Language of document : ECLI:EU:T:2008:439

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

15 octobre 2008 (*)

« Organisation commune des marchés – Bananes – Mesures transitoires – Article 30 du règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil – Arrêt constatant la carence de la Commission – Refus d’exécution d’un arrêt du Tribunal – Recours en annulation – Demande de condamnation à donner exécution à l’arrêt par équivalent pécuniaire – Réparation du préjudice moral – Abstention illégale de la Commission –Recours en indemnité – Interruption du délai de prescription – Article 46 du statut de la Cour de justice – Irrecevabilité »

Dans les affaires jointes T‑457/04 et T‑223/05,

Camar Srl, établie à Florence (Italie), représentée par Mes W. Viscardini, S. Donà et M. Paolin, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. L. Visaggio, puis par Mme F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agents, assistés de MA. Dal Ferro, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet, en ce qui concerne l’affaire T‑457/04, une demande tendant, en premier lieu, à l’annulation de la décision de refus de la Commission de donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du Tribunal du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil (T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II‑2193), contenue dans la lettre du 10 septembre 2004, en deuxième lieu, à la condamnation de la Commission à donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt Camar et Tico/Commission et Conseil, précité, par équivalent pécuniaire de la valeur des certificats non délivrés, et, en troisième lieu, à la condamnation de la Commission à l’indemnisation du préjudice moral, ainsi que, en ce qui concerne l’affaire T‑223/05, une demande tendant à la condamnation de la Commission à l’indemnisation, au titre de la responsabilité non contractuelle de la Communauté européenne, du préjudice qui aurait été subi par la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, D. Šváby et E. Moavero Milanesi (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 janvier 2008,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Les dispositions applicables au cas d’espèce sont les articles 230 CE, 232 CE, 233 CE et 288 CE ainsi que l’article 46 du statut de la Cour.

2        Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1), prévoyait, à l’époque des faits à l’origine des présentes affaires, l’ouverture d’un contingent tarifaire annuel pour les importations de bananes en provenance des pays tiers et en provenance des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). En particulier :

–        l’article 18, paragraphe 1, du règlement nº 404/93, tel que modifié par le règlement (CE) n° 3290/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de l’agriculture pour la mise en œuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay (JO 1999, L 3, p. 23), précisait que, pour les importations de bananes de pays tiers autres que les pays ACP (ci‑après les « bananes de pays tiers ») et de bananes non traditionnelles ACP (au sens de l’article 15 du règlement nº 404/93, devenu l’article 15 bis après sa modification par le règlement n° 3290/94), un contingent tarifaire de 2,1 millions de tonnes (poids net) était ouvert pour l’année 1994 et de 2,2 millions de tonnes (poids net) pour les années suivantes. Dans le cadre de ce contingent tarifaire, les importations de bananes de pays tiers étaient assujetties à la perception d’un droit de 75 écus par tonne et les importations de bananes non traditionnelles ACP à un droit nul. En outre, l’article 18, paragraphe 2, du règlement nº 404/93 prévoyait que les importations effectuées en dehors du contingent, qu’il s’agisse d’importations de bananes non traditionnelles ACP ou de bananes de pays tiers, étaient soumises à un droit calculé sur la base du tarif douanier commun ;

–        l’article 19, paragraphe 1, du règlement nº 404/93 répartissait le contingent tarifaire ainsi ouvert en affectant 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes de pays tiers ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A), 30 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes communautaires ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté européenne qui avaient commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires ou traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C) ;

–        l’article 30 du règlement n° 404/93 prévoyait que, « [s]i des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour faciliter le passage des régimes existants avant l’entrée en vigueur du présent règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés sensibles, la Commission, selon la procédure prévue à l’article 27, prend toutes les mesures transitoires jugées nécessaires ».

3        Les modalités d’application du régime d’importation de bananes dans la Communauté étaient inscrites dans le règlement (CEE) n° 1442/93 de la Commission, du 10 juin 1993 (JO L 142, p. 6). En particulier :

–        selon les articles 4 et 5 du règlement nº 1442/93, la répartition du contingent tarifaire entre les opérateurs de la catégorie A s’effectuait sur la base des quantités de bananes de pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP commercialisées pendant les trois années antérieures à l’année précédant celle pour laquelle le contingent tarifaire était ouvert. La répartition du contingent entre les opérateurs de la catégorie B était faite sur la base des quantités de bananes communautaires ou traditionnelles ACP commercialisées au cours d’une période de référence déterminée de la même manière que pour la catégorie A ;

–        selon l’article 13 du même règlement, les opérateurs des catégories A ou B pouvaient, pendant la durée de validité des certificats d’importation qui leur étaient délivrés en cette qualité, céder les droits découlant de ces certificats à des opérateurs des catégories A, B ou C.

4        Le règlement (CE) n° 1637/98 du Conseil, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 210, p. 28), applicable à partir du 1er janvier 1999, a abrogé l’article 15 bis du règlement n° 404/93 et en a modifié les articles 16 à 20. Ainsi :

–        en vertu de l’article 18, paragraphe 2, du règlement nº 404/93, un contingent tarifaire additionnel était ouvert pour les importations de bananes de pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP ;

–        l’article 19, paragraphe 1, premier alinéa, du même règlement prévoyait que désormais « [l]a gestion des contingents tarifaires visés à l’article 18, paragraphes 1 et 2, et des importations de bananes traditionnelles ACP s’effectue[rait] par l’application de la méthode fondée sur la prise en compte des courants d’échanges traditionnels (selon la méthode dite ‘traditionnels/nouveaux arrivés’) » ;

–        en vertu de l’article 20 du même règlement, la Commission devait arrêter les modalités d’application du nouveau régime d’importation, lesquelles devaient comporter notamment, en vertu de ce même article, sous d), « les mesures spécifiques nécessaires pour faciliter le passage du régime d’importation applicable à compter du 1er juillet 1993 au [nouveau] régime ».

5        Sur la base notamment de l’article 20 du règlement n° 404/93, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 2362/98 de la Commission, du 28 octobre 1998, portant modalités d’application du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32), lequel a remplacé, à compter du 1er janvier 1999, le règlement n° 1442/93. En particulier, l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2362/98 prévoyait que chaque opérateur traditionnel, tel que défini à l’article 3, premier alinéa, et enregistré dans un État membre conformément à l’article 5, obtenait, pour chaque année et pour l’ensemble des origines mentionnées à l’annexe I (pays tiers et États ACP), une quantité de référence unique déterminée en fonction des quantités de bananes qu’il avait effectivement importées pendant la période de référence. L’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 2362/98 précisait que, pour les importations à réaliser en 1999 dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP, la période de référence était constituée par les années 1994 à 1996.

6        Dans le cadre du régime établi par les règlements n° 404/93 et nº 1442/93, tels que modifiés par les règlements n° 1637/98 et n° 2362/98, le recours aux quantités de référence notifiées aux opérateurs traditionnels pour l’année 1999 a été successivement confirmé, jusqu’au 30 juin 2001, par six règlements de la Commission. Le règlement (CE) n° 2013/2006 du Conseil, du 19 décembre 2006, modifiant les règlements nº 404/93, (CE) n° 1782/2003 et n° 247/2006 en ce qui concerne le secteur de la banane (JO L 384, p. 13), a établi un nouveau régime et, par son article 1er, a notamment supprimé les titres II et III, les articles 16 à 20, l’article 21, paragraphe 2, l’article 25 et les articles 30 à 32 du règlement nº 404/93.

 Antécédents du litige

7        Camar Srl (ci-après « Camar » ou la « requérante ») importe depuis 1983 des bananes d’origine somalienne en Italie. Jusqu’en 1994, elle y a été le seul importateur et, jusqu’en 1997, le principal importateur de ce type de bananes. En décembre 1990, une guerre civile a éclaté en Somalie causant une interruption du flux normal des importations de Camar.

8        Le 24 janvier 1996, Camar a adressé à la Commission une invitation à agir au sens de l’article 175, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 232, deuxième alinéa, CE), en application de l’article 30 du règlement nº 404/93. En premier lieu, elle a demandé l’augmentation du contingent tarifaire annuel ouvert pour les importations de bananes de pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP, visé à l’article 18 dudit règlement, d’une quantité égale à la différence entre la quantité traditionnelle de bananes somaliennes prévue par le règlement nº 404/93 (60 000 tonnes) et les quantités effectivement importées ou pouvant être importées dans la Communauté par Camar. En deuxième lieu, elle a demandé que lui soient attribués des certificats d’importation de bananes de pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP dans une mesure correspondant à la différence entre ces quantités. N’ayant obtenu aucune réponse dans le délai prévu de deux mois, le 28 mai 1996, Camar a introduit un recours en carence et en indemnité, enregistré sous le numéro T‑79/96.

9        Le 27 janvier 1997, Camar a demandé à la Commission, sur la base de l’article 175, deuxième alinéa, du traité CE, que, en application de l’article 30 du règlement nº 404/93, les certificats d’importation de bananes de pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP qui auraient dû lui être attribués en tant qu’opérateur de catégorie B pour l’année 1997 et pour les années suivantes, jusqu’au rétablissement de ses quantités de référence normales, soient déterminés sur la base des quantités de bananes qu’elle avait commercialisées au cours des années 1988 à 1990. Par décision du 17 juillet 1997, la Commission a rejeté cette demande. Le 25 septembre 1997, Camar a déposé au greffe du Tribunal une demande en annulation de cette décision et une demande en indemnité à l’encontre de la Commission et du Conseil. Ce recours a été enregistré sous le numéro T‑260/97.

10      Dans son arrêt du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil (T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II‑2193, ci-après l’« arrêt du 8 juin 2000 »), le Tribunal a considéré, en ce qui concerne l’affaire T‑79/96, aux points 143 et 149, que les difficultés d’approvisionnement en bananes de la requérante, même si elles étaient liées à la guerre civile en Somalie, étaient une conséquence directe de la mise en place de l’organisation commune des marchés dès lors que le régime établi par les règlements n° 404/93 et n° 1442/93 avait, en fait, entraîné une diminution objective importante de la possibilité, offerte par le régime italien antérieur, de remplacer l’offre déficiente de bananes somaliennes. Le Tribunal a ensuite conclu que ces difficultés avaient ainsi eu de très graves conséquences sur la viabilité de l’activité économique de Camar, qu’elles avaient pu mettre en danger la poursuite de cette activité et que, par conséquent, elles avaient constitué des « difficultés sensibles » qui, aux termes de l’article 30 du règlement n° 404/93, contribuaient à faire naître l’obligation, pour la Commission, de prendre les mesures jugées nécessaires (point 143).

11      Le Tribunal a, par ailleurs, jugé que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que Camar était en mesure de surmonter les difficultés sensibles provoquées par le passage du régime national italien au régime communautaire en se fondant sur le fonctionnement du marché. Il a considéré que, l’adoption par la Commission de mesures transitoires au sens de l’article 30 du règlement n° 404/93 étant le seul moyen permettant de faire face aux difficultés rencontrées par la requérante, elle était manifestement nécessaire (point 149). Le Tribunal a, dès lors, conclu que la Commission avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 30 du règlement nº 404/93 en s’abstenant de prendre les mesures nécessaires à l’égard de la requérante et a rejeté le recours en indemnité comme irrecevable pour des raisons formelles, le recours n’ayant pas indiqué les éléments requis par l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

12      En ce qui concerne l’affaire T‑260/97, le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 17 juillet 1997 et l’a condamnée à réparer le dommage subi par la requérante du fait de ladite décision. Par ailleurs, le Tribunal a invité les parties à rechercher un accord sur le montant de l’indemnisation de l’intégralité du dommage, dans un délai de six mois, à défaut duquel les parties devaient soumettre au Tribunal, dans ce même délai, leurs conclusions chiffrées.

13      La Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt du 8 juin 2000 et le délai de six mois, accordé aux parties pour la présentation des conclusions chiffrées dans l’affaire T‑260/97 a, dès lors, été suspendu. Par arrêt du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico (C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355), la Cour a rejeté ledit pourvoi, en ce qu’il était dirigé contre l’arrêt du 8 juin 2000 dans les affaires T‑79/96 et T‑260/97. Par lettre du greffe du Tribunal du 9 janvier 2003, les parties ont été informées du fait que le délai de six mois prévu au point 5) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 avait recommencé à courir et arriverait à expiration le 10 juin 2003.

14      Parallèlement aux négociations qui ont ainsi été reprises en vue de parvenir à un accord sur le montant de l’indemnisation de l’intégralité du dommage, les parties ont eu un échange de correspondances, pour la partie concernant l’affaire T‑79/96, au sujet de l’exécution du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000. Le 28 février 2003, Camar a demandé à la Commission de donner exécution à cet arrêt, en lui délivrant des certificats d’importation « aujourd’hui pour alors » ou en lui attribuant, à titre de compensation pécuniaire, un montant en numéraire correspondant à la valeur économique desdits certificats. Par lettre du 20 mai 2003, la Commission a rejeté cette demande.

15      Le 9 avril 2004, la requérante a à nouveau invité la Commission à proposer une solution pour l’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000 pour la partie relative à l’affaire T‑79/96 et a précisé que, en l’absence de réponse positive, elle procéderait à sa mise en demeure formelle. La Commission a répondu le 1er juin 2004 et s’est prononcée uniquement sur les dépens dans les affaires T‑79/96 et T‑260/97.

16      Le 7 juillet 2004, Camar a donc envoyé à la Commission une lettre de mise en demeure formelle, en vertu des articles 232 CE et 233 CE. La requérante y fait observer que, compte tenu de l’imminence de l’entrée en vigueur du nouveau régime communautaire d’importation de bananes, qui ne reposerait plus sur le système des certificats d’importation, il n’était plus utile, ni d’actualité, de délivrer, aux fins de l’exécution du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, des certificats d’importation « aujourd’hui pour alors », de sorte que l’unique possibilité d’exécuter ledit arrêt résidait, à son avis, dans une compensation pécuniaire fondée sur la valeur économique des certificats qui n’avaient pas été délivrés en temps voulu.

17      Par lettre du 10 septembre 2004, signée par le directeur général de la direction générale (DG) « Agriculture » de la Commission, cette dernière a déclaré qu’elle ne pouvait pas donner suite à la demande de Camar ayant pour objet l’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000 pour la partie relative à l’affaire T‑79/96 pour trois raisons : en premier lieu, il n’aurait plus été possible de procéder à une attribution de certificats d’importation, la réforme du régime d’importation de bananes dans la Communauté étant entrée en vigueur à compter du 1er janvier 1999 ; en deuxième lieu, une indemnisation pécuniaire aurait été contraire au point 4) du dispositif dudit arrêt prévoyant que le recours en indemnité dans l’affaire T-79/96 était rejeté comme irrecevable ; en troisième lieu, aucun nouveau recours n’aurait été formé en ce sens dans le délai de prescription quinquennal prévu à l’article 46 du statut de la Cour de justice.

18      À défaut d’accord entre les parties concernant l’évaluation du préjudice, aux termes du point 5) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, par arrêt du 13 juillet 2005, Camar/Conseil et Commission (T‑260/97, Rec. p. II‑2741, ci-après l’« arrêt du 13 juillet 2005 »), le Tribunal a condamné la Commission à verser à la requérante une indemnité de 5 024 192 euros, soumise à réévaluation monétaire et majorée des intérêts moratoires à compter du prononcé de cet arrêt jusqu’au paiement complet, en réparation du préjudice subi. Ce préjudice consistait en l’attribution à Camar, pour les années 1997 et 1998, d’un nombre de certificats d’importation de bananes de pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP réduit par rapport à celui qu’elle aurait obtenu pour ces mêmes années si la Commission avait accueilli sa demande du 27 janvier 1997 en autorisant, en application de l’article 30 du règlement n° 404/93, la prise en compte des années 1989 et 1990 comme périodes de référence.

 Procédure

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 novembre 2004, Camar a introduit un premier recours enregistré sous le numéro T‑457/04.

20      Par requête introduite au greffe du Tribunal le 8 juin 2005, Camar a introduit un second recours enregistré sous le numéro T‑223/05. Le 12 septembre 2005, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, sur le fondement de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure. Par ordonnance du 6 juillet 2006, le Tribunal (quatrième chambre) a joint l’exception d’irrecevabilité au fond. Le 25 avril 2006, le Tribunal a adressé une série de questions à la requérante, auxquelles elle a répondu le 17 mai 2006.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle les affaires T‑457/04 et T‑223/05 ont été, par conséquent, attribuées. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et de poser des questions aux parties, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 24 janvier 2008, au cours de laquelle le président de la septième chambre du Tribunal a, sur demande de la requérante, décidé de joindre les deux affaires aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Conclusions des parties

22      Dans l’affaire T‑457/04, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la prétendue décision de refus de la Commission de donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, contenue dans la lettre du 10 septembre 2004, pour violation de l’article 233 CE ;

–        condamner la Commission à donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 par équivalent pécuniaire de la valeur des certificats qu’elle aurait dû lui délivrer en vertu de cet arrêt et qu’elle n’a pas délivrés, pour un montant de 5 065 600 euros ou un montant différent éventuellement fixé par le Tribunal, majoré de la réévaluation monétaire et des intérêts calculés au taux qu’il fixera, à compter du 8 juin 2000 jusqu’au paiement complet ;

–        condamner la Commission à l’indemniser pour le préjudice moral qu’elle aurait subi, « en la personne de ses associés », en raison de la non‑exécution de l’arrêt du 8 juin 2000, et fixer le montant de cette indemnité en équité ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      Dans l’affaire T‑223/05, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à l’indemniser pour le préjudice qu’elle aurait subi du fait de l’omission illégale d’adopter les mesures nécessaires au sens de l’article 30 du règlement nº 404/93, constatée au point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, conformément aux critères qu’elle a proposés ou à d’autres critères que le Tribunal jugerait plus adéquats, eu égard notamment à l’arrêt mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑260/97 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme dénué de fondement ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur l’affaire T-457/04

 Sur le chef de conclusions visant à l’annulation de la décision de la Commission du 10 septembre 2004

 Arguments des parties

26      À l’appui de la première partie de son recours visant à l’annulation de la décision de la Commission contenue dans la lettre du directeur général de la DG « Agriculture », du 10 septembre 2004, refusant de donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, Camar fait valoir que, en agissant ainsi, la Commission s’est rendue coupable d’une grave violation de l’article 233 CE qui prévoit que l’institution dont émane un acte annulé, ou dont l’abstention a été déclarée contraire au traité, est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt.

27      Elle soutient que les arguments avancés par la Commission afin de justifier ledit refus sont dépourvus de fondement. À cet égard, la requérante fait valoir qu’une attribution de certificats d’importation aurait encore été techniquement possible lors du prononcé de cet arrêt et que, dans une lettre du 7 décembre 2000, non seulement la Commission elle-même n’avait pas exclu de pouvoir lui délivrer des certificats d’importation pour donner exécution à l’arrêt du 8 juin 2000, mais elle avait proposé de délivrer des certificats notamment pour exécuter la décision du Tribunal de l’indemniser pour le préjudice subi dans l’affaire T‑260/97.

28      En outre, Camar fait observer que, à supposer même que, du point de vue technique, il ait pu y avoir des difficultés pour la Commission pour adopter des mesures transitoires au sens de l’article 30 du règlement nº 404/93 en vue d’exécuter le point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, cela n’exonérait pas l’institution d’adopter des mesures alternatives, de nature compensatoire. Conformément à l’arrêt de la Cour du 5 mars 1980, Könecke Fleischwarenfabrik/Commission (76/79, Rec. p. 665), et à l’arrêt du Tribunal du 10 mai 2000, Simon/Commission (T‑177/97, RecFP p. I‑A‑75 et II‑319, point 23), lorsqu’il n’est plus possible d’exécuter un arrêt « sous forme spécifique », le préjudice subi par les intéressés peut être compensé pécuniairement ; ce principe, qui s’applique aussi, selon la requérante, en cas de carence constatée, serait d’application générale, et donc transposable également à des domaines autres que celui de la fonction publique. Selon Camar, la jurisprudence précise que la Commission ne saurait davantage justifier son refus d’exécuter l’arrêt du 8 juin 2000, en faisant valoir que, ce dernier faisant l’objet d’un pourvoi, elle serait exonérée de son exécution dans l’attente de la décision de la Cour.

29      La Commission objecte que, s’il est vrai que l’institution concernée doit normalement prendre la mesure qui fait l’objet de la demande, l’adoption d’une telle mesure n’était cependant plus possible au moment du prononcé de l’arrêt du 8 juin 2000. En effet, ainsi que cela aurait été confirmé par le Tribunal dans l’arrêt du 13 juillet 2005 dans l’affaire T‑260/97, le régime d’importation de bananes dans la Communauté ayant été modifié dès le 1er janvier 1999, une éventuelle mesure transitoire telle que celle demandée par la requérante le 24 janvier 1996 n’aurait pas pu être prise sur le fondement de l’article 30 du règlement nº 404/93. Le fait que la requérante se soit vu proposer, en 2000, la délivrance, le cas échéant, de certificats d’importation en réparation du préjudice dans l’affaire T‑260/97 ne modifierait en rien cette conclusion.

30      En outre, la Commission fait valoir qu’elle n’est pas tenue d’exécuter l’arrêt du 8 juin 2000 « par équivalent » et que cela serait d’ailleurs impossible. En effet, la jurisprudence ne pourrait pas être interprétée comme imposant à la Commission de verser une compensation pécuniaire équitable à la requérante, sans tenir compte de la nature des difficultés d’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000 et, surtout, de la déclaration d’irrecevabilité concomitante du recours en indemnité, contenue dans l’arrêt en question. La jurisprudence invoquée par la requérante ne serait, dès lors, pas transposable, étant donné que celle-ci concernerait les litiges en matière de fonction publique. Cela serait encore plus vrai lorsque, dans l’arrêt dont il est demandé l’exécution, le Tribunal a, comme c’est le cas en l’espèce, d’une part, déclaré l’illégalité du comportement de l’institution et, d’autre part, rejeté le recours en indemnité qui y est afférent comme irrecevable.

31      Selon la Commission, s’il est vrai que l’arrêt Könecke Fleischwarenfabrik/Commission, précité, invoqué par la requérante, lui impose, même lorsque l’exécution d’un arrêt présente des difficultés particulières, de garantir à la partie intéressée une compensation équitable du préjudice, dans des circonstances particulières, il peut s’avérer impossible pour la Commission de donner exécution à un arrêt. En tout état de cause, la partie intéressée aurait toujours la possibilité d’engager une action en indemnité. De surcroît, cette jurisprudence ne lui imposerait pas de verser une compensation pécuniaire équitable à la requérante, sans tenir compte de la nature des difficultés d’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000 et, surtout, de la déclaration d’irrecevabilité contenue dans cet arrêt. En l’espèce, compte tenu du fait qu’il était impossible de donner exécution de façon spécifique à l’arrêt du Tribunal et que le nouveau régime d’importation de bananes était entré en vigueur, le recours en indemnité aurait constitué une voie de recours appropriée. Cependant, selon la Commission, le recours en indemnité présenté par Camar dans le cadre de l’affaire T‑79/96 a été déclaré irrecevable par le Tribunal et n’a pas été réintroduit dans le délai prescrit par l’article 46 du statut de la Cour. L’abstention de la Commission s’ajoutant à l’irrecevabilité de la demande de réparation du préjudice, cela ne permettrait pas d’appliquer le principe de compensation équitable sous peine d’être en contradiction avec le point 4) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000.

 Appréciation du Tribunal

32      Par son premier chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal de constater que la lettre de refus de donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 est contraire aux obligations qui incombent à la Commission en vertu de l’article 233 CE.

33      À titre liminaire, il y a lieu de relever que l’acte attaqué est une lettre de la Commission signée par le directeur général de la DG « Agriculture » le 10 septembre 2004, faisant suite à la lettre de mise en demeure formelle introduite par la requérante le 7 juillet 2004 au titre des articles 232 CE et 233 CE. Le refus exprimé par la Commission d’agir conformément à une telle invitation constitue une prise de position mettant fin à la carence, qui est susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter la situation juridique de la requérante. Un tel refus s’analyse comme un acte attaquable au sens de l’article 230 CE, susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation [voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, points 32 et 33, et ordonnance du Tribunal du 4 mai 2005, Holcim (France)/Commission, T‑86/03, Rec. p. II‑1539, point 36].

34      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 233 CE, « [l]’institution ou les institutions dont émane l’acte annulé, ou dont l’abstention a été déclarée contraire au présent traité, sont tenues de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour ».

35      Ainsi qu’il ressort des points 149 et 153 et du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, le Tribunal a jugé que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que Camar était en mesure de surmonter les difficultés sensibles provoquées par le passage du régime national italien au régime communautaire en se fondant sur le fonctionnement du marché et que le fait de s’abstenir de prendre les mesures transitoires nécessaires au sens de l’article 30 du règlement nº 404/93 était illégal. Par conséquent, la Commission aurait dû, en vertu de l’article 233 CE, adopter dans un « délai raisonnable » (arrêt de la Cour du 12 janvier 1984, Turner/Commission, 266/82, Rec. p. 1, point 5) une décision au sens de l’article 30 du règlement n° 404/93, qui prévoyait précisément la possibilité d’adopter des mesures destinées à pallier les difficultés provoquées par le passage du régime national italien d’importation de bananes au système communautaire institué en 1993.

36      Cependant, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la lettre du 10 septembre 2004, que la Commission a refusé non seulement de donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, en ce qu’elle n’a pas pris les mesures qu’elle avait omis d’adopter en 1996, mais également de donner exécution à celui-ci « par équivalent pécuniaire », comme la requérante le lui avait demandé dans sa lettre de mise en demeure du 7 juillet 2004. À l’appui de son refus d’exécution spécifique, la Commission fait valoir trois arguments dans sa lettre du 10 septembre 2004.

37      En ce qui concerne son deuxième argument, selon lequel une indemnisation pécuniaire aurait été contraire au point 4) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, il suffit de rappeler, ainsi que la Commission l’a elle-même reconnu (voir point 45 ci-après), qu’une telle indemnisation n’est pas exclue par la déclaration d’irrecevabilité visée au point 4) du dispositif dudit arrêt, celle-ci n’étant motivée que par des raisons formelles.

38      En ce qui concerne le premier argument avancé par la Commission dans sa lettre du 10 septembre 2004 à l’appui de son refus d’exécution spécifique, elle fait valoir qu’une exécution « par équivalent pécuniaire » aurait été rendue impossible par l’entrée en vigueur du nouveau régime d’importation de bananes dans la Communauté en 1999. En effet, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 58 de l’arrêt du 13 juillet 2005, le régime établi par les règlements n° 404/93 et nº 1442/93, tels que modifiés par les règlements n° 1637/98 et n° 2362/98, était de nature à faire cesser, au 31 décembre 1998, les effets des mesures que la Commission aurait dû adopter, conformément à ce régime, pour faire droit à la demande de la requérante du 24 janvier 1996. Sous ce régime, le contingent tarifaire a été ouvert aux bananes traditionnelles ACP et les certificats d’importation de bananes de pays tiers n’existaient plus en tant que tels. Les mesures invoquées par Camar en 1996 n’auraient donc plus pu être adoptées par la Commission sous une forme spécifique après l’arrêt du 8 juin 2000.

39      Il est de jurisprudence constante que, lorsque l’exécution d’un arrêt présente des difficultés particulières, l’institution concernée peut satisfaire à l’obligation découlant de l’article 233 CE en prenant toute décision qui serait de nature à compenser équitablement un désavantage ayant résulté pour les intéressés de la décision annulée (arrêts du Tribunal du 8 octobre 1992, Meskens/Parlement, T‑84/91, Rec. p. II‑2335, point 80, Simon/Commission, précité, point 23, et du 6 octobre 2004, Vicente-Nuñez/Commission, T‑294/02, RecFP p. I‑A‑283 et II‑1279, point 79).

40      En l’espèce, il convient de relever que l’impossibilité d’adopter les mesures provisoires sur la base de l’article 30 du règlement n° 404/93 constituait une « difficulté particulière » dans l’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000. Ainsi, face à l’impossibilité de donner exécution sous une forme spécifique à cet arrêt, la Commission avait néanmoins l’obligation de prendre à l’égard de Camar, dans le respect des principes de la réglementation communautaire applicable, tout acte qui était de nature à compenser équitablement le désavantage ayant résulté, pour elle, de l’omission constatée (arrêts de la Cour Könecke Fleischwarenfabrik/Commission, précité, point 15, et du 14 mai 1998, Conseil/de Nil et Impens, C‑259/96, Rec. p. I‑2915, point 16 ; arrêt du Tribunal du 10 juillet 1997, Apostolidis e.a./Commission, T‑81/96, RecFP p. I‑A‑207 et II‑607, point 42).

41      Si des circonstances objectives empêchent l’institution compétente d’exécuter en nature un arrêt d’annulation, le devoir de sollicitude lui impose d’en avertir au plus vite la requérante ainsi que d’entamer un dialogue avec celle-ci en vue de parvenir à une compensation équitable de l’illégalité dont elle a été la victime (arrêts du Tribunal Meskens/Parlement, précité, point 80, et du 31 janvier 2007, C/Commission, T‑166/04, non encore publié au Recueil, point 52).

42      Or, force est de constater que la Commission n’a pas procédé de la sorte. Il s’ensuit que le comportement de la Commission, consistant à refuser d’adopter toute mesure concrète pour exécuter le point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, constitue une violation de l’article 233 CE. La Commission a, dès lors, commis une faute de nature à engager sa responsabilité du fait qu’elle s’est abstenue, au motif d’une prétendue impossibilité d’exécution, d’adopter les mesures visant à exécuter un arrêt d’annulation.

43      Le troisième argument invoqué par la Commission dans sa lettre du 10 septembre 2004, selon lequel aucun nouveau recours n’aurait été formé dans le délai de prescription quinquennal prévu à l’article 46 du statut de la Cour, ne remet pas en cause cette conclusion. En effet, la circonstance alléguée que la requérante n’aurait pas introduit un recours en indemnité dans le délai de prescription n’exonérait pas la Commission de son obligation d’exécution de l’arrêt du Tribunal aux termes de l’article 233 CE. Sur la base des considérations qui précèdent, il y a donc lieu d’annuler l’acte attaqué.

 Sur le chef de conclusions visant à ordonner à la Commission l’exécution du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000

 Arguments des parties

44      La Commission excipe de l’irrecevabilité du recours visant à obtenir la condamnation de la Commission à exécuter le point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 par équivalent pécuniaire. Selon la jurisprudence, il n’appartiendrait pas au juge communautaire d’adresser des injonctions aux institutions communautaires en ce qui concerne les mesures à prendre en vue de l’exécution d’un arrêt. Cette jurisprudence serait également applicable dans le cas d’un arrêt constatant la carence d’une institution. Dans le cas d’espèce, la requérante pourrait uniquement demander au Tribunal d’annuler l’acte par lequel la Commission avait pris position en ce qui concerne l’exécution de l’arrêt. Ce n’est que si le Tribunal devait annuler cet acte que la Commission serait tenue d’en tirer toutes les conséquences et de prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires à la lumière des éléments ayant motivé l’annulation.

45      Même si une indemnisation n’était pas exclue par la déclaration d’irrecevabilité visée au point 4) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, laquelle n’était motivée que par des raisons formelles, selon la Commission, la demande de Camar ne viserait pas à obtenir la condamnation de la Commission à la réparation du dommage causé par l’abstention de l’institution relative à la demande de mesures transitoires du 24 janvier 1996. En tout état de cause, un recours à ce titre serait désormais prescrit, conformément à l’article 46 du statut de la Cour, car plus de cinq ans se seraient écoulés depuis la date du fait générateur du préjudice.

46      Camar réplique que, s’il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre de l’examen d’un recours en annulation, d’adresser des injonctions, ce principe ne peut cependant pas constituer un prétexte afin de ne pas exécuter les décisions du juge communautaire. De ce fait, un tel principe ne trouverait pas application lorsque l’acte dont l’annulation est demandée réside précisément dans le refus de donner exécution à un arrêt.

47      Étant donné que la Commission a déclaré qu’il lui était impossible de délivrer des certificats « aujourd’hui pour alors », ainsi qu’il lui avait été demandé, à défaut d’autres voies d’exécution, Camar se serait trouvée obligée de demander la condamnation de celle-ci à donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, par équivalent pécuniaire de la valeur des certificats qui n’avaient pas été délivrés en exécution de cet arrêt. Elle précise enfin que, dans l’affaire T‑457/04, elle n’a pas entendu intenter un recours en indemnité.

 Appréciation du Tribunal

48      À titre liminaire, il y a lieu de constater que, dans l’arrêt du 8 juin 2000, le Tribunal a jugé que la Commission s’était illégalement abstenue de prendre les mesures nécessaires au titre de l’article 30 du règlement nº 404/93. Cependant, il n’appartenait pas au Tribunal de se substituer à la Commission pour déterminer les mesures que comportait l’exécution de son arrêt [arrêts du Tribunal Meskens/Parlement, précité, point 79, et du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission, T‑28/03, Rec. p. II‑1357, point 37], le juge communautaire n’étant pas compétent pour prononcer des injonctions dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 230 CE (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, DSM/Commission, C‑5/93 P, Rec. p. I‑4695, point 36) et sur l’article 232 CE (arrêt du Tribunal du 9 septembre 1999, UPS Europe/Commission, T‑127/98, Rec. p. II‑2633, point 50).

49      Il convient de relever que, s’il est vrai que Camar a fondé le deuxième chef de conclusions de son recours, de façon distincte et autonome, sur l’article 233 CE, afin d’obtenir une exécution « sous forme spécifique » du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000, elle nie avoir voulu, par celui-ci, intenter une action en indemnisation du préjudice dans l’affaire T‑457/04. Cependant, il y a lieu de relever, premièrement, que l’article 233 CE n’instaure pas de voie de recours et, deuxièmement, que le traité prévoit, de façon limitative, les voies de recours qui s’offrent aux justiciables pour faire valoir leurs droits [arrêt Holcim (Deutschland)/Commission, précité, point 31 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, points 40, 43 et 45].

50      Contrairement à ce qu’elle soutient, la requérante n’est pas dépourvue de recours. En effet, le contrôle juridictionnel est assuré par le biais des voies de droit prévues aux articles 230 CE et 232 CE (arrêt Asteris e.a./Commission, précité, point 26, et ordonnance du Tribunal du 28 mars 2006, Mediocurso/Commission, T‑451/04, non publiée au Recueil, point 23) et par la possibilité, prévue expressément par l’article 233 CE lui-même, d’introduire un recours en indemnité visé à l’article 288, deuxième paragraphe, CE (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Meskens/Parlement, précité, point 81, du 28 septembre 1999, Frederiksen/Parlement, T‑48/97, RecFP p. I‑A‑167 et II‑867, point 96, et du 12 décembre 2000, Hautem/BEI, T‑11/00, Rec. p. II‑4019, point 43).

51      En conséquence, le deuxième chef des conclusions dans l’affaire T‑457/04 doit être rejeté comme irrecevable, pour autant qu’il vise à ce que le Tribunal ordonne à la Commission d’exécuter le point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 par équivalent pécuniaire.

 Sur le chef de conclusions visant à la réparation du préjudice moral qui aurait été subi par la requérante

 Arguments des parties

52      Camar fait valoir qu’une compensation, d’un montant à déterminer par le Tribunal en équité, doit aussi lui être versée par la Commission en raison du préjudice moral qui lui aurait été causé par l’absence d’exécution du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000. Une telle compensation devrait lui être accordée compte tenu, d’une part, de la confiance légitime qu’elle pouvait avoir, comme tout justiciable, dans le système juridique communautaire, fondé, notamment, sur le respect des décisions rendues par les juridictions communautaires, et, d’autre part, de la confiance légitime qu’aurait fait naître chez elle l’intention d’exécuter l’arrêt du 8 juin 2000, manifestée par la Commission dans sa lettre du 20 mai 2003, cette dernière y ayant indiqué implicitement que les décisions prises sur les questions de compensation dans l’affaire T‑260/97 avaient constitué la base pour résoudre aussi celles posées dans l’affaire T‑79/96.

53      Quant à l’argument de la Commission concernant l’absence des conditions nécessaires pour réparer un prétendu préjudice moral, Camar rétorque que, selon la jurisprudence, lorsqu’un arrêt favorable à un particulier n’est pas exécuté, le préjudice moral subi par ce dernier est in re ipsa. Enfin, la circonstance que Camar soit une société et non une personne physique ne constituerait pas non plus un obstacle à l’indemnisation du préjudice en cause, en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

54      La Commission considère que la demande de réparation du préjudice moral introduite par Camar est dépourvue de fondement. Se référant à la jurisprudence en matière de confiance légitime, elle fait tout d’abord valoir que sa lettre du 20 mai 2003 n’a fourni aucune assurance précise, inconditionnelle et concordante sur les modalités d’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000 dans la partie relative à l’affaire T‑79/96. Bien qu’elle ait manifesté sa disposition à négocier, y compris en ce qui concerne l’affaire T‑79/96, elle n’aurait pas adopté de mesures compensatoires en ce qui concerne cette affaire, indépendamment d’une solution à l’amiable du contentieux, pour satisfaire à l’obligation qui lui incombait en vertu de l’article 233 CE. Partant, cette lettre n’aurait pas été susceptible de faire naître chez la requérante une confiance légitime que les mesures qu’elle jugeait nécessaires pour exécuter l’arrêt seraient accueillies.

55      De même, selon la Commission, les conditions nécessaires à l’indemnisation du préjudice moral qui aurait été subi par la requérante ne seraient pas remplies en l’espèce : premièrement, la lettre du 10 septembre 2004 ne serait pas entachée d’illégalité ; deuxièmement, la requérante n’aurait pas fourni la moindre preuve de l’existence d’un préjudice moral réel et certain, distinct de celui causé par l’acte qui serait illégal. Elle ajoute que la jurisprudence citée par la requérante ne peut pas trouver application au cas d’espèce, dans la mesure où la présente affaire s’en différencierait radicalement : premièrement, la Commission n’aurait pas opposé à Camar un refus général et arbitraire d’exécuter l’arrêt du Tribunal ; deuxièmement, ce refus ne serait pas intervenu dans une situation dans laquelle l’exécution était manifestement possible ; troisièmement, la requérante n’aurait pas apporté la preuve de l’existence d’un préjudice réel et certain et n’aurait même pas abordé la question de l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice et le comportement prétendument illégal de l’institution.

 Appréciation du Tribunal

56      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a déjà eu l’occasion de déclarer recevables des demandes visant à la réparation d’un préjudice d’ordre moral introduites par des personnes morales (arrêts du Tribunal du 24 septembre 1996, Dreyfus/Commission, T‑485/93, Rec. p. II‑1101, points 128 à 132, et du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T‑230/95, Rec. p. II‑123, points 38 à 40).

57      Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir : l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission, T‑199/96, Rec. p. II‑2805, point 48, et du 4 octobre 2006, Tillack/Commission, T‑193/04, Rec. p. II‑3995, point 116). Dès lors que l’une des conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37 ; voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81).

58      C’est à la partie qui met en cause la responsabilité de la Communauté qu’il incombe d’apporter des éléments probants quant à l’existence ou à l’étendue du préjudice qu’elle invoque et d’établir entre ce dommage et le comportement incriminé de l’institution mise en cause un lien suffisamment direct de cause à effet (arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec. p. II‑3331, point 118).

59      S’agissant de la réalité du dommage, la requérante invoque notamment sa confiance légitime quant à l’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000 à la suite de la lettre de la Commission du 20 mai 2003. Il y a lieu de relever que, dans cette lettre écrite dans le cadre de l’affaire T‑260/97, la Commission a simplement indiqué qu’elle prenait acte des indications de Camar concernant l’exécution de la partie relative à l’affaire T‑79/96 de l’arrêt du 8 juillet 2000 et qu’il lui semblait que « la possibilité de parvenir à un accord à ce propos ne [pouvait] pas faire abstraction de la solution des questions [relatives à] l’affaire T‑260/97 », au sujet desquelles elle estimait préférable de se concentrer à ce stade. Partant, cette lettre ne pouvait, à elle seule, suffire à faire naître chez la requérante une confiance légitime quant à l’exécution de l’arrêt. Toutefois, la Commission reconnaît elle-même que, dans cette lettre, elle a « manifesté sa disposition à négocier pour éviter tout contentieux ultérieur, y compris en relation avec l’affaire T‑79/96 » et que, « en cas d’accord dans l’affaire T‑260/97, il aurait été possible de prendre également en considération les prétentions de Camar dans l’affaire T‑79/96 ». Il en résulte que ladite lettre a pour le moins contribué à la création d’un état prolongé d’incertitude pour la requérante quant à l’adoption par la Commission des mesures d’exécution de l’arrêt du 8 juin 2000 (voir, en ce sens, arrêts Meskens/Parlement, précité, point 89, et Frederiksen/Parlement, précité, point 110), en lui causant un préjudice d’ordre moral.

60      À cet égard, il importe de rappeler que le refus par une institution d’exécuter un arrêt du Tribunal constitue une atteinte à la confiance que tout justiciable doit avoir dans le système juridique communautaire, fondé, notamment, sur le respect des décisions rendues par les juridictions communautaires. Il a, dès lors, été établi que, indépendamment de tout préjudice matériel qui pourrait découler de l’inexécution d’un arrêt, le refus explicite de l’exécuter entraînait, à lui seul, un préjudice moral pour la partie qui a obtenu un arrêt favorable (arrêt Hautem/BEI, précité, point 51). L’inexécution d’un arrêt du Tribunal est dès lors une violation in re ipsa. Contrairement à ce que soutient la Commission, cette jurisprudence est applicable en présence de tout refus par une institution communautaire d’exécuter un arrêt du Tribunal, et ce indépendamment de la possibilité de donner exécution en une forme spécifique à l’arrêt en cause. Elle est donc transposable en l’espèce. Toute autre solution serait contraire au principe de bonne administration et au principe de coopération loyale entre les institutions communautaires, qui est un principe général du droit qui découle de l’article 10 CE.

61      Cependant, il convient de rappeler que, pour obtenir la réparation du préjudice moral allégué, la requérante doit établir qu’elle a subi un préjudice réel et certain. Partant, elle ne saurait, en principe, se limiter à invoquer le caractère prétendument fautif du comportement de la Commission à son égard (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 mars 1996, Farrugia/Commission, T‑230/94, Rec. p. II‑195, point 46). Il y a lieu de constater que, dans la présente affaire, la requérante n’a pas été en mesure de préciser les éléments constitutifs de son préjudice moral, mais s’est bornée à de simples allégations non étayées d’éléments de preuve. 

62      Or, le Tribunal est tenu, dans une évaluation ex aequo et bono d’un préjudice, à une obligation de motivation et la requérante doit, à l’appui de ses prétentions, faire valoir les critères pertinents de manière à permettre au Tribunal de procéder à une telle évaluation (arrêt Vicente-Nuñez/Commission, précité, point 104). Force est de constater que la requérante n’a pas fourni au Tribunal les éléments permettant de déterminer le montant d’un tel préjudice. Pour ces raisons, le Tribunal se trouve dans l’impossibilité de procéder à la liquidation ex aequo et bono d’une somme à la requérante afin de réparer ledit préjudice moral. La demande de la requérante visant à la réparation du préjudice moral qui lui aurait été causé par l’absence d’exécution du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 doit, par conséquent, être rejetée, sans qu’il soit besoin de vérifier les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle.

 Sur l’affaire T-223/05

 Arguments des parties

63      La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au motif que le délai de prescription de cinq ans, visé à l’article 46 du statut de la Cour, aurait expiré avant l’introduction du recours et que le recours serait, dès lors, irrecevable. Le fait générateur du préjudice allégué serait constitué par son abstention de prendre les mesures qui lui incombaient en vertu de l’article 30 du règlement n° 404/93, abstention qui se serait concrétisée le 24 mars 1996, à l’expiration du délai de deux mois à compter de la mise en demeure du 24 janvier 1996. La Commission rappelle que, le 28 mai 1996, Camar a introduit un recours en carence ainsi qu’un recours en indemnité à la suite de ladite abstention (affaire T‑79/96), interrompant ainsi, conformément à l’article 46 du statut de la Cour, le délai de prescription qui avait commencé à courir le 24 mars 1996. Ce délai serait selon elle expiré depuis le 24 mars 2001. Le recours introduit le 28 mai 1996, qui ne satisfaisait pas les conditions minimales de forme prévues par le règlement de procédure, n’aurait pu avoir en tout état de cause pour effet de suspendre la prescription pendant toute la durée de la procédure devant le Tribunal.

64      Concernant l’affirmation de Camar selon laquelle l’introduction du recours en indemnité dans l’affaire T‑79/96 aurait suspendu le délai de prescription pour toute la durée de la procédure en première instance, la Commission souligne que l’article 46 du statut de la Cour prévoit seulement l’interruption du délai de prescription et ne mentionne aucune suspension dudit délai pendant la période où le juge communautaire est appelé à se prononcer sur la requête formée par la partie qui aurait été lésée.

65      Elle fait également observer que, lorsque le législateur a effectivement voulu réglementer tant l’interruption que la suspension d’un délai de prescription, il l’a expressément indiqué, ainsi qu’il résulte de l’article 3 du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), ou encore des dispositions combinées de l’article 3 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1).

66      Par ailleurs, la Commission ajoute que, au moment du prononcé de l’arrêt du 8 juin 2000, le délai quinquennal pour l’exercice de l’action en indemnité n’était pas encore expiré. Selon elle, la déclaration d’irrecevabilité visée au point 4) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000 ne faisait pas obstacle à l’exercice d’une nouvelle action, dès lors que ladite déclaration d’irrecevabilité était fondée sur l’absence de clarté et de précision de la requête introductive d’instance. Il s’ensuit qu’une nouvelle demande en réparation du préjudice pouvait être présentée par Camar jusqu’au 24 mars 2001. Le recours aurait cependant été introduit le 8 juin 2005 et serait, partant, manifestement irrecevable.

67      La Commission estime que la thèse de la requérante relative à un prétendu effet permanent de l’interruption de la prescription découlant de l’introduction du recours méconnaît que la prescription prévue par le statut de la Cour ne porte pas sur le droit à réparation, mais sur l’action destinée à faire valoir ce droit.

68      Camar fait valoir que l’interruption de la prescription persiste pendant toute la durée du procès et a pour effet de suspendre celle-ci. Si l’on retenait la thèse de la Commission, l’interruption de la prescription aurait, selon la requérante, les mêmes effets, qu’elle intervienne à la suite d’un acte de simple mise en demeure ou qu’elle fasse suite à un acte visant à obtenir une décision judiciaire sur le droit invoqué. Toutefois, Camar est d’avis que, lorsque l’interruption fait suite à un acte de mise en demeure, un nouveau délai court à compter de cet acte, tandis que, lorsque la prescription est interrompue par une demande en justice, un nouveau délai court à compter de la date à laquelle est rendu le jugement.

69      À cet égard, Camar fait observer que le concept d’interruption avec effet permanent de la prescription par l’introduction d’une demande en indemnité devant le juge communautaire correspond, en premier lieu, aux effets de l’interruption de la prescription résultant d’un acte introductif d’instance dans les principaux systèmes juridiques européens et, en second lieu, à une « règle de bon sens ». Elle souligne ainsi que, si l’on acceptait la thèse de la Commission, un requérant, dans l’hypothèse où l’affaire serait encore pendante à la fin du nouveau délai de prescription, devrait introduire un autre recours ayant le même objet, uniquement en vue d’interrompre ce délai.

70      Par ailleurs, Camar fait remarquer que, bien que l’article 46 du statut de la Cour prévoie seulement l’interruption du délai de prescription, il ne précise pas la durée et les effets de ladite interruption. Elle soutient que l’absence de toute précision à ce propos ne permet pas de donner à cette disposition une interprétation plus restrictive par rapport à celle qui découle des principes généraux applicables en la matière dans les ordres juridiques des États membres. À cet égard, la requérante souligne qu’il ressort des conclusions de l’avocat général Mme Stix-Hackl sous l’arrêt de la Cour du 28 octobre 2004, van den Berg/Conseil et Commission (C‑164/01 P, Rec. p. I‑10225, I‑10227, points 92 à 101), que la circonstance que l’article 46 du statut de la Cour mentionne uniquement l’interruption de la prescription n’exclut pas que, dans certaines circonstances, il puisse également y avoir une suspension de la prescription.

71      S’agissant des observations de la Commission tirées des règlements nº 2988/74 et nº 2988/95, la requérante réplique que le fait que le Conseil ait expressément prévu dans lesdits règlements non seulement l’interruption de la prescription, mais aussi sa suspension, après son interruption, jusqu’à la fin de la procédure judiciaire, ne signifie pas que le législateur communautaire ait entendu déroger à un principe général, mais signifie au contraire qu’il a entendu se conformer à un tel principe en l’exprimant de façon précise dans le cas des matières spécifiques réglementées. En outre, Camar fait observer que, dans les cas régis par lesdits règlements, il s’agit d’actions qui ne sont pas destinées à protéger un droit, mais à infliger des sanctions.

72      Dès lors, l’interruption de la prescription découlant de l’introduction du recours en indemnité dans l’affaire T‑79/96 aurait eu, en l’espèce, un « effet permanent » et aurait persisté jusqu’au prononcé de l’arrêt du 8 juin 2000. À la date de ce prononcé, un nouveau délai de prescription quinquennal aurait commencé à courir. La requérante ne pouvait donc pas introduire un nouveau recours en indemnité fondé sur ledit comportement, dont la légalité devait encore être appréciée. Le nouveau recours en indemnité aurait donc été introduit avant l’expiration du nouveau délai de prescription quinquennal, qui a commencé à courir à compter de l’arrêt du 8 juin 2000.

 Appréciation du Tribunal

73      Pour statuer sur la recevabilité du présent recours en indemnité, il y a lieu, au préalable, d’analyser si Camar a introduit sa requête tendant à mettre en cause la responsabilité de la Commission dans le respect de l’article 46 du statut de la Cour. Ce dernier prévoit :

« Les actions contre les Communautés en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue soit par la requête formée devant la Cour, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente des Communautés. Dans ce dernier cas, la requête doit être formée dans le délai de deux mois prévu à l’article 230 [CE] et à l’article 146 [CEEA] ; les dispositions de l’article 232, deuxième alinéa, CE et de l’article 148, deuxième alinéa, [CEEA], respectivement, sont, le cas échéant, applicables. »

74      La Commission invoque l’ordonnance de la Cour du 18 juillet 2002, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission (C‑136/01 P, Rec. p. I‑6565, point 56), afin de soutenir que l’article 46 du statut de la Cour ne mentionne que l’interruption de la prescription et ne prévoit donc aucune suspension. Cependant, la question en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance précitée était celle de savoir s’il était possible de reconnaître un effet interruptif de la prescription à une action formée devant une juridiction nationale et n’avait donc pas trait à la même situation que celle en cause en l’espèce. De même, la suspension prise en considération dans l’arrêt van den Berg/Conseil et Commission, précité (points 93 à 94), et dans l’arrêt du Tribunal du 7 février 2002, Schulte/Conseil et Commission (T‑261/94, Rec. p. II‑441), découlant d’une renonciation par l’institution concernée à la prescription, n’est pas davantage pertinente dans le cadre de l’examen du présent recours.

75      Force est de constater que l’article 46 du statut de la Cour se limite à indiquer le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle et à énumérer les actes susceptibles d’interrompre cette prescription, sans apporter aucune autre précision. L’absence de référence, dans cet article, à la suspension de la prescription alors que dans d’autres actes communautaires, tels que les règlements nº 2988/74 et nº 2988/95, une suspension est prévue n’établit pas, à elle seule, qu’il ne peut y avoir de suspension de la prescription.

76      Il y a lieu d’admettre qu’un acte introductif d’instance peut avoir un effet suspensif de la prescription. En effet, en l’absence d’un tel effet, il n’y aurait pas non plus de raisons de prévoir l’interruption de la prescription, parce que l’introduction de la requête introductive d’instance a normalement pour conséquence d’éteindre le droit à l’action.

77      Cette interprétation est cohérente avec la jurisprudence constante, qui prévoit expressément que, en aucun cas, les deuxième et troisième phrases de l’article 46 ne visent à abréger le délai de prescription de cinq ans de cette disposition, mais tendent à protéger les intéressés en évitant de faire entrer certaines périodes en ligne de compte dans le calcul dudit délai [arrêts de la Cour du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317, point 337, et du 5 avril 1973, Giordano/Commission, 11/72, Rec. p. 417, points 5 à 7 ; ordonnance Holcim (France)/Commission, précitée, points 38 à 39].

78      Admettre que le délai de traitement par le Tribunal d’un recours en indemnité puisse avoir une influence sur l’extinction, du fait de la prescription, du droit à réparation d’un requérant serait ainsi contraire à la volonté du législateur. En effet, il ne saurait être exigé, sans violer les principes de bonne administration et d’économie de procédure, d’un justiciable qui a introduit sa requête en indemnité avant l’expiration du délai de prescription et qui attend que le juge communautaire se prononce qu’il introduise, avant que ne soit écoulé le délai de prescription, un nouveau recours en indemnité au cas où il constaterait que la décision du juge en question n’interviendrait pas avant l’expiration dudit délai, lequel continuerait à courir dans cette hypothèse, tant que le jugement n’est pas devenu définitif. Dès lors, le délai de prescription est suspendu et ne recommence à courir qu’à compter de la décision qui met définitivement fin à l’instance.

79      Or, en l’espèce, Camar n’ayant pas formé un pourvoi concernant la recevabilité de son action en indemnité dans l’affaire T-79/96, la date de la décision qui a mis définitivement fin à l’instance était celle de l’arrêt du 8 juin 2000. De plus, dans cet arrêt, le Tribunal n’a pas statué sur le fond du recours en indemnité, mais a rejeté ce recours comme irrecevable, et ce uniquement pour des raisons de procédure. Il convient de rappeler à cet égard que l’autorité de la chose jugée qui s’attache à un arrêt et qui est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un nouveau recours ne concerne que les points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés dans le cadre de l’examen du recours ayant donné lieu à l’arrêt en question (arrêts de la Cour du 19 février 1991, Italie/Commission, C‑281/89, Rec. p. I‑347, point 14, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 44 et 47 à 48) et n’interdit pas, par conséquent, d’introduire un nouveau recours en indemnité. En tout état de cause, il y a lieu de constater que l’introduction d’un tel recours, comportant une action de la part du sujet intéressé à la réparation, constitue, indépendamment de sa recevabilité, un acte susceptible d’interrompre la prescription visée à l’article 46 du statut de la Cour. Dans ces circonstances, tant que le délai de prescription prévu par cet article n’a pas expiré, il était possible pour Camar d’introduire un deuxième recours.

80      Ensuite, il résulte de la jurisprudence citée au point 77 ci-dessus, en particulier du point 39 de l’ordonnance Holcim (France)/Commission, précitée, que l’article 46, troisième alinéa, du statut de la Cour a seulement pour objet sinon pour effet de reporter l’expiration du délai de cinq ans, lorsqu’une requête ou une demande préalable a été formée dans ce délai. Il résulte de cette jurisprudence que, dans l’article 46 du statut de la Cour, le législateur a simplement voulu exclure une certaine période de la computation du délai et que, à la reprise du délai, l’intention n’est ni d’abréger ni d’allonger la période de prescription. En effet, il ne serait pas justifié de mettre une partie qui a introduit un recours formellement irrecevable dans une situation plus favorable que celle dans laquelle se trouverait une partie qui l’a valablement introduit. De plus, si un nouveau délai entier commençait à courir chaque fois qu’une telle situation se présentait, cette situation pourrait théoriquement perdurer pendant une période indéterminée. Il y a donc lieu d’interpréter l’article 46 du statut de la Cour dans le sens que la période dans laquelle le recours est pendant, période qui ne relève pas de la disponibilité du requérant, doit être déduite du délai de prescription. Dès lors, au jour où le premier recours est déclaré irrecevable, le délai de prescription reprend, et ce pour la période résiduelle et non pour l’entière période de cinq ans.

81      En l’espèce, le fait générateur du préjudice subi par Camar s’est concrétisé le 24 mars 1996, soit à l’expiration d’un délai de deux mois après la mise en demeure de l’institution par lettre du 24 janvier 1996. L’introduction du recours du 28 mai 1996 dans l’affaire T-79/96 ayant seulement suspendu le délai de prescription (voir point 78 ci-dessus), ceci n’a recommencé à courir qu’à partir de l’arrêt du 8 juin 2000, et ce pour sa partie résiduelle, d’une durée de quatre ans, neuf mois et 26 jours. Le délai pour introduire valablement le recours a par conséquent expiré le 3 avril 2005. Or, Camar a introduit le recours le 8 juin 2005. Il en résulte que l’exception d’irrecevabilité, soulevée par la Commission au motif que le délai de prescription de cinq ans visé à l’article 46 du statut de la Cour avait expiré avant l’introduction du recours, doit être accueillie. Il y a lieu, dès lors, de rejeter le présent recours comme irrecevable.

 Sur les dépens

82      Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En ce qui concerne l’affaire T‑457/04, bien que la requérante ait succombé en la plupart de ses moyens, il convient toutefois de tenir compte, pour le règlement des dépens, du comportement de la Commission, non conforme à la réglementation communautaire. Il sera dès lors fait une juste appréciation des circonstances de la cause en condamnant, d’une part, Camar à supporter la moitié de ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par la Commission et, d’autre part, la Commission à supporter la moitié de ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par Camar.

83      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En ce qui concerne l’affaire T‑223/05, la requérante ayant succombé et la Commission ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de condamner la requérante à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission contenue dans la lettre du directeur général de la direction générale « Agriculture » du 10 septembre 2004, refusant de donner exécution au point 1) du dispositif de l’arrêt du Tribunal du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil (T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II‑2193), est annulée.

2)      Le recours dans l’affaire T-457/04 est rejeté comme non fondé pour le surplus.

3)      Le recours dans l’affaire T-223/05 est rejeté comme irrecevable.

4)      Dans l’affaire T‑457/04, Camar Srl et la Commission supporteront chacune la moitié de leurs propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par l’autre partie.

5)      Dans l’affaire T‑223/05, Camar est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

Forwood

Šváby

Moavero Milanesi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 octobre 2008.

Le greffier

 

      Le président

Table des matières


Cadre juridique

Antécédents du litige

Procédure

Conclusions des parties

Sur l’affaire T-457/04

Sur le chef de conclusions visant à l’annulation de la décision de la Commission du 10 septembre 2004

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le chef de conclusions visant à ordonner à la Commission l’exécution du point 1) du dispositif de l’arrêt du 8 juin 2000

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le chef de conclusions visant à la réparation du préjudice moral qui aurait été subi par la requérante

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur l’affaire T-223/05

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’italien.