Language of document : ECLI:EU:T:2021:333

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

9 juin 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑302/19,

Oleksandr Viktorovych Yanukovych, demeurant à Saint-Pétersbourg (Russie), représenté par MM. M. Anderson, R. Kiddell, solicitors, Mme E. Dean et M. J. Marjason-Stamp, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Mahnič, M. A. Vitro et Mme T. Haas, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 7), et du règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 1), dans la mesure où ces actes maintiennent le nom du requérant sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président (rapporteur), U. Öberg et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 décembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Oleksandr Viktorovych Yanukovych, est un homme d’affaires, fils de l’ancien président de l’Ukraine, M. Viktor Fedorovych Yanukovych.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 »).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’état de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et de ressources prévues par cette décision (ci-après les « mesures restrictives en cause ») et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par les actes de mars 2014 sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste, avec les informations d’identification « fils de l’ex-président [Yanukovych] ; homme d’affaires » et la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑348/14, ayant pour objet notamment une demande d’annulation des actes de mars 2014 en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes : 

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1, ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « fils de l’ancien président, homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le 8 avril 2015, le requérant a adapté ses conclusions dans le cadre de l’affaire T‑348/14 de sorte que celles-ci ont également visé à l’annulation de la décision 2015/143, du règlement 2015/138 ainsi que des actes de mars 2015 en tant que l’ensemble de ces actes le concernaient.

17      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1, ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

18      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2016, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑245/16, visant à l’annulation des actes de mars 2016 en ce qu’ils le visaient.

20      Par arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑348/14, EU:T:2016:508), le Tribunal a annulé les actes de mars 2014 en ce qu’ils visaient le requérant et rejeté la demande d’annulation contenue dans l’adaptation de la requête concernant, d’une part, la décision 2015/143 et le règlement 2015/138 et, d’autre part, les actes de mars 2015.

21      Le 23 novembre 2016, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑599/16 P, contre l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑348/14, EU:T:2016:508).

22      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

23      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2017, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑286/17, visant à l’annulation des actes de mars 2017 en ce qu’ils le visaient.

25      Par arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil (C‑599/16 P, non publié, EU:C:2017:785), la Cour a rejeté le pourvoi du requérant visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑348/14, EU:T:2016:508).

26      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63 p. 5, ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

27      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2019 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « fils de l’ancien président, homme d’affaires » et la nouvelle motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement. »

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑301/18, visant à l’annulation des actes de mars 2018 en ce qu’ils le visaient.

29      Entre les mois de novembre 2018 et de février 2019, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG »), incluant des décisions du juge d’instruction du tribunal de district de Petchersk à Kiev (ci-après le « tribunal de Petchersk »), concernant les procédures pénales dont il faisait l’objet et sur lesquelles le Conseil se fondait pour envisager ladite prorogation.

30      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

31      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2020 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 27 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Yanukovych et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment la décision du juge d’instruction du 7 février 2018 [...] refus[ant] la demande d’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut du [BPG], un certain nombre de décisions de justice portant sur les saisies de biens, ainsi que la décision du juge d’instruction du 27 juin 2018 annulant la décision du bureau du procureur refusant de faire droit à la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense. »

32      Par courrier du 5 mars 2019, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses correspondances des 29 novembre et 18 décembre 2018 ainsi que des 28 janvier et 1er février 2019 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

33      Par arrêt du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505), le Tribunal a annulé les actes de mars 2016 et de mars 2017 en ce qu’ils visaient le requérant.

34      Par arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

 Procédure et conclusions des parties

35      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2019, le requérant a introduit un recours en annulation contre les actes attaqués.

36      Le 2 septembre 2019, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

37      Le 30 septembre 2019, le Conseil a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête ainsi que de certains passages du mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

38      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, l’affaire a été attribuée à la cinquième chambre et un nouveau juge rapporteur a été désigné.

39      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 2019.

40      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 6 décembre 2019. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

41      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 décembre 2019, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

42      Par décision du président de la cinquième chambre du Tribunal du 11 août 2020, la présente affaire a été jointe à l’affaire T‑303/19, Yanukovych/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure, sur le fondement de l’article 68 du règlement de procédure, les parties ayant été entendues à cet égard.

43      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

44      L’audience de plaidoiries fixée initialement au 6 octobre 2020 a été reportée, au titre de l’article 107, paragraphe 2, du règlement de procédure.

45      Le juge rapporteur ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné un nouveau juge rapporteur siégeant dans la cinquième chambre, en application de l’article 27, paragraphe 1, du règlement de procédure. Le président de chambre a également désigné un autre juge pour compléter la chambre, en application de l’article 17, paragraphe 2, de ce règlement.

46      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 décembre 2020, qui, à la demande du Conseil, le requérant entendu, s’est déroulée partiellement à huis clos. À l’issue de l’audience, la phase orale de la procédure a été close et l’affaire mise en délibéré.

47      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

48      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2019/354 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2019/352 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

49      À l’appui du recours, le requérant invoque sept moyens, tirés, le premier et le deuxième, présentés conjointement, du non-respect des critères d’inscription sur la liste et d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’un défaut de motivation, le quatrième, de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif, le cinquième, de l’absence de base juridique, le sixième, d’un détournement de pouvoir et, le septième, de la violation du droit de propriété.

50      Tout d’abord, il convient d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens, en ce que, par ceux-ci, le requérant reproche, notamment, au Conseil de ne pas avoir vérifié le respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, ce dont il résulterait une erreur manifeste d’appréciation commise lors de l’adoption des actes attaqués.

51      Dans le cadre de ces moyens, en premier lieu, le requérant rappelle que le contrôle du juge de l’Union s’étend, en principe, à l’appréciation des faits et des circonstances invoquées par le Conseil pour justifier le maintien de son nom sur la liste, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels s’est fondé celui-ci.

52      En deuxième lieu, il fait valoir que les lettres du BPG sur lesquelles le Conseil s’est appuyé pour l’adoption des actes attaqués ne lui fournissaient pas une base factuelle suffisamment solide pour étayer l’inscription de son nom sur la liste, ces documents étant totalement inadéquats, incohérents, dénués de fondement ou faux.

53      Le requérant estime que le Conseil a commis des erreurs manifestes d’appréciation, d’une part, en décidant que les enquêtes préliminaires le concernant constituaient une base factuelle suffisante pour justifier le maintien de son nom sur la liste et, d’autre part, en ne s’assurant pas du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il fait valoir que les décisions des autorités ukrainiennes invoquées par le Conseil ne permettent pas de démontrer le respect desdits droits et donc de justifier le maintien des mesures restrictives en cause.

54      Plus particulièrement, s’agissant de la procédure pénale [confidentiel] (1), qui faisait initialement partie de la procédure [confidentiel], mais en a été dissociée le 25 décembre 2015, et qui a trait au prétendu détournement [confidentiel], le requérant fait valoir, outre le fait qu’il n’y a pas d’avancement significatif dans l’enquête, qu’il n’y a jamais eu d’accusation valable à son égard et que, dès lors, le BPG n’a pas pu produire de preuve susceptible de démontrer sa culpabilité. En particulier, par la décision du juge d’instruction du tribunal de Petchersk du 7 février 2018, rejetant la demande du BPG d’ouverture d’une enquête préliminaire par défaut à l’encontre du requérant (ci-après la « décision du 7 février 2018 »), ledit juge d’instruction aurait considéré que le BPG n’avait pas fourni de preuve de ce que, premièrement, l’avis de suspicion avait été notifié au requérant, deuxièmement, le requérant se soustrayait aux poursuites et, troisièmement, il y avait une participation du requérant dans les faits qui lui étaient reprochés. Par ailleurs, celui-ci fait valoir que, entre les mois de décembre 2017 et de février 2019, afin de faire croire que l’enquête préliminaire en cause était en cours, celle-ci aurait été plusieurs fois transférée au Bureau national anticorruption de l’Ukraine et renvoyée par celui-ci au BPG, qui l’aurait finalement rouverte et immédiatement suspendue deux fois dans le courant des mois de janvier et de février 2019, tout en étant incompétent.

55      S’agissant de la procédure [confidentiel], ayant trait à [confidentiel], d’une part, le requérant fait valoir que les faits allégués dans cette procédure ne peuvent pas être qualifiés de détournement de fonds publics. En effet, premièrement, il ne serait pas un agent public et n’aurait jamais été chargé de [confidentiel], deuxièmement, il n’exercerait aucun contrôle sur cette société, troisièmement, le BPG n’aurait pas démontré la commission des infractions alléguées contre lui et, quatrièmement, les accusations formulées à son égard seraient entachées d’irrégularités au regard du droit ukrainien. D’autre part, le requérant fait valoir que l’enquête en cause a été suspendue pour la trente-cinquième fois le 14 mars 2017 et n’a pas été réactivée depuis cette date, qu’aucun progrès significatif n’a été réalisé depuis le début de celle-ci et qu’une autorité judiciaire ukrainienne avait annulé le refus du BPG de clôturer cette enquête pour insuffisance de preuves.

56      En troisième lieu, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir pris en compte certains arguments et certains éléments de preuve qui ont été avancés avant l’adoption des actes attaqués. Tout d’abord, il fait grief au Conseil de ne pas avoir pris en considération l’absence totale d’indépendance du BPG, qui par ailleurs aurait tenté, notamment, de soudoyer certaines personnes pour qu’elles fournissent de faux témoignages contre son père, en leur promettant en échange d’abandonner les charges retenues contre elles, ou même de faire adopter des amendements au code de procédure pénale ukrainien (ci-après le « code de procédure pénale ») visant expressément la situation du requérant et celle de son père. À cet égard, le requérant s’appuie sur cinq rapports actualisés d’un expert indépendant, le professeur W. B., sur un rapport de 2017 du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), l’organisme de surveillance de la lutte contre la corruption du Conseil de l’Europe, sur la situation en Ukraine ainsi que sur le rapport du haut-commissaire des Nations unies chargé de la mission d’observation des droits de l’homme en Ukraine (ci-après le « haut-commissaire ») concernant la période comprise entre le 16 mai et le 15 août 2018. Ensuite, il soutient que le système judiciaire ukrainien n’est ni indépendant ni impartial, comme en témoigneraient lesdits rapports et un certain nombre de déclarations et de documents. De même, sa présomption d’innocence serait constamment violée par des déclarations publiques et condamnatoires effectuées pas des hauts fonctionnaires ukrainiens. Enfin, plusieurs violations des droits procéduraux et fondamentaux de son père auraient été commises dans le cadre des procès intentés à celui-ci pour trahison et pour les événements de la place de l’Indépendance concernant celui-ci, ce qui compromettrait la fiabilité et la crédibilité de toutes les accusations et toutes les informations se rapportant au détournement de fonds publics, qui auraient été formulées et fournies à des fins purement politiques.

57      Dans la réplique, il fait valoir que les décisions de justice invoquées par le Conseil ne démontrent ni en fait ni en droit que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés conformément aux principes dégagés par la jurisprudence récente de la Cour et du Tribunal.

58      Premièrement, le Conseil n’aurait pas examiné de manière appropriée l’allégation du requérant selon laquelle le BPG ne s’était pas conformé à la décision du juge d’instruction du tribunal de Petchersk du 27 juin 2018 lui imposant de réexaminer la demande de clôture de l’enquête introduite par le requérant (ci-après la « décision du 27 juin 2018 ») et aurait, de ce fait, violé le droit de celui-ci à une protection juridictionnelle effective, en ce qu’il l’aurait privé de l’effet pratique du jugement favorable qu’il avait obtenu.

59      Deuxièmement, le Conseil n’aurait pas pris en compte la décision du 7 février 2018, en ce que les autorités ukrainiennes n’auraient pris aucune initiative pendant plusieurs mois, et n’aurait pas cherché à établir si les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés.

60      Troisièmement, s’agissant des décisions de justice relatives à des saisies de biens lui appartenant, le requérant fait valoir, d’une part, qu’elles ont été rendues entre les mois d’octobre 2014 et de décembre 2015, soit bien avant l’adoption des actes attaqués, et, d’autre part, qu’elles n’ont pas été examinées par le Conseil, qui n’en disposait pas, et ce nonobstant le fait que le requérant ait fait valoir qu’elles étaient illégales, dans la mesure où l’avis de suspicion ne lui aurait pas été notifié régulièrement, de sorte qu’il n’aurait pas pu se défendre. Par ailleurs, ce serait à tort que le Conseil a indiqué, dans sa lettre du 5 mars 2019, que ces décisions avaient été rendues en audience publique et avec la participation des avocats de la défense. Ainsi, selon le requérant, de telles décisions ne sauraient être invoquées pour démontrer que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés avant que les actes attaqués n’aient été adoptés.

61      En outre, le requérant fait grief au Conseil de ne pas avoir tenu compte de l’absence de progression des procédures [confidentiel] et [confidentiel] (ci-après les « procédures pénales en cause »), qui auraient fait l’objet de plusieurs transferts entre bureaux d’investigation et auraient été plusieurs fois suspendues puis reprises sans véritable motif, de sorte que des enquêtes préliminaires qui auraient dû se terminer dans les douze mois dureraient depuis plusieurs années.

62      Enfin, le requérant conteste l’attitude du Conseil consistant à ne pas tenir compte des anomalies relatives aux procès pour trahison et pour les faits de la place de l’Indépendance visant son père, dès lors que, selon lui, le comportement des autorités ukrainiennes dans le cadre de ces procès mine la confiance que le Conseil peut accorder aux informations émanant de celles-ci lorsqu’il doit décider du maintien du nom du requérant sur la liste.

63      Le Conseil rétorque, tout d’abord, qu’il est en droit de se fonder sur des informations fournies par le BPG, dans le cadre de l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont il jouit en matière de politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Ainsi, premièrement, il considère que le maintien du nom du requérant sur la liste sur la base des informations contenues dans les lettres du BPG répond aux critères de désignation et repose sur une base factuelle suffisamment solide permettant d’établir que le requérant fait l’objet de procédures pénales en Ukraine.  Deuxièmement, il estime avoir tenu compte des observations du requérant et avoir demandé des clarifications supplémentaires, qui ont été communiquées au requérant, lequel a pu formuler de nouvelles observations. Troisièmement, le Conseil rappelle qu’il ne lui incombe pas de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont le requérant fait l’objet. Enfin, quatrièmement, s’agissant du respect des exigences découlant de la jurisprudence récente de la Cour et du Tribunal, le Conseil indique que, contrairement à ce que prétend le requérant, les décisions de justice des juridictions ukrainiennes peuvent être invoquées en tant qu’éléments de preuve permettant de démontrer le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.  

64      Selon le Conseil, la décision du 27 juin 2018 constitue un exemple de respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, dès lors que celui-ci a pu utiliser les voies de recours à sa disposition et a eu gain de cause. S’agissant des décisions du tribunal de Petchersk portant sur des saisies de biens du requérant, le Conseil fait observer que ce dernier ne les a jamais contestées et n’a pas non plus évoqué d’éventuelles irrégularités concernant leur adoption.  

65      Le Conseil estime que, dans la mesure où il est en droit de se fonder sur des éléments de preuve fournis par le BPG quant à l’existence d’une procédure pénale pour détournement de fonds publics, il est également en droit de se fonder sur des décisions de justice comme preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective.  

66      Ensuite, s’agissant des allégations du requérant concernant le manque de précision et de cohérence des attestations [confidentiel] dans le cadre de la procédure [confidentiel], le Conseil fait valoir qu’il ressort des courriers de celui-ci, premièrement, qu’un avis de suspicion a bien été établi le 22 décembre 2014, deuxièmement, que le requérant est soupçonné d’avoir [confidentiel], troisièmement, que le montant des fonds ayant fait l’objet d’un détournement présumé s’élève à plus de [confidentiel] et, quatrièmement, que ladite procédure porte sur des infractions prévues par le code pénal ukrainien.

67      Selon le Conseil, les informations [confidentiel] concernant le comportement allégué du requérant sont suffisamment détaillées et précises, et concernent un détournement de fonds publics. En outre, le Conseil estime avoir satisfait à l’obligation de vérification lui incombant, étant donné qu’il ressortirait desdites informations que l’enquête préliminaire a été suspendue le 13 mars 2017, conformément aux dispositions du code de procédure pénale, et qu’il a demandé des éclaircissements quant aux conséquences à tirer de la décision du 27 juin 2017. [confidentiel].  

68      Par ailleurs, s’agissant de la procédure [confidentiel], le Conseil conteste les allégations du requérant relatives à l’absence de progression de l’enquête préliminaire dans cette affaire. À cet égard, il mentionne notamment la décision du 7 février 2018 et précise que, en dépit de celle-ci, il pouvait continuer de se fonder sur cette procédure. En outre, le Conseil fait valoir que, contrairement à ce que prétend le requérant, il a tenu compte des nombreux transferts dont l’affaire a fait l’objet entre différents bureaux d’investigation et qu’il a demandé des précisions complémentaires à cet égard [confidentiel]. Ainsi, [confidentiel], le Conseil aurait été en droit de se fonder sur les informations fournies par le BPG.

69      En outre, s’agissant d’autres facteurs dont il aurait dû tenir compte, le Conseil estime que, eu égard à leur nature très générale, les arguments du requérant concernant de prétendues violations de droits fondamentaux dans les procès pour trahison et pour les faits de la place de l’Indépendance à l’encontre de son père ne sauraient remettre en question les accusations concernant le détournement de fonds publics. En outre, il n’incomberait pas au Conseil d’évaluer les allégations d’ordre général concernant l’indépendance du BPG ou du pouvoir judiciaire ukrainien.

70      Enfin, dans la duplique, le Conseil conteste l’interprétation faite par le requérant de la jurisprudence du Tribunal concernant la légalité des actes de mars 2018. Selon lui, cette jurisprudence ne saurait être interprétée dans le sens qu’il ne faudrait pas tenir compte des décisions de procédure des juridictions ukrainiennes, en particulier lors de la vérification visant à déterminer si les autorités ukrainiennes avaient respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de l’enquête pénale en cours. En effet, les deux questions dont est saisi le Tribunal seraient, d’une part, celle de savoir si les conclusions du Conseil concernant le respect desdits droits reposaient sur une base factuelle suffisamment solide, y compris les éléments de preuve dont il disposait ou dont il aurait pu raisonnablement disposer au moment de l’adoption des actes attaqués, et, d’autre part, celle de savoir si les motifs indiqués pour justifier lesdites conclusions étaient pertinents et suffisants. 

71      Ainsi, le Conseil estime, en substance, qu’il a amplement démontré pourquoi il n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant, sur la base des éléments de preuve obtenus ainsi que par l’exercice proactif de son devoir de vérification, que les droits du requérant avaient été respectés devant les juridictions ukrainiennes dans le cadre des procédures pénales en cause, qui constituent le fondement de sa décision de maintenir le nom du requérant sur la liste.  

72      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, le Conseil ne jouissait d’aucune marge d’appréciation pour déterminer s’il disposait d’éléments suffisants pour évaluer le respect, par les autorités ukrainiennes, des droit de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, et si ces éléments étaient de nature à susciter des doutes légitimes au regard du respect de ces droits (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 79 et jurisprudence citée).

73      Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 73 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 50 et jurisprudence citée).

74      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ladite décision, sont étayés (voir arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 74 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 51 et jurisprudence citée).

75      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par les actes de mars 2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 75 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 52 et jurisprudence citée).

76      Aussi, si, en vertu d’un critère d’inscription tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 76 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 53 et jurisprudence citée).

77      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel de fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de ce fait, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 77 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 54 et jurisprudence citée).

78      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 77 ci-dessus (voir arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 78 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 55 et jurisprudence citée).

79      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien de mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 79 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 56 et jurisprudence citée).

80      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives telles que celles en cause sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics par la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 57 ; voir également arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 66 et jurisprudence citée).

81      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté les obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

82      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener les procédures pénales en cause, à l’encontre du requérant, pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement, avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 31 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas.

83      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 69 et jurisprudence citée).

84      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

85      Il convient de constater que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet de procédures pénales engagées par les autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives de détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui étaient établies par les lettres du BPG dont le requérant avait reçu copie (voir point 29 ci‑dessus).

86      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505), et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien ou de complicité dans un tel détournement.

87      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

88      Dans la première partie de cette section figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce même code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que moyennant une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

89      La seconde partie de ladite section concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes inscrites sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours des procédures pénales en cause, sur lesquelles le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoigneraient, notamment, « la décision [...] du 7 février 2018[,] refus[ant] la demande d’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut du [BPG], un certain nombre de décisions de justice portant sur les saisies de biens, ainsi que la décision [...] du 27 juin 2018[, portant annulation de] la décision du bureau du procureur refusant de faire droit à la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense » (voir point 31 ci‑dessus).

90      Dans la lettre du 5 mars 2019 adressée au requérant (voir point 32 ci-dessus), tout d’abord, le Conseil a indiqué que les lettres émanant du BPG établissaient que le requérant continuait à faire l’objet de procédures pénales en Ukraine pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. Ensuite, il a indiqué, premièrement, [confidentiel] des informations concernant la prétendue absence de progression de l’enquête dans le cadre de la procédure [confidentiel] et que, [confidentiel], la présentation d’une nouvelle demande de procéder par défaut, après celle rejetée par la décision du 7 février 2018, était en cours d’examen. Deuxièmement, s’agissant de la procédure [confidentiel], le Conseil a précisé que, à la suite de la décision du 27 juin 2018, la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense serait réexaminée. Il a également indiqué que, après la suspension d’une enquête préliminaire, les actions d’investigation n’étaient pas autorisées à l’exception de celles visant à établir où se trouvait le suspect. En tout état de cause, la « réception » de décisions procédurales telles que celles mentionnées serait toujours possible lorsqu’une procédure est suspendue. Par ailleurs, le Conseil a précisé que l’enquête préliminaire dans la procédure [confidentiel] avait été renvoyée aux enquêteurs du département des enquêtes spéciales du BPG le 14 décembre 2018 et que, dans l’attente de la décision du juge d’instruction sur la demande du père du requérant contestant la décision de suspension de ladite procédure également pour des motifs d’incompétence, il était en droit de se fonder sur les informations et les éléments de preuve fournis par le BPG. Enfin, s’agissant des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, le Conseil a précisé qu’il ressortait de la décision du 7 février 2018, des décisions de justice relatives aux saisies de biens du requérant ainsi que de la décision du 27 juin 2018, qui avaient été rendues à l’issue d’une audience publique à laquelle les avocats de la défense avaient participé, que lesdits droits avaient été respectés.

91      Il ressort d’une lecture combinée des motifs figurant dans les actes attaqués et de ladite lettre du 5 mars 2019 que les procédures pénales en cause sont celles pour lesquelles le Conseil affirme avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

92      À cet égard, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure toutes les décisions dont il fait état témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours des procédures pénales en cause. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 76 et 77 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider le maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquête pénales portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 78).

93      Dans cette perspective, les décisions de justice mentionnées au point 89 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, à tout le moins celles des 7 février et 27 juin 2018, qui sont pertinentes sous l’angle temporel, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 79).

94      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que ces deux décisions ainsi que celles portant sur des saisies de biens du requérant, lesquelles ont trait, d’après les informations fournies par le BPG, à la seule procédure [confidentiel], témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

95      S’agissant, en premier lieu, de la décision du 7 février 2018, qui a trait à la procédure [confidentiel], il doit être observé, tout d’abord, que le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de cette décision dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, points 82 et 92 à 95), qui n’a pas été contesté par le Conseil. Dans cet arrêt, il a été jugé que cette décision n’était pas susceptible de démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés dans le cadre de ladite procédure.

96      Par ailleurs, s’il est vrai, comme le souligne le Conseil dans sa lettre du 5 mars 2019, que ladite décision a été adoptée à l’issue d’une audience publique à laquelle les avocats de la défense ont participé et que le juge d’instruction y a refusé la demande d’enquête préliminaire spéciale par défaut présentée par le BPG le 25 décembre 2015, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier de la présente procédure que le Conseil ait pris en considération les informations que le requérant lui avait communiquées à l’égard de cette procédure dans ses lettres des 29 novembre et 18 décembre 2018 ainsi que dans celles des 28 janvier et 1er février 2019.

97      En effet, le requérant a, à maintes reprises, attiré l’attention du Conseil sur les motifs ayant justifié le rejet de la demande du BPG, qui étaient liés, notamment, au fait que l’avis de suspicion ne lui avait pas été notifié correctement, ce qui impliquait qu’il n’avait pas le statut de suspect, et, plus généralement, au fait que les éléments de preuve produits par le BPG pour démontrer qu’il se soustrayait aux poursuites judiciaires et qu’il était suspecté d’avoir commis l’infraction alléguée n’étaient pas suffisants. Par ailleurs, le requérant a souligné dans sa lettre du 29 novembre 2018 que, au point 63 de son rapport concernant la période comprise entre le 16 mai et le 15 août 2018, le haut-commissaire avait indiqué que les procédures par défaut en Ukraine n’étaient pas conformes aux normes internationales des droits de l’homme. En effet, alors que ces procédures auraient dû être précédées d’une notification adéquate à l’accusé et auraient dû prévoir la possibilité d’un nouveau procès complet après la localisation de l’intéressé par les autorités, aucune de ces exigences n’était prévue par le code de procédure pénale, ce qui, selon le haut-commissaire, avait un impact négatif sur les droits de la défense.

98      Or, premièrement, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil ait vérifié dans quelle mesure la décision du 7 février 2018 se conciliait avec les articles du code de procédure pénale explicitement mentionnés dans la première partie de la section relative aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective de l’annexe de la décision 2014/119 et de l’annexe I du règlement no 208/2014 telles que modifiées par les actes attaqués (voir point 88 ci-dessus), qui établissent, notamment, le droit de la personne soupçonnée de « contester des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur, du procureur et du juge d’instruction » (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 82).

99      Deuxièmement, les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer sur quel fondement le Conseil a considéré qu’une décision telle que la décision du 7 février 2018 pouvait témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure [confidentiel].

100    Certes, il est vrai, ainsi que le souligne le Conseil, qu’il ne s’agit pas d’une décision autorisant l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut, mais d’une décision la refusant, et donc, en tant que telle, d’une décision favorable au requérant. Toutefois, ce seul élément ne suffit pas à établir que le Conseil a vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle de celui-ci par les autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, points 83 à 85).

101    Ainsi qu’il a été rappelé aux points 76 et 77 ci-dessus, le Conseil doit s’assurer du respect de ces droits lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder, à savoir, en l’espèce, la décision d’une autorité ukrainienne, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant le requérant. Dès lors, le Conseil ne pouvait pas négliger les raisons ayant déterminé le rejet de la demande du BPG, qui est l’autorité qui mène l’enquête, dans la mesure où, suivant l’appréciation faite par le juge d’instruction du tribunal de Petchersk, cette demande s’est révélée dépourvue de tout fondement.

102    En effet, il ressort de la décision du 7 février 2018 que ledit juge d’instruction a considéré que les conditions prévues à l’article 297-2 du code de procédure pénale pour l’octroi d’une autorisation d’enquêter par défaut n’étaient pas remplies en l’espèce. Premièrement, il a constaté que l’avis de suspicion n’avait pas été dûment signifié au requérant et que, par conséquent, celui-ci ne pouvait pas avoir le statut de suspect. Deuxièmement, il a relevé que le BPG n’avait pas prouvé que le requérant se soustrayait aux poursuites judiciaires, dès lors que le BPG savait où celui-ci se trouvait en Russie et que son nom était inscrit sur une liste interétatique ou internationale de personnes recherchées. Troisièmement, il a considéré que le BPG n’était pas compétent pour introduire une telle demande, car le Bureau national anticorruption de l’Ukraine était l’agence investigatrice compétente, et, quatrièmement, qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour faire suspecter le requérant d’avoir commis l’infraction alléguée.  

103    Par ailleurs, la demande du BPG, dès lors qu’elle avait été présentée le 25 décembre 2015, s’appuyait nécessairement sur des éléments de preuve recueillis jusqu’à cette date, soit donc plus de trois ans avant l’adoption des actes attaqués.

104    Dans ces circonstances, le Conseil aurait dû se demander si l’ensemble des éléments dont il disposait concernant l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel] pouvait encore constituer une base factuelle suffisamment solide, conformément à la jurisprudence rappelée au point 74 ci-dessus.

105    Par ailleurs, le Conseil a commis une erreur d’appréciation en estimant qu’il n’était pas tenu de prendre en compte les éléments produits par le requérant et les arguments développés par celui-ci ni de procéder à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes, alors que ces éléments et ces arguments étaient de nature à susciter des interrogations légitimes quant à la fiabilité des informations fournies par le BPG (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, points 253 à 257).

106    En deuxième lieu, s’agissant de la décision du 27 juin 2018, ayant trait à la procédure [confidentiel], il convient de relever que le Conseil ne disposait que d’une version succincte et dépourvue de toute motivation de celle-ci, par laquelle le juge d’instruction du tribunal de Petchersk a annulé la décision du BPG du 11 octobre 2017 rejetant la demande de clôturer ladite procédure pour insuffisance de preuve.

107    Certes, il est vrai, ainsi que le fait valoir le Conseil, qu’une telle décision pourrait être invoquée comme un exemple de respect des droits de la défense du requérant et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Toutefois, il n’en reste pas moins que, ainsi qu’il a été précisé au point 101 ci-dessus, le Conseil aurait dû s’assurer du respect du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant par le BPG lui-même. Cette vérification aurait dû porter tant sur la décision de celui-ci du 11 octobre 2017 rejetant la demande de clore l’enquête présentée par le requérant que sur son omission à prendre la moindre initiative à la suite de la décision du 27 juin 2018 lui imposant le réexamen de ladite demande, sans par ailleurs expliquer les raisons de son inertie au Conseil. Ce faisant, le BPG a, en effet, vidé ladite décision de tout effet pratique et, de ce fait, privé le requérant de son droit à une protection juridictionnelle effective.

108    S’agissant, en troisième et dernier lieu, des décisions de justice portant sur les saisies de biens du requérant, qui ne figurent pas dans le dossier de l’affaire et qui n’ont jamais été examinées par le Conseil, ainsi que celui-ci l’a admis lors de l’audience, il convient de relever que [confidentiel], elles ont été rendues par le tribunal de Petchersk dans le cadre de la procédure [confidentiel], entre les mois de juillet 2014 et d’avril 2015,  soit  donc bien avant l’adoption des actes attaqués.

109    Il s’ensuit que ces décisions, dont par ailleurs la légalité avait été contestée par le requérant à plusieurs égards et dont le Conseil a lui-même reconnu, lors de l’audience, qu’elles avaient une valeur probante moindre, ne sauraient suffire à établir que la décision concernée de l’administration judiciaire ukrainienne sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2019 au mois de mars 2020, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 84). Au demeurant, ainsi qu’il a été relevé au point 95 ci-dessus, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de ces décisions dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502, points 71 et 90 à 93), et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, points 82 et 92 à 95), qui n’ont pas fait l’objet d’un pourvoi de la part du Conseil, et a considéré qu’elles n’étaient pas non plus susceptibles de démontrer que lesdits droits du requérant avaient été respectés dans le cadre de la procédure pénale concernée.

110    En tout état de cause, il doit également être relevé que toutes les décisions de justice ukrainiennes susmentionnées s’insèrent dans le cadre des procédures pénales en cause, ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste, et ne sont qu’incidentes par rapport à celles-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire, soit procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet de procédures pénales portant sur des infractions de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener lesdites procédures pénales, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 77 ci-dessus (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 93, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, points 91 et 92).

111    Au demeurant, le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués, dont il résulterait qu’il a examiné les décisions de justice invoquées et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance. En revanche, ainsi qu’il a été relevé aux points 106 et 108 ci-dessus, il ressort du dossier de l’affaire que le Conseil n’était pas en possession des décisions relatives aux saisies de biens du requérant et ne disposait que d’une version succincte et dépourvue de toute motivation de la décision du 27 juin 2018.

112    La simple référence faite par le Conseil à des lettres et à des prises de position des autorités ukrainiennes dans lesquelles celles-ci ont expliqué en quoi les droits fondamentaux du requérant avaient été respectés et ont donné des assurances à cet égard ne saurait suffire pour considérer que la décision de maintenir son nom sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 77 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 44).

113    À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple possibilité d’invoquer la violation de ces droits devant les juridictions ukrainiennes en vertu de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect desdits droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, point 72).

114    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du Conseil selon lequel le requérant n’a pas avancé d’élément susceptible de démontrer que sa situation particulière avait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien. En effet, selon une jurisprudence constante, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 45 et jurisprudence citée).

115    D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, la simple existence des décisions mentionnées au point 89 ci-dessus permettrait de considérer que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant a été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme celui-ci l’avait fait valoir à maintes reprises dans les lettres envoyées au Conseil, les procédures pénales en cause, qui avaient été initialement ouvertes en 2014 et, en l’état, étaient toutes les deux suspendues après avoir fait l’objet de plusieurs transferts entre différents bureaux d’investigation, se trouvaient encore au stade de l’enquête préliminaire, de sorte qu’elles n’avaient pas été soumises à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant connu que pour des questions procédurales.

116    Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 96 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 96 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

117    Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

118    À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant ledit article 6, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, point 126 et jurisprudence citée). De plus, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

119    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années en raison de l’existence, en substance, de la même enquête préliminaire menée par le BPG, le Conseil est tenu de vérifier le respect des droits fondamentaux de cette personne, et donc de son droit à être jugée dans un délai raisonnable, par les autorités ukrainiennes avant qu’il décide s’il y a lieu de proroger ou non une nouvelle fois ces mesures (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 99, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 99 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 114 et jurisprudence citée). Or, contrairement à ce que prétend le Conseil, des décisions telles que celles invoquées dans les actes attaqués ne sauraient témoigner d’une véritable progression des procédures pénales en cause.

120    En l’espèce, ainsi que cela a été souligné par le requérant dans ses lettres et dans ses écritures, la procédure [confidentiel], qui a été rouverte et immédiatement suspendue, pour la dernière fois avant l’adoption des actes attaqués, le 27 février 2019, a fait l’objet, entre le 16 février et le 14 décembre 2018, de plusieurs transferts entre le BPG et le Bureau national anticorruption de l’Ukraine, sans que les autorités ukrainiennes aient expliqué les raisons de ces transferts et apporté la preuve de l’existence d’une véritable progression de l’enquête préliminaire, compte tenu du fait que la décision du 7 février 2018 a été adoptée à la suite d’une demande du procureur du 25 décembre 2015. Par ailleurs, dans sa lettre du 29 décembre 2018, le [confidentiel] a annoncé qu’il envisageait de présenter une nouvelle demande visant à procéder à l’enquête préliminaire en l’absence du requérant, toujours dans le cadre de la procédure [confidentiel], sans toutefois transmettre des informations à ce sujet au Conseil avant l’adoption des actes attaqués.

121    Quant à l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel], il suffit de constater que, depuis son ouverture, le 8 mai 2014, elle a été suspendue trente-cinq fois, dont les quatre premiers jours seulement après son ouverture, et n’a pas été réactivée depuis le 14 mars 2017. Au demeurant, il y a lieu de constater que, ainsi que le souligne le requérant sans être contredit à cet égard par le Conseil, dans ses lettres des 2 novembre et 29 décembre 2018, le BPG s’est borné à rappeler les informations qu’il avait déjà fournies auparavant au Conseil dans ses lettres du 10 octobre 2014, du 4 septembre 2015, du 30 novembre 2015, du 25 juillet 2016, du 16 novembre 2016, du 20 octobre 2017 et du 5 janvier 2018, ce qui atteste l’absence de toute progression de cette enquête.

122    Or, bien que le Conseil ait effectué des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes afin d’être éclairé sur les raisons ayant justifié les suspensions susmentionnées, il n’en reste pas moins qu’il s’est satisfait des explications fournies par le BPG selon lesquelles ces suspensions étaient liées à la recherche du requérant, alors que, dans la décision du 7 février 2018, le juge d’instruction du tribunal de Petchersk avait précisé, notamment, que le fait que le requérant se cachait pour se soustraire à sa responsabilité pénale n’était pas confirmé par les documents fournis à l’appui de la demande du procureur mentionnée au point 120 ci-dessus.

123    Le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit des arguments du requérant repris aux points 120 et 121 ci-dessus, il pouvait considérer que le droit de celui‑ci à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concerne le respect de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 100). Cela est d’autant plus vrai eu égard au manque absolu d’information de la part du BPG, d’une part, quant à la présentation d’une nouvelle demande d’autorisation de procéder par défaut dans le cadre de la procédure [confidentiel] et, d’autre part, quant au réexamen de la demande du requérant de clore la procédure [confidentiel] à la suite de la décision du 27 juin 2018.

124    Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener les procédures pénales en cause avait été adoptée et mise en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

125    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant dans le cadre des actes attaqués, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée,  ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, point 94 et jurisprudence citée ; du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 101 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 102 et jurisprudence citée).

126    Enfin doit être rejeté l’argument du Conseil, réitéré lors de l’audience, selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité, en vertu également des accords de coopération et d’assistance dans le domaine de la justice existant entre l’Union et l’Ukraine.

127    En effet, s’il est vrai que le Conseil est en droit de se fonder sur des décisions de justice comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 77 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 153 et jurisprudence citée).

128    Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, d’une part, le Conseil n’était pas en possession de toutes les décisions invoquées ou de leur version intégrale et, d’autre part, le requérant a soulevé des doutes quant au respect de ses droits dans le contexte de l’adoption des décisions de justice sur lesquelles le Conseil entendait se fonder. En tout état de cause, il ne saurait être exclu que, au regard notamment des observations présentées par la personne concernée, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités de l’État tiers impliqué des éclaircissements concernant le respect desdits droits à l’égard de cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/ConseilT‑731/15, EU:T:2018:90, point 240 et jurisprudence citée), ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

129    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre des procédures pénales en cause sur lesquelles il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

130    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens ni les autres arguments invoqués par ce dernier.

131    Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 48, deuxième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2019/354 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi visant le présent arrêt, en tant qu’il annulerait le règlement d’exécution 2019/352 dans la mesure où il concerne le requérant, et, au cas où un pourvoi serait introduit à cet égard, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2019/354 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2020. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, point 104 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

132    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Oleksandr Viktorovych Yanukovych a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.