu’aucun des producteurs-exportateurs chinois n’a bénéficié du statut de société opérant dans les conditions d’une économie de marché dans l’enquête initiale et que leur structure de coût ne peut pas être considérée comme reflétant les valeurs du marché qui peuvent servir de base à des ajustements, en particulier en ce qui concerne l’accès aux matières premières. En outre, il convient de noter que les processus de production existant en [Chine] ont été jugés comparables à ceux des producteurs indiens et que les prétendues différences se sont révélées très mineures. En l’espèce, il a été constaté que le producteur indien était en concurrence avec de nombreux autres producteurs sur le marché intérieur indien, de sorte qu’il y a lieu de considérer que ses prix reflétaient pleinement la situation sur le marché intérieur. Comme mentionné au considérant 41 […], un substitut des coûts et des prix des producteurs dans des économies de marché viables devait être utilisé afin d’établir la valeur normale. »

100    À cet égard, le Conseil précise que les institutions ont refusé d’opérer les ajustements liés aux différences alléguées entre les coûts de production, parce que les requérantes n’auraient en rien démontré que les différences de coût se traduisaient en différences de prix. En outre, les ajustements liés aux différences d’efficacité et de productivité auraient également été refusés, parce que, dans un cas comme celui de l’espèce, où la valeur normale a été déterminée par la méthode du pays analogue, les institutions n’auraient pas ajusté les prix du pays analogue pour tenir compte de l’utilisation des facteurs de production dans les pays n’opérant pas dans une économie de marché, étant donné que ces facteurs ne seraient pas considérés comme la résultante normale des forces qui s’exercent sur le marché. À l’audience, il a précisé que les deux raisons étaient liées.

101    Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il ressort tant de la lettre que de l’économie de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base qu’un ajustement du prix à l’exportation ou de la valeur normale peut être opéré uniquement pour tenir compte des différences concernant des facteurs qui affectent les prix et donc leur comparabilité. Cela signifie, en d’autres termes, que l’ajustement a pour but de rétablir la symétrie entre la valeur normale et le prix à l’exportation d’un produit (voir arrêt du 23 septembre 2009, Dongguan Nanzha Leco Stationery/Conseil, T‑296/06, EU:T:2009:347, point 42 et jurisprudence citée).

102    En outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, si une partie demande, au titre de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base, des ajustements destinés à rendre comparables la valeur normale et le prix à l’exportation en vue de la détermination de la marge de dumping, cette partie doit apporter la preuve que sa demande est justifiée. En effet, la charge de prouver que les ajustements spécifiques énumérés à l’article 2, paragraphe 10, sous a) à k), du règlement de base doivent être opérés incombe à ceux qui souhaitent s’en prévaloir (voir arrêt Conseil/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, point 75 supra, EU:C:2012:78, points 58 à 60 et jurisprudence citée).

103    À cet égard, les requérantes soutiennent notamment avoir fourni et analysé les comptes de résultats du producteur indien, ainsi que la moyenne des prix mensuels du fil machine en acier sur le marché indien, comparés avec la moyenne des prix payés par le producteur indien. Les chiffres figurant dans le compte de résultats du producteur indien feraient apparaître que, à travers les années, les coûts de fabrication avaient toujours représenté 80 % du revenu net des ventes et que les chiffres concernant les dépenses générales, de ventes et d’administration et ceux concernant la marge de profit étaient presque identiques. Cela démontrerait que le producteur indien avait systématiquement défini ses prix d’une manière lui assurant de recouvrer entièrement ses coûts et, par conséquent, que toutes les différences de coût se traduisaient directement dans des différences en termes de prix.

104    En outre, les requérantes précisent que, lorsqu’elles ont démontré et quantifié les ajustements, elles ne se sont jamais référées aux coûts et aux prix pratiqués en Chine, mais à ceux pratiqués en Inde. Toutes les informations concernant les prix payés en raison de facteurs de coût seraient fondées sur la comptabilité financière du producteur indien ou sur les prix applicables en Inde tels qu’ils résultaient de sources publiques.

105    Il ressort des considérants 29 et 31 du règlement attaqué que, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, la valeur normale pour les requérantes a été déterminée sur la base des prix du produit concerné vendu sur le marché intérieur par le producteur en Inde ayant coopéré. Dès lors, afin de calculer la marge de dumping, les institutions ont comparé les prix à l’exportation avec la valeur normale ainsi déterminée.

106    L’article 2, paragraphe 10, du règlement de base impose aux institutions de l’Union de tenir compte des différences qui affectent la comparabilité des prix des produits et non des coûts supportés pour leur fabrication. À cet égard, et en particulier quant aux deux premières demandes d’ajustement liés aux différences alléguées entre les coûts de production, il convient d’observer que l’Inde est considérée comme un pays à économie de marché et que, ainsi que l’a constaté le Conseil au considérant 103 du règlement attaqué, le producteur indien coopérant était en concurrence avec de nombreux autres producteurs sur le marché intérieur indien, de sorte qu’il y avait lieu de considérer que ses prix reflétaient pleinement la situation sur ce marché.

107    Dans ces conditions, les institutions pouvaient valablement considérer que ledit producteur indien ne pouvait pas fixer librement ses prix et que, même à supposer qu’il ait payé les coûts de production concernés plus cher que les autres fabricants en Inde, il devait obligatoirement maintenir ses prix du produit concerné au niveau des prix du marché indien, par exemple en payant les coûts de production autres que ceux mentionnés moins cher ou bien en adaptant sa marge bénéficiaire.

108    Par ailleurs, les requérantes n’allèguent pas que le prix du produit similaire était systématiquement plus cher en Inde que sur les marchés d’autres pays, ce qui irait à l’encontre de la conclusion mentionnée au considérant 31 du règlement attaquée, selon laquelle l’Inde a été choisie comme pays analogue compte tenu, notamment, des conditions de concurrence et de l’ouverture de son marché (voir point 41 ci-dessus). En effet, en l’espèce, le choix du pays analogue n’a pas été contesté.

109    Quant aux ajustements liés aux différences alléguées d’efficacité et de productivité, les requérantes confirment qu’elles se sont fondées sur les différences dans la consommation (en quantité et non en valeur) de matières premières, dans la consommation (en quantité et non en valeur) d’électricité et dans la productivité par travailleur entre elles-mêmes et le producteur indien. Selon elles, ces données ne sauraient être affectées par le statut de pays n’ayant pas une économie de marché de la Chine.

110    Toutefois, les requérantes ne démontrent pas en quoi les différences d’efficacité de consommation et de productivité constatées entre elles, qui, par ailleurs, opèrent dans un pays n’ayant pas une économie de marché, et le producteur en Inde, qui, lui, a une telle économie, affectaient la possibilité de comparer la valeur normale et le prix à l’exportation. À cet égard, il convient d’observer que ce ne sont pas uniquement les prix et les coûts dans le pays analogue qui doivent être pris en compte pour la détermination de la valeur normale, mais l’ensemble des données relatives à ce marché. Or, le Tribunal a déjà jugé que les dispositions de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base ne sauraient être utilisées dans l’objectif de priver d’effet celles prévues à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 10 octobre 2012, Shanghai Biaowu High-Tensile Fastener et Shanghai Prime Machinery/Conseil, T‑170/09, EU:T:2012:531, point 123).

111    En outre, le Conseil a constaté, au considérant 103 du règlement attaqué, que les processus de production existant en Chine avaient été jugés comparables à ceux des producteurs indiens et que les prétendues différences s’étaient révélées très mineures. L’argumentation soulevée par les requérantes selon laquelle cette affirmation ne prendrait pas en considération leur situation spécifique et que certains ajustements demandés ne concernaient pas le processus de production doit être rejetée. Il convient de noter que le motif du refus d’opérer des ajustements a été donné de manière générale, pour répondre à plusieurs demandes. Les requérantes ne présentent pas d’éléments de preuve tendant à démontrer que, de manière générale, cette conclusion des institutions était erronée. En outre, les requérantes ne bénéficiant pas du statut de société opérant en économie de marché, les données les concernant ne pouvaient pas être prises en compte dans la cadre de la détermination de la valeur normale.

112    Quant à l’argument des requérantes selon lequel les institutions auraient violé leur obligation d’indiquer quels renseignements étaient nécessaires et de ne pas leur imposer une charge de la preuve déraisonnable, surtout dans le cas d’espèce où les informations relatives à la valeur normale ont été gardées confidentielles, il convient de le rejeter. En effet, il ressort du dossier que, pendant la procédure administrative, la Commission avait déjà expliqué les raisons du rejet des demandes d’ajustements par les mêmes propos que ceux figurant au considérant 41 du règlement attaqué. En outre, il ressort des observations des requérantes elles-mêmes que les raisons pour lesquelles les institutions considéraient qu’elles n’avaient pas suffisamment prouvé le bien-fondé des ajustements proposés étaient déjà connues d’elles pendant la procédure administrative. Enfin, il ressort du dossier que les institutions n’ont pas rejeté les demandes d’ajustement concernées en raison d’un manque d’informations, mais parce qu’elles ont considéré que de tels ajustements n’étaient pas nécessaires pour établir la symétrie entre la valeur normale et le prix à l’exportation du produit concerné.

113    Les requérantes soutiennent aussi que, dans leur pratique antérieure, les institutions avaient constamment admis que les différences de coût exerçaient une influence sur les prix. Par ailleurs, dans le cadre du règlement initial, les institutions auraient accordé un ajustement pour le contrôle de la qualité fondé sur les données relatives aux coûts du producteur indien, ce qui confirmerait que, pour le producteur indien, les différences de coût se traduisaient directement en différences de prix.

114    Ces arguments ne sauraient prospérer. D’une part, les institutions n’ont jamais contesté que les ajustements pouvaient être opérés en raison des différences des coûts et que ceux-ci pouvait se répercuter sur les prix, à la condition cependant que, comme elles l’ont affirmé en l’espèce et ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base, il soit prouvé que ces coûts (ou les différences entre ces coûts) affectent la comparabilité des prix. D’autre part, il convient de relever que la pratique antérieure des institutions de l’Union, par ailleurs invoquée par les requérantes d’une manière abstraite, ne saurait avoir d’incidence sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base. Il ressort de cette disposition que les institutions doivent refuser un ajustement en raison des différences constatées dans les facteurs dont il n’est pas démontré qu’ils affectent les prix et, partant, leur comparabilité. À supposer même que, dans les procédures antérieures, les institutions aient pu privilégier une autre interprétation de la disposition en cause, cela ne pourrait pas, de facto, priver d’effet une condition expressément prévue par le règlement de base (voir, en ce sens, arrêt du 10 octobre 2012, Ningbo Yonghong Fasteners/Conseil, T‑150/09, EU:T:2012:529, point 119).

115    En outre, les requérantes font valoir que les institutions avaient déjà accepté des ajustements pour des différences d’accès aux matières premières ou de processus de production, quand bien même la valeur normale était calculée dans un pays analogue, ainsi que des ajustements en raison de différences de productivité et d’efficacité énergétique entre un producteur-exportateur originaire d’un pays n’ayant pas une économie de marché et un producteur originaire d’un pays analogue.

116    Or, force est d’observer que, à supposer même que des ajustements aient été opérés par des institutions dans d’autres circonstances de fait pour des différences telles que celles relevées par les requérantes, tel ne pouvait pas être le cas en l’espèce où il n’a pas été démontré que les différences alléguées affectaient la comparabilité des prix des produits.

117    À cet égard, l’arrêt du 22 octobre 1991, Nölle (C‑16/90, Rec, EU:C:1991:402), auquel les requérantes font référence, ne semble pas pertinent pour la solution du présent litige. En effet, la réponse à un argument concret de la Commission concernant le choix du pays analogue dont traitait cet arrêt n’est pas transposable telle quelle en l’espèce. En toute hypothèse, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être considéré que cette jurisprudence confirme expressément que l’ajustement demandé par la partie requérante en raison des différences dans l’accès aux matières premières et, mutatis mutandis, aux autres ajustements demandés, aurait dû être opéré.

118    Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être considéré que, pour pouvoir opérer un ajustement, il « suffit de démontrer que l’on pouvait escompter du producteur indien d’avoir répercuté dans ses prix les différences de coût évoquées », ainsi que cela ressortirait du rapport du groupe spécial dans l’affaire États-Unis – Mesures antidumping visant les tôles d’acier inoxydable en rouleaux et les feuilles et bandes d’acier inoxydable en provenance de Corée [WT/D179/R]. En effet, si les institutions de l’Union ont l’obligation de prendre des dispositions pour se faire une idée claire de l’ajustement demandé, il ne saurait être exigé de ces dernières qu’elles opèrent un ajustement chaque fois qu’il existe une possibilité que des facteurs puissent avoir une incidence sur les prix. Cela irait à l’encontre du libellé de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base, ainsi qu’à la jurisprudence développée à cet égard (voir points 101 et 102 ci-dessus).

119    En conséquence, le présent grief doit être rejeté.

 Sur le second grief, tiré d’un défaut de motivation

120    Dans le cadre de ce grief, soulevé à titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que le règlement attaqué ne mentionne pas les raisons pour lesquelles les preuves qu’elles avaient avancées étaient inappropriées pour justifier leur demande d’ajustements. Dans le document d’information final, la Commission n’aurait fourni aucune information et n’aurait relevé aucun élément problématique concernant les arguments, les preuves et les calculs fournis par les requérantes. La seule motivation du refus serait celle contenue dans le règlement attaqué. Or, les institutions auraient été tenus de fournir les motifs expliquant pourquoi les preuves des requérantes avaient été considérées comme insuffisantes pour justifier les ajustements demandés.

121    Il ressort de la jurisprudence que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge d’exercer son contrôle. Il ne saurait, toutefois, être exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C‑76/01 P, Rec, EU:C:2003:511, point 88, et du 13 avril 2011, Far Eastern New Century/Conseil, T‑167/07, EU:T:2011:165, point 103).

122    En l’espèce, il ressort, de façon claire et non équivoque, des considérants 41 et 103 du règlement attaqué (voir point 99 ci-dessus) ainsi que des points 39 et 78 du document d’information générale du 31 juillet 2012 que, à la suite des demandes d’ajustement et des éléments de preuve présentés en ce sens par les requérantes, les institutions ont refusé d’opérer ces ajustements et ont indiqué les principales raisons de cette décision.

123    À cet égard, il convient d’observer que, dans leurs observations sur le document d’information générale du 14 août 2012, les requérantes ont contesté cette décision des institutions en faisant référence aux points concernés dudit document. Plus particulièrement, elles ont mentionné les deux raisons du refus de leur demande par la Commission, à savoir, premièrement, qu’aucun élément de preuve n’avait été produit par les parties qui alléguaient que les différences de coût se traduisaient en différences de prix et, deuxièmement, que, dans les enquêtes concernant les économies en transition telles que la Chine, un pays analogue était utilisé lorsque cela était justifié afin d’éviter que ne soient pris en compte les prix et les coûts dans des pays n’opérant pas dans une économie de marché, lesquels prix et coûts ne sont pas la résultante normale des forces qui s’exercent sur le marché. Dans ce cadre, les requérantes ont réitéré et développé leurs arguments au soutien des ajustements demandés et contesté avec fermeté les raisons de refus mentionnées (voir point 112 ci-dessus). Il convient d’en conclure que, même si les requérantes n’étaient pas d’accord avec la Commission sur la nécessité d’opérer les ajustements demandés, elles avaient parfaitement compris son raisonnement et étaient en mesure de défendre leurs droits.

124    En outre, il ressort de l’ensemble de l’analyse du présent moyen que les requérantes ont pu valablement contester les raisons du refus de leurs demandes d’ajustement dans le cadre de leurs recours.

125    Dès lors, il y a lieu de rejeter ce grief et, par conséquent, le second moyen dans son ensemble.

126    Au vu de tout ce qui précède, les recours doivent être rejetés.

 Sur les dépens

127    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil et l’EIFI, conformément aux conclusions de ces derniers.

128    La Commission supportera ses propres dépens, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Changshu City Standard Parts Factory et Ningbo Jinding Fastener Co. Ltd supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne et par l’European Industrial Fasteners Institute AISBL (EIFI).

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Prek

Labucka

Kreuschitz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.