Language of document : ECLI:EU:T:2021:334

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

9 juin 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑303/19,

Viktor Fedorovych Yanukovych, demeurant à Rostov-sur-le-Don (Russie), représenté par MM. M. Anderson, R. Kiddell, solicitors, Mme E. Dean et M. J. Marjason-Stamp, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Mahnič, M. A. Vitro et Mme T. Haas, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 7), et du règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 1), dans la mesure où ces actes maintiennent le nom du requérant sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 décembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Viktor Fedorovych Yanukovych, est l’ancien président de l’Ukraine.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 »).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’état de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et de ressources prévues par cette décision (ci-après les « mesures restrictives en cause ») et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par les actes de mars 2014 sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste, avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑346/14, ayant pour objet notamment une demande d’annulation des actes de mars 2014 en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes : 

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1, ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le 8 avril 2015, le requérant a adapté ses conclusions dans le cadre de l’affaire T‑346/14 de sorte que celles-ci ont également visé à l’annulation de la décision 2015/143, du règlement 2015/138 ainsi que des actes de mars 2015 en tant que l’ensemble de ces actes le concernaient.

17      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1, ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

18      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2016, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑244/16, visant à l’annulation des actes de mars 2016 en ce qu’ils le visaient.

20      Par arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497), le Tribunal a annulé les actes de mars 2014 en ce qu’ils visaient le requérant et rejeté la demande d’annulation, contenue dans l’adaptation de la requête, concernant, d’une part, la décision 2015/143 et le règlement 2015/138 et, d’autre part, les actes de mars 2015.

21      Le 23 novembre 2016, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑598/16 P, contre l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

22      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

23      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2017, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑285/17, visant à l’annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils le visaient.

25      Par arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil (C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786), la Cour a rejeté le pourvoi du requérant visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

26      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63 p. 5, ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

27      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑300/18, visant à l’annulation des actes de mars 2018 en ce qu’ils le visaient.

29      Entre les mois de novembre 2018 et de février 2019, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG »), incluant des décisions du juge d’instruction du tribunal de district de Petchersk à Kiev (ci-après le « tribunal de Petchersk »), concernant les procédures pénales dont il faisait l’objet et sur lesquelles le Conseil se fondait pour envisager ladite prorogation.

30      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

31      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2020 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 15 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Yanukovych et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment un certain nombre de décisions de justice relatives à la saisie de biens et une décision de justice du 1er novembre 2018 autorisant l’arrestation et la convocation de la personne soupçonnée et sa comparution devant le tribunal, ainsi qu’une décision du juge d’instruction du 8 octobre 2018 refusant la demande d’enquête préliminaire spéciale par défaut du procureur. »

32      Par courrier du 5 mars 2019, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses correspondances des 29 novembre et 18 décembre 2018 ainsi que des 28 janvier et 1er février 2019 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

33      Par arrêt du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502), le Tribunal a annulé les actes de mars 2016 et de mars 2017 en ce qu’ils visaient le requérant.

34      Par arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

 Procédure et conclusions des parties

35      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2019, le requérant a introduit un recours en annulation contre les actes attaqués.

36      Le 2 septembre 2019, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

37      Le 30 septembre 2019, le Conseil a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête ainsi que de certains passages du mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

38      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, l’affaire a été attribuée à la cinquième chambre et un nouveau juge rapporteur a été désigné.

39      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 2019.

40      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 6 décembre 2019. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

41      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 décembre 2019, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

42      Par décision du président de la cinquième chambre du Tribunal du 11 août 2020, la présente affaire a été jointe à l’affaire T‑302/19, Yanukovych/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure, sur le fondement de l’article 68 du règlement de procédure, les parties ayant été entendues à cet égard.

43      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, a invité le Conseil à produire certains documents qui ne figuraient pas dans le dossier de l’affaire. Le Conseil a déféré à cette mesure dans le délai imparti.

44      L’audience de plaidoiries fixée initialement au 6 octobre 2020 a été reportée au titre de l’article 107, paragraphe 2, du règlement de procédure.

45      Le juge rapporteur ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné un nouveau juge rapporteur siégeant dans la cinquième chambre, en application de l’article 27, paragraphe 1, du règlement de procédure. Le président de chambre a également désigné un autre juge pour compléter la chambre, en application de l’article 17, paragraphe 2, de ce règlement.

46      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 décembre 2020, qui, à la demande du Conseil, le requérant entendu, s’est déroulée partiellement à huis clos. À l’issue de l’audience, la phase orale de la procédure a été close et l’affaire mise en délibéré.

47      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

48      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2019/354 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2019/352 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

49      À l’appui du recours, le requérant invoque sept moyens, tirés, le premier et le deuxième, présentés conjointement, du non-respect des critères d’inscription sur la liste et d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’un défaut de motivation, le quatrième, de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif, le cinquième, de l’absence de base juridique, le sixième, d’un détournement de pouvoir et, le septième, de la violation du droit de propriété.

50      Tout d’abord, il convient d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens, en ce que, par ceux-ci, le requérant reproche, notamment, au Conseil de ne pas avoir vérifié le respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, ce dont il résulterait une erreur manifeste d’appréciation commise lors de l’adoption des actes attaqués.

51      Dans le cadre de ces moyens, le requérant, premièrement, rappelle que le contrôle du juge de l’Union s’étend, en principe, à l’appréciation des faits et des circonstances invoquées par le Conseil pour justifier le maintien de son nom sur la liste, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels s’est fondé celui-ci.

52      Deuxièmement, il fait valoir que les lettres du BPG sur lesquelles le Conseil s’est appuyé pour l’adoption des actes attaqués ne lui fournissaient pas une base factuelle suffisamment solide pour étayer l’inscription de son nom sur la liste, ces documents étant totalement inadéquats, incohérents, dénués de fondement ou faux.

53      Tout en précisant qu’il ressort de la lettre du Conseil du 5 mars 2019 que, lors de l’adoption des actes attaqués, celui-ci s’est fondé uniquement sur la procédure pénale [confidentiel](1), qui faisait initialement partie de la procédure [confidentiel], mais en a été dissociée le 25 décembre 2015, et qui a trait au prétendu détournement [confidentiel],  le requérant fait valoir que le Conseil a commis des erreurs manifestes d’appréciation, d’une part, en décidant que les enquêtes préliminaires le concernant constituaient une base factuelle suffisante pour justifier le maintien de son nom sur la liste et, d’autre part, en ne s’assurant pas du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il fait valoir que les décisions des autorités ukrainiennes invoquées par le Conseil ne permettent pas de démontrer le respect desdits droits et donc de justifier le maintien des mesures restrictives en cause.

54      Plus particulièrement, s’agissant de la procédure [confidentiel], il fait valoir qu’il n’y a pas eu d’avancement significatif dans l’enquête, la décision du 1er novembre 2018 autorisant l’arrestation et la convocation du requérant en tant que personne soupçonnée et sa comparution devant le tribunal (ci-après la « décision du 1er novembre 2018 ») n’étant qu’une simple prorogation, par ailleurs illégale, car le requérant n’aurait pas eu le statut de « suspect » en droit ukrainien, d’une autorisation déjà accordée en 2015. Le seul avancement serait lié à l’adoption de la décision du juge d’instruction du tribunal de Petchersk du 8 octobre 2018 refusant la demande du BPG visant à mener une enquête préliminaire spéciale par défaut (ci-après la « décision du 8 octobre 2018 »). Cette décision, favorable au requérant, entrave, selon lui, l’enquête ainsi que la présentation d’une nouvelle demande du BPG. À cet égard, le requérant fait également valoir que, entre les mois de décembre 2017 et de février 2019, afin de faire croire que l’enquête préliminaire en cause était en cours, celle-ci aurait été plusieurs fois transférée au Bureau national anticorruption de l’Ukraine et renvoyé par celui-ci au BPG, qui l’aurait finalement rouverte et immédiatement suspendue deux fois dans le courant des mois de janvier et de février 2019, tout en étant incompétent. Enfin, le requérant souligne que le motif invoqué pour justifier la suspension de l’enquête, à savoir établir où il se trouvait, n’était pas valable. 

55      S’agissant de la procédure pénale [confidentiel], qui faisait initialement partie de la procédure [confidentiel], mais en a été dissociée le 18 juin 2015, et qui concerne un prétendu financement illégal [confidentiel], le requérant fait valoir qu’aucune preuve contre lui n’a été découverte dans le cadre de cette enquête depuis son ouverture dans le courant du mois de mars 2014, bien que le BPG ait obtenu l’autorisation de procéder en son absence depuis le 27 juillet 2015. En outre, il rappelle que ladite procédure a été suspendue depuis le 25 avril 2017 en raison de l’exécution d’actes de procédure totalement injustifiés dans le cadre de la coopération internationale.

56      Troisièmement, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir pris en compte certains arguments et certains éléments de preuve qui ont été avancés avant l’adoption des actes attaqués. Tout d’abord, il fait grief au Conseil de ne pas avoir pris en considération l’absence totale d’indépendance du BPG, qui, par ailleurs, aurait tenté, notamment, de soudoyer certaines personnes pour qu’elles fournissent de faux témoignages contre le requérant, en leur promettant en échange d’abandonner les charges retenues contre elles, ou même de faire adopter des amendements au code de procédure pénale ukrainien (ci-après le « code de procédure pénale ») visant expressément la situation du requérant.

57      À cet égard, le requérant s’appuie, notamment, sur cinq rapports actualisés d’un expert indépendant, le professeur W. B., sur un rapport de 2017 du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), l’organisme de surveillance de la lutte contre la corruption du Conseil de l’Europe, sur la situation en Ukraine ainsi que sur le rapport du haut-commissaire des Nations unies chargé de la mission d’observation des droits de l’homme en Ukraine (ci-après le « haut-commissaire ») concernant la période comprise entre le 16 mai et le 15 août 2018. Ensuite, il soutient que le système judiciaire ukrainien n’est ni indépendant ni impartial, comme en témoigneraient lesdits rapports et un certain nombre de déclarations et de documents.  De même, sa présomption d’innocence serait constamment violée par des déclarations publiques et condamnatoires effectuées pas des hauts fonctionnaires ukrainiens. Par ailleurs, plusieurs violations de ses droits procéduraux et fondamentaux auraient été commises dans le cadre des procès qui lui ont été intentés pour trahison et pour les événements de la place de l’Indépendance, ce qui compromettrait la fiabilité et la crédibilité de toutes les accusations et toutes les informations se rapportant au détournement de fonds publics, qui auraient été formulées et fournies à des fins purement politiques. Enfin, le requérant invoque l’immunité de poursuites dont il jouirait tant en droit interne qu’en droit international coutumier, en vertu de laquelle il ne pourrait pas faire l’objet de procédures pénales.

58      Dans la réplique, il fait valoir que les décisions de justice invoquées par le Conseil ne démontrent ni en fait ni en droit que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés conformément aux principes dégagés par la jurisprudence récente de la Cour et du Tribunal.

59      Premièrement, le Conseil aurait invoqué à tort la décision du 1er novembre 2018, laquelle aurait un caractère purement procédural, puisqu’elle consiste à proroger une mesure de contrainte déjà existante. En outre, elle serait illégale dès lors que l’avis de suspicion n’avait pas été notifié correctement au requérant.

60      Deuxièmement, la décision du 8 octobre 2018 serait, elle-aussi, purement procédurale et aurait déjà été écartée par le Tribunal, en tant qu’élément censé prouver la vérification de la protection des droits procéduraux s’agissant des actes de mars 2018, dans l’affaire concernant le fils du requérant. Le requérant reproche au Conseil, d’une part, de ne pas avoir tenu compte du fait que la demande du BPG avait été présentée dans le courant du mois de février 2017 et n’avait été jugée que plusieurs mois plus tard et, d’autre part, de s’être satisfait d’une version succincte et non motivée de cette décision, la version intégrale n’ayant été disponible que le 6 septembre 2019. Ainsi, le Conseil ne saurait valablement soutenir que le droit du requérant à une protection juridictionnelle effective a été respecté.

61      Troisièmement, s’agissant des décisions de justice relatives à des saisies de biens lui appartenant, le requérant fait valoir, d’une part, qu’elles ont été rendues entre les mois d’octobre 2014 et de décembre 2015, soit bien avant l’adoption des actes attaqués, et, d’autre part, qu’elles n’ont pas été examinées par le Conseil, qui n’en disposait pas, et ce nonobstant le fait que le requérant ait fait valoir qu’elles étaient illégales, dans la mesure où l’avis de suspicion ne lui aurait pas été notifié régulièrement, de sorte qu’il n’aurait pas pu se défendre. Ainsi, selon le requérant, de telles décisions ne sauraient être invoquées pour démontrer que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés avant que les actes attaqués n’aient été adoptés.

62      En outre, le requérant fait grief au Conseil de ne pas avoir tenu compte de l’absence de progression des procédures en cause, qui ont été plusieurs fois suspendues et reprises sans véritable motif.

63      Enfin, le requérant conteste l’attitude du Conseil consistant à ne pas tenir compte des anomalies relatives aux procès pour trahison et pour les faits de la place de l’Indépendance, dès lors que, selon lui, le comportement des autorités ukrainiennes dans le cadre de ces procès mine la confiance que le Conseil peut accorder aux informations émanant de celles-ci lorsqu’il doit décider du maintien du nom du requérant sur la liste.

64      Le Conseil rétorque, en premier lieu, qu’il est en droit de se fonder sur des informations fournies par le BPG dans le cadre de l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont il jouit en matière de politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Ainsi, premièrement, il considère que le maintien du nom du requérant sur la liste sur la base des informations contenues dans les lettres du BPG répond aux critères de désignation et repose sur une base factuelle suffisamment solide permettant d’établir que le requérant fait l’objet de procédures pénales en Ukraine.  Deuxièmement, il estime avoir tenu compte des observations du requérant et avoir demandé des clarifications supplémentaires, qui ont été communiquées au requérant, lequel a pu formuler de nouvelles observations. Troisièmement, le Conseil rappelle qu’il ne lui incombe pas de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont le requérant fait l’objet. Enfin, quatrièmement, s’agissant du respect des exigences découlant de la jurisprudence récente de la Cour et du Tribunal, le Conseil indique que, contrairement à ce que prétend le requérant, les décisions judiciaires ukrainiennes peuvent être invoquées en tant qu’éléments de preuve permettant de démontrer le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.  

65      Selon le Conseil, la décision du 8 octobre 2018, qui a été rendue à la suite d’une audience publique à laquelle les avocats de la défense ont participé, et la décision du 1er novembre 2018 démontrent, d’une part, les efforts accomplis par les autorités ukrainiennes pour faire progresser l’enquête et, d’autre part, que celles-ci ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant. S’agissant des décisions du tribunal de Petchersk portant sur des saisies de biens du requérant, le Conseil fait observer que celui-ci ne les a jamais contestées et n’a pas non plus évoqué d’éventuelles irrégularités concernant leur adoption.  

66      Le Conseil estime que, dans la mesure où il est en droit de se fonder sur des éléments de preuve fournis par le BPG quant à l’existence d’une procédure pénale pour détournement de fonds publics, il est a fortiori en droit de se fonder sur des décisions de justice, rendues par des juridictions du pays tiers conformément à un code de procédure qui garantit le respect des droits de la défense, comme preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, conformément à la présomption de légalité des décisions juridictionnelles, que seule une autre décision de justice contraire, et non de simples affirmations formulées par le requérant, pourrait infirmer.  

67      En deuxième lieu, s’agissant des allégations du requérant concernant le manque de précision et de cohérence des attestations émanant du BPG, le Conseil fait valoir que les procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé sont uniquement la procédure [confidentiel] et la procédure [confidentiel].

68      S’agissant de la procédure [confidentiel], il soutient que les informations provenant du BPG continuent de fournir une base adéquate pour maintenir le nom du requérant sur la liste. En réponse aux arguments de celui-ci concernant le retard de l’enquête préliminaire dans cette affaire, le Conseil rétorque qu’il a vérifié les motifs de suspension et que les délais étaient dûment justifiés [confidentiel], se référant à cet égard aux principes dégagés dans l’arrêt du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil (T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779).

69      S’agissant de la procédure [confidentiel], le Conseil conteste les allégations du requérant relatives à l’absence de progression de l’enquête préliminaire. À cet égard, il mentionne, notamment, la décision du 8 octobre 2018, dont il aurait cherché à obtenir la version intégrale, et précise que cette décision ne faisait pas obstacle à la conduite de l’enquête préliminaire ni empêchait qu’une nouvelle demande d’enquête préliminaire spéciale par défaut soit présentée par le BPG. Par conséquent, il aurait pu continuer de se fonder sur cette procédure. Le Conseil fait, en outre, valoir que, contrairement à ce que prétend le requérant, il a tenu compte des nombreux transferts dont l’affaire a fait l’objet entre différents services d’enquête et qu’il a demandé des précisions complémentaires à cet égard, que le BPG a fournies. Ainsi, il estime que, dans l’attente d’une décision du juge d’instruction sur le recours du requérant visant à contester la compétence de l’autorité ayant adopté la décision de suspension de l’enquête préliminaire, il était en droit de se fonder sur les informations fournies par le BPG. Le Conseil souligne également qu’il est clairement indiqué [confidentiel] que la procédure en cause a été suspendue le 30 juillet 2018 pour des motifs liés à la recherche du suspect.  

70      En troisième lieu, quant à certains autres facteurs dont il aurait dû tenir compte, le Conseil estime que, eu égard à leur nature très générale, les arguments du requérant concernant de prétendues violations de droits fondamentaux dans les procès pour trahison et pour les faits de la place de l’Indépendance ne sauraient remettre en question les accusations concernant le détournement de fonds publics. En outre, il n’incomberait pas au Conseil d’évaluer les allégations d’ordre général concernant l’indépendance du BPG ou du pouvoir judiciaire ukrainien. S’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle il ne pourrait pas faire l’objet d’une procédure pénale parce qu’il jouit d’une immunité de poursuites, le Conseil rétorque, en substance, qu’il appartient aux autorités ukrainiennes, y compris le BPG, d’apprécier si une procédure pénale peut être ouverte.

71      Enfin, dans la duplique, le Conseil conteste l’interprétation faite par le requérant de la jurisprudence du Tribunal concernant la légalité des actes de mars 2018. Selon lui, cette jurisprudence ne saurait être interprétée dans le sens qu’il ne faudrait pas tenir compte des décisions de procédure des juridictions ukrainiennes, en particulier lors de la vérification visant à déterminer si les autorités ukrainiennes avaient respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de l’enquête pénale en cours. En effet, les deux questions dont est saisi le Tribunal seraient, d’une part, celle de savoir si les conclusions du Conseil concernant le respect desdits droits reposaient sur une base factuelle suffisamment solide, y compris les éléments de preuve dont il disposait ou dont il aurait pu raisonnablement disposer au moment de l’adoption des actes attaqués, et, d’autre part, celle de savoir si les motifs indiqués pour justifier lesdites conclusions étaient pertinents et suffisants. 

72      Ainsi, le Conseil estime, en substance, qu’il a amplement démontré pourquoi il n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant, sur la base des éléments de preuve obtenus ainsi que par l’exercice proactif de son devoir de vérification, que les droits du requérant avaient été respectés devant les juridictions ukrainiennes dans le cadre des procédures qui constituent le fondement de sa décision de maintenir le nom du requérant sur la liste.

73      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, le Conseil ne jouissait d’aucune marge d’appréciation pour déterminer s’il disposait d’éléments suffisants pour évaluer le respect, par les autorités ukrainiennes, des droit de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant et si ces éléments étaient de nature à susciter des doutes légitimes au regard du respect de ces droits (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 79 et jurisprudence citée). 

74      Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 51 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 59 et jurisprudence citée).

75      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ladite décision, sont étayés (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 52 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 60 et jurisprudence citée).

76      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par les actes de mars 2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 53 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 61 et jurisprudence citée).

77      Aussi, si, en vertu d’un critère d’inscription tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 54 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 62 et jurisprudence citée).

78      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel de fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de ce fait, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 55 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 63 et jurisprudence citée).

79      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 78 ci-dessus (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 56 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 64 et jurisprudence citée).

80      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien de mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 57 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 64 et jurisprudence citée).

81      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives telles que celles en cause sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics par la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 58 ; voir également arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 66 et jurisprudence citée).

82      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté ces obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

83      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures pénales à l’encontre du requérant pour détournement de fonds ou d’avoirs publics avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 31 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas.

84      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 69 et jurisprudence citée).

85      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

86      Il convient de constater que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet des procédures pénales engagées par les autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives de détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui était établie par les lettres du BPG ainsi que par certaines décisions de justice dont le requérant avait reçu copie (voir point 29 ci‑dessus).

87      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502), et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

88      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

89      Dans la première partie de cette section figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce même code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que moyennant une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

90      La seconde partie de ladite section concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes inscrites sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours des procédures pénales sur lesquelles le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoigneraient, notamment, « un certain nombre de décisions de justice relatives à la saisie de biens, [la] décision [...] du 1er novembre 2018[,] autorisant l’arrestation et la convocation de la personne soupçonnée et sa comparution devant le tribunal, ainsi qu[e la] décision [...] du 8 octobre 2018[,] refusant la demande d’enquête préliminaire spéciale par défaut du procureur » (voir point 31 ci‑dessus).

91      Dans la lettre du 5 mars 2019 adressée au requérant (voir point 32 ci-dessus), tout d’abord, le Conseil a indiqué que les lettres émanant du BPG établissaient que le requérant continuait à faire l’objet de procédures pénales en Ukraine pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. Ensuite, il a indiqué, d’une part, que le BPG lui avait fourni des informations concernant la prétendue absence de progression de la procédure [confidentiel] et que, d’après celui-ci, le rejet de la demande de procéder par défaut n’entravait ni l’enquête préliminaire ni la possibilité de présenter une nouvelle demande de ce type. D’autre part, s’agissant de la question de la compétence du bureau d’investigation, contestée par le requérant, le Conseil a précisé que l’enquête préliminaire dans cette procédure avait été renvoyée aux enquêteurs du département des enquêtes spéciales du BPG et que, dans l’attente de la décision du juge d’instruction sur la demande du requérant contestant la décision de suspension de ladite procédure également pour des motifs d’incompétence, il était en droit de se fonder sur les informations et les éléments de preuve fournis par le BPG. Enfin, s’agissant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, le Conseil n’a fait explicitement référence qu’à ladite procédure [confidentiel], en précisant qu’il ressortait des décisions de justice relatives à la saisie de biens du requérant, de la décision du 8 octobre 2018, qui avait été rendue à l’issue d’une audience publique à laquelle les avocats de la défense avaient participé, ainsi que de la décision du 1er novembre 2018 que lesdits droits avaient été respectés.

92      Il s’ensuit que, bien que, dans sa lettre du 5 mars 2019, le Conseil ait mentionné d’une manière générique les procédures pénales dont le requérant faisait l’objet en Ukraine, la procédure [confidentiel] est la seule pour laquelle il atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

93      Toutefois, il convient de relever que le Conseil se réfère également, de manière tout à fait générique, tant dans les motifs figurant dans les actes attaqués que dans ladite lettre, à un « certain nombre de décisions de justice relatives à la saisie de biens ».

94      À cet égard, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure toutes ces décisions témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure [confidentiel] ou de la procédure [confidentiel], cette dernière procédure étant la seule parmi l’ensemble des procédures pertinentes, outre la procédure [confidentiel], dans le cadre de laquelle, d’après les informations fournies par le BPG, ont été ordonnées des saisies de biens du requérant. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 77 et 78 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider le maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquête pénales portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, points 78).

95      Dans cette perspective, les décisions de justice mentionnées au point 90 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, à tout le moins celles des 8 octobre et 1er novembre 2018, qui sont pertinentes sous l’angle temporel, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 79).

96      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que ces deux décisions ainsi que celles portant sur des saisies de biens du requérant témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

97      S’agissant, en premier lieu, de la décision du 8 octobre 2018, il convient de relever, contrairement à ce que prétend le Conseil, qu’il ne ressort pas clairement de celle-ci, qui est dépourvue de toute motivation, que lesdits droits ont été garantis au requérant en l’espèce. À cet égard, s’il est vrai, comme le souligne le Conseil dans sa lettre du 5 mars 2019 (voir point 91 ci-dessus), que cette décision a été adoptée à l’issue d’une audience publique à laquelle les avocats de la défense ont participé et que, par ladite décision, le juge d’instruction a refusé la demande d’enquête préliminaire spéciale par défaut présentée par le BPG le 28 février 2017, il n’en reste pas moins qu’il ne ressort pas des pièces du dossier de la présente procédure que le Conseil ait pris en considération les observations du requérant concernant ladite décision et les possibles motifs ayant justifié son adoption, que ce dernier lui avait communiquées dans ses lettres des 29 novembre et 18 décembre 2018 ainsi que dans celles des 28 janvier et 1er février 2019.

98      En effet, le requérant avait fait valoir, d’une part, que les conditions pour autoriser la procédure par défaut, au sens de l’article 297-2 du code de procédure pénale, n’étaient pas remplies en l’espèce, son nom n’étant pas inscrit sur la liste des personnes recherchées au niveau international établie par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), et, d’autre part, que la décision du 8 octobre 2018 violait son droit à une protection juridictionnelle effective, dans la mesure où elle ne pouvait pas faire l’objet d’un appel. En outre, il avait indiqué, notamment, que, à défaut de disposer d’une décision motivée, le Conseil aurait dû tenir compte des motifs ayant justifié le rejet d’une demande identique du BPG concernant son fils, dans le cadre de la même procédure, par une décision rendue le 7 février 2018 par le même juge d’instruction. Le requérant avait avancé que le rejet de ladite demande avait été déterminé par des questions liées, notamment, au fait que l’avis de suspicion n’avait pas été notifié correctement, ce qui impliquait que son fils n’avait pas le statut de suspect, et, plus généralement, au fait que les éléments de preuve produits par le BPG pour démontrer que son fils se soustrayait aux poursuites judiciaires et qu’il était suspecté d’avoir commis l’infraction alléguée n’étaient pas suffisants. Par ailleurs, le requérant a souligné dans sa lettre du 29 novembre 2018 que, au point 63 de son rapport concernant la période comprise entre le 16 mai et le 15 août 2018, le haut-commissaire avait indiqué que les procédures par défaut en Ukraine n’étaient pas conformes aux normes internationales des droits de l’homme. En effet, alors que ces procédures auraient dû être précédées d’une notification adéquate à l’accusé et auraient dû prévoir la possibilité d’un nouveau procès complet après la localisation de l’intéressé par les autorités, aucune de ces exigences n’était prévue par le code de procédure pénale, ce qui, selon le haut-commissaire, avait un impact négatif sur les droits de la défense.

99      Or, premièrement, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil ait vérifié dans quelle mesure la décision du 8 octobre 2018 se conciliait avec les articles du code de procédure pénale, explicitement mentionnés dans la première partie de la section des actes attaqués relative aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective de l’annexe de la décision 2014/119 et de l’annexe I du règlement no 208/2014 telles que modifiées par les actes attaqués (voir point 89 ci-dessus), qui établissent, notamment, le droit de la personne soupçonnée de « contester des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur, du procureur et du juge d’instruction » (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 82).

100    Deuxièmement, les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer sur quel fondement le Conseil a considéré qu’une décision telle que la décision du 8 octobre 2018 pouvait témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure [confidentiel].

101    Certes, il est vrai, ainsi que le souligne le Conseil, qu’il ne s’agit pas d’une décision autorisant l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut, mais d’une décision la refusant, et donc, en tant que telle, d’une décision favorable au requérant. Toutefois, ce seul élément, à lui seul, ne suffit pas à établir que le Conseil a vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle par les autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, points 83 à 85).

102    En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 77 et 78 ci-dessus, le Conseil doit s’assurer du respect de ces droits lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder, à savoir, en l’espèce, la décision d’une autorité ukrainienne, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant le requérant. Ainsi, le Conseil ne pouvait pas négliger les raisons ayant déterminé le rejet de la demande du BPG, qui est l’autorité qui mène l’enquête, dans la mesure où celle-ci aurait pu se révéler, par exemple, fallacieuse ou dépourvue de tout fondement en droit.

103    Cela est d’autant plus vrai dans le cas d’espèce, où le Conseil s’est borné à se fonder sur une décision succincte et dépourvue de toute motivation, adoptée par le juge d’instruction du tribunal de Petchersk à l’issue d’une demande présentée par le BPG le 28 février 2017, s’appuyant nécessairement sur des éléments de preuve recueillis jusqu’à cette date, soit donc deux ans avant l’adoption des actes attaqués.

104    Dans ces circonstances, le Conseil ne pouvait pas se satisfaire des informations soit laconiques, soit imprécises dont il disposait et a commis une erreur d’appréciation en estimant qu’il n’était pas tenu de prendre en compte les éléments produits par le requérant et les arguments développés par celui-ci ni de procéder à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes, alors que ces éléments et ces arguments étaient de nature à susciter des interrogations légitimes quant à la fiabilité des informations fournies par le BPG (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, points 253 à 257).

105    Au demeurant, sans que cela ait d’incidence sur la présente affaire, dans la mesure où la version intégrale de la décision du 8 octobre 2018 n’était pas disponible lors de l’adoption des actes attaqués, n’ayant été mise à la disposition des avocats du requérant en Ukraine que le 6 septembre 2019, il y a néanmoins lieu de relever qu’il ressort de la version intégrale de cette décision que les conditions prévues à l’article 297-2 du code de procédure pénale pour l’octroi d’une autorisation d’enquêter par défaut n’étaient pas remplies en l’occurrence. En effet, premièrement, il a été constaté que l’avis de suspicion n’avait pas été notifié correctement et que, par conséquent, le requérant n’avait pas le statut de suspect. Deuxièmement, il a été relevé que le BPG n’avait pas prouvé que le requérant se soustrayait aux poursuites judiciaires, dès lors que le BPG savait où il se trouvait en Russie. Troisièmement, il a été considéré que le BPG n’était pas compétent pour introduire une telle demande, car le Bureau national anticorruption de l’Ukraine était l’agence investigatrice compétente, et qu’il n’avait pas établi l’existence de circonstances constituant des motifs raisonnables de suspecter que le requérant avait commis l’infraction alléguée.

106    En deuxième lieu, s’agissant de la décision du 1er novembre 2018, il convient de relever d’emblée qu’elle ne figurait pas dans le dossier de l’affaire. Les seules informations concernant cette décision ressortant dudit dossier étaient celles figurant dans la lettre du [confidentiel], à savoir qu’il s’agissait d’une décision prorogeant la période de validité de l’autorisation de procéder à l’arrestation, à la convocation et à la comparution du requérant devant un tribunal, la seule décision de ce type mentionnée dans ladite lettre et à laquelle la décision du 1er novembre 2018 pouvait se référer étant celle rendue le 8 juillet 2015 par le tribunal de Petchersk.

107    La décision du 1er novembre 2018 autorisant l’arrestation et la convocation du requérant et sa comparution devant un tribunal ainsi que celle ayant la même teneur du juge d’instruction du tribunal de Petchersk du 8 juillet 2015 ont été produites par le Conseil en réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal.

108    Or, il ressort de la lettre que le BPG a envoyée au Conseil le 4 août 2020 pour lui transmettre ces deux décisions que, contrairement à ce que laissait entendre la lettre du [confidentiel] (voir point 106 ci-dessus), la décision du 1er novembre 2018 ne constituait pas une prorogation de la décision du 8 juillet 2015, celle-ci ayant cessé de produire ses effets le 8 janvier 2016.

109    Ainsi, force est de constater que, avant l’adoption des actes attaqués, le Conseil n’était pas en possession de la décision du 1er novembre 2018 et que, afin de motiver le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, il s’est fondé uniquement, ainsi qu’il l’a lui-même reconnu lors de l’audience, sur la référence à cette décision faite par [confidentiel].

110    À l’audience, le Conseil est resté en défaut d’expliquer les éléments sur lesquels il s’est fondé pour affirmer, dans la motivation des actes attaqués ayant trait au requérant (voir point 31 ci-dessus), que la décision du 1er novembre 2018 témoignait, notamment, de ce que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé. En revanche, il a avancé qu’il y avait une autre décision similaire dans le dossier de l’affaire, sur laquelle il aurait pu se fonder, et que c’est par erreur qu’il avait fait référence à la décision du 1er novembre 2018.

111    À cet égard, il doit également être relevé que la décision du 1er novembre 2018 se réfère à une décision de même teneur, rendue le 3 mai 2015 par le juge d’instruction du tribunal de Petchersk, dont les effets auraient expiré le 2 novembre 2018, et non à la décision du 8 juillet 2015 susmentionnée, à laquelle se référait [confidentiel] (voir point 108 ci-dessus)

112    Par conséquent, il y a lieu de constater, d’une part, que les informations fournies par le BPG, sur lesquelles le Conseil s’est fondé, étaient imprécises et incorrectes et, d’autre part, que le Conseil ignorait, à tout le moins, le contenu de la décision du 3 mai 2015, dont la décision du 1er novembre 2018 visait à prolonger les effets.

113    Dans ces circonstances, si la décision du 1er novembre 2018, ainsi que le prétend le Conseil, pourrait, in abstracto, étayer la conclusion selon laquelle, d’une part, le requérant avait le statut de suspect et, d’autre part, un juge avait estimé qu’il existait des preuves suffisantes, au sens de l’article 177, paragraphe 2, du code de procédure pénale, pour démontrer qu’il y avait un motif raisonnable de le soupçonner d’avoir commis l’infraction pénale en cause, ladite décision ne saurait néanmoins attester, en soi, du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

114    Il s’ensuit que c’est à tort que le Conseil a considéré que la décision du 1er novembre 2018, qu’il n’a pas examinée avant d’adopter les actes attaqués, pouvait attester du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant. En outre, s’il avait examiné cette décision et celle du 8 juillet 2015, il aurait pu constater l’existence d’un certain nombre d’incohérences contenues dans les attestations du BPG et, en conséquence, demander des renseignements complémentaires aux autorités ukrainiennes.

115    Par ailleurs, il convient également de relever que la décision du 1er novembre 2018, d’une part, a été rendue à la suite d’une motion du BPG présentée le même jour et d’une audience qui s’est tenue également le 1er novembre 2018, à huis clos et sans la participation d’un représentant de la défense, mais en présence du procureur, et, d’autre part, ne pouvait pas faire l’objet d’un appel de la part du requérant. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil ait vérifié dans quelle mesure cette décision pouvait, in abstracto, se concilier avec le respect des dispositions du code de procédure pénale mentionnées dans la première partie de la section relative aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective de l’annexe de la décision 2014/119 et de l’annexe I du règlement no 208/2014 telles que modifiées par les actes attaqués.

116    S’agissant, en troisième et dernier lieu, des décisions de justice portant sur des saisies de biens du requérant, qui ne figurent pas non plus dans le dossier de l’affaire et qui n’ont jamais été examinées par le Conseil, ainsi que celui-ci l’a admis lors de l’audience, il convient de relever que, selon les indications fournies par le BPG, elles ont été rendues par le tribunal de Petchersk, d’une part, entre les mois d’octobre 2014 et de décembre 2015 dans le cadre de la procédure [confidentiel] et, d’autre part, entre les mois de février 2015 et de juillet 2016 dans le cadre de la procédure [confidentiel], soit donc bien avant l’adoption des actes attaqués.

117    Il s’ensuit que ces décisions, dont par ailleurs la légalité avait été contestée par le requérant à plusieurs égards et dont le Conseil a lui-même reconnu, lors de l’audience, qu’elles ont une valeur probante moindre, ne sauraient suffire à établir que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2019 au mois de mars 2020, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 84). Au demeurant, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de ces mêmes décisions, dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502, points 71 et 90 à 93), et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, points 83 et 93 à 96), qui n’ont pas été contestés par le Conseil. Dans ces arrêts, il a été jugé que ces décisions n’étaient pas susceptibles de démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés dans le cadre des procédures en cause.

118    En tout état de cause, il doit également être relevé que toutes les décisions de justice ukrainiennes susmentionnées s’insèrent dans le cadre des procédures pénales ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes par rapport à celles-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire, soit procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet de procédures pénales portant sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener lesdites procédures pénales, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 78 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 94, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, points 91 et 92).

119    Au demeurant, le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions de justice invoquées et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance. En revanche, ainsi qu’il a déjà été relevé aux points 106 et 116 ci-dessus, il ressort du dossier de l’affaire que le Conseil n’était en possession ni de la décision du 1er novembre 2018 ni des décisions relatives à la saisie des biens du requérant et ne disposait que d’une version succincte et dépourvue de toute motivation de la décision du 8 octobre 2018.

120    La simple référence faite par le Conseil à des lettres et à des prises de position des autorités ukrainiennes dans lesquelles celles-ci ont expliqué en quoi les droits fondamentaux du requérant avaient été respectés et ont donné des assurances à cet égard ne saurait suffire pour considérer que la décision de maintenir son nom sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 78 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 44).

121    À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple possibilité d’invoquer la violation de ces droits devant les juridictions ukrainiennes en vertu de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect de desdits droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, point 72).

122    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du Conseil selon lequel le requérant n’a pas avancé d’élément susceptible de démontrer que sa situation particulière avait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien. En effet, selon une jurisprudence constante, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 45 et jurisprudence citée).

123    D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, la simple existence des décisions mentionnées au point 90 ci-dessus permettrait de considérer que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant a été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme celui-ci l’avait fait valoir à maintes reprises dans les lettres envoyées au Conseil, la procédure [confidentiel] et la procédure [confidentiel], qui avaient été initialement ouvertes en 2014 et, en l’état, étaient toutes les deux suspendues, et ce, s’agissant de la procédure [confidentiel], après avoir fait l’objet de plusieurs transferts entre différents bureaux d’investigation, se trouvaient encore au stade de l’enquête préliminaire, de sorte qu’elles n’avaient pas été soumises à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant connu que pour des questions procédurales, en dépit, par ailleurs, du fait que le tribunal de Petchersk avait rendu le 27 juillet 2015 une décision autorisant le BPG à procéder par défaut dans la procédure [confidentiel].

124    Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 47 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 96 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

125    Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

126    À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant ledit article 6, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, point 126 et jurisprudence citée). De plus, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

127    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, de la même enquête préliminaire menée par le BPG, le Conseil est tenu de vérifier le respect des droits fondamentaux de cette personne, et donc de son droit à être jugée dans un délai raisonnable, par les autorités ukrainiennes avant qu’il décide s’il y a lieu de proroger ou non une nouvelle fois ces mesures (voir, en ce sens, arrêts du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 99, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 99 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 114 et jurisprudence citée).

128    L’argumentation présentée par le BPG dans ses lettres et non étayée par aucun élément de preuve, que le Conseil a fait en quelque sorte sienne, selon laquelle l’absence d’évolution des procédures en cause était justifiée, notamment, par leur suspension dans l’attente des réponses à plusieurs demandes d’entraide judiciaire internationale [confidentiel], n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion. En effet, ainsi que le souligne le requérant, les deux procédures sur lesquelles le Conseil s’est fondé ont été suspendues et rouvertes à plusieurs reprises et pour différentes raisons, et ce sans que des justifications crédibles aient été fournies par le BPG.

129    Par ailleurs, l’argument du Conseil selon lequel des suspensions d’une enquête pénale pendant plusieurs années auraient été admises par le Tribunal lorsqu’elles découlent d’actes de procédure menés dans le cadre de la coopération internationale, qu’il tire de l’arrêt du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil (T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779, point 54), n’est pas pertinent pour deux raisons.

130    Premièrement, force est de constater que cet arrêt a été rendu avant le prononcé de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031) (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, points 96 à 98), qui a apporté des clarifications significatives quant à l’obligation du Conseil de vérifier si le droit à être jugé dans un délai raisonnable, lequel, ainsi qu’il a été souligné au point 124 ci-dessus, constitue une composante du droit à une protection juridictionnelle effective, a été respecté dans le cadre des procédures judiciaires servant de fondement à l’adoption de mesures restrictives. Deuxièmement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil (T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779), la situation était différente de celle de la présente espèce, dans la mesure où les documents dont disposait le Conseil attestaient de l’existence à la fois d’une activité procédurale effective dans le cadre de l’instruction de l’affaire concernant la partie requérante ainsi que, notamment, d’actes de procédure accomplis par les autorités concernées dans le cadre des commissions rogatoires internationales (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, points 146 et 147). Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, le Conseil ne s’étant fondé que sur des attestations [confidentiel] qui se réfèrent de façon générique à l’existence d’actes de procédure menés dans le cadre de la coopération internationale.

131    Le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit des arguments du requérant repris au point 123 ci-dessus, il pouvait considérer que le droit du requérant à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concernait le respect de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 100).

132    Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener les procédures pénales en cause avait été adoptée et mise en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

133    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant dans le cadre des actes attaqués, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée,  ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil, T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502, point 94 et jurisprudence citée ; du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 102 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 102 et jurisprudence citée).

134    Enfin doit être rejeté l’argument du Conseil, réitéré lors de l’audience, selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité, en vertu également des accords de coopération et d’assistance dans le domaine de la justice existant entre l’Union et l’Ukraine.

135    En effet, s’il est vrai, ainsi que le prétend le Conseil, qu’il  est en droit de se fonder sur des décisions de justice comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 78 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 153 et jurisprudence citée).

136    Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, d’une part, le Conseil n’était pas en possession de la plupart des décisions sur lesquelles il entendait se fonder et, d’autre part, le requérant a soulevé des doutes quant au respect de ses droits dans le contexte de l’adoption des décisions de justice sur lesquelles le Conseil entendait se fonder. En tout état de cause, il ne saurait être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant le respect desdits droits (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 240), ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

137    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

138    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens ni les autres arguments invoqués par ce dernier.

139    Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 48, deuxième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2019/354 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi visant le présent arrêt, en tant qu’il annulerait le règlement d’exécution 2019/352 dans la mesure où il concerne le requérant, et, au cas où un pourvoi serait introduit à cet égard, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2019/354 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2020. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil, T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685, point 105 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

140    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Viktor Fedorovych Yanukovych a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.