Language of document : ECLI:EU:T:2019:193

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

26 mars 2019 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en République démocratique du Congo – Liste des personnes et entités auxquelles s’appliquent le gel des fonds et des ressources économiques et la prohibition d’entrée et de passage en transit – Inclusion du nom des parties requérantes sur la liste – Droits de la défense – Droit d’être entendu – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation – Droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑582/17,

Évariste Boshab, demeurant à Kinshasa (République démocratique du Congo), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés initialement par Mes P. Chansay Wilmotte, A. Kalambay Ndaya et P. Okito Omole, puis par Mes T. Bontinck, M. Forgeois, P. De Wolf et A. Guillerme, avocats,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par Mme M. Veiga et M. B. Driessen, puis par MM. Driessen et J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2017/904 du Conseil, du 29 mai 2017, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2017, L 138 I, p. 1), et de la décision d’exécution (PESC) 2017/905 du Conseil, du 29 mai 2017, mettant en œuvre la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2017, L 138 I, p. 6), en ce que ces actes concernent les requérants,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et R. da Silva Passos (rapporteur), juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 13 décembre 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérants, M. Évariste Boshab et les autres personnes dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants de la République démocratique du Congo.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives imposées par le Conseil de l’Union européenne en vue de l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo et de l’exercice de pressions sur les personnes et entités agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à cet État.

3        Le 21 octobre 2002, le Conseil a adopté la position commune 2002/829/PESC, concernant la fourniture de certains équipements à destination de la République démocratique du Congo (JO 2002, L 285, p. 1), qui a interdit la fourniture et la vente à destination de cet État, par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres, d’armements et de matériels connexes de quelque type que ce soit.

4        Le 29 septembre 2003, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 1727/2003, imposant certaines mesures restrictives à l’égard de la République démocratique du Congo (JO 2003, L 249, p. 5).

5        Le 13 juin 2005, le Conseil a adopté la position commune 2005/440/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2002/829 (JO 2005, L 152, p. 22).

6        À la même date, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 889/2005, instituant certaines mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant le règlement no 1727/2003 (JO 2005, L 152, p. 1), qui a introduit un ensemble de mesures sur l’interdiction de fournir une assistance technique et financière ayant un rapport avec des activités militaires de cet État.

7        Le 18 juillet 2005, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60, 301 et 308 CE, le règlement (CE) no 1183/2005, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2005, L 193, p. 1).

8        Le 14 mai 2008, le Conseil a adopté la position commune 2008/369/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2005/440 (JO 2008, L 127, p. 84).

9        Le 20 décembre 2010, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2010/788/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2008/369 (JO 2010, L 336, p. 30).

10      Le 20 avril 2015, le Conseil a adopté le règlement (UE) 2015/613 (JO 2015, L 102, p. 3), qui a modifié le règlement no 1183/2005 et abrogé le règlement no 889/2005.

11      Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2016/2231, modifiant la décision 2010/788 (JO 2016, L 336 I, p. 7).

12      À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2016/2230, modifiant le règlement no 1183/2005 (JO 2016, L 336 I, p. 1).

13      Les considérants 2 à 4 de la décision 2016/2231 se lisent comme suit :

« (2) Le 17 octobre 2016, le Conseil a adopté des conclusions faisant état d’une profonde préoccupation quant à la situation politique en République démocratique du Congo (RDC). En particulier, il y condamnait vivement les actes d’une extrême violence qui ont été commis les 19 et 20 septembre à Kinshasa, indiquant que ces actes ont encore aggravé la situation d’impasse dans laquelle se trouve le pays du fait de la non-convocation des électeurs à l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel fixé au 20 décembre 2016.

(3)       Le Conseil a souligné que, afin d’assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue et des élections, le gouvernement de la RDC doit clairement s’engager à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et cesser toute instrumentalisation de la justice. Il a également exhorté tous les acteurs à rejeter l’usage de la violence.

(4)       Le Conseil s’est également déclaré prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition, y compris le recours à des mesures restrictives contre ceux qui sont responsables de graves violations des droits de l’homme, incitent à la violence ou qui font obstacle à une sortie de crise consensuelle, pacifique et respectueuse de l’aspiration du peuple de la RDC à élire ses représentants. »

14      L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« 2.       Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et entités :

a)      faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC, notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit ;

b)      contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en RDC ;

c)      associées à celles visées [sous] a) et b),

dont la liste figure à l’annexe II. »

15      Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées à l’article 3 ».

16      L’article 5, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, établit que « [s]ont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques que les personnes ou entités visées à l’article 3 possèdent ou contrôlent directement ou indirectement, ou qui sont détenus par des entités que ces personnes ou entités ou toute personne ou entité agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, qui sont visées aux annexes I et II, possèdent ou contrôlent directement ou indirectement ». Selon le paragraphe 2 du même article, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [a]ucun fonds, autre avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit ».

17      L’article 6 de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« 1. Le Conseil modifie la liste figurant à l’annexe I sur la base des décisions prises par le Conseil de sécurité des Nations unies ou le comité des sanctions.

2. Le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie la liste qui figure à l’annexe II. »

18      Le règlement 2016/2230 a modifié le règlement no 1183/2005. Selon son considérant 3, « [u]ne action réglementaire au niveau de l’Union est dès lors nécessaire pour donner effet à la décision [...] 2016/2231, en particulier afin de garantir son application uniforme par les opérateurs économiques dans tous les États membres ».

19      L’article 2 du règlement no 1183/2005, tel que modifié par le règlement 2016/2230, prévoit ce qui suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis, qui sont en leur possession ou qui sont détenus ou contrôlés par ceux-ci, directement ou indirectement, y compris par un tiers agissant pour leur compte ou sur leurs instructions.

2. Aucun fonds ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis ni utilisé à leur profit. »

20      L’article 2 ter du règlement no 1183/2005, inséré dans ce dernier par le règlement 2016/2230, établit ce qui suit :

« 1. L’annexe I bis comprend les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes désignés par le Conseil pour l’un des motifs suivants :

a)      faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC, notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit ;

b)      préparant, dirigeant ou commettant des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en RDC ;

c)      étant associés aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes visés [sous] a) et b).

2. L’annexe I bis indique les motifs pour lesquels les personnes et entités figurant sur la liste y ont été inscrites.

3. L’annexe I bis contient également, lorsqu’elles sont disponibles, les informations nécessaires à l’identification des personnes ou entités concernées. En ce qui concerne les personnes physiques, ces informations peuvent comprendre les noms et prénoms, y compris les pseudonymes, la date et le lieu de naissance, la nationalité, les numéros du passeport et de la carte d’identité, le genre, l’adresse si elle est connue, et la fonction ou la profession. En ce qui concerne les entités, ces informations peuvent comprendre la dénomination, le lieu et la date d’enregistrement, le numéro d’enregistrement et l’adresse professionnelle. »

21      L’article 9 du règlement no 1183/2005, tel que modifié par le règlement 2016/2230, prévoit ce qui suit :

« 1. Si le Conseil de sécurité des Nations unies ou le Comité des sanctions désigne une personne physique ou morale, une entité ou un organisme, le Conseil ajoute cette personne physique ou morale, cette entité ou cet organisme à l’annexe I.

2. Le Conseil établit et modifie la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes figurant à l’annexe I bis.

3. Le Conseil communique sa décision, notamment les motifs de l’inscription sur la liste, à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme visé aux paragraphes 1 et 2, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations. »

22      Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté, sur le fondement notamment de l’article 31, paragraphe 2, TUE, et de l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, la décision d’exécution (PESC) 2017/905, mettant en œuvre la décision 2010/788 (JO 2017, L 138 I, p. 6).

23      À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/904, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1183/2005 (JO 2017, L 138 I, p. 1).

24      Le considérant 2 du règlement 2017/904 et de la décision 2017/905 se lit comme suit :

« Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/2231 en réponse aux entraves au processus électoral et aux violations des droits de l’homme qui y sont liées en République démocratique du Congo (RDC). Le 6 mars 2017, le Conseil a adopté des conclusions dans lesquelles il s’est déclaré gravement préoccupé par la situation politique en RDC provoquée par le blocage dans la mise en œuvre de l’accord politique inclusif du 31 décembre 2016, ainsi que par la situation sécuritaire dans plusieurs régions du pays, où un usage disproportionné de la force a été observé. »

25      Le nom de chacun des requérants a été ajouté par la décision 2017/905 à la liste des personnes et entités figurant à l’annexe II de la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision 2016/2231.

26      Le nom de chacun des requérants a été ajouté par le règlement 2017/904 à la liste des personnes et entités figurant à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005.

27      Dans l’annexe II de la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision 2017/905, et dans l’annexe I bis du règlement no 1183/2005, telle que modifiée par le règlement 2017/904, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant les requérants par la mention des motifs suivants :

–        M. Évariste Boshab : « En sa qualité de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de décembre 2014 à décembre 2016, Évariste Boshab était officiellement responsable des services de police et de sécurité ainsi que de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux. À ce titre, il s’est rendu responsable de l’arrestation de militants et de membres de l’opposition, ainsi que d’un recours disproportionné à la force, notamment entre septembre 2016 et décembre 2016, en réponse à des manifestations organisées à Kinshasa, pendant lesquelles de nombreux civils ont été tués ou blessés par les services de sécurité. Évariste Boshab a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

–        M. Alex Kande Mupompa : « En tant que gouverneur du Kasaï Central, Alex Kande Mupompa est responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires, qui sont le fait des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016, y compris les assassinats illégaux présumés de miliciens Kamuina Nsapu et de civils à Mwanza Lomba, Kasaï Central, en février 2017.

Alex Kande Mupompa a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

–        M. Jean-Claude Kazembe Musonda : « En tant que gouverneur du Haut-Katanga jusqu’en avril 2017, Jean-Claude Kazembe Musonda a été responsable du recours disproportionné à la force et de la répression violente qu’ont exercé les forces de sécurité et la PNC dans le Haut-Katanga, notamment entre le 15 et le 31 décembre 2016, période pendant laquelle 12 civils ont été tués et 64 blessés en raison d’un usage de la force létale par les forces de sécurité, notamment des agents de la PNC, en réponse à des protestations à Lubumbashi.

Jean-Claude Kazembe Musonda a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

–        M. Lambert Mende : « En tant que ministre des Communications et des Médias depuis 2008, Lambert Mende est responsable de la politique répressive menée envers les médias en RDC, politique qui viole le droit à la liberté d’expression et d’information et compromet une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC. Le 12 novembre 2016, il a adopté un décret limitant la possibilité pour des médias étrangers de diffuser en RDC.

En violation de l’accord politique conclu le 31 décembre 2016 entre la majorité présidentielle et les partis d’opposition, en mai 2017 la diffusion d’un certain nombre de médias n’avait toujours pas repris.

En sa qualité de ministre des Communications et des Médias, Lambert Mende est donc responsable d’avoir fait obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC, notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit. »

–        M. Muhindo Akili Mundos : « Muhindo Akili Mundos était le commandant des FARDC, dans le cadre de l’opération Sukola I, responsable d’opérations militaires contre les Forces démocratiques alliées (ADF) d’août 2014 à juin 2015. Il a recruté et équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014.

Muhindo Akili Mundos a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

–        M. Éric Ruhorimbere : « En tant que commandant adjoint de la 21e région militaire depuis le 18 septembre 2014, Éric Ruhorimbere s’est rendu responsable du recours disproportionné à la force et des exécutions extrajudiciaires perpétrées par les FARDC, notamment contre les milices Nsapu, ainsi que des femmes et des enfants.

Éric Ruhorimbere a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

–        M. Ramazani Shadary : « Dans ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité depuis le 20 décembre 2016, Ramazani Shadary est officiellement responsable des services de police et de sécurité ainsi que de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux. À ce titre, il est responsable de la récente arrestation d’activistes et de membres de l’opposition, ainsi que de l’usage disproportionné de la force depuis sa nomination, tel que les mesures de répression violente prises contre des membres du mouvement Bundu Dia Kongo (BDK) au Kongo Central, la répression à Kinshasa en janvier et février 2017 et le recours disproportionné à la force et à la répression violente dans les provinces du Kasaï.

À ce titre, Ramazani Shadary contribue donc, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

–        M. Kalev Mutondo : « Depuis longtemps directeur de l’Agence nationale du renseignement (ANR), Kalev Mutondo est impliqué dans l’arrestation arbitraire et la détention de membres de l’opposition, de militants de la société civile et d’autres personnes, ainsi que dans les mauvais traitements qui leur ont été infligés, et en porte la responsabilité. Par conséquent, il a porté atteinte à l’État de droit, fait obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC, et planifié ou dirigé des actes qui constituent de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

28      Le 30 mai 2017, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2010/788, mise en œuvre par la décision 2017/905, et par le règlement no 1183/2005, mis en œuvre par le règlement 2017/904, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2017, C 169, p. 4, ci-après l’« avis du 30 mai 2017 »). Par cet avis, le Conseil a notamment attiré l’attention des personnes figurant sur la liste publiée en annexe à la décision 2017/905 et en annexe au règlement 2017/904 (ci-après les « listes litigieuses ») sur la possibilité de présentation aux autorités compétentes de l’État membre concerné, selon les indications figurant sur les sites Internet énumérés à l’annexe II du règlement no 1183/2005, d’une demande visant à obtenir l’autorisation d’utiliser des fonds gelés pour couvrir des besoins fondamentaux ou procéder à certains paiements. Par le même avis, les personnes concernées ont également été informées du fait qu’elles pouvaient adresser au Conseil, avant le 1er octobre 2017, une demande de réexamen de la décision par laquelle elles avaient été inscrites sur les listes litigieuses, en y joignant des pièces justificatives, ainsi que du fait qu’il était possible de contester la décision du Conseil devant la Cour de justice de l’Union européenne, dans les conditions prévues à l’article 275, deuxième alinéa, et à l’article 263, quatrième et sixième alinéas, TFUE.

 Procédure et conclusions des parties

29      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 août 2017, les requérants ont introduit le présent recours.

30      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

31      Par lettre du 11 décembre 2018, les requérants ont informé le Tribunal de leur décision de se désister des troisième, quatrième et cinquième moyens, à l’exception des développements relatifs au droit à une protection juridictionnelle effective.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 13 décembre 2018. À cette occasion, les requérants ont confirmé leur décision de se désister complètement des troisième, quatrième et cinquième moyens, ce dont il a été pris acte au procès-verbal de l’audience.

33      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement 2017/904 et la décision 2017/905 (ci-après les « actes attaqués »), pour autant que ces actes les concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

34      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

35      Dans la duplique, le Conseil demande à ce qu’il plaise au Tribunal, conformément à l’article 264, deuxième alinéa, TFUE, de maintenir, dans le cas où il déciderait d’annuler partiellement la décision attaquée en ce qu’elle vise un ou plusieurs requérants, les effets de la décision attaquée jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit, jusqu’au rejet de celui-ci.

 En droit

36      À l’appui de leur recours, les requérants invoquent, en substance, cinq moyens, tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’erreurs manifestes d’appréciation, le troisième, de l’absence de notification individuelle des actes attaqués, le quatrième, de l’absence de communication préalable des éléments à charge et, le cinquième, de la violation du droit d’être entendu et du droit à une protection juridictionnelle effective.

37      Ainsi que cela a été mentionné aux points 31 et 32 ci-dessus, par lettre du 11 décembre 2018, les requérants se sont désistés des troisième, quatrième et cinquième moyens, ce qu’ils ont confirmé lors de l’audience. Dès lors, il y a lieu d’examiner uniquement les premier et deuxième moyens.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

38      Il convient de rappeler que l’obligation de motiver un acte faisant grief, ainsi prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. L’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit de l’Union auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. Partant, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant être régularisée par le fait que l’intéressé prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union (arrêt du 7 décembre 2011, HTTS/Conseil, T‑562/10, EU:T:2011:716, point 32).

39      Ensuite, en ce qui concerne les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), il y a lieu de souligner que, dans la mesure où la personne concernée ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’adoption d’une décision initiale d’inscription, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important, puisqu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé, à tout le moins après l’adoption de cette décision, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite décision (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 51).

40      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu de porter à la connaissance d’une personne ou d’une entité visée par des mesures restrictives les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère qu’elles devaient être adoptées. Il doit ainsi énoncer les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale des mesures concernées et les considérations qui l’ont amené à les prendre (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 144).

41      Par ailleurs, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre les raisons et la portée de la mesure prise à son égard (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54, et du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 82).

42      L’obligation de motivation à laquelle le Conseil est tenu porte, d’une part, sur l’indication de la base juridique de la mesure adoptée et, d’autre part, sur les circonstances qui permettent de considérer que l’un ou l’autre des critères d’inscription est satisfait dans le cas des intéressés (arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran/Conseil, T‑262/12, non publié, EU:T:2014:777, point 86). À cet égard, la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive doit non seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 52, et du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 55).

43      Il importe, à cet égard, de rappeler que l’omission de la référence à une disposition précise ne peut constituer un vice substantiel lorsque la base juridique d’un acte peut être déterminée à l’appui d’autres éléments de celui-ci. Une telle référence explicite est cependant indispensable lorsque, à défaut de celle-ci, les intéressés et le juge de l’Union sont laissés dans l’incertitude quant à la base juridique précise (arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran/Conseil, T‑262/12, non publié, EU:T:2014:777, point 87).

44      Par conséquent, il y a lieu d’examiner si la motivation du règlement attaqué contient des références explicites au critère litigieux et si, le cas échéant, cette motivation peut être regardée comme suffisante pour permettre à la partie requérante de vérifier le bien-fondé de l’acte litigieux, de se défendre devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran/Conseil, T‑262/12, non publié, EU:T:2014:777, point 88).

45      En l’espèce, les requérants font valoir que les actes attaqués sont motivés de façon manifestement trop vague et imprécise pour que cette motivation puisse être regardée comme suffisante. Ils soutiennent que lesdits actes, en n’indiquant pas de faits précis qui leur seraient imputables et en utilisant des expressions telles que « gravité de la situation » ou « il s’est rendu coupable de l’arrestation de militants et de membres de l’opposition, ainsi que d’un recours disproportionné à la force » les privent de la possibilité d’exercer utilement leurs droits de la défense.

46      Le Conseil conteste ces arguments.

47      À cet égard, premièrement, au considérant 2 de chacun des actes attaqués, mentionné au point 24 ci-dessus, le Conseil a exposé le contexte général l’ayant conduit à étendre le champ d’application personnel des mesures restrictives instaurées à l’encontre de la République démocratique du Congo. Il en ressort que ce contexte général portait, d’une part, sur la gravité de la situation liée aux entraves au processus électoral et aux violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo et, d’autre part, sur le blocage dans la mise en œuvre de l’accord politique inclusif du 31 décembre 2016 et à la situation sécuritaire dans plusieurs régions du pays, où un usage disproportionné de la force avait été observé. Ce contexte était nécessairement connu de tous les requérants, au regard de leur position de responsables politiques dans ce pays, s’agissant de MM. Boshab, Kande Mupompa, Kazembe Musonda et Shadary, de commandement au sein des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), s’agissant de MM. Akili Mundos et Ruhorimbere, et de haut responsable dans l’Agence nationale du renseignement (ANR), s’agissant de M. Mutondo.

48      Deuxièmement, selon l’article 3, paragraphe 2, sous a) à c), de la décision 2010/788, les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de ladite décision sont instituées à l’encontre des personnes et entités, dont la liste figure à son annexe II, « a) faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC, notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit », « b) contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en RDC » ou « c) associées à celles visées [sous] a) et b) ». De même, selon l’article 2 ter du règlement no 1183/2005, l’annexe I bis de ce dernier comprend les personnes ou entités désignées par le Conseil par l’un des motifs qui y sont indiqués et qui sont identiques à ceux mentionnés à l’article 3, paragraphe 2, sous a) à c), de la décision 2010/788.

49      Troisièmement, il convient de constater que la motivation, mentionnée au point 27 ci-dessus, invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour l’inscription de chacun des requérants, identifie les éléments spécifiques et concrets, en matière de fonctions professionnelles respectives et de type d’acte visé, qui traduisent, pour le Conseil, une implication, premièrement, de MM. Boshab, Kande Mupompa, Kazembe Musonda, Akili Mundos, Ruhorimbere, Shadary et Mutondo dans des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo, et, deuxièmement, de MM. Mende et Mutondo dans des actes faisant obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en République démocratique du Congo, notamment dans des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence ou des actions portant atteinte à l’État de droit. Cette motivation permet, en effet, de comprendre les raisons ayant conduit le Conseil à adopter des mesures restrictives à l’encontre de chacun des requérants.

50      En premier lieu, quant à M. Boshab, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour son inscription porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de décembre 2014 à décembre 2016 et, par conséquent, en tant que responsable des services de police et de sécurité ainsi que de coordination du travail des gouverneurs provinciaux, dans l’arrestation de militants et de membres de l’opposition ainsi que d’un recours disproportionné à la force, notamment entre septembre et décembre 2016, en réponse à des manifestations organisées à Kinshasa (République démocratique du Congo), pendant lesquelles de nombreux civils ont été tués ou blessés par les services de sécurité. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Boshab, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de décembre 2014 à décembre 2016, pour les actes susmentionnés. M. Boshab ne pouvait donc raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité qu’il avait exercées et, par conséquent, de responsable des services de police et de sécurité ainsi que de coordination du travail des gouverneurs provinciaux, le Conseil a mis en exergue que, eu égard à ses fonctions, il disposait d’un pouvoir de fait d’influencer de façon directe les services de police et de sécurité, lesquels avaient été responsables des actes susmentionnés.

51      En deuxième lieu, en ce qui concerne M. Kande Mupompa, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour son inscription porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, au titre de ses fonctions de gouverneur du Kasaï Central (République démocratique du Congo), dans le recours disproportionné à la force, la répression violente et les exécutions extrajudiciaires, par les forces de sécurité et la Police nationale congolaise (PNC) au Kasaï Central depuis 2016, y compris les assassinats illégaux présumés de miliciens « Kamuina Nsapu » et de civils à Mwanza Lomba en février 2017. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Kande Mupompa, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de gouverneur de la province du Kasaï Central, pour les actes susmentionnés. M. Kande Mupompa ne pouvait raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de gouverneur du Kasaï Central, le Conseil a mis en exergue le fait que, eu égard à ses fonctions, il disposait d’un pouvoir de fait d’influencer de façon directe les forces de sécurité et de la PNC dans cette province, lesquelles avaient notamment été responsables des actes susmentionnés.

52      En troisième lieu, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour l’inscription de M. Kazembe Musonda porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, au titre de ses fonctions de gouverneur du Haut-Katanga (République démocratique du Congo) jusqu’en avril 2017, dans le recours disproportionné à la force et la répression violente par les forces de sécurité et la PNC dans le Haut-Katanga, notamment entre les 15 et 31 décembre 2016 à Lubumbashi. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Kazembe Musonda, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de gouverneur du Haut-Katanga jusqu’en avril 2017, pour les actes susmentionnés. M. Kazembe Musonda ne pouvait raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de gouverneur du Haut-Katanga, le Conseil a mis en exergue le fait que, eu égard auxdites fonctions jusqu’en avril 2017, il disposait d’un pouvoir de fait d’influencer de façon directe les forces de sécurité et de la PNC dans cette province, lesquelles avaient notamment été responsables d’un recours disproportionné à la force et à la répression violente aux dates susmentionnées à Lubumbashi.

53      En quatrième lieu, quant à M. Mende, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour son inscription porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, au titre de ses fonctions de ministre des Communications et des Médias depuis 2008, dans la politique répressive envers les médias en République démocratique du Congo, en violation du droit à la liberté d’expression et d’information, notamment en adoptant, le 12 novembre 2016, un décret limitant la possibilité pour des médias étrangers de diffuser en République démocratique du Congo et en violant l’accord politique du 31 décembre 2016 entre la majorité présidentielle et les parties de l’opposition, dans la mesure où, en mai 2017, la diffusion d’un certain nombre de médias n’avait toujours pas repris. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Mende, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de ministre des Communications et des Médias depuis 2008, pour les actes susmentionnés. M. Mende ne pouvait donc raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de ministre des Communications et des Médias, le Conseil a mis en exergue le fait que, eu égard auxdites fonctions depuis 2008, il disposait d’un pouvoir de mettre en œuvre une politique répressive envers les médias, ce qui, selon le Conseil, avait été le cas.

54      En cinquième lieu, en ce qui concerne M. Akili Mundos, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour son inscription porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, au titre de ses fonctions de commandant des FARDC, dans le cadre de l’opération Sukola I, par des opérations militaires contre les Forces démocratiques alliées (ADF) d’août 2014 à juin 2015, plus concrètement d’avoir recruté et équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Akili Mundos, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de commandant des FARDC, pour les actes susmentionnés. M. Akili Mundos ne pouvait donc raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de commandant des FARDC dans lesdites opérations militaires, le Conseil a mis en exergue le fait que, eu égard auxdites fonctions, il disposait d’un pouvoir d’influencer de façon directe les effectifs des FARDC et était donc responsable des actes susmentionnés.

55      En sixième lieu, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour l’inscription de M. Ruhorimbere porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, en tant que commandant adjoint de la 21e région militaire depuis le 18 septembre 2014, dans le recours disproportionné à la force et dans des exécutions extrajudiciaires perpétrées par les FARDC, notamment contre les milices « Nsapu », ainsi que des femmes et des enfants. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Ruhorimbere, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de commandant adjoint des FARDC, pour les actes susmentionnés. M. Ruhorimbere ne pouvait donc raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de commandant adjoint de la 21e région militaire, le Conseil a mis en exergue le fait que, eu égard à ses fonctions, il disposait d’un pouvoir d’influencer de façon directe les effectifs des FARDC et était donc responsable des actes susmentionnés.

56      En septième lieu, quant à M. Shadary, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour son inscription porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité et, par conséquent, en tant que responsable des services de police et de sécurité ainsi que de coordination du travail des gouverneurs provinciaux, dans l’arrestation d’activistes et de membres de l’opposition, ainsi que dans l’usage disproportionné de la force depuis sa nomination le 20 décembre 2016, tel que les mesures de répression violente prises contre des membres du mouvement « Bundu Dia Kongo » (BDK) au Kongo Central, la répression à Kinshasa en janvier et en février 2017 et le recours disproportionné à la force et à la répression violente dans les provinces du Kasaï. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Shadary, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité depuis le 20 décembre 2016, pour les actes susmentionnés. M. Shadary ne pouvait donc raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité et, par conséquent, de responsable des services de police et de sécurité ainsi que de coordination du travail des gouverneurs provinciaux, le Conseil a mis en exergue le fait que, eu égard à ses fonctions, il disposait d’un pouvoir de fait d’influencer de façon directe les services de police et de sécurité, lesquels avaient été responsables des actes susmentionnés.

57      En huitième lieu, en ce qui concerne M. Mutondo, la motivation invoquée par le Conseil dans les actes attaqués pour son inscription porte sur la prétendue responsabilité de ce dernier, au titre de ses fonctions de directeur de l’ANR, dans l’arrestation arbitraire et la détention de membres de l’opposition, de militants de la société civile et d’autres personnes, ainsi que dans les mauvais traitements qui leur ont été infligés. La lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil se fonde sur des éléments spécifiques et concrets l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de M. Mutondo, en raison de la responsabilité de ce dernier, au titre de sa fonction de directeur de l’ANR, pour les actes susmentionnés. M. Mutondo ne pouvait donc raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes attaqués, à ses fonctions de directeur de l’ANR, le Conseil a mis en exergue le fait que, eu égard à ses fonctions, il disposait d’un pouvoir de fait d’influencer de façon directe les effectifs de l’ANR, lesquels avaient été responsables des actes susmentionnés.

58      Par les indications fournies dans les actes attaqués, et à la lumière de la jurisprudence mentionnée aux points 38 à 44 ci-dessus, les requérants étaient donc en mesure de connaître les raisons de leur inscription sur les listes litigieuses et de contester utilement le bien-fondé des mesures restrictives adoptées à leur encontre, ce qu’ils ont d’ailleurs fait dans le présent recours.

59      Il s’ensuit que la motivation des actes attaqués était suffisante pour permettre à chacun des requérants d’en contester la validité et au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité.

60      Par ailleurs, la question de savoir si la motivation est fondée ne relève pas de l’appréciation du présent moyen, mais de celle du deuxième moyen. À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).

61      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme non fondé, le bien-fondé des motifs fournis par le Conseil à l’égard des requérants devant être apprécié dans le cadre du deuxième moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

62      Dans le cadre de ce moyen, les requérants contestent le bien-fondé des motifs des actes attaqués pour autant qu’ils les concernent.

63      À cet égard, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme étant suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

64      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

65      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 224 et jurisprudence citée).

66      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le deuxième moyen.

 En ce qui concerne M. Boshab

67      M. Boshab conteste, d’une part, sa responsabilité dans l’arrestation des militants et des membres de l’opposition ainsi que dans le recours disproportionné à la force par les services de sécurité, en invoquant notamment ses efforts pour maintenir les services dans l’humanisation de leurs rapports avec les citoyens et en contestant la conclusion du Conseil selon laquelle le recours à la force par les effectifs placés sous sa responsabilité était illégal et disproportionné. D’autre part, il fait valoir que le Conseil lui impute des fonctions qu’il n’a pas eues, notamment de coordination du travail des gouverneurs de province, et observe que le pouvoir hiérarchique dont il disposait en tant que ministre de l’Intérieur et de la Sécurité sur les services de sécurité ne peut s’entendre comme une intégration à la structure de commandement de la police et se limite, en pratique, à la transmission de rapports mensuels par le commissaire général. En outre, il conteste son implication actuelle dans les faits qui fondent la décision de maintenir son nom sur les listes litigieuses, dans la mesure où il a quitté ses fonctions ministérielles le 19 décembre 2016.

68      Le Conseil conteste ces arguments.

69      En premier lieu, en ce qui concerne la responsabilité de M. Boshab dans l’arrestation des militants et des membres de l’opposition ainsi que dans le recours disproportionné à la force par les services de sécurité, il ressort tout d’abord de la page 11 de l’annexe B.3, un rapport du bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) sur les violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo dans le contexte des événements du 19 décembre 2016 (ci-après l’« annexe B.3 »), que, « [e]ntre le 15 et le 31 décembre 2016, le BCNUDH a pu documenter qu’au moins 40 personnes ont été tuées, dont cinq femmes et deux enfants, 147 blessées, dont 14 femmes et 18 enfants, par un usage excessif et disproportionné de la force, y compris l’utilisation de balles réelles, par les forces de défense et de sécurité, principalement par les militaires des [FARDC], afin d’empêcher la population de prendre part aux mouvements de protestation ». Selon ce document, « [a]lors que la responsabilité de contrôler et de sécuriser les foules incombe normalement à la [PNC], pendant la période sous analyse, des militaires des FARDC, en particulier ceux de la Garde républicaine et de la Police Militaire, ont été déployés en plus de la PNC pour exercer des fonctions de contrôle des foules pour lesquelles ils ne sont ni équipés, ni formés » et « [a]u cours de la même période, au moins 917 personnes, y compris 30 femmes et 95 enfants, ont été arrêtés par les agents de l’État dans tout le pays ». De plus, selon ce document, « [l]e BCNUDH n’a pas été en mesure de confirmer toutes les allégations qui ont été portées à son attention en raison d’un refus d’accès à des camps et autres structures militaires, ainsi qu’à des morgues et des hôpitaux, auquel ses équipes ont été confrontées » et, « [a]insi[,] le nombre effectif de victimes pourrait être plus élevé que celui mentionné dans ce rapport ». Toujours selon ce document, « [l]es opérations des autorités congolaises ont été mises en œuvre à travers une restriction illégale et disproportionnée des libertés publiques, y compris le droit aux libertés d’expression, d’information et de réunion pacifique, en violation des standards internationaux en matière des droits de l’homme, ainsi que de la Constitution de la RDC » et « [l]es violations des droits de l’homme documentées pendant la période en revue confirment la tendance des autorités à restreindre l’espace démocratique en RDC, rapportée depuis janvier 2015 ».

70      Il ressort, en outre, du point 28 du même rapport, mentionné au point 69 ci-dessus, que, « [e]ntre le 15 et le 31 décembre 2016, [...] [d]ans les principales villes de la RDC, les forces de défense et de sécurité, dont les agents de la PNC, [...] ont été massivement déployées dans le but d’empêcher et de répondre aux manifestations publiques attendues [...] ». Le point 30 de ce même rapport indique que, « [a]vant, pendant et après les manifestations, les forces de défense et sécurité ont par ailleurs procédé à des arrestations à grande échelle de personnes suspectées de planifier ou de participer à des manifestations, dont des membres et des militants de partis d’opposition et de mouvements citoyens » et que, « [e]ntre le 15 et le 31 décembre [...], au moins 917 personnes, dont 30 femmes et 95 enfants, auraient été arrêtées en RDC par les forces de défense et sécurité ». Il résulte du point 34 du même document que, « [à] Lubumbashi, entre le 15 et le 31 décembre 2016, le BCNUDH a documenté la mort de 12 personnes, et 64 blessés, pour la plupart résultant de l’utilisation de la force létale par les forces de défense et de sécurité, dont les agents de la PNC et des militaires des FARDC ». Au point 40 dudit rapport, il est décrit que, « [à] Kinshasa, au moins 184 personnes, dont deux femmes et quatre enfants, ont été arrêtées par les forces de défense et de sécurité dans le cadre des événements du 19 décembre », que « [l]es premières arrestations massives ont débuté le 18 décembre, lorsque des agents de la PNC ont arrêté au moins 20 jeunes dans le quartier de Kasa-Vubu » et que, « [v]ers minuit, quand la population était plus nombreuse dans la rue, des agents de la PNC et des militaires des FARDC ont arrêté au moins 50 personnes, particulièrement dans la commune de Masina ». Enfin, selon le point 40 de ce rapport, « [à] Goma, au moins 115 personnes, dont cinq femmes, des membres des partis de l’opposition et de mouvements de citoyens, ont été arrêtés par les forces de défense et de sécurité dans le cadre des manifestations contre le président Kabila » et que, « [l]e 19 décembre, l’ANR a arrêté cinq personnes et des agents de la PNC ont arrêté 22 personnes pour avoir porté des t-shirts rouges symbolisant un ‘‘carton rouge’’ donné au président Kabila ».

71      Ensuite, selon l’annexe B.4, un rapport préliminaire d’enquête du BCNUDH sur les violations des droits de l’homme et violences perpétrées dans le cadre des manifestations de Kinshasa entre les 19 et 21 septembre 2016 (ci-après l’« annexe B.4 »), à la page 44, « [e]ntre les 19 et 21 septembre 2016, le BCNUDH a documenté plus de 422 victimes de violations des droits de l’homme à Kinshasa par des agents étatiques », « [a]u total, le BCNUDH est en mesure de confirmer qu’au moins 53 personnes, dont sept femmes et deux enfants, et quatre policiers, ont été tuées », dont « [q]uarante-huit ont été tuées par des agents de l’État, tandis que les autres auteurs n’ont pas pu être clairement identifiés » et « [c]ent quarante-trois personnes, dont 13 femmes et 11 enfants, ont été blessées – y compris 75 par des agents de l’État et 68 par des individus non identifiés – ; et plus de 299 personnes ont été arrêtées et détenues illégalement ». À la page 50 de ce rapport, au paragraphe 28, il est mentionné que « [l]e BCNUDH a documenté qu’au moins 53 personnes, dont sept femmes et deux enfants, ont été tuées », que, « [a]u moins 48 personnes ont été tuées par des agents étatiques, dont au moins 18 par des agents de la PNC » et que, « [d]ans la plupart des cas, les décès ont été causés par un usage excessif de la force contre les manifestants, qui ne peut pas être considéré comme “absolument inévitable pour protéger des vies humaines” ». Il ressort de ce rapport, à la page 56, au paragraphe 63, que, « [d]u 19 au 21 septembre 2016, à Kinshasa, le BCNUDH a enregistré des violations graves des droits de l’homme témoignant d’un usage disproportionné et excessif de la force, y compris létale, par les autorités congolaises en réponse aux manifestations organisées par les membres de l’opposition ».

72      Enfin, d’après l’annexe B.5, un rapport du BCNUDH ayant comme objet l’« analyse de la situation des droits de l’homme en 2016 » (ci-après l’« annexe B.5 »), à la page 61, « [d]e janvier à décembre 2016, le BCNUDH a documenté 5 190 violations des droits humains dans toute la RDC, ce qui représente en moyenne plus de 432 violations des droits de l’homme par mois et une augmentation importante d’environ 30 % des violations des droits humains par rapport à 2015 (4 004 violations et une moyenne de 333 violations par mois) ». Selon ce document, « [c]ette augmentation peut s’expliquer par le fait que 2016, prévue pour être une année électorale, a été marquée par un grand nombre de violations liées aux restrictions de l’espace démocratique, notamment en raison du report des élections nationales initialement prévues pour 2016, ainsi que les activités accrues de plusieurs groupes armés dans les provinces touchées par les conflits ».

73      À cet égard, il convient de souligner que, selon les points 4 et 5 de l’annexe B.3, les informations contenues dans ce document ont été recueillies par le BCNUDH à travers ses six antennes à l’ouest de la République démocratique du Congo, ses 10 bureaux de terrain à l’est et son quartier général à Kinshasa. Il y est mentionné que « [l]e BCNUDH a effectué plusieurs visites des lieux où des incidents se sont passés ainsi que de ceux où les victimes ont été transférées, notamment les hôpitaux, les centres de santé et les morgues, ainsi que des centres de détention » et qu’il « a pu recueillir les informations auprès de différentes sources, telles que des victimes et des témoins des violations rapportées, des membres de la société civile, des professionnels de la santé, des autorités congolaises, y compris des représentants des forces de défense et de sécurité et des autorités judiciaires et pénitentiaires ». Selon cette annexe, « [l]es allégations reçues ont été vérifiées et corroborées à travers une méthodologie spécifique et une corroboration stricte des différents témoignages issus de sources indépendantes ». En outre, au paragraphe 8 de ladite annexe, il est mentionné que « le BCNUDH a partagé [le] rapport avec le Gouvernement avant sa publication » et que « [l]es commentaires reçus par les autorités congolaises sont en annexe [du] rapport ».

74      Quant à l’annexe B.4, selon ses points 7 et 8, le BCNUDH a adopté une approche « inclusive » de collecte et de confirmation de l’information, notamment par le biais d’entretiens avec plus de 112 victimes, témoins et autres sources, de visites des lieux précis des incidents, de visites d’au moins 26 hôpitaux et centres de santé, y compris la consultation de rapports médicaux de victimes des incidents en question, de rapports provenant de différentes sources, et d’au moins 29 réunions avec diverses autorités de l’État, y compris des représentants de l’état-major des renseignements militaires, de l’ANR, des FARDC et de la PNC ainsi que des autorités judiciaires et pénitentiaires. Il ressort des mêmes points de cette annexe que les conclusions du BCNUDH sont principalement fondées sur des informations de première main collectées par les officiers des droits de l’homme.

75      L’annexe B.5, quant à elle, dresse un bilan de la situation relative au respect des droits de l’homme en République démocratique du Congo pendant toute l’année 2016 et, de ce fait, les données contenues dans les annexes B.3 et B.4 font partie de celles qui ont été prises en compte pour son élaboration. Il est mentionné à la page 61 de cette annexe B.5 qu’elle se fonde sur des informations recueillies par le BCNUDH.

76      Il s’ensuit que la méthode d’élaboration de chacun de ces trois rapports, en particulier le fait que les autorités publiques concernées de la République Démocratique du Congo aient été entendues lors de la collecte et de la confirmation de l’information contenue dans chacun desdits rapports, lesdits rapports étant, au demeurant, publics, ainsi que le fait qu’ils proviennent d’une organisation internationale telle que l’Organisation des Nations unies (ONU) permettent au Tribunal de les prendre en compte et de considérer leur valeur probante comme étant suffisante, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, pour venir au soutien des motifs invoqués par le Conseil dans les actes attaqués, selon lesquels M. Boshab s’est rendu responsable de l’arrestation de militants et de membres de l’opposition, ainsi que d’un recours disproportionné à la force, notamment entre septembre et décembre 2016, en réponse à des manifestations organisées à Kinshasa, pendant lesquelles de nombreux civils ont été tués ou blessés par les services de police et de sécurité.

77      Or, en se limitant à indiquer, notamment dans la réplique, que le Conseil n’établit pas en quoi le recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard, notamment, des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique auxquels a dû faire face la population congolaise les derniers mois de 2016 et, plus généralement, à la situation extrêmement sensible en République démocratique du Congo, sans apporter le moindre élément probant de nature à contredire les faits, décrits aux points 69, 70, 71 et 72 ci-dessus, évoqués par le Conseil sur la base de trois rapports du BCNUDH, M. Boshab n’a pas sérieusement mis en cause les accusations avancées par le Conseil à cet égard, selon lesquelles il y a eu des arrestations arbitraires de militants et de membres de l’opposition ainsi qu’un recours disproportionné à la force par des services de police et de sécurité, notamment par des agents de la PNC, dont le responsable gouvernemental au moment de ces événements était M. Boshab, entre septembre et décembre 2016, en réponse à des manifestations organisées à Kinshasa.

78      En deuxième lieu, en ce qui concerne les responsabilités de M. Boshab en tant que responsable des services de police et de sécurité en République démocratique du Congo, dans les faits évoqués par le Conseil dans les motifs des actes attaqués, il apparaît, ainsi qu’il ressort de l’ordonnance no 15/015 du 21 mars 2015, que, de décembre 2014 à décembre 2016, M. Boshab était responsable en République démocratique du Congo, en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, de la politique de sûreté nationale, intérieure et extérieure ainsi que du maintien de l’ordre public, de la sécurité publique et de la protection des personnes et de leurs biens. Il ressort également du dossier, notamment de l’article 6 de la loi organique no 11/013 du 11 août 2011, portant organisation et fonctionnement de la PNC, que celle-ci était placée, pendant cette période, sous la responsabilité du ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions.

79      M. Boshab prétend, toutefois, que son pouvoir hiérarchique sur la PNC et les services de sécurité se limitait, en pratique, à la réception de rapports mensuels élaborés par le commissaire général de la PNC.

80      À cet égard, ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre, ce dernier n’est pas tenu de démontrer une implication personnelle de M. Boshab dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. Il est suffisant que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par M. Boshab, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile, d’autant plus que, dans le cas d’espèce, ce sont des effectifs appartenant à la PNC et à d’autres forces de sécurité, dont la responsabilité appartenait à M. Boshab en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, qui sont mentionnés dans les trois rapports du BCNUDH mentionnés aux points 69, 70, 71 et 72 ci-dessus, comme ayant été responsables des actes susvisés (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141).

81      Par ailleurs, la lettre reproduite dans l’annexe C.23 ne met pas en question la conclusion formulée au point 80 ci-dessus. Dans cette lettre du 20 mars 2015, envoyée, notamment, au commissaire général de la PNC et à l’administrateur général de l’ANR, M. Boshab rappelle la protection des droits fondamentaux reconnus aux citoyens par la Constitution congolaise et le respect de certaines règles par les forces de l’ordre et de la sécurité.

82      Or, d’une part, cette lettre n’est pas de nature à démontrer que les forces de l’ordre et de la sécurité placées sous la responsabilité de M. Boshab ont effectivement respecté les règles qui y ont été rappelées. Au contraire, ainsi que cela a été conclu au point 77 ci-dessus, M. Boshab n’a pas sérieusement mis en cause les accusations avancées par le Conseil dans les actes attaqués sur la base des trois rapports du BCNUDH mentionnés aux points 69, 70, 71 et 72 ci-dessus et qui font état d’arrestations de militants et de membres de l’opposition ainsi que d’un recours disproportionné à la force par des services de police et de sécurité, notamment par des agents de la PNC, dont le responsable gouvernemental au moment des événements en question était M. Boshab, entre septembre et décembre 2016, en réponse à des manifestations organisées à Kinshasa, et donc d’un manque de respect de telles règles par lesdits services de police et de sécurité. D’autre part, cette lettre n’est pas de nature à exonérer M. Boshab de la responsabilité dans les faits décrits dans ces trois rapports du BCNUDH et ne met ainsi pas en question la conclusion formulée au point 80 ci-dessus, dans la mesure où aucun élément n’indique que M. Boshab se serait distancié, lors des événements décrits dans les trois rapports du BCNUDH susmentionnés ou à la suite de tels événements, des agissements des services de police et de sécurité susmentionnés, dont il était le responsable politique.

83      Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’argument de M. Boshab, soulevé notamment au point 68 de la réplique, selon lequel le pouvoir hiérarchique dont M. Boshab disposait, en tant que ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, sur les services de sécurité se limitait à la réception de rapports mensuels et selon lequel le « pouvoir hiérarchique du [m]inistre de l’[I]ntérieur et de la [S]écurité sur la [p]olice nationale et les services de sécurité (...) ne peut donc s’entendre comme une intégration à la structure de commandement de la police ».

84      En troisième lieu, quant aux responsabilités de M. Boshab en tant que responsable de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux, dans les faits évoqués par le Conseil dans les motifs des actes attaqués, il ressort, d’une part, de l’article 3 de la Constitution congolaise ainsi que de l’article 2 de la loi no 08/012 du 31 juillet 2008, portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces, que, dans le cadre de la décentralisation, les provinces sont dotées de la personnalité juridique et jouissent de l’autonomie de gestion de leurs ressources humaines, économiques, financières et techniques. D’autre part, si l’article 202 de la Constitution congolaise établit une compétence exclusive du pouvoir central sur la défense nationale et sur la police nationale, son article 203 prévoit une compétence concurrente du pouvoir central et des provinces en ce qui concerne la sûreté intérieure.

85      À cet égard, selon l’article 63 de la loi no 08/012, le gouverneur veille à la sécurité et à l’ordre public dans la province. En outre, la loi organique no 11/013 prévoit, dans son article 6, que la PNC est soumise à l’autorité civile locale et placée sous la responsabilité du ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions. Par ailleurs, l’ordonnance no 15/015 du 21 mars 2015 prévoit que le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité coordonne les rapports entre les membres du gouvernement et les gouverneurs de province en collaboration avec le ministère en charge de la décentralisation.

86      Il s’ensuit que M. Boshab avait un rôle de coordination du pouvoir central avec les gouverneurs de province, en vue notamment d’assurer une bonne répartition des compétences concurrentes et exclusives de la province et du gouvernement central, comme d’ailleurs il l’observe au point 64 de la réplique. En effet, comme cela a été mentionné au point 85 ci-dessus, le gouverneur veille à la sécurité et à l’ordre public dans la province, la PNC étant soumise à l’autorité civile locale et placée sous la responsabilité du ministre ayant les affaires intérieures à sa charge, ce qui requiert et présuppose un travail de coordination en cette matière entre, d’une part, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité et, d’autre part, les gouverneurs de province.

87      En outre, les compétences de M. Boshab, en tant que ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, de coordination du pouvoir central avec les gouverneurs de province sont corroborées par la lettre du 3 novembre 2016, dont une copie a été jointe au mémoire en défense en tant qu’annexe B.16 et dont l’existence et le contenu n’ont pas été contestés par M. Boshab. En effet, dans cette lettre, adressée à tous les gouverneurs de province et, par ailleurs, transmise pour information au président de la République, au premier ministre, au ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, au ministre de la Justice, garde des Sceaux et droits humains, ainsi qu’au commissaire général de la PNC, à l’administrateur général de l’ANR et au directeur général de la migration, M. Boshab a donné des instructions claires aux gouverneurs provinciaux visant à interdire dans chaque province la présence et l’activité de toute organisation non gouvernementale n’ayant pas la personnalité juridique en droit congolais.

88      Il découle de ce qui précède que les éléments du dossier représentent, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que M. Boshab était responsable de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux en matière de services de police et de sécurité.

89      Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’argument de M. Boshab selon lequel ce dernier n’était pas responsable de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux.

90      En quatrième lieu, M. Boshab conteste son implication actuelle dans les faits qui fondent la décision de maintenir son nom sur les listes litigieuses, dans la mesure où il a quitté ses fonctions ministérielles le 19 décembre 2016, et considère que les mesures restrictives litigieuses seraient par conséquent obsolètes à son égard.

91      Cependant, cet argument ne saurait prospérer.

92      Il convient d’abord de rappeler que M. Boshab a été désigné sur les listes litigieuses, puisque, lorsqu’il exerçait les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, entre décembre 2014 et décembre 2016, il aurait contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constitutifs de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

93      À cet égard, le fait que la désignation de M. Boshab sur les listes litigieuses se soit fondée sur des fonctions gouvernementales qu’il n’exerçait plus à la date d’une telle désignation, et qu’il n’a pas exercées depuis lors, ne justifie pas, en soi, l’annulation des mesures restrictives en discussion dans la présente affaire.

94      En effet, en premier lieu, dans la mesure où, comme c’est le cas en l’espèce, il n’y a pas eu de changement du régime au pouvoir en République démocratique du Congo alors que M. Boshab était membre du gouvernement, il est permis de considérer, à défaut de preuves ou d’indices en sens contraire et en tenant compte en particulier du fait que, interrogé à cet égard lors de l’audience, M. Boshab a confirmé qu’il n’avait pas pris de position se distanciant dudit régime, que, lors de la cessation de ses fonctions, il était resté associé au régime de ce pays et avait donc contribué, en les planifiant, les dirigeant ou les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo et que, dès lors, sa désignation sur les listes litigieuses était justifiée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 164).

95      En second lieu, dans les circonstances propres de l’espèce, notamment une période de temps aussi courte entre la cessation des fonctions gouvernementales de M. Boshab, en décembre 2016, et sa désignation sur les listes litigieuses le 29 mai 2017, date d’adoption des actes attaqués, ainsi que le fait, mentionné au point 94 ci-dessus, que M. Boshab a confirmé qu’il n’avait pas pris de position se distanciant, lors de la cessation de ses fonctions, du régime au pouvoir en République démocratique du Congo, il convient de constater que c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que M. Boshab, à la date de l’adoption des actes attaqués, devait être tenu comme responsable d’avoir contribué, en les planifiant, les dirigeant ou les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo et que, dès lors, sa désignation sur les listes litigieuses était justifiée.

96      Il convient également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Boshab a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes est inopérant.

97      Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’écarter l’argument selon lequel les mesures restrictives litigieuses seraient obsolètes à l’égard de M. Boshab.

98      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté en ce qui concerne M. Boshab.

 En ce qui concerne M. Kande Mupompa

99      M. Kande Mupompa fait valoir, dans un premier argument, qu’aucun fait précis n’établit que les forces de sécurité et de la PNC auraient fait usage d’un recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires, ni qu’il en serait le responsable, le Conseil n’apportant aucune précision sur son rôle précis et se fondant uniquement sur ses fonctions. Il soutient que le Conseil n’a pas établi en quoi le recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique auxquels a dû faire face la population congolaise les derniers mois de l’année 2016. Dans un deuxième argument, il signale que, en tant que gouverneur du Kasaï Central, il ne peut en tout état de cause être tenu pour responsable des assassinats de miliciens « Kamuina Nsapu » et de civils à Mwanza Lomba en février 2017, dans la mesure où cette localité ne se situe pas au Kasaï Central, comme cela est erronément indiqué par le Conseil, mais au Kasaï Oriental, et qu’il était d’ailleurs à cette période déjà rappelé à Kinshasa. Il ajoute que les officiers responsables de ce crime de guerre ont été poursuivis et condamnés par la Cour supérieure militaire, mais rappelle que les forces de l’ordre ont été obligées de répondre par la force aux actes de violence de la milice « Kamuina Nsapu ». Il fait valoir, dans un troisième argument, que la défense nationale et la police nationale sont de la compétence exclusive du pouvoir central, les services de police et de sécurité se trouvant sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, et que le commandement de la PNC est assuré par le commissariat général. Enfin, dans un quatrième argument, il conteste son implication actuelle dans les faits qui fondent la décision de maintenir son nom sur les listes litigieuses, dans la mesure où il n’est plus gouverneur depuis le 4 octobre 2017 et n’exerce dans la pratique plus ces fonctions depuis le mois de janvier 2017.

100    Le Conseil conteste ces arguments.

101    Quant au premier argument mentionné au point 99 ci-dessus, il convient de rappeler que M. Kande Mupompa a été désigné sur les listes litigieuses aux motifs que, « [e]n tant que gouverneur du Kasaï Central, [il] [était] responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires, qui [étaie]nt le fait des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016 ».

102    En premier lieu, il convient de constater que M. Kande Mupompa confirme l’existence d’une situation de conflit grave au Kasaï Central, notamment que la situation dans cette province les derniers mois de 2016 était extrêmement préoccupante et que les forces de l’ordre ont été obligées de répondre par la force aux hostilités provenant de la milice « Kamuina Nsapu ».

103    En deuxième lieu, quant aux allégations du Conseil, contestées par M. Kande Mupompa, concernant le caractère disproportionné du recours à la force, à la répression violente et aux exécutions extrajudiciaires par les forces de l’ordre, il y a lieu de constater que, premièrement, à l’annexe B.10, à la page 137, un document qui contient des extraits de plusieurs rapports de différentes sources, il est mentionné que, selon l’organisation « Human Rights Watch », en se fondant sur des informations provenant de l’ONU, depuis août 2016 plus de 400 personnes ont été tuées et 200 000 ont été forcées de quitter leur foyer dans la région du Kasaï, les forces de sécurité ayant utilisé une force excessive, ouvrant le feu contre des membres allégués de milices, y compris contre des femmes et des enfants, et que 24 fosses communes auraient été découvertes. Deuxièmement, à l’annexe B.5, à la page 62, il est souligné qu’une augmentation de 91 % de cas de violation des droits de l’homme dans tout le pays a été constatée en 2016, en partie dans le contexte de la lutte contre la milice « Kamuina Nsapu » dans différentes provinces du Kasaï. Troisièmement, dans ce même rapport, le BCNUDH fait référence au fait que des agents de l’État ont été tenus pour responsables d’environ 45 % des violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo en 2016, notamment de la mort d’au moins 291 personnes, y compris 117 dans le Kasaï Central tuées par des soldats des FARDC lors d’une opération militaire contre la milice « Kamuina Nsapu ». Quatrièmement, à l’annexe B.3, à la page 18, au paragraphe 31, il est fait état d’une personne blessée par des agents de l’État à Kananga, dans le Kasaï Central.

104    M. Kande Mupompa, pour sa part, fait référence au document intitulé « Livre Blanc Tome I – Eléments d’information liés au phénomène “Kamuina Nsapu” », du 12 juin 2017, versé au dossier en tant qu’annexe C.27, dans lequel, en substance, d’une part, les actions des forces de l’ordre sont considérées comme étant justifiées par le comportement extrêmement violent des membres de la milice Kamuina Nsapu et, d’autre part, il est fait état de l’ouverture de plusieurs enquêtes judiciaires afin de déterminer les responsabilités dans les événements en question.

105    Il convient d’analyser la force probante de chacun de ces documents, notamment à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 65 ci-dessus.

106    À cet égard, ainsi que cela a été conclu au point 76 ci-dessus, la méthode d’élaboration des rapports contenus dans les annexes B.3 et B.5, en particulier le fait qu’ils proviennent d’une organisation internationale telle que l’ONU permettent au Tribunal de les prendre en compte et de considérer leur valeur probante comme étant forte pour venir au soutien des motifs invoqués par le Conseil dans les actes attaqués en ce qui concerne l’existence d’un recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires par des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016. En outre, il convient de relever le fait que les autorités publiques concernées de la République démocratique du Congo ont été entendues lors de la collecte et de la confirmation de l’information contenue dans chacun desdits rapports, lesdits rapports étant, au demeurant, publics.

107    Quant au document versé au dossier en tant qu’annexe B.10, mentionné au point 103 ci-dessus, il se réfère à des informations qui auraient été recueillies auprès de l’ONU, sans pour autant donner une explication concernant la source de telles informations, notamment s’il s’agit, par exemple, d’un rapport de l’ONU ou des informations recueillies oralement. Si sa force probante ne peut donc qu’être considérée comme étant faible, il convient toutefois de constater que ce document corrobore en partie les faits décrits dans le rapport du BCNUDH versé au dossier en tant qu’annexe B.5, notamment concernant la mort d’au moins 291 personnes tuées par des forces de sécurité dans le cadre des opérations contre la milice « Kamuina Nsapu ».

108    En ce qui concerne la force probante du document versé au dossier en tant qu’annexe C.27, il convient de relever tout d’abord qu’il s’agit d’un document provenant du gouvernement de la République démocratique du Congo, notamment du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, du ministère de la Justice et garde des Sceaux et du ministère des Droits humains. Ensuite, il convient de constater que parmi les requérants figurent des hauts représentants du gouvernement congolais, y compris des ministres et anciens ministres, gouverneurs et anciens gouverneurs de province, ainsi que des hautes personnalités de l’armée, des forces de l’ordre et des services de renseignement congolais. En particulier, parmi les requérants figurent les personnes qui exerçaient les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité au moment des faits, entre mars 2016 et mars 2017, et au moment où le document en question a été élaboré, à savoir le 12 juin 2017. Enfin, il convient de souligner que ce document a été élaboré quelques jours après l’adoption des actes attaqués et de la publication au Journal Officiel de l’avis du 30 mai 2017. Or, ces circonstances sont de nature à susciter des doutes quant à la vraisemblance et à la véracité de l’information qui figure dans le document en question, d’autant plus qu’il n’est corroboré par aucun autre moyen de preuve provenant de sources externes au gouvernement de la République démocratique du Congo.

109    Il s’ensuit que la valeur probante du document versé au dossier en tant qu’annexe C.27 ne peut être considérée que comme étant faible.

110    Par ailleurs, ce document confirme que, comme M. Kande Mupompa l’admet aux points 33 et 58 de la requête, plusieurs éléments des forces armées ont été poursuivis et condamnés pour leur implication dans les faits concernant la milice « Kamuina Nsapu ». Il ne saurait donc, en tout état de cause, remettre en question l’allégation selon laquelle il y aurait eu un recours disproportionné à la force, à la répression violente et à des exécutions extrajudiciaires par des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016. En effet, ce document ne fournit aucune explication concernant le nombre de personnes tuées par les forces de l’ordre et les autres violations des droits de l’homme au Kasaï Central depuis 2016 et décrites, notamment, dans les annexes B.3, B.5 et B.10. Il n’explique pas non plus les raisons pour lesquelles toutes ces violations des droits de l’homme ne devraient pas être considérées comme étant une réaction disproportionnée aux violences dans la région du Kasaï Central.

111    Il résulte de tout ce qui précède que, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, le Conseil a fait état devant le Tribunal d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre M. Kande Mupompa et les faits décrits dans les motifs de sa désignation dans les actes attaqués, à savoir le caractère disproportionné du recours à la force, à la répression violente et aux exécutions extrajudiciaires par les forces de l’ordre au Kasaï Central depuis 2016. Le Conseil a ainsi satisfait à la charge de la preuve qui lui incombait à cet égard.

112    Par ailleurs, quant à l’allégation de M. Kande Mupompa selon laquelle le Conseil n’a apporté aucune précision sur son rôle et se fonde uniquement sur ses fonctions, il y a lieu de rappeler que, ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre, ce dernier n’est pas tenu de démontrer une implication personnelle de M. Kande Mupompa dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. Il est suffisant à cet égard que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par M. Kande Mupompa, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141).

113    Or, dans le cas d’espèce, ce sont des effectifs appartenant aux forces de sécurité et à la PNC, pour lesquelles M. Kande Mupompa, en tant que gouverneur du Kasaï Central au moment des faits en question, avait des responsabilités, ainsi qu’il sera analysé ci-après au sujet du troisième argument de M. Kande Mupompa mentionné au point 99 ci-dessus, qui sont mentionnés dans les documents visés au point 103 ci-dessus, à savoir les annexes B.10, B.5 et B.3, comme ayant été responsables des actes de répression en question.

114    Il s’ensuit que cette allégation de M. Kande Mupompa ne saurait prospérer et que, dès lors, son premier argument mentionné au point 99 ci-dessus doit être écarté.

115    Quant au deuxième argument mentionné au point 99 ci-dessus, il convient de constater que le Conseil a confirmé dans le mémoire en défense qu’il avait effectivement commis une erreur factuelle dans les motifs de désignation de M. Kande Mupompa sur les listes litigieuses, en situant le Mwanza Lomba dans la province du Kasaï Central. Le Conseil fait valoir, toutefois, que les motifs relevés à l’encontre de M. Kande Mupompa dépassent largement les événements survenus à Mwanza Lomba et que cette erreur n’a pas été déterminante pour la désignation de M. Kande Mupompa sur les listes litigieuses et ne serait donc pas de nature à entacher la validité de cette désignation.

116    À cet égard, il convient de rappeler que, comme mentionné au point 27 ci-dessus, M. Kande Mupompa a été désigné sur les listes litigieuses aux motifs que, en tant que gouverneur du Kasaï Central, il serait responsable « du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires, qui sont le fait des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016, y compris les assassinats illégaux présumés de miliciens Kamuina Nsapu et de civils à Mwanza Lomba, Kasaï Central, en février 2017 ». Selon les actes attaqués, M. Kande Mupompa aurait « donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC ».

117    Il s’ensuit que même si la référence, dans les motifs de désignation de M. Kande Mupompa, aux événements à Mwanza Lomba en février 2017 constitue une erreur factuelle regrettable de la part du Conseil, puisque cette localité ne se situe pas dans le Kasaï Central, les motifs relevés à l’encontre de M. Kande Mupompa sont plus larges que lesdits événements, comprenant notamment le recours disproportionné à la force, à la répression violente et à des exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016.

118    Par ailleurs, l’allégation de M. Kande Mupompa selon laquelle en février 2017, date à laquelle ces événements ont eu lieu, il était à Kinshasa est sans incidence dans l’appréciation de la validité des motifs retenus contre lui. En effet, une telle allégation, à la supposer établie, ne remet pas non plus en question les motifs plus larges, au regard de ces événements, relevés à l’encontre de M. Kande Mupompa et rappelés au point 117 ci-dessus, qui se réfèrent à une période s’ouvrant à partir de 2016.

119    Par conséquent, les motifs de désignation de M. Kande Mupompa restent valables pour autant qu’ils se réfèrent à sa prétendue responsabilité dans un recours disproportionné à la force, dans la répression violente et dans les exécutions extrajudiciaires par des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016.

120    Il résulte de ce qui précède que le deuxième argument mentionné au point 99 ci-dessus doit être écarté.

121    En ce qui concerne le troisième argument de M. Kande Mupompa mentionné au point 99 ci-dessus, selon lequel, en substance, il fait valoir que, en tant que gouverneur du Kasaï Central, il n’était pas responsable des services de police et de sécurité dans cette région, ainsi que cela a été mentionné aux points 84 et 85 ci-dessus, l’article 203 de la Constitution congolaise prévoit une compétence concurrente du pouvoir central et des provinces en ce qui concerne la sûreté intérieure. En outre, selon l’article 63 de la loi no 08/012, le gouverneur représente le gouvernement central en province et veille à la sécurité et à l’ordre public dans la province, et l’article 6 de la loi organique no 11/013 prévoit que la PNC est soumise à l’autorité civile locale et placée sous la responsabilité du ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions.

122    Il s’ensuit que, en tant que gouverneur du Kasaï Central, M. Kande Mupompa avait des responsabilités concernant les services de police et de sécurité dans la région. Cet argument doit donc être écarté.

123    Quant au quatrième argument mentionné au point 99 ci-dessus, par lequel M. Kande Mupompa conteste son implication actuelle dans les faits qui fondent la décision de maintenir son nom sur les listes litigieuses, dans la mesure où il n’est plus gouverneur depuis le 4 octobre 2017 et n’exerce dans la pratique plus ces fonctions depuis le mois de janvier 2017, il y a lieu de rappeler que M. Kande Mupompa a été désigné sur les listes litigieuses au motif que, lorsqu’il exerçait les fonctions de gouverneur du Kasaï Central, il aurait contribué, en les planifiant, les dirigeant ou les commettant, à des actes constituants de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

124    Il convient à cet égard de rappeler que le 29 mai 2017, date de l’adoption des actes attaqués, M. Kande Mupompa exerçait les fonctions de gouverneur du Kasaï Central, décrites dans les motifs de sa désignation sur les listes litigieuses, ce qu’il ne conteste d’ailleurs pas.

125    Il y a lieu également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Kande Mupompa a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes, notamment parce qu’il aurait entre-temps quitté ses fonctions de gouverneur du Kasaï Central, est inopérant.

126    Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’écarter le quatrième argument de M. Kande Mupompa et, dès lors, le deuxième moyen en ce qui le concerne.

 En ce qui concerne M. Kazembe Musonda

127    M. Kazembe Musonda observe, dans un premier argument, qu’aucun fait précis n’établit que les forces de sécurité et de la PNC dans la province du Haut-Katanga auraient fait usage d’un recours disproportionné à la force et à la répression violente, dont la responsabilité lui incomberait. Il soutient que, au contraire, les 19 et 20 décembre 2016, les forces de l’ordre ont dû prendre des mesures pour rétablir l’ordre public dans la commune de la Katuba à Lubumbashi, face à des actes de pillage de plusieurs magasins et des confrontations avec la police. Il fait valoir que le Conseil n’a pas établi en quoi le recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique auxquels a fait face la population congolaise les derniers mois de 2016, y compris en ce qui concerne les événements qui se sont déroulés à Lubumbashi en décembre 2016. Dans un deuxième argument, il affirme que, en dépit de la tension dans la région, le 21 décembre 2016, il a exhorté la population au calme et a entrepris des efforts aux fins de punir les responsables des événements en question, ainsi qu’aux fins de la pacification et du développement de la province du Haut-Katanga. Dans un troisième argument, il affirme que le Conseil se fonde uniquement sur ses fonctions pour lui imposer les mesures restrictives et souligne, à cet égard, que les services de police et de sécurité se trouvent sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité et que le commandement de la PNC est assuré par le commissariat général. Il conteste, dans un quatrième argument, son implication actuelle dans les faits qui ont fondé la décision d’inscrire son nom sur les listes litigieuses, dans la mesure où il a quitté ses fonctions de gouverneur depuis le mois d’avril 2017.

128    Le Conseil conteste ces arguments.

129    Quant au premier argument mentionné au point 127 ci-dessus, il convient d’abord de rappeler que M. Kazembe Musonda a été désigné sur les listes litigieuses aux motifs que, « [e]n tant que gouverneur du Haut-Katanga jusqu’en avril 2017, [il avait] été responsable du recours disproportionné à la force et de la répression violente qu’[avaie]nt exercé les forces de sécurité et la PNC dans le Haut-Katanga, notamment entre le 15 et le 31 décembre 2016, période pendant laquelle 12 civils [avaie]nt été tués et 64 blessés en raison d’un usage de la force létale par les forces de sécurité, notamment des agents de la PNC, en réponse à des protestations à Lubumbashi ».

130    En premier lieu, il convient, à cet égard, de constater que M. Kazembe Musonda ne nie pas l’existence d’affrontements entre la population civile et les forces de l’ordre à Lubumbashi entre les 15 et 31 décembre 2016, affirmant, toutefois, que les autorités locales auraient dû faire face à des émeutes d’une rare violence et auraient pris les mesures conséquentes pour le rétablissement de l’ordre public. M. Kazembe Musonda a transmis au Tribunal l’annexe C.30, contenant des images qui, selon lui, démontreraient la violence à laquelle les autorités locales ont dû faire face.

131    En deuxième lieu, quant aux allégations du Conseil, contestées par M. Kazembe Musonda, concernant le caractère disproportionné du recours à la force et à la répression violente par les forces de l’ordre, le Conseil fait valoir que, lorsqu’il était gouverneur de la province du Haut-Katanga, M. Kazembe Musonda a participé à la répression ciblant les opposants politiques et d’autres activistes à Lubumbashi et a également joué un rôle majeur dans la restriction de la liberté d’association et du droit de manifestation.

132    À cet égard, premièrement, à l’annexe B.3, aux pages 19 et 20, au paragraphe 34, il est indiqué ce qui suit :

« À Lubumbashi, entre le 15 et le 31 décembre 2016, le BCNUDH a documenté la mort de 12 personnes, et 64 blessés, pour la plupart résultant de l’utilisation de la force létale par les forces de défense et de sécurité, dont des agents de la PNC et des militaires des FARDC, certains habillés en tenue civile, en réaction à des manifestations violentes. Lors de la seule journée du 20 décembre, neuf hommes, une femme et un enfant de 17 ans ont été tués par balle réelle lorsque les forces de défense et de sécurité ont tiré sans distinction sur des manifestants violents. Au moins trois de ces victimes, dont un homme tué à bout portant dans le quartier Matshipisha, ont été tués par des agents de la PNC et six, dont deux hommes tués à bout portant dans les quartiers Katuba II et Kisanga, ont été tués par des militaires des FARDC. Par ailleurs, une fille de trois ans est morte après avoir été touchée par une balle perdue alors qu’elle était chez elle avec sa grand-mère. Toutes ces victimes sont mortes sur le coup, à l’exception de la victime femme, qui est morte des suites de ses blessures deux jours après avoir été touchée par une balle. Les corps d’au moins deux victimes ont été emmenés par les forces de défense et de sécurité vers des destinations inconnues de leurs familles. Toujours le 20 décembre, au moins 62 personnes, dont quatre femmes et 13 mineurs, ont été blessées par balle par les forces de défense et de sécurité, dont au moins 10 par des balles perdues. Beaucoup d’entre elles ont été évacuées vers différents centres de santé de Lubumbashi. Certaines auraient été régulièrement déplacées d’un centre de santé à un autre sur instructions du Conseil provincial de sécurité. Ni leurs familles ni les équipes du BCNUDH n’ont été autorisées à accéder aux victimes. »

133    Toujours à l’annexe B.3, à la page 21, au paragraphe 39, il est indiqué ce qui suit :

« À Lubumbashi, où plusieurs actes de violence et de vandalisme ont été rapportés, au moins 414 personnes ont été arrêtées, principalement lors d’opérations conjointes par les agents de la PNC et les soldats des FARDC, dont des éléments de la Garde républicaine. Bien que l’arrestation de manifestants violents ait pu être légitime, les arrestations massives et indiscriminées de centaines de personnes sont arbitraires et contraires aux standards internationaux des droits de l’homme. Par exemple, le 20 décembre, 162 personnes, dont 33 mineurs et deux femmes, ont été arrêtées lors de manifestations publiques dans les communes de Ruashi, Kenya, Kampemba et Katuba. Entre les 21 et 22 décembre, dans la commune de Katuba, 136 personnes dont une femme et 23 mineurs, ont été arrêtées [...] »

134    Deuxièmement, selon l’annexe B.5, à la page 68, entre les 17 et 22 décembre 2016, le BCNUDH a documenté la mort, par l’action des agents de l’État, de 39 civils, y compris 5 femmes et 2 enfants, 11 de ces morts ayant eu lieu à Lubumbashi.

135    Troisièmement, selon l’annexe B.10, à la page 141, la semaine du 14 octobre 2016, le chef de milice Kyungu Mutanga, accompagné d’une centaine de ses combattants, s’est rendu aux autorités locales à Lubumbashi, qui lui ont réservé un accueil festif au lieu de l’arrêter.

136    À l’instar de ce qui a été mentionné pour M. Boshab aux points 73 à 75 ci-dessus et de ce que le Tribunal en a conclu au point 76 ci-dessus, la méthode d’élaboration de chacun de ces trois rapports, en particulier le fait qu’ils proviennent d’une organisation internationale telle que l’ONU, permettent au Tribunal de les prendre en compte et de considérer leur valeur probante comme étant suffisante pour venir au soutien des motifs invoqués par le Conseil dans les actes attaqués, selon lesquels M. Kazembe Musonda a été responsable du recours disproportionné à la force et à la répression violente qu’ont exercé les forces de sécurité et la PNC dans le Haut-Katanga, notamment entre les 15 et 31 décembre 2016, période pendant laquelle 12 civils ont été tués et 64 blessés en raison d’un usage de la force létale par les forces de sécurité, notamment des agents de la PNC, en réponse à des protestations à Lubumbashi. En outre, il convient de relever le fait que les autorités publiques concernées de la République démocratique du Congo ont été entendues lors de la collecte et de la confirmation de l’information contenue dans chacun desdits rapports, lesdits rapports étant, au demeurant, publics.

137    Or, en se limitant à faire valoir que, les 19 et 20 décembre 2016, les forces de l’ordre ont dû prendre des mesures pour rétablir l’ordre public dans les communes de Katuba et Lubumbashi, et que le Conseil n’aurait pas établi en quoi le recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique auxquels a fait face la population congolaise les derniers mois de 2016, M. Kazembe Musonda n’a pas sérieusement mis en cause les accusations avancées par le Conseil à cet égard sur la base de trois rapports du BCNUDH et décrites aux points 131 à 135 ci-dessus, selon lesquelles il y a eu un recours disproportionné à la force et à la répression violente par des forces de sécurité et la PNC, notamment entre les 15 et 31 décembre 2016, en réponse à des protestations à Lubumbashi.

138    En effet, si les faits allégués par M. Kazembe Musonda et les preuves qu’il a fournies à cet égard, notamment l’annexe C.30, visent à faire la preuve du recours à la violence de la part de certains manifestants dans la province du Haut-Katanga les derniers mois de 2016, ils ne sont pourtant pas de de nature à remettre en cause ceux décrits par le Conseil à l’égard de M. Kazembe Musonda, notamment dans les motifs des actes attaqués, à savoir qu’il y a eu une réaction disproportionnée de la part des forces de sécurité et de la PNC face à ces événements. M. Kazembe Musonda ne fournit aucune explication concernant le nombre de personnes tuées par les forces de sécurité et par la PNC et les autres violations des droits de l’homme qui ont eu lieu à Lubumbashi entre les 15 et 31 décembre 2016 et décrites notamment dans les annexes B.3, B.5 et B.10. Il n’explique pas non plus les raisons pour lesquelles ces violations des droits de l’homme ne devraient pas être considérées comme étant une réaction disproportionnée de la part des forces de sécurité et de la PNC à des protestations à Lubumbashi pendant les dates susmentionnées.

139    Par conséquent, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, il y a lieu d’écarter le premier argument de M. Kazembe Musonda, mentionné au point 127 ci-dessus.

140    Quant au deuxième argument mentionné au point 127 ci-dessus, M. Kazembe Musonda prétend que ses efforts aux fins de la pacification et du développement de la province du Haut-Katanga, ainsi qu’aux fins de punir les responsables des événements en question, démontreraient que le recours disproportionné à la force et à la répression violente par les forces de sécurité et par la PNC ne seraient pas de sa responsabilité.

141    Toutefois, cet argument ne saurait également prospérer.

142    D’une part, en invoquant ses efforts dans la modernisation des bâtiments du gouvernement provincial et de plusieurs immeubles de l’État et dans d’autres initiatives en vue du développement de la province du Haut-Katanga, M. Kazembe Musonda ne met pas sérieusement en question les accusations avancées par le Conseil à cet égard. En effet, il ne remet pas en cause les motifs des actes attaqués à son égard, à savoir qu’il y a eu une réaction disproportionnée des forces de sécurité et de la PNC face aux protestations ayant eu lieu dans la province du Haut-Katanga, notamment entre les 15 et 31 décembre 2016.

143    D’autre part, les efforts que M. Kazembe Musonda aurait entrepris en vue de la pacification de la province ainsi qu’aux fins de punir les responsables de la violence dans la province du Haut-Katanga les derniers mois de 2016 ne sont pas non plus de nature à remettre en question les accusations avancées par le Conseil à son égard.

144    En effet, ces allégations de M. Kazembe Musonda ne remettent en cause ni, en premier lieu, l’existence d’une réaction disproportionnée des forces de sécurité et de la PNC face aux protestations ayant eu lieu dans la province du Haut-Katanga durant les derniers mois de 2016, notamment en décembre, ni, en second lieu, sa responsabilité, en tant que gouverneur de la province, dans ces agissements des forces de l’ordre, ainsi qu’il sera analysé ci-après au sujet du troisième argument de M. Kazembe Musonda, mentionné au point 127 ci-dessus.

145    Il y a donc lieu d’écarter le deuxième argument de M. Kazembe Musonda, mentionné au point 127 ci-dessus.

146    Dans son troisième argument, M. Kazembe Musonda fait valoir, en substance, que, en tant que gouverneur du Haut-Katanga, il n’était pas responsable des services de police et de sécurité dans cette province.

147    À cet égard, ainsi que cela a été mentionné aux points 84 et 85 ci-dessus, l’article 203 de la Constitution congolaise prévoit une compétence concurrente du pouvoir central et des provinces en ce qui concerne la sûreté intérieure. En outre, selon l’article 63 de la loi no 08/012, le gouverneur veille à la sécurité et à l’ordre public dans la province, et l’article 6 de la loi organique no 11/013 prévoit que la PNC est soumise à l’autorité civile locale et est placée sous la responsabilité du ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions.

148    Il s’ensuit que, en tant que gouverneur du Haut-Katanga, M. Kazembe Musonda avait des responsabilités concernant les services de police et de sécurité dans la région. Cet argument doit donc être écarté.

149    Avec son quatrième argument, mentionné au point 127 ci-dessus, M. Kazembe Musonda conteste son implication actuelle dans les faits qui ont fondé la décision d’inscrire son nom sur les listes litigieuses, dans la mesure où il a quitté ses fonctions de gouverneur depuis le mois d’avril 2017.

150    À cet égard, il convient d’abord de rappeler que M. Kazembe Musonda a été désigné sur les listes litigieuses au motif que, lorsqu’il exerçait les fonctions de gouverneur du Haut-Katanga jusqu’en avril 2017, il aurait contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituants de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

151    À cet égard, le fait que la désignation de M. Kazembe Musonda sur les listes litigieuses soit fondée sur des fonctions de gouverneur provincial qu’il n’exerçait plus à la date d’une telle désignation, et qu’il n’a pas exercées depuis lors, ne justifie pas, en soi, l’annulation des mesures restrictives en discussion dans la présente affaire.

152    En effet, en premier lieu, dans la mesure où, comme c’est le cas en l’espèce, il n’y a pas eu de changement du régime au pouvoir en République démocratique du Congo alors que M. Kazembe Musonda était membre du gouvernement, il est permis de considérer, à défaut de preuves ou d’indices en sens contraire et en tenant compte en particulier du fait que, interrogé à cet égard lors de l’audience, M. Kazembe Musonda a confirmé qu’il n’avait pas pris de position se distanciant dudit régime, que, lors de la cessation de ses fonctions, M. Kazembe Musonda est resté associé au régime de ce pays. Il a donc contribué, en les planifiant, les dirigeant ou les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo et que, dès lors, sa désignation sur les listes litigieuses était justifiée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 164).

153    En second lieu, dans les circonstances propres de l’espèce, notamment une période de temps aussi courte entre la cessation des fonctions gouvernementales de M. Kazembe Musonda, en avril 2017, et sa désignation sur les listes litigieuses le 29 mai suivant, date d’adoption des actes attaqués, ainsi que le fait, mentionné au point 152 ci-dessus, que M. Kazembe Musonda a confirmé qu’il n’avait pas pris de position se distanciant, lors de la cessation de ses fonctions, du régime au pouvoir en République démocratique du Congo, il convient de constater que c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que M. Kazembe Musonda, à la date de l’adoption des actes attaqués, devait être tenu pour responsable d’avoir contribué, en les planifiant, les dirigeant ou les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo et que, dès lors, sa désignation sur les listes litigieuses était justifiée.

154    Il convient également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Kazembe Musonda a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument de M. Kazembe Musonda tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes est inopérant.

155    Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’écarter le quatrième argument de M. Kazembe Musonda, mentionné au point 127 ci-dessus.

156    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté en ce qui concerne M. Kazembe Musonda.

 En ce qui concerne M. Mende

157    M. Mende affirme n’avoir jamais mené une politique répressive envers les médias en violation de la liberté d’expression et, au contraire, affirme avoir toujours milité en faveur de la liberté de presse. Tout d’abord, il fait valoir que le « décret » du 12 novembre 2016, auquel il est fait référence dans les motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses, est, en réalité, un arrêté ministériel portant réglementation de l’exploitation de la radiodiffusion sonore et de la télévision par des personnes physiques et morales étrangères, en exécution de la loi no 96-002 du 22 juin 1996, fixant les modalités de l’exercice de la liberté de presse en République démocratique du Congo. Cette dernière prévoit, selon lui, que « [l]es personnes physiques ou morales de nationalité étrangère peuvent être autorisées à créer une entreprise de communication audiovisuelle sous réserve de réciprocité et moyennant une participation majoritaire en faveur des Zaïrois dans le capital de 1’entreprise ». Ensuite, il met en exergue qu’il lui est reproché d’avoir violé, le 12 novembre 2016, un accord signé ultérieurement, le 31 décembre 2016, ce qui alourdirait, selon lui, le bilan des erreurs manifestes d’appréciation du Conseil. Enfin, il fait remarquer, d’une part, que la reprise de la diffusion des médias de radiodiffusion et de télévision a bien eu lieu, ce qui d’ailleurs démontrerait l’inexistence de toute implication actuelle de sa part dans les faits fondant les actes attaqués et l’obsolescence de ces derniers en ce qu’ils le concernent, le Conseil établissant une présomption en sa défaveur du seul fait de ses fonctions et, d’autre part, que la non-reprise de la diffusion de certains médias serait due au fait que ces derniers faisaient l’objet d’enquêtes judiciaires, indépendamment de toute implication de sa part et dans le cadre desquelles les signaux de leurs stations avaient été coupés par des instances judiciaires. À cet égard, M. Mende fait valoir que la mise en œuvre de ladite réglementation a été proportionnelle aux impératifs de sécurité publique et aux troubles à la paix publique auxquels a fait face la population congolaise les derniers mois de 2016.

158    Le Conseil conteste ces arguments.

159    Premièrement, quant aux arguments de M. Mende tendant à mettre en cause les motifs de sa désignation dans les actes attaqués, selon lesquels il aurait mené une politique répressive envers les médias en violation de la liberté d’expression et d’information et qui compromettrait une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en République démocratique du Congo, il convient de constater, en premier lieu, que, à l’annexe B.3, à la page 24, il est indiqué ce qui suit : 

« Le 14 décembre 2016, le gouverneur de la province du Kasaï Oriental a annoncé, lors d’une déclaration sur les chaînes de télévision et les stations de radio locales, une interdiction à titre préventif des débats politiques sur tous les canaux médiatiques de la province, invoquant des raisons de sécurité. Le 15 décembre 2016, l’Autorité de régulation des postes et des télécommunications (ARPTC) a ordonné aux fournisseurs d’accès Internet de restreindre l’accès à tous les réseaux sociaux à partir du 18 décembre 2016 à 23 h 59. L’accès aux réseaux sociaux a ainsi été coupé en RDC du 20 décembre au 28 décembre 2016. Certains fournisseurs d’accès Internet ont même dû couper entièrement l’accès à Internet pendant la même période. Le 19 décembre, alors que les réseaux sociaux fonctionnaient encore, le BCNUDH a noté que la chaîne de télévision Canal Congo (CCTV) et Radio Liberté Kinshasa ont été fermées. Les deux signaux ont été rétablis le 23 janvier 2017, conformément aux dispositions de l’accord politique du 31 décembre. Le signal de Radio France Internationale (RFI), qui a été suspendu le 5 novembre 2016, qui a continué à être bloqué tout au long des événements des 19 et 20 décembre, restait encore bloqué au moment de la rédaction du présent rapport. »

160    En deuxième lieu, toujours à l’annexe B.3, aux pages 26 et 27, il est indiqué ce qui suit :

« Les journalistes et autres travailleurs des médias ont continué d’être victimes d’actes d’intimidation ou de harcèlement au cours de la période considérée [entre les 15 et 31 décembre 2016], y compris des arrestations arbitraires et des détentions illégales, prétendument dans le but de les empêcher de rendre compte de la situation sécuritaire dans les principales villes de la RDC. À Kananga, province du Kasaï, le 17 décembre, à 7 h 30, un journaliste de la Radiotélévision Espérance (RTE) a été arbitrairement arrêté et battu par deux éléments de la Police Militaire alors qu’il rentrait chez lui. Les auteurs l’ont accusé d'avoir violé un couvre-feu et lui ont extorqué 83 000 francs congolais, ainsi que son microphone. À Kinshasa, un journaliste de l’Agence France Presse (AFP) et son assistant ont été arrêtés le 19 décembre par des agents de la Police universitaire alors qu’ils couvraient la situation sécuritaire près de l’Université de Kinshasa. Les deux ont ensuite été interrogés par des agents de l’ANR, et l’un d’eux a vu les données de son téléphone mobile fouillées. Ils ont été libérés le même jour dans la soirée. Le 20 décembre, un journaliste de Vision Info a été arrêté, a eu les yeux bandés et a été interrogé par des agents de l’ANR, qui l’auraient accusé de se référer aux événements du 19 décembre lors d’un spectacle en ligne auquel il avait participé. Il a été libéré trois heures plus tard. Le 21 décembre, à Goma, province du Nord-Kivu, un journaliste étranger, qui couvrait l’arrestation des membres de LUCHA manifestant devant le gouvernorat, a été arrêté par des agents de la PNC, transféré au poste de police P2 et libéré le même jour. À Mbuji-Mayi, province du Kasaï Oriental, le 22 décembre, un journaliste de la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC) a été battu par des agents de la PNC affectés à la sécurité du gouverneur. Ils l’auraient accusé de ne pas couvrir une marche qu’ils avaient menée dans toute la ville pour observer les activités de la population dans le contexte des événements du 19 décembre. Les mêmes agents de police ont également menacé un autre journaliste de la RTNC, ainsi qu’un journaliste de Radiotélévision Océan pacifique (RTOP). »

161    En troisième lieu, à l’annexe B.4, à la page 44, il est mentionné que « [d]es atteintes à la liberté de la presse, notamment l’arrestation de huit journalistes, et des destructions de biens, notamment de locaux de partis politiques, de commissariats de police et de magasins, ont également été documentées » et que « [c]es violations ont conduit à la réduction encore plus grande de l’exercice des droits civils et politiques dans le pays ».

162    En quatrième lieu, à l’annexe B.5, à la page 69, il est indiqué ce qui suit : 

« Des médias et des journalistes ont été des cibles d’abus et d’intimidation de la part des autorités congolaises et quelques stations de radio ont été fermées. Par exemple, le signal de Radio France internationale (RFI) a été suspendu pendant toute la journée du 16 février 2016 [...] ; et a été suspendue encore depuis le 5 novembre 2016. Le 19 septembre 2016 à Kinshasa huit journalistes et d’autres membres du personnel de médias nationaux et internationaux ont été victimes d’attaques et de détentions arbitraires par des forces de sécurité lors de manifestations. En outre, le 12 novembre 2016, le ministre des Communications et des Médias a adopté un décret limitant de facto la possibilité d’opérer en RDC. »

163    Il convient de constater à cet égard, d’une part, que M. Mende reconnaît que les émissions de plusieurs médias ont été interrompues en République démocratique du Congo. Par ailleurs, il donne l’exemple de la reprise de diffusion de Radio France International le 10 août 2017 sans pour autant donner une explication convaincante sur l’interruption d’émission de cette chaîne jusqu’à une date aussi tardive, notamment au regard des événements des derniers mois de 2016 qui, selon lui, avaient justifié des restrictions à la liberté d’expression. Dans la réplique, M. Mende reconnaît également que certains médias restent toujours bloqués dans le cadre de procédures judiciaires en cours, sans toutefois expliquer, comme le fait valoir le Conseil à juste titre, la raison pour laquelle des poursuites judiciaires empêcheraient la reprise des émissions de ces médias.

164    D’autre part, M. Mende ne fournit aucune explication concernant les arrestations et agressions de journalistes les derniers mois de 2016 en République démocratique du Congo, décrites dans les annexes B.3, B.4 et B.5 et mentionnées aux points 159 à 162 ci-dessus, et qui sont de nature à démontrer l’existence d’une politique répressive envers les médias, ainsi qu’il est mentionné dans les motifs de sa désignation sur les listes litigieuses. Interrogé à cet égard lors de l’audience, M. Mende s’est limité à affirmer que, en tant que ministre des Communications et des Médias, il ne serait pas responsable de ces arrestations. Toutefois, à supposer même que M. Mende n’ait pas eu cette responsabilité, il n’en demeure pas moins que de telles arrestations, dont M. Mende ne conteste pas par ailleurs l’existence, sont, en soi, de nature à confirmer des atteintes au droit à la liberté d’expression et d’information en République démocratique du Congo. Or, M. Mende, en tant que ministre des Communications et des Médias, est responsable, au sein du gouvernement congolais, de la mise en œuvre d’une politique garantissant ces droits, ainsi qu’il ressort du point 6 sous le titre B, intitulé « Attributions spécifiques aux ministères » de l’ordonnance no 15/015 du 21 mars 2015.

165    Il résulte de ce qui précède que les éléments du dossier représentent, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que M. Mende était responsable, en tant que ministre des Communications et des Médias, d’avoir fait obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en République démocratique du Congo.

166    À cet égard, contrairement à ce que soutient M. Mende, le Conseil n’est nullement tenu de démontrer son implication personnelle dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. Il est suffisant que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par M. Mende, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile, d’autant plus que, dans le cas d’espèce, ce sont des médias et des journalistes qui ont fait l’objet d’une politique répressive, alors que M. Mende exerçait, et exerce toujours d’ailleurs, les fonctions de ministre des Communications et des Médias (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141).

167    Par ailleurs, à supposer même que les faits qui sont venus au soutien des motifs des mesures restrictives prises à l’égard de M. Mende ne soient plus d’actualité, comme il le fait valoir, une telle circonstance ne serait en tout état de cause pas de nature à remettre en question son inscription sur les listes litigieuses.

168    Il convient en effet de rappeler que M. Mende a été désigné sur les listes litigieuses au motif que, dans l’exercice de ses fonctions de ministre des Communications et des Médias, fonctions qu’il exerce toujours, il aurait été responsable d’avoir fait obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en République démocratique du Congo, notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit.

169    Il convient également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Mende a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument de M. Mende tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes est inopérant.

170    Deuxièmement, l’argument de M. Mende selon lequel il lui serait reproché par le Conseil d’avoir violé, le 12 novembre 2016, un accord signé ultérieurement, le 31 décembre 2016, est manifestement non fondé.

171    En effet, cet argument résulte d’une lecture manifestement erronée de la part de M. Mende des motifs de sa désignation sur les listes litigieuses, laquelle se lit comme suit :

« Le 12 novembre 2016, il a adopté un décret limitant la possibilité pour des médias étrangers de diffuser en RDC. En violation de l’accord politique conclu le 31 décembre 2016 entre la majorité présidentielle et les partis d’opposition, en mai 2017 la diffusion d’un certain nombre de médias n’avait toujours pas repris. »

172    Comme le Conseil le fait valoir à cet égard à juste titre, entre les deux phrases il y a un point final, ce qui indique clairement que le Conseil a reproché à M. Mende, d’une part, d’avoir adopté, le 12 novembre 2016, un décret limitant la possibilité pour des médias étrangers de diffuser en République démocratique du Congo et, d’autre part, le fait que, en violation de l’accord politique conclu le 31 décembre 2016 entre la majorité présidentielle et les partis d’opposition, en mai 2017, la diffusion d’un certain nombre de médias n’avait toujours pas repris.

173    Cet argument doit donc être écarté.

174    Troisièmement, quant aux arguments de M. Mende concernant le décret du 12 novembre 2016, mentionné dans les motifs de sa désignation dans les actes attaqués comme limitant la possibilité pour les médias étrangers de diffuser en République démocratique du Congo, le Conseil fait valoir que, bien qu’il s’agisse, comme M. Mende le souligne, d’un « arrêté ministériel » et non d’un « décret », cet instrument a effectivement limité la diffusion des médias et, partant, la liberté de la presse.

175    À cet égard, si la loi no 96-002 du 22 juin 1996, jointe au dossier en tant qu’annexe C.37, prévoit, dans son article 61, que « [l]es personnes physiques ou morales de nationalité étrangère peuvent être autorisées à créer une entreprise de communication audiovisuelle sous réserve de réciprocité et moyennant une participation majoritaire en faveur des Zaïrois dans le capital de 1’entreprise », l’arrêté ministériel de 2016, figurant en annexe C.36, prévoit que « [l]es personnes physiques ou morales de nationalité étrangère peuvent être autorisées à opérer de manière continue [...] en République démocratique du Congo sous réserve de la réciprocité et moyennant une participation majoritaire en faveur des Congolais dans le capital social ». En outre, les articles 3 et 4 de cet arrêté prévoient qu’un projet de contrat pour la conclusion d’un tel partenariat doit être préalablement communiqué, pour visa, au ministre ayant l’information dans ces attributions.

176    Interrogé à cet égard lors de l’audience, M. Mende s’est limité à affirmer qu’il n’y aurait eu aucun média étranger se plaignant de ne pas pouvoir opérer en République démocratique du Congo. Toutefois, à supposer même que cette affirmation soit vraie, ce qui n’est pas établi, il n’en demeure pas moins que l’arrêté susmentionné, en exigeant une participation majoritaire en faveur des Congolais dans le capital social même aux entités qui veulent simplement opérer dans le pays, est plus restrictif que la loi no 96-002 du 22 juin 1996, laquelle n’exige une telle participation qu’en cas de création d’une entreprise de communication audiovisuelle, et a ainsi limité la diffusion des médias en République démocratique du Congo. En outre, le rôle de M. Mende, en tant que ministre autorisant de tels partenariats, se trouve renforcé.

177    Ces arguments doivent donc être écartés.

178    Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’écarter le deuxième moyen en ce qui concerne M. Mende.

 En ce qui concerne M. Akili Mundos

179    M. Akili Mundos conteste les faits décrits dans les motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Il fait valoir qu’il disposait d’un effectif d’environ 9 000 hommes pour combattre le groupe armé étranger ADF et affirme qu’il ne pouvait pas recourir au recrutement d’anciens combattants, d’autant plus que les effectifs dont il disposait étaient préalablement équipés de matériel logistique et qu’il ne pouvait donc pas trouver du matériel supplémentaire pour équiper d’éventuels combattants qu’il aurait recrutés. M. Akili Mundo soutient que le Conseil établit une présomption du seul fait de ses fonctions, ce qui n’est pas corroboré par des éléments de preuve contenant une incrimination précise des comportements individuels de sa part. En outre, il fait valoir que le Conseil vise une période temporelle passée, ne permettant pas de retenir une quelconque implication actuelle de sa part. Par ailleurs, il considère que le Conseil n’établit pas en quoi un recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique dans la région.

180    Le Conseil conteste ces arguments.

181    Il convient d’abord de rappeler que M. Akili Mundos a été désigné sur les listes litigieuses aux motifs qu’il « était le commandant des FARDC, dans le cadre de l’opération Sukola I, responsable d’opérations militaires contre les ADF d’août 2014 à juin 2015 » et qu’« [il] a[vait] recruté et équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014 ».

182    En ce qui concerne l’argument de M. Akili Mundos visant à contester le recrutement d’anciens combattants dans le cadre de l’opération dite « Sukola I », il convient de constater que M. Akili Mundos confirme le rôle qui lui est imputé par le conseil de commandement des FARDC dans le cadre de cette opération menée contre les ADF dans la région de Béni (République démocratique du Congo).

183    M. Akili Mundos conteste, toutefois, avoir recruté d’anciens combattants locaux, qui auraient participé à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres. Il soutient, en outre, que le Conseil n’établit pas que le recours à la force, qui aurait eu lieu dans le cadre de l’opération Sukola I, n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique dans la région.

184    À cet égard, d’une part, le Conseil fait valoir dans le mémoire en défense que, selon le point 201 du rapport final du groupe d’experts des Nations Unies sur la République démocratique du Congo, qui figure dans le dossier en tant qu’annexe B.15 (ci-après, l’« annexe B.15 »), « [l]e [g]roupe d’experts s[av]ait que huit personnes [avaie]nt été contactées en 2014 par le général Mundos pour participer aux tueries », que « [t]rois membres des ADF-Mwalika lui [avaie]nt fait savoir que, des mois avant le début des tueries en septembre 2014, le général Mundos avait persuadé certains éléments de leur groupe de fusionner avec d’autres recrues » et que, « [s]elon eux, le général a[vait] financé et équipé le groupe en armes, munitions et uniformes des FARDC » et « [était] venu à plusieurs reprises dans leur camp, parfois revêtu d’un uniforme des FARDC et parfois en civil ». Le Conseil a donc précisé en détail le rôle de M. Akili Mundos dans le recrutement d’anciens combattants pour participer en 2014 à ce que le groupe d’experts des Nations unies a qualifié de « tueries ».

185    D’autre part, l’annexe B.15, à la page 279, contient plusieurs informations concernant l’existence d’un grand nombre de meurtres perpétrés dans le cadre de ce conflit sur le territoire de Beni. Au point 185 de cette annexe, il est fait notamment référence au fait que « [d]es sources de la société civile participant aux enquêtes estiment qu’au moins 550 civils ont été tués depuis septembre 2014 », que « le [g]roupe d’experts conclut que plusieurs groupes sont impliqués dans les tueries » et qu'« [i]l a également constaté que des officiers des FARDC [avaie]nt joué un rôle dans l’appui à certains groupes armés ». Dans le même document, au paragraphe 195, il est mentionné qu'« [u]n total de 15 personnes, dont 4 chefs locaux et des éléments des ADF, ont indiqué au [g]roupe que les conflits locaux avaient joué un rôle important dans les tueries perpétrées dans le territoire de Beni », que « [l]es différends liés au contrôle des terres ou à l’exercice du commandement [avaie]nt conduit à la création de milices locales », que « certains dirigeants locaux [avaie]nt également établi des liens avec différentes factions des ADF pour renforcer leur position » et que « [l]es éléments d’information recueillis montr[ai]ent également que certains officiers des FARDC [avaie]nt joué un rôle dans les meurtres en soutenant les groupes locaux ». Au point 203 de l’annexe B.15, il est mentionné qu'« [u]n ancien combattant maï-maï a également déclaré au [g]roupe d’experts qu’il avait été recruté par le général Mundos » et « a indiqué que le général l’avait rencontré et lui avait expliqué qu’un camp de formation était en cours de constitution [...] et serait opérationnel dans les semaines à venir ».

186    En outre, il convient de constater que, selon le point 4 de l’annexe B.15, le groupe d’experts « a fondé ses conclusions sur des documents et, dans la mesure du possible, sur des observations faites directement sur les lieux par les experts eux-mêmes » et que, « [à] défaut, il a cherché à faire corroborer les informations obtenues par au moins trois sources indépendantes dignes de foi ».

187    Il s’ensuit que, même si, selon le point 204 de l’annexe B.15, M. Akili Mundos a été informé par le groupe d’experts de l’ONU des preuves existant contre lui et a nié sa responsabilité, la méthode d’élaboration du rapport figurant dans l’annexe B.15, ainsi que le fait que ledit rapport provienne d’une organisation internationale telle que l’ONU, permettent au Tribunal de le prendre en compte et de considérer sa valeur probante comme étant suffisante pour venir au soutien, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, des motifs invoqués par le Conseil dans les actes attaqués, selon lesquels M. Akili Mundos, en tant que commandant des FARDC dans le cadre de l’opération Sukola I, avait recruté et équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014.

188    Or, en se limitant à affirmer que le Conseil n’a apporté aucune précision sur le rôle précis qu’il aurait eu et qu’il se fondait uniquement sur ses fonctions de commandant des FARDC, sans apporter le moindre élément probant de nature à contredire les affirmations du Conseil, fondées notamment sur l’annexe B.15, selon lesquelles, en tant que commandant des FARDC dans le cadre de l’opération Sukola I, il avait recruté et équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014, M. Akili Mundos n’a pas sérieusement mis en cause les accusations avancées par le Conseil à cet égard.

189    Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu par M. Akili Mundos, le Conseil n’est pas tenu de démontrer son implication personnelle dans les actes de violence visés par les mesures restrictives litigieuses. Il est suffisant que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par M. Akili Mundos, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile, d’autant plus que, dans le cas d’espèce, ce sont des effectifs des FARDC sous le commandement de M. Akili Mundos qui sont mentionnés dans l’annexe B.15 comme ayant été responsables des actes susvisés (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141).

190    En outre, la circonstance que les mesures restrictives imposées à M. Akili Mundos se réfèrent, comme il le soutient, à une période temporelle dépassée, n’est en tout état de cause pas de nature à remettre en question son inclusion sur les listes litigieuses.

191    En effet, il convient de rappeler que M. Akili Mundos a été désigné sur les listes litigieuses au motif que, en tant que commandant des FARDC, dans le cadre de l’opération Sukola I, il était responsable d’opérations militaires contre les ADF d’août 2014 à juin 2015, ayant recruté et équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014 et ayant donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

192    Il convient à cet égard de rappeler qu’aucun élément dans le dossier n’indique que, le 29 mai 2017, date de l’adoption des actes attaqués, M. Akili Mundos n’exerçait plus de fonctions dans les FARDC, telles qu’elles sont décrites dans les motifs de sa désignation sur les listes litigieuses.

193    Il y a lieu également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Akili Mundos a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument de M. Akili Mundos tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes est inopérant.

194    Il y a donc lieu de considérer, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, que, en l’espèce, il existe un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que M. Akili Mundos, en tant que commandant des FARDC dans le cadre de l’opération Sukola I et responsable d’opérations militaires contre les ADF d’août 2014 à juin 2015, a recruté et a équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014.

195    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté en ce qui concerne M. Akili Mundos.

 En ce qui concerne M. Ruhorimbere

196    M. Ruhorimbere conteste sa responsabilité dans les faits qui lui sont reprochés par le Conseil, en affirmant qu’il n’a fait que donner des instructions, suivant celles de sa hiérarchie, aux forces sous son commandement de déployer des effectifs à Mwanza Lomba, au Kasaï Oriental, face à une attaque de la milice « Kamuina Nsapu ». Il souligne que le peloton des FARDC déployé dans cette localité s’est rendu coupable d’exactions dont les auteurs ont été sanctionnés sur le plan disciplinaire et judiciaire et que, à la date des événements en question à Mwanza Lomba, il se trouvait en Belgique. Il considère que le Conseil n’a apporté aucun élément quant au rôle précis qu’il aurait joué et se fonde uniquement sur ses fonctions de commandant adjoint. Il fait valoir que les missions des forces armées doivent s’effectuer dans le respect de la dignité et des libertés fondamentales, et qu’elles assurent la promotion et la protection des droits humains. En outre, M. Ruhorimbere observe que le Conseil vise une période temporelle passée, ne permettant pas de retenir une quelconque implication actuelle de sa part. Par ailleurs, il considère que le Conseil n’établit pas en quoi un recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique dans la région.

197    Le Conseil conteste ces arguments.

198    En premier lieu, il convient de constater que les faits sous-jacents à la désignation de M. Ruhorimbere sur les listes litigieuses sont en large mesure identiques à ceux sur lesquels le Conseil s’est fondé pour y inscrire M. Kande Mupompa. En effet, le Conseil a évoqué dans les motifs de désignation de chacun d’eux le recours disproportionné à la force et des exécutions extrajudiciaires par des forces de sécurité, notamment dans le cadre du conflit avec la milice « Kamuina Nsapu ».

199    À cet égard, au point 111 ci-dessus, à la suite de l’analyse effectuée aux points 103 à 110 ci-dessus, il a été conclu que le Conseil avait fait état, devant le Tribunal, d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre M. Kande Mupompa et les faits décrits dans les motifs de sa désignation dans les actes attaqués, à savoir le caractère disproportionné du recours à la force, à la répression violente et aux exécutions extrajudiciaires par les forces de l’ordre au Kasaï Central depuis 2016.

200    Or, sur la base de cette même analyse, effectuée aux points susmentionnés du présent arrêt, notamment prenant en compte les arguments des parties qui y sont mentionnés ainsi que les annexes B.5, B.10 et C.27 et la valeur probante respective de celles-ci, une conclusion similaire doit être tirée en ce qui concerne M. Ruhorimbere, à savoir l’existence d’un caractère disproportionné du recours à la force et des exécutions extrajudiciaires par les forces de l’ordre au Kasaï Central depuis 2016, notamment par les FARDC dans le cadre du conflit avec la milice « Kamuina Nsapu ».

201    Cela démontre, par ailleurs, que les FARDC, lors des missions en question, n’ont pas respecté la dignité et les libertés fondamentales et qu’elles n’ont pas non plus assuré la promotion et la protection des droits humains, en dépit du fait que, selon M. Ruhorimbere, elles y étaient obligées.

202    En deuxième lieu, quant à la responsabilité de M. Ruhorimbere dans les faits reprochés par le Conseil, qu’il conteste, il convient, tout d’abord, de constater que, ainsi qu’il le confirme, il était le commandant adjoint des effectifs des FARDC qui, suite à ses instructions, ont été déployés à Mwanza Lomba, au Kasaï Oriental, face à une attaque de la milice « Kamuina Nsapu ».

203    Ensuite, il convient d’écarter l’argument de M. Ruhorimbere selon lequel il ne serait pas responsable des actes des effectifs sous son commandement, dans la mesure où il se serait limité à donner des instructions suivant celles de sa hiérarchie. En effet, à supposer même que M. Ruhorimbere n’ait qu’exécuté des ordres de sa hiérarchie, il n’en demeure pas moins que par les instructions qu’il aurait données, il aurait en tout état de cause contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo, d’autant plus que, comme le Conseil le fait valoir à juste titre sans être contesté par M. Ruhorimbere sur ce point, un tel argument se heurte à l’article 28 de la Constitution congolaise, qui prévoit que personne n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal ou contraire au respect des droits de l’homme et des libertés publiques.

204    Enfin, il convient également d’écarter l’argument de M. Ruhorimbere, pour contester sa responsabilité dans les actes des effectifs sous son commandement, selon lequel, d’une part, le Conseil n’a apporté aucun élément quant au rôle précis qu’il aurait eu et se fonde uniquement sur ses fonctions de commandant adjoint et, d’autre part, à la date des événements en question ayant eu lieu à Mwanza Lomba, il se trouvait en Belgique.

205    À cet égard, d’une part, ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre, ce dernier n’est pas tenu de démontrer une implication personnelle de M. Ruhorimbere dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. Il est suffisant que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par M. Ruhorimbere, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile, d’autant plus que, dans le cas d’espèce, ce sont des effectifs appartenant aux FARDC, dont la responsabilité appartenait à M. Ruhorimbere en tant que commandant adjoint de la 21e région militaire de la République démocratique du Congo, qui, ainsi que cela a été mentionné au point 200 ci-dessus, se sont rendus responsables du recours disproportionné à la force et des exécutions extrajudiciaires au Kasaï Central depuis 2016, notamment dans le cadre du conflit avec la milice « Kamuina Nsapu » (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141).

206    D’autre part, le fait que M. Ruhorimbere se trouvait à l’étranger entre le 20 juin et le 12 octobre 2016 n’est pas, en soi, suffisant pour écarter ou diminuer sa responsabilité dans les faits qui lui sont imputés dans les motifs des actes attaqués. Comme le Conseil le fait valoir à juste titre, et ainsi que M. Ruhorimbere l’a confirmé lors de l’audience à la suite d’une question posée par le Tribunal, il est demeuré, pendant ladite période, dans ses fonctions de commandant adjoint de la 21e région militaire de la République démocratique du Congo. À ce titre, l’autorité et la responsabilité de M. Ruhorimbere envers les effectifs sous son commandement n’ont pas été suspendues.

207    Par ailleurs, il découle des motifs de la désignation de M. Ruhorimbere sur les listes litigieuses que le Conseil lui a imputé une responsabilité dans le recours disproportionné à la force et à des exécutions extrajudiciaires par les FARDC notamment contre la milice « Kamuina Nsapu » et contre des femmes et des enfants, sans pour autant limiter sa responsabilité aux événements à Mwanza Lomba, au Kasaï Oriental. Or, ainsi qu’il ressort notamment de l’annexe C.27, le conflit avec la milice « Kamuina Nsapu » s’est prolongé au moins jusqu’en mars 2017, et c’est la mise en place d’une zone opérationnelle militaire à ce moment-là qui, selon M. Ruhorimbere, a permis de neutraliser ladite milice. Or, à partir du 12 octobre 2016, M. Ruhorimbere était déjà rentré sur le territoire de la République démocratique du Congo et ne prétend d’ailleurs pas ne pas avoir exercé pleinement ses fonctions de commandant adjoint de la 21e région militaire à partir de cette date, et ce jusqu’en mars 2017. Au contraire, lors de l’audience, M. Ruhorimbere a confirmé, à la suite d’une question posée par le Tribunal, qu’il n’avait changé de fonctions qu’en juillet 2018.

208    En troisième lieu, en ce qui concerne l’argument de M. Ruhorimbere selon lequel le Conseil vise une période temporelle passée, ne permettant pas de retenir une quelconque implication actuelle de sa part, il y a lieu de rappeler que M. Ruhorimbere a été désigné sur les listes litigieuses en tant que commandant adjoint de la 21e région militaire de la République démocratique du Congo depuis le 18 septembre 2014, fonctions qu’il exerçait à la date de l’adoption des actes attaqués, et, de ce fait, en tant que responsable du recours disproportionné à la force et à des exécutions extrajudiciaires par les FARDC, notamment contre la milice « Kamuina Nsapu » et contre des femmes et des enfants. M. Ruhorimbere aurait ainsi contribué, en les planifiant, les dirigeant ou les commettant, à des actes constituants de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

209    Il convient également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Ruhorimbere a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument de M. Ruhorimbere tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes est inopérant.

210    Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’écarter cet argument de M. Ruhorimbere et, dès lors, le deuxième moyen en ce qui le concerne.

 En ce qui concerne M. Shadary

211    M. Shadary conteste, d’une part, l’accusation du Conseil concernant sa responsabilité dans l’arrestation d’activistes et de membres de l’opposition, qui ne serait étayée ni par des indications sur les circonstances de temps et de lieu ni par des indications sur l’identité des victimes et des auteurs et qui se fonderait uniquement sur les fonctions qu’il a exercées. D’autre part, s’agissant de l’usage disproportionné de la force au Kongo Central, à Kinshasa et au Kasaï, il affirme que la police s’est limitée à riposter aux menaces existantes, notamment de la part des membres de la milice « Kamuina Nsapu », qui utilisaient des armes de guerre et qui avaient commis des atrocités envers des civils et les forces de l’ordre. À cet égard, il fait remarquer que, concomitamment, des négociations ont été menées par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité et que plusieurs enquêtes judiciaires ont été ouvertes afin de déterminer les responsabilités dans les événements au Kasaï. Il fait valoir que la PNC est obligée par la loi de respecter la Constitution et, notamment, de ne recourir à la force qu’en cas de nécessité absolue et uniquement pour atteindre un objectif légitime, et en tout état de cause dans le respect du « principe de proportionnalité et de progressivité ». Il souligne que s’il y a pu avoir une utilisation excessive de la force par des officiers de police, ceux-ci ont été poursuivis devant des juridictions militaires. En outre, en se référant à la Constitution de la République démocratique du Congo de 2006 et à la loi portant principes fondamentaux de libre administration des provinces, il conteste avoir les fonctions, qui lui sont attribuées par le Conseil, de coordinateur du travail des gouverneurs provinciaux, en affirmant que la gestion des provinces est assurée de manière autonome par les gouverneurs respectifs, et observe que le pouvoir hiérarchique dont il disposait en tant que ministre de l’Intérieur et de la Sécurité sur les services de sécurité ne peut s’entendre comme une intégration à la structure de commandement de la police et se limite, en pratique, à la transmission de rapports mensuels par le commissaire général. Il fait valoir, dans la réplique, qu’il a entrepris différentes démarches, en tant que ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, en vue de trouver des solutions politiques durables au Kongo Central. Il souligne que, le 26 février 2018, il a quitté toutes fonctions gouvernementales. Par ailleurs, M. Shadary observe que le Conseil vise une période temporelle passée, ne permettant pas de retenir une quelconque implication actuelle de sa part.

212    Le Conseil conteste ces arguments.

213    En premier lieu, quant à la responsabilité de M. Shadary dans l’arrestation d’activistes et des membres de l’opposition, ainsi que de l’usage disproportionné de la force depuis sa nomination en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, il ressort de plusieurs documents, auxquels il est fait référence dans différents liens Internet fournis par le Conseil dans l’annexe B.14, à la page 236, au paragraphe 3, qui sont des documents accessibles au public dont le contenu est connu de M. Shadary, ainsi qu’il l’a confirmé lors de l’audience, et a pu être vérifié par le Tribunal, qu’il existe un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, l’existence d’un lien suffisant entre M. Shadary et les faits qui lui sont imputés par le Conseil et décrits dans les motifs des actes attaqués.

214    En effet, premièrement, dans la note du BCNUDH de janvier 2017, il est mentionné que, « [d]urant le mois de janvier 2017, le BCNUDH a documenté 427 violations des droits de l’homme sur l’étendue du territoire de la RDC » et que, « [p]armi ces violations, au moins 66 sont des atteintes au droit à la vie dont 12 exécutions extrajudiciaires par des agents de l’État ayant fait 26 victimes ». Selon ce même document, « [p]armi les agents de l’État, les principaux auteurs des violations des droits de l’homme documentées au mois de janvier 2017 sont [...] les agents de la PNC, qui sont responsables de 108 violations des droits de l’homme ». Le même document fait valoir que, « [d]ans les territoires affectés par le conflit armé, un total de 319 violations des droits de l’homme a été enregistré par le BCNUDH ayant causé la mort d’au moins 44 civils », que, « [p]armi ces violations [...] 134 [...] ont été commises par les agents de l’Etat (causant la mort d’au moins 13 civils) », que « le BCNUDH a documenté 42 violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales liées à des restrictions de l’espace démocratique sur l’ensemble du territoire congolais » et que, « [l]es auteurs présumés des violations documentées pendant le mois de janvier 2017 sont, à l’instar des mois précédents, les agents de la PNC (26 violations), suivis par les combattants des groupes armés (six violations), les agents de l’ANR (cinq violations) et des militaires des FARDC ».

215    Deuxièmement, dans la note du BCNUDH de février 2017, il est mentionné que, au cours de cette période, « les militaires des FARDC ont été responsables de 183 victimes d’exécutions extrajudiciaires – dont 71 enfants et cinq femmes – [...] principalement dans la province du Kasaï Central (151 victimes, dont 60 enfants), mais aussi au Tanganyika (20 victimes dont cinq femmes et huit enfants), au Nord-Kivu (10 victimes dont un enfant) et au Haut-Uélé (deux victimes mineures) ». Le même document indique que « [l]es agents de la PNC ont [...] été responsables de l’exécution extrajudiciaire d’au moins 23 personnes » au cours de la même période, lors de laquelle le BCNUDH a également « documenté 57 violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales liées à des restrictions de l’espace démocratique sur l’ensemble du territoire congolais », dont les principaux auteurs « sont, à l’instar des mois précédents, les agents de la PNC (32 violations), suivis par les militaires des FARDC (18 violations), les agents de l’ANR (deux violations), les autorités politico-administratives (deux violations) et les combattants des groupes armés (deux violations) ». D’après ce document, les violations en question « ont été commises principalement dans les provinces de Kinshasa (16 violations) et du Kongo Central (13 violations) ».

216    Troisièmement, dans la note du BCNUDH de mars 2017, il est mentionné que, au cours cette période, il a été rapporté l’existence de « 101 victimes d’exécutions extrajudiciaires par des agents de l’État », notamment de la part d’agents de la PNC et des FARDC. Selon le même document, au cours de cette période, le BCNUDH a pu constater que « les agents de la PNC [...] [avaie]nt été les auteurs de l’exécution extrajudiciaire d’au moins 10 personnes, dont deux femmes et quatre enfants, dont la moitié commise au Kasaï Central », et que « 73 violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales liées à des restrictions de l’espace démocratique sur l’ensemble du territoire congolais » avaient été commises par des « agents de la PNC (33 violations), suivis des agents de l’ANR (12 violations) et des militaires des FARDC (11 violations) ». Selon ce même document, « [l]es membres de partis politiques (21 victimes) et d’organisations de la société civile (13 victimes), ainsi que deux journalistes, [avaie]nt été particulièrement visés ».

217    Or, le fait que les trois notes mentionnées aux points 214, 215 et 216 ci-dessus proviennent d’une organisation internationale telle que l’ONU permettent au Tribunal de les prendre en compte et de considérer leur valeur probante comme étant suffisante pour venir au soutien des motifs invoqués par le Conseil dans les actes attaqués, concernant la responsabilité de M. Shadary dans l’arrestation d’activistes et des membres de l’opposition, ainsi que de l’usage disproportionné de la force par des agents de l’État, y compris de la PNC et de l’ANR.

218    Quant aux allégations de M. Shadary à cet égard, il a indiqué, notamment dans la réplique, que le Conseil n’établit pas en quoi le recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard, notamment, des potentiels impératifs de sécurité publique et des troubles à la paix publique auxquels a fait face la population congolaise depuis 2016. Il a également indiqué que, au mois d’avril 2017, il aurait effectué une mission dans les provinces du Kasaï Central et du Kasaï, à la suite de laquelle un dialogue entre les parties en conflit aurait été instauré, et que, en septembre 2017, une conférence sur la paix au Kasaï aurait eu lieu, afin de trouver des solutions pour le conflit dans cette région et de dégager des schémas de relance économique.

219    Or, il convient de constater, d’une part, que les faits ainsi allégués par M. Shadary ne sont pas de nature à remettre en question ceux évoqués par le Conseil, concernant l’arrestation d’activistes et des membres de l’opposition, ainsi que de l’usage disproportionné de la force, notamment entre janvier et mars 2017, et la responsabilité de M. Shadary dans ces événements. D’autre part, il convient également de constater que M. Shadary n’a pas apporté le moindre élément probant de nature à contredire lesdits faits évoqués par le Conseil sur la base des trois notes du BCNUDH mentionnées aux points 214, 215 et 216 ci-dessus et n’a donc pas sérieusement mis en cause les accusations avancées par le Conseil contre lui.

220    Le Conseil ayant apporté des éléments de preuve permettant au Tribunal de constater l’existence d’un lien suffisant entre M. Shadary et les faits qui lui sont imputés par le Conseil quant à sa responsabilité dans l’arrestation d’activistes et des membres de l’opposition, ainsi que dans l’usage disproportionné de la force depuis sa nomination en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, tel que la répression ayant eu lieu à Kinshasa en janvier et en février 2017 et le recours disproportionné à la force et à la répression violente dans les provinces du Kasaï, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs invoqués par le Conseil pour la désignation de M. Shadary sur les listes litigieuses, notamment concernant l’allégation de l’usage disproportionné de la force dans le cadre des mesures de répression contre des membres du mouvement BDK au Congo Central.

221    En effet, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité des actes attaqués, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130).

222    En deuxième lieu, en ce qui concerne les responsabilités de M. Shadary, en tant que responsable des services de police et de sécurité en République démocratique du Congo, dans les faits évoqués par le Conseil dans les motifs des actes attaqués, il est constant, ainsi qu’il ressort de l’ordonnance no 15/015 du 21 mars 2015 que, depuis le 20 décembre 2016, M. Shadary était responsable en République démocratique du Congo, en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, de la politique de sureté nationale, intérieure et extérieure, ainsi que du maintien de l’ordre public, de la sécurité publique et de la protection des personnes et de leurs biens. Il ressort également du dossier, notamment de l’article 6 de la loi organique no 11/013 du 11 août 2011, portant organisation et fonctionnement de la police nationale congolaise, que la PNC était placée, pendant cette période, sous la responsabilité du ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions.

223    M. Shadary prétend, toutefois, que son pouvoir hiérarchique sur la PNC et les services de sécurité se limitait, en pratique, à la réception de rapports mensuels élaborés par le commissaire général de la PNC.

224    À cet égard, ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre, et à l’instar de ce qui a été mentionné au point 80 ci-dessous à propos de M. Boshab, prédécesseur de M. Shadary dans les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, le Conseil n’est pas tenu de démontrer une implication personnelle de M. Shadary dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. Il est suffisant que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par M. Shadary, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile, d’autant plus que, dans le cas d’espèce, ce sont des effectifs appartenant à la PNC et à d’autres forces de sécurité, dont la responsabilité appartenait à M. Shadary en tant que vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, qui sont évoqués dans les trois notes du BCNUDH mentionnés aux points 214, 215 et 216 ci-dessus, comme ayant été responsables des actes susvisés (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141).

225    Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’argument de M. Shadary, notamment au point 200 de la réplique, selon lequel le pouvoir hiérarchique dont il disposait, en tant que ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, sur les services de sécurité se limitait à la réception de rapports mensuels et selon lequel son « pouvoir hiérarchique [...] sur la [p]olice nationale et les services de sécurité [...] ne p[ouvai]t s’entendre comme une intégration à la structure de commandement de la police ».

226    En troisième lieu, quant aux responsabilités de M. Shadary en tant que responsable de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux dans les faits évoqués par le Conseil dans les motifs des actes attaqués, ainsi que cela a été conclu au point 86 ci-dessus à propos de M. Boshab, et pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 84 et 85 ci-dessus, M. Shadary avait effectivement un rôle de coordination du pouvoir central avec les gouverneurs de province, en vue notamment d’assurer une bonne répartition des compétences concurrentes et exclusives de la province et du gouvernement central, comme d’ailleurs M. Shadary l’observe.

227    Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’argument de M. Shadary selon lequel ce dernier n’était pas responsable de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux.

228    En quatrième lieu, M. Shadary observe qu’il a quitté toutes fonctions gouvernementales le 26 février 2018, et considère que les mesures restrictives litigieuses seraient par conséquent obsolètes à son égard. Par ailleurs, M. Shadary observe que le Conseil vise une période temporelle passée, ne permettant pas de retenir une quelconque implication actuelle de sa part.

229    Il convient d’abord de rappeler que M. Shadary a été désigné sur les listes litigieuses au motif que, lorsqu’il exerçait les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, depuis le 20 décembre 2016, il aurait contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Par ailleurs, il n’est pas contesté que, le 29 mai 2017, date de l’adoption des actes attaqués, M. Shadary exerçait lesdites fonctions.

230    Il convient également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Shadary a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument de M. Shadary tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes est inopérant.

231    Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’écarter l’argument de M. Shadary selon lequel les mesures restrictives litigieuses seraient obsolètes à son égard.

232    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté en ce qui concerne M. Shadary.

 En ce qui concerne M. Mutondo

233    M. Mutondo conteste les accusations portées contre lui par le Conseil. Il considère que les comportements qui lui sont reprochés ne lui sont imputés que sur la base de ses fonctions, aucune incrimination précise ne lui ayant été attribuée. Il fait valoir que les effectifs de l’ANR peuvent, comme cela est prévu par la loi, procéder à des arrestations et des détentions conformément au code de procédure pénale congolais. Il observe que le Conseil n’a apporté aucune preuve quant à de mauvais traitements infligés par des éléments de l’ANR à des personnes en détention. En outre, il affirme qu’il est de notoriété publique qu’il s’est employé activement, depuis 2015, à la recherche d’une solution pacifique pour la situation en République démocratique du Congo, ce qui a abouti à l’accord global et inclusif du 31 décembre 2016. Il fait valoir que l’ANR a systématiquement contribué à l’organisation d’élections. M. Mutondo observe que le Conseil ne vise aucune période temporelle, mais l’utilisation du temps verbal passé démontrerait que les faits allégués ne sont pas actuels.

234    Le Conseil conteste ces arguments.

235    En premier lieu, quant à l’argument selon lequel le Conseil n’aurait apporté aucune preuve quant à de mauvais traitements infligés par des éléments de l’ANR à des personnes en détention, il convient de constater, ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre en s’appuyant sur l’annexe B.5, que « [l]es agents de l’ANR ont, pour leur part, commis 90 violations des droits de l’homme dans les territoires affectés par le conflit, deux tiers d’entre elles ayant été commises au Nord-Kivu (60 violations) » et que « [l]e principal type de violations perpétrées par des agents de l’ANR dans ces régions concernait également des atteintes à la liberté et à la sécurité de la personne (44 atteintes et 66 victimes) ». Selon cette même annexe, « [e]n 2016, le BCNUDH a documenté 1 102 violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales liées à des restrictions de l’espace démocratique sur l’ensemble du territoire congolais », « [c]e nombre, en hausse importante par rapport à l’année précédente, constitue plus de quatre fois le nombre total de ce type de violations documentées sur toute l’année 2015 » et « [l]es principaux auteurs des violations documentées en 2016 restent, à l’instar de l’année précédente, les agents de la PNC (539 violations, soit près de la moitié des violations), suivis par les agents de l’ANR (182 violations) ».

236    En outre, selon l’annexe B.3, « [l]e 19 décembre, l’ANR a arrêté cinq personnes et des agents de la PNC ont arrêté 22 personnes pour avoir porté des t-shirts rouges symbolisant un “carton rouge” donné au président Kabila pour quitter son poste » et, « [a]u moment de la rédaction du présent rapport, sur les 115 personnes arrêtées à Goma, 102 avaient été libérées et 13 étaient toujours en détention ». Selon ce même document, « [l]e 21 décembre, à Mbuji-Mayi, province du Kasaï Oriental, huit membres de LUCHA [mouvement de citoyens « Lutte pour le changement »] ont été arrêtés dans un bar et battus par des agents de l’ANR pour avoir planifié des manifestations dans la ville malgré l’interdiction de manifestations publiques décidée par le maire ». Toujours selon cette annexe, « [l]a plupart des personnes arrêtées pendant cette période ont été conduites dans des camps militaires ou des lieux de détentions de l’ANR », « [l]e BCNUDH n’a pas été autorisé à visiter ces lieux » et « [l]e nombre de personnes arrêtées lors de ces événements pourrait donc être plus élevé que les chiffres présentés dans ce rapport ».

237    À l’instar de ce qui a été conclu au point 76 ci-dessus, la méthode d’élaboration de chacun de ces rapports ainsi que le fait qu’ils proviennent d’une organisation internationale telle que l’ONU permettent au Tribunal de les prendre en compte et de considérer leur valeur probante comme étant suffisante, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 64 ci-dessus, pour venir au soutien des motifs invoqués par le Conseil dans les actes attaqués, selon lesquels M. Mutondo s’est rendu responsable de l’arrestation arbitraire de membres de l’opposition, de militants de la société civile et d’autres personnes, ainsi que dans les mauvais traitements qui leur ont été infligés.

238    Or, en se limitant à indiquer, notamment dans la réplique, premièrement, que le Conseil lui aurait imputé les comportements reprochés uniquement sur la base de ses fonctions, aucune incrimination précise ne lui ayant été attribuée, deuxièmement, que les effectifs de l’ANR peuvent, comme cela est prévu par la loi, procéder à des arrestations et des détentions conformément au code de procédure pénale congolais, troisièmement, que le Conseil n’aurait apporté aucune preuve quant à des mauvais traitements infligés par des éléments de l’ANR à des personnes en détention, quatrièmement, qu’il serait de notoriété publique qu’il se serait employé activement, depuis 2015, à la recherche d’une solution pacifique pour la situation en République démocratique du Congo et, cinquièmement, que l’ANR aurait systématiquement contribué à l’organisation d’élections, sans apporter le moindre élément probant de nature à contredire les faits, décrits aux points 235 et 236 ci-dessus, évoqués par le Conseil sur la base de deux rapports du BCNUDH, M. Mutondo n’a pas sérieusement mis en cause les accusations avancées par le Conseil contre lui, selon lesquelles il y avait eu des arrestations arbitraires et des détentions de membres de l’opposition, de militants de la société civile et d’autres personnes, ainsi que de mauvais traitements qui leur avaient été infligés, qu’il en portait la responsabilité et qu’il avait ainsi porté atteinte à l’État de droit, fait obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en République démocratique du Congo et planifié ou dirigé des actes qui constituaient de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

239    À cet égard, ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre, ce dernier n’est pas tenu de démontrer une implication personnelle de M. Mutondo dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. Il est suffisant que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par M. Mutondo, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile, d’autant plus que, dans le cas d’espèce, ce sont des effectifs appartenant à l’ANR, dont la responsabilité appartenait à M. Mutondo en tant que directeur, qui sont indiqués dans les deux rapports du BCNUDH mentionnés aux points 235 et 236 ci-dessus, comme ayant été responsables des actes susvisés (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141).

240    En deuxième lieu, quant à l’argument de M. Mutondo selon lequel les faits allégués par le Conseil contre lui ne sont pas actuels, il convient d’abord de rappeler que M. Mutondo a été désigné sur les listes litigieuses en raison de ses fonctions de directeur de l’ANR, que, d’ailleurs, il exerce toujours.

241    Il convient également de rappeler que, dans la présente affaire, M. Mutondo a uniquement contesté son inscription initiale sur les listes litigieuses, opérée par les actes attaqués. L’objet du présent recours ne porte donc pas sur les renouvellements d’une telle inscription qui ont eu lieu ultérieurement et, par conséquent, tout argument de M. Mutondo tendant à contester de tels renouvellements ou le maintien de son nom sur lesdites listes est inopérant.

242    Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’écarter l’argument de M. Mutondo selon lequel les mesures restrictives litigieuses seraient obsolètes à son égard.

243    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté en ce qui concerne M. Mutondo.

244    Partant, il convient de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

245    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Évariste Boshab et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.

Gervasoni

Madise

da Silva Passos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 mars 2019.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

             M. Prek



*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.