Language of document : ECLI:EU:T:2023:684

Affaire T48/23

Eugen Tomac

contre

Conseil de l’Union européenne

 Ordonnance du Tribunal (quatrième chambre) du 26 octobre 2023

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie – Absence d’acte attaquable – Unanimité requise non atteinte – Irrecevabilité manifeste partielle – Demande d’un délai à même de permettre une reprise du recours – Incompétence manifeste partielle »

1.      Recours en annulation – Actes susceptibles de recours – Notion – Actes produisant des effets juridiques obligatoires – Vote emportant la non-adoption par le Conseil d’un projet de décision nécessitant l’unanimité des membres représentant les gouvernements des États membres – Exclusion – Irrecevabilité manifeste

(Art. 263 TFUE)

(voir points 25-36, 38)

2.      Recours en annulation – Délais – Caractère d’ordre public – Demande d’un délai à même de permettre une reprise du recours – Incompétence manifeste

(Art. 263, 6e al., TFUE)

(voir point 40)

Résumé

L’acquis de Schengen (1) est un corpus juridique visant la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes au sein des États membres de l’espace Schengen.

En ce qui concerne la Roumanie, l’article 4, paragraphes 1 et 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne (2) prévoit en substance que les dispositions de l’acquis de Schengen et les actes fondés sur celles-ci ou qui s’y rapportent, énumérés à l’annexe II, sont contraignants et s’appliquent en Bulgarie et en Roumanie à compter de la date d’adhésion. Le paragraphe 2 précise que les dispositions et les actes qui ne sont pas visés au paragraphe 1, bien que demeurant contraignants, ne s’appliquent en Bulgarie et en Roumanie qu’à la suite d’une décision du Conseil de l’Union européenne à cet effet, après qu’il a été vérifié que les conditions nécessaires à l’application de toutes les parties concernées de l’acquis sont remplies dans l’État en question. Le Conseil, après consultation du Parlement européen, statue alors à l’unanimité de ses membres représentant les gouvernements des États membres pour lesquels les dispositions de l’acquis Schengen ont déjà pris effet et du représentant du gouvernement de l’État membre pour lequel ces dispositions doivent prendre effet.

À la suite de son adhésion à l’Union, le 1er janvier 2007, la Roumanie a entrepris, entre 2009 et 2011, une série de démarches au titre des procédures d’évaluation de Schengen, dans l’objectif de réunir les critères requis aux fins de l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen.

Par conclusions, du 9 juin 2011, sur l’achèvement du processus d’évaluation concernant le degré de préparation de la Roumanie en vue de la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions de l’acquis Schengen, le groupe « Affaires Schengen » (évaluation de Schengen) du Conseil a pris acte de l’achèvement des procédures d’évaluation de Schengen concernant la Roumanie. Constatant que les conditions dans tous les domaines de l’acquis de Schengen étaient remplies en Roumanie, il a conclu que le Conseil pouvait prendre la décision visée à l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union.

Par la suite, la Commission européenne a confirmé que la Roumanie remplissait les conditions nécessaires pour que les dispositions de l’acquis de Schengen soient reconnues applicables dans cet État et a invité le Conseil à prendre les mesures nécessaires à cet effet. Le 21 octobre 2022, un rapport d’experts établi sous l’autorité de la Commission a confirmé les conclusions des procédures d’évaluation achevées en 2011. Ce rapport a également exposé que la Roumanie avait mis en œuvre l’acquis et ses outils, et en avait même renforcé l’application dans tous les domaines. La Commission a renouvelé son invitation au Conseil à admettre l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen.

Le 29 novembre 2022, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union, la présidence du Conseil a établi le projet no 15218/22, de décision du Conseil relative à l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie. Le 8 décembre 2022, lors de la réunion de la formation « Justice et affaires intérieures » (JAI) du Conseil, à défaut d’unanimité des représentants des gouvernements des États membres s’agissant du projet no 15218/22, celui-ci n’a pas été adopté.

Le 15 décembre 2022, le requérant, un député européen de nationalité roumaine, a demandé au secrétariat général du Conseil de lui communiquer les résultats du vote sur l’application intégrale de l’acquis Schengen en Roumanie, ainsi que le procès-verbal ou le rapport de cette réunion. Le 16 décembre 2022, le secrétariat général du Conseil a répondu au requérant que, au cours de cette réunion, le projet no 15218/22 n’avait effectivement pas été adopté et que, conformément au règlement intérieur du Conseil, dans la mesure où il s’agissait de délibérations sur un acte non législatif non ouvertes au public, les résultats des votes ne faisaient l’objet d’aucune publicité. Il en allait de même du procès-verbal relatif à cette procédure.

Le 6 février 2023, le requérant a introduit, devant le Tribunal, un recours visant notamment l’annulation de la « décision » du Conseil du 8 décembre 2022 emportant non-adoption du projet no 15218/22 (affaire T‑48/23).

Le même jour, le requérant a transmis à un ministre membre de la formation JAI du Conseil, une invitation à agir adressée au Conseil, en application de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, afin de décider de l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie, au regard de l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union. Le 13 avril 2023, le directeur général chargé de la politique générale et institutionnelle (GIP) du Conseil a répondu au requérant en rappelant que le projet no 15218/22 n’avait pas reçu le soutien unanime des représentants des États membres concernés et que les négociations se poursuivaient jusqu’à l’obtention de l’unanimité requise par le protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union.

Le requérant a alors introduit, devant le Tribunal, un recours en carence visant, notamment, à faire constater l’abstention fautive du Conseil à entreprendre toute démarche en vue de décider de l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union (affaire T‑244/23).

Par deux ordonnances, le Tribunal rejette le premier recours en partie comme manifestement irrecevable et en partie pour cause d’incompétence manifeste (affaire T‑48/23) et le second comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit (affaire T‑244/23). L’enjeu de ces deux affaires est lié à l’importance de l’objet du litige, qui concerne l’adoption, par le Conseil, d’une décision relative à l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie. En outre, ces deux affaires donnent l’occasion au Tribunal d’interpréter, de manière inédite, dans le cadre d’un recours en annulation et d’un recours en carence, l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union.

Appréciation du Tribunal

S’agissant du recours en annulation (T‑48/23), le Tribunal vérifie si, en l’espèce, la non-adoption, par le Conseil, du projet no 15218/22 constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE. À cet égard, en ce qui concerne l’adoption d’une décision du Conseil relative à l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie, au sens de l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union, le Tribunal précise que l’achèvement des procédures d’évaluation de Schengen n’est qu’une étape de la procédure prévue par cet article. Cette étape s’accompagne d’une consultation du Parlement, suivie de l’adoption d’une décision du Conseil. Surtout, il ressort de l’article 4, paragraphe 2, deuxième alinéa, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union qu’une telle décision du Conseil ne peut exister, et partant produire des effets de droit obligatoires pour le requérant, que si elle est adoptée à l’unanimité des membres du Conseil représentant les gouvernements des États membres pour lesquels les dispositions de l’acquis de Schengen ont déjà pris effet et du représentant du gouvernement de la Roumanie pour laquelle ces dispositions doivent prendre effet.

Or, en l’espèce, le Tribunal souligne que l’unanimité requise n’a pas été atteinte s’agissant du vote de ces représentants sur le projet no 15218/22. Par ailleurs, il relève que l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union ne fixe aucun délai à l’expiration duquel la décision du Conseil doit ou est réputée intervenir. Ainsi, l’aboutissement des autres étapes prévues audit article, ou toute prise de position des institutions de l’Union, ne saurait lier lesdits représentants ou présumer d’une prise de position de leur part avant l’adoption formelle d’une telle décision dans les conditions rappelées ci-dessus. En outre, le vote sur le projet no 15218/22 n’implique pas de revenir sur l’achèvement des étapes préalables et de recommencer la procédure prévue dans son entier.

Faute d’unanimité requise, le Tribunal conclut qu’aucune décision du Conseil n’a été prise au sens de l’article 4, paragraphe 2, du protocole d’adhésion de la Roumanie à l’Union et que le vote emportant non-adoption du projet no 15218/22 n’équivaut pas à un refus du Conseil de prendre ultérieurement une telle décision. Ainsi, cette non-adoption du projet no 15218/22 ne saurait être considérée comme donnant lieu à un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE (3). Une telle conclusion n’est pas contraire au droit à un recours effectif, énoncé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union.

Par conséquent, le Tribunal rejette comme manifestement irrecevable le recours, en ce qu’il vise à faire annuler la non-adoption du projet no 15218/22 lors du vote du Conseil.

S’agissant du recours en carence (T‑244/23), le Tribunal rappelle, d’emblée, la jurisprudence selon laquelle un recours en carence est subordonné à l’existence d’une obligation d’agir pesant sur l’institution concernée, de telle façon que l’abstention alléguée soit contraire au traité et qu’une personne physique ou morale ne peut saisir le juge de l’Union au titre de l’article 265, troisième alinéa, TFUE qu’en vue de faire constater que l’une des institutions, l’un des organes ou l’un des organismes de l’Union s’est abstenu, en violation du traité, d’adopter un acte, autre qu’une recommandation ou un avis, dont elle est le destinataire potentiel ou qu’elle pourrait attaquer par la voie d’un recours en annulation.

Ainsi, le Tribunal s’attache à vérifier si, en l’espèce, au moment de l’invitation à agir adressée au Conseil, il pesait sur ce dernier une obligation d’agir dans le sens préconisé par le requérant. À cet égard, le Tribunal constate que l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union ne fixe aucun délai à l’expiration duquel une décision du Conseil au titre de cet article doit ou est réputée intervenir. En outre, dès lors que ledit article exige l’unanimité des représentants des gouvernements des États membres concernés, ceux-ci ne sont pas tenus d’adopter en toutes circonstances une décision et disposent au contraire d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d’exiger d’eux, et du Conseil, que, au moment des délibérations sur un projet de décision, ils prennent une position dans un sens déterminé. Dans ces conditions, en réponse à la demande d’agir du requérant, le Conseil ne pouvait légalement passer outre l’absence d’unanimité des représentants des États membres concernés lors du vote sur le projet no 15218/22, sous peine de méconnaître, dans le cas contraire, les conditions posées à l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union.

Par conséquent, au moment de l’invitation à agir adressée par le requérant au Conseil, aucune obligation d’adopter une décision en vertu de l’article 4 du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union ne pesait sur le Conseil, qui se doit, au contraire, d’agir dans le respect de la condition d’unanimité expressément prévue à cet article et qui ne s’est donc pas, en l’espèce, illégalement abstenu de statuer au sens de l’article 265 du TFUE.

Dès lors, le Tribunal rejette le recours comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit en ce qu’il vise à faire constater la carence du Conseil au regard de ses obligations résultant de l’article 4, paragraphe 2, du protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union.


1      Tel que visé à l’article 1er, renvoyant à l’annexe A, de la décision 1999/435/CE du Conseil, du 20 mai 1999, relative à la définition de l'acquis de Schengen en vue de déterminer, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, la base juridique de chacune des dispositions ou décisions qui constituent l’acquis (JO 1999, L 176, p. 1).


2      Protocole relatif aux conditions et modalités d’admission de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 29, ci-après le « protocole de l’acte d’adhésion de la Roumanie à l’Union »), de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203).


3      Voir, par analogie, arrêt du 13 juillet 2004, Commission/Conseil (C‑27/04, EU:C:2004:436, point 34).