Language of document : ECLI:EU:C:2017:631

Affaires jointes C643/15 et C647/15

République slovaque
et
Hongrie

contre

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Décision (UE) 2015/1601 – Mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de la République hellénique et de la République italienne – Situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains États membres – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Contingents de relocalisation – Article 78, paragraphe 3, TFUE – Base juridique – Conditions d’application – Notion d’“acte législatif” – Article 289, paragraphe 3, TFUE – Caractère obligatoire pour le Conseil de l’Union européenne de conclusions adoptées par le Conseil européen – Article 15, paragraphe 1, TUE et article 68 TFUE – Formes substantielles – Modification de la proposition de la Commission européenne – Exigences d’une nouvelle consultation du Parlement européen et d’un vote unanime au sein du Conseil de l’Union européenne – Article 293 TFUE – Principes de sécurité juridique et de proportionnalité »

Sommaire – Arrêt de la Cour (grande chambre) du 6 septembre 2017

1.        Actes des institutions – Nature juridique – Acte législatif – Notion – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Exclusion

(Art. 78, § 3, TFUE, 289 TFUE et 294 TFUE)

2.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Portée

(Art. 78, § 2 et 3, TFUE)

3.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Possibilité de déroger à des dispositions d’actes législatifs – Limites – Nécessité pour les mesures de revêtir un caractère temporaire

(Art. 78, § 2 et 3, TFUE ; décision du Conseil 2015/1601)

4.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Fixation de la durée – Critères d’appréciation

(Art. 78, § 3, TFUE ; décision du Conseil 2015/1601)

5.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Notion de « soudain »

(Art. 78, § 3, TFUE)

6.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Nécessité d’un lien étroit entre la situation d’urgence et ledit afflux

(Art. 78, § 3, TFUE)

7.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Pouvoir d’appréciation du Conseil quant au choix des mesures à adopter – Possibilité de prévoir des mécanismes d’ajustement permettant de répondre à l’évolution de la situation

(Art. 78, § 3, TFUE)

8.        Commission – Compétences – Pouvoir d’initiative législative – Exercice dans le respect des principes d’attribution des pouvoirs et d’équilibre institutionnel – Application aux propositions d’actes législatifs et non législatifs

(Art. 13, § 2, TUE ; art. 68 TFUE et 78, § 3, TFUE)

9.        Actes des institutions – Procédure d’élaboration – Consultation régulière du Parlement – Reconsultation obligatoire en cas de modification substantielle apportée à la proposition initiale – Portée de l’obligation

(Art. 113 TFUE)

10.      Commission – Compétences – Pouvoir d’initiative législative – Pouvoir de modification d’une proposition – Conditions d’exercice – Proposition de mesures provisoires au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers

(Art. 78, § 3, TFUE et 293, § 2, TFUE)

11.      Commission – Compétences – Pouvoir d’initiative législative – Pouvoir de modification d’une proposition – Possibilité pour le collège des commissaires d’habiliter certains de ses membres à procéder à la modification

(Art. 293, § 2, TFUE ; règlement intérieur de la Commission, art. 13)

12.      Conseil – Délibérations – Régime linguistique – Possibilité de proposer une modification d’un projet d’acte juridique dans une seule langue officielle de l’Union – Admissibilité – Condition – Défaut d’opposition d’un État membre

(Art. 3, § 3, al. 4, TUE ; décision du Conseil 2009/937, annexe, art. 14)

13.      Droit de l’Union européenne – Principes – Proportionnalité – Portée – Pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union – Contrôle juridictionnel – Limites – Appréciation au vu des éléments disponibles au moment de l’adoption de l’acte

(Art. 5, § 4, TUE ; art. 78, § 3, TFUE)

14.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Contrôle juridictionnel – Limites – Imposition d’une répartition chiffrée des personnes relocalisées entre les États membres – Admissibilité – Respect du principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres

(Art. 78, § 3, TFUE et 80 TFUE)

15.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Obligation de tenir compte de l’existence de liens culturels ou linguistiques entre chaque ressortissant et l’État membre de relocalisation – Absence

(Art. 78, § 3, TFUE et 80 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 21)

16.      Procédure juridictionnelle – Intervention – Moyens différents de ceux de la partie principale soutenue – Recevabilité – Condition – Rattachement à l’objet du litige

[Statut de la Cour de justice, art. 40 ; règlement de procédure de la Cour, art. 129 et 132, § 2, b)]

17.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Obligation d’assurer un droit de recours effectif contre la décision de relocalisation

(Art. 78, § 3, TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47)

18.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Décision 2015/1601 relative aux mesures prises au profit de la Grèce et de l’Italie – Modalités de répartition des ressortissants – Prise en compte des préférences d’un ressortissant pour un État membre d’accueil – Exclusion

(Art. 78, § 3, TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 604/2013, art. 13, § 1 ; décision du Conseil 2015/1601, art. 5, § 3)

19.      Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Mesures provisoires adoptées par le Conseil au profit d’États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Qualification de relocalisation comme un refoulement vers un État tiers – Exclusion

(Art. 78, § 3, TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 18)

1.      Un acte juridique ne peut être qualifié d’acte législatif de l’Union que s’il a été adopté sur le fondement d’une disposition des traités qui se réfère expressément soit à la procédure législative ordinaire, soit à la procédure législative spéciale. Il s’ensuit qu’il ne peut être déduit de la référence à l’exigence, figurant dans la disposition des traités qui sert de base juridique de l’acte en cause, d’une consultation du Parlement que la procédure législative spéciale s’appliquerait à l’adoption de cet acte.

Ainsi, dans la mesure où l’article 78, paragraphe 3, TFUE prévoit que le Conseil adopte les mesures provisoires y visées sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et ne comporte aucune référence expresse ni à la procédure législative ordinaire ni à la procédure législative spéciale, il doit être considéré que des mesures susceptibles d’être adoptées sur le fondement de cette disposition doivent être qualifiées d’actes non législatifs, parce qu’elles ne sont pas adoptées à l’issue d’une procédure législative.

(voir points 62, 64-66)

2.      Les dispositions figurant à l’article 78, paragraphes 2 et 3, TFUE revêtent un caractère complémentaire, permettant à l’Union d’adopter, dans le cadre de la politique commune de l’Union en matière d’asile, des mesures diversifiées afin de se doter des outils nécessaires, notamment, pour répondre de manière effective, tant à court terme que sur le long terme, à des situations de crise migratoire. À cet égard, la notion de mesures provisoires pouvant être adoptées en vertu de l’article 78, paragraphe 3, TFUE doit revêtir une portée suffisamment large afin de permettre aux institutions de l’Union de prendre toutes les mesures provisoires nécessaires pour répondre de manière effective et rapide à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers.

(voir points 74, 77)

3.      S’il est vrai que les mesures provisoires adoptées sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE peuvent en principe déroger à des dispositions d’actes législatifs, de telles dérogations doivent néanmoins être encadrées quant à leur champ d’application tant matériel que temporel, de manière à ce qu’elles se limitent à répondre de manière rapide et effective, par un dispositif provisoire, à une situation de crise précise, ce qui exclut que ces mesures puissent avoir pour objet ou pour effet de remplacer ou de modifier de manière permanente et générale ces actes législatifs, contournant ainsi la procédure législative ordinaire prévue à l’article 78, paragraphe 2, TFUE.

Obéissent à cette exigence les dérogations prévues dans la décision 2015/1601, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce. En effet, les dérogations que prévoit ladite décision ne s’appliquent que pendant une période de deux ans, sous réserve de la possibilité de prorogation. De plus, elles concernent un nombre limité de ressortissants de pays tiers, ayant introduit une demande de protection internationale en Grèce ou en Italie, qui possèdent l’une des nationalités visées par la décision 2015/1601, qui seront relocalisés à partir de l’un de ces deux États membres et qui sont arrivés ou arriveront dans lesdits États membres durant une certaine période.

(voir points 78-80)

4.      Si l’article 78, paragraphe 3, TFUE exige que les mesures y visées soient temporaires, il réserve néanmoins au Conseil une marge d’appréciation pour fixer, au cas par cas, leur période d’application en fonction des circonstances de l’espèce et, en particulier, au regard des spécificités de la situation d’urgence justifiant ces mesures.

S’agissant de la décision 2015/1601, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, le Conseil n’a pas manifestement outrepassé son pouvoir d’appréciation lorsqu’il a fixé la durée des mesures que comporte cette décision à 24 mois. En effet, ce choix apparaît justifié compte tenu du fait qu’une relocalisation d’un nombre important de personnes est une opération à la fois inédite et complexe qui nécessite un certain temps de préparation et de mise en place, notamment sur le plan de la coordination entre les administrations des États membres, avant qu’elle ne produise des effets concrets. À cet égard, il ne saurait être valablement soutenu que la décision 2015/1601 n’a pas un caractère provisoire dès lors qu’elle aura des effets à long terme. En effet, s’il devait être tenu compte de la durée des effets d’une mesure de relocalisation sur les personnes relocalisées afin d’apprécier son caractère provisoire au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, aucune mesure de relocalisation de personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale ne pourrait être prise en vertu de cette disposition, dès lors que de tels effets à plus ou moins long terme sont inhérents à une telle relocalisation.

(voir points 92, 96-99)

5.      Peut être qualifié de « soudain », au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, un afflux de ressortissants de pays tiers d’une ampleur telle qu’il était imprévisible, et ce alors même qu’il prendrait place dans un contexte de crise migratoire s’étalant sur plusieurs années, dès lors qu’il rend impossible le fonctionnement normal du système commun d’asile de l’Union.

(voir point 114)

6.      S’agissant de l’interprétation de l’adjectif « caractérisée » qualifiant la situation d’urgence visée à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, si une minorité des versions linguistiques de ladite disposition utilise non pas ce terme mais le terme « causée », ces deux termes doivent, dans le contexte de cette disposition et au vu de son objectif visant à permettre l’adoption rapide de mesures provisoires destinées à réagir de manière efficace à une situation d’urgence migratoire, être compris dans le même sens de l’exigence d’un lien suffisamment étroit entre la situation d’urgence en cause et l’afflux soudain de ressortissants de pays tiers.

(voir point 125)

7.      Compte tenu du fait qu’il est inhérent aux flux migratoires que ceux-ci peuvent évoluer rapidement, notamment en se déplaçant vers d’autres États membres, l’article 78, paragraphe 3, TFUE ne s’oppose pas à ce que des mécanismes d’ajustement s’ajoutent aux mesures provisoires prises au titre de cette disposition. En effet, ladite disposition confère un large pouvoir d’appréciation au Conseil dans le choix des mesures pouvant être prises afin de répondre de manière rapide et efficace à une situation d’urgence particulière ainsi qu’à de possibles évolutions dont celle-ci pourrait faire l’objet. Répondre à l’urgence n’exclut pas le caractère évolutif et adapté de la réponse, pourvu que celle-ci conserve son caractère provisoire.

(voir points 131-134)

8.      Les principes d’attribution des pouvoirs et de l’équilibre institutionnel s’appliquent au pouvoir d’initiative de la Commission dans le cadre de l’adoption, sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, d’actes non législatifs, tels qu’une décision instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de certains États membres. À cet égard, l’article 78, paragraphe 3, TFUE ne subordonne pas le pouvoir d’initiative de la Commission à l’existence préalable d’orientations définies par le Conseil européen au titre de l’article 68 TFUE.

Par ailleurs, l’article 78, paragraphe 3, TFUE permet au Conseil d’adopter des mesures à la majorité qualifiée. Le principe de l’équilibre institutionnel interdit que le Conseil européen modifie cette règle de vote en imposant au Conseil, au moyen de conclusions prises conformément à l’article 68 TFUE, une règle de vote à l’unanimité. Or, dans la mesure où les règles relatives à la formation de la volonté des institutions de l’Union sont établies par les traités et ne sont à la disposition ni des États membres ni des institutions elles-mêmes, seuls les traités peuvent, dans des cas particuliers, habiliter une institution à modifier une procédure décisionnelle qu’ils établissent.

(voir points 146-149)

9.      Voir le texte de la décision.

(voir points 160-162)

10.    Aux termes de l’article 293, paragraphe 2, TFUE, tant que le Conseil n’a pas statué sur une proposition de la Commission, cette dernière peut modifier sa proposition tout au long des procédures conduisant à l’adoption d’un acte de l’Union. Les propositions modifiées qu’adopte la Commission ne doivent pas nécessairement prendre une forme écrite dès lors qu’elles font partie du processus d’adoption d’actes de l’Union qui se caractérise par une certaine souplesse, nécessaire pour atteindre une convergence de vues entre les institutions.

Dans le cadre particulier de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, il peut être considéré que la Commission a exercé son pouvoir de modification visé à l’article 293, paragraphe 2, TFUE lorsqu’il ressort clairement de la participation de cette institution au processus d’adoption de l’acte concerné que la proposition modifiée a été approuvée par la Commission. Une telle interprétation répond à l’objectif de l’article 293, paragraphe 2, TFUE qui vise à protéger le pouvoir d’initiative de la Commission.

(voir points 177, 179, 181)

11.    Il résulte de l’article 13 du règlement intérieur de la Commission, interprété à l’aune de l’objectif de l’article 293, paragraphe 2, TFUE qui vise à protéger le pouvoir d’initiative de la Commission, que le collège des commissaires peut habiliter certains de ses membres à procéder à la modification, en cours de procédure, d’une proposition de la Commission dans les limites qu’il a au préalable déterminées.

(voir point 185)

12.    Même si l’Union est attachée à la préservation du multilinguisme, dont l’importance est rappelée à l’article 3, paragraphe 3, quatrième alinéa, TUE, rien ne s’oppose à ce que le Conseil interprète l’article 14 de son règlement intérieur en ce sens que, alors que son paragraphe 1 requiert que les projets qui sont à la base des délibérations du Conseil doivent en principe être établis dans toutes les langues officielles de l’Union, le paragraphe 2 du même article prévoit un régime simplifié pour les amendements qui ne doivent pas impérativement être disponibles dans toutes les langues officielles de l’Union. Ce serait uniquement en cas d’opposition d’un État membre que les versions linguistiques désignées par celui-ci devraient également être soumises au Conseil avant qu’il puisse continuer à délibérer. Une telle interprétation procède en effet d’une approche équilibrée et flexible favorisant l’efficacité et la célérité des travaux du Conseil.

(voir points 201, 203)

13.    Voir le texte de la décision.

(voir points 206-208, 221)

14.    Dans le contexte particulier d’une situation d’urgence grave caractérisée par un afflux massif et soudain de ressortissants de pays tiers dans des États membres, une décision d’adopter un mécanisme contraignant de relocalisation de 120 000 personnes au titre de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, si elle doit être fondée sur des critères objectifs, ne saurait être censurée par la Cour que s’il est constaté que, lorsqu’il a arrêté la décision attaquée, le Conseil a, à la lumière des informations et des données disponibles à ce moment, commis une erreur manifeste d’appréciation, en ce sens qu’une autre mesure moins contraignante, mais tout aussi efficace, aurait pu être prise dans les mêmes délais.

À cet égard, s’agissant d’une argumentation selon laquelle la décision attaquée constituerait une mesure disproportionnée dès lors qu’elle imposerait sans nécessité un mécanisme contraignant comportant une répartition chiffrée et obligatoire, sous forme de contingents, des personnes relocalisées entre les États membres, il n’apparaît pas que le Conseil, en ayant choisi d’imposer un tel mécanisme contraignant de relocalisation, aurait commis une erreur manifeste d’appréciation. En effet, le Conseil peut estimer à bon droit, dans le cadre de la large marge d’appréciation qui doit lui être reconnue à cet égard, que le caractère contraignant de la répartition des personnes relocalisées s’impose au vu de la situation d’urgence particulière dans laquelle la décision attaquée doit être adoptée. Par ailleurs, lors de l’adoption de la décision attaquée, le Conseil est effectivement tenu de mettre en œuvre le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier, qui s’impose, en vertu de l’article 80 TFUE, lors de la mise en œuvre de la politique commune de l’Union en matière d’asile. Dès lors, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’il estime devoir prendre, au vu de l’urgence spécifique de la situation, sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, lu à la lumière de l’article 80 TFUE et du principe de solidarité entre États membres qui y est consacré, des mesures provisoires consistant à imposer un mécanisme de relocalisation contraignant.

(voir points 235, 236, 245, 246, 252, 253)

15.    Lorsqu’un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence, au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, les charges que comportent les mesures provisoires adoptées en vertu de cette disposition au profit de ce ou ces États membres doivent, en principe, être réparties entre tous les autres États membres, conformément au principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les États membres, dès lors que, conformément à l’article 80 TFUE, ce principe régit la politique de l’Union en matière d’asile. Partant, c’est à juste titre que, lors de l’adoption d’une décision instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de certains États membres, la Commission et le Conseil considèrent que la répartition des demandeurs relocalisés entre tous les États membres, conformément au principe consacré à l’article 80 TFUE, constitue un élément fondamental de ladite décision.

À cet égard, si la relocalisation devait être strictement conditionnée par l’existence de liens culturels ou linguistiques entre chaque demandeur de protection internationale et l’État membre de relocalisation, il en découlerait qu’une répartition de ces demandeurs entre tous les États membres dans le respect du principe de solidarité qu’impose l’article 80 TFUE et, partant, l’adoption d’un mécanisme de relocalisation contraignant, seraient impossibles. En tout état de cause, des considérations liées à l’origine ethnique des demandeurs de protection internationale ne peuvent pas être prises en compte en ce qu’elles seraient, de toute évidence, contraires au droit de l’Union et notamment à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

(voir points 291, 292, 304, 305)

16.    Voir le texte de la décision.

(voir point 303)

17.    Conformément à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, un droit de recours effectif doit être assuré sur le plan national contre toute décision devant être prise par une autorité nationale dans le cadre d’une procédure de relocalisation au titre de l’article 78, paragraphe 3, TFUE.

(voir point 325)

18.    Le système institué par la décision 2015/1601, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, repose, comme le système institué par le règlement no 604/2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, sur des critères objectifs, et non sur l’expression d’une préférence par le demandeur de protection internationale. En particulier, la règle de la responsabilité de l’État membre de première entrée, prévue à l’article 13, paragraphe 1, dudit règlement, qui est la seule règle de détermination de l’État membre responsable que prévoit ce règlement à laquelle déroge la décision 2015/1601, n’est pas liée aux préférences du demandeur pour un État membre d’accueil déterminé et ne vise pas spécifiquement à assurer qu’il existe un lien linguistique, culturel ou social entre ce demandeur et l’État membre responsable.

En outre, si une certaine marge d’appréciation est réservée aux autorités des États membres bénéficiaires lorsque ceux-ci sont appelés, en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de la décision 2015/1601, à identifier les demandeurs individuels pouvant être relocalisés vers un État membre de relocalisation déterminé, une telle marge est justifiée au regard de l’objectif de cette décision qui est de soulager les régimes d’asile grec et italien d’un nombre important de demandeurs en les relocalisant, dans de brefs délais et de manière effective, vers d’autres États membres dans le respect du droit de l’Union et, en particulier, des droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Par ailleurs, le droit de l’Union ne permet pas aux demandeurs de choisir l’État membre responsable de l’examen de leur demande. En effet, les critères que prévoit le règlement no 604/2013 pour déterminer l’État membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale ne sont pas liés aux préférences du demandeur pour un État membre d’accueil déterminé.

(voir points 333, 334, 337, 339)

19.    Le transfert dans le cadre d’une opération de relocalisation au titre de l’article 78, paragraphe 3, TFUE d’un demandeur de protection internationale d’un État membre vers un autre aux fins d’assurer un examen de sa demande dans des délais raisonnables ne saurait être considéré comme étant constitutif d’un refoulement vers un État tiers. Il s’agit au contraire d’une mesure de gestion de crise, prise au niveau de l’Union, visant à assurer l’exercice effectif, dans le respect de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, du droit fondamental d’asile, tel que consacré à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

(voir points 342, 343)