Language of document : ECLI:EU:T:2023:26

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

1er février 2023 (*) 

« Responsabilité non contractuelle – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Prescription – Irrecevabilité partielle – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Préjudice moral – Réalité du dommage – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑470/21,

Oleksandr Viktorovych Klymenko, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Me M. Cessieux, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Lejeune et M. A. Vitro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par M. C. Giolito et Mme M. Carpus Carcea, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et I. Gâlea, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 268 TFUE, le requérant, M. Oleksandr Viktorovych Klymenko, demande réparation des préjudices qu’il aurait subis à la suite de l’adoption, premièrement, de la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2015, L 62, p. 25), et du règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2015, L 62, p. 1), deuxièmement, de la décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 76), et du règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 1), troisièmement, de la décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 34), et du règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 1), quatrièmement, de la décision (PESC) 2018/333 du Conseil, du 5 mars 2018, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2018, L 63, p. 48), et du règlement d’exécution (UE) 2018/326 du Conseil, du 5 mars 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2018, L 63, p. 5), cinquièmement, de la décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 7), et du règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 1), sixièmement, de la décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 10), et du règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 1), et, septièmement, de la décision (PESC) 2021/394 du Conseil, du 4 mars 2021, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2021, L 77, p. 29), et du règlement d’exécution (UE) 2021/391 du Conseil, du 4 mars 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2021, L 77, p. 2), par lesquels son nom a été maintenu sur les listes des personnes et des entités auxquelles s’appliquaient les mesures restrictives.

 Antécédents du litige

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

3        Le requérant a occupé les fonctions de ministre des Revenus et des Taxes de l’Ukraine.

4        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

5        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1) Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence. 

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. » 

6        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

7        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

8        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et de ressources prévues par cette décision (ci-après les « mesures restrictives en cause ») et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

9        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et par le règlement no 208/2014 sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription. À l’origine, le nom du requérant n’apparaissait pas sur la liste.

10      La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés par la décision d’exécution 2014/216/PESC du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre la décision 2014/119 (JO 2014, L 111, p. 91), et par le règlement d’exécution (UE) no 381/2014 du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2014, L 111, p. 33) (ci-après, pris ensemble, les « actes d’avril 2014 »).

11      Par les actes d’avril 2014, le nom du requérant a été ajouté sur la liste, avec les informations d’identification « ancien ministre des [R]evenus et des [T]axes » et la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juin 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑494/14, ayant pour objet, notamment, l’annulation des actes d’avril 2014, en ce qu’ils le visaient.

13      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

14      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

15      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

16      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision 2015/364, modifiant la décision 2014/119, et le règlement d’exécution 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »).

17      Par les actes de mars 2015, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2016 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien ministre des [R]evenus et des [T]axes » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour abus de pouvoir par le titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou les avoirs publics ukrainiens. »

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2015, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑245/15, tendant notamment à l’annulation des actes de mars 2015, en ce qu’ils le visaient.

19      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision 2016/318, modifiant la décision 2014/119, et le règlement d’exécution 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

20      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

21      Le 28 avril 2016, le requérant a adapté ses conclusions dans le cadre de l’affaire T‑245/15 de sorte que celles-ci ont également visé à l’annulation des actes de mars 2016, en ce qu’ils le visaient.

22      Par ordonnance du 10 juin 2016, Klymenko/Conseil (T‑494/14, EU:T:2016:360), prise sur le fondement de l’article 132 du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal a fait droit au recours mentionné au point 12 ci-dessus, en le déclarant manifestement fondé et en annulant donc les actes d’avril 2014, en ce qu’ils visaient le requérant.

23      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision 2017/381, modifiant la décision 2014/119, et le règlement d’exécution 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

24      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

25      Le 27 mars 2017, le requérant a de nouveau adapté ses conclusions dans le cadre de l’affaire T‑245/15 de sorte que celles-ci ont également visé à l’annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils le visaient.

26      Par arrêt du 8 novembre 2017, Klymenko/Conseil (T‑245/15, non publié, EU:T:2017:792), le Tribunal a rejeté l’intégralité des demandes du requérant visées aux points 18, 21 et 25 ci-dessus.

27      Le 5 janvier 2018, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑11/18 P, contre l’arrêt du 8 novembre 2017, Klymenko/Conseil (T‑245/15, non publié, EU:T:2017:792).

28      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision 2018/333, modifiant la décision 2014/119, et le règlement d’exécution 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

29      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

30      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 avril 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑274/18, tendant à l’annulation des actes de mars 2018, en ce qu’ils le visaient.

31      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision 2019/354, modifiant la décision 2014/119, et le règlement d’exécution 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2019 »).

32      Par les actes de mars 2019, l’application des mesures restrictives a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2020 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 17 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

33      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2019, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑295/19, tendant à l’annulation des actes de mars 2019, en ce qu’ils le visaient.

34      Par arrêt du 11 juillet 2019, Klymenko/Conseil (T‑274/18, EU:T:2019:509), le Tribunal, en faisant application des principes dégagés par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), a annulé les actes de mars 2018, en ce qu’ils visaient le requérant.

35      Par arrêt du 26 septembre 2019, Klymenko/Conseil (C‑11/18 P, non publié, EU:C:2019:786), la Cour a annulé, d’une part, l’arrêt du 8 novembre 2017, Klymenko/Conseil (T‑245/15, non publié, EU:T:2017:792) (voir point 26 ci-dessus), et, d’autre part, les actes de mars 2015, de mars 2016 et de mars 2017, en ce qu’ils visaient le requérant.

36      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision 2020/373, modifiant la décision 2014/119, et le règlement d’exécution 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2020 »).

37      Par les actes de mars 2020, l’application des mesures restrictives a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2021 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 17 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

38      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mai 2020, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑258/20, tendant à l’annulation des actes de mars 2020, en ce qu’ils le visaient.

39      Par arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil (T‑295/19, EU:T:2020:287), le Tribunal a annulé les actes de mars 2019, en ce qu’ils visaient le requérant.

40      Par arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil (T‑258/20, EU:T:2021:52), le Tribunal a annulé les actes de mars 2020, en ce qu’ils visaient le requérant.

41      Le 4 mars 2021, le Conseil a adopté la décision 2021/394, modifiant la décision 2014/119, et le règlement d’exécution 2021/391, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2021 »).

42      Par les actes de mars 2021, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 septembre 2021 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 17 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

43      Depuis lors, le nom du requérant n’a pas été réinscrit sur une quelconque liste.

44      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 avril 2021, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑195/21, tendant à l’annulation des actes de mars 2021, en ce qu’ils le visaient.

45      Par arrêt du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil (T‑195/21, EU:T:2021:925), le Tribunal a annulé les actes de mars 2021, en ce qu’ils visaient le requérant.

 Conclusions des parties

46      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner le Conseil à lui payer, en réparation du dommage résultant de l’atteinte à l’honorabilité et à la réputation qu’il aurait subi du fait de l’adoption des mesures restrictives en cause, entre les mois de mars 2015 et de mars 2021, une indemnité d’un montant de 50 000 euros et, en réparation du préjudice moral lié aux difficultés occasionnées à sa vie quotidienne et à l’atteinte portée à sa santé, une indemnité d’un montant de 500 euros pour chaque mois durant lesquels son nom a été inscrit sur la liste, outre un montant de 2 000 000 d’euros, tous ces montants devant être augmentés des intérêts légaux et de toute autre somme qui serait justifiée ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

47      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et, en tout état de cause, dénué de fondement ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la prescription de l’action en indemnité

48      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir que l’action en indemnité est partiellement prescrite et doit donc être rejetée comme étant irrecevable, pour autant qu’elle vise la réparation des préjudices immatériels prétendument subis par le requérant résultant du maintien de son nom sur la liste par l’adoption des actes de mars 2015 et des actes de mars 2016.

49      À cet égard, le Conseil soutient, d’une part, que, en ce qui concerne ces actes, le délai de prescription quinquennal a commencé à courir aux dates de leur adoption et, d’autre part,  que  l’« acte d’interruption du délai de prescription » n’est intervenu que le 30 juillet 2021, date d’introduction du présent recours devant le Tribunal.

50      Il s’ensuit, selon le Conseil, que, en ce qu’elle est fondée sur les actes de mars 2015 et de mars 2016, l’action en indemnité est prescrite.

51      Le requérant ne conteste pas les arguments et les conclusions concernant la prescription partielle de l’action en indemnité.

52      Aux termes de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, les actions contre l’Union en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est, notamment, interrompue par la requête formée devant le juge de l’Union.

53      Le délai de prescription prévu à ladite disposition a pour fonction, d’une part, d’assurer la protection des droits de la personne lésée, celle-ci devant disposer d’un temps suffisant pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel, et, d’autre part, d’éviter que la personne lésée puisse retarder indéfiniment l’exercice de son droit à des dommages et intérêts. Ce délai protège, dès lors, en définitive, la personne lésée et la personne responsable du dommage (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 49 et jurisprudence citée).

54      Selon la jurisprudence, ce délai commence à courir dès lors que les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation sont réunies et, notamment, s’agissant des cas où la responsabilité découle d’un acte normatif, ce délai de prescription ne saurait commencer à courir avant que les effets dommageables de cet acte ne se soient produits. Cette solution, transposée dans le contentieux né d’actes individuels, implique que le délai de prescription commence à courir lorsque la décision a produit ses effets à l’égard des personnes qu’elle vise (voir arrêt du 7 juillet 2021, Bateni/Conseil, T‑455/17, EU:T:2021:411, point 63 et jurisprudence citée).

55      En l’espèce, les actes de mars 2015 et les actes de mars 2016 ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne, respectivement, le 6 mars 2015 et le 5 mars 2016. À partir de ces dates, le délai de prescription a donc commencé à courir.

56      Il convient de relever que le premier acte d’interruption du délai de prescription de l’action en indemnité, à savoir le dépôt de la requête au greffe du Tribunal, n’est intervenu que le 30 juillet 2021, soit plus de cinq ans après l’adoption desdits actes, et, en tout état de cause, après le début des effets produits par ceux-ci.

57      Dans ces conditions, l’action en indemnité introduite par le requérant, en ce qu’elle vise la réparation des préjudices immatériels qui auraient découlé du maintien de son nom sur la liste par l’adoption des actes de mars 2015 et de mars 2016, doit être considérée comme prescrite et, partant, irrecevable.

 Sur le fond

58      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’action en indemnité constitue une voie de droit autonome, qui tend non pas à la suppression d’une mesure déterminée, mais à la réparation du préjudice causé par une institution et que l’action en annulation ne représente pas une condition préliminaire pour pouvoir saisir le Tribunal d’une action en indemnité (voir arrêt du 7 juillet 2021, Bateni/Conseil, T‑455/17, EU:T:2021:411, point 83 et jurisprudence citée).

59      Il ressort de la jurisprudence que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses institutions ou de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 32 et jurisprudence citée).

60      Le requérant fait valoir que les actes adoptés par le Conseil entre mars 2015 et mars 2021, portant des mesures restrictives à son égard, lui ont causé des préjudices immatériels dont il demande la réparation et se prévaut de ce que les trois conditions mentionnées au point 59 ci-dessus sont réunies en l’espèce.

61      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

61.bis À titre liminaire, il y a lieu de préciser que, le présent recours ayant été rejeté comme étant irrecevable en ce qu’il tend à l’indemnisation des préjudices prétendument subis par le requérant à la suite de l’adoption des actes de mars 2015 et de mars 2016 (voir point 57 ci-dessus), l’examen au fond ne portera que sur les actes adoptés par le Conseil entre mars 2017 et mars 2021 (ci-après, pris ensemble, les « actes litigieux »).

62      Selon une jurisprudence bien établie, les conditions pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, que le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner dans un ordre déterminé, sont cumulatives, si bien qu’il suffit que l’une d’entre elles fasse défaut pour rejeter le recours dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Union européenne/Kendrion, C‑150/17 P, EU:C:2018:1014, point 118 et jurisprudence citée).

63      Il y a donc lieu de vérifier si, en l’espèce, le requérant rapporte la preuve, qui lui incombe, de l’illégalité du comportement qu’il reproche au Conseil, à savoir le maintien de son inscription par les actes litigieux, la réalité des préjudices qu’il prétend avoir subis ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre le dommage découlant dudit maintien et les préjudices invoqués.

 Sur l’illégalité du comportement reproché au Conseil

64      Le requérant fait valoir que la condition tenant à l’illégalité du comportement d’une institution est remplie, car l’adoption des actes litigieux constitue une violation suffisamment caractérisée, par le Conseil, d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, de nature, conformément à la jurisprudence, à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

65      À cet égard, le requérant fait valoir, en substance, que, en adoptant les actes litigieux et en maintenant son nom sur la liste, le Conseil a manqué, d’une part, à l’obligation de motivation et, d’autre part, à l’obligation de vérifier le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre des procédures pénales ouvertes à son encontre en Ukraine, qui ont donné lieu à des décisions prises par les autorités ukrainiennes sur lesquelles le Conseil s’est fondé pour lui imposer les mesures restrictives en cause, ce qui aurait été, au demeurant, confirmé par l’annulation de tous les actes litigieux par plusieurs arrêts du juge de l’Union.

66      Le Conseil, soutenu par la Commission, ne conteste pas l’illégalité des actes litigieux, mais estime qu’une telle illégalité, bien que constatée par le juge de l’Union, n’est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de celle-ci, dans la mesure où elle ne constitue pas une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Une telle violation n’aurait pu être établie que s’il avait été démontré, conformément à la jurisprudence, que le Conseil aurait méconnu, de façon grave et manifeste, les limites s’imposant à son pouvoir d’appréciation ou qu’il aurait commis une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration prudente et diligente, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

67      À titre liminaire, il convient de préciser que les paramètres devant être pris en compte dans l’évaluation d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de l’Union se rapportent tous à la date à laquelle la décision ou le comportement ont été adoptés par l’institution concernée. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le degré de caractérisation de la violation d’une règle de droit de l’Union commise par l’institution en cause, exigé par la jurisprudence, en ce qu’il est intrinsèquement lié à cette violation, ne saurait être apprécié à un moment différent de celui auquel ladite violation a été commise. Il s’ensuit que l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de l’Union doit nécessairement être appréciée en fonction des circonstances dans lesquelles l’institution a agi à cette date précise (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, points 44 à 46).

68      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 59 ci-dessus, afin que la première condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union soit remplie, il est nécessaire, d’une part, qu’une violation d’une règle de droit de l’Union ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers se soit produite et, d’autre part, que cette violation soit suffisamment caractérisée (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 36).

69      S’agissant du premier volet de la première condition, il convient de relever, premièrement, que le maintien du nom du requérant sur la liste a été considéré par le juge de l’Union comme constituant une violation des dispositions permettant l’adoption de mesures restrictives au regard de la situation en Ukraine. En effet, s’il est certes vrai que, en vertu du critère d’inscription rappelé au point 14 ci-dessus, le Conseil pouvait fonder, en l’espèce, des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, le juge de l’Union a néanmoins considéré que l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective, consacrés par les articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, impliquait qu’il dût s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté la décision d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant le requérant et portant sur une infraction de détournement de fonds publics, sur laquelle il entendait se fonder (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, points 67, 68 et 105 et jurisprudence citée).

70      Or, bien que les mesures restrictives en cause aient essentiellement pour objet de permettre l’imposition par le Conseil de certaines restrictions aux droits des particuliers, afin, notamment, de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine (voir point 5 ci-dessus), les dispositions qui énoncent, de façon limitative, les conditions dans lesquelles de telles restrictions sont permises, telles que celles en cause en l’espèce (voir points 14 et 15 ci-dessus), ont essentiellement pour objet, a contrario, de protéger les intérêts individuels des particuliers concernés, en limitant les cas d’application, l’étendue ou l’intensité des mesures restrictives auxquelles ceux-ci peuvent légalement être astreints (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 57 et jurisprudence citée).

71      De telles dispositions, lues à la lumière des dispositions de la charte des droits fondamentaux mentionnées ci-dessus, doivent s’analyser comme assurant la protection des intérêts individuels des personnes et des entités susceptibles d’être concernées et sont dès lors à considérer comme des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Si les conditions de fond en question ne sont pas réunies, tel étant le cas d’une décision de maintien des mesures de gel des fonds qui ne repose pas sur une base factuelle suffisamment solide, la personne ou l’entité concernée a en effet le droit de ne pas se voir imposer les mesures en question. Un tel droit implique nécessairement que la personne ou l’entité à laquelle des mesures restrictives sont imposées dans des conditions non prévues par les dispositions en question puisse demander à être indemnisée des conséquences dommageables de ces mesures, s’il s’avère que leur imposition repose sur une violation suffisamment caractérisée des règles de fond appliquées par le Conseil (voir, en ce sens, arrêts du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 58 et jurisprudence citée, et du 8 mai 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑434/15, non publié, EU:T:2019:307, point 60 et jurisprudence citée).

72      Il s’ensuit que les règles dont la violation est invoquée par le requérant sont des règles de droit conférant des droits à des particuliers, parmi lesquels figure le requérant, en tant que personne visée par les actes litigieux.

73      Deuxièmement, l’objet de l’examen au fond étant circonscrit aux actes litigieux adoptés par le Conseil après le 4 mars 2016 (voir point 61.bis ci-dessus), il convient de relever que, dans l’arrêt du 26 septembre 2019, Klymenko/Conseil (C‑11/18 P, non publié, EU:C:2019:786), la Cour a constaté l’illégalité, notamment, des actes de mars 2017, alors que dans les arrêts du 11 juillet 2019, Klymenko/Conseil (T‑274/18, EU:T:2019:509), du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil (T‑295/19, EU:T:2020:287), et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil (T‑258/20, EU:T:2021:52), lesquels, n’ayant pas été frappés de pourvoi dans les délais, bénéficient de l’autorité de la chose jugée, le Tribunal a constaté l’illégalité, respectivement, des actes de mars 2018, de mars 2019 et de mars 2020. Par ailleurs, quelques mois après l’introduction du présent recours, par arrêt du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil (T‑195/21, EU:T:2021:925), le Tribunal a constaté également l’illégalité des actes de mars 2021. Ainsi, à l’égard desdits actes, le premier volet de la première condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est rempli.

74      Néanmoins, il ressort de la jurisprudence que l’annulation éventuelle d’un ou de plusieurs actes du Conseil se trouvant à l’origine des préjudices invoqués par une partie requérante, même lorsqu’une telle annulation serait décidée par un arrêt du juge de l’Union prononcé avant l’introduction du recours indemnitaire, ne constitue pas la preuve irréfragable d’une violation suffisamment caractérisée de la part de cette institution, permettant de constater, ipso jure, la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2019, Mahmoudian/Conseil, T‑406/15, EU:T:2019:468, point 61).

75      En effet, pour admettre qu’il est satisfait à la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union relative à l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, il est nécessaire que la violation dont l’institution concernée est responsable soit suffisamment caractérisée, ce qui correspond au second volet de ladite condition (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 29 et jurisprudence citée).

76      La preuve d’une violation suffisamment caractérisée vise à éviter, notamment dans le domaine des mesures restrictives, que la mission que l’institution concernée est appelée à accomplir dans l’intérêt général de l’Union et de ses États membres ne soit entravée par le risque que cette institution soit finalement appelée à supporter les dommages que les personnes concernées par ses actes pourraient éventuellement subir, sans pour autant laisser peser sur celles-ci les conséquences, patrimoniales ou morales, de manquements que l’institution concernée aurait commis de façon flagrante et inexcusable (voir arrêt du 7 juillet 2021, Bateni/Conseil, T‑455/17, EU:T:2021:411, point 87 et jurisprudence citée).

77      En effet, l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale, conformément aux finalités de l’action extérieure de l’Union énoncées à l’article 21 TUE, est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, découlant des décisions de mise en œuvre des actes adoptés par l’Union en vue de la réalisation de cet objectif fondamental (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2021, Bateni/Conseil, T‑455/17, EU:T:2021:411, point 88 et jurisprudence citée).

78      Ainsi, la jurisprudence a précisé que seule était susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union une méconnaissance manifeste et grave par l’institution concernée des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation, les éléments à prendre en considération à cet égard étant, notamment, la complexité des situations à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation que la règle enfreinte laisse à l’institution de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, points 33 et 42).

79      Il découle néanmoins de la jurisprudence qu’une violation du droit de l’Union est, en tout état de cause, manifestement caractérisée lorsqu’elle a perduré malgré le prononcé d’un arrêt constatant le manquement reproché, d’un arrêt préjudiciel ou d’une jurisprudence bien établie en la matière, desquels résulte le caractère infractionnel du comportement en cause (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 31 et jurisprudence citée).

80      Seule la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet donc d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union (arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 43).

81      Au regard des principes jurisprudentiels mentionnés aux points 74 à 80 ci-dessus, il convient d’examiner si la violation invoquée par le requérant était, en l’espèce, suffisamment caractérisée.

82      À cet égard, doivent être prises en compte les dates d’adoption des actes litigieux faisant encore l’objet du litige (voir point 73 ci-dessus), à savoir le 3 mars 2017, en ce qui concerne les actes de mars 2017, le 5 mars 2018, en ce qui concerne les actes de mars 2018, le 4 mars 2019, en ce qui concerne les actes de mars 2019, le 5 mars 2020, en ce qui concerne les actes de mars 2020, et le 4 mars 2021, en ce qui concerne les actes de mars 2021.

83      En effet, il y a lieu d’examiner si les illégalités inhérentes à l’adoption de ces actes étaient suffisamment caractérisées, auxdites dates, dès lors que, ainsi qu’il a été rappelé par la jurisprudence citée au point 67 ci-dessus, le contexte temporel du contrôle pertinent est défini exclusivement par la date d’adoption des actes mis en cause.

84      Ainsi qu’il a été relevé au point 73 ci-dessus, tous les actes litigieux, exception faite des actes de mars 2021, ont été annulés avant l’introduction du présent recours, dès lors que le Conseil n’avait pas pu établir avoir vérifié que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés par les autorités ukrainiennes dans le cadre des procédures pénales le concernant, sur lesquelles était fondée la décision de maintenir le nom de celui-ci sur la liste. Par ailleurs, sur ce même fondement, quelques mois après l’introduction du présent recours, par arrêt du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil (T‑195/21, EU:T:2021:925), le Tribunal a constaté également l’illégalité des actes de mars 2021.

85      Toutefois, il convient de relever que, avant l’adoption des actes de mars 2017 et de mars 2018, le contenu de l’obligation de motivation et de vérification pesant sur le Conseil au regard du respect desdits droits n’avait pas encore été suffisamment précisé par la jurisprudence, laquelle a, en effet, connu un changement significatif après le prononcé de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031).

86      En effet, ainsi qu’il a été relevé dans l’arrêt du 8 novembre 2017, Klymenko/Conseil (T‑245/15, non publié, EU:T:2017:792, points 122, à 126), concernant, notamment, les actes de mars 2017, le Conseil était tenu de vérifier, d’une part, dans quelle mesure les documents provenant des autorités ukrainiennes, sur lesquels il s’était fondé, permettaient d’établir que, conformément aux motifs de maintien du nom du requérant sur la liste, celui-ci faisait l’objet de procédures pénales de la part des autorités ukrainiennes pour des faits susceptibles de relever du détournement de fonds publics et, d’autre part, que ces procédures permettaient de qualifier les agissements du requérant conformément au critère pertinent. C’est seulement si de telles vérifications n’aboutissaient pas que le Conseil était tenu d’opérer des vérifications supplémentaires. Dans ce contexte, le Tribunal a également précisé qu’il n’appartenait pas, en principe, au Conseil d’examiner et d’apprécier lui-même l’exactitude et la pertinence des éléments sur lesquels les autorités ukrainiennes se fondaient pour conduire des procédures pénales visant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, bien qu’il ne pût être exclu que, au regard notamment des observations du requérant, le Conseil fût tenu de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ces procédures étaient fondées.

87      Ainsi, le Tribunal a pu considérer que les documents émanant des autorités ukrainiennes contenaient des informations permettant de comprendre clairement que le requérant faisait l’objet de procédures pénales pour détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et que les faits qui lui étaient reprochés correspondaient au critère pertinent pour l’inscription de son nom sur la liste (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2017, Klymenko/Conseil, T‑245/15, non publié, EU:T:2017:792, point 138).

88      Cette approche a toutefois fait l’objet d’une remise en cause significative, après que la Cour a considéré que la jurisprudence issue de l’arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE (C‑599/14 P, EU:C:2017:583), ayant trait aux mesures restrictives adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international, couvrait également le cas de mesures restrictives adoptées au regard de la situation en Ukraine. Plus particulièrement, par arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 31 à 41), la Cour a annulé l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), en précisant que le raisonnement du Tribunal selon lequel l’approche retenue dans l’arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885), n’était pas transposable au cas d’espèce était entaché d’une erreur de droit.

89      Dès lors, la Cour a indiqué, pour la première fois dans un contentieux autre que celui concernant les mesures restrictives adoptées dans le contexte spécifique de la lutte contre le terrorisme international, qu’il incombait au Conseil, avant de se fonder sur une décision d’une autorité d’un État tiers, de vérifier si celle-ci avait été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de la personne concernée et de le faire apparaître dans les actes imposant les mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 29 et 30 et jurisprudence citée). Ces mêmes principes ont été, par la suite, appliqués au regard de la situation du requérant dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 septembre 2019, Klymenko/Conseil (C‑11/18 P, non publié, EU:C:2019:786, point 29), qui a annulé, d’une part, l’arrêt du 8 novembre 2017, Klymenko/Conseil (T‑245/15, non publié, EU:T:2017:792), et, d’autre part, les actes de mars 2015, de mars 2016 et de mars 2017, en ce qu’ils visaient le requérant (voir point 35 ci-dessus).

90      Si cette évolution jurisprudentielle était bien connue par le Conseil, au moment de l’adoption des actes de mars 2019 et de mars 2020, il n’en reste pas moins que la portée et l’étendue du contrôle pertinent, qu’il était tenu d’effectuer afin d’établir si lesdits droits avaient été respectés par les autorités ukrainiennes dont les enquêtes constituaient le fondement des mesures en cause, n’avaient pas encore été suffisamment éclaircies.

91      Un tel éclaircissement n’a été apporté que par l’arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil (T‑295/19, EU:T:2020:287). En effet, après avoir pris en compte les vérifications supplémentaires opérées par le Conseil et les éléments de preuve produits par celui-ci afin de justifier, conformément aux nouvelles exigences dégagées dans la jurisprudence de la Cour mentionnée au point 88 ci-dessus, l’adoption des actes mis en cause dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, à savoir les actes de mars 2019, le Tribunal a indiqué, au regard, notamment, de l’obligation de vérifier si la décision d’une autorité d’un État tiers avait été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, la nature et l’étendue du contrôle que le Conseil était tenu d’effectuer, en analysant, dans le détail, les différentes démarches pertinentes qu’il devait suivre à cet effet.

92      Plus particulièrement, dans ce contexte, le Tribunal a d’abord constaté qu’il ne ressortait ni des décisions de justice invoquées par le Conseil dans les actes de mars 2019 que lesdits droits du requérant avaient été respectés, ni des pièces du dossier que le Conseil avait examiné les informations communiquées par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 80).

93      Ensuite, le Tribunal a précisé que, même si le Conseil prétendait qu’un contrôle judiciaire était exercé en Ukraine durant la conduite des procédures pénales et que plusieurs décisions judiciaires adoptées dans ce contexte démontraient qu’il avait pu vérifier le respect des droits en question, de telles décisions n’étaient pas susceptibles, à elles seules, d’établir que la décision des autorités ukrainiennes de mener les procédures pénales sur lesquelles reposait le maintien des mesures restrictives en cause avait été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant. À cet égard, il a précisé que toutes les décisions judiciaires mentionnées par le Conseil, lesquelles s’inséraient dans le cadre des procédures pénales ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste, n’étaient qu’incidentes au regard de celles-ci, dans la mesure où elles étaient de nature soit conservatoire, soit procédurale (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, points 91 et 92).

94      Enfin, le Tribunal a reproché au Conseil de ne pas avoir indiqué les raisons pour lesquelles il avait pu considérer que lesdits droits avaient été respectés en ce qui concernait la question de savoir si la cause du requérant avait été entendue dans un délai raisonnable, étant donné que la procédure pénale ukrainienne, qui était le fondement des mesures restrictives en cause, se trouvait encore, depuis 2014, au stade de l’enquête préliminaire (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, points 95 à 100).

95      Ainsi, eu égard, d’abord, à la complexité des appréciations juridiques et factuelles requises en vue de régler le cas d’espèce, et, plus particulièrement, à l’ampleur des données que le Conseil était tenu de vérifier au regard des procédures pénales menées contre le requérant par les autorités ukrainiennes, ensuite, aux difficultés d’interprétation et d’application des dispositions en cause, dans les circonstances de l’espèce et en l’absence de jurisprudence bien établie, et, enfin, à l’importance fondamentale des objectifs d’intérêt général poursuivis par les actes litigieux, il y a lieu de conclure que la violation commise par le Conseil s’explique par les contraintes et responsabilités particulières qui pesaient sur cette institution et ne constituait pas, avant le prononcé, notamment, de l’arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil (T‑295/19, EU:T:2020:287), une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation en l’espèce.

96      Contrairement à ce que fait valoir le requérant, le Conseil a fourni des éléments qu’il considérait comme de nature à établir, aux dates d’adoption, respectivement, des actes de mars 2019 et de mars 2020, que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés par les autorités ukrainiennes et, à cet égard, il a même ajouté dans l’annexe de la décision 2014/119 ainsi que dans l’annexe I du règlement no 208/2014 une section entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective.

97      Dans ces conditions, à supposer que, lors du maintien de l’inscription du nom du requérant par les actes de mars 2019 et de mars 2020, le Conseil ait été en mesure d’apprécier l’erreur qu’il commettait en se fondant sur les circonstances invoquées, il ne saurait être considéré qu’une telle erreur revêtait un caractère flagrant et inexcusable, au sens de la jurisprudence citée au point 80 ci-dessus, et qui n’aurait pas été commise par une administration normalement prudente et diligente placée dans des circonstances analogues.

98      En conséquence, l’illégalité des actes de mars 2019 et de mars 2020, constatée, respectivement, dans les arrêts du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil (T‑295/19, EU:T:2020:287), et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil (T‑258/20, EU:T:2021:52), ne peut pas être regardée comme une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union, de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union envers le requérant.

99      En revanche, la situation est différente en ce qui concerne les actes de mars 2021, dont l’illégalité a été constatée par l’arrêt du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil (T‑195/21, EU:T:2021:925). En effet, bien qu’à la date d’introduction du présent recours le Tribunal ne se fût encore prononcé sur la légalité de ces actes, il n’en reste pas moins que la jurisprudence ayant trait au contenu et à l’étendue du contrôle que le Conseil était tenu d’effectuer, afin de vérifier si les autorités d’un État tiers, telles que celles ukrainiennes, dont les décisions au regard du requérant constituaient le fondement pour le maintien de son nom sur la liste, avaient respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, était déjà bien établie et il n’y avait, en substance, pas d’incertitude quant au contenu de l’obligation de vérification et de motivation qui incombait au Conseil.

100    En outre, il convient de constater que le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de certaines décisions de justice invoquées par le Conseil dans les motifs des actes de mars 2021 dans le cadre des affaires ayant donné lieu, respectivement, aux arrêts du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil (T‑295/19, EU:T:2020:287, points 78 à 91), et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil (T‑258/20, EU:T:2021:52, points 83, 93 et 94), en jugeant que ces décisions n’étaient pas susceptibles de démontrer le respect des droits de la défense du requérant et de son droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre des procédures pénales ayant justifié le maintien de son nom sur la liste.

101    Il s’ensuit que, avant l’adoption des actes de mars 2021, le Conseil disposait de toutes les informations et données nécessaires afin d’exercer son pouvoir d’appréciation en l’espèce, conformément aux exigences énoncées par la jurisprudence. Néanmoins, il s’est contenté de suivre, en substance, la même motivation et la même approche qui avaient déjà été écartées par la jurisprudence de manière assez circonstanciée (voir points 91 à 94 ci-dessus).

102    Or, dans les circonstances de l’espèce, une administration normalement prudente et diligente, au sens de la jurisprudence rappelée au point 80 ci-dessus, aurait été en mesure de comprendre, au moment de l’adoption des actes de mars 2021, qu’il lui incombait de recueillir les informations ou les éléments de preuve justifiant les mesures restrictives visant le requérant, afin de pouvoir établir, en cas de contestation, leur bien-fondé par rapport au respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

103    Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que le chef d’illégalité, en ce qu’il est pris du maintien de l’inscription du nom du requérant par l’adoption des actes de mars 2021, alors que le Conseil ne disposait pas d’éléments suffisants pour établir que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés, constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de la jurisprudence rappelée au point 80 ci-dessus.

104    Il convient donc d’examiner si, en l’espèce, le requérant a démontré que les dommages allégués étaient réels et qu’il existait un lien de causalité direct entre le maintien illégal de son nom sur la liste par l’adoption des actes de mars 2021 et les préjudices prétendument subis.

 Sur la réalité des dommages allégués et sur l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité du comportement reproché au Conseil et ces dommages

105    En s’appuyant sur les principes dégagés par la jurisprudence du juge de l’Union, le requérant soutient que le maintien de son nom sur la liste lui a causé deux types de dommages moraux, à savoir, d’une part, l’atteinte portée à son honorabilité et à sa réputation, pour laquelle il réclame un montant de 50 000 euros, et, d’autre part, la souffrance qui en résulte au regard tant des difficultés occasionnées à sa vie quotidienne que de l’atteinte portée à sa santé, en ce qu’il aurait été contraint de mener des procédures contentieuses à répétition devant le Tribunal afin de voir reconnaître ses droits, pour lesquelles il réclame un montant, estimé ex æquo et bono, de 500 euros pour chaque mois durant lesquels son nom a été inscrit sur la liste, outre un montant de 2 000 000 d’euros.

106    Le requérant prétend avoir démontré le caractère réel et certain de ces préjudices ainsi que le lien de causalité entre l’illégalité du comportement reproché au Conseil et les préjudices allégués.

107    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

108    S’agissant, en premier lieu, de la condition relative à la réalité du dommage, il convient de relever que la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée que si la partie requérante a effectivement subi un préjudice réel et certain. Il incombe à la partie mettant en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du préjudice qu’elle invoque (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, points 61 et 62 et jurisprudence citée).

109    Il convient de rappeler, à cet égard, que l’existence d’un préjudice réel et certain ne saurait être envisagée de manière abstraite par le juge de l’Union, mais doit être appréciée en fonction des circonstances de fait précises qui caractérisent chaque espèce soumise à ce dernier (voir arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 79 et jurisprudence citée).

110    S’agissant, en second lieu, de la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué, il convient de relever que ce préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement illégal des institutions, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice. Il appartient à la partie requérante d’apporter des preuves concluantes de l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement de l’institution reproché et le dommage allégué (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, points 61 et 62 et jurisprudence citée).

111    Par ailleurs, lors de l’examen du lien de causalité devant exister entre le comportement reproché à l’institution ou à l’organe de l’Union et le préjudice allégué par la personne ou l’entité lésée, il y a lieu de vérifier si cette dernière, au risque de devoir supporter le dommage elle-même, a fait preuve, en justiciable averti, d’une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée (arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 et C‑37/90, EU:C:1992:217, point 33 ; voir également, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, EU:T:2000:240, point 121). Cela étant, il serait cependant contraire au principe d’effectivité d’imposer aux personnes lésées d’avoir systématiquement recours à toutes les voies de droit à leur disposition quand bien même cela engendrait des difficultés excessives ou ne pourrait être raisonnablement exigé d’eux (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑516/13, non publié, EU:T:2016:377, point 243 et jurisprudence citée).

112    À titre liminaire, il convient de relever que la réalité des préjudices immatériels prétendument subis par le requérant ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre ceux-ci et l’illégalité reprochée au Conseil, à les supposer établies, doivent être limitées aux effets découlant du maintien de son nom sur la liste par les actes de mars 2021 (voir point 103 ci-dessus).

113    À cet égard, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que, s’agissant de la condition relative à la réalité du préjudice prétendument subi, il ne suffit pas d’invoquer les principes jurisprudentiels dégagés par les arrêts du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986), et du 2 juillet 2019, Mahmoudian/Conseil (T‑406/15, EU:T:2019:468), sans établir que les circonstances de l’espèce sont identiques à celles des affaires ayant donné lieu à ces arrêts de sorte que les mêmes conclusions soient appliquées au cas d’espèce.

114    En effet, dans les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts, le préjudice a été lié au fait que les mesures restrictives litigieuses, visant à faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise en œuvre de vecteurs d’armes nucléaires, associaient publiquement les personnes et entités visées par celles-ci à un comportement qui était considéré comme une menace grave pour la paix et pour la sécurité internationales, avec pour conséquence de susciter l’opprobre et la méfiance à l’égard de ces personnes et entités, affectant ainsi leur réputation, et de leur causer, partant, un préjudice moral (voir, en ce sens, arrêts du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 80, et du 2 juillet 2019, Mahmoudian/Conseil, T‑406/15, EU:T:2019:468, point 178).

115    Or, la présente affaire s’inscrit dans le cadre de mesures restrictives qui se fondent sur une situation liée exclusivement à l’existence d’enquêtes pénales menées par les autorités ukrainiennes pour des faits de détournement de fonds publics, si bien que, contrairement, à ce que prétend le requérant, celui-ci n’est pas associé publiquement à un comportement considéré comme une menace grave à la paix et à la sécurité internationales et ne saurait donc subir l’opprobre et la méfiance qui y sont associées.

–       Sur l’atteinte à l’honorabilité et à la réputation

116    S’agissant de la demande de réparation du préjudice moral allégué au titre de l’atteinte portée à son honorabilité et à sa réputation, le requérant soutient, en substance, que, avant l’application des mesures restrictives en cause en 2014, il dirigeait le parti Uspishna Krayina en occupant des positions politiques importantes au sein du gouvernement ukrainien, les médias étaient neutres ou positifs à son égard, sa carrière politique nationale était « d’une notoriété en plein essor » et il participait aussi, de manière active, à la vie politique européenne et internationale, et jouissait d’une réputation professionnelle importante non seulement en Ukraine, mais aussi au niveau international. Ainsi, le maintien de son nom sur la liste aurait nui de toute évidence à sa réputation en tant que personnage politique, d’autant plus que ce maintien aurait fait l’objet d’une certaine publicité par les médias ukrainiens, au point que, d’une part, il aurait dû quitter sa position à la tête dudit parti politique et, d’autre part, il aurait été contraint à abandonner tout mandat électoral ainsi que toute fonction dans l’administration ukrainienne.

117    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

118    Il convient de relever, premièrement, que, en tout état de cause, il ne ressort pas du dossier que le fait que le requérant a dû quitter sa position à la tête du parti politique ukrainien « Uspishna Krayina » en décembre 2015 était une conséquence directe de l’adoption par le Conseil des mesures restrictives en cause. S’agissant, deuxièmement, de l’argument du requérant selon lequel, d’une part, les actes du Conseil auraient un caractère « infamant » et, d’autre part, « l’allégation retenue par le Conseil à son encontre » aurait été « particulièrement grave », il convient de relever que, en réalité, l’allégation retenue par le Conseil à l’encontre du requérant ne concerne que l’existence d’une enquête pénale menée par les autorités ukrainiennes pour détournement de fonds publics à son égard, ce qui correspond, au demeurant, au critère d’inscription des personnes visées par les mesures restrictives en cause (voir point 14 ci-dessus), de sorte que le caractère « grave » et « infamant » qui serait inhérent aux actes de mars 2021 ne saurait découler de manière directe et autonome de l’adoption de ceux-ci par le Conseil. Troisièmement, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel l’inscription et le maintien de son nom sur la liste l’auraient contraint à abandonner tout mandat électoral ainsi que toute fonction dans l’administration ukrainienne, il y a lieu de rappeler, ainsi que le souligne le Conseil, que le requérant a été déchu de ses fonctions ministérielles en 2014, lors de la chute du gouvernement ukrainien, et que, à la suite de ce changement de régime, une enquête pénale a été ouverte à son encontre par les autorités ukrainiennes pour des faits de détournement de fonds publics. L’abandon de tout mandat électoral et de toute fonction dans l’administration ukrainienne est donc lié au changement de régime, et ne constitue pas une conséquence directe des mesures restrictives imposées par le Conseil.

119    Par ailleurs, force est de constater que les actes de mars 2021 ont été annulés, quelques mois après leur adoption, par l’arrêt du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil (T‑195/21, EU:T:2021:925). Or, bien que cet arrêt soit postérieur à l’introduction du présent recours, il n’en reste pas moins que le constat de l’illégalité des mesures restrictives prises à l’encontre d’une personne ou d’une entité est de nature à constituer une forme de réparation du préjudice moral subi par la personne ou l’entité concernée (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 72).

120    En l’espèce, les éventuels effets sur la réputation du requérant qu’a eu le maintien de son nom sur la liste par les actes de mars 2021 sont susceptibles d’être contrebalancés par le constat a posteriori de l’illégalité des mesures restrictives prises à son égard. En effet, le requérant n’a apporté aucun élément susceptible d’établir que ledit maintien a affecté le comportement de personnes ou d’entités tierces à son égard.

121    Par conséquent aucun élément ne permet de conclure que ce maintien a attiré davantage l’attention que le constat subséquent de son illégalité, si bien qu’un tel constat constitue une réparation intégrale du préjudice prétendument subi, de sorte que, en tout état de cause, il n’y a pas lieu d’accorder des dommages et intérêts à ce titre.

122    Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de relever, d’une part, que la condition relative à la réalité du dommage en cause n’est, en l’espèce, pas satisfaite (voir point 115 ci-dessus) et que, en tout état de cause, le préjudice moral subi par le requérant est adéquatement compensé par le constat d’illégalité des mesures restrictives prises à son égard et, d’autre part, que le requérant est resté en défaut de préciser dans quelle mesure les dommages prétendument subis découleraient directement du comportement illégal du Conseil et non pas des enquêtes pénales nationales, dont il fait l’objet depuis l’année 2014 (voir point 118 ci-dessus), sur lesquelles le Conseil s’est fondé pour maintenir son nom sur la liste.

–       Sur le dommage lié aux difficultés de la vie quotidienne et à l’atteinte portée à la santé

123    Le requérant prétend, en substance, avoir subi un préjudice moral « grave », qui serait distinct du préjudice relatif à l’atteinte à son honorabilité et à sa réputation, résultant du stress et des sentiments d’angoisse, d’humiliation et de culpabilité, en particulier envers ses proches.

124    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

125    À cet égard, à l’instar du Conseil, il convient de relever que le requérant n’a apporté aucun élément de preuve visant à établir l’existence d’un tel préjudice et d’un lien de causalité entre ce dernier et les actes du Conseil.

126    En l’espèce, le requérant se borne à évoquer des difficultés occasionnées à sa vie quotidienne, sans les décrire ou les préciser, voire les étayer par des éléments permettant d’en évaluer la vraisemblance.

127    S’agissant, en outre, de la prétendue atteinte à la santé du requérant, force est de constater que le dossier de l’affaire ne contient aucun document au soutien de ses allégations. Il ne contient pas même un certificat médical permettant d’apprécier la véracité d’une allégation.

128    Il s’ensuit que le requérant est resté en défaut d’établir, d’une part, la réalité et l’ampleur des préjudices en cause qu’il allègue et, d’autre part, que les mesures restrictives en cause ont été la cause déterminante de ces préjudices.

129    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la demande en indemnité, en ce qu’elle concerne les actes de mars 2021, doit être également rejetée, dès lors que ni la réalité et l’étendue des préjudices allégués, ni l’existence d’un lien de causalité direct entre ces préjudices et les illégalités invoquées au soutien de cette demande, ne sont établies à suffisance de droit.

129.bis Il résulte ce qui précède que le présent recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

130    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

131    En outre, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

132    Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier. La Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

2)      M. Oleksandr Viktorovych Klymenko supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Spielmann

Mastroianni

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1ᵉʳ février 2023.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.