Language of document : ECLI:EU:T:2014:871

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

30 septembre 2014 *

« Recours en annulation – Politique étrangère et de sécurité commune – Mission ‘État de droit’ menée par l’Union européenne au Kosovo (Eulex Kosovo) – Personnel contractuel – Décisions du chef de la mission de ne pas renouveler des contrats de travail – Incompétence manifeste »

Dans l’affaire T‑410/13,

Burim Bitiqi, demeurant à Londres (Royaume-Uni),

Arlinda Gjebrea, demeurant à Pristina (Kosovo),

Anna Gorska, demeurant à Varsovie (Pologne),

Agim Hajdini, demeurant à Londres,

Josefa Martínez Estéve, demeurant à Valence (Espagne),

Denis Vasile Miron, demeurant à Bucarest (Roumanie),

James Nicholls, demeurant à Swindon (Royaume-Uni),

Zornitsa Popova Glodzhani, demeurant à Varna (Bulgarie),

Andrei Mihai Popovici, demeurant à Bucarest,

Amaia San José Ortiz, demeurant à Llodio (Espagne),

représentés initialement par Mes A. Coolen, D. de Abreu Caldas, É. Marchal et J.-N. Louis, puis par Mes D. de Abreu Caldas, M. de Abreu Caldas et Louis, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Erlbacher et Mme A.‑C. Simon, en qualité d’agents,

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt, É. Chaboureau et Mme M. Silva, en qualité d’agents,

Eulex Kosovo, établie à Pristina (Kosovo), représentée par M. B. Borchardt, en qualité d’agent, assisté de Me A. Fouquet Dörte, avocat,

parties défenderesses,

soutenues par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Vitro et M. Bauer, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation des décisions du chef de la mission « État de droit » menée par l'Union européenne au Kosovo (Eulex Kosovo) des 27 mai et 2 juillet 2013 de ne pas renouveler les contrats de travail des requérants,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, F. Dehousse et A. M. Collins (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique et faits à l’origine du litige

1        Le 4 février 2008, le Conseil de l’Union européenne a adopté l’action commune 2008/124/PESC, relative à la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (JO L 42, p. 92). En vertu de l’article 2, premier alinéa, de cette action commune, Eulex Kosovo aide les institutions du Kosovo, les autorités judiciaires et les organismes chargés de l’application des lois à progresser sur la voie de la viabilité et de la responsabilisation et à poursuivre la mise sur pied et le renforcement d’un système judiciaire multiethnique indépendant, ainsi que des services de police et de douanes multiethniques, de manière à ce que ces institutions soient libres de toute interférence politique et s’alignent sur les normes reconnues au niveau international et sur les bonnes pratiques européennes.

2        L’article 9 de l’action commune 2008/124 prévoit :

« 1. […]

2. Le personnel de Eulex Kosovo consiste essentiellement en agents détachés par les États membres ou les institutions de l’UE […]

3. Eulex Kosovo peut également recruter, en fonction des besoins, du personnel international et du personnel local sur une base contractuelle […] »

3        L’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124 précise :

« Les conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel civil international et local figurent dans les contrats conclus entre le chef de la mission et les membres du personnel. »

4        Les requérants, M. Burim Bitiqi, Mmes Arlinda Gjebrea, Anna Gorska, M. Agim Hajdini, Mme Josefa Martínez Estéve, MM. Denis Vasile Miron, James Nicholls, Mme Zornitsa Popova Glodzhani, M. Andrei Mihai Popovici, Mme Amaia San José Ortiz, faisaient partie du personnel international, au sens de l’article 9, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124, engagé par Eulex Kosovo dans le cadre de contrats à durée déterminée.

5        Aux termes de l’article 1er des contrats de travail des requérants :

« 1. En signant le présent contrat, le salarié confirme qu’il accepte et respecte les conditions et principes prévus par ce contrat, ses annexes, les procédures opérationnelles normalisées (PON) et le code de conduite (CDC) d’Eulex.

2. En cas de conflit entre les dispositions du présent contrat, les PON et le CDC, le contrat prévaut.

3. Les droits et obligations relatifs à la sécurité sociale et à la fiscalité ne relevant pas de ce contrat, de ses annexes, des PON ou du CDC sont régis par le droit matériel national en vigueur dans le pays de résidence permanente du salarié […] »

6        L’article 19 des contrats de travail des requérants, intitulé « Appel non disciplinaire », précisait les conditions dans lesquelles un salarié pouvait contester un acte d’Eulex Kosovo l’affectant défavorablement.

7        L’article 20, paragraphe 1, desdits contrats disposait :

« Par la présente, les parties déclarent expressément que tout litige les opposant portant sur l’interprétation et l’exécution du présent contrat sera porté devant un corps arbitral. Un tel renvoi ne pourra intervenir qu’au terme des procédures prévues aux articles 18 et 19 ci-dessus. Le présent paragraphe n’affecte pas la possibilité de porter le litige devant les tribunaux de Bruxelles (Belgique). »

8         L’article 21 des contrats de travail des requérants, intitulé « Règlement des litiges », stipulait :

« Les litiges découlant de ou relatifs au présent contrat relèvent de la compétence des tribunaux de Bruxelles (Belgique). »

9        Par courrier électronique du 24 mai 2013, le chef du personnel d’Eulex Kosovo a transmis au personnel international un message du chef de mission annonçant l’adoption d’un nouvel organigramme. Il était précisé qu’un certain nombre de postes de personnel international serait supprimé et que les personnes concernées seraient informées individuellement.

10      Par lettre du 27 mai 2013 (ci-après la « décision du 27 mai 2013 »), le chef de mission d’Eulex Kosovo a informé Mmes Gorska, Martin Estéve, Popova Glodzhani et San Jose Ortiz ainsi que MM. Miron et Nicholls que leurs contrats de travail seraient uniquement renouvelés jusqu’au 14 novembre 2013, en ce qui concerne Mmes Gorska, et jusqu’au 14 juillet 2013, en ce qui concerne les cinq autres, et qu’il ne serait pas prolongés ultérieurement.

11      Par lettre du 2 juillet 2013 (ci-après la « décision du 2 juillet 2013 »), le chef de mission d’Eulex Kosovo a informé Mme Gjebrea ainsi que MM. Bitiqi et Hajdini que leur contrat de travail expirerait le 3 août 2013 et qu’il ne serait pas prolongé ultérieurement. À cette même date, il a également informé M. Popovici que son contrat serait uniquement renouvelé jusqu’au 3 août 2013.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 août 2013, les requérants ont introduit le présent recours.

13      Dans leur requête, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions des 27 mai et 2 juillet 2013 ;

–        condamner la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et Eulex Kosovo aux dépens.

14      Le 20 décembre 2013, le Conseil a introduit une demande d’intervention au soutien des conclusions de la Commission, du SEAE et d’Eulex Kosovo.

15      Par ordonnance du 12 février 2014, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

16      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal les 14 et 17 février 2014, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo ont soulevé une exception d’irrecevabilité, en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

17      Le 7 avril 2014, les requérants ont présenté leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité.

18      Le Conseil a déposé son mémoire en intervention limitée à la question de la recevabilité le 7 avril 2014.

19      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la Commission ;

–        condamner les requérants aux dépens.

20      Dans leur exception d’irrecevabilité, le SEAE et Eulex Kosovo concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en ce qui les concerne ;

–        condamner les requérants aux dépens.

21      Dans son mémoire en intervention limité à la question de la recevabilité, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme irrecevable pour défaut de compétence.

22      Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        pour autant que de besoin, joindre l’exception d’irrecevabilité au fond.

 En droit

23      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours, il peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

24      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

25      Le présent recours vise à ce que le Tribunal se prononce sur la légalité des décisions des 27 mai et 2 juillet 2013 de ne pas renouveler les contrats de travail des requérants.

26      Les compétences du Tribunal sont celles énumérées à l’article 256 TFUE tel que précisé par l’article 51 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et par l’article 1er de l’annexe I dudit statut. En application de ces dispositions, le Tribunal n’est compétent pour statuer, en première instance, sur les litiges en matière contractuelle portés devant lui qu’en vertu d’une clause compromissoire. À défaut d’une telle clause, il étendrait sa compétence juridictionnelle au-delà des litiges dont la connaissance lui est limitativement réservée par l’article 274 TFUE, cette disposition conférant aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels l’Union est partie (ordonnance du 3 octobre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission, T‑186/96, Rec, EU:T:1997:149, point 47).

27      Dans le cas d’espèce, il ressort des points 2 à 9 ci-dessus que le rapport juridique qui fait l’objet du présent litige s’inscrit dans un contexte contractuel. Cependant, les contrats de travail des requérants ne contiennent aucune clause attribuant compétence au Tribunal pour juger des litiges qui pourraient naître de son exécution. Au contraire, l’article 21 de ces contrats de travail stipule expressément que les litiges découlant des, ou relatifs auxdits, contrats relèvent de la compétence des tribunaux de Bruxelles (Belgique).

28      Dès lors que le présent litige découle directement de la relation de travail liant les requérants à Eulex Kosovo, il entre dans le champ d’application de cet article et relève de la compétence des tribunaux de Bruxelles. Au demeurant, il est constant que ce litige est « relatif » aux contrats de travail des requérants au sens dudit article.

29      S’agissant des allégations des requérants relatives à une prétendue violation de leur droit à un recours effectif, il y a d’abord lieu de relever que les requérants ont volontairement conclu les contrats dans les termes qui leur étaient proposés. Conformément à l’article 1er desdits contrats, ils ont expressément accepté les conditions et principes qui y étaient énoncés, y compris les voies de recours prévues.

30      Ensuite, s’agissant de l’argument des requérants selon lequel le Tribunal doit se déclarer compétent afin de leur garantir une voie de recours effective, il y a lieu de constater que ces derniers n’ont identifié aucune disposition des contrats susceptible de démontrer que la compétence des tribunaux de Bruxelles leur serait préjudiciable.

31      Par ailleurs, les requérants n’ont nullement étayé leur allégation selon laquelle la circonstance que les tribunaux de Bruxelles sont appelés à appliquer, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de leurs contrats de travail, le droit matériel national en vigueur dans le pays de résidence permanente de chaque requérant ferait obstacle à la compétence des tribunaux de Bruxelles. À cet égard, il convient de rappeler que certaines dispositions de droit de l’Union ou de droit international privé prévoient qu’une juridiction d’un État membre applique, dans certaines conditions, le droit matériel d’un autre État membre.

32      En outre, il convient d’observer que les requérants ne contestent pas l’existence de voies de recours à leur disposition. Ils invoquent en revanche l’insuffisance du délai d’un mois, prévu à l’article 19 de leurs contrats de travail, dont ils disposent pour introduire un recours interne contre une décision d’Eulex Kosovo leur faisant grief. Toutefois, les requérants n’ont aucunement démontré en quoi ce délai d’un mois s’oppose à un recours effectif. Les requérants allèguent au contraire que le droit belge exclut qu’un contrat de travail puisse prévoir l’extinction du droit de porter un litige devant un tribunal.

33      Il ressort de ce qui précède que la prétendue existence « d’un risque sérieux qu’en suivant la procédure prévue par les clauses contractuelles en question, les requérants ne puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif de leur litige devant un corps arbitral ou les tribunaux de Bruxelles » n’est pas fondée.

34      Enfin, même à supposer que les contrats que les requérants ont librement conclus avec Eulex Kosovo soient déficients, ce que ces derniers ne sont d’ailleurs pas parvenus à démontrer, cette circonstance ne saurait conférer au Tribunal, ou à toute autre juridiction, une compétence autre que celles qui lui sont attribuées.

35      Quant à la prétendue violation du principe d’égalité de traitement en raison du fait que les contrats des requérants sont soumis au droit du pays de leur résidence permanente, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 10 octobre 2013, Manova, C‑336/12, Rec, EU:C:2013:647, point 30 et jurisprudence citée). Nonobstant le fait que les requérants ont conclu individuellement leurs contrats avec Eulex Kosovo, les requérants sont traités selon les mêmes modalités, qui sont énoncées de manière identique dans les contrats les concernant. Cette allégation doit donc être écartée.

36      Dans ces circonstances, les arguments des requérants ne sont pas de nature à remettre en cause le défaut de compétence du Tribunal en l’espèce et pourront, au demeurant, être soulevés devant les juridictions compétentes.

37      Il résulte des considérations qui précèdent que le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître du présent recours qu’il convient dès lors de rejeter.

 Sur les dépens

38      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission, du SEAE et d’Eulex Kosovo.

39      En vertu de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Dès lors, le Conseil supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Burim Bitiqi, Mmes Arlinda Gjebrea, Anna Gorska, M. Agim Hajdini, Mme Josefa Martínez Estéve, MM. Denis Vasile Miron, James Nicholls, Mme Zornitsa Popova Glodzhani, M. Andrei Mihai Popovici, Mme Amaia San José Ortiz sont condamnés aux dépens exposés par la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et Eulex Kosovo.

3)      Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 30 septembre 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       S. Frimodt Nielsen