Language of document : ECLI:EU:F:2015:25

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

26 mars 2015 (*)

[Texte rectifié par ordonnance du 16 juin 2015]

« Fonction publique – Fonctionnaires – Procédure disciplinaire – Sanction disciplinaire – Révocation avec réduction de l’allocation d’invalidité – Proportionnalité de la sanction – Erreur manifeste d’appréciation – Notion de conduite du fonctionnaire tout au long de sa carrière – Respect des horaires de travail »

Dans l’affaire F‑38/14,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Ángel Coedo Suárez, ancien fonctionnaire du Conseil de l’Union européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes S. Rodrigues et C. Bernard-Glanz, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et A. Bisch, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. R. Barents (rapporteur), président, E. Perillo et J. Svenningsen, juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 novembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 21 avril 2014, M. Coedo Suárez a introduit le présent recours tendant à l’annulation de la décision du Conseil de l’Union européenne, du 11 juin 2013, lui infligeant la sanction de la révocation avec réduction de l’allocation d’invalidité de 15 % jusqu’à l’âge de la retraite à compter du 1er juillet 2013.

 Cadre juridique

2        Le cadre juridique de la présente affaire est constitué des articles 21, 55 et 60 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable au litige (ci-après le « statut »), ainsi que des articles 9 et 10 de l’annexe IX du statut, relatifs à la procédure disciplinaire.

 Faits à l’origine du litige

3        Le 1er novembre 1986, le requérant a été engagé comme fonctionnaire au Conseil. Le rapport de notation du requérant établi pour la période allant du 1er juillet 1991 au 30 juin 1993 faisait état de problèmes relatifs à la régularité de ses prestations. Du 1er mai 1995 au 31 juillet 2003, le requérant a exercé ses fonctions au Parlement européen. Les rapports de notation du requérant établis pendant cette période faisaient également état de problèmes dans son travail.

4        Le requérant a été réintégré au Conseil le 1er août 2003, en qualité de responsable du dépôt du secrétariat général du Conseil (ci-après le « secrétariat général »), situé à Overijse (Belgique) (ci-après le « dépôt »), où il devait encadrer une équipe de trois personnes. Victime d’un accident au cours de l’été 2003, le requérant a été placé en congé de maladie et n’a pu débuter son activité au dépôt que le 3 novembre 2003, d’abord à mi-temps, puis, à partir du 1er janvier 2004, à plein temps.

5        Les relations du requérant avec les trois membres de son équipe se sont rapidement détériorées. Le 16 décembre 2003, M. S., l’un des membres de l’équipe du dépôt, a fait part au médecin-conseil du secrétariat général de la situation conflictuelle l’opposant au requérant. Par note du 6 janvier 2004, adressée à la hiérarchie du requérant, au comité du personnel ainsi qu’au médecin-conseil du secrétariat général, les trois membres de l’équipe du dépôt placés sous l’autorité du requérant se sont plaints du climat conflictuel au sein du dépôt et de la mauvaise ambiance de travail, qu’ils ont attribués aux méthodes et au comportement du requérant.

6        Interrogé par un membre du comité du personnel, le directeur général de la direction générale (DG) A « Personnel et administration » du secrétariat général (ci-après la « DG du personnel ») a répondu, par courrier électronique du 20 janvier 2004, que la situation au dépôt, dans tous ses aspects, et pas seulement la note du 6 janvier 2004 des trois fonctionnaires concernés, faisait l’objet d’un examen par les services de l’administration et que le comité du personnel serait informé des conclusions qui en seraient tirées.

7        Le 19 février 2004 en fin de matinée, un incident est survenu entre le requérant et Mme N., membre de l’équipe du dépôt, dans un café d’Overijse. Au cours de la conversation, le requérant aurait sorti de sa poche un objet noir, qu’il aurait dissimulé sous un châle entourant sa main, et aurait dit, tout en plaisantant : « C’est une arme. »

8        Le 20 février 2004, à 14 h 00, le requérant a été convoqué par sa hiérarchie pour être interrogé sur les accusations de menaces portées par Mme N. Le requérant a formellement contesté avoir menacé celle-ci d’une quelconque façon.

9        Par note du 23 mars 2004, le supérieur hiérarchique du requérant a attiré l’attention d’un responsable de la logistique de la DG du personnel sur la situation de tension au dépôt, en soulignant que le requérant n’était pas apte à assumer ses responsabilités à la tête de ce service. Le supérieur hiérarchique du requérant demandait, dans l’intérêt du service, que les fonctions de chef du dépôt soient retirées au requérant dans les plus brefs délais et proposait d’assurer lui-même la supervision directe du dépôt, en attendant la mise en place d’une solution durable.

10      Le 29 avril 2004, le requérant a eu un entretien avec ses supérieurs hiérarchiques, dont le directeur général de la DG du personnel.

11      Le rapport rédigé le 3 mai 2004 par M. K., le fonctionnaire du Conseil qui avait été chargé d’enquêter sur l’incident du 19 février 2004 avec Mme N., a conclu qu’il existait effectivement des tensions entre le requérant et le personnel du dépôt, mais qu’aucun élément ne permettait d’établir des faits de menaces à l’égard de Mme N., chacune des parties étant restée sur ses positions.

12      Par note du 16 juin 2004, faisant suite à l’entretien du 29 avril 2004, le directeur général de la DG du personnel a « confirmé » au requérant que, « comme convenu et dans l’intérêt du service », il était « dessaisi de [ses] fonctions en tant que responsable du […] dépôt ».

13      Depuis la décision du 16 juin 2004 l’ayant dessaisi de ses fonctions de chef du dépôt, le requérant n’a pu être réintégré de manière satisfaisante dans aucun service et il a connu de longues périodes d’absence pour maladie. Sa situation a fait l’objet d’un suivi par le groupe de réorientation et réintégration professionnelle constitué au sein du secrétariat général.

14      Le requérant a été affecté en février 2006 à l’unité « Logistique » de la direction « Conférences, organisation, infrastructures » de la DG du personnel.

15      Le comportement professionnel du requérant a donné lieu à des critiques de plus en plus sévères de sa hiérarchie, notamment en raison de ses fréquentes absences sans autorisation et de son refus d’exécuter tout ou partie de ses tâches.

16      Le 24 octobre 2008, Mme V., chef de l’unité « Logistique », a eu un entretien avec le requérant au cours duquel elle l’a invité à reprendre son travail et lui a fait deux propositions concrètes à cet égard. Toutefois, ces propositions ont été rejetées par le requérant. Le 2 avril 2009, Mme V. a adressé une note au requérant, dans laquelle elle constatait que ce dernier n’avait exécuté aucune des tâches qui lui avaient été confiées et relevait un certain nombre d’autres manquements à ses obligations statutaires.

17      Le 12 août 2009, le directeur général de la DG du personnel a ouvert une enquête administrative à l’égard du requérant, visant à établir si les faits allégués dans la plainte, du 24 juillet 2009, que M. M., directeur de la direction « Conférences, organisation, infrastructures », lui avait adressée étaient avérés et s’ils étaient constitutifs d’un manquement du requérant à ses obligations statutaires. L’enquête visait la période allant du 1er février au 31 juillet 2009. Le rapport établi à l’issue de cette enquête administrative, daté du 25 mars 2010, a conclu que le comportement du requérant était constitutif d’un manquement très grave à ses principales obligations statutaires et notamment aux articles 21, 55 et 60 du statut, ainsi que d’une violation des articles 9 et 10 de la décision no 151/2007, publiée par la communication au personnel no 200/07 du 30 novembre 2007, du secrétaire général adjoint du Conseil instituant l’horaire flexible au sein du secrétariat général. Par lettre recommandée du 1er juin 2010, une copie dudit rapport ainsi que de toutes les pièces du dossier d’enquête a été transmise au requérant.

18      Le 22 juin 2010, le requérant a été entendu par Mme A., directeur de la direction « Administration du personnel » de la DG du personnel. Lors de son audition, le requérant a présenté ses remarques au sujet du rapport d’enquête du 25 mars 2010 et remis une note résumant ses observations qui a été jointe en annexe au procès-verbal de cette audition.

19      Par lettre recommandée du 16 juillet 2010, le requérant s’est vu notifier que l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») avait décidé de saisir la commission d’invalidité de son cas. Par note du 14 octobre 2010, le requérant a été informé de ce que l’AIPN, faisant suite à son audition du 22 juin 2010, avait décidé de suspendre l’adoption d’une décision sous l’article 3 de l’annexe IX du statut dans l’attente de l’issue des travaux de la commission d’invalidité. Le 23 mars 2011, cette dernière a conclu que le requérant était apte à exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions.

20      Le 13 juillet 2011, le directeur général de la DG du personnel a décidé de diligenter un complément d’enquête administrative, visant la période allant du 1er avril 2010 au 30 mai 2011. Le rapport établi à l’issue de ce complément d’enquête, daté du 3 avril 2012, a conclu, premièrement, à l’insuffisance globale des prestations du requérant par rapport aux exigences du service et aux ordres reçus et, deuxièmement, au non-respect généralisé par le requérant de son horaire de travail. Le 3 mai 2012, une copie dudit rapport ainsi que de toutes les pièces du dossier du complément d’enquête a été transmise au requérant. Le 29 mai 2012, le requérant a été entendu par le directeur général de la DG du personnel au titre de l’article 3 de l’annexe IX du statut.

21      Par une note du 19 juin 2012, le directeur général de la DG du personnel a répondu aux réserves formulées par le requérant lors de son audition du 29 mai 2012. Par une note du 6 juillet 2012, le requérant a présenté ses observations sur la note du 19 juin 2012.

22      Par décision du 12 juillet 2012, le directeur général de la DG du personnel a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire devant le conseil de discipline.

23      Par une note du 4 octobre 2012 adressée au directeur général de la DG du personnel, le requérant a demandé la saisine de la commission d’invalidité de son cas.

24      Le 12 novembre 2012, l’AIPN a saisi le conseil de discipline. Celui-ci a entendu le requérant, par la voix de son conseil, les 24 janvier et 12 mars 2013.

25      Le 13 février 2013, la commission d’invalidité a conclu que le requérant était atteint d’une invalidité permanente considérée comme totale le mettant dans l’impossibilité d’exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions. Par décision du 27 février 2013, le requérant, alors âgé de 53 ans, a été mis d’office à la retraite à compter du 28 février 2013, avec le bénéfice d’une allocation d’invalidité à partir du 1er mars 2013.

26      Le 9 avril 2013, le conseil de discipline a rendu son avis, qui a été transmis au requérant le 11 avril 2013 (ci-après l’« avis du conseil de discipline »). Au point 94 de son avis, le conseil de discipline a considéré ce qui suit :

« En ce qui concerne la conduite d[u requérant] tout au long de sa carrière, qui doit être prise en compte au titre de [la lettre] i) de l’article 10 de l’annexe IX du statut, il y a lieu de souligner que, comme il découle des documents versés au dossier par le représentant de l’AIPN […], même en les confrontant à ceux qui ont été versés au dossier par [le conseil du requérant] […], [le requérant] a eu des mauvais rapports de notation et des problèmes avec ses supérieurs tout au long de sa carrière. »

27      Au point 100 de son avis, le conseil de discipline a considéré :

« Aux fins de l’article 10 de l’annexe IX du statut, le [c]onseil de discipline a retenu essentiellement l’importance du préjudice porté aux intérêts de l’institution en raison de la faute commise [b)], le degré d’intentionnalité dans les fautes commises [c)], […] la récidive du comportement fautif [h)] ainsi que […] la conduite d[u requérant] tout au long de sa carrière, documentée par les rapports de notation joints par le représentant de l’AIPN, qui contredisent les déclarations jointes par le conseil d[u requérant]. »

28      Dans son avis, le conseil de discipline a conclu que « les faits reprochés [au requérant] [étaient] confirmés et justifi[ai]ent une sanction de révocation avec réduction de l’allocation d’invalidité d’au moins 15 % jusqu’à l’âge de la retraite ».

29      Le 5 juin 2013, le requérant, par la voix de son conseil, a été entendu par l’AIPN.

30      Par décision du 11 juin 2013, et tout en faisant siennes les appréciations du conseil de discipline, l’AIPN a infligé au requérant la sanction de la révocation avec réduction de l’allocation d’invalidité de 15 % jusqu’à l’âge de la retraite, à compter du 1er juillet 2013 (ci-après la « décision attaquée »).

31      Le 6 septembre 2013, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée. Cette réclamation a été rejetée par décision du 15 janvier 2014 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Conclusions des parties

32      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer la requête recevable ;

–        annuler la décision attaquée et, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

33      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Observations liminaires

34      À l’appui de son recours, le requérant invoque deux moyens, tirés, premièrement, de l’erreur manifeste d’appréciation et, deuxièmement, de la violation du principe de proportionnalité. Le Tribunal est d’avis qu’il convient d’examiner d’abord le second moyen.

35      [Tel que rectifié par ordonnance du 16 juin 2015] Avant d’examiner ces deux moyens, il convient de rappeler que l’article 86 du statut et les articles 9 et 10 de l’annexe IX du statut ne prévoient pas de rapports fixes entre les sanctions disciplinaires y indiquées et les différents types de manquements commis par les fonctionnaires et ne précisent pas non plus dans quelle mesure l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes intervient dans le choix de la sanction ainsi que dans la détermination de son caractère proportionnel.

36      Or, selon une jurisprudence constante, pour apprécier la proportionnalité d’une sanction disciplinaire par rapport à la gravité des faits retenus, le juge de l’Union doit en premier lieu considérer le fait que la détermination de la sanction est fondée sur une évaluation globale par l’AIPN de tous les faits concrets ainsi que des circonstances propres à chaque cas individuel. L’examen du juge de première instance est, dès lors, limité à la question de savoir si la pondération des circonstances aggravantes et atténuantes par l’AIPN a été effectuée de façon proportionnée, étant précisé que, lors de cet examen, ce juge ne saurait se substituer à l’AIPN quant aux jugements de valeur portés à cet égard par celle-ci (arrêts BG/Médiateur, T‑406/12 P, EU:T:2014:273, point 64, et EH/Commission, F‑42/14, EU:F:2014:250, point 93).

37      En particulier, s’agissant de la sanction de la révocation, la plus grave parmi celles figurant à l’article 9 de l’annexe IX du statut, son adoption implique nécessairement des considérations délicates de la part de l’institution, compte tenu des conséquences particulièrement sérieuses qui en découlent, tant pour le fonctionnaire concerné que pour l’institution. En tout état de cause, la légalité de toute sanction disciplinaire présuppose que la réalité des faits reprochés à l’intéressé soit établie (voir, en ce sens, arrêt Tzikis/Commission, T‑203/98, EU:T:2000:130, points 48 à 51).

 Sur le second moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

 Arguments des parties

38      Le requérant fait valoir, sans remettre en question la gravité des reproches qui lui sont adressés, qu’il lui est essentiellement fait grief de ne pas avoir respecté son horaire de travail et, partant, de ne pas s’être intégralement acquitté des tâches qui lui ont été confiées. Pourtant, de toutes celles qu’elle aurait pu lui imposer, l’AIPN aurait choisi la sanction la plus grave. Eu égard à la nature des fautes qui lui sont reprochées et à leur contexte, la sanction de la révocation serait disproportionnée.

39      Le Conseil conclut au rejet du second moyen.

 Appréciation du Tribunal

40      Le Tribunal ne peut que constater que l’affirmation du requérant selon laquelle il lui est essentiellement fait grief de ne pas avoir respecté son horaire de travail et que, dès lors, la sanction infligée est disproportionnée repose sur une lecture manifestement erronée de l’avis du conseil de discipline, de la décision attaquée ainsi que de la décision de rejet de la réclamation.

41      En effet, le requérant ne conteste pas qu’il a été constaté dans l’avis du conseil de discipline, premièrement, au point 86, qu’il a continué de recevoir la totalité de sa rémunération sans pour autant, dès le début du mois de février 2009, accomplir en contrepartie le travail qui lui avait été confié, deuxièmement, au point 87, qu’il ne s’est pas acquitté des tâches qui lui avaient été confiées par ses supérieurs, troisièmement, au point 88, qu’il ne s’est pas présenté à un grand nombre de convocations de son supérieur hiérarchique malgré les rappels qui lui avaient été adressés, quatrièmement, au point 89, qu’il a refusé d’utiliser son adresse électronique professionnelle et, cinquièmement, au point 90, qu’en effectuant des « doubles pointages » il a déclaré frauduleusement comme temps de travail du temps qui ne l’était pas.

42      Ainsi, au point 100 de son avis, le conseil de discipline a conclu qu’aux fins de l’article 10 de l’annexe IX du statut il « a[vait] retenu essentiellement l’importance du préjudice porté aux intérêts de l’institution en raison de la faute commise […], le degré d’intentionnalité dans les fautes commises […], […] la récidive du comportement fautif […] ainsi que […] la conduite d[u requérant] tout au long de sa carrière […] » (voir point 27 du présent arrêt).

43      Ensuite, il ressort de la décision attaquée que l’AIPN, sans les mentionner en particulier, a pris en considération, sur la base précisément de l’analyse figurant dans l’avis du conseil de discipline, les différents critères prévus par l’article 10 de l’annexe IX du statut et applicables en l’espèce. L’AIPN a précisé cette prise en compte des différents critères prévus par l’article 10 de l’annexe IX du statut dans la décision de rejet de la réclamation, notamment en ce qui concerne le « manquement à la durée du temps de travail », « la conduite du [requérant] tout au long de sa carrière » ainsi que l’éventuelle prise en compte de « circonstances atténuantes ».

44      Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, il ne saurait être considéré que le choix de la sanction retenue par l’AIPN à l’encontre du requérant ne soit pas conforme au principe de proportionnalité et aux autres conditions prévues par l’article 10 de l’annexe IX du statut.

45      Il s’ensuit que le second moyen doit être rejeté.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

46      Il y a lieu de rappeler qu’une erreur ne peut être qualifiée de manifeste que lorsqu’elle peut être aisément détectée à l’aune des critères auxquels le législateur a entendu subordonner l’exercice du pouvoir décisionnel (voir arrêt Canga Fano/Conseil, F‑104/09, EU:F:2011:29, point 35).

47      Le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, consiste en deux griefs concernant, le premier, l’appréciation du critère « conduite du fonctionnaire tout au long de sa carrière » et, le second, l’appréciation des circonstances atténuantes.

 Sur le premier grief, concernant l’appréciation du critère « conduite du fonctionnaire tout au long de sa carrière »

–       Arguments des parties

48      Le requérant conteste tout d’abord l’appréciation du critère « conduite du fonctionnaire tout au long de sa carrière ». En effet, le conseil de discipline a estimé dans son avis que le requérant avait eu de « mauvais rapports de notation […] tout au long de sa carrière ». Selon le requérant, il aurait fait l’objet de rapports de notation favorables de 1986 à 2002. Ce n’est qu’à partir de 2003 que ses rapports de notation « se s[eraient] mis à décliner ».

49      En particulier, s’agissant du rapport de notation couvrant la période allant du 1er juillet 1991 au 30 juin 1993, le requérant fait valoir que l’appréciation « passable » ne vise pas le sens des responsabilités, celui-ci étant en effet jugé « excellent », et que ce rapport contient par ailleurs quatre mentions « excellent », sept mentions « très bon » et une mention « bon ».

50      Ensuite, le requérant observe que le rapport de notation pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1998 contient des commentaires favorables. Le requérant en conclut que ses rapports de notation ne feraient pas apparaître une tendance au « déclin » depuis le début de sa carrière. Selon lui, ce ne serait qu’à partir de 2003, et en particulier à partir de 2004 et de ce qu’il appelle les « évènements d’Overijse », que ses rapports de notation « se s[eraient] mis à décliner ».

51      Le requérant reproche également au conseil de discipline et à l’AIPN de ne pas avoir pris en compte ses courriers des 8 janvier et 25 février 2013, contenant de nombreux témoignages positifs de fonctionnaires l’ayant côtoyé au Parlement et au Conseil.

52      Le Conseil conclut au rejet du premier grief.

–       Appréciation du Tribunal

53      En ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel ce ne serait qu’à partir de 2003, et plus spécifiquement de 2004 et des « évènements d’Overijse », que ses rapports de notation seraient devenus moins favorables, il y a lieu d’observer que, dans le rapport de notation pour la période allant du 1er janvier 1995 au 1er janvier 1997, non contesté par le requérant, il a reçu l’appréciation « à améliorer » pour la rubrique « [c]onscience professionnelle : sens des responsabilités, respect des règles en vigueur et des instructions reçues, ponctualité », ainsi que la remarque suivante dans l’appréciation générale : « Une amélioration rapide de son sens des responsabilités [et] du respect des règles et instructions s’impos[e] dans les plus brefs délais. »

54      Dans le rapport de notation du requérant pour l’année 2000, le premier notateur a indiqué qu’« [i]l [lui était] impossible de juger sa qual[ité] de travail, car dans la pratique [le requérant] n’a[vait] pas pu (ou n’a[vait] pas voulu) effect[uer] des tâches qu’on a[vait] essayé de lui confier (jusqu’au 1[er octobre 20]00) ». Le premier notateur faisait également état de « [d]ifficulté[s] à respecter les horaires de travail » et a aussi constaté que « [l]e [requérant] n’a[vait] pas souhaité (ou il n’a[vait] pas pu) s’intégrer dans la nouvelle équipe ».

55      Le rapport de notation du requérant pour l’année 2001 contient la remarque suivante : « Pas toujours disponible. Malgré des efforts [le requérant] continue à avoir des difficultés pour respecter les horaires. Travaille en solitaire. »

56      Dans le rapport de notation du requérant pour l’année 2002 figurent les remarques suivantes : « Inégalité dans le discernement de la hiérarchie des tâches à accomplir et le suivi de leur traitement », « difficultés pour respecter les horaires de travail », « [t]ravaille en solitaire », « pas constant dans ses efforts ».

57      Le rapport de notation pour l’année 2003 fait état d’un « manque notoire de constance », d’un « détachement affiché frisant l’indolence » et d’un sens des responsabilités « [d]éficient ». Son supérieur hiérarchique a conclu que le requérant « n’a[vait] pas eu une approche professionnelle et n’a[vait] pas donné suite aux possibilités qui lui étaient offertes de changer le cap ou d’affectation » et aussi qu’il avait eu « [u]ne attitude peu collégiale et contraire aux intérêts du service ».

58      Il s’ensuit que le requérant ne saurait sérieusement prétendre que ce n’est qu’après 2003, et plus spécifiquement à partir de 2004 et en combinaison avec les « évènements d’Overijse », que ses rapports de notation seraient devenus moins favorables.

59      Si, au vu de ce qui précède, l’observation du conseil de discipline, au point 94 de son avis, selon laquelle le requérant « a eu des mauvais rapports de notation et des problèmes avec ses supérieurs tout au long de sa carrière » semble peu heureuse, comme le Conseil l’a d’ailleurs reconnu dans la décision de rejet de la réclamation, il ne s’ensuit pas pour autant que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant dans la décision attaquée, dans la ligne du conseil de discipline, que le comportement du requérant constituait un manquement grave aux obligations auxquelles tout fonctionnaire est soumis, en particulier en vertu des articles 21, 55 et 60 du statut.

60      À cet égard, il convient d’ajouter que, dans sa réponse du 27 novembre 2013 à la note du 21 novembre précédent, par laquelle l’AIPN lui avait demandé, dans la perspective de sa réponse à la réclamation du requérant, de clarifier l’observation faite par le conseil de discipline au point 94 de son avis et selon laquelle le requérant avait eu de mauvais rapports de notation tout au long de sa carrière, le président du conseil de discipline a précisé :

« […]

[…] Le [c]onseil de discipline a bien lu tous les rapports de notation d[u requérant] et a conclu, à cet égard, que tous ses rapports lus ensemble ne donnent pas l’image d’un fonctionnaire dont les mérites étaient tels qu’ils devraient emporter la mansuétude de l’AIPN en dépit des manquement constatés, ainsi que le demandait son avocat, mais qu’au contraire de nombreux rapports de notation font état de difficultés entre [le requérant] et sa hiérarchie et ses collègues.

Ainsi, seuls les rapports en début de carrière sont-ils élogieux, bien que dès 1992 son ‘sens des responsabilités’ ait déjà reçu la note ‘passable’. Dès 1997, les rapports font état de carences dans le chef d[u requérant] avec une dégradation constante de la notation tant au Parlement […] qu’au [secrétariat général], jusqu’à une mention d’insuffisance professionnelle dans le rapport de 2012 portant sur l’année 2011.

Il en résulte donc que, de 1986 à 2011, soit durant 25 ans, la qualité moyenne des rapports de notation d[u requérant] au long de sa carrière dans les institutions peut être qualifiée de ‘mauvaise’. »

61      Dans le même sens, le Tribunal relève que l’appréciation du critère « conduite du fonctionnaire tout au long de sa carrière » n’implique pas nécessairement une appréciation de la conduite du fonctionnaire concerné depuis son recrutement et, ensuite, à chaque moment de sa carrière, mais plutôt une évaluation globale de sa conduite sur l’ensemble de sa carrière.

62      Or, c’est bien cette approche que le conseil de discipline a suivie en établissant son avis, ainsi que cela ressort de la réponse, mentionnée au point 60 du présent arrêt, de son président à la demande de clarification adressée par l’AIPN, lesdites demande de clarification et réponse ayant été jointes en annexe à la décision de rejet de la réclamation.

63      Il s’ensuit qu’en l’espèce le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en faisant sienne l’appréciation du conseil de discipline telle que clarifiée dans la décision de rejet de la réclamation.

64      En ce qui concerne les courriers du requérant au conseil de discipline des 8 janvier et 25 février 2013, il ressort sans aucune ambiguïté du point 94 de l’avis du conseil de discipline que celui-ci a pris en compte les témoignages y contenus, mais qu’il a estimé qu’ils n’étaient pas de nature à contredire la réalité et la gravité des infractions commises par le requérant.

65      Il s’ensuit que le premier grief doit être rejeté.

 Sur le second grief, concernant l’appréciation des circonstances atténuantes

–       Arguments des parties

66      Le requérant observe que, dans son avis, le conseil de discipline a exclu que son état de santé fragile puisse constituer une circonstance atténuante, au motif qu’il avait été considéré apte au travail par la commission d’invalidité dans ses conclusions du 23 mars 2011. Par ailleurs, lorsque, à l’inverse, la commission d’invalidité a conclu, le 13 février 2013, que le requérant était atteint d’une invalidité permanente considérée comme totale le mettant dans l’impossibilité d’exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions, le conseil de discipline a, quant à lui, estimé que cette invalidité n’était pas susceptible d’avoir pour effet d’atténuer la gravité des actes commis au cours de la période litigieuse, « bien antérieure ». En effet, selon le requérant, si la première période de référence (allant du 1er février au 31 juillet 2009) est séparée de 20 mois des premières conclusions de la commission d’invalidité et n’a pas été considérée comme « bien antérieure » à ces dernières, il n’y a pas de raison que la seconde période de référence (allant du 1er avril 2010 au 31 mai 2011), séparée de 21 mois des secondes conclusions de la commission d’invalidité, ait été considérée comme « bien antérieure » à celles‑ci.

67      Ensuite, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir pris en compte son état de santé et son traitement médicamenteux lourd, qui étaient à l’origine de ses difficultés à se conformer à son horaire de travail.

68      Le Conseil conclut au rejet du second grief.

–       Appréciation du Tribunal

69      Le second grief ne peut qu’être rejeté. En effet, il est constant que le requérant a été considéré comme étant apte au travail par la commission d’invalidité dans ses conclusions du 23 mars 2011. Il s’ensuit donc que, pour la plus grande partie des périodes prises en considération par le conseil de discipline, à savoir entre le 1er février et le 31 juillet 2009 et entre le 1er avril 2010 et le 31 mai 2011, périodes endéans lesquelles se situent les infractions commises, le requérant était apte au travail.

70      Il s’ensuit également que les conclusions de la commission d’invalidité, du 13 février 2013, constatant l’invalidité permanente du requérant ne permettent pas de faire des déductions quant à l’évolution de son état de santé et aux éventuelles répercussions de celui-ci sur son comportement et sa conduite pendant les périodes prises en compte par les enquêtes administratives.

71      Il y a lieu, par conséquent, de rejeter le premier moyen et, partant, de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

72      Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

73      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que le requérant a succombé en son recours. En outre, le Conseil a, dans ses conclusions, expressément demandé que le requérant soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, le requérant doit supporter ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par le Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Coedo Suárez supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Barents

Perillo

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 mars 2015.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       R. Barents


* Langue de procédure : le français.