Language of document : ECLI:EU:T:2023:244

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

10 mai 2023 (*)

« Aides d’État – Mesures de soutien pour les entreprises dans le contexte de la pandémie de COVID-19 aux Pays-Bas – Décision de ne pas soulever d’objections – Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑289/21,

Bastion Holding BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentées par Mes B. Braeken, X.Y.G. Versteeg, T. Hieselaar et L. Elzas, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM.V. Bottka et M. Farley, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume des Pays-Bas, représenté par M. J. Langer et Mme M. Bulterman, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. J. Schwarcz et R. Norkus (rapporteur), juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 21 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Bastion Holding BV, Bastion Holding Een BV et Bastion Holding Twee BV ainsi que les 33 hôtels individuels de Bastion (ci-après, ensemble, « Bastion »), demandent l’annulation de la décision C(2021) 1872 final de la Commission, du 15 mars 2021 – Aide d’État SA.62241 (2021/N) – Pays-Bas – Troisième modification du régime de subventions directes visant à soutenir les coûts fixes pour les entreprises touchées par la pandémie de COVID-19 (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Bastion est une société de droit néerlandais dont l’activité consiste à proposer des services d’hébergement hôtelier aux consommateurs. En raison de son nombre d’employés et de son bilan annuel, Bastion est considérée comme une entreprise de grande taille.

 Régime initial

3        Le 18 juin 2020, le Royaume des Pays-Bas a notifié à la Commission européenne une mesure d’aide revêtant la forme de subventions directes aux entreprises touchées par la pandémie de COVID-19 (ci-après le « régime initial »). Cette notification a été faite au titre de la communication de la Commission intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1), telle que modifiée le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1) et le 8 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3) (ci-après l’« encadrement temporaire »).

4        Le régime initial vise à assurer que des liquidités suffisantes restent disponibles sur le marché pour contrer le manque de liquidités auquel sont confrontées les entreprises en raison de la pandémie de COVID-19, afin de garantir que les perturbations causées par la pandémie ne compromettent pas la viabilité des entreprises et, partant, de préserver la continuité de l’activité économique pendant et après la pandémie. Il est applicable sur l’ensemble du territoire des Pays-Bas et couvre la période de juin à septembre 2020.

5        Les autorités néerlandaises avaient considéré que la pandémie de COVID-19 touchait l’ensemble des secteurs de l’économie nationale, laquelle s’était contractée de 1,7 % au premier trimestre 2020 par rapport au trimestre précédent. En particulier, elles avaient estimé que le secteur « Horeca » (hôtel, restaurant, café) était le plus touché, avec une baisse de 18 %, et que les risques liés à la crise affectaient notamment les petites et moyennes entreprises (ci-après les « PME »), lesquelles constituaient 99,8 % des entreprises et représentaient 71 % de la masse salariale en 2018. Par conséquent, les autorités néerlandaises ont considéré que la continuité de l’activité de ces entreprises en particulier devait être préservée.

6        Les bénéficiaires de cette mesure d’aide étaient uniquement les PME, à l’exception de celles exerçant leur activité dans certains secteurs de l’économie. Les PME y sont définies comme des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros, conformément à l’annexe I du règlement (UE) no 651/2014 de la Commission, du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 [TFUE] (JO 2014, L 187, p. 1).

7        Chaque PME concernée pouvait recevoir au titre du régime initial un montant maximal d’aide de 50 000 euros destiné à couvrir uniquement les coûts nécessaires pour surmonter le manque de liquidités résultant de la pandémie de COVID-19, tels que les coûts fixes. L’aide était accordée aux PME qui avaient perdu au moins 30 % de leur chiffre d’affaires. Cette perte est mesurée comme la différence entre le chiffre d’affaires de la période couverte par l’aide et celui de la période de référence, c’est‑à‑dire de juin à septembre 2019. Les coûts fixes des PME au cours de cette période sont calculés en multipliant le chiffre d’affaires de la période de référence par une constante spécifique au secteur et doivent représenter au moins 4 000 euros.

8        Le 26 juin 2020, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre de cette mesure et, partant, a adopté la décision C(2020) 4442 final, relative à l’aide d’État SA.57712 (2020/N) – Pays‑Bas – COVID‑19 : régime de subventions directes visant à soutenir les coûts fixes pour les petites et moyennes entreprises touchées par la pandémie de COVID‑19 (ci-après la « décision initiale »). Dans ladite décision, la Commission a conclu que le régime initial était constitutif d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La Commission a également estimé que ce régime était nécessaire, approprié et proportionné pour remédier à une perturbation grave de l’économie néerlandaise et qu’il satisfaisait à toutes les conditions pertinentes énoncées dans l’encadrement temporaire. La Commission a donc considéré que le régime initial était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

9        Les requérantes n’ont pas contesté cette décision.

 Première modification du régime initial

10      Le 13 novembre 2020, le Royaume des Pays-Bas a notifié à la Commission une première modification du régime initial visant, notamment, une prolongation de la période couverte par le régime, du 1er octobre au 31 décembre 2020, et une augmentation du montant maximal de l’aide par entreprise, de 50 000 euros à 90 000 euros. Le calcul du montant de l’aide reste fondé sur les mêmes conditions et formules que celles décrites dans la décision initiale, notamment une diminution du chiffre d’affaires de 30 % ou plus. Cependant, d’une part, le seuil d’éligibilité concernant le montant minimal des frais fixes est ajusté à la baisse, passant de 4 000 euros pour la période de juillet à septembre 2020 à 3 000 euros pour la période d’octobre à décembre 2020. D’autre part, pour cette dernière période, les établissements de boissons et de restauration, qui sont temporairement fermés par le gouvernement, verront le montant de leur aide majoré afin de contribuer à couvrir les coûts liés à leur fermeture. Cette majoration s’élèvera à 2,8 % de leur perte de chiffre d’affaires au cours de la période d’indemnisation.

11      L’obligation d’être une PME pour être éligible au bénéfice de l’aide reste inchangée.

12      Le 20 novembre 2020, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre de cette première modification du régime initial, au motif qu’elle était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE [décision C(2020) 8286 final de la Commission du 20 novembre 2020 relative à l’aide d’État SA.59535 (2020/N) – Pays-Bas – Modification du régime SA.57712 – COVID-19 : régime de subventions directes visant à soutenir les coûts fixes pour les petites et moyennes entreprises touchées par la pandémie de COVID-19].

13      En particulier, la Commission a considéré que les modifications apportées au régime initial n’affectaient pas la conclusion selon laquelle ce dernier respectait les conditions imposées par le point 22 de l’encadrement temporaire, à savoir, que l’aide totale était inférieure à 800 000 euros par entreprise et était octroyée sur la base d’un régime s’accompagnant d’un budget prévisionnel.

14      Les requérantes ont introduit un recours fondé sur l’article 263 TFUE à l’encontre de cette décision, enregistré sous le numéro T‑102/21.

 Deuxième modification du régime initial

15      Le 4 janvier 2021, le Royaume des Pays-Bas a notifié à la Commission une deuxième modification du régime initial, visant à ajouter deux nouvelles sous-mesures et à apporter une série de modifications à la mesure existante en ce qui concerne la période s’étendant d’octobre à décembre 2020, notamment en ce qui concerne la formule de calcul du montant de l’aide. Les PME demeurent les seules éligibles au titre de la mesure.

16      En particulier, la deuxième modification introduit la sous-mesure a), laquelle prévoit qu’une PME est éligible si elle a perdu au moins 30 % de son chiffre d’affaires au cours de la période allant de janvier à mars 2021 par rapport à la période de référence. Le montant de l’aide est plafonné à 90 000 euros et vise à couvrir partiellement les coûts fixes des bénéficiaires.

17      Le 9 février 2021, la Commission a adopté une décision de ne pas soulever d’objections à l’égard de la deuxième modification susmentionnée, au motif que celle-ci était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE [décision C(2021) 942 final de la Commission du 9 février 2021 – Aide d’État SA.60166 (2021/N) – Pays-Bas – Modification du régime d’aides SA.57712, tel que déjà modifié par [l’aide d’État] SA.59535, et nouvelles sous-mesures relatives au régime « COVID-19 : régime de subventions directes visant à soutenir les coûts fixes pour les entreprises touchées par la pandémie de COVID-19 »].

18      À l’instar de la décision initiale, cette décision n’a pas été contestée par les requérantes.

 Troisième modification du régime initial et décision attaquée

19      Le 8 mars 2021, le Royaume des Pays-Bas a notifié à la Commission une troisième modification du régime initial visant, en particulier, à introduire certaines modifications de la sous-mesure a), à savoir :

–        la sous-mesure a) est étendue aux grandes entreprises ;

–        la formule de calcul du montant de l’aide est modifiée, le taux de subvention étant remplacé par un pourcentage fixe de 85 % ;

–        le montant de l’aide maximal par entreprise est porté à 550 000 euros pour les PME et à 600 000 euros pour les grandes entreprises ;

–        les montants minimaux de la subvention et des coûts éligibles sont modifiés ;

–        l’aide peut être accordée à condition que sa valeur nominale, pour toutes les mesures accordées conformément à la section 3.1 de l’encadrement temporaire, ne dépasse pas 1 800 000 euros par entreprise, 270 000 euros par entreprise active dans les secteurs de la pêche et de l’aquaculture et 225 000 euros par entreprise active dans la production primaire de produits agricoles ;

–        la période de référence pour évaluer la baisse de 30 % du chiffre d’affaires est modifiée pour les entreprises qui ont commencé leur activité après mars 2019 ;

–        le budget estimé pour la sous-mesure a), telle que modifiée, est porté à 2 953 000 000 euros.

20      Le 15 mars 2021, par la décision attaquée, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre de cette troisième modification du régime initial, au motif qu’elle était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

 Conclusions des parties

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

22      La Commission et le Royaume des Pays-Bas concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

23      À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen, et, le second, de la violation de l’obligation de motivation.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen

24      Par le premier moyen, les requérantes font valoir que le régime d’aides actuel soulève des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. À cet égard, elles soutiennent, en substance, que la mesure d’aide d’État en cause, d’une part, est inappropriée pour remédier à la grave perturbation de l’économie des Pays-Bas à la suite de la pandémie de COVID-19 et, d’autre part, est disproportionnée par rapport à l’objectif qu’elle vise à atteindre.

25      En premier lieu, s’agissant du caractère inapproprié de la mesure d’aide d’État pour remédier à la grave perturbation de l’économie des Pays-Bas à la suite de la pandémie de COVID-19, les requérantes font valoir, en substance, qu’une mesure d’aide plafonnée, à l’égard des grandes entreprises, à 600 000 euros pour un trimestre d’une année est insuffisante pour atteindre un tel objectif. Elles estiment que, si chaque hôtel qui compose la structure de Bastion avait reçu le montant réel de l’aide en tant que PME, Bastion aurait pu bénéficier d’une aide de 3,7 millions d’euros, soit 112 000 euros par hôtel en moyenne.

26      Selon les requérantes, l’objectif de la mesure d’aide d’État ne peut pas être réalisé correctement en octroyant aux PME pratiquement le même montant d’aide qu’aux grandes entreprises alors même que ces dernières ont des coûts fixes plus importants et une perte relativement élevée de chiffre d’affaires. Elles font valoir que les grandes entreprises ont été touchées par les restrictions gouvernementales liées à la pandémie de COVID-19 de la même manière que les PME, voire plus, et se trouvent donc dans une situation comparable à celle de ces dernières. Or, la Commission aurait omis d’examiner si la distinction entre PME et grandes entreprises est appropriée aux fins de réaliser l’objectif visé.

27      En outre, les mesures adoptées par certaines grandes entreprises du secteur hôtelier pendant la pandémie de COVID‑19 témoigneraient également de l’inadaptation de la mesure d’aide en cause.

28      Par ailleurs, le nombre de grandes entreprises du secteur hôtelier étant très limité, la suppression du plafond actuel de 600 000 euros ne pèserait pas sur le budget prévisionnel indiqué par les autorités néerlandaises.

29      En second lieu, s’agissant du caractère disproportionné de la mesure d’aide en cause, les requérantes font valoir que le montant de l’aide accordée aux PME est trop important par rapport à celui de l’aide accordée aux grandes entreprises et confère ainsi un avantage déloyal aux PME. Bastion étant une grande entreprise, elle ne pourrait recevoir que 600 000 euros pour compenser la perte de chiffre d’affaires de l’ensemble de ses hôtels, soit 18 000 euros par hôtel.

30      Les requérantes soutiennent que les aides accordées aux PME dans le cadre du régime actuel permettent à ces dernières d’être plus compétitives sur le marché hôtelier que leurs concurrents qui ne sont pas des PME. La mesure d’aide en cause irait donc au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à remédier à une perturbation grave de l’économie néerlandaise. Il en découlerait des répercussions immédiates sur la concurrence ainsi que d’importantes conséquences à long terme.

31      Selon les requérantes, la Commission n’a pas évalué le caractère approprié et proportionné du régime actuel. Le montant des aides accordées aux grandes entreprises en général serait inapproprié pour les soulager de leurs coûts fixes, et le montant des aides accordées aux PME serait manifestement disproportionné par rapport à celui consenti aux grandes entreprises.

32      En outre, les requérantes estiment qu’il ressortirait de la jurisprudence que la Commission est tenue de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur la concurrence dans le marché intérieur, à moins que l’examen de la mesure d’aide ne démontre que cette dernière est nécessaire, appropriée et proportionnée pour atteindre son objectif.

33      La Commission aurait donc dû ouvrir une procédure formelle d’examen, le régime actuel n’étant ni approprié ni proportionné à la réalisation de son objectif.

34      La Commission et le Royaume des Pays-Bas contestent les arguments des requérantes.

35      Aux termes de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées notamment à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.

36      Il doit être rappelé que, s’agissant d’une dérogation au principe général d’incompatibilité avec le marché intérieur des aides d’État énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE est d’interprétation stricte (voir arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 142 et jurisprudence citée).

37      Selon la jurisprudence, la Commission ne peut déclarer une aide compatible avec l’article 107, paragraphe 3, TFUE que si elle peut constater que cette aide contribue à la réalisation de l’un des objectifs cités, objectifs que l’entreprise bénéficiaire ne pourrait atteindre par ses propres moyens dans des conditions normales de marché. En d’autres termes, il ne faut pas permettre aux États membres d’effectuer des versements qui apporteraient une amélioration de la situation financière de l’entreprise bénéficiaire sans être nécessaires pour atteindre les buts prévus par l’article 107, paragraphe 3, TFUE (voir arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 143 et jurisprudence citée).

38      Le principe de proportionnalité exige que les mesures imposées par les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser l’objectif visé et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à cet effet. En tant que principe général de l’Union, le principe de proportionnalité est un critère de la légalité de tout acte des institutions de l’Union, y compris les décisions que la Commission adopte en sa qualité d’autorité de la concurrence. Il ne saurait être accepté qu’une aide comporte des modalités, en particulier son montant, dont les effets restrictifs iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’aide puisse atteindre les objectifs admis par le traité FUE (voir arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 144 et jurisprudence citée).

39      En outre, si une aide comporte fréquemment par elle-même une protection et, partant, un certain cloisonnement du marché par rapport aux productions des entreprises qui n’en bénéficient pas, cette circonstance ne saurait impliquer des effets restrictifs qui iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’aide puisse atteindre les objectifs admis par le traité (arrêt du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, EU:C:1977:51, point 15).

40      Il résulte de l’économie générale du traité que la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Dès lors, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole d’autres dispositions du traité ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission. De même, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole les principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe d’égalité de traitement, ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51 ; voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 44).

41      En outre, la Commission bénéficie, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordres économique et social (voir arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 80 et jurisprudence citée), de sorte que le contrôle juridictionnel doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’à celle de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 78 et jurisprudence citée).

42      En l’espèce, il convient de rappeler que la mesure d’aide en cause consiste en l’octroi de subventions directes aux entreprises touchées par la pandémie de COVID-19 dans le but de garantir que celles-ci continuent de bénéficier de liquidités suffisantes. Ainsi, la viabilité des entreprises bénéficiaires de l’aide ne serait pas compromise et, partant, la continuité de leur activité économique pendant et après la pandémie serait préservée. En outre, pour être considéré comme compatible avec le marché intérieur, le régime d’aides doit répondre aux critères établis par l’encadrement temporaire.

43      Dans la décision initiale et dans la décision attaquée, la Commission a considéré que le fonctionnement normal des marchés du crédit était gravement perturbé par la pandémie de COVID‑19, laquelle affectait l’économie au sens large et générait de graves perturbations de l’économie réelle des États membres. Par ailleurs, il ressort de la décision attaquée, lue à la lumière de l’encadrement temporaire, de la décision initiale et des décisions précédentes de ne pas soulever d’objections à l’encontre des première et deuxième modifications du régime initial, que les mesures de confinement adoptées par les États membres affectent les entreprises et que des mesures d’aide sont justifiées, pour une période limitée, afin de contrecarrer la pénurie de liquidités à laquelle sont confrontées lesdites entreprises et de veiller à ce que les perturbations causées par la pandémie de COVID-19 ne compromettent pas leur viabilité, en particulier celle des PME.

44      Les requérantes estiment, à l’instar de la Commission, que le secteur hôtelier aux Pays‑Bas a été gravement touché par la pandémie de COVID‑19 et par les mesures gouvernementales, et que des mesures d’aide telles que celle faisant l’objet de la décision attaquée sont nécessaires pour y remédier. Les requérantes ne contestent donc pas le caractère nécessaire de la mesure d’aide en cause, ce qu’elles ont confirmé lors de l’audience.

45      Partant, il y a lieu de considérer que l’objectif du régime d’aides en cause satisfait aux conditions posées par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, dès lors que l’existence tant d’une perturbation grave de l’économie néerlandaise du fait de la pandémie de COVID‑19 que des effets négatifs majeurs de cette dernière sur plusieurs secteurs d’activité dont celui hôtelier aux Pays-Bas est établie à suffisance de droit dans la décision attaquée.

46      Il convient à présent d’examiner les arguments des requérantes selon lesquels, premièrement, le montant de la mesure d’aide en cause ne permet pas de remédier de manière appropriée à la perturbation grave de l’économie, deuxièmement, les entreprises bénéficiaires de l’aide reçoivent un traitement différent alors qu’elles se trouvent dans une situation comparable et, troisièmement, la mesure d’aide en cause est disproportionnée par rapport à son objectif.

 Sur le caractère inapproprié de la mesure d’aide

47      Par leurs arguments tirés du caractère prétendument inapproprié de la mesure d’aide en cause pour remédier à la perturbation grave de l’économie, les requérantes font valoir, en substance, que le montant maximal de l’aide accordé aux grandes entreprises est insuffisant pour atteindre les objectifs visés par le régime d’aides en cause.

48      À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’existe aucune obligation, pour les États membres, d’accorder des aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Plus particulièrement, d’une part, si l’article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les États membres à notifier à la Commission leurs projets en matière d’aides d’État avant leur mise à exécution, il ne les oblige pas, en revanche, à octroyer une aide (ordonnance du 30 mai 2018, Yanchev, C‑481/17, non publiée, EU:C:2018:352, point 22). D’autre part, une aide peut être destinée à remédier à une perturbation grave de l’économie, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, indépendamment du fait qu’elle ne remédie pas à l’intégralité de cette perturbation. Par conséquent, il ne découle ni de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ni de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE que les États membres seraient obligés de remédier à l’intégralité d’une perturbation grave de leur économie.

49      Par ailleurs, en l’espèce, il ressort du paragraphe 42 de la décision initiale et du paragraphe 3 de la décision attaquée que la mesure d’aide en cause s’intègre dans une série de mesures adoptées par les autorités néerlandaises afin de remédier à la perturbation grave de l’économie des Pays-Bas.

50      Ces considérations ne sauraient être remises en cause par les arguments que les requérantes tirent des mesures prétendument adoptées par certaines grandes entreprises du secteur hôtelier. En effet, étant donné qu’aucune obligation ne pèse sur les États membres d’octroyer des aides aux entreprises, et ce même en période de crise grave de leurs économies respectives, il appartient à chaque entreprise d’adopter les décisions et les stratégies qu’elle considère comme étant les plus adaptées au contexte.

51      Dans ces conditions, l’argument des requérantes selon lequel la Commission a commis une erreur de droit du fait que le montant de la mesure d’aide serait insuffisant pour remédier efficacement à une perturbation grave de l’économie doit être rejeté comme inopérant.

 Sur le respect du principe d’égalité de traitement

52      Les requérantes font valoir, en substance, que les grandes entreprises ont été touchées par la crise de COVID‑19 et par les restrictions gouvernementales de la même manière que les PME et que, par conséquent, elles se trouvent dans une situation comparable. Or, la mesure d’aide en cause octroierait quasiment le même montant d’aide aux PME et aux grandes entreprises sans prendre en considération le fait que les grandes entreprises ont subi une perte de chiffre d’affaires considérablement plus élevée que la perte moyenne de chiffre d’affaires subie par les entreprises actives dans le même secteur de l’économie. Il convient donc de vérifier si ladite mesure est conforme au principe d’égalité de traitement.

53      Selon la jurisprudence, le respect du principe d’égalité de traitement requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 1er mars 2017, SNCM/Commission, T‑454/13, EU:T:2017:134, point 305 et jurisprudence citée).

54      Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent en outre être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 26).

55      Il ressort de l’encadrement temporaire que, s’il est vrai que la flambée de COVID‑19 a touché toutes les entreprises, les PME ont été particulièrement exposées à une grave insuffisance de liquidités. Dans ce contexte, une aide publique bien ciblée, accordée notamment par les États membres, a été considérée comme nécessaire pour soutenir en particulier les PME afin de s’assurer que des liquidités suffisantes restaient disponibles sur les marchés pour neutraliser les dommages infligés aux entreprises en bonne santé et pour préserver la continuité de l’activité économique pendant et après la flambée de COVID-19. Dès lors, des aides d’État se justifiaient et pouvaient être déclarées compatibles avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous b), du TFUE pendant une période limitée, afin de remédier au manque de liquidités auquel étaient confrontées les entreprises, et de faire en sorte que les perturbations causées par la flambée de COVID-19 ne compromettaient pas leur viabilité, en particulier dans le cas des PME.

56      Il convient donc de constater que l’encadrement temporaire, lequel constitue le cadre de référence pour l’appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, d’une mesure d’aide accordée dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, reconnaît que les PME sont dans une situation particulière par rapport aux entreprises de taille plus grande même si ces dernières peuvent se voir, elles aussi, incluses dans un régime d’aides.

57      De même, il convient de relever que les autorités néerlandaises, contrairement à ce qu’affirment les requérantes et ainsi qu’il ressort du paragraphe 7 de la décision initiale, ont clairement exposé et justifié la situation particulière des PME dans l’économie nationale. Selon lesdites autorités, non seulement les PME étaient particulièrement touchées par la pandémie de COVID‑19, mais elles représentaient la quasi-totalité des entreprises enregistrées et occupaient 71 % des emplois. Les autorités néerlandaises ont ainsi considéré que c’était la continuité de l’activité de ces entreprises en particulier qui devait être préservée. Ces considérations ont été rappelées au paragraphe 3 de la décision attaquée et les requérantes ne contestent pas leur exactitude.

58      En outre, comme la Commission le fait valoir à juste titre, dans l’acte de notification de la modification du régime initial ayant conduit à la décision attaquée, les autorités néerlandaises avaient indiqué que « [l]es grandes entreprises (non-PME) n’avaient pas encore accès au régime, car le gouvernement néerlandais tablait sur le fait qu’elles disposeraient de suffisamment de crédits privés pour financer leurs coûts fixes[ ; o]r, en raison de la persistance de la pandémie et des mesures prises en conséquence, davantage d’entreprises peinent à obtenir un crédit privé[ ; é]tant donné que ces entreprises voient elles aussi fondre leurs réserves propres, le gouvernement néerlandais juge nécessaire de leur accorder des aides ».

59      Partant, il y a lieu de constater que les PME et les grandes entreprises, telles que Bastion, ne se trouvaient pas dans une situation comparable tant au regard des dispositions de l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte de la flambée de COVID‑19 qu’au regard de la situation des PME dans l’économie néerlandaise.

60      Dans ces conditions, l’argument des requérantes selon lequel, en substance, la Commission a commis une erreur de droit en traitant différemment les grandes entreprises et les PME alors qu’elles se trouvaient dans une situation comparable doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le caractère disproportionné de la mesure d’aide

61      Par leurs arguments tirés du caractère prétendument disproportionné de la mesure d’aide en cause, les requérantes font valoir, en substance, que ladite mesure fausse la concurrence étant donné que le montant de l’aide auquel ont droit les PME, comparé à celui auquel peuvent prétendre les grandes entreprises, est proportionnellement plus important lorsqu’il est rapporté à la baisse du chiffre d’affaires subie. Selon les requérantes, cela permettrait aux PME d’être plus concurrentielles.

62      À cet égard, il convient de relever que, dans sa décision du 9 février 2021 de ne pas soulever d’objections à l’égard de la deuxième modification du régime initial, la Commission a notamment établi que la sous-mesure a), dont l’application a été élargie aux grandes entreprises par la décision attaquée, remplissait les quatre conditions cumulatives pour constituer une aide d’État. En particulier, le paragraphe 59 de ladite décision prévoit explicitement que la mesure est susceptible de fausser la concurrence, puisqu’elle renforce la position concurrentielle de ses bénéficiaires. Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que la modification du régime d’aide notifiée n’affectait pas la qualification d’aide telle qu’établie dans la décision relative à la deuxième modification du régime initial.

63      En outre, il convient de relever que, pour qu’une mesure constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle doit nécessairement conférer un avantage sélectif à une entreprise ou à un groupe d’entreprises et, ainsi, renforcer la position concurrentielle de ses bénéficiaires. D’ailleurs, lors de l’audience, les requérantes ont consenti que la capacité d’une aide de fausser la concurrence ainsi que son caractère sélectif constituaient des caractéristiques intrinsèques à la notion d’« aide d’État ». Dans la mesure où les différentes catégories de bénéficiaires d’une aide d’État ne se trouvent pas dans une situation juridique et factuelle comparable, la différence de traitement entre celles-ci ne saurait, en tant que telle, impliquer des effets restrictifs qui iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’aide puisse atteindre les objectifs admis par le traité.

64      Dès lors, en l’espèce, le fait que les grandes entreprises subissent un désavantage concurrentiel par rapport aux PME ne saurait être constitutif d’une difficulté sérieuse obligeant la Commission à ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

65      Quant à l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’est libérée de son obligation de mettre en balance les effets positifs et ceux négatifs de l’aide que lorsque la mesure d’aide notifiée est nécessaire, appropriée et proportionnée pour atteindre son objectif, il convient de constater qu’il repose sur une lecture erronée de l’arrêt du 17 février 2021, Ryanair/Commission (T‑238/20, sous pourvoi, EU:T:2021:91).

66      En effet, les requérantes déduisent du point 68 de l’arrêt du 17 février 2021, Ryanair/Commission (T‑238/20, sous pourvoi, EU:T:2021:91), que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE impose à la Commission une obligation de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée lorsque ne sont pas remplies les conditions posées par la disposition précitée, à savoir que l’État membre concerné est confronté à une perturbation grave de son économie et que les mesures d’aide adoptées pour remédier à cette perturbation sont, d’une part, nécessaires à cette fin et, d’autre part, appropriées et proportionnées.

67      Or, au point 68 de l’arrêt du 17 février 2021, Ryanair/Commission (T‑238/20, sous pourvoi, EU:T:2021:91), le Tribunal, en comparant les dispositions de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE avec celles de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, a considéré que les mesures d’aide visées par la première disposition étaient présumées être adoptées dans l’intérêt de l’Union à condition que l’État membre concerné soit bel et bien confronté à une perturbation grave de son économie et que les mesures d’aide adoptées pour remédier à cette perturbation soient, d’une part, nécessaires à cette fin et, d’autre part, appropriées et proportionnées, et que, par conséquent, contrairement au cas de figure prévu par la seconde disposition, il n’était pas requis que la Commission procède à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée.

68      Le Tribunal a conclu, au point 69 de l’arrêt du 17 février 2021, Ryanair/Commission (T‑238/20, sous pourvoi, EU:T:2021:91), qu’il n’était pas requis par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE que la Commission procède à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, au contraire de ce qui est prescrit par l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, mais seulement qu’elle vérifie si la mesure d’aide en cause est nécessaire, appropriée et proportionnée pour remédier à la perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné.

69      En tout état de cause, il y a lieu de relever que les requérantes ne prétendent pas que la mesure d’aide en cause n’était pas nécessaire ni n’ont démontré qu’elle n’était pas appropriée et proportionnée. Partant, il y a lieu de rejeter comme non fondé l’argument des requérantes tiré de l’obligation de la Commission de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur la concurrence sur le marché intérieur.

70      Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant en partie non fondé et en partie inopérant.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

71      Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission n’a pas suffisamment exposé, dans la décision attaquée, les raisons ayant présidé à sa décision de ne pas soulever d’objections quant à la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché intérieur. En particulier, la Commission serait restée muette sur le caractère approprié et proportionné de la distinction entre les PME et les autres entreprises alors que cette distinction fait partie intégrante de la mesure d’aide et menace de fausser la concurrence.

72      En outre, la Commission, en faisant abstraction du fait que les PME étaient déjà éligibles au versement d’une aide à partir de juin 2020 au titre des mesures antérieures, aurait considéré qu’il était approprié d’augmenter de nouveau l’aide disponible aux PME sans se prononcer sur le caractère proportionné de cette aide.

73      S’agissant du délai très bref dans lequel la décision a été adoptée, les requérantes font valoir que le contexte spécifique de la pandémie de COVID‑19 ne devrait plus atténuer l’obligation de motivation qui pèse sur la Commission. Elles estiment que les procédures mises en place depuis le début de la pandémie permettent à la Commission de se concentrer davantage sur la motivation de ses décisions. Partant, selon les requérantes, tout en constituant dans une certaine mesure un facteur pertinent à prendre en considération, l’urgence qu’il y a à statuer sur les mesures d’aides d’État ne permet pas de justifier valablement l’absence de motivation de la décision.

74      La Commission conteste les arguments des requérantes.

75      Il convient de rappeler que, si la motivation d’un acte de l’Union exigée par l’article 296, paragraphe 2, TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte en cause de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle, il n’est toutefois pas exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 75 et jurisprudence citée).

76      En l’espèce, l’acte attaqué est une décision de ne pas soulever d’objections au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Or, il ressort de la jurisprudence qu’une telle décision, qui est prise dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur et que même une motivation succincte de cette décision doit être considérée comme suffisante au regard de l’exigence de motivation que prévoit l’article 296, paragraphe 2, TFUE si elle fait néanmoins apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles la Commission a estimé ne pas être en présence de telles difficultés, la question du bien-fondé de cette motivation étant étrangère à cette exigence (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 199 et jurisprudence citée).

77      S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit la décision attaquée, celui-ci est caractérisé par la pandémie de COVID-19 et l’urgence extrême dans laquelle la Commission a, tout d’abord, adopté l’encadrement temporaire, fournissant tant aux États membres qu’aux entreprises touchées par les conséquences de ladite pandémie un certain nombre d’indications, ensuite, examiné les mesures qui lui ont été notifiées par lesdits États, notamment en application de cet encadrement, et, enfin, adopté les décisions se rapportant à ces dernières, dont la décision attaquée. À cet égard, il ressort des points 19 et 20 ci-dessus que sept jours seulement se sont écoulés entre la notification du régime d’aides en cause et l’adoption de la décision attaquée.

78      Or, en dépit de la nature de la décision attaquée et des circonstances exceptionnelles qui entouraient son adoption, il convient de relever qu’elle comprend 19 paragraphes, auxquels se rajoutent notamment les 86 paragraphes de la décision relative à la deuxième modification du régime initial qui fait partie intégrante de la motivation de la décision attaquée, et permet de comprendre les motifs de fait et de droit pour lesquels la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections concernant le régime d’aides en cause. Ainsi, dans la décision attaquée, la Commission a exposé, fût-ce parfois succinctement, au regard de l’urgence, les raisons pour lesquelles le régime d’aides en cause satisfaisait aux conditions posées par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

79      Quant à l’argument des requérantes selon lequel, lorsque des opérateurs se trouvent placés dans une situation comparable, la Commission serait tenue d’exposer, dans le cadre d’une motivation spécifique, en quoi la différence de traitement instaurée par la mesure d’aide en cause est objectivement justifiée, il suffit de rappeler que, en l’espèce, ainsi qu’il a été constaté au point 59 ci-dessus, les PME et les grandes entreprises ne se trouvaient pas dans une situation comparable.

80      En outre, et en tout d’état de cause, dès lors que la décision attaquée, lue à la lumière de la décision initiale et des décisions antérieures relatives aux modifications du régime initial, expose, d’une part, les caractéristiques du régime d’aides, y compris les critères d’éligibilité au bénéfice de celui-ci, et, d’autre part, fût-ce succinctement, les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que ledit régime était compatible avec le marché intérieur, elle permet tant à la requérante d’exercer son droit à un recours effectif qu’au Tribunal d’exercer son contrôle.

81      Quant à l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait omis de prendre en compte les aides dont les PME ont pu bénéficier au titre des mesures antérieures, il est non fondé. En effet, s’il est vrai que la décision attaquée ne contient pas de motivation spécifique relative à la prise en compte des aides antérieures, il ressort de l’économie générale de ladite décision, et en particulier du fait qu’elle vise à modifier le régime d’aide existant, que la Commission n’a pas apprécié le régime d’aide actuel indépendamment des aides accordées antérieurement au regard du même cadre réglementaire. Il convient, notamment, de relever, d’une part, qu’il ressort du paragraphe 8, sous c), de la décision attaquée que le plafond de l’aide accordée aux PME dans le cadre de la sous-mesure a) pour la période de janvier à mars 2021 a été augmenté de 90 000 euros par entreprise, tel que prévu par la décision relative à la deuxième modification du régime initial, à 550 000 euros et, d’autre part, que la valeur nominale des aides accordées conformément à la section 3.1 de l’encadrement temporaire ne peut pas dépasser le plafond fixé dans ladite section. Il en résulte que la Commission a tenu compte des aides dont les PME ont pu bénéficier pour la même période.

82      Ce constat n’est pas remis en cause par les arguments que les requérantes tirent de l’arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM; Covid-19) (T‑643/20, EU:T:2021:286). Dans cette affaire, pour examiner la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché intérieur, il était nécessaire de tenir compte des liens fonctionnels, économiques et organiques entre la société holding Air France-KLM et ses filiales Air France et KLM aux fins d’apprécier l’impact de l’aide précédemment octroyée à une autre société du même groupe d’entreprises. Cet examen présupposait que soient établis au préalable le montant de l’aide, le bénéficiaire de celle-ci et l’absence de risque de financements croisés entre la société holding Air France-KLM, KLM et Air France. Or, la décision contestée ne comportait pas une motivation suffisante à cet égard.

83      Tel n’est pas le cas en l’espèce, dans la mesure où il ressort de la décision attaquée, lue à la lumière de la décision relative à la deuxième modification du régime initial, que le montant maximal de l’aide que les PME peuvent recevoir pour la période concernée est limité à 550 000 euros, ce qui implique une prise en compte des aides déjà reçues pour cette période. Le nombre potentiel de PME bénéficiaires de l’aide pouvant être illimité, il ne saurait être exigé que la Commission fournisse une motivation spécifique pour chacune d’entre elles.

84      Par conséquent, il convient de rejeter également le second moyen comme étant non fondé et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

85      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il convient de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

86      Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

87      Il convient donc de juger que le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Bastion Holding BV et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.

Marcoulli

Schwarcz

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 mai 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.