Language of document : ECLI:EU:T:2009:454

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

19 novembre 2009(*)

« Marque communautaire – Demandes de marques communautaires figuratives 100 et 300 – Déclaration sur l’étendue de la protection – Article 38, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 40/94 [devenu article 37, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 207/2009] – Absence de caractère distinctif »

Dans les affaires jointes T‑425/07 et T‑426/07,

Agencja Wydawnicza Technopol sp. z o.o., établie à Częstochowa (Pologne), représentée par Me D. Rzążewska, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté initialement par M. O. Montalto et Mme K. Zajfert, puis par M. Montalto, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet deux recours formés contre les décisions de la quatrième chambre de recours de l’OHMI du 3 septembre 2007 (affaires R 1274/2006-4 et R 1275/2006-4), concernant les demandes d’enregistrement des marques figuratives 100 et 300 comme marques communautaires,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe et M. S. Soldevila Fragoso (rapporteur), juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu les requêtes déposées au greffe du Tribunal le 16 novembre 2007,

vu les mémoires en réponse déposés au greffe du Tribunal le 21 février 2008,

vu l’ordonnance du 27 février 2008 portant jonction des affaires T‑425/07 et T‑426/07 aux fins des procédures écrite et orale,

vu l’ordonnance du 29 avril 2009 portant jonction des affaires T‑425/07 et T‑426/07 aux fins de l’arrêt,

à la suite de l’audience du 26 novembre 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 15 juin 2004, la requérante, Agencja Wydawnicza Technopol sp. z o.o., a présenté deux demandes d’enregistrement de marques communautaires à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) nº 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) nº 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        Les marques dont l’enregistrement a été demandé sont les signes figuratifs 100 et 300, reproduits ci-après :

Image not found

Image not found

3        Les produits et services pour lesquels l’enregistrement des marques a été demandé relèvent des classes 16, 28 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        « affiches ; albums ; livrets ; magazines ; formulaires ; impressions ; journaux ; calendriers ; mots croisés ; rébus », relevant de la classe 16 ;

–        « puzzles de manipulation ; énigmes ; puzzles », relevant de la classe 28 ;

–        « organisation de compétitions ; éditions de textes », relevant de la classe 41.

4        Par lettres du 4 avril 2006, l’examinateur a informé la requérante que les signes n’étaient pas susceptibles d’enregistrement pour tous les produits visés, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009]. Dans ses réponses du 30 mai 2006, la requérante a maintenu sa position.

5        Le 9 août 2006, l’examinateur a refusé l’enregistrement des signes 100 et 300 sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 40/94 pour les produits suivants :

–        « affiches ; livrets ; magazines ; impressions ; journaux », relevant de la classe 16 ;

–        « puzzles de manipulation ; énigmes ; puzzles », relevant de la classe 28.

L’examinateur a estimé que ces signes étaient des indications descriptives, sans que les couleurs et les éléments graphiques utilisés puissent remettre en cause cette conclusion.

6        Le 27 septembre 2006, la requérante a formé deux recours contre les décisions de l’examinateur.

7        Le 22 février 2007, le président de la quatrième chambre de recours a invité la requérante, conformément à l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94 (devenu article 37, paragraphe 2, du règlement nº 207/2009), à déclarer dans un délai de deux mois qu’elle renonçait à invoquer un droit exclusif sur les chiffres 100 et 300 inclus dans les marques demandées. Par deux lettres du 15 juin 2007, la requérante a refusé de faire les déclarations demandées en invoquant le caractère enregistrable des chiffres. La chambre de recours a par conséquent rejeté les recours par deux décisions du 3 septembre 2007 (ci-après les « décisions attaquées »).

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées dans leur intégralité ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

9        L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      La requérante formule une observation à titre liminaire sur le caractère enregistrable des chiffres et soulève, en substance, trois moyens à l’appui de ses recours. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94 ; le deuxième est tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 40/94 et le troisième est tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement.

 Observation liminaire

 Arguments des parties

11      La requérante fait valoir que l’article 4 du règlement nº 40/94 (devenu article 4 du règlement nº 207/2009) contient un principe général en vertu duquel les chiffres peuvent être enregistrés en tant que marques et qu’il n’y a aucune raison pour que les chiffres ne puissent pas servir à distinguer, sur le marché, les produits ou les services de différents concurrents.

12      L’OHMI estime que ce principe est exact, mais ne concerne que la capacité abstraite des chiffres à distinguer les produits et les services sur le marché. Cette capacité abstraite serait une condition nécessaire mais insuffisante pour l’enregistrement, car les signes devraient également satisfaire aux exigences posées par l’article 7 du règlement nº 40/94.

 Appréciation du Tribunal

13      Il ressort clairement du libellé de l’article 4 du règlement nº 40/94 que les chiffres peuvent être enregistrés en tant que marques communautaires.

14      Néanmoins, tout signe doit, pour être enregistré, remplir les conditions posées par l’article 7 du règlement nº 40/94, qui empêche l’enregistrement des signes qui ne sont pas aptes à remplir auprès du consommateur la fonction d’indication de l’origine commerciale des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement [arrêt du Tribunal du 9 juillet 2008, Hartmann/OHMI (E), T‑302/06, non publié au Recueil, points 29 et 30]. Dès lors, un chiffre pourra être enregistré comme marque communautaire seulement s’il a un caractère distinctif par rapport aux produits et aux services visés dans la demande d’enregistrement et s’il ne constitue pas une simple description de ces produits et services.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94

 Arguments de parties

15      La requérante estime que l’exigence d’une déclaration de renonciation à l’invocation de droits exclusifs sur un élément quelconque des marques demandées est dépourvue de tout fondement étant donné que tous les éléments composant lesdites marques, et notamment les éléments numériques « 100 » et « 300 », possèdent un caractère distinctif. Elle précise que, même si l’un de ces éléments était dépourvu de caractère distinctif, il l’acquerrait en combinaison avec d’autres éléments, car, conformément à la jurisprudence de la Cour, le caractère distinctif des marques doit être apprécié par rapport à l’impression d’ensemble que ces éléments produisent.

16      La requérante invoque également l’enregistrement antérieur des signes 100 et 200, dont la charte graphique serait moins développée que celle des marques demandées, qui l’aurait conduit à agir avec confiance dans le droit et l’interprétation que l’OHMI en avait fait.

17      L’OHMI conclut au rejet du moyen.

 Appréciation du Tribunal

18      Lorsqu’une marque comporte un élément dépourvu de caractère distinctif et que l’inclusion de cet élément peut créer des doutes sur l’étendue de la protection accordée, l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94 reconnaît à l’OHMI la faculté de demander comme condition à l’enregistrement que le demandeur déclare qu’il n’invoquera pas de droit exclusif sur cet élément.

19      La fonction de ces déclarations, connues dans la pratique comme des « disclaimers », est de mettre en évidence le fait que le droit exclusif reconnu au titulaire d’une marque ne s’étend pas aux éléments non distinctifs qui la composent. De cette façon, les éventuels demandeurs pourront savoir que les éléments non distinctifs d’une marque enregistrée qui font l’objet d’une telle déclaration restent disponibles.

20      Le contenu de l’article 38 du règlement nº 40/94 est précisé par la règle 11, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) nº 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement nº 40/94 (JO L 303, p. 1). En particulier, les conséquences de la non-présentation de la déclaration exigée par l’OHMI sont établies dans la règle 11, paragraphe 3, du règlement nº 2868/95. Ainsi, si le demandeur ne présente pas la déclaration sollicitée par l’OHMI dans le délai imparti, ce dernier peut rejeter tout ou partie de la demande.

21      Dans le cas d’espèce, il s’agit de déterminer si la chambre de recours a pu considérer à bon droit, afin d’opposer à la requérante l’absence de présentation d’une déclaration au titre de l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94, d’une part, que les éléments « 100 » et « 300 » des marques demandées étaient dépourvus de caractère distinctif et, d’autre part, que leur inclusion dans les marques demandées pouvait créer des doutes sur l’étendue de la protection accordée à celles-ci.

22      En premier lieu, quant à la présence dans les marques demandées d’éléments dépourvus de caractère distinctif, il convient de préciser que la chambre de recours a renvoyé pour partie à sa décision du 7 août 2006 (affaire R 447/2006-4), concernant la demande d’enregistrement de la marque verbale 1000 (points 18 des décisions attaquées). À cet égard, il y a lieu de relever que, conformément à une jurisprudence constante, une décision peut être considérée comme suffisamment motivée lorsqu’elle renvoie expressément à un autre document transmis au requérant, comme c’est le cas en l’espèce [voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2008, Reber/OHMI – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T‑304/06, non encore publié au Recueil, point 48, et la jurisprudence citée].

23      Dans sa décision du 7 août 2006, la chambre de recours a en substance considéré que le chiffre 1000 pouvait servir à désigner le contenu des brochures et des périodiques relevant de la classe 16. La chambre de recours se réfère à cette décision pour affirmer en l’espèce que les éléments « 100 » et « 300 » peuvent désigner la quantité, le contenu ou l’édition des produits visés relevant de la classe 16. Elle considère par ailleurs que lesdits éléments peuvent désigner les différentes composantes des produits visés relevant de la classe 28.

24      Même si la chambre de recours n’a rien indiqué à cet égard, il y a lieu de considérer que ces produits s’adressent au grand public. Les chiffres 100 et 300 étant compréhensibles dans toutes les langues communautaires, le public concerné est donc constitué par les consommateurs moyens des produits en cause dans l’ensemble de la Communauté européenne.

25      En l’espèce, les chiffres 100 et 300 renvoient à des quantités et seront perçus immédiatement et sans autre réflexion par le consommateur moyen comme une description de caractéristiques des produits en cause, en particulier de la quantité d’affiches dans les lots de vente, de la quantité de pages des publications ou de la quantité de pièces des puzzles et des énigmes, qui détermine leur degré de difficulté, caractéristiques essentielles pour la prise de la décision d’achat. Dès lors, le public pertinent percevra ces éléments numériques comme fournissant des informations sur des produits désignés et non comme indiquant l’origine des produits en cause.

26      Cette conclusion ne saurait être infirmée par les arguments de la requérante tirés de la jurisprudence de la Cour concernant l’appréciation du caractère distinctif des signes complexes. En effet, il ne s’agit pas en l’espèce d’apprécier le caractère distinctif de marques composées d’éléments qui, pris séparément, ne sont pas distinctifs. Il s’agit d’apprécier le caractère distinctif de ces éléments afin d’éviter de leur étendre indûment le droit exclusif résultant des marques. Dès lors, l’appréciation du caractère distinctif des éléments des marques demandées, dans le cadre de l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94, ne doit pas se faire par rapport à l’impression d’ensemble produite par lesdites marques, mais par rapport aux éléments qui les composent.

27      En second lieu, quant à l’existence de doutes sur l’étendue de la protection, la chambre de recours a affirmé, aux points 19 des décisions attaquées, qu’il n’était pas possible d’établir quel élément des marques demandées déterminerait le caractère distinctif desdites marques, ce qui pourrait créer des doutes sur l’étendue de la protection accordée. En effet, en l’espèce, les éléments figuratifs des marques demandées, c’est-à-dire les couleurs, les cadres, les rubans et la typographie employée, sont trop banals pour s’imposer à la perception des consommateurs. En revanche, les chiffres, en tant qu’éléments verbaux uniques, sont susceptibles d’attirer davantage l’attention des consommateurs concernés et occupent ainsi une position dominante dans l’impression produite par les marques demandées.

28      En n’imposant aucune condition à l’enregistrement des marques demandées, l’impression pourrait dès lors être donnée que les droits exclusifs s’étendraient aux éléments « 100 » et « 300 », empêchant donc leur utilisation dans d’autres marques. En conséquence, c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que l’inclusion de ces signes dans les marques demandées pouvait créer des doutes sur l’étendue de la protection accordée à celles-ci.

29      Or, par ses lettres du 15 juin 2007, la requérante a refusé de faire les déclarations par lesquelles elle renonçait à invoquer des droits exclusifs sur ces éléments en alléguant le caractère enregistrable des chiffres 100 et 300. Ces lettres sont au demeurant arrivées en dehors du délai de deux mois imparti par le président de la chambre de recours, sans que la requérante ait pu démontrer, malgré ses allégations lors de l’audience, qu’un délai supplémentaire lui avait été accordé. La requérante n’ayant pas présenté les déclarations visées à l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94 ainsi qu’à la règle 11, paragraphe 2, du règlement nº 2868/95, c’est dès lors à bon droit que la chambre de recours a refusé l’enregistrement des marques demandées en vertu de la règle 11, paragraphe 3, du règlement nº 2868/95.

30      Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument tiré par la requérante du fait que les signes 100 et 200, dont la charte graphique serait moins développée que celles des marques demandées, ont été enregistrés par l’OHMI en tant que marques communautaires pour des produits relevant des classes 16 et 28. À cet égard, il convient de noter que la légalité des décisions de la chambre de recours doit être appréciée uniquement sur la base du règlement nº 40/94 et non sur la base de la pratique décisionnelle de l’OHMI [arrêts du Tribunal du 21 avril 2004, Concept/OHMI (ECA), T‑127/02, Rec. p. II‑1113, point 71, et du 19 mai 2009, Euro-Information/OHMI (CYBERCREDIT, CYBERGESTION, CYBERGUICHET, CYBERBOURSE et CYBERHOME), T‑211/06, T‑213/06, T‑245/06, T‑155/07 et T‑178/07, non publié au Recueil, point 44]. En outre, dans la mesure où cet argument devrait être compris comme étant tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, il résulte d’une jurisprudence constante que ledit principe ne saurait être invoqué que dans le cadre du respect du principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui [arrêts du Tribunal du 27 février 2002, Streamserve/OHMI (STREAMSERVE), T‑106/00, Rec. p. II‑723, point 67, et du 30 novembre 2006, Camper/OHMI – JC (BROTHERS by CAMPER), T‑43/05, non publié au Recueil, points 93 à 95].

31      Il résulte donc de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le premier moyen.

32      La chambre de recours n’ayant pas fondé les décisions attaquées sur l’absence de caractère distinctif et sur le caractère descriptif des marques demandées appréciées selon l’impression globale qu’elles produisent, mais sur le fait qu’elles comportent des éléments auxquels l’article 38, paragraphe 2, du règlement nº 40/94 est applicable, les deuxième et troisième moyens, tirés de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 40/94 sont inopérants.

33      En conséquence, les présents recours doivent être rejetés dans leur ensemble.

 Sur les dépens

34      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Agencja Wydawnicza Technopol sp. z o.o. est condamnée aux dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 novembre 2009.

Signatures


* Langue de procédure : le polonais.