Language of document : ECLI:EU:T:2021:336

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

9 juin 2021 (*)

« REACH – Établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 – Inscription du phénanthrène sur cette liste – Articles 57 et 59 du règlement no 1907/2006 – Erreur manifeste d’appréciation – Détermination par force probante – Proportionnalité – Obligation de motivation – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire T‑177/19,

Exxonmobil Petroleum & Chemical BVBA, établie à Anvers (Belgique), représentée par Mes A. Kołtunowska et A. Bartl, avocats,

partie requérante,

soutenue par

European Petroleum Refiners Association, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes J.-P. Montfort et T. Delille, avocats,

partie intervenante,

contre

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere, Mmes C. Buchanan et M. Heikkilä, en qualité d’agents, assistés de Me S. Raes, avocat,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par Mme A.-L. Desjonquères, MM. E. Leclerc, T. Stehelin et W. Zemamta, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision ED/88/2018 de l’ECHA, du 19 décembre 2018, dans la mesure où elle inscrit le phénanthrène sur la liste des substances identifiées comme étant extrêmement préoccupantes prévue à l’article 59 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. J. Svenningsen, président, Mme T. Pynnä et M. J. Laitenberger (rapporteur), juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 10 novembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le phénanthrène est un hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) composé de trois anneaux aromatiques fusionnés. Le phénanthrène n’est pas produit intentionnellement mais avec d’autres HAP en tant que constituant des substances de composition inconnue ou variable, des produits de réactions complexes ou des matières biologiques (appelés, suivant leur acronyme en anglais, les substances UVCB) dérivés de la houille et du pétrole.

2        Le 2 décembre 2009, le comité des États membres de l’Agence des produits chimiques (ECHA) (ci-après le « CEM ») a approuvé l’identification du brai de goudron de houille à haute température (ci-après le « BGHHT ») comme substance extrêmement préoccupante, en raison notamment de ses propriétés très persistantes (ci-après les « propriétés vP ») et très bioaccumulables (ci-après les « propriétés vB ») (ci-après, dénommées ensemble, les « propriétés vPvB »). Cet accord du CEM reposait, entre autres, sur la conclusion selon laquelle le phénanthrène répondait notamment au critère de désignation en tant que substance très persistante (ci-après les « substances vP ») dans le sol, conformément à l’annexe XIII (ci-après l’« annexe XIII ») du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3).

3        Le même jour, le CEM a également conclu, dans le document d’appui pour l’identification du BGHHT comme substance extrêmement préoccupante en raison de ses propriétés persistantes (ci-après les « propriétés P »), bioaccumulables (ci-après les « propriétés B ») et toxiques (ci-après les « propriétés T ») (ci-après, dénommées ensemble, les « propriétés PBT ») et cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (ci-après le « document d’appui sur le BGHHT »), que le phénanthrène constituait une substance vP dans le sol.

4        En juin 2017, le Bundesanstalt für Arbeitsschutz und Arbeitsmedizin (BAuA) (Institut fédéral de santé et de sécurité au travail, Allemagne) a publié un document de conclusion sur l’analyse de la meilleure option de gestion des risques liés à sept HAP, dont le phénanthrène. Ce document recommandait d’inscrire le phénanthrène sur la liste des substances identifiées en vue de leur inclusion à terme dans l’annexe XIV (ci-après l’« annexe XIV »), telle que visée à l’article 59, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006 (ci-après la « liste des substances candidates »). Cette recommandation se fondait sur les propriétés vPvB du phénanthrène, relevées dans le cadre de l’identification du BGHHT comme substance extrêmement préoccupante. Toutefois, selon l’ECHA, ce document n’a pas fait partie du processus formel qui a conduit à l’identification du phénanthrène en tant que substance extrêmement préoccupante.

5        Le 29 août 2018, la République française a présenté un dossier conforme à l’annexe XV du règlement no 1907/2006 (ci-après l’« annexe XV »), proposant, en vertu de l’article 59, paragraphe 3, de ce règlement, d’identifier le phénanthrène en tant que substance extrêmement préoccupante (ci-après le « dossier élaboré conformément à l’annexe XV »). Ce dossier indique, notamment, que l’évaluation des propriétés vPvB de cette substance et la conclusion selon laquelle elle remplit les critères correspondants sont « principalement fondées sur les informations figurant dans [le document d’appui sur le BGHHT], augmentées d’informations issues d’études plus récentes, présentées comme des preuves supplémentaires, puisqu’elles n’entraînent pas la nécessité de modifier les conclusions antérieures énoncées par les autorités ».

6        Le dossier élaboré conformément à l’annexe XV concluait que le phénanthrène répondait aux critères applicables aux substances persistantes et vP dans le sol. Toutefois, il ne contenait aucune conclusion précise indiquant que le phénanthrène répondait aux critères applicables aux substances vP dans les sédiments, énoncés à l’annexe XIII ou à l’article 57, sous e), du règlement no 1907/2006.

7        Le 4 septembre 2018, conformément à l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006, l’ECHA a invité toutes les parties intéressées à soumettre leurs observations sur le dossier élaboré conformément à l’annexe XV. Cette consultation publique a pris fin le 19 octobre 2018.

8        Le 19 octobre 2018, European Petroleum Refiners Association (ci-après « Concawe ») a soumis des observations et des informations, y compris celles que la requérante, Exxonmobil Petroleum & Chemical BVBA, lui avait fournies, démontrant, selon cette association et la requérante, que le phénanthrène ne remplissait pas les critères applicables aux substances vP, que ce soit dans l’eau, dans le sol ou dans les sédiments.

9        Plus particulièrement, Concawe et, par son intermédiaire, la requérante ont notamment transmis les éléments suivants lors de la consultation publique :

–        une étude de 2016 de Junker et al. (ci-après l’« étude Junker et al. (2016) ») qui indiquerait que le phénanthrène est facilement biodégradable dans des conditions strictes ;

–        un résumé détaillé d’une étude portant sur la simulation eau-sédiment fondée sur la ligne directrice 308 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), menée par Meisterjahn et al. [ci-après l’« étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE »], qui démontrerait que le phénanthrène n’est pas très persistant dans les sédiments selon les critères de l’annexe XIII, dans les conditions de l’étude, à une température standard en laboratoire de 20 °C ;

–        une affiche de Concawe (ci-après l’« affiche de Concawe ») présentant des demi-vies dans les eaux de surface mesurées à une température comprise entre 5 °C et 22 °C, qui montrerait que la demi-vie du phénanthrène ne dépend pas de la température. Cette affiche comprend des citations complètes de neuf publications scientifiques qui confirmeraient l’absence de toute influence de la température sur la demi-vie du phénanthrène.

10      Par la suite, la République française et l’ECHA ont préparé un document (ci‑après le « document RCOM »), daté du 12 décembre 2018, contenant les réponses aux commentaires reçus par l’ECHA lors de la consultation publique, y compris ceux de Concawe.

11      Des commentaires ayant été reçus concernant l’identification du phénanthrène, l’ECHA a transmis le dossier au CEM, conformément à l’article 59, paragraphe 7, du règlement no 1907/2006. En accord avec ses procédures de travail relatives à l’identification des substances extrêmement préoccupantes, le CEM a reçu le dossier élaboré conformément à l’annexe XV, un projet d’accord du CEM et un document de travail (ci-après le « document d’appui sur le phénanthrène ») contenant l’évaluation des propriétés intrinsèques de cette substance à l’appui de son identification au titre de l’article 57, sous e), dudit règlement.

12      Lors de sa 62e session, qui s’est tenue du 10 au 14 décembre 2018, le CEM est parvenu à un accord unanime sur l’identification du phénanthrène en tant que substance répondant aux critères prévus à l’article 57, sous e), du règlement no 1907/2006. À l’instar du document d’appui sur le phénanthrène, le CEM a conclu au caractère très persistant (ci-après le « caractère vP ») de cette substance dans les sédiments. En revanche, et contrairement à la conclusion à laquelle l’ECHA était parvenue lors du processus d’identification du BGHHT comme substance extrêmement préoccupante, le CEM a considéré que les informations désormais disponibles ne permettaient plus de tirer une conclusion définitive sur la persistance de cette substance dans les sols.

13      Cette identification du phénanthrène se fonde, de façon décisive, sur les résultats, ajustés par l’ECHA, de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Cette étude avait conclu que, à une température de 20 °C, la demi-vie de dégradation du phénanthrène était comprise entre 114 et 130 jours, pour la première catégorie de sédiments, et entre 116 et 150 jours, pour la seconde catégorie de sédiments. Ces résultats ne permettaient donc pas, à eux seuls, de conclure que le phénanthrène était très persistant dans les sédiments. Toutefois, par l’application de l’équation d’Arrhenius à cette étude et, en conséquence, par l’extrapolation desdits résultats à une température de 12 °C, l’ECHA a déterminé une demi-vie de dégradation du phénanthrène bien plus importante, à savoir entre 216 à 247 jours pour la première catégorie de sédiments et entre 220 à 285 jours pour la seconde catégorie de sédiments. Ces résultats normalisés attestaient donc d’un dépassement du seuil des 180 jours fixé par la section 1.2.1, sous b), de l’annexe XIII pour le critère très persistant dans les sédiments et, partant, ils ont permis à l’ECHA de conclure au caractère vP du phénanthrène dans ce compartiment environnemental.

14      Le 19 décembre 2018, à la suite de l’accord unanime au sein du CEM et conformément à l’article 59, paragraphe 8, du règlement no 1907/2006, l’ECHA a adopté la décision ED/88/2018 (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle le phénanthrène a été inclus dans la liste des substances candidates en vue d’une éventuelle inclusion dans l’annexe XIV, dès lors que cette substance a été identifiée, pour les raisons exposées dans le document d’appui sur le phénanthrène, comme une substance très persistante et très bioaccumulable et, plus particulièrement, comme une substance vP dans les sédiments, au sens de l’article 57, sous e), dudit règlement.

15      Le 15 janvier 2019, la liste des substances candidates publiée sur le site Internet de l’ECHA a été mise à jour conformément à la décision attaquée.

 Procédure et conclusions des parties

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mars 2019, la requérante a introduit le présent recours. Par acte séparé du même jour, la requérante a introduit une demande de traitement confidentiel à l’égard du public de certaines données figurant dans la requête et dans les annexes.

17      Le 17 juin 2019, l’ECHA a déposé le mémoire en défense.

18      Le 2 août 2019, la requérante a déposé la réplique.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 juillet 2019, Concawe a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

20      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 juillet 2019, la République française a demandé à intervenir au soutien des conclusions de l’ECHA.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 juillet 2019, Rain Carbon a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

22      Par actes séparés du 14 août 2019, l’ECHA a indiqué ne pas s’opposer à la demande d’intervention de Concawe et de la République française. En revanche, par acte séparé déposé le même jour, l’ECHA a soutenu que Rain Carbon n’avait pas prouvé qu’elle fabriquait ou qu’elle fournissait certaines substances contenant du phénanthrène. Partant, l’ECHA a indiqué laisser au Tribunal le soin de déterminer si Rain Carbon disposait d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

23      Par actes séparés du 19 août 2019, la requérante a indiqué ne pas s’opposer aux demandes d’intervention de Concawe, de la République française et de Rain Carbon.

24      Le 19 août 2019, la requérante a, par actes séparés, introduit une demande de traitement confidentiel, à l’égard de la République française, de Concawe et de Rain Carbon, de certaines données figurant dans la requête et dans les annexes.

25      Le 19 septembre 2019, l’ECHA a déposé la duplique.

26      Par ordonnances du 24 septembre 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit aux demandes d’intervention de la République française et de Concawe. Par ailleurs, le président de la cinquième chambre du Tribunal a décidé de leur communiquer une version non confidentielle des mémoires et des annexes soumis par les parties principales. En revanche, par l’ordonnance du 24 septembre 2019, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA (T‑177/19, non publiée, EU:T:2019:731), le président de la cinquième chambre du Tribunal a rejeté, faute d’avoir démontré l’existence d’un intérêt direct à la solution du litige, la demande d’intervention de Rain Carbon.

27      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 26 septembre 2019, la requérante a sollicité, en complément à sa demande initiale du 21 mars 2019, le traitement confidentiel à l’égard du public d’une autre annexe jointe à la requête.

28      Par courrier du 14 octobre 2019, Concawe a indiqué n’avoir aucune objection quant au traitement confidentiel à son égard de certaines informations. Elle a néanmoins précisé avoir pris connaissance du contenu de deux des annexes concernées par cette demande de la requérante dans le cadre de sa participation à la procédure administrative.

29      Par décision du 18 octobre 2019 et à la suite de la modification de la composition des chambres du Tribunal, l’affaire a été réattribuée à un nouveau juge rapporteur qui a été affecté à la huitième chambre.

30      Le 12 novembre 2019, la République française et Concawe ont chacune déposé leur mémoire en intervention. Par acte séparé du même jour, Concawe a également introduit une demande de traitement confidentiel à l’égard du public de certaines données figurant dans ce mémoire en intervention et dans les annexes.

31      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 24 janvier 2020, la requérante a présenté ses observations sur les mémoires en intervention de la République française et de Concawe.

32      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 30 janvier 2020, l’ECHA a présenté ses observations sur les mémoires en intervention de la République française et de Concawe.

33      Le 1er avril 2020, la requérante a sollicité la tenue d’une audience de plaidoiries, en vertu de l’article 106, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

34      Le 28 août 2020, le Tribunal a, au titre de mesure d’organisation de la procédure, posé des questions aux parties sur différents aspects de la présente affaire. La République française et Concawe ont répondu le 7 octobre 2020. La requérante et l’ECHA ont répondu le 8 octobre 2020. À cette occasion, en réponse à l’une des questions du Tribunal, la requérante a indiqué renoncer au traitement confidentiel de deux des annexes litigieuses à l’égard de la République française et de Concawe, dès lors que ces deux intervenantes avaient déjà connaissance de leur contenu.

35      Le 6 octobre 2020, la requérante a sollicité l’autorisation de faire intervenir trois experts lors de l’audience. Par décision du 9 octobre 2020, le président de la huitième chambre a autorisé la prise de parole de ces trois experts lors de l’audience en présence et sous le contrôle des représentants de la requérante.

36      Le 19 octobre 2020, la République française a sollicité l’autorisation de pouvoir participer à l’audience par vidéoconférence. Par décision du 4 novembre 2020, le président de la huitième chambre a autorisé la République française à plaider lors de l’audience par vidéoconférence.

37      Le 20 octobre 2020, l’ECHA a sollicité l’autorisation de faire intervenir un expert lors de l’audience. Par décision du 27 octobre 2020, le président de la huitième chambre a autorisé la prise de parole de cet expert lors de l’audience en présence et sous le contrôle des représentants de l’ECHA.

38      Le 29 octobre 2020, la requérante a sollicité l’autorisation de faire intervenir, lors de l’audience, un expert par vidéoconférence. Le Tribunal a rejeté cette demande tout en informant la requérante que, si elle l’estimait nécessaire, elle pouvait, lors de l’audience, demander à prendre contact avec son expert par téléphone et que, dans ce cas, l’audience serait suspendue le temps nécessaire pour qu’elle s’entretienne avec lui.

39      Le 30 octobre 2020, l’ECHA a sollicité l’autorisation de pouvoir participer à l’audience par vidéoconférence. Par décision du 5 novembre 2020, le président de la huitième chambre a autorisé l’ECHA à plaider lors de l’audience par vidéoconférence.

40      Le 5 novembre 2020, l’ECHA a sollicité l’autorisation que l’audience soit retransmise via « Skype for business » afin que l’un de ses experts puisse la suivre. Le Tribunal n’autorisant pas, à ce stade, la retransmission en direct des audiences pour le public à l’extérieur de l’enceinte de la Cour de justice de l’Union européenne, cette demande de l’ECHA a été rejetée.

41      Le 7 novembre 2020, la requérante a formulé des observations sur le rapport d’audience.

42      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle inscrit le phénanthrène sur la liste des substances identifiées comme extrêmement préoccupantes ;

–        condamner l’ECHA aux dépens.

43      L’ECHA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante et Concawe aux dépens.

44      La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

45      Concawe conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle concerne le phénanthrène.

 En droit

46      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation concernant le caractère vP du phénanthrène, d’un « excès de compétence » et d’une violation de l’article 59 du règlement no 1907/2006. Le deuxième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité. Par ailleurs, Concawe soulève deux moyens additionnels, tirés, respectivement, de l’absence de base juridique adéquate et d’une violation de l’obligation de motivation ainsi que de la violation du droit d’être entendu.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, d’un « excès de compétence » et d’une violation de l’article 59 du règlement no 1907/2006

47      Ce premier moyen se subdivise en six branches. Par la première branche, la requérante, soutenue par Concawe, reproche à l’ECHA d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en se fondant sur les informations relatives à la persistance fournies dans le document d’appui sur le BGHHT sans procéder à sa propre évaluation des informations en question et, en conséquence, en reportant, dans le document d’appui sur le phénanthrène, de prétendues erreurs contenues dans le document d’appui sur le BGHHT. Par la deuxième branche, la requérante, soutenue par Concawe, avance que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en tirant des conclusions sur le caractère vP du phénanthrène que le document d’appui sur le BGHHT ne permettrait pas d’étayer. Par la troisième branche, la requérante, soutenue par Concawe, soutient que l’ECHA n’a pas examiné les données disponibles qui amèneraient à s’interroger sur la fiabilité et la prudence extrême de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Par la quatrième branche, la requérante, soutenue par Concawe, estime que l’ECHA n’a pas pris en considération les informations qui remettraient en cause l’emploi d’un modèle de calcul – l’équation d’Arrhenius – pour ajuster les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE pour tenir compte de la température. Par la cinquième branche, la requérante, soutenue par Concawe, considère que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en n’évaluant pas les nouvelles données sur la persistance du phénanthrène qui lui auraient été communiquées lors de la consultation publique. Enfin, par la sixième branche, la requérante, soutenue par Concawe, affirme que l’ECHA n’a pas examiné toutes les informations pertinentes dans la détermination de la force probante des propriétés persistantes du phénanthrène, concernant en particulier la photodégradation, la dissolution et la volatilisation.

48      L’ECHA, soutenue par la République française, conclut au rejet du premier moyen.

49      Avant d’entamer l’examen de chacune de ces six branches, le Tribunal estime opportun de clarifier l’étendue du premier moyen.

50      À cet égard, il convient de relever que le premier moyen est pris, d’une part, de plusieurs prétendues erreurs manifestes d’appréciation et, d’autre part, d’un « excès de compétence » et d’une violation de l’article 59 du règlement no 1907/2006. S’il ne fait aucun doute que les six branches, visées au point 47 ci-dessus, ont précisément pour objet des erreurs manifestes d’appréciation que l’ECHA aurait commises, il est tout aussi manifeste que la requérante n’a avancé, dans ses écritures, aucun argument relatif à un prétendu « excès de compétence », devant probablement être compris comme étant un excès de pouvoir, ni à une éventuelle violation de l’article 59 du règlement no 1907/2006.

51      Par ailleurs, en réponse à une question orale du Tribunal, la requérante a affirmé, au cours de l’audience et en substance, que l’ECHA avait excédé son pouvoir et violé l’article 59 du règlement no 1907/2006 à double titre. D’une part, la motivation de la décision attaquée serait équivoque en ce sens qu’il n’apparaîtrait pas clairement que l’ECHA se soit appuyé principalement sur les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, tels qu’ils avaient été ajustés par l’application de l’équation d’Arrhenius. D’autre part, la requérante soutient que l’ECHA aurait dû réentendre les parties intéressées, dès lors que la décision attaquée serait principalement fondée sur des éléments nouveaux, qui ne se trouvaient pas dans le dossier élaboré conformément à l’annexe XV, mais qui étaient issus de la consultation publique, à savoir les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, tels qu’ils avaient été ajustés par l’application de l’équation d’Arrhenius. Ce faisant, les parties intéressées n’auraient pas eu l’occasion de prendre position sur l’ensemble des informations disponibles et pertinentes avant l’adoption de la décision attaquée.

52      À supposer même que ces griefs soient recevables au regard de l’article 76, sous d), du règlement de procédure alors qu’ils ne sont étayés par aucun argument dans la requête, il convient de constater, en tout état de cause, qu’ils se confondent avec l’argumentation développée par Concawe dans les deux moyens additionnels. Par conséquent, ces griefs seront examinés dans le cadre de ces deux moyens additionnels.

53      Partant, l’examen du premier moyen est limité aux erreurs manifestes d’appréciation visées par la requérante dans les six branches mentionnées au point 47 ci-dessus. Par ailleurs, le Tribunal juge opportun d’examiner ensemble les première et deuxième branches du premier moyen.

 Sur les première et deuxième branches du premier moyen, tirées d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA se serait fondée, à tort, sur le document d’appui sur le BGHHT et, en particulier, sur les informations issues du rapport Mackay et al. (1992), de l’étude Neff (1979) ainsi que de l’étude Volkering et Breure (2003) dans le document d’appui sur le phénanthrène

54      Dans le cadre des deux premières branches, la requérante, soutenue par Concawe, fait valoir que l’ECHA a conclu au caractère vP du phénanthrène en reprenant, à tort et sans nouvelle évaluation, les informations relatives à la persistance de cette substance contenues dans le document d’appui sur le BGHHT et, en particulier, celles issues du rapport Mackay et al. (1992), de l’étude Neff (1979) ainsi que de l’étude Volkering et Breure (2003). À cet égard, d’une part, les conclusions du rapport Mackay et al. (1992) relatives aux demi-vies du phénanthrène dans les sédiments se fonderaient sur des estimations basées sur la persistance de cette substance, non pas dans les sédiments, mais dans les sols. En outre, le rapport Mackay et al. (1992) ne constituerait pas une information « appropriée et fiable » pour évaluer les propriétés vP du phénanthrène, au sens de la section 3.2 de l’annexe XIII. D’autre part, la requérante estime qu’il conviendrait également d’accorder peu de poids, voire pas de poids, aux études Neff (1979) et Volkering et Breure (2003).

55      L’ECHA, soutenue par la République française, conclut au rejet des deux premières branches du premier moyen.

56      À titre liminaire, il convient de relever que l’argumentation de la requérante repose sur la prémisse selon laquelle l’ECHA a conclu au caractère vP du phénanthrène dans les sédiments en reprenant, à tort et sans nouvelle évaluation, certaines informations contenues dans le document d’appui sur le BGHHT et en particulier celles issues du rapport Mackay et al. (1992), de l’étude Neff (1979) ainsi que de l’étude Volkering et Breure (2003).

57      Avant d’examiner si l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en tirant ses conclusions desdites informations, il convient préalablement de vérifier si, comme l’affirment cette agence et la République française, la décision attaquée a, au contraire, été adoptée, de façon décisive, en se fondant sur l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, fournie par Concawe durant la consultation publique.

58      À cet égard, le Tribunal constate que les cinq passages du document d’appui sur le phénanthrène dans lesquels l’ECHA affirme que cette substance est très persistante dans les sédiments font tous, à l’exception d’un seul (p. 20), expressément référence à l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

59      Plus précisément, quatre passages du document d’appui sur le phénanthrène (p. 10 et 11, 14, 15 ainsi que 19) font un lien direct entre cette conclusion et l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. En effet, cette conclusion est toujours présentée immédiatement après la description de cette étude. En outre, aux pages 10 et 11 ainsi que 14 et 19 dudit document, le lien établi par l’ECHA entre cette étude et cette conclusion est renforcé par l’utilisation de la conjonction « donc ». Enfin, à la page 15 de ce même document, l’ECHA indique, sans ambiguïté et à titre de conclusion du point 3.1 relatif à la dégradation du phénanthrène, que, « sur le fondement de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, fournie lors de la consultation publique, le phénanthrène remplit le critère vP dans les sédiments ».

60      À l’inverse, seuls deux passages du document d’appui sur le phénanthrène (p. 14 et 19) font une référence explicite au rapport Mackay et al. (1992). Toutefois, la conclusion sur la persistance du phénanthrène dans les sédiments n’apparaît jamais immédiatement à la suite de la mention de ce rapport. De même, l’étude Neff (1979) ainsi que l’étude Volkering et Breure (2003) ne sont citées qu’à la page 9 de ce document, lorsque l’ECHA présente l’ensemble des informations disponibles. Cependant, aucune conclusion définitive n’est tirée de ces deux études. Tout au plus, l’ECHA indique, sur la base de ces deux études et avec prudence, qu’une faible biodégradation du phénanthrène « est attendue » dans les sédiments. Enfin, lorsque l’ECHA tire ses conclusions au terme du point 3.1 relatif à la dégradation du phénanthrène (p. 15), elle ne mentionne ni le rapport Mackay et al. (1992), ni l’étude Neff (1979), ni l’étude Volkering et Breure (2003).

61      Il ressort de ces éléments que l’ECHA a établi le caractère vP du phénanthrène dans les sédiments en se fondant, de manière décisive, sur l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Du reste, cette conclusion est confirmée par le procès-verbal de la réunion du CEM du 12 décembre 2018 au cours de laquelle le caractère vP du phénanthrène dans les sédiments a été définitivement constaté. Seule l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE y est mentionnée. En revanche, ce procès-verbal ne contient aucune référence au rapport Mackay et al. (1992), à l’étude Neff (1979) ou à l’étude Volkering et Breure (2003).

62      Cette conclusion n’est pas infirmée par les autres arguments de la requérante et de Concawe.

63      En premier lieu, la requérante et Concawe font valoir que le document d’appui sur le phénanthrène précise que l’évaluation des propriétés vPvB du phénanthrène est « principalement » basée sur les informations du document d’appui sur le BGHHT.

64      Cet argument ne saurait prospérer. Certes, le document d’appui sur le phénanthrène précise, à deux reprises, que l’évaluation des propriétés vPvB de cette substance repose « principalement » sur les informations contenues dans le document d’appui sur le BGHHT (p. 3 et 20). Toutefois, d’une part, il est manifeste que cette affirmation n’est pas reprise dans les parties consacrées à la persistance du phénanthrène dans les sédiments. Cette mention n’apparaît, en effet, que dans l’avant-propos (p. 3) et dans la conclusion générale (point 6.2.2, p. 20) de ce document. En outre, ainsi qu’il ressort notamment des points 58 à 61 ci-dessus, aucun élément du document d’appui sur le phénanthrène n’indique que l’ECHA se serait fondée de manière décisive sur le document d’appui sur le BGHHT pour conclure au caractère vP du phénanthrène dans les sédiments. D’autre part, il est, en revanche, patent que la conclusion relative aux propriétés bioaccumulables et très bioaccumulables (ci-après les « propriétés B et vB ») du phénanthrène repose, quant à elle, sur les informations disponibles dans le document d’appui sur le BGHHT. Sur ce point, il y a lieu de constater que l’ECHA affirme expressément que cette conclusion relative aux propriétés B et vB du phénanthrène apparaissait déjà dans le document d’appui sur le BGHHT et que les nouvelles données, rapportées dans le document d’appui sur le phénanthrène, ne remettent pas en cause cette conclusion (point 6.2.1.2, p. 20). Par conséquent, l’affirmation selon laquelle l’évaluation des propriétés vPvB du phénanthrène repose « principalement » sur les informations contenues dans le document d’appui sur le BGHHT concerne, en réalité, les propriétés B et vB et ne vise pas l’élément décisif retenu pour l’identification du caractère vP de cette substance.

65      En deuxième lieu, la requérante estime que l’ECHA a toujours soutenu que la question du caractère vP du phénanthrène avait été tranchée dans le document d’appui sur le BGHHT. Cela ressortirait tant de l’avant-propos du document d’appui sur le phénanthrène que des déclarations de l’ECHA dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (T‑93/10, EU:T:2013:106).

66      Cet argument ne convainc pas davantage. En effet, aux points 80 et 103 de l’arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (T‑93/10, EU:T:2013:106), le Tribunal se borne à rappeler que, dans le dossier relatif à l’identification du BGHHT, le CEM a conclu que le phénanthrène devait être considéré comme ayant des propriétés vPvB. Dans le même sens, l’avant-propos du document d’appui sur le phénanthrène se limite à mentionner, à titre de rappel historique, que les propriétés vPvB de cette substance avaient déjà été relevées dans le document d’appui sur le BGHHT. Toutefois, il est manifeste que ces éléments ne concernent pas le caractère vP du phénanthrène pris isolément, mais visent globalement ses propriétés vPvB. En outre, et surtout, les parties principales s’accordent sur le fait que, ainsi qu’il est indiqué au point 3 ci-dessus, le document d’appui sur le BGHHT avait conclu au caractère vP du phénanthrène dans les sols, et non, comme en l’espèce, dans les sédiments. Par conséquent, ni l’arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (T‑93/10, EU:T:2013:106), ni la mention en cause dans l’avant-propos du document d’appui sur le phénanthrène ne confirment que l’ECHA aurait invariablement considéré que la question du caractère vP de cette substance dans les sédiments avait été tranchée dans le document d’appui sur le BGHHT.

67      En troisième lieu, la requérante affirme, en substance, que le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Norvège ont aussi tenu pour acquis le fait que le document d’appui sur le BGHHT avait conclu au caractère vP du phénanthrène.

68      Cet argument doit être rejeté. Ces États ont tous fait part de leurs observations en se fondant sur le dossier élaboré conformément à l’annexe XV. À cet égard et ainsi qu’il est rappelé aux points 5 et 6 ci-dessus, les parties principales s’accordent sur le fait que ledit dossier concluait, sur le fondement du document d’appui sur le BGHHT, que le phénanthrène répondait aux critères P et vP dans le sol, mais que, en revanche, il ne contenait aucune conclusion précise quant à la persistance de cette substance dans les sédiments. Par leurs observations, ces différents États se sont donc limités à considérer que les conclusions antérieures du CEM s’agissant de la persistance du phénanthrène dans les sols étaient toujours valides. En revanche, il ne ressort pas de ces observations que ces États avaient considéré que la question de la persistance du phénanthrène dans les sédiments avait été tranchée lors du processus d’identification du BGHHT et que, à cette occasion, cette substance avait été considérée comme extrêmement préoccupante. Au surplus, il convient de relever que lesdites observations ont été déposées, respectivement, le 11 (République fédérale d’Allemagne), le 16 (Royaume de Belgique) et le 19 octobre 2018 (Royaume des Pays-Bas et Royaume de Norvège). Partant, en toute logique, ces observations n’ont pas pu prendre en compte l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE que Concawe avait transmise le 19 octobre 2018.

69      En quatrième lieu, la requérante affirme que le procès-verbal de la réunion du CEM du 12 décembre 2018 montre que cet organe avait également tenu pour acquis le fait que la persistance du phénanthrène dans les sédiments avait déjà été établie dans le cadre du processus d’identification du BGHHT comme substance extrêmement préoccupante.

70      Cet argument doit également être rejeté. L’extrait de ce procès-verbal, que la requérante a reproduit au point 35 de la réplique, n’indique pas que le CEM a considéré que la question de la persistance du phénanthrène avait déjà été tranchée. Cet extrait se limite à préciser que les représentants des autorités belges et françaises ont estimé que nombre de points soulevés durant la consultation publique avaient déjà été pris en considération et tranchés par le CEM en 2009. Premièrement, ces déclarations ne sont donc pas imputables au CEM, comme le soutient la requérante, mais aux autorités belges et françaises. Deuxièmement, ces déclarations n’indiquent pas davantage que, pour le Royaume de Belgique et la République française, la question de la persistance du phénanthrène avait déjà été réglée. Leurs déclarations visent « de nombreux points soulevés lors de la consultation publique », sans autre précision. Troisièmement, dans ce même procès-verbal, il est précisé que les autorités belges et françaises ont tenu compte des nouvelles informations déposées lors de la consultation publique, « en particulier s’agissant du phénanthrène », et évalué si ces informations pouvaient modifier les conclusions précédentes. Enfin, ce procès-verbal indique tout aussi clairement que, sur la base des informations nouvellement disponibles, le CEM ne pouvait pas adopter une conclusion définitive en ce qui concernait la persistance du phénanthrène dans les sols. Ces derniers éléments montrent donc, à nouveau, contrairement à ce que soutient la requérante, que ni les autorités belges et françaises ni le CEM n’ont considéré ou ne sont partis de la prémisse que les conclusions antérieures relatives à la persistance du phénanthrène avaient déjà été définitivement tranchées.

71      Compte tenu des éléments qui précèdent, c’est à tort que la requérante et Concawe soutiennent que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en reprenant des informations sur la persistance du phénanthrène contenues dans le document d’appui sur le BGHHT. En effet, l’ECHA s’est fondée de manière décisive, s’agissant de la propriété vP du phénanthrène dans les sédiments, non sur le document d’appui sur le BGHHT, mais sur l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Quant à la validité scientifique des conclusions que tire l’ECHA de cette étude, elle sera examinée, ci-après, dans le cadre des troisième et quatrième branches du premier moyen.

72      Par conséquent, il convient de rejeter les deux premières branches du premier moyen.

 Sur la troisième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas examiné les données disponibles qui auraient dû l’amener à s’interroger sur la fiabilité et la prudence extrême de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE

73      Dans le cadre de la troisième branche, la requérante, soutenue par Concawe, fait valoir que l’ECHA n’a pas tenu compte de certaines informations qui auraient pu remettre en cause la fiabilité de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

74      En premier lieu, la requérante soutient que la ligne directrice 308 de l’OCDE a déjà fait l’objet de critiques au motif qu’elle ne serait pas représentative des conditions environnementales, en raison d’un rapport sédiments-eau élevé et de son manque d’adéquation aux plans d’eau caractéristiques des milieux récepteurs. Ces critiques auraient été rappelées par Concawe lors de la consultation publique. Or, ni la République française ni le CEM n’auraient abordé la question de l’extrême prudence de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, qui surestimerait la persistance du phénanthrène dans les sédiments.

75      En deuxième lieu, la requérante et Concawe reprochent au CEM d’avoir ignoré la seconde partie de l’étude Junker et al. (2016) portant sur un outil de simulation eau-sédiment (Water-Sediment Screening Tool, ci-après l’« essai WSST »), présentée par Concawe durant la consultation publique. Tout au plus, la République française aurait fourni une réponse aux observations de Concawe, mais le document incluant cette réponse n’aurait pas été transmis au CEM. Or, les résultats de cette étude, fondée sur l’essai WSST, indiqueraient que le phénanthrène a atteint, dans un système eau-sédiment, un taux de minéralisation de 51,3 % sur 28 jours, avec une demi-vie de dégradation ultime correspondante de 25,3 jours. Ainsi, bien que l’essai WSST ne serait pas un essai de biodégradabilité facile, il permettrait néanmoins d’observer une dégradation plus rapide du phénanthrène que celle figurant dans les résultats auxquels est parvenue l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Selon la requérante, le CEM aurait donc dû inclure les résultats de cette étude, fondée sur l’essai WSST, dans son évaluation des éléments de preuve, ce qu’il n’aurait pas fait.

76      En troisième lieu, l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE aurait recouru à une méthode biométrique statique et close. Compte tenu de cette configuration, quatre facteurs auraient altéré la fiabilité des résultats de cette étude. Premièrement, l’eau n’aurait pas pu être légèrement agitée en surface, contrairement aux prescriptions de la ligne directrice 308 de l’OCDE. Deuxièmement, il n’aurait pas été possible d’insuffler de l’air humide à la surface de l’eau, contrairement à ce que prévoirait également cette même ligne directrice. Troisièmement, au stade de la réplique, la requérante indique que de l’acétone aurait été ajoutée en raison de la faible solubilité du phénanthrène dans l’eau. Or, il n’aurait pas été tenu compte de l’oxygène consommé par la dégradation de l’acétone. Quatrièmement, toujours au stade de la réplique, la requérante affirme que, en raison de ces trois premiers facteurs (à savoir l’absence d’agitation de l’eau de surface, l’absence d’air humide insufflé et l’ajout d’acétone), un biofilm s’était formé au cours de l’expérience. Ces quatre facteurs, que le CEM n’aurait ni identifiés ni évalués, auraient conduit à un plus fort appauvrissement en oxygène, lequel aurait ralenti la biodégradation du phénanthrène et, partant, aurait induit, de manière artificielle, une augmentation de la persistance de cette substance.

77      Par ailleurs, Concawe estime que l’ECHA a mal compris l’objectif de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Cette étude n’aurait pas été menée dans le but premier de tirer des conclusions sur la biodégradation du phénanthrène dans les sédiments. L’objectif poursuivi par cette étude aurait été de mettre en place un système d’essai qui permettrait de tester de manière appropriée les produits chimiques volatiles et hydrophobes, tels que le phénanthrène.

78      L’ECHA, soutenue par la République française, conclut au rejet de la troisième branche du premier moyen.

79      À titre liminaire, et à l’instar de l’ECHA et de la République française, le Tribunal relève la contradiction dans le comportement de la requérante et de Concawe qui tentent désormais de disqualifier dans son ensemble la valeur scientifique de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, alors que, comme cela est indiqué au point 9 ci-dessus, ce sont elles qui l’ont soumise au débat lors de la consultation publique. Or, le Tribunal considère que la requérante et Concawe ne sauraient soumettre une étude scientifique à l’ECHA en prétendant que seule leur interprétation des résultats de celle-ci pourrait être retenue et que toute autre évaluation desdits résultats serait nécessairement sans pertinence ni validité scientifique. En particulier, elles ne sauraient revendiquer un droit de s’opposer à ce que l’ECHA puisse prendre en compte l’ensemble des enseignements scientifiques pouvant être tirés de cette publication ainsi portée à sa connaissance par une partie intéressée dans le cadre d’une consultation publique. À cet égard, s’il reste vrai que l’étendue des conclusions que l’ECHA a tirées de cette étude doit être examinée, il est également vrai que celle-ci présente des données précises et chiffrées sur la demi-vie du phénanthrène dans les sédiments. Du reste, c’est notamment sur le fondement de ces données que, lors de la consultation publique, Concawe et, par son intermédiaire, la requérante s’étaient appuyées pour tenter de démontrer que la persistance du phénanthrène dans les sédiments était inférieure au seuil des 120 jours.

80      Ces premières observations étant faites, il convient de vérifier si l’ECHA a examiné, ou non, les données disponibles qui auraient pu l’amener, comme le soutient la requérante, à s’interroger sur la fiabilité et la prudence extrême de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, et si ces données auraient dû l’amener à des conclusions différentes de celles qu’elle a tirées de cette étude.

81      À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’ECHA dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’identification des substances extrêmement préoccupantes au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006. Il en va de même en ce qui concerne l’application de l’article 57, sous e), dudit règlement. Sur ce point, il convient de relever que ce large pouvoir d’appréciation des autorités de l’Union européenne, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des mesures à prendre, mais également, dans une certaine mesure, à l’évaluation des données de base. Toutefois, le contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les autorités de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (voir arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 53 et jurisprudence citée ; voir également, par analogie, arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil, C‑5/16, EU:C:2018:483, points 150 à 152 et jurisprudence citée).

82      En premier lieu, la requérante estime que la ligne directrice 308 de l’OCDE a déjà fait l’objet de critiques au motif qu’elle ne serait pas représentative des conditions environnementales, en raison d’un rapport sédiments-eau élevé et de son manque d’adéquation aux plans d’eau caractéristiques des milieux récepteurs. Au soutien de ce grief, la requérante fait référence à une étude de Shrestha et al. de 2016 [ci-après l’« étude Shrestha et al. (2016) »]. Ces critiques sont également mentionnées dans le témoignage d’un expert-témoin soumis par la requérante en annexe à la requête et dans un article de Shrestha et al. de 2019 [ci-après l’« article Shrestha et al. (2019) »] soumis par Concawe en annexe à son mémoire en intervention.

83      À cet égard, il est manifeste que l’étude Shrestha et al. (2016) vise la ligne directrice 308 de l’OCDE en général, et non l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308. Cette conclusion s’impose dès lors que cette dernière étude a été réalisée en 2018, soit deux ans après l’étude Shrestha et al. (2016).

84      Par ailleurs, à supposer même que les critiques formulées dans l’étude Shrestha et al. (2016) soient avérées, la requérante n’a fourni aucun élément concret indiquant de quelle manière et sur quels aspects les déficiences affectant prétendument la méthodologie préconisée dans la ligne directrice 308 de l’OCDE auraient vicié l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Ni Concawe lors de la consultation publique ni la requérante dans ses écritures n’ont, en effet, soutenu que l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE devait être disqualifiée d’emblée, parce qu’elle souffrirait des mêmes prétendus défauts que ceux de la ligne directrice 308 de l’OCDE. Au contraire, tant la requérante que Concawe se sont appuyées sur cette étude dans la mesure où elles estimaient qu’elle pourrait soutenir leurs propres conclusions.

85      Du reste, l’impossibilité de transposer telles quelles les conclusions de l’étude Shrestha et al. (2016) à l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE est d’autant plus grande que, ainsi que Concawe l’a indiqué dans ses écritures, cette dernière étude a adapté le dispositif conçu par la ligne directrice 308 de l’OCDE. Cette adaptation, qui selon Concawe est restée dans les limites autorisées par la ligne directrice 308 de l’OCDE, visait précisément à pallier les faiblesses supposées du dispositif standard utilisé dans le cadre de cette ligne directrice lorsqu’il s’agit d’évaluer des hydrocarbures.

86      Il ressort de l’ensemble de ces considérations que l’étude Shrestha et al. (2016) n’oblige pas, en soi, à remettre en cause la fiabilité de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, si bien que le choix de l’ECHA de ne pas écarter cette dernière étude, malgré les critiques formulées dans l’étude Shrestha et al. (2016), ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation.

87      Enfin, il ne peut être tenu compte du témoignage de l’expert-témoin, mentionné au point 82 ci-dessus, ni de l’article Shrestha et al. (2019), puisque tant ce témoignage que cet article sont postérieurs à l’adoption de la décision attaquée. L’ECHA ne pouvait donc pas les prendre en considération au moment de l’adoption de l’acte attaqué. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (voir arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 37 et jurisprudence citée).

88      En deuxième lieu, la requérante reproche au CEM d’avoir ignoré la seconde partie de l’étude Junker et al. (2016) portant sur l’essai WSST que Concawe avait transmise lors de la consultation publique. En effet, selon la requérante, les résultats de cette étude n’auraient pas été transmis au CEM.

89      À cet égard, il convient de relever que la République française a expressément répondu, dans le document RCOM, aux observations que Concawe avait formulées sur le fondement de la seconde partie de l’étude Junker et al. (2016) portant sur l’essai WSST, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par la requérante. Or, contrairement à ce qu’affirme cette dernière, il est manifeste que le document RCOM, contenant les observations de Concawe et les réponses de la République française, a été transmis au CEM, et que, partant, ce dernier en a eu connaissance.

90      Certes, comme le soutient la requérante, le document d’appui sur le phénanthrène n’évoque pas l’essai WSST ni la réponse formulée par la République française dans le document RCOM visé au point 10 ci-dessus. Toutefois, le procès-verbal de la réunion du CEM du 12 décembre 2018 indique expressément que les autorités belges et françaises ont notamment présenté, pendant cette réunion, un aperçu des observations reçues lors de la consultation publique et des réponses formulées dans le document RCOM. Par ailleurs, ce même procès-verbal mentionne tout aussi clairement que les nouvelles informations communiquées lors de la consultation publique ont été évaluées à l’aune du chapitre R.11, sur l’évaluation des propriétés PBT et vPvB, du guide de l’ECHA des exigences d’information et d’évaluation de la sécurité chimique, daté de juin 2017 (ci-après le « guide de l’ECHA »). Enfin, le procès-verbal précise que les membres du CEM ont endossé les conclusions des autorités belges et françaises et ont, à l’unanimité, considéré que le phénanthrène présentait les propriétés vPvB.

91      [confidentiel] (1)

92      Partant, il convient de constater que la seconde partie de l’étude Junker et al. (2016) portant sur l’essai WSST n’était pas inconnue des membres du CEM. C’est donc à tort que la requérante reproche au CEM de l’avoir « totalement ignoré[e] ». Quant à la question de savoir si l’ECHA a correctement évalué les données issues de cette étude, elle échappe à l’objet de la présente branche et elle sera examinée dans le cadre de la cinquième branche du premier moyen. En effet, la présente branche vise uniquement à apprécier la fiabilité de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Or, si ce n’est le constat d’un résultat divergent s’agissant de la durée de demi-vie du phénanthrène dans les sédiments, la requérante n’a avancé, dans le cadre de la présente branche, aucun argument, tiré de la seconde partie de l’étude Junker et al. (2016) portant sur l’essai WSST, pour remettre en cause la fiabilité de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

93      En troisième lieu, la requérante identifie quatre facteurs, à savoir l’absence d’agitation de l’eau de surface, l’absence d’air humide insufflé, l’ajout d’acétone et l’apparition d’un biofilm, qui auraient influé négativement sur les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. En effet, lors de l’expérience, ces quatre facteurs auraient conduit à un plus fort appauvrissement en oxygène, lequel aurait ralenti la biodégradation du phénanthrène et, partant, aurait induit, de manière artificielle, une augmentation de la persistance de cette substance. Or, le CEM n’aurait ni identifié ni évalué ces quatre facteurs susceptibles de remettre en cause la fiabilité de cette étude.

94      À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de noter qu’il n’est pas contesté entre les parties que le dispositif utilisé dans l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE a été adapté par rapport au dispositif standard utilisé dans le cadre cette ligne directrice. Il n’est pas non plus contesté que, même avec ces adaptations, le niveau de flux d’oxygène dans le dispositif utilisé a pu être inférieur à celui obtenu dans d’autres essais sur d’autres substances. Enfin, il est constant que la question d’un niveau de flux d’oxygène plus bas a été évoquée et traitée au stade de la consultation publique, comme il ressort de la page 13 du document RCOM.

95      Ensuite, il convient néanmoins de rappeler que l’objet de la présente branche consiste à vérifier si l’ECHA a tenu compte, au moment de l’adoption de la décision attaquée, des informations disponibles qui auraient remis en cause la fiabilité scientifique de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Dès lors, il convient de vérifier que les quatre facteurs mis en avant par la requérante avaient été communiqués à l’ECHA, ou étaient connus de cette agence, voire auraient dû l’être, avant l’adoption de la décision attaquée.

96      Premièrement, en réponse à une question écrite du Tribunal, la requérante et Concawe ont admis que le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE fourni lors de la consultation publique ne contenait aucune information spécifique quant à la prétendue absence d’agitation de l’eau de surface durant cette expérience. Toutefois, la requérante et Concawe ont indiqué que l’affiche de Concawe, telle que visée au point 9 ci-dessus, montrerait que les demi-vies du phénanthrène dans les sédiments seraient plus longues dans l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE que dans l’essai WSST. Cette différence s’expliquerait par le fait que l’essai WSST aurait été plus oxygéné en raison de l’agitation de l’eau de surface. Selon la requérante et Concawe, l’ECHA, en tant qu’agence spécialisée, aurait pu, voire dû, déduire ces conclusions à partir des informations contenues dans l’affiche de Concawe. En tout état de cause, ces deux parties considèrent que le fait que le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE ne contenait aucune information quant à l’agitation de l’eau de surface aurait dû conduire l’ECHA à recueillir davantage d’informations avant de tirer des conclusions sur la persistance du phénanthrène sur la base de cette étude.

97      À cet égard, il ressort de ces éléments que, lors de la soumission du résumé de cette étude dans le cadre de la consultation publique, aucune information, claire et certaine, n’avait été communiquée en ce qui concernait, d’une part, une éventuelle absence d’agitation de l’eau de surface lors de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE et, d’autre part, un impact certifié ou susceptible de certification d’une telle absence sur les conclusions de l’étude. Cette conclusion n’est pas infirmée par l’affiche de Concawe. En effet, cette affiche se limite à indiquer qu’il est « probable » qu’il y ait eu des niveaux d’oxygène différents entre l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE et l’essai WSST, notamment en raison du fait que l’eau de surface avait été agitée dans le cadre de ce dernier essai. Toutefois, cette mention n’indique pas expressément que, contrairement à l’essai WSST, l’eau de surface n’a pas été agitée durant l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. De plus, cette mention est formulée, non à titre de certitude, mais sous une forme hypothétique (« probable »). Partant, les réponses apportées par les parties ne permettent pas de savoir avec certitude si l’eau de surface a été, ou non, agitée durant l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. L’argument de la requérante tiré de l’absence d’agitation de l’eau de surface reste donc spéculatif.

98      Deuxièmement, en réponse à une question écrite du Tribunal, la requérante et Concawe ont affirmé que l’ECHA aurait pu déduire l’absence d’air humide insufflé, dès lors que l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE avait eu recours à un système biométrique fermé. Par ailleurs, la requérante et Concawe soulignent que cette dernière avait indiqué, dans ses observations déposées lors de la consultation publique, qu’il était « probable qu’il y ait eu une réduction d’oxygène en raison du manque d’air insufflé dans le système ». Une affirmation similaire apparaîtrait également dans l’affiche de Concawe.

99      À cet égard, il est certes vrai que Concawe a mentionné, dans ses commentaires déposés lors de la consultation publique et dans son affiche, que l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE souffrait d’un manque d’air insufflé, ce que l’ECHA a d’ailleurs confirmé lors de l’audience. Toutefois, la conséquence que la requérante et Concawe en tirent, à savoir une baisse corrélative du niveau d’oxygène, apparaît à nouveau spéculative. En effet, force est de constater que, sur ce point, les affirmations de Concawe ont été formulées, non à titre de certitude, mais sous une forme hypothétique, que ce soit dans ses commentaires déposés lors de la consultation publique (« [il était] probable qu’il y ait eu une réduction d’oxygène en raison du manque d’air insufflé dans le système ») ou dans son affiche (« [l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE] est susceptible d’être particulièrement anoxique en raison […] de l’absence d’air insufflé »).

100    Troisièmement, en réponse à une question écrite du Tribunal, la requérante et Concawe ont indiqué que cette dernière avait mentionné, dans le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, que de l’acétone avait été ajoutée et que ses effets potentiels sur l’activité microbienne avaient été contrôlés. Toutefois, la requérante reconnaît que les informations exactes relatives au contrôle des effets de l’acétone sur l’activité microbienne n’avaient pas été communiquées à l’ECHA. Cependant, cette agence aurait pu, selon la requérante et Concawe, déduire que la dégradation de l’acétone avait influencé les niveaux d’oxygène durant l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. En effet, une telle influence serait bien connue dans la communauté scientifique. De plus, la ligne directrice 308 de l’OCDE préciserait que l’utilisation de l’acétone ne peut emporter des effets indésirables sur l’activité microbienne du système. Enfin, la requérante et Concawe soulignent que l’affiche de Concawe indiquait que l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE était « probablement particulièrement anoxique en raison de l’utilisation de solvant ». À tout le moins, l’ECHA aurait dû, selon la requérante et Concawe, recueillir davantage d’informations avant de tirer des conclusions sur la persistance du phénanthrène sur la base de cette étude.

101    À cet égard, il est certes vrai que Concawe a mentionné, dans le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE déposé lors de la consultation publique et dans son affiche, que de l’acétone avait été ajoutée, ce que la République française a d’ailleurs reconnu en réponse à une question écrite du Tribunal. Toutefois, la conséquence que la requérante et Concawe en tirent, à savoir une baisse corrélative du niveau d’oxygène, est, elle aussi, spéculative. En effet, force est à nouveau de constater que, sur ce point, les affirmations de Concawe ont été formulées, non à titre de certitude, mais sous une forme hypothétique, que ce soit dans le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, qui mentionne « les potentiels effets du solvant sur l’activité microbienne », ou dans son affiche qui précise que « [l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE] est susceptible d’être particulièrement anoxique en raison de l’utilisation de solvant ». En tout état de cause, dès lors que ces potentiels effets ont été contrôlés, il était loisible à la requérante et à Concawe de soumettre le résultat de ces contrôles au Tribunal. Or, elles ne l’ont pas fait. Par ailleurs, aucune conclusion ne peut être tirée des paragraphes 35 et 37 de la ligne directrice 308 de l’OCDE auxquels se réfèrent la requérante et Concawe. Ces paragraphes se bornent à limiter la quantité de solvant pouvant être ajoutée durant un essai afin d’éviter des effets indésirables sur l’activité microbienne du système. Toutefois, ni la requérante ni Concawe n’ont indiqué si cette limite avait, ou non, été respectée et si des effets indésirables avaient été constatés en l’espèce. Enfin, quant à l’affirmation très générale qu’il serait bien connu, dans la communauté scientifique, que la dégradation de l’acétone a un impact sur les niveaux d’oxygène, il suffit de constater qu’aucune preuve, tels des articles scientifiques, n’a été soumise au Tribunal pour l’étayer. Ainsi, ni la requérante ni Concawe n’ont démontré qu’une dégradation de l’acétone ayant engendré une diminution du niveau d’oxygène durant l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE aurait dû être prise en compte par l’ECHA dans son évaluation.

102    Quatrièmement, en réponse à une question écrite du Tribunal, la requérante et Concawe ont reconnu que la formation d’un biofilm n’avait pas été mentionnée à l’ECHA avant l’adoption de la décision attaquée. Toutefois, la formation d’un tel biofilm serait la conséquence de l’existence des trois premiers facteurs examinés ci-dessus.

103    À cet égard, il suffit de constater que la requérante et Concawe n’ont pas démontré la formation d’un biofilm durant l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Du reste, il ne peut être présumé, sur la base des trois premiers facteurs examinés ci-dessus, qu’un tel biofilm se soit formé, puisque, comme il a été relevé aux points 97, 99 et 101 ci-dessus, il n’est pas prouvé, premièrement, que l’eau de surface n’ait pas été agitée, deuxièmement, que le manque d’air humide insufflé ait impliqué une diminution du niveau d’oxygène et, troisièmement, que la dégradation de l’acétone ait engendré des effets indésirables sur l’activité microbienne ou une baisse du niveau d’oxygène durant l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

104    Cinquièmement, il ressort des écritures de l’ensemble des parties ainsi que de leur réponse à une question écrite du Tribunal, qu’aucune donnée relative au niveau d’oxygène mesuré au cours de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE n’a été communiquée à l’ECHA avant l’adoption de la décision attaquée. Tout au plus, Concawe a indiqué, dans le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, que de l’oxygène pur avait été injecté pendant 20 secondes à chaque fois que la concentration en oxygène était descendue en dessous de 15 %. Ainsi, l’ECHA a été informée que le taux d’oxygène avait été corrigé en cas de chute drastique. Toutefois, aucune information soumise à l’ECHA, lors de la consultation publique, ou au Tribunal, dans le cadre de la présente procédure, ne précise quelle fut l’ampleur de ces chutes d’oxygène ni combien de fois il a fallu réinjecter de l’oxygène pur durant cette expérience. Au stade de la réplique, la requérante a, certes, affirmé que les mesures d’oxygène oscillaient entre 3,42 et 0,52 mg O2/L durant la réalisation de cette étude, mais cette affirmation n’est étayée par aucune source ni aucune preuve. La requérante n’a pas, non plus, indiqué à quel moment de l’expérience ces chiffres se rapportaient, alors que la ligne directrice 308 de l’OCDE exige de mesurer les niveaux d’oxygène au début, pendant et à la fin de l’expérience. Au surplus, le Tribunal constate que, malgré leurs écritures et leurs plaidoiries, les parties n’ont jamais indiqué quels avaient été les niveaux d’oxygène mesurés au début, pendant et à la fin de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. En revanche, le Tribunal doit constater que le sommaire – détaillé et fourni – de cette étude disponible au moment de l’évaluation par l’ECHA ne contient pas de réserve explicite ou spécifique s’agissant de la fiabilité de ses résultats.

105    Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, aucun des quatre facteurs qu’elle a mis en évidence n’a été identifié de façon suffisante pour être pris en compte lors de l’évaluation par l’ECHA ni ne démontre un appauvrissement du niveau d’oxygène durant toute la durée de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE de manière telle que ses résultats en auraient été altérés de façon décisive. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il ne peut donc être reproché à l’ECHA de n’avoir pas tenu compte de ces quatre facteurs et de leur éventuel impact sur le niveau d’oxygène. En effet le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE ne les mentionne ni en tant que tels ni en posant des réserves éventuelles sur la fiabilité des résultats présentés, si bien qu’aucun de ces quatre facteurs ne permet de remettre en cause la valeur scientifique de cette étude.

106    En quatrième lieu, même si les principaux arguments de la requérante et de Concawe ont été rejetés, il convient cependant de vérifier si, contrairement à ce qu’elles soutiennent, l’ECHA pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, se fonder uniquement sur le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, sans attendre la version définitive et complète de cette étude.

107    À cet égard, premièrement, il y a lieu de constater, tout d’abord, qu’aucune disposition du règlement no 1907/2006 n’exige qu’une décision d’identification d’une substance vP soit fondée sur plus d’une étude. Tout au plus, l’existence ou non de plusieurs études doit être prise en compte dans le cadre de l’évaluation de la substance en cause. Cela dit, il ne serait pas compatible avec les objectifs réglementaires de considérer qu’une décision d’identification ne pourrait pas être prise en présence de données concrètes et préoccupantes du seul fait que ces données se fondent sur une seule étude, en l’absence, au moment de la prise de décision, d’indications mettant en cause sa fiabilité.

108    Deuxièmement, l’annexe XIII impose uniquement de prendre en compte « toutes les informations pertinentes et disponibles ». Or, il ressort des considérations précédentes que les quatre facteurs évoqués par la requérante et Concawe n’étaient ni « pertinents » ni « disponibles » lors de l’examen de la persistance, ou non, du phénanthrène dans les sédiments. En effet, ces quatre facteurs n’avaient pas été portés à la connaissance de l’ECHA d’une façon permettant leur prise en considération. Seul le résumé de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE était « pertinent et disponible » au moment de la prise de décision. Or, ce résumé n’indiquait pas, de façon claire et univoque, que des doutes pouvaient exister sur la validité des résultats de cette étude.

109    Du reste, ni la requérante ni Concawe n’avaient exprimé de tels doutes quand elles s’étaient fondées sur cette étude pour tenter de démontrer l’absence de persistance du phénanthrène. Plus encore, au point 130 de la requête, la requérante affirme que cette étude a été « menée conformément à [la ligne directrice] 308 de l’OCDE ». Une mention similaire apparaît aussi à la première phrase du résumé de cette étude fournie par Concawe durant la consultation publique.

110    Troisièmement, il reste encore à déterminer si, comme le soutiennent la requérante et Concawe, l’ECHA était tenue, au regard des dispositions de l’annexe XIII, de recueillir davantage d’informations ou d’attendre les résultats définitifs de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE avant d’adopter la décision attaquée.

111    Sur ce point, il convient de rappeler, tout d’abord, que l’ensemble des dispositions du règlement no 1907/2006 reposent sur le principe de précaution (article 1er, paragraphe 3, dudit règlement).

112    Le règlement no 1907/2006 prévoit une architecture détaillée et nuancée s’agissant du traitement des substances chimiques pouvant exiger une surveillance, voire des restrictions d’utilisation, accrues. À cet égard, ce règlement prévoit un échelonnement de procédures qui vont de l’identification d’une préoccupation à l’autorisation, ou non, d’une utilisation et à la restriction d’utilisations. Chaque étape procédurale est assortie de conditions et d’obligations adaptées. Il convient de noter que l’identification d’une substance au titre de l’article 57 du règlement no 1907/2006 emporte, par suite, certaines obligations pour ses producteurs, pour ses fournisseurs et pour ses utilisateurs. Toutefois, elle ne représente qu’une première étape qui doit être suivie, de façon nécessaire, par d’autres étapes pour arriver à une autorisation ou à des restrictions.

113    Ensuite, il y a lieu de relever que, ainsi que le Tribunal l’a déjà jugé (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2019, PlasticsEurope/ECHA, T‑636/17, sous pourvoi, EU:T:2019:639, point 170), compte tenu de la nature dynamique et exploratoire de la recherche scientifique en général, il existera probablement toujours, au moment de la prise d’une décision par l’ECHA, une étude sur une substance examinée en vertu de l’article 57 du règlement no 1907/2006 selon la procédure visée à l’article 59 de ce règlement, qui est en cours ou sur le point d’être démarrée. De ce fait, une obligation pour l’ECHA d’attendre l’achèvement de toutes les études effectuées au sujet d’une certaine substance rendrait impossible l’identification de celle-ci comme extrêmement préoccupante, ce qui serait contraire à l’objectif d’un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement tel qu’il est inscrit à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006. Par ailleurs, il convient de souligner qu’aucune disposition de ce règlement n’interdit la prise en compte de résumés d’études ni n’exige que les décisions d’identification se fondent exclusivement sur des études définitives. En revanche, la fiabilité du résumé d’une étude et, partant, sa force probante doivent être évaluées lors de la procédure menant à l’adoption d’une décision d’identification. À cet égard, il convient notamment de vérifier si le résumé en cause présente des éléments suscitant des doutes par rapport à sa force probante. Dès lors que le résumé d’une étude présente – comme c’est le cas en l’espèce, tel que cela est relevé dans les considérations précédentes – des résultats concrets et préoccupants, sans formuler une réserve sur leur fiabilité, le simple fait qu’il ne s’agisse que d’un résumé d’une étude ne saurait, en soi, créer une telle réserve.

114    En outre, bien que le règlement no 1907/2006 ne prévoie pas de dispositions expresses concernant la possibilité de réexaminer l’inclusion d’une substance dans la liste des substances candidates au titre de l’article 59 du règlement no 1907/2006, il convient de rappeler que toute décision adoptée au titre de cette disposition peut, en règle générale, être réexaminée au regard de nouvelles informations disponibles sans qu’une disposition expresse soit nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2019, PlasticsEurope/ECHA, T‑636/17, sous pourvoi, EU:T:2019:639, point 165).

115    À cet égard, il convient de relever que l’article 58, paragraphe 8, du règlement no 1907/2006 prévoit que les substances incluses dans l’annexe XIV en sont retirées dès lors que, du fait de nouvelles informations, elles ne remplissent plus les critères visés à l’article 57 dudit règlement. Cette disposition présuppose ainsi que l’ECHA peut et, le cas échéant, doit procéder à un réexamen sur la base de nouvelles informations pertinentes. Étant donné que l’identification d’une substance au titre des articles 57 et 59 du règlement no 1907/2006 est effectuée en vue de son inclusion à terme dans l’annexe XIV, le droit et, le cas échéant, l’obligation de procéder à un réexamen sur la base de nouvelles informations s’appliquent a fortiori notamment pour la période entre, d’une part, l’identification d’une substance au titre de l’article 57 du règlement no 1907/2006 et son inclusion dans la liste des substances candidates et, d’autre part, l’inclusion ultérieure dans l’annexe XIV. Partant, toute nouvelle information suffisamment fiable, pertinente et décisive résultant d’une étude qui était encore en cours de réalisation au moment de l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante est donc susceptible d’être prise en compte, le cas échéant, même après l’identification prévue aux articles 57 et 58 du règlement no 1907/2006, et avant l’inclusion ultérieure de celle-ci dans l’annexe XIV.

116    À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de considérer que l’ECHA n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en se fondant exclusivement sur les informations transmises par Concawe durant la consultation publique, et ce, sans attendre le résultat définitif de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Le résumé des résultats de cette étude, présenté par Concawe, tels qu’ils ont été ajustés par l’équation d’Arrhenius, apparaît suffisamment plausible et convaincant d’un point de vue scientifique pour justifier, au nom du principe de précaution, l’identification d’une préoccupation extrême et partant l’adoption de la décision attaquée, sachant que cette identification pourrait être éventuellement adaptée par la suite si de nouveaux éléments démontraient, à suffisance, le caractère non persistant du phénanthrène.

117    Par conséquent, il convient de rejeter la troisième branche du premier moyen.

 Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas pris en considération les informations qui auraient remis en cause l’emploi d’un modèle de calcul pour ajuster les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE pour tenir compte de la température

118    Dans le cadre de la quatrième branche, la requérante, soutenue par Concawe, fait valoir que l’ECHA a commis plusieurs erreurs manifestes d’appréciation en recourant à l’équation d’Arrhenius pour ajuster les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

119    En premier lieu, l’utilisation de l’équation d’Arrhenius n’aurait pas été validée pour les hydrocarbures. Or, la section 1.3 de l’annexe XI du règlement no 1907/2006 (ci-après l’« annexe XI ») interdirait d’utiliser une méthode de calcul, plus précisément un modèle R(Q)SA, si la substance en cause ne relève pas du domaine d’applicabilité de ce modèle R(Q)SA.

120    En deuxième lieu, le chapitre R.7b du guide de l’ECHA relatif aux informations spécifiques aux effets indiquerait que l’utilisation de l’équation d’Arrhenius susciterait des incertitudes potentielles au motif qu’elle aurait été conçue pour des réactions chimiques simples et que l’énergie d’activation spécifique d’une substance serait souvent méconnue. L’application de l’équation d’Arrhenius à l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE rendrait donc la correction de température, réalisée par l’ECHA, incertaine.

121    En troisième lieu, le guide de l’ECHA préciserait que l’équation d’Arrhenius ne pourrait être utilisée que si la demi-vie mesurée, avant correction de la température, est proche du critère de persistance. Or, cela ne serait pas le cas en l’espèce.

122    En quatrième lieu, selon la requérante et Concawe, l’affiche de cette dernière, présentée lors de la consultation publique, reprend neuf études, révisées par des pairs, qui démontreraient qu’une température variant de 5 °C à 22 °C n’aurait aucune incidence sur le taux de dégradation du phénanthrène. Partant, l’utilisation de l’équation d’Arrhenius pour ajuster les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE serait inappropriée et aurait conduit à surestimer la demi-vie du phénanthrène à basse température. Cette conclusion serait d’ailleurs confirmée par cinq études, à savoir Ratkowski e.a. (1982), Ratkowski e.a. (1983), Rivkin e.a. (1996), Kirchmann e.a. (2005) et Lewis et Prince (2018), qui démontreraient que l’équation d’Arrhenius ne serait pas adaptée pour les hydrocarbures.

123    L’ECHA, soutenue par la République française, conclut au rejet de la quatrième branche du premier moyen.

124    À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi que cela a été relevé au point 13 ci-dessus, l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE avait conclu, avant que ses résultats ne soient ajustés par l’ECHA, que, à une température de 20 °C, la demi-vie de dégradation du phénanthrène était comprise entre 114 et 130 jours, pour la première catégorie de sédiments, et entre 116 et 150 jours, pour la seconde catégorie de sédiments. En d’autres termes, ces résultats n’indiquaient pas que le phénanthrène était très persistant dans les sédiments. Toutefois, par l’application de l’équation d’Arrhenius à cette étude et, en conséquence, par l’extrapolation desdits résultats à une température de 12 °C, l’ECHA a déterminé une demi-vie de dégradation du phénanthrène bien plus importante, à savoir entre 216 à 247 jours dans la première catégorie de sédiments et entre 220 à 285 jours dans la seconde catégorie de sédiments. Ces résultats normalisés attestaient donc d’un dépassement du seuil des 180 jours fixé par la section 1.2.1, sous b), de l’annexe XIII s’agissant du caractère vP dans les sédiments et, partant, ont permis à l’ECHA de conclure au caractère vP du phénanthrène dans ce compartiment environnemental.

125    La présente branche vise donc à déterminer si l’ECHA pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, ajuster les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE en leur appliquant l’équation d’Arrhenius.

126    À cet égard, en premier lieu, il convient de rejeter la thèse selon laquelle l’équation d’Arrhenius n’aurait été développée et validée que pour les produits phytopharmaceutiques et serait inappropriée pour les hydrocarbures tel le phénanthrène.

127    Tout d’abord, il est manifeste que le chapitre R.7b du guide de l’ECHA ne limite pas l’utilisation de l’équation d’Arrhenius à un seul type spécifique de substance. Ensuite, ce chapitre prévoit, sans aucune limitation quant au type de substance en cause, que si une étude est réalisée conformément à la ligne directrice 308 de l’OCDE à une température supérieure à 12 °C, qui est la température moyenne en Europe, cette étude « devrait être normalisée » en utilisant l’équation d’Arrhenius. Enfin, ce chapitre précise que, « dans tous les cas », les résultats cinétiques tels que les taux de dégradation et les demi-vies de dégradation « devraient correspondre » à une température pertinente pour l’environnement, c’est-à-dire, par défaut, à 12 °C. Rien n’indique donc qu’une étude portant sur la biodégradation du phénanthrène dans les sédiments ne puisse pas être ajustée sur le fondement de l’équation d’Arrhenius. Au contraire, le chapitre R.7b du guide de l’ECHA envisage expressément l’application de cette équation à des études qui ont été réalisées, comme en l’espèce, conformément à la ligne directrice 308 de l’OCDE et à une température supérieure à 12 °C.

128    Par conséquent, il convient de rejeter l’argument de la requérante tiré de la section 1.3 de l’annexe XI qui interdirait d’utiliser une méthode de calcul, plus précisément un modèle R(Q)SA, si la substance en cause ne relève pas du domaine d’applicabilité de ce modèle R(Q)SA. En effet, à considérer même que l’équation d’Arrhenius puisse être assimilée à un modèle R(Q)SA, ce que conteste l’ECHA, il ressort, en tout état de cause, des considérations qui précèdent, que le phénanthrène entre dans le domaine d’applicabilité de cette équation, dès lors que le chapitre R.7b du guide de l’ECHA ne la réserve à aucune substance spécifique.

129    Il convient encore de relever que le chapitre R.7b du guide de l’ECHA prévoit la possibilité de recourir à l’équation d’Arrhenius en l’absence d’équations ou de modèles structurels spécifiques à une classe de substances reflétant la dépendance de la biodégradation à la température. Or, ni la requérante ni Concawe n’ont présenté de tels équations ou modèles structurels spécifiques au phénanthrène qui auraient ainsi pu écarter l’application de l’équation d’Arrhenius.

130    En deuxième lieu, la requérante rappelle que le chapitre R.7b du guide de l’ECHA indique que l’utilisation de l’équation d’Arrhenius suscite des incertitudes potentielles au motif qu’elle aurait été conçue pour des réactions chimiques simples et que l’énergie d’activation spécifique d’une substance, laquelle constitue l’un des paramètres de cette équation, serait souvent méconnue. Or, le phénanthrène posséderait de nombreuses voies de dégradation possibles et son énergie d’activation spécifique serait inconnue. L’application de l’équation d’Arrhenius à une étude fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE rendrait donc la correction de température, réalisée par l’ECHA, incertaine.

131    Cet argument doit être écarté. D’une part, le fait que l’énergie d’activation spécifique du phénanthrène soit inconnue n’emporte pas l’inapplicabilité de l’équation d’Arrhenius ni ne remet en cause la validité de ses résultats. Comme l’indique expressément le chapitre R.7b du guide de l’ECHA, il est rare que l’énergie d’activation spécifique d’une substance soit connue. Or, ce chapitre précise que, dans une telle situation, une valeur par défaut de 65,4 kJ/mol est utilisée.

132    D’autre part, il est certes vrai que le chapitre R.7b du guide de l’ECHA précise que l’équation d’Arrhenius a été conçue davantage pour des réactions chimiques simples que pour des processus biologiques. Toutefois, cette précision ne signifie pas que l’application de l’équation d’Arrhenius serait exclue en ce qui concerne des processus biologiques, ni que l’application de cette équation à de tels processus conduirait nécessairement à des résultats invalides. En outre, et comme cela est indiqué au point 127 ci-dessus, le chapitre R.7b du guide de l’ECHA ne réserve pas l’utilisation de l’équation d’Arrhenius à un seul type spécifique de substance.

133    En troisième lieu, la requérante soutient que le guide de l’ECHA n’impose de recourir à l’équation d’Arrhenius que si la demi-vie mesurée, avant ajustement, est proche du critère de la persistance. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce, dès lors que l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE avait conclu, avant ajustement, à une demi-vie du phénanthrène dans les sédiments de 116 jours, ce qui serait très éloigné du seuil des 180 jours. De plus, le guide de l’ECHA n’admettrait que de « légères corrections » des demi-vies mesurées dans le cadre d’études réalisées à 20 °C. Or, en appliquant l’équation d’Arrhenius, l’ECHA aurait presque doublé la demi-vie du phénanthrène mesurée dans l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

134    Cet argument repose sur une lecture erronée du guide de l’ECHA. Il est vrai que le chapitre R.7b du guide de l’ECHA prévoit qu’il est « particulièrement important » de recourir à l’équation d’Arrhenius si les résultats d’une étude réalisée à 20 °C sont proches du critère de la persistance, à savoir une demi-vie de dégradation supérieure à 120 jours. Cependant, ce guide ne prévoit pas que lesdits résultats doivent être proches du caractère vP, à savoir une demi-vie de dégradation supérieure à 180 jours. Or, le Tribunal considère qu’une demi-vie de 116 jours n’est pas particulièrement éloignée d’une demi-vie de 120 jours. De plus, ce chapitre n’indique nulle part, et la requérante n’a fourni aucune référence précise à cet égard, que seules de « légères corrections » seraient admissibles.

135    En quatrième lieu, la requérante soutient que l’application, en l’espèce, de l’équation d’Arrhenius a conduit à surestimer la demi-vie du phénanthrène à basse température. Ce résultat s’écarterait fortement de ceux issus des neuf études citées dans l’affiche de Concawe, telle qu’elle a été soumise lors de la consultation publique. Pour la requérante, cet écart entre les résultats ne s’expliquerait que par l’inadéquation de l’équation d’Arrhenius au phénanthrène.

136    À titre liminaire, le Tribunal relève que la position de la requérante manque de clarté et de constance à cet égard. Dans la requête, la requérante écarte toute influence de la température sur le taux de dégradation du phénanthrène. En effet, elle affirme, en se fondant sur les neuf études de l’affiche de Concawe, qu’« une température variant de 5 °C à 22 °C n’[a] pas d’incidence sur le taux de dégradation du phénanthrène », que « la demi-vie du phénanthrène ne dépen[d] pas de la température » et que « ces données ne font ressortir aucun lien entre la demi-vie de dégradation et la température ». Toutefois, au stade de la réplique, la requérante conteste avoir soutenu que « le taux de dégradation du phénanthrène [était] totalement insensible à la température ». En tout état de cause, toujours au stade de la réplique, la requérante recentre son argumentaire sur la question de savoir si l’équation d’Arrhenius permet, ou non, de définir avec précision la dégradation du phénanthrène à différentes températures.

137    En substance, la requérante soutient donc que la divergence de résultats, constatée à différentes températures entre les neuf études reprises dans l’affiche de Concawe et les « prédictions » de l’équation d’Arrhenius, s’expliquerait uniquement par l’inadéquation de cette équation en ce qui concerne le phénanthrène.

138    À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de relever que toutes les parties s’accordent, dans leurs réponses aux questions écrites du Tribunal, sur le fait que le taux de biodégradation des hydrocarbures est dépendant d’une multitude de facteurs. Sur ce point, Concawe cite notamment la présence de lumière, d’oxygène et celle d’autres nutriments. En revanche, dans ces mêmes réponses, les parties divergent sur l’ampleur de l’influence de la température.

139    Ensuite, l’ECHA a indiqué, dans le document d’appui sur le phénanthrène qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’informations sur les conditions d’essai dans lesquelles avaient été réalisées les neuf études mentionnées dans l’affiche de Concawe. De plus, dans ses écritures devant le Tribunal, l’ECHA a précisé qu’elle ne pouvait pas prendre en compte ces études, dans la mesure où plusieurs paramètres, et pas uniquement la température, avaient été modifiés. En d’autres termes, dès lors que la température n’était pas le seul paramètre à avoir été changé, il était impossible pour l’ECHA de comparer les taux de biodégradation obtenus dans ces études.

140    Ces réserves d’ordre méthodologique de l’ECHA n’ont pas été contestées par la requérante. Tout au plus, au point 93 de la réplique, la requérante se borne à affirmer que les différences dans les paramètres d’essai, dont elle ne nie pas l’existence, n’expliquent pas l’écart entre les résultats.

141    Dans ces conditions, aucune conclusion ne peut être tirée des neuf études mentionnées dans l’affiche de Concawe, puisque le paramètre de la température ne peut y être isolé. En effet, ce paramètre ne constitue pas l’unique variable qui aurait permis de confronter les résultats. D’autres facteurs sont susceptibles d’avoir exercé une influence sur ces résultats. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne peut être déduit que l’écart entre les résultats, visé ci-dessus, ne s’expliquerait que par une prétendue inadéquation de l’équation d’Arrhenius au phénanthrène.

142    Enfin, il convient d’écarter les cinq études visées au point 122 ci-dessus. Ni la requérante ni Concawe n’ont démontré, dans leurs réponses aux questions écrites du Tribunal, que les études Ratkowski e.a. (1982), Ratkowski e.a. (1983), Rivkin e.a. (1996) et Kirchmann e.a. (2005) concernaient spécifiquement les hydrocarbures ou le phénanthrène. En revanche, l’étude Lewis et Prince (2018), en particulier la section 5 de cette étude, intitulée « Oil and Dispersant Degradation under Arctic Conditions » (dégradation des hydrocarbures et des dispersants dans des conditions arctiques), qui est la seule section à laquelle renvoient la requérante et Concawe, traite de la dégradation des hydrocarbures. Toutefois, d’une part, cette section ne mentionne le phénanthrène qu’une seule fois pour préciser quelle est sa solubilité maximale dans l’eau de mer (p. 6103). D’autre part, la section 5 n’analyse pas la dégradation des hydrocarbures dans les sédiments. En effet, en guise de conclusion et après avoir décrit la dégradation de ces substances dans la colonne d’eau, les auteurs se limitent simplement à indiquer que l’« on peut s’attendre à ce que la biodégradation continue dans les sédiments » (p. 6104). Une telle indication ne procède d’aucune démonstration scientifique et n’a qu’un caractère hypothétique. L’étude Lewis et Prince (2018) est donc sans pertinence pour valider ou invalider le recours à l’équation d’Arrhenius en l’espèce.

143    Par ailleurs, eu égard à la jurisprudence citée au point 87 ci-dessus, il ne peut pas, non plus, être tenu compte des études Sjøholm e.a. (2019) et Sjøholm e.a. (2020), transmises par la République française en annexe à ses réponses écrites, dès lors que ces études n’existaient pas, et n’étaient donc pas disponibles, lors de l’adoption de la décision attaquée.

144    Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas démontré que l’ECHA avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ajustant, par application de l’équation d’Arrhenius, les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

145    Par conséquent, il convient de rejeter la quatrième branche du premier moyen.

 Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas évalué les nouvelles données sur la persistance du phénanthrène qui lui auraient été communiquées lors de la consultation publique

146    Dans le cadre de la cinquième branche, en premier lieu, la requérante, soutenue par Concawe, fait valoir que l’ECHA n’a pas évalué à sa juste valeur le résultat positif de l’essai de biodégradabilité facile, réalisé conformément à la ligne directrice 301 C de l’OCDE, tel qu’il est rapporté dans l’étude Junker et al. (2016). Or, ce résultat constituerait une preuve certaine que le phénanthrène est facilement biodégradable et que, par conséquent, il n’est pas persistant dans les sédiments. En outre, le chapitre R.7b du guide de l’ECHA préciserait qu’un tel résultat positif implique de supposer que la substance en cause se dégrade de manière rapide et définitive dans la plupart des conditions environnementales. Par ailleurs, au regard des annexes VII et IX du règlement no 1907/2006 et des chapitres R.7b et R.11 du guide de l’ECHA, il ne serait pas requis de procéder à un essai de simulation dans les sédiments s’il est démontré que la substance concernée est facilement biodégradable. Toutefois, le CEM n’aurait pas tiré de conclusion du résultat positif de l’essai de biodégradabilité facile, rapporté dans l’étude Junker et al. (2016), et se serait limité, dans son évaluation, à affirmer que le phénanthrène pouvait se biodégrader dans l’eau.

147    De même, ce serait à tort que l’ECHA se serait limitée à constater l’incohérence entre les résultats des études CITI (1992) et INERIS (2010) et ceux de l’étude Junker et al. (2016). Le chapitre R.7b du guide de l’ECHA exigerait en effet que, dans un tel cas de figure, l’existence de différences éventuelles dans la conception et dans les conditions de l’essai soit recherchée. Or, l’ECHA n’aurait pas procédé à cette comparaison. De plus, l’étude INERIS (2010) ne révélerait aucune biodégradabilité facile, contrairement à l’étude Junker et al. (2016). Enfin, et même si tous les paramètres méthodologiques n’étaient pas connus, les études CITI (1992) et INERIS (2010) auraient pu conduire à de faux résultats négatifs. En tout état de cause, il ressortirait tant du chapitre R.7b du guide de l’ECHA que de la ligne directrice 301 C de l’OCDE que les résultats positifs d’un essai de biodégradabilité facile se substituent aux résultats négatifs.

148    En second lieu, la requérante reproche au CEM d’avoir totalement ignoré la deuxième partie de l’étude Junker et al. (2016) décrivant l’essai WSST, lequel indiquerait que le phénanthrène a une demi-vie de dégradation de 25,3 jours. De plus, la République française et l’ECHA auraient mal compris l’objectif de l’étude basée sur l’essai WSST et l’auraient confondue avec l’autre essai, relatif à la biodégradabilité facile, cité dans l’étude Junker et al. (2016), réalisé conformément à la ligne directrice 301 C de l’OCDE. Par ailleurs, l’essai WSST aurait été spécialement conçu pour évaluer la persistance des produits chimiques dans les sédiments. Ainsi, le fait qu’il ne soit pas un test recommandé ne justifierait pas qu’il n’en soit pas tenu compte sans procéder à la moindre évaluation. En tout état de cause, bien que l’essai WSST ne soit pas un essai de biodégradabilité facile, il permettrait néanmoins d’observer une dégradation plus rapide du phénanthrène que celle mentionnée dans les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

149    L’ECHA conclut au rejet de la cinquième branche du premier moyen. La République française ne développe aucune argumentation spécifique concernant la cinquième branche, mais elle affirme que le choix du CEM d’accorder une force probante significative aux résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE serait conforme tant à l’objectif poursuivi par le règlement no 1907/2006 qu’aux recommandations du chapitre R.7b du guide de l’ECHA.

150    À titre liminaire, il convient de rappeler que le troisième alinéa du préambule de l’annexe XIII dispose ce qui suit :

« La détermination par force probante des données signifie que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification d’une substance [persistante, bioaccumulable et toxique (ci-après les « substances PBT »)] ou vPvB sont prises en considération conjointement […] Quelles que soient leurs conclusions respectives, les résultats disponibles sont rassemblés et l’ensemble est pris en considération pour déterminer la force probante des données ».

151    Il convient également de rappeler que le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII dispose ce qui suit :

« Une détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts est appliquée pour l’identification des substances PBT et vPvB, en comparant toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 aux critères fixés à la section 1. Cette détermination est notamment appliquée lorsque les critères de la section 1 ne peuvent être appliqués directement aux informations disponibles ».

152    Ainsi, premièrement, il ressort du préambule de l’annexe XIII que le législateur de l’Union a entendu que soient pris en compte, lors de la détermination par force probante, l’ensemble des informations pertinentes et disponibles, tout en accordant une importance spécifique aux informations relatives à l’évaluation des propriétés P, vP, B, vB et T visées à la section 3.2 de cette même annexe.

153    À cet égard, s’agissant en particulier de l’évaluation du caractère vP des substances dans les sédiments, la section 3.2.1, sous c), de l’annexe XIII prévoit que les informations à prendre en compte sont les « résultats des essais de simulation relatifs à la dégradation dans les sédiments ».

154    Toutefois, la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII permet aussi de prendre en compte, aux mêmes fins, d’« autres informations, telles que les informations provenant d’études sur le terrain ou d’études de surveillance, pour autant que leur caractère approprié et leur fiabilité puissent être démontrés ».

155    Deuxièmement, il ressort également du préambule de l’annexe XIII que les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 doivent être comparées aux critères fixés à la section 1.

156    À cet égard, la section 1.2.1, sous b), de l’annexe XIII prévoit qu’« [u]ne substance est considérée comme très persistante (vP) […] lorsque la demi-vie de dégradation dans des sédiments d’eau de mer, d’eau douce ou estuarienne est supérieure à 180 jours ».

157    C’est à l’aune de ces éléments qu’il convient de vérifier si, comme la requérante et Concawe le soutiennent en substance, l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en accordant un poids prépondérant à l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE par rapport aux deux essais cités dans l’étude Junker et al. (2016).

158    Sur ce point, il est constant entre les parties que l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE constitue un essai de simulation eau-sédiment. Tout au plus, la requérante et Concawe remettent en cause la validité scientifique de cette étude, mais elles n’en contestent pas la nature.

159    Or, ainsi qu’il est rappelé aux points 152 et 153 ci-dessus, le législateur de l’Union a voulu, s’agissant de l’identification de substances très persistantes dans les sédiments, accorder une importance spécifique aux résultats des essais de simulation.

160    Par ailleurs, les informations issues de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, telle qu’elle a été ajustée par l’application de l’équation d’Arrhenius, indiquent une persistance du phénanthrène dans les sédiments qui est largement supérieure au seuil de 180 jours fixé par la section 1.2.1 de l’annexe XIII, à savoir une demi-vie comprise entre 216 et 319 jours.

161    Dans ces circonstances, l’ECHA n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en accordant une force probante significative aux résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Cette conclusion s’impose d’autant plus que la requérante et Concawe n’ont pas réussi à démontrer, dans le cadre des troisième et quatrième branches du premier moyen, que les résultats de cette étude étaient erronés ou que l’équation d’Arrhenius était inadaptée pour les hydrocarbures.

162    Cette conclusion n’est pas infirmée par les autres arguments de la requérante et de Concawe.

163    En premier lieu, le Tribunal relève que la requérante ne conteste pas que l’essai de biodégradabilité facile, tel qu’il est cité dans la première partie de l’étude Junker et al. (2016), a été pris en compte par l’ECHA. Quant à l’argument de la requérante selon lequel le CEM aurait totalement ignoré l’essai WSST, il convient de rappeler qu’il a été rejeté aux points 88 à 92 ci-dessus. Cet essai a, en effet, été examiné par la République française dans le document RCOM et discuté lors de la réunion du CEM. En substance, l’ECHA a donc pris en considération ces deux essais, mais elle a estimé que l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE disposait d’une force probante plus importante.

164    À titre surabondant, le Tribunal ne saisit pas la portée de l’argumentation développée par la requérante au sujet de l’essai WSST. En substance, la requérante se limite à reprocher à la République française d’avoir confondu l’essai WSST avec l’essai de biodégradabilité facile, tel qu’il est cité dans la première partie de l’étude Junker et al. (2016). En effet, ce serait à tort que la République française aurait considéré que l’essai WSST était un essai de biodégradabilité facile. Sur ce point, il suffit de constater que, dans ses observations lors de la consultation publique, Concawe a précisé que l’essai WSST avait été développé « sur la base de la [ligne directrice] 301 C ». Or, la ligne directrice 301 de l’OCDE précise qu’elle décrit six lignes directrices, dont la ligne directrice 301 C, qui permettent le classement des produits chimiques en fonction de leur « biodégradabilité facile en milieu aqueux aérobie ». Par ailleurs, la requérante n’a pas soutenu que le résultat principal de l’essai WSST, tel qu’il est décrit par Concawe dans ses observations lors de la consultation publique, à savoir la détermination d’un taux de minéralisation du phénanthrène de 51,3 % sur 28 jours, avait été mal rapporté par la République française dans le document RCOM. Au demeurant, tel n’est pas le cas. Dans ces conditions, le Tribunal ne comprend pas en quoi l’argumentation de la requérante permettrait de considérer que l’ECHA a mal évalué l’essai WSST au regard des critères fixés par l’annexe XIII.

165    En deuxième lieu, l’ECHA n’a pas manqué à son obligation de procéder à une évaluation conforme au titre de l’annexe XIII en écartant le résultat positif de l’essai de biodégradabilité facile, tel qu’il est rapporté dans la première partie de l’étude Junker et al. (2016).

166    Premièrement, contrairement à l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, les résultats des essais de biodégradabilité facile constituent, par nature, non des « informations pour l’évaluation » du caractère vP, au sens de la section 3.2 de l’annexe XIII, mais des « données de détection » de cette propriété, au sens de la section 3.1 de cette même annexe. Le Tribunal note ainsi que la section 3.1.1 vise explicitement les « résultats des essais de biodégradabilité facile ». Or, d’une part, comme cela est indiqué aux points 152 et 153 ci-dessus, le préambule de l’annexe XIII accorde une importance spécifique aux informations visées à la section 3.2. D’autre part, la lettre même de la section 3.1 précise que les données de détection « peuvent être prises en considération » dans les dossiers visant à identifier les substances vP mentionnées à l’article 57, sous e), du règlement no 1907/2006. À l’inverse, le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII (« en comparant toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 aux critères fixés à la section 1 ») et la section 3.2 de cette annexe (« [l]es informations ci-après sont examinées ») exigent, par l’usage du mode impératif, que les informations pour l’évaluation, telle l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, soient examinées dans le cadre d’une approche fondée sur la force probante.

167    Deuxièmement, il est certes vrai, ainsi que la requérante le souligne, que la figure R.11-3, incluse dans le guide de l’ECHA, semble préciser, à première vue, que le résultat positif d’un essai de biodégradabilité facile implique l’absence de persistance de la substance concernée. Toutefois, dans le commentaire de cette figure (chapitre R.11, p. 42), l’ECHA affirme que, en présence d’un tel résultat positif, il n’y a pas de raison de recourir à d’autres tests de biodégradation, car ce résultat impliquerait « généralement » que la substance n’est ni persistante ni très persistante. Or, l’emploi de l’adverbe « généralement » signifie qu’il pourrait exister, même rarement, des situations dans lesquelles le résultat positif d’un essai de biodégradabilité facile n’exclurait pas le caractère persistant, voire très persistant, de la substance concernée.

168    Dans le même sens, le chapitre R.7b du guide de l’ECHA prévoit qu’aucune autre recherche sur la biodégradabilité de la substance n’est « normalement » requise en cas de résultat positif. Toutefois, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 167 ci-dessus, l’usage de cet adverbe n’exclut pas que, dans certains cas, le résultat positif d’un essai de biodégradabilité facile puisse, malgré tout, nécessiter la réalisation d’autres études. De plus, et en tout état de cause, force est de constater que la causalité entre un tel résultat positif et l’absence de persistance n’est que « supposée » (« it may be assumed ») à la page 208 du chapitre R.7b du guide de l’ECHA.

169    Enfin, à considérer même que la figure R.11-3 et le chapitre R.7b doivent être lus dans le sens que le résultat positif d’un essai de biodégradabilité facile implique automatiquement l’absence de persistance de la substance concernée, une telle interprétation du guide de l’ECHA serait incompatible avec la volonté exprimée par le législateur de l’Union dans le contexte de l’appréciation de la force probante organisée par l’annexe XIII. En effet, la grille de lecture prônée par la requérante reviendrait à une présomption légale et irréfutable d’absence de propriété P ou vP en cas de biodégradation facile. Or, la lecture combinée des textes applicables n’autorise pas une telle interprétation qui conduirait, le cas échéant, à une obligation d’ignorer des preuves scientifiques allant dans un sens contraire. S’il est vrai que les textes n’obligent pas l’ECHA à aller plus loin en cas de constatation de biodégradation facile, ils doivent être interprétés, à tout le moins, dans le sens d’une présomption réversible, qui est la seule interprétation conciliable avec les objectifs énoncés à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006, et notamment le principe de précaution.

170    Or, précisément, les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE indiquent, quant à eux, que la demi-vie de dégradation du phénanthrène est largement supérieure au seuil de 180 jours fixé par la section 1.2.1 de l’annexe XIII.

171    En troisième lieu, contrairement à ce qu’affirme la requérante, soutenue par Concawe, l’ECHA n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en n’examinant pas les raisons de la discordance des résultats entre, d’une part, l’étude Junker et al. (2016) et, d’autre part, les études CITI (1992) et INERIS (2010). De même, le fait que l’ECHA n’ait pas fait prévaloir les résultats positifs de l’étude Junker et al. (2016) sur les résultats négatifs des études CITI (1992) et INERIS (2010) n’est pas non plus de nature à invalider sa conclusion. En effet, il suffit de constater que l’ECHA a adopté la décision attaquée, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation scientifique, non sur la base des études CITI (1992) et INERIS (2010), mais sur le fondement de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Or, comme cela est indiqué ci-dessus, l’ECHA a, conformément à l’annexe XIII et sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation à cet égard, accordé un poids plus significatif à cette dernière étude dans l’évaluation du caractère vP du phénanthrène dans les sédiments.

172    En quatrième lieu, l’argument tiré de la prétendue hiérarchie entre les essais de persistance d’une substance qui serait organisée par les annexes VII et IX du règlement no 1907/2006 n’emporte pas, non plus, la conviction. À cet égard, il suffit de constater que ces annexes ne dérogent tout simplement pas à l’annexe XIII. En effet, ces deux annexes se limitent à prescrire des exigences en matière d’informations standard pour les substances fabriquées ou importées en quantités égales ou supérieures à, respectivement, une ou 100 tonnes.

173    Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas démontré que l’ECHA avait commis une erreur manifeste d’appréciation en accordant un poids prépondérant aux résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

174    Par conséquent, il convient de rejeter la cinquième branche du premier moyen.

 Sur la sixième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas examiné toutes les informations pertinentes dans la détermination par la force probante des propriétés persistantes du phénanthrène, concernant en particulier la photodégradation, la dissolution et la volatilisation

175    Dans le cadre de la sixième branche, la requérante, soutenue par Concawe, fait valoir, en substance, que l’ECHA n’a pas correctement examiné, dans son évaluation de la persistance du phénanthrène fondée sur la force probante au titre de l’annexe XIII, les informations, transmises par Concawe durant la consultation publique, relatives à la photodégradation, à la dissolution et à la volatilisation de cette substance. Selon la requérante et Concawe, le phénanthrène subit des échanges constants entre, d’une part, les sédiments et, d’autre part, la colonne d’eau et l’air. En raison de sa solubilité, le phénanthrène serait rapidement éliminé sous l’effet de la biodégradation dans toute la colonne d’eau et de la photodégradation dans les eaux de surface. De plus, en raison de sa volatilité, le phénanthrène serait éliminé de la colonne d’eau vers l’atmosphère par évaporation des eaux de surface, où il se dégraderait rapidement sous l’effet de la lumière. Ainsi, les vitesses de photodégradation du phénanthrène, telles qu’elles sont mesurées en laboratoire, correspondraient à des demi-vies de l’ordre de quelques minutes. Ces processus auraient pour effet de transférer de façon continue le phénanthrène des sédiments vers la colonne d’eau et, ensuite, vers l’air, dans un système dynamique, si bien qu’il ne serait pas persistant dans les sédiments. Or, le CEM aurait estimé que le rôle de la photodégradation, de la dissolution et de la volatilisation du phénanthrène n’était pas pertinent, en présumant, à tort, que la présence de cette substance dans les sédiments était un processus statique, alors qu’il s’agirait d’un processus dynamique.

176    L’ECHA conclut au rejet de la sixième branche du premier moyen. La République française ne développe aucune argumentation spécifique concernant la sixième branche, mais elle affirme, de manière globale, que l’ECHA a respecté les prescriptions de l’annexe XIII en prenant en considération toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification du phénanthrène comme substance très persistante.

177    À cet égard, il convient de rappeler que, comme il est mentionné au point 154 ci-dessus, la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII permet de prendre en compte, aux fins de l’évaluation du caractère persistant ou vP d’une substance, d’« autres informations, telles que les informations provenant d’études sur le terrain ou d’études de surveillance, pour autant que leur caractère approprié et leur fiabilité puissent être démontrés ».

178    Pour apprécier le bien-fondé de l’argumentation développée dans cette sixième branche, il convient de vérifier, dans un premier temps, si les informations relatives à la photodégradation, à la dissolution et à la volatilisation du phénanthrène constituent, ou non, des informations fiables et appropriées, au sens de la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII. En cas de réponse positive, le Tribunal examinera, dans un second temps, si l’ECHA a tenu compte de ces informations, conjointement à l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, dans son évaluation fondée sur la force probante.

179    Sur ce point, l’ECHA considère que la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII a uniquement pour objet des informations relatives à la « dégradation » d’une substance. Partant, le champ d’application matériel de cette disposition exclurait d’autres informations ayant trait notamment à la dissipation, au fractionnement ou au transfert, d’un compartiment environnemental à un autre, d’une substance.

180    À cet égard, il est, certes, vrai que, à la différence de la section 3.2.1, sous a) à c), de l’annexe XIII, la section 3.2.1, sous d), de cette annexe ne précise pas explicitement que les informations qui y sont visées doivent avoir pour objet la « dégradation » d’une substance. En effet, ce point se limite à évoquer d’« autres informations […] pour autant que leur caractère approprié et leur fiabilité puissent être démontrés ».

181    Toutefois, l’interprétation de la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII doit se fonder sur une approche systémique et, partant, elle ne peut faire abstraction de la section 3.2.1, sous a) à c), de l’annexe XIII ni de la section 1.2.1 de cette même annexe.

182    D’une part, la section 3.2.1, sous a) à c), de l’annexe XIII concerne expressément les résultats d’essais de simulation relatifs à la « dégradation » d’une substance dans trois compartiments environnementaux, à savoir, respectivement, les eaux superficielles, les sols et les sédiments. Dans ces trois cas, l’évaluation du caractère persistant ou vP d’une substance prend donc appui exclusivement sur la « dégradation » de la substance concernée. En outre, chacun de ces cas associe ledit processus de dégradation à un compartiment environnemental particulier.

183    D’autre part, les informations visées à la section 3.2.1, sous a) à c), de l’annexe XIII doivent, ensuite, être comparées aux critères fixés par la section 1.2.1 de cette même annexe. Or, cette dernière section fait également une référence explicite à la « dégradation » de la substance concernée, pour chacun des compartiments environnementaux visés. Ainsi, en l’espèce, le caractère vP du phénanthrène est établi au titre de la section 1.2.1, sous b), de l’annexe XIII, dès lors que sa demi-vie de « dégradation » dans des sédiments est supérieure à 180 jours.

184    Tant la section 1.2.1 que la section 3.2.1, sous a) à c), de l’annexe XIII prennent donc appui expressément et exclusivement sur les informations relatives à la « dégradation » de la substance en cause.

185    Le Tribunal ne voit donc, à première vue, aucune raison qui justifierait de considérer que la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII aurait, quant à elle, un autre objet que des informations relatives au processus de dégradation d’une substance dans un compartiment déterminé.

186    Quant à l’expression « autres informations » qui figure à la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII, elle vise simplement à appréhender d’autres informations que celles mentionnées à la section 3.2.1, sous a) à c), de cette même annexe, résultant des essais de simulation. À cet égard, la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII donne pour exemples, sans être pour autant être exhaustive, « les informations provenant d’études sur le terrain ou d’études de surveillance ».

187    En tout état de cause, force est de constater que la requérante n’a pas expliqué en quoi, concrètement, les processus de transfert du phénanthrène, depuis les sédiments vers la colonne d’eau et, ensuite, de la colonne d’eau vers l’atmosphère, ainsi que de photodégradation et de volatilisation de cette substance avaient un véritable impact sur la vitesse et l’ampleur de la dégradation du phénanthrène dans les sédiments. Sur ce point, le Tribunal observe d’ailleurs que lesdits processus ne concernent que les compartiments de l’eau et de l’air et qu’ils sont sans rapport avec la dégradation du phénanthrène dans les sédiments. Ainsi, tout au plus, ces processus démontreraient uniquement que le phénanthrène se dégrade dans la colonne d’eau et dans l’air, mais ils ne donneraient aucune information quant à la persistance de cette substance dans les sédiments.

188    Or, en l’occurrence, la seule question qui importe, au regard des règles de l’annexe XIII, est de savoir si, avant son transfert vers la colonne d’eau et dans l’air, ainsi que, a fortiori, en l’absence d’un tel transfert, la demi-vie de dégradation du phénanthrène est supérieure, ou non, à 180 jours dans les sédiments. À cet égard, les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE, tels qu’ils ont été ajustés par l’équation d’Arrhenius, montrent que le phénanthrène est très persistant dans les sédiments au sens de la section 1.2.1, sous b), de l’annexe XIII.

189    Partant, le fait de ne pas retenir, lors de l’évaluation de la persistance du phénanthrène dans les sédiments, au regard de la détermination de la force probante, les informations concernant la photodégradation, la dissolution et la volatilisation de cette substance dans l’eau et dans l’air ne relève pas d’une erreur manifeste d’appréciation.

190    À titre surabondant, le Tribunal constate que, à supposer qu’elles puissent relever du domaine matériel de la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII, aucune des informations mentionnées par la requérante et Concawe n’est à même de démontrer que le phénanthrène n’est pas très persistant dans les sédiments.

191    En premier lieu, il convient de relever que, même si elle le mentionne dans ses écritures, la requérante n’a avancé aucun élément concret qui démontrerait que le processus de biodégradation du phénanthrène dans la colonne d’eau a un quelconque impact sur sa persistance dans les sédiments.

192    En deuxième lieu, en ce qui concerne la photodégradation du phénanthrène dans l’eau, tout d’abord, il convient de relever que les parties s’accordent sur le fait que ce processus ne joue que dans les eaux de surface, et non dans toute la colonne d’eau.

193    Ensuite, la République française a indiqué, dans le document RCOM, que, conformément au chapitre R.11 du guide de l’ECHA, les données dérivées d’études abiotiques, telle la photodégradation, ne pouvaient pas être utilisées isolément dans l’évaluation de la persistance.

194    Outre les réponses de la République française, le document d’appui sur le phénanthrène a également évoqué la photodégradation de cette substance dans l’eau. S’il reconnaît que cette substance peut être dégradée sous l’action de la lumière, il ajoute que cela n’est possible que dans les quelques centimètres supérieurs de la colonne d’eau, ce qui ne saurait par conséquent avoir d’incidence notable sur la persistance globale du phénanthrène dans tout le milieu aquatique. Ensuite, se référant au chapitre R.7b du guide de l’ECHA et à l’étude Castro-Jiménez et de Meent (2011), le document d’appui sur le phénanthrène indique que, en raison de la multiplicité des facteurs qui affectent les taux de photodégradation, ce processus n’est généralement pas pris en considération dans l’évaluation de la persistance dans le cadre du règlement no 1907/2006. En conclusion, ce document estime que « la photodégradation aquatique n’est pas considérée comme ayant un impact significatif dans la persistance globale du phénanthrène dans l’environnement ».

195    Il ressort de ces éléments, fondés notamment sur les chapitres R.7b et R.11 du guide de l’ECHA, que les données relatives à la photodégradation du phénanthrène dans les eaux de surface, à supposer qu’elles puissent être prises en considération dans un autre compartiment environnemental, ne constituent pas, en tout état de cause, des informations « appropriées » et « fiables » au sens de la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII, pour démontrer que cette substance n’est pas très persistante dans les sédiments.

196    En troisième lieu, il convient, pour des raisons similaires, de ne pas considérer comme « appropriées » ni « fiables », au sens de la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII, les informations relatives à la photodégradation du phénanthrène dans l’air.

197    En effet, tout d’abord, le processus de photodégradation ne se déploie, outre dans les eaux de surface, que dans l’air. Il est donc étranger au compartiment des sédiments. Ensuite, comme pour les eaux de surface, le chapitre R.11 du guide de l’ECHA précise, à deux reprises, que les données issues de la photodégradation ne sont généralement pas prises en considération pour l’évaluation de la persistance.

198    Par ailleurs, l’ECHA a soutenu, dans ses écritures devant le Tribunal, que les résultats du modèle de fugacité de niveau III de Mackay montraient que le phénanthrène ne se divisait qu’à un très faible pourcentage dans l’air, à savoir 0,5 %. L’ECHA en tire comme conclusion que la photodégradation dans l’air n’est pas un mécanisme pertinent pour l’élimination du phénanthrène. La requérante formule, certes, des objections à ces affirmations, notamment parce que le modèle de fugacité de niveau III de Mackay ne donnerait aucune indication des flux entre les différents compartiments environnementaux. Toutefois, elle ne renvoie à aucune publication scientifique pour étayer ses objections. Tout au plus, elle se réfère au témoignage d’un expert, lequel aurait recouru à des modèles plus précis que le modèle de fugacité de niveau III de Mackay. Toutefois, comme l’explique cet expert, et comme en convient d’ailleurs la requérante, son analyse concerne uniquement la photodégradation du phénanthrène dans l’eau, et non dans l’air. Le témoignage de cet expert n’est donc pas de nature à remettre en cause les affirmations de l’ECHA fondées sur le modèle de fugacité de niveau III de Mackay.

199    En quatrième lieu, sont inopérants les arguments échangés entre les parties, en réponse au débat engagé sur ce point par l’ECHA, sur la volatilisation du phénanthrène du sol vers l’air. De même, n’est pas pertinente l’étude Meisterjahn et al. (2018b) fondée sur la ligne directrice 307 de l’OCDE, citée par Concawe et relative à la persistance du phénanthrène dans les sols. D’une part, le processus de volatilisation du phénanthrène du sol vers l’air est sans pertinence dans le cadre de l’évaluation de la persistance de cette substance dans les sédiments. D’autre part, et surtout, le document d’appui sur le phénanthrène a constaté que les informations alors disponibles ne permettaient pas de tirer des conclusions définitives sur la persistance de cette substance dans les sols. Compte tenu de ces incertitudes scientifiques, ces données, à supposer qu’elles puissent être prises en considération dans un autre compartiment environnemental, ne constituent pas, en tout état de cause, des informations « appropriées » et « fiables » au sens de la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII, pour démontrer que cette substance n’est pas très persistante dans les sédiments.

200    En cinquième lieu, Concawe et, à sa suite, la requérante soutiennent que l’étude Meisterjahn et al. (2018c) fondée sur la ligne directrice 314 B de l’OCDE, qui démontrerait que le phénanthrène est biodégradable dans la boue activée et que sa demi-vie y est inférieure à un jour, n’a pas été prise en considération que ce soit par la République française ou par l’ECHA dans l’évaluation de la persistance de cette substance.

201    Cet argument doit être rejeté. D’une part, la République française a explicitement répondu à Concawe sur ce point en indiquant, dans le document RCOM, que l’étude Meisterjahn et al. (2018c) fondée sur la ligne directrice 314 B de l’OCDE ne se prêtait pas à une évaluation de la persistance conforme aux chapitres R.7 et R.11 du guide de l’ECHA. D’autre part, Concawe affirme elle-même, au point 112 de son mémoire en intervention, qu’il n’existe pas de critères de persistance directement applicables à cette étude. Pour ces raisons, les données issues de l’étude Meisterjahn et al. (2018c) fondée sur la ligne directrice 314 B de l’OCDE, propres aux boues actives et à supposer qu’elles puissent être prises en considération dans un autre compartiment environnemental, ne constituent pas, en tout état de cause, des informations « appropriées » et « fiables » au sens de la section 3.2.1, sous d), de l’annexe XIII, pour démontrer que cette substance n’est pas persistante dans les sédiments.

202    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que l’ECHA n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en ne retenant pas les informations relatives à la photodégradation, à la dissolution et à la volatilisation du phénanthrène dans son examen fondé sur la force probante.

203    Par conséquent, il convient de rejeter la sixième branche du premier moyen et, partant, celui-ci dans son intégralité.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

204    À l’appui du second moyen, la requérante, soutenue par Concawe, fait valoir, en substance, que la décision attaquée méconnaît le principe de proportionnalité. Selon la requérante, la décision attaquée dépasse les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par le titre VII du règlement no 1907/2006 et elle ne constitue pas la mesure la moins contraignante à laquelle l’ECHA aurait pu recourir.

205    L’ECHA conclut au rejet du second moyen. La République française n’a présenté aucune observation sur ce second moyen.

206    À cet égard, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 124 et jurisprudence citée ; arrêt du 1er février 2013, Polyelectrolyte Producers Group e.a./Commission, T‑368/11, non publié, EU:T:2013:53, point 75).

207    En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions mentionnées au point 206 ci-dessus, il y a lieu de reconnaître à l’ECHA un large pouvoir d’appréciation dans un domaine qui implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lequel elle est appelée à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que le législateur entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêts du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 125 et jurisprudence citée, et du 1er février 2013, Polyelectrolyte Producers Group e.a./Commission, T‑368/11, non publié, EU:T:2013:53, point 76).

208    En l’espèce, il ressort de la décision attaquée, et notamment de son considérant 10, mais aussi du document d’appui sur le phénanthrène, que le CEM a conclu au caractère vP de cette substance dans les sédiments. Compte tenu de cette conclusion et des autres conclusions relatives à cette substance, la décision attaquée prévoit, à son point 1, d’inscrire le phénanthrène sur la liste des substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV et, à son point 3, de mettre à jour ladite liste, sur le site Internet de l’ECHA, pour notamment tenir compte de l’identification du phénanthrène comme substance extrêmement préoccupante.

209    En ce sens, la décision attaquée n’apparaît pas manifestement inappropriée pour atteindre les objectifs poursuivis par le règlement no 1907/2006. En effet, ce dernier vise, selon son article 1er, paragraphe 1, à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. À cet égard, ainsi que le précise le considérant 76 dudit règlement, l’expérience acquise au niveau international montre que les substances possédant des caractéristiques très persistantes sont extrêmement préoccupantes. Or, comme le mentionne le considérant 69 de ce même règlement et conformément au principe de précaution, une attention particulière doit être accordée aux substances extrêmement préoccupantes pour assurer un niveau suffisamment élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement.

210    C’est donc à raison, d’une part, que l’ECHA soutient que l’identification du phénanthrène comme répondant aux critères énoncés à l’article 57, sous e), du règlement no 1907/2006 permet d’améliorer l’information du public et des professionnels sur les risques associés au phénanthrène, ce qui constitue, par suite, un instrument d’amélioration de la protection de la santé humaine et de celle de l’environnement (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 108 et jurisprudence citée, et du 11 juillet 2019, PlasticsEurope/ECHA, T‑185/17, non publié, EU:T:2019:492, point 52 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 juillet 2009, S.P.C. M. e.a., C‑558/07, EU:C:2009:430, point 49).

211    D’autre part, l’identification du phénanthrène comme substance extrêmement préoccupante permet également, le cas échéant, à l’ECHA, aux États membres et à la Commission européenne d’examiner cette substance en vue d’une éventuelle inscription à l’annexe XIV, de manière à protéger davantage la santé humaine et l’environnement. Cette conclusion n’est pas infirmée par le fait, comme le soutient la requérante, que le phénanthrène ne serait actuellement produit et utilisé qu’en tant que composant de substances complexes, et non comme substance en tant que telle. Une substance peut être identifiée comme extrêmement préoccupante sur la base des critères prévus à l’article 57 du règlement no 1907/2006, et ce quand bien même elle ne serait qu’un constituant d’une autre substance (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA, C‑650/15 P, EU:C:2017:802, points 63 et 65, et du 11 juillet 2019, PlasticsEurope/ECHA, T‑185/17, non publié, EU:T:2019:492, point 64).

212    Au surplus, la requérante affirme que la décision attaquée n’est pas appropriée pour atteindre l’objectif d’une protection accrue de la santé humaine et de l’environnement. Toutefois, ainsi que l’a relevé l’ECHA sans être contredite par la requérante, cette dernière n’a nullement étayé les raisons pour lesquelles, selon elle, la décision attaquée ne serait pas de nature à améliorer la protection de la santé humaine et celle de l’environnement. Tout au plus, au stade de la réplique, la requérante précise qu’il n’est pas question, en l’espèce, de protection de la santé humaine ou de celle de l’environnement, mais de l’intégrité du processus par lequel l’ECHA a procédé à l’évaluation de la persistance du phénanthrène. Toutefois, un tel argument est étranger à l’examen de la proportionnalité de la décision attaquée. En tout état de cause, cet argument sera apprécié dans le cadre des deux moyens additionnels soulevés par Concawe.

213    Si la décision attaquée apparaît ainsi comme appropriée pour assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, il convient néanmoins de vérifier s’il existe, ainsi que l’affirme la requérante, d’autres mesures qui permettraient d’atteindre cet objectif, mais qui seraient moins contraignantes.

214    À cet égard, en premier lieu, la requérante estime que le recours à la procédure d’évaluation de la substance aurait été moins contraignant que l’identification du phénanthrène en tant que substance extrêmement préoccupante. L’option retenue par l’ECHA aurait, en effet, directement affecté la requérante sur le plan commercial, en attirant sur le phénanthrène une attention préjudiciable importante de la part des organisations non gouvernementales (ONG).

215    Cet argument doit être rejeté. Premièrement, le caractère approprié d’une mesure doit nécessairement être analysé à l’aune des objectifs poursuivis par celle-ci. Or, il est patent, tel que cela ressort explicitement de l’argumentation de la requérante, que le recours à la procédure d’évaluation de la substance, en lieu et place de l’identification du phénanthrène en tant que substance extrêmement préoccupante, aurait eu pour unique objectif de dissiper les prétendues incertitudes relatives au caractère persistant du phénanthrène dans les sédiments. L’objectif que la requérante assigne à la procédure d’évaluation de la substance n’intègre donc pas, à suffisance, la protection de la santé publique et celle de l’environnement. Au demeurant, en ce qui concerne les prétendues incertitudes scientifiques évoquées par la requérante, le Tribunal a considéré, dans le cadre du premier moyen, que c’était sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que l’ECHA avait établi que le phénanthrène était très persistant dans les sédiments.

216    De plus, il a déjà été jugé qu’il ne ressortait aucunement du règlement no 1907/2006 que le législateur avait envisagé de subordonner la procédure d’identification menée conformément à l’article 59 dudit règlement, qui fait partie de la procédure d’autorisation d’une substance visée au titre VII de ce règlement, à la procédure d’enregistrement prévue au titre II du même règlement et dont relèvent les obligations visées à l’article 14 de ce règlement ou à la procédure d’évaluation visée aux articles 44 à 48 du même règlement. Il est exact que la procédure d’enregistrement et la procédure d’évaluation, qui est conçue comme un suivi de l’enregistrement selon le considérant 20 du règlement no 1907/2006, servent également à améliorer l’information du public et des professionnels sur les dangers et les risques d’une substance, ainsi qu’il ressort des considérants 19 et 21 de ce règlement. Toutefois, alors que les substances enregistrées devraient pouvoir circuler sur le marché intérieur, ainsi qu’il ressort du considérant 19 du règlement no 1907/2006, l’objectif de la procédure d’autorisation, dont relève la procédure d’identification visée à l’article 59 dudit règlement, est notamment de remplacer progressivement les substances extrêmement préoccupantes par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables. En outre, ainsi qu’il ressort du considérant 69 du règlement no 1907/2006 et comme cela est indiqué au point 209 ci-dessus, le législateur a voulu accorder une attention particulière aux substances extrêmement préoccupantes (arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 114).

217    Par conséquent, l’évaluation d’une substance prévue aux articles 44 à 48 du règlement no 1907/2006 ne constitue pas une mesure appropriée, nécessaire et suffisante à la réalisation des objectifs poursuivis par ledit règlement relatifs au traitement des substances extrêmement préoccupantes.

218    Deuxièmement, il convient d’observer que les éventuelles incidences négatives sur le plan commercial que la requérante évoque ne sont ni détaillées dans ses écritures ni prouvées. Ainsi, il n’est pas possible d’apprécier l’ampleur de ces prétendus inconvénients et, partant, de conclure à l’existence d’inconvénients démesurés par rapport aux objectifs visés. Au demeurant, à supposer même que de tels effets négatifs existent, ils seraient imputables à certaines ONG et non à la décision attaquée.

219    La requérante n’a donc pas démontré l’existence d’inconvénients autres que ceux résultant des obligations légales, à savoir notamment la mise à jour de la fiche de sécurité de la substance. Sur ce dernier point, et en tout état de cause, il y a lieu d’ajouter que l’objectif relatif au partage des informations sur les substances extrêmement préoccupantes au sein de la chaîne d’approvisionnement et avec les consommateurs, lequel participe, comme cela est indiqué au point 210 ci-dessus, à l’amélioration de la protection de la santé humaine et de l’environnement, l’emporte sur les inconvénients induits par la mise à jour de la fiche de sécurité (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, PlasticsEurope/ECHA, T‑185/17, non publié, EU:T:2019:492, point 64). Au surplus, les dispositions des articles 57 à 59 du règlement no 1907/2006 seraient privées d’effet si leur application devait être considérée comme disproportionnée au seul motif que le public et les professionnels pourraient prendre en compte, lors de leurs actions et décisions, lesdites informations.

220    En deuxième lieu, Concawe soutient que l’ECHA aurait pu proposer un autre dossier élaboré conformément à l’annexe XV, ce qui aurait pu permettre aux parties intéressées de démontrer que le phénanthrène ne satisfaisait pas au caractère vP.

221    Cet argument doit également être rejeté. D’une part, ainsi que le relève l’ECHA, elle n’est pas compétente pour proposer, de sa propre initiative, le dépôt d’un dossier élaboré conformément à l’annexe XV. En effet, aux termes de l’article 59, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1907/2006, l’élaboration d’un dossier conformément à l’annexe XV est assurée soit par un État membre, soit par l’ECHA « à la demande de la Commission ». D’autre part, à supposer même que l’ECHA soit compétente pour élaborer, de sa propre initiative, un nouveau dossier conformément à l’annexe XV, force est de constater que l’objectif d’un tel dossier, tel que le conçoit Concawe, à savoir renforcer l’information scientifique disponible pour démontrer que le phénanthrène ne serait pas persistant dans les sédiments, serait différent de celui poursuivi par la décision attaquée, c’est-à-dire protéger la santé humaine et l’environnement. Ainsi, l’éventuelle élaboration d’un nouveau dossier conformément à l’annexe XV apparaît, elle aussi, inappropriée pour assurer la protection de la santé publique ou celle de l’environnement.

222    En troisième lieu, le Tribunal rappelle, comme il l’a déjà relevé aux points 114 et 115 ci-dessus, que la décision attaquée est susceptible d’être réexaminée si de nouvelles informations pertinentes étaient disponibles. L’inclusion du phénanthrène dans la liste des substances candidates au titre de l’article 57 du règlement no 1907/2006 n’est donc pas, en soi, irréversible.

223    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure, d’une part, que la décision attaquée n’est pas manifestement inappropriée pour protéger la santé humaine et l’environnement et, d’autre part, que ni la requérante ni Concawe n’ont démontré l’existence d’autres mesures, moins contraignantes, qui auraient permis d’atteindre cet objectif avec un même degré de protection.

224    Par conséquent, il convient de rejeter le second moyen.

 Sur le premier moyen additionnel soulevé par Concawe, tiré de l’absence de base juridique adéquate et d’une violation de l’obligation de motivation

225    À l’appui du premier moyen additionnel, Concawe fait valoir, en substance, que l’ECHA n’a pas suffisamment identifié la base juridique et les raisons qui ont justifié l’adoption de la décision attaquée. Premièrement, la décision attaquée ne fournirait aucune justification détaillée de l’identification du phénanthrène en tant que substance extrêmement préoccupante. Deuxièmement, le seul document auquel la décision attaquée ferait référence serait le dossier élaboré conformément à l’annexe XV déposé par la République française. Troisièmement, l’ECHA n’aurait pas, selon Concawe, précisé la base juridique qui l’aurait autorisée à ne pas se fonder sur le dossier élaboré conformément à l’annexe XV et à ne se fonder que sur l’accord du CEM, visé au point 2 ci-dessus, et le document d’appui sur le phénanthrène. Quatrièmement, la décision attaquée n’indiquerait pas que ces deux derniers documents lui serviraient de fondement. En conséquence, les parties intéressées, y compris Concawe, n’auraient pas été clairement informées du fondement de la décision attaquée.

226    Dans ses observations sur le mémoire en intervention de Concawe et dans ses réponses à une question écrite du Tribunal, la requérante rappelle, d’une part, qu’elle avait invoqué, dans l’intitulé du premier moyen une violation de l’article 59 du règlement no 1907/2006 et, d’autre part, qu’elle avait relevé, au point 42 de la réplique, que l’ECHA n’avait jamais indiqué clairement que la décision attaquée ne se fondait pas sur le document d’appui sur le BGHHT. Cela constituerait une méconnaissance de l’obligation de motivation prévue à l’article 130 du règlement no 1907/2006 et à l’article 296, paragraphe 2, TFUE, mais aussi une atteinte à l’intégrité du processus par lequel l’ECHA a procédé à l’évaluation de la persistance du phénanthrène.

227    En réponse à une question écrite du Tribunal, l’ECHA et la République française considèrent que ce premier moyen additionnel est irrecevable, dès lors qu’il altérerait l’objet du litige. En effet, les griefs et les arguments présentés au soutien du premier moyen additionnel n’apparaîtraient pas dans la requête. Par ailleurs, dans ses observations sur le mémoire en intervention de Concawe, l’ECHA conclut au rejet du premier moyen additionnel comme non fondé.

228    À titre liminaire, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la recevabilité du premier moyen additionnel, dès lors que, en tout état de cause, selon une jurisprudence constante, un défaut ou une insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, et constitue un moyen d’ordre public pouvant, voire devant, être relevé d’office par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2018, Malte/Commission, T‑653/16, EU:T:2018:241, point 47 et jurisprudence citée).

229    Ensuite, il convient de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, EU:C:2001:178, point 35, et du 20 septembre 2019, ICL-IP Terneuzen et ICL Europe Coöperatief/Commission, T‑610/17, EU:T:2019:637, point 47).

230    Conformément à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, les actes juridiques tels que la décision attaquée doivent être motivés. S’agissant plus spécifiquement des décisions prises en vertu du règlement no 1907/2006, l’article 130 dudit règlement prévoit également qu’elles doivent être motivées.

231    En vertu d’une jurisprudence constante, cette motivation doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte. Elle doit, d’une part, permettre aux intéressés de comprendre la portée et les justifications de l’acte en cause afin d’être en mesure de défendre leurs droits et, d’autre part, mettre le juge de l’Union en mesure d’exercer son contrôle de légalité. Il n’est toutefois pas exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 12 décembre 2006, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, points 107 et 108 et jurisprudence citée). En outre, la participation des intéressés à la procédure d’élaboration d’un acte peut réduire les exigences de motivation, puisqu’elle contribue à leur information (arrêts du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 116, et du 1er février 2013, Polyelectrolyte Producers Group e.a./Commission, T‑368/11, non publié, EU:T:2013:53, point 101).

232    En l’espèce, il convient de relever que la décision attaquée indique clairement et à plusieurs reprises qu’elle se fonde sur l’article 59 du règlement no 1907/2006. Par ailleurs, la décision attaquée rappelle, aux considérants 2 à 4 et 7, la tenue de la consultation publique et le fait que l’ECHA a reçu des observations sur l’identification du phénanthrène comme substance extrêmement préoccupante. Enfin, aux considérants 8 et 10, la décision attaquée précise que le dossier a été transmis au CEM et que les membres de celui-ci ont conclu à l’unanimité que le phénanthrène remplissait le critère vP.

233    Certes, la décision attaquée se limite à résumer les grandes étapes de la phase administrative. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 231 ci-dessus, il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Cette motivation peut également ressortir du contexte dans lequel la décision attaquée s’inscrit. De plus, au sens de cette même jurisprudence, la participation de Concawe à la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée peut réduire les exigences de motivation, puisqu’elle contribue à son information.

234    À cet égard, il est constant que Concawe et la requérante, qui est membre de cette association, étaient au courant de la consultation publique, puisque cette association y a participé. De plus, c’est Concawe, elle-même, qui, lors de cette consultation publique, a transmis à l’ECHA l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE. Concawe avait également connaissance des réponses de la République française à ses observations, dès lors que ces réponses figuraient dans le document RCOM. Enfin, Concawe n’ignorait pas la teneur des débats lors de la réunion du CEM du 12 décembre 2018 au sujet tant de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE que de son ajustement par l’équation d’Arrhenius. [confidentiel]

235    Du reste, ainsi qu’il a été relevé lors de l’examen des deux premières branches du premier moyen, en particulier aux points 57 à 61 ci-dessus, il ressort explicitement du document d’appui sur le phénanthrène et du procès-verbal de la réunion du CEM du 12 décembre 2018 que la conclusion selon laquelle cette substance est très persistante dans les sédiments se fonde, de manière décisive, sur l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE.

236    En outre, il convient de rejeter le grief de Concawe selon lequel l’ECHA n’était pas en droit de se fonder uniquement sur un élément, inexistant dans le dossier élaboré conformément à l’annexe XV, qui n’aurait été porté à la connaissance de cette agence que durant la consultation publique. En effet, ce grief ne concerne pas la motivation de la décision attaquée, mais son bien-fondé. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 229 ci-dessus, ce grief est donc sans pertinence dans le cadre de l’examen du présent moyen. Au surplus, et en tout état de cause, le Tribunal a déjà admis que l’ECHA pouvait se fonder, pour l’identification d’une substance, sur des éléments non mentionnés dans le dossier élaboré conformément à l’annexe XV (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA, T‑94/10, EU:T:2013:107, points 84 à 88 ; du 7 mars 2013, Cindu Chemicals e.a./ECHA, T‑95/10, EU:T:2013:108, points 91 à 95, et du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA, T‑96/10, EU:T:2013:109, points 85 à 89). Du reste, accepter la thèse inverse reviendrait à méconnaître le fait que la procédure prévue à l’article 59 du règlement no 1907/2006, consistant en l’identification des substances visées à l’article 57 dudit règlement, se déroule en plusieurs étapes (arrêts du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA, T‑93/10, EU:T:2013:106, point 29 ; du 7 mars 2013, Cindu Chemicals e.a./ECHA, T‑95/10, EU:T:2013:108, point 37, et du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA, T‑96/10, EU:T:2013:109, point 31), mais aussi à priver la consultation publique de tout effet utile, puisque l’ECHA serait alors légalement empêchée de prendre en considération les éléments exposés par les parties intéressées au cours de cette phase.

237    Compte tenu de ces éléments, c’est à tort que Concawe et la requérante considèrent que l’ECHA n’a pas suffisamment identifié la base juridique et les raisons qui ont justifié l’adoption de la décision attaquée. La motivation retenue, telle qu’elle ressort de la décision attaquée, mais également de l’ensemble des actes susmentionnés, a permis à Concawe et à la requérante de comprendre la portée et la raison d’être de la décision attaquée et, partant, de défendre leurs droits devant le Tribunal, comme le démontre notamment la teneur de leurs arguments de fait et de droit exposés dans le cadre du présent recours. De même, cette motivation a permis au Tribunal de contrôler la légalité de la décision attaquée.

238    Par conséquent, il convient de rejeter le premier moyen additionnel soulevé par Concawe.

 Sur le second moyen additionnel soulevé par Concawe, tiré de la violation du droit d’être entendu

239    À l’appui du second moyen additionnel, Concawe fait valoir, en substance, que les parties intéressées n’auraient pas été entendues sur l’ensemble des éléments de fait et de droit ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée. En effet, tant le dossier élaboré conformément à l’annexe XV que la consultation publique auraient eu pour objet l’éventuelle persistance du phénanthrène dans les sols. En revanche, la décision attaquée arriverait à la conclusion du caractère vP de cette substance dans les sédiments. Or, selon Concawe, les parties intéressées n’auraient jamais eu la possibilité de formuler leurs observations sur ce nouvel élément qui aurait pourtant fondé la décision attaquée. Ce faisant, l’ECHA aurait violé leur droit d’être entendues, tel que garanti par l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006.

240    Dans ses observations sur le mémoire en intervention de Concawe et dans ses réponses à une question écrite du Tribunal, la requérante reconnaît qu’elle n’a pas explicitement invoqué un tel grief dans sa requête, mais qu’il ressortirait implicitement de ses écritures. En tout état de cause, elle partage pleinement la position de Concawe. Outre le fait que l’ECHA n’aurait pas permis aux parties intéressées de faire valoir leurs observations sur ce nouvel élément, [confidentiel]

241    En réponse à une question écrite du Tribunal, l’ECHA et la République française considèrent que ce second moyen additionnel est irrecevable, dès lors qu’il altérerait l’objet du litige. En effet, les griefs et les arguments présentés au soutien du second moyen additionnel n’apparaîtraient pas dans la requête. Par ailleurs, dans ses observations sur le mémoire en intervention de Concawe, l’ECHA conclut au rejet du second moyen additionnel comme non fondé.

242    À titre liminaire, le Tribunal juge, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la recevabilité du second moyen additionnel, dès lors que, en tout état de cause, celui-ci doit être rejeté au fond (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).

243    En effet, contrairement à ce que soutiennent Concawe et la requérante, l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006 ne garantit pas un droit d’être entendu aux parties intéressées. Tout au plus, cette disposition prévoit que lesdites parties sont invitées « à soumettre leurs informations à l’Agence » sur le dossier élaboré conformément à l’annexe XV.

244    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, s’agissant des actes de portée générale, ni le processus de leur élaboration ni ces actes eux-mêmes n’exigent, en vertu des principes généraux du droit de l’Union, tel que le droit d’être entendu, consulté ou informé, la participation des personnes affectées. Il en est autrement si une disposition expresse du cadre juridique régissant l’adoption dudit acte confère un tel droit procédural à une personne affectée (voir arrêt du 19 décembre 2019, Probelte/Commission, T‑67/18, EU:T:2019:873, point 87 et jurisprudence citée). Or, il est constant que la consultation publique prévue par l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006 ne confère pas, aux parties intéressées, des droits procéduraux spécifiques, autres que celui de soumettre des informations. Même si cette disposition prévoit donc une consultation publique, cela ne remet pas en cause le fait que l’ECHA n’est pas tenue, en vertu de cet article, d’entendre un particulier qui pourrait être concerné par la décision attaquée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 septembre 2015, VECCO e.a./Commission, T‑360/13, EU:T:2015:695, points 81 et 82 et jurisprudence citée).

245    En outre, pour des raisons analogues à celles exposées au point 236 ci-dessus, le Tribunal considère qu’il serait porté atteinte à l’effet utile des dispositions de l’article 59 du règlement no 1907/2006 si l’ECHA était contrainte d’organiser une nouvelle consultation publique au motif qu’elle compterait se fonder sur des éléments issus de la première consultation publique et pour lesquels l’ensemble des parties intéressées n’auraient pas pu formuler des observations. En effet, une telle exigence, qui n’est pas prévue par le règlement no 1907/2006, pourrait inciter les parties intéressées à soumettre des éléments nouveaux à chaque nouvelle consultation publique additionnelle et ainsi empêcher durablement l’adoption de toute décision par l’ECHA.

246    En l’espèce, ni Concawe ni la requérante ne contestent qu’une consultation publique a été organisée et que les parties intéressées ont pu soumettre des observations. C’est du reste ce qu’a fait Concawe.

247    Par ailleurs, au-delà même du fait qu’elle a déposé des observations lors de la consultation publique, il ressort du dossier soumis au Tribunal et des écritures des parties que Concawe a pu participer à la réunion du CEM au cours de laquelle les États membres ont conclu que le phénanthrène était très persistant dans les sédiments. [confidentiel]

248    Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de conclure que Concawe et, par son intermédiaire, la requérante ont pu faire valoir leurs observations conformément aux dispositions de l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006.

249    Par conséquent, il convient de rejeter le second moyen additionnel soulevé par Concawe et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

250    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de la même disposition supportera ses propres dépens.

251    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens de l’ECHA, conformément aux conclusions de cette dernière. La République française et Concawe supporteront, chacune, leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Exxonmobil Petroleum & Chemical BVBA supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

3)      La République française et European Petroleum Refiners Association supporteront, chacune, leurs propres dépens.

Svenningsen

Pynnä

Laitenberger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2021.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, d’un « excès de compétence » et d’une violation de l’article 59 du règlement n o 1907/2006

Sur les première et deuxième branches du premier moyen, tirées d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA se serait fondée, à tort, sur le document d’appui sur le BGHHT et, en particulier, sur les informations issues du rapport Mackay et al. (1992), de l’étude Neff (1979) ainsi que de l’étude Volkering et Breure (2003) dans le document d’appui sur le phénanthrène

Sur la troisième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas examiné les données disponibles qui auraient dû l’amener à s’interroger sur la fiabilité et la prudence extrême de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE

Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas pris en considération les informations qui auraient remis en cause l’emploi d’un modèle de calcul pour ajuster les résultats de l’étude Meisterjahn et al. (2018a) fondée sur la ligne directrice 308 de l’OCDE pour tenir compte de la température

Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas évalué les nouvelles données sur la persistance du phénanthrène qui lui auraient été communiquées lors de la consultation publique

Sur la sixième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’ECHA n’aurait pas examiné toutes les informations pertinentes dans la détermination par la force probante des propriétés persistantes du phénanthrène, concernant en particulier la photodégradation, la dissolution et la volatilisation

Sur le second moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

Sur le premier moyen additionnel soulevé par Concawe, tiré de l’absence de base juridique adéquate et d’une violation de l’obligation de motivation

Sur le second moyen additionnel soulevé par Concawe, tiré de la violation du droit d’être entendu

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.