Language of document : ECLI:EU:T:2023:373

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

5 juillet 2023 (*)

« Droit institutionnel – Membre du Parlement – Privilèges et immunités – Décision de levée de l’immunité parlementaire – Article 9 du protocole no°7 sur les privilèges et immunités de l’Union – Compétence de l’autorité ayant émis la demande de levée de l’immunité – Sécurité juridique – Erreur manifeste d’appréciation – Portée du contrôle du Parlement – Procédure d’examen de la demande de levée de l’immunité – Droits de la défense – Impartialité »

Dans l’affaire T‑272/21,

Carles Puigdemont i Casamajó, demeurant à Waterloo (Belgique),

Antoni Comín i Oliveres, demeurant à Waterloo,

Clara Ponsatí i Obiols, demeurant à Waterloo,

représentés par Mes P. Bekaert, J. Costa i Rosselló, G. Boye et S. Bekaert, avocats,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par MM. N. Lorenz, N. Görlitz et J.-C. Puffer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume d’Espagne, représenté par Mmes A. Gavela Llopis et M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de Mme A. Marcoulli (rapporteure), présidente, MM. S. Frimodt Nielsen, H. Kanninen, J. Schwarcz et R. Norkus, juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’ordonnance du 30 juillet 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée, EU:T:2021:497),

vu l’ordonnance du 26 novembre 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R II, non publiée, EU:T:2021:834),

vu l’ordonnance du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne [C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413],

à la suite de l’audience du 25 novembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérants, MM. Carles Puigdemont i Casamajó, Antoni Comín i Oliveres et Mme Clara Ponsatí i Obiols, demandent l’annulation des décisions P9_TA(2021)0059, P9_TA(2021)0060 et P9_TA(2021)0061 du Parlement européen, du 9 mars 2021, sur la demande de levée de leur immunité (ci-après les « décisions attaquées »).

 Antécédents du litige

2        Le premier requérant était président de la Generalitat de Cataluña (Généralité de Catalogne, Espagne) et les deuxième et troisième requérants étaient membres du Gobierno autonómico de Cataluña (gouvernement autonome de Catalogne, Espagne) au moment de l’adoption de la Ley 19/2017 del Parlamento de Cataluña, reguladora del referéndum de autodeterminación (loi 19/2017 du Parlement de Catalogne, portant réglementation du référendum d’autodétermination), du 6 septembre 2017 (DOGC 7449A, du 6 septembre 2017, p. 1), et de la Ley 20/2017 del Parlamento de Cataluña, de transitoriedad jurídica y fundacional de la República (loi 20/2017 du Parlement de Catalogne, de transition juridique et constitutive de la République), du 8 septembre 2017 (DOGC 7451A, du 8 septembre 2017, p. 1), ainsi que de la tenue, le 1er octobre 2017, du référendum d’autodétermination prévu par la première de ces deux lois, dont les dispositions avaient, dans l’intervalle, été suspendues par une décision du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne).

3        À la suite de l’adoption desdites lois et de la tenue de ce référendum, le Ministerio fiscal (ministère public, Espagne), l’Abogado del Estado (avocat de l’État, Espagne) et le parti politique VOX ont engagé une procédure pénale contre plusieurs personnes, dont les requérants, en considérant que celles-ci avaient commis des faits relevant, selon les personnes concernées, notamment des infractions de rébellion, de sédition et de détournement de fonds publics (ci-après la « procédure pénale en cause »).

4        Le 21 mars 2018, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a émis une ordonnance inculpant les requérants au titre d’infractions présumées de rébellion et de détournement de fonds publics. Par ordonnance du 9 juillet 2018, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a déclaré que ces derniers avaient refusé de comparaître, à la suite de leur fuite du Royaume d’Espagne, et a suspendu la procédure pénale ouverte à leur égard jusqu’à ce qu’ils soient retrouvés.

5        Les requérants ont, par la suite, présenté leur candidature aux élections des membres du Parlement qui se sont tenues en Espagne le 26 mai 2019.

6        Le 13 juin 2019, la Junta Electoral Central (Commission électorale centrale, Espagne) a adopté la décision proclamant les candidats élus au Parlement lors des élections du 26 mai 2019, parmi lesquels figuraient les premier et deuxième requérants.

7        Le 17 juin 2019, la commission électorale centrale a notifié au Parlement la liste des candidats élus en Espagne, sur laquelle ne figuraient pas les noms des premier et deuxième requérants.

8        Le 20 juin 2019, la commission électorale centrale a communiqué au Parlement une décision dans laquelle elle a constaté que les premier et deuxième requérants n’avaient pas prêté le serment de respecter la Constitution espagnole exigé par l’article 224, paragraphe 2, de la Ley orgánica 5/1985, de régimen electoral general (loi organique 5/1985, portant régime électoral général), du 19 juin 1985 (BOE no 147, du 20 juin 1985, p. 19110), et a, conformément à cet article, déclaré la vacance des sièges qui leur étaient attribués au Parlement ainsi que la suspension de toutes les prérogatives qui pourraient leur revenir du fait de leurs fonctions jusqu’à ce qu’ils aient prêté ce serment.

9        Le 27 juin 2019, le président du Parlement alors en fonction a informé les premier et deuxième requérants qu’il n’était pas en mesure de les traiter comme de futurs membres du Parlement.

10      Le 14 octobre 2019, le juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) a émis un mandat d’arrêt national, un mandat d’arrêt européen et un mandat d’arrêt international contre le premier requérant, afin qu’il puisse être jugé dans le cadre de la procédure pénale en cause. Le 4 novembre 2019, des mandats d’arrêt similaires ont été émis par le même juge contre les deuxième et troisième requérants.

11      Le 13 janvier 2020, le président du Tribunal Supremo (Cour suprême) a communiqué au Parlement la demande datée du 10 janvier 2020, transmise sous couvert du président de la chambre pénale de cette Cour, découlant d’une ordonnance du même jour du juge d’instruction de cette chambre, ayant pour objet la levée de l’immunité parlementaire des premier et deuxième requérants.

12      Lors de la séance plénière du 13 janvier 2020, le Parlement a pris acte, à la suite de l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), de l’élection au Parlement des premier et deuxième requérants avec effet au 2 juillet 2019.

13      Le 16 janvier 2020, le vice-président du Parlement a communiqué en séance plénière les demandes de levée d’immunité des premier et deuxième requérants et les a renvoyées à la commission compétente, à savoir la commission des affaires juridiques du Parlement.

14      Le 10 février 2020, le Parlement a, à la suite du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne, intervenu le 31 janvier 2020, pris acte de l’élection de la troisième requérante en tant que députée avec effet au 1er février 2020.

15      Le même jour, le président du Tribunal Supremo (Cour suprême) a communiqué au Parlement la demande datée du 4 février 2020, transmise sous couvert du président de la chambre pénale de cette Cour, découlant d’une ordonnance du même jour du juge d’instruction de cette chambre, ayant pour objet la levée de l’immunité de la troisième requérante.

16      Le 13 février 2020, le vice-président du Parlement a communiqué en séance plénière la demande de levée d’immunité de la troisième requérante et l’a renvoyée à la commission des affaires juridiques.

17      Les requérants ont présenté des observations au Parlement. Ils ont également été entendus par la commission des affaires juridiques le 14 janvier 2021.

18      Le 23 février 2021, la commission des affaires juridiques a adopté les rapports A 9-0020/2021, A 9-0021/2021, et A 9-0022/2021, concernant les demandes de levée d’immunité des requérants.

19      Par les décisions attaquées, le Parlement a fait droit aux demandes visées aux points 11 et 15 ci-dessus.

 Conclusions des parties

20      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

21      Le Parlement, soutenu par le Royaume d’Espagne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

22      À l’appui du recours, les requérants soulèvent huit moyens.

23      Le premier moyen est tiré, en substance, de l’insuffisante motivation des décisions attaquées.

24      Le deuxième moyen est fondé sur la prétendue incompétence de l’autorité nationale ayant émis et transmis au Parlement les demandes tendant à la levée de l’immunité des requérants.

25      Le troisième moyen repose, en substance, sur une prétendue méconnaissance du principe d’impartialité.

26      Le quatrième moyen est pris, en substance, de la violation du droit d’être entendu.

27      Le cinquième moyen est tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de coopération loyale, du droit à une protection juridictionnelle effective et des droits de la défense en raison du manque de clarté des décisions attaquées.

28      Le sixième moyen est fondé sur la violation de l’article 343 TFUE, de l’article 9 du protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé aux traités UE et FUE (ci-après le « protocole no 7 ») et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur du Parlement applicable à la neuvième législature (2019-2024), dans sa version antérieure à sa modification par la décision du Parlement du 17 janvier 2023 (ci-après le « règlement intérieur »), en tant que le Parlement aurait méconnu les limites encadrant son pouvoir de lever l’immunité de ses membres.

29      Le septième moyen est tiré de la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en tant que le Parlement se serait écarté sans justification de sa pratique antérieure ou de l’existence d’erreurs dans l’appréciation d’un fumus persecutionis.

30      Le huitième moyen est tiré de la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en tant que le Parlement aurait, pour la première fois, par les décisions attaquées, autorisé la détention provisoire de ses membres.

31      Dans la mesure où le sixième moyen comporte, en substance, des griefs portant sur de prétendues erreurs de droit et de fait entachant l’examen par le Parlement du fumus persecutionis, ces griefs seront traités ensemble avec le septième moyen. Par ailleurs, le Tribunal estime pertinent d’examiner le quatrième puis le troisième moyen en dernier lieu, à la suite du huitième moyen.

 Sur la recevabilité des renvois aux annexes

32      Le Parlement a notamment contesté la recevabilité de certains arguments des requérants dans la mesure où ils ne figureraient que dans les annexes à leurs écritures.

33      En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit notamment contenir les conclusions et un exposé sommaire des moyens invoqués. Il ressort d’une jurisprudence bien établie que cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. Si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui doivent figurer dans la requête (voir arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 40 et jurisprudence citée).

34      En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et les arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (voir arrêt du 20 octobre 2021, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, T‑191/16, non publié, EU:T:2021:707, point 21 et jurisprudence citée). Cette fonction purement probatoire et instrumentale des annexes implique que, pour autant que celles-ci comportent des éléments de droit sur lesquels certains moyens articulés dans la requête sont fondés, de tels éléments doivent figurer dans le texte même de celle-ci ou, à tout le moins, être suffisamment identifiés dans ce mémoire (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 99). Les annexes ne sauraient dès lors servir à développer un moyen sommairement exposé dans la requête en avançant des griefs ou des arguments ne figurant pas dans celle-ci (voir arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, point 60 et jurisprudence citée).

35      Cette interprétation de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure vise également les conditions de recevabilité de la réplique, qui est destinée, selon l’article 83 du même règlement, à compléter la requête (voir arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, point 61 et jurisprudence citée).

36      En l’espèce, dans leurs écritures, les requérants ont opéré de nombreux renvois à des documents, parfois volumineux, annexés à celles-ci. Toutefois, les pièces auxquelles certains renvois se réfèrent ne visent pas uniquement à étayer et à compléter sur des points spécifiques certains arguments du corps du mémoire auquel elles sont annexées, mais comportent l’explication même de l’énoncé desdits arguments, de sorte que, sans l’analyse de ces pièces, ceux-ci ne sont pas compréhensibles.

37      Il s’ensuit que, en application de la jurisprudence rappelée aux points 33 à 35 ci-dessus, les annexes produites par les requérants ne seront prises en considération que dans la mesure où elles étayent ou complètent des moyens ou des arguments expressément invoqués dans le corps de leurs écritures et où il est possible de déterminer avec précision quels sont les éléments qu’elles contiennent qui étayent ou complètent lesdits moyens ou arguments.

 Sur le fond

 Cadre juridique

–       Droit de l’Union

38      L’article 343 TFUE dispose que « [l]’Union jouit, sur le territoire des États membres, des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de sa mission, dans les conditions définies au protocole [no 7] ».

39      Le chapitre III du protocole no 7, relatif aux « membres du Parlement européen », comprend notamment l’article 8, qui énonce :

« Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions. »

40      Au sein du même chapitre, l’article 9 du protocole no 7 dispose :

« Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient :

a)      sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b)      sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres. »

41      Le chapitre VII du protocole no 7, intitulé « Dispositions générales » comprend notamment l’article 18, selon lequel :

« Pour l’application du présent protocole, les institutions de l’Union agissent de concert avec les autorités responsables des États membres intéressés. »

42      L’article 5 du règlement intérieur, intitulé « Privilèges et immunités », prévoit :

« 1. Les députés jouissent des privilèges et immunités prévus par le protocole no 7 […]

2. Dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement s’emploie à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’exercice de leurs fonctions. L’immunité parlementaire n’est pas un privilège personnel du député, mais une garantie d’indépendance du Parlement dans son ensemble et de ses députés.

[…] »

43      L’article 6 du règlement intérieur, intitulé « Levée de l’immunité », prévoit :

« 1. Toute demande de levée de l’immunité est examinée conformément aux articles 7, 8 et 9 du protocole no 7 […] ainsi qu’aux principes visés à l’article 5, paragraphe 2, du présent règlement intérieur.

[…] »

44      L’article 9 du règlement intérieur, intitulé « Procédures relatives à l’immunité », prévoit :

« 1. Toute demande adressée au [p]résident [du Parlement] par une autorité compétente d’un État membre en vue de lever l’immunité d’un député, ou par un député ou un ancien député en vue de défendre des privilèges et immunités, est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

[…]

3. La commission examine sans retard, en tenant compte toutefois de leur complexité relative, les demandes de levée de l’immunité ou de défense des privilèges et immunités.

4. La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l’adoption ou le rejet de la demande de levée de l’immunité ou de défense des privilèges et immunités. Les amendements ne sont pas recevables. En cas de rejet de la proposition, la décision contraire est réputée adoptée.

5. La commission peut demander à l’autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu’elle estime nécessaires pour déterminer s’il convient de lever ou de défendre l’immunité.

6. Le député concerné reçoit la possibilité d’être entendu et peut présenter tout document ou élément de preuve écrit qu’il juge pertinent.

[…]

7. Lorsque la demande de levée ou de défense de l’immunité porte sur plusieurs chefs d’accusation, chacun d’eux peut faire l’objet d’une décision distincte. Le rapport de la commission peut, exceptionnellement, proposer que la levée ou la défense de l’immunité concerne exclusivement la poursuite de l’action pénale, sans qu’aucune mesure d’arrestation, de détention, ni aucune autre mesure empêchant le député d’exercer les fonctions inhérentes à son mandat puisse être adoptée contre celui-ci, tant qu’un jugement définitif n’a pas été rendu.

8. La commission peut émettre un avis motivé sur la compétence de l’autorité en question et sur la recevabilité de la demande, mais ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député, ni sur l’opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui sont imputés au député, même dans le cas où l’examen de la demande permet à la commission d’acquérir une connaissance approfondie de l’affaire.

[…]

12. Le Parlement examine uniquement les demandes de levée de l’immunité d’un député qui lui sont communiquées par les autorités judiciaires ou par la représentation permanente d’un État membre.

13. La Commission fixe les principes d’application du présent article.

14. Toute demande relative au champ d’application des privilèges ou immunités d’un député adressée par une autorité compétente est examinée conformément aux dispositions ci-dessus. »

–       Droit espagnol

45      L’article 71 de la Constitution espagnole énonce :

« 1. Les députés et les sénateurs jouissent de l’inviolabilité pour les opinions exprimées dans l’exercice de leurs fonctions.

2. Pendant la durée de leur mandat, les députés et les sénateurs jouissent également de l’immunité et ne peuvent être arrêtés qu’en cas de flagrant délit. Ils ne peuvent être inculpés ou attraits en justice sans l’autorisation préalable de leur assemblée respective.

3. Dans les procédures pénales engagées contre des députés ou des sénateurs, la chambre pénale du Tribunal Supremo [(Cour suprême)] est compétente.

[…] »

46      Les articles 750 à 753 de la Ley de Enjuiciamiento Criminal (code de procédure pénale) sont rédigés comme suit :

« Article 750

Le juge ou le tribunal ayant motif à renvoyer devant une juridiction de jugement un sénateur ou un député aux Cortes [Sénat et Chambre des députés (Espagne)] en raison d’une infraction pénale s’abstient de le faire, pendant que [le Sénat et la Chambre des députés] sont en session, tant qu’il n’a pas obtenu l’autorisation correspondante de l’assemblée dont l’intéressé fait partie.

Article 751

Si le sénateur ou le député a été pris en flagrant délit, il peut être arrêté et renvoyé devant une juridiction de jugement sans l’autorisation visée à l’article précédent ; toutefois, dans les vingt-quatre heures suivant l’arrestation ou le renvoi, l’assemblée dont l’intéressé fait partie doit en être informée.

L’assemblée concernée est également informée de toute procédure pénale en cours contre celui qui, pendant qu’il était en phase de jugement, a été élu sénateur ou député.

Article 752

Si un sénateur ou un député est renvoyé devant une juridiction de jugement pendant un interrègne parlementaire, le juge ou le tribunal saisi de la procédure pénale doit immédiatement en informer l’assemblée concernée.

Il en va de même lorsqu’un sénateur ou un député élu a été renvoyé devant une juridiction de jugement avant la réunion [du Sénat ou de la Chambre des députés].

Article 753

En tout état de cause, le greffier suspend la procédure pénale à compter du jour où [le Sénat et la Chambre des députés] sont informés, que ceux-ci soient ou non en session, les choses demeurant en l’état jusqu’à ce que l’assemblée concernée se prononce comme elle le juge approprié. »

47      Le Reglamento del Senado (règlement du Sénat) du 3 mai 1994 (BOE no 114, du 13 mai 1994, p. 14687), prévoit, à son article 22, paragraphe 1 :

« Durant leur mandat, les sénateurs jouissent de l’immunité et ne peuvent être retenus ou arrêtés qu’en cas de flagrant délit. La rétention ou l’arrestation est immédiatement communiquée à la Présidence du Sénat.

Les sénateurs ne peuvent être inculpés ou attraits en justice sans l’autorisation préalable du Sénat, demandée au moyen de la demande de levée d’immunité pertinente. Une telle autorisation est également nécessaire si une personne devient sénateur alors qu’elle est attraite en justice ou inculpée dans le cadre d’une procédure pénale. »

 Sur le premier moyen, tiré de l’insuffisante motivation des décisions attaquées

48      Les requérants font valoir que les décisions attaquées sont insuffisamment motivées. Premièrement, le Parlement n’aurait fourni aucune réponse à leurs observations concernant tant les irrégularités procédurales relevées que le bien-fondé des demandes de levée d’immunité, ni ne se serait prononcé quant à l’application des dispositions de l’article 9, paragraphe 7, du règlement intérieur. Deuxièmement, les décisions attaquées ne feraient pas la moindre référence à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), y compris à son article 52, en dépit des observations qu’ils avaient formulées concernant la violation de celle-ci. Troisièmement, elles ne comporteraient aucune motivation quant à l’incidence de la levée de leur immunité sur le bon fonctionnement du Parlement. Quatrièmement, le Parlement n’aurait pas motivé sa conclusion quant à l’absence de fumus persecutionis.

49      Le Parlement, soutenu par le Royaume d’Espagne, conteste ces arguments.

50      Selon une jurisprudence bien établie, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 16 et jurisprudence citée).

51      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 29 et jurisprudence citée). En particulier, l’institution concernée n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, dès lors qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de sa décision (voir arrêt du 30 juin 2022, Fakro/Commission, C‑149/21 P, non publié, EU:C:2022:517, point 190 ; voir, également, arrêt du 30 avril 2014, Hagenmeyer et Hahn/Commission, T‑17/12, EU:T:2014:234, point 173, et jurisprudence citée ; arrêt du 28 novembre 2019, Mélin/Parlement, T‑726/18, non publié, EU:T:2019:816, point 25).

52      L’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 5 mai 2022, Commission/Missir Mamachi di Lusignano, C‑54/20 P, EU:C:2022:349, point 69 et jurisprudence citée).

53      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer si les décisions attaquées sont suffisamment motivées.

54      En l’espèce, les décisions attaquées sont largement similaires, à l’exception des noms des députés concernés, de la date d’adoption de certains actes judiciaires et, s’agissant de la troisième requérante, des circonstances de son élection au Parlement et du fait qu’elle est poursuivie, dans le cadre de la procédure pénale en cause, pour la seule infraction présumée de sédition.

55      Dans ces décisions, en substance, le Parlement a indiqué, au point A, qu’il était saisi de demandes, présentées par le président de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême), visant à lever l’immunité des requérants prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7, formées dans le cadre de la procédure pénale en cause. Il a relevé, aux points F et G, qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur la pertinence de l’action pénale, ni pour remettre en question les mérites des systèmes judiciaires nationaux. De même, au point H, il a indiqué qu’il n’était pas compétent pour évaluer ou mettre en cause la compétence des autorités judiciaires nationales chargées de la procédure pénale en cause. Au point I, il a relevé que la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) était, en application du droit espagnol tel qu’il est interprété par les juridictions nationales et communiqué au Parlement par le Royaume d’Espagne, l’autorité compétente pour solliciter la levée de l’immunité d’un membre du Parlement.

56      En outre, au point J, le Parlement a estimé que l’article 8 du protocole no 7 n’était pas applicable, car les faits en cause n’étaient pas relatifs à des opinions ou à des votes émis par des députés dans l’exercice de leurs fonctions.

57      Le Parlement a ensuite examiné l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, dudit protocole. Aux points K à N, il a relevé que, selon les demandes de levée d’immunité, l’article 71 de la Constitution espagnole n’imposait pas d’obtenir une autorisation parlementaire pour poursuivre la procédure pénale à l’égard d’une personne ayant acquis la qualité de parlementaire après son inculpation et que, partant, il n’était pas nécessaire de solliciter la levée d’immunité en vertu de l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7. Il a ensuite précisé qu’il ne lui appartenait pas d’interpréter les règles nationales relatives aux immunités des députés (point N).

58      Enfin, aux points O à W, le Parlement a apprécié s’il y avait lieu de lever l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7. À cet égard, en substance, il a considéré que les requérants avaient fait l’objet de mandats d’arrêt notamment européens, dont la légalité avait été confirmée par les juridictions nationales, et dont les demandes de levée d’immunité visaient à permettre l’exécution (point P). Il a considéré que l’accusation portée à l’égard des requérants n’était manifestement pas liée à leurs fonctions de député, mais était relative à leurs fonctions antérieures en Catalogne (point T), que cette accusation visait également d’autres personnes n’ayant pas la qualité de député européen (point U) et qu’il ne pouvait être affirmé que la procédure pénale en cause avait été diligentée en vue de nuire à l’activité politique des requérants en tant que députés européens (fumus persecutionis), car tant les faits reprochés que ladite procédure dataient d’une période à laquelle l’acquisition de la qualité de membre du Parlement par les requérants était encore hypothétique (points V et W). En conséquence, le Parlement a levé l’immunité des requérants prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7.

59      D’emblée, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence exposée au point 51 ci-dessus, le silence des décisions attaquées sur les observations écrites des requérants n’est pas, en lui-même, de nature à établir que l’exigence de motivation a été méconnue par le Parlement. À cet égard, il importe de souligner que ni le nombre ni l’importance des arguments et des documents produits par les requérants ne sont de nature à modifier l’étendue de l’obligation de motivation qui incombe au Parlement (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 96).

60      Ensuite, en premier lieu, les requérants font valoir que les décisions attaquées ne répondent pas à leurs observations écrites concernant le bien-fondé des demandes de levée d’immunité, alors que ces observations sont en contradiction directe avec les motifs desdites décisions.

61      À cet égard, il ressort des décisions attaquées, dont la substance a été rappelée aux points 55 à 58 ci-dessus, que leur point I comporte les motifs pour lesquels le Parlement a implicitement rejeté l’argument des requérants tiré de l’irrecevabilité des demandes de levée d’immunité en raison de l’incompétence du Tribunal Supremo (Cour suprême) pour les émettre. Aux points M et N, le Parlement a également implicitement répondu à l’argument tiré du fait que la procédure pénale en Espagne n’avait pas été autorisée par le Parlement. De même, les points F et G constituent une réponse implicite aux arguments des requérants visant à contester l’opportunité des poursuites compte tenu des faits reprochés. Pour le reste, il découle de l’analyse contenue aux points O à W des décisions attaquées que les objections relatives aux persécutions politiques, au caractère exceptionnel des affaires en cause, à la chronologie des évènements, au bon fonctionnement du Parlement, notamment à son intégrité et à son indépendance, au caractère disproportionné d’une levée d’immunité dans les circonstances de l’espèce et aux différents précédents invoqués par les requérants ont été rejetées au motif que le fumus persecutionis, c’est-à-dire l’existence d’éléments de fait indiquant que les poursuites judiciaires en cause ont été engagées dans l’intention de nuire à l’activité des députés et, partant du Parlement, pouvait être exclu. À cet égard, contrairement à ce que prétendent les requérants, les raisons justifiant l’exclusion d’un tel fumus ressortent suffisamment clairement des points T à V des décisions attaquées.

62      Par ailleurs, certes, les décisions attaquées ne se prononcent pas explicitement sur l’application de l’article 9, paragraphe 7, du règlement intérieur (voir point 44 ci-dessus) invoqué par les requérants, selon lequel la commission des affaires juridiques peut, à titre exceptionnel, proposer que la levée de l’immunité porte exclusivement sur la poursuite de l’action pénale, sans qu’aucune mesure d’arrestation, de détention, ni aucune autre mesure empêchant le député d’exercer les fonctions inhérentes à son mandat puisse être adoptée contre celui-ci, tant qu’un jugement définitif n’a pas été rendu. Toutefois, dès lors que la motivation d’un acte doit être appréciée en tenant compte de son contexte (voir point 51 ci-dessus), la circonstance que la levée de l’immunité des requérants visait à poursuivre l’exécution de mandats d’arrêt européens émis aux fins de la reprise de la procédure pénale menée à leur égard, tel que cela est exposé notamment aux points B et P de ces décisions, permet de saisir les raisons pour lesquelles le Parlement n’a pas fait application de cet article, dont le libellé prévoit, en outre, que sa mise en œuvre est exceptionnelle.

63      En deuxième lieu, les requérants soutiennent que les décisions attaquées n’ont pas répondu à leurs observations écrites, datées notamment des 16, 23 et 24 novembre 2020, concernant de prétendues irrégularités procédurales, en particulier, la nomination d’un seul rapporteur au sein de la commission des affaires juridiques pour traiter les trois demandes de levée d’immunité et le manque d’impartialité du rapporteur et du président de cette commission.

64      D’emblée, il convient de constater que les règles internes du Parlement et de la commission des affaires juridiques relatives à l’examen des demandes de levée d’immunité ne prévoient aucune procédure visant à contester la désignation, par cette commission, du rapporteur chargé d’une affaire d’immunité ou la présidence de la réunion au cours de laquelle cette affaire est examinée par le président en exercice.

65      En l’espèce, les décisions attaquées ne comportent aucune réponse explicite, ni aucune référence aux allégations des requérants concernant les prétendues irrégularités procédurales mentionnées au point 63 ci-dessus. Toutefois, en maintenant l’unique rapporteur pour l’examen des trois demandes de levée d’immunité ainsi que le président espagnol de la commission des affaires juridiques, cette dernière  a nécessairement considéré que les irrégularités procédurales alléguées par les requérants n’étaient pas fondées. La circonstance que le Parlement n’a pas indiqué les motifs d’une telle conclusion n’affecte cependant pas la clarté du raisonnement ayant conduit le Parlement à lever l’immunité des requérants, ni n’entrave le contrôle de légalité par le Tribunal sur ces prétendues irrégularités, lesquelles seront examinées dans le cadre du troisième moyen.

66      En outre, si les requérants entendent soutenir que l’absence de réponse du Parlement à leurs demandes tendant à obtenir la traduction des documents qu’ils avaient produits aux fins de leur communication aux membres de la commission des affaires juridiques affecte la motivation des décisions attaquées, un tel argument doit être écarté. En effet, les règles internes du Parlement et de la commission des affaires juridiques ne prévoient pas la possibilité, pour le député concerné ou son représentant, de solliciter la traduction d’un document produit dans le cadre de l’examen de la demande de levée d’immunité. Par ailleurs, l’existence d’une demande de traduction ne relève pas des faits et des considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision sur lesquels le Parlement serait tenu de prendre explicitement position dans cette décision.

67      En troisième lieu, la circonstance que les décisions attaquées ne comportent aucune référence à la Charte et, en particulier à son article 52, en dépit des arguments présentés à cet égard par les requérants, n’est pas de nature à caractériser une insuffisance de motivation. En effet, d’une part, le Parlement n’était pas tenu de répondre à l’ensemble des arguments des requérants (voir point 51 ci-dessus). D’autre part, la question de savoir si les décisions attaquées respectent les dispositions de la Charte relève de l’appréciation de leur bien-fondé et sera examinée dans le cadre des moyens au fond présentés par les requérants.

68      Partant, il y a lieu de considérer que les décisions attaquées ont mis les requérants en mesure de connaître les raisons pour lesquelles leur immunité a été levée et la juridiction compétente à même de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle.

69      Il y a lieu, en conséquence, de rejeter le premier moyen comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’incompétence de l’autorité nationale ayant émis et transmis au Parlement les demandes de levée de l’immunité des requérants

70      Les requérants soutiennent que le Parlement a manqué à son obligation de vérifier la compétence de l’autorité nationale ayant adressé les demandes de levée de l’immunité.

71      À cet égard, les requérants soutiennent que le Tribunal Supremo (Cour suprême) n’était pas l’autorité compétente pour émettre les demandes de levée de leur immunité. Ils expliquent que cette juridiction aurait considéré que, si aucun texte ne lui conférait expressément une telle compétence à l’égard d’un député européen élu au titre du Royaume d’Espagne, celle-ci était fondée sur l’application par analogie, en vertu de l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7, du droit national, à savoir l’article 71, paragraphe 3, de la Constitution espagnole, qui lui conférait la compétence pour instruire, juger et adresser une demande de levée d’immunité à l’égard des parlementaires espagnols. Cette juridiction aurait également considéré qu’une telle application par analogie était exclue à l’égard des députés européens élus au titre d’un autre État membre et que, pour ces derniers, c’était le tribunal espagnol territorialement compétent qui devait solliciter la levée d’immunité. Selon les requérants, cette interprétation du Tribunal Supremo (Cour suprême) serait erronée et violerait les articles 20, 21 et 47 de la Charte. L’incompétence du Tribunal Supremo (Cour suprême) aurait déjà été reconnue par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) et par le groupe de travail sur la détention arbitraire créé par l’Assemblée générale des Nations unies. En réplique, les requérants ajoutent que l’interprétation du Tribunal Supremo (Cour suprême) serait d’autant plus étonnante qu’elle se fonde sur l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7, dont cette juridiction leur refuse pourtant le bénéfice. Ils rappellent que le Tribunal Supremo (Cour suprême) a systématiquement refusé d’adresser une question préjudicielle à cet égard à la Cour.

72      Les requérants soutiennent que le Parlement n’était pas tenu par cette interprétation du Tribunal Supremo (Cour suprême), dont il lui appartenait d’examiner le fondement. Selon eux, à la supposer établie, la circonstance que le Parlement aurait examiné la compétence des autorités nationales au regard des notifications du Royaume d’Espagne des 11 juin 2014 et 30 septembre 2020, qui ne sont pas même mentionnées dans les décisions attaquées, ne saurait être assimilée à un contrôle compte tenu du caractère spéculatif et purement indicatif de ces notifications.

73      En ne procédant pas à un tel contrôle, le Parlement aurait, selon les requérants, méconnu l’article 9, paragraphe 1, du règlement intérieur, lu à la lumière de l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7, ainsi que les articles 20, 21 et 47 de la Charte, lus à la lumière des principes d’égalité de traitement et d’effectivité du droit de l’Union.

74      En outre, les requérants relèvent que l’article 756 du code de procédure pénale dispose que la demande de levée d’immunité est adressée par l’intermédiaire du ministère de la Justice, ce qui n’a pas été le cas.

75      Le Parlement et le Royaume d’Espagne contestent cette argumentation.

76      En premier lieu, s’agissant de l’autorité compétente pour communiquer au Parlement une demande de levée d’immunité, les requérants font valoir, ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience, que les demandes de levée d’immunité ont été transmises par une autorité incompétente. Ils précisent que, selon l’article 756 du code de procédure pénale, de telles demandes auraient dû être adressées par l’intermédiaire du ministère de la Justice.

77      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans le cadre du pouvoir d’organisation interne dont il dispose en application de l’article 232 TFUE, le Parlement a décidé, ainsi que cela figure à l’article 9, paragraphe 12, du règlement intérieur, que les demandes de levée de l’immunité d’un député devaient lui être communiquées par les autorités judiciaires ou par la représentation permanente d’un État membre, sans opérer de renvoi au droit national. Cette disposition, dont la légalité n’est pas contestée par les requérants, a été respectée en l’espèce, dès lors que les demandes de levée d’immunité ont été communiquées au Parlement par le président du Tribunal Supremo (Cour suprême), ainsi que cela est rappelé au premier tiret des visas des décisions attaquées.

78      Partant, il y a lieu de rejeter le grief mentionné au point 76 ci-dessus.

79      En second lieu, s’agissant de l’autorité compétente pour émettre une demande de levée d’immunité, il y a lieu de relever que, selon l’article 9, paragraphe 1, du règlement intérieur, le président a l’obligation de communiquer en séance plénière et de renvoyer à la commission compétente toute demande de levée de l’immunité d’un député qui lui a été adressée par une autorité compétente d’un État membre. Selon l’article 9, paragraphe 8, dudit règlement, lorsque la commission compétente du Parlement examine cette demande, elle peut émettre un avis motivé sur la compétence de l’autorité en question et sur la recevabilité de la demande. En vertu de ces dispositions, il appartient au Parlement de s’assurer de la compétence de l’autorité ayant émis les demandes de levée d’immunité.

80      En l’absence de disposition du droit de l’Union déterminant l’autorité compétente pour solliciter la levée de l’immunité d’un membre du Parlement, il appartient à chaque État membre, dans le cadre de son autonomie procédurale, de désigner celle-ci. Une telle désignation relève donc exclusivement du droit national.

81      À cet égard, le Parlement a demandé à chaque État membre d’identifier l’autorité compétente pour solliciter la levée d’immunité d’un membre du Parlement. Par une notification datée du 11 juin 2014, adressée au président du Parlement par le représentant permanent du Royaume d’Espagne auprès de l’Union européenne, le gouvernement espagnol a indiqué que, en l’absence de disposition en droit espagnol identifiant cette autorité, il pouvait être considéré, à titre purement indicatif, qu’il s’agissait de la même autorité que celle qui était compétente en matière de demande de levée de l’immunité des députés et des sénateurs espagnols, à savoir le président du Tribunal Supremo (Cour suprême).

82      Dans une seconde notification datée du 30 septembre 2020, le gouvernement espagnol a précisé que l’article 71 de la Constitution espagnole (voir point 45 ci-dessus) et l’article 57 de la Ley Orgánica 6/1985 del Poder Judicial (loi organique 6/85 relative au pouvoir judiciaire) confiait la procédure pénale à l’égard des députés et des sénateurs espagnols au Tribunal Supremo (Cour suprême) et que, dans ce contexte et au vu de précédents récents, le président de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême), agissant par l’intermédiaire du président dudit Tribunal, avait été identifié comme étant l’autorité compétente en matière de demande de levée de l’immunité d’un député européen.

83      En l’espèce, au point I des décisions attaquées, le Parlement a indiqué que la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) était, en application du droit espagnol tel qu’interprété par les juridictions nationales et communiqué au Parlement par le Royaume d’Espagne, l’autorité compétente pour demander la levée d’immunité d’un membre du Parlement.

84      Les requérants ne remettent pas en cause le fait que la notification du 30 septembre 2020 reflète l’état de la jurisprudence nationale concernant l’autorité compétente pour solliciter la levée de l’immunité d’un membre du Parlement, élu au titre du Royaume d’Espagne. Les arrêts invoqués par les requérants dans lesquels le Tribunal Supremo (Cour suprême) constate son incompétence pour solliciter la levée d’immunité d’un membre du Parlement concernent en effet le cas des députés européens non élus au titre du Royaume d’Espagne. En revanche, les requérants soutiennent que le Parlement n’a pas épuisé le contrôle qu’il était tenu de mener à cet égard en faisant valoir que, au vu des éléments qu’ils avaient produits devant la commission des affaires juridiques, il aurait dû examiner si cette jurisprudence nationale était conforme au droit de l’Union, notamment à la Charte, et ce d’autant plus qu’elle est fondée sur une interprétation de l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7.

85      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 5, paragraphe 1, TUE et à l’article 13, paragraphe 2, TUE, le Parlement agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées par les traités. Or, aucune disposition du droit de l’Union, notamment du protocole no 7, ne confère une compétence au Parlement pour apprécier la conformité au droit de l’Union des choix effectués par les États membres quant à la détermination de l’autorité compétente pour émettre une demande de levée d’immunité, laquelle relève du droit national (voir point 80). C’est aux juridictions nationales qu’il appartient de statuer sur ladite conformité, le cas échéant, après un renvoi préjudiciel à la Cour.

86      Ensuite, l’arrêt du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest (C‑219/17, EU:C:2018:1023), invoqué par les requérants est dépourvu de pertinence en l’espèce. En effet, il se rapporte au contrôle juridictionnel des actes d’ouverture, des actes préparatoires ou des propositions non contraignantes adoptés par les autorités nationales dans le cadre de procédures administratives conduisant à l’adoption d’un acte de l’Union. La Cour a jugé que les juridictions de l’Union étaient seules compétentes pour exercer un contrôle de légalité sur la décision finale, lequel incluait l’examen des potentiels vices entachant la légalité desdits actes intermédiaires qui seraient de nature à affecter la validité de cette décision finale (arrêt du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest, C‑219/17, EU:C:2018:1023, points 43 et 44). Toutefois, les demandes de levée d’immunité litigieuses s’inscrivent dans le cadre d’une procédure pénale menée au niveau national, dans laquelle le pouvoir décisionnel final appartient à la juridiction nationale compétente. Elles ne constituent donc pas un acte préparatoire, d’ouverture ou une proposition non contraignante adopté par les autorités nationales dans le cadre de procédures administratives conduisant à l’adoption d’un acte de l’Union au sens dudit arrêt, dont il appartiendrait au Parlement et, le cas échéant, au Tribunal, de contrôler la régularité. Les requérants ont d’ailleurs contesté la régularité des demandes de levée de leur immunité devant les juridictions espagnoles.

87      De même, les arrêts du 17 mai 1972, Meinhardt/Commission (24/71, EU:C:1972:37), et du 5 mai 2021, Falqui/Parlement (T‑695/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:242), invoqués par les requérants ne sont pas pertinents en l’espèce. En effet, ces affaires concernent des situations dans lesquelles une institution de l’Union met en œuvre une législation nationale à laquelle le droit de l’Union renvoie. Tel n’est pas le cas du Parlement lorsque, statuant sur une demande de levée d’immunité, il vérifie s’il a été saisi par une autorité nationale compétente.

88      Il s’ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Parlement était tenu d’apprécier la conformité au droit de l’Union de la jurisprudence espagnole relative à l’autorité compétente pour solliciter la levée de l’immunité d’un député européen élu au titre du Royaume d’Espagne.

89      Partant, le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de coopération loyale, du droit à une protection juridictionnelle effective et des droits de la défense en raison du manque de clarté des décisions attaquées

90      Les requérants soutiennent que le principe de sécurité juridique a été méconnu, car la portée des décisions attaquées n’est pas claire et qu’il en découle une violation de leur droit à une protection juridictionnelle effective et de leurs droits de la défense ainsi qu’une violation du principe de coopération loyale du Parlement à l’égard des États membres.

91      En substance, le cinquième moyen, en tant qu’il concerne la violation du principe de sécurité juridique, repose sur deux griefs. Le premier grief est tiré du fait que les décisions attaquées ne préciseraient pas si leur portée doit ou non être limitée aux procédures d’exécution des mandats d’arrêt européens en cours lorsque les demandes de levée d’immunité ont été formées, à savoir les procédures menées en Belgique et au Royaume-Uni. Le second grief est tiré du fait que le Parlement aurait, pour la première fois, levé uniquement l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7, sans préciser comment cette levée d’immunité s’articulait avec le maintien de l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, de ce protocole.

92      Le Parlement et le Royaume d’Espagne contestent ces arguments.

93      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe fondamental du droit de l’Union, vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union. Il exige notamment que tout acte adopté par les institutions de l’Union soit clair et précis, afin de permettre aux personnes concernées de connaître avec exactitude les droits et les obligations qui en découlent et de prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêts du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 128 et jurisprudence citée, et du 7 mars 2018, Gollnisch/Parlement, T‑624/16, non publié, EU:T:2018:121, point 129 et jurisprudence citée).

–       Sur le premier grief, tiré du manque de clarté des décisions attaquées quant aux procédures visées par la levée de l’immunité

94      Les requérants font valoir que les décisions attaquées manquent de clarté en tant qu’elles ne précisent pas les procédures visées par la levée d’immunité. Selon les requérants, dès lors que la levée de leur immunité a été sollicitée afin de poursuivre l’exécution alors en cours des mandats d’arrêt européens, les décisions attaquées ne peuvent autoriser que la poursuite de cette exécution en Belgique s’agissant des premier et deuxième requérants et au Royaume-Uni s’agissant de la troisième requérante, et non l’exécution desdits mandats dans tout autre État membre. Ils en tirent la conséquence que, dès lors que les autorités du Royaume-Uni ont abandonné l’exécution du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de la troisième requérante, il n’y aurait plus lieu de statuer sur le recours, en tant qu’il a été introduit par cette dernière.

95      D’emblée, il y a lieu de relever que, selon le point 1 de leur dispositif, les décisions attaquées lèvent l’immunité des requérants prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7, à savoir l’immunité conférée sur le territoire de tout État membre autre que le Royaume d’Espagne, sans opérer une quelconque sélection de ces États.

96      Ensuite, il y a lieu de rappeler que les décisions attaquées font suite à des demandes de levée de l’immunité des requérants qui ont été formées par le biais de deux ordonnances datées du 10 janvier 2020 (premier et deuxième requérants) et du 4 février 2020 (troisième requérante) du juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême). Dans le rappel des faits de ces ordonnances, est notamment reproduit un extrait des ordonnances des 10 janvier 2020 (deux premiers requérants) et du 3 février 2020 (troisième requérante) par lesquelles le juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) a rejeté les recours formés contre les ordonnances des 14 octobre et 4 novembre 2019 ayant émis les mandats d’arrêt à l’égard des requérants. Dans cet extrait, il est notamment indiqué que les demandes de levée d’immunité visent à ce que l’exécution des mandats d’arrêt européens puisse « se poursuivre ». Cette indication est reprise au point P des décisions attaquées. Dans les motifs des ordonnances précitées des 10 janvier et 4 février 2020, il est indiqué, en particulier, que la levée de l’immunité des requérants prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7 est sollicitée dès lors que cette immunité fait obstacle à ce que les mandats d’arrêt européens émis à l’encontre des requérants puissent recevoir exécution. Il est également mentionné que la levée de l’immunité facilitera l’exercice de l’action pénale. Dans ce contexte, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les demandes de levée d’immunité visaient uniquement à permettre l’exécution des mandats d’arrêt européen en Belgique et au Royaume-Uni.

97      Partant, les requérants ne sont pas fondés à faire valoir que les décisions attaquées, lues indépendamment ou en lien avec les demandes de levée d’immunité, manquent de clarté s’agissant des procédures au titre desquelles l’immunité a été levée. Le premier grief doit donc être écarté.

–       Sur le second grief, tiré du manque de clarté des décisions attaquées quant à la nature des mesures susceptibles d’être adoptées dans le cadre de l’exécution des mandats d’arrêt européens

98      Les requérants font valoir que les décisions attaquées ne sont pas claires quant aux mesures exactes qui pourraient être adoptées dans le cadre des procédures d’exécution des mandats d’arrêt européen. Ils soutiennent que ces décisions ne devraient pas permettre l’adoption de toute limitation à leur liberté dès lors qu’ils continuent à bénéficier de l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7, contrairement à ce que prétend le Royaume d’Espagne. Les interprétations différentes sur ce point du Parlement, du Royaume d’Espagne et des autorités judiciaires d’exécution italiennes confirmeraient ce manque de clarté. Les requérants soulignent également le caractère inédit des décisions attaquées dans lesquelles le Parlement lève l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7 sans se prononcer sur le sort de l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, de ce protocole, créant ainsi une totale insécurité juridique.

99      D’emblée, il y a lieu de relever que les privilèges et les immunités reconnus à l’Union par le protocole no 7 revêtent un caractère fonctionnel en ce qu’ils visent à éviter qu’une entrave soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union, ce qui implique, en particulier, que ces privilèges et immunités sont accordés exclusivement dans l’intérêt de cette dernière [voir, en ce sens, ordonnance du 29 mars 2012, Gollnisch/Parlement, C‑569/11 P(R), non publiée, EU:C:2012:199, point 29, et arrêt du 30 novembre 2021, LR Ģenerālprokuratūra, C‑3/20, EU:C:2021:969, point 57 et jurisprudence citée]. En particulier, les immunités visent à assurer au Parlement une protection complète et effective contre les entraves ou les risques d’atteinte à son bon fonctionnement et à son indépendance (voir arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 82 et jurisprudence citée). Il appartient donc au Parlement, dans l’exercice des pouvoirs dont il dispose, d’assurer l’effectivité de ces immunités (arrêt du 19 mars 2010, Gollnisch/Parlement, T‑42/06, EU:T:2010:102, point 107). À cet effet, conformément aux dispositions combinées de l’article 5, paragraphe 2, et de l’article 6 du règlement intérieur (voir points 42 et 43 ci-dessus), lorsqu’il examine une demande de levée d’immunité, le Parlement doit s’employer à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’exercice de leurs fonctions.

100    Ensuite, lorsque le Parlement est saisi d’une demande de levée de l’immunité de l’un de ses membres, il doit, après avoir été éclairé, le cas échéant, tant par l’État membre que par le membre concerné en vertu des dispositions de l’article 9, paragraphes 5 et 6, du règlement intérieur, apprécier la situation de ce membre au regard des faits qui sont à l’origine de cette demande. À cet égard, le Parlement doit, dans un premier temps, vérifier si ces faits sont susceptibles d’être couverts par l’article 8 du protocole no 7, en tant que disposition spéciale. Dans l’affirmative, le Parlement doit constater qu’une levée de l’immunité est impossible. Ce n’est que si cette institution conclut par la négative qu’il lui appartient de vérifier, dans un second temps, si le député concerné bénéficie de l’immunité prévue à l’article 9 du protocole pour les faits en cause et, si tel est le cas, de décider s’il y a lieu ou non de lever cette immunité sur le fondement de l’article 9, troisième alinéa, du protocole no 7 (ordonnance du 12 novembre 2020, Jalkh/Parlement, C‑792/18 P et C‑793/18 P, non publiée, EU:C:2020:911, point 33, et arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, points 46 et 47).

101    En l’espèce, dans les décisions attaquées, le Parlement a indiqué, au point A, que la demande de levée d’immunité était fondée sur l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7.

102    En application de la procédure décrite au point 100 ci-dessus, le Parlement a examiné si les faits reprochés aux requérants dans la procédure pénale en cause relevaient de l’article 8 du protocole no 7 et a conclu par la négative au point J des décisions attaquées.

103    Ensuite, s’agissant de l’article 9 du protocole no 7, notamment dans la mesure où la demande de levée d’immunité visait à lever un obstacle s’opposant à l’arrestation des requérants par un État membre autre que le Royaume d’Espagne, en vue de leur remise à ce dernier aux fins de la poursuite de la procédure pénale en cause, le Parlement a envisagé l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous a), dudit protocole. Il a relevé, au point M des décisions attaquées, que, selon les demandes de levée d’immunité, l’article 71 de la Constitution espagnole n’imposait pas d’obtenir une autorisation parlementaire pour poursuivre la procédure pénale à l’égard d’une personne ayant acquis la qualité de parlementaire après son inculpation et que, partant, il n’était pas nécessaire de solliciter la levée de l’immunité prévue à cette disposition. Il a ajouté, au point N, qu’il n’appartenait pas au Parlement d’interpréter les règles nationales relatives aux immunités des députés. Ce faisant, ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience par le Parlement, celui-ci a pris acte du fait que le droit espagnol, tel qu’interprété par les juridictions espagnoles, applicable en raison du renvoi opéré par l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7, ne conférait pas d’immunité aux requérants au titre des faits en cause.

104    Enfin, à partir du point O des décisions attaquées, le Parlement a examiné s’il y avait lieu, ainsi que cela lui était demandé, de lever l’immunité des requérants prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7. Il a conclu par l’affirmative au premier point du dispositif.

105    Dans la mesure où, dans le cadre de ses pouvoirs relatifs aux immunités, le Parlement doit en assurer l’effectivité, il découle implicitement mais nécessairement des décisions attaquées qu’il a considéré que seule l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7 constituait un obstacle à l’arrestation des requérants et à leur remise aux autorités espagnoles en application des mandats d’arrêt européens litigieux et que celle-ci devait être levée.

106    Contrairement à ce que prétendent les requérants, le silence des décisions attaquées concernant l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7 n’est pas de nature à leur conférer un caractère ambigu. En effet, d’une part, en l’état actuel de sa pratique, le Parlement est en session continue depuis l’ouverture de la première session jusqu’à sa clôture qui intervient concomitamment à l’ouverture de la première session tenue après l’élection suivante. L’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, du protocole no 7, qui s’applique pendant la durée des sessions du Parlement, couvre donc ses membres pendant toute la durée de leur mandat (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:958, point 83). D’autre part, en tant qu’elle garantit à chaque membre du Parlement la possibilité de se rendre sans entraves à la première réunion de la nouvelle législature et d’accomplir les démarches nécessaires pour aller prendre possession de leur mandat (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, points 85 et 86), l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7 n’était pas en cause en l’espèce dans la mesure où les autorités espagnoles compétentes, en sollicitant la levée de l’immunité des requérants, avaient reconnu leur qualité de membre du Parlement et ces derniers exerçaient leur mandat.

107    Compte tenu des éléments mentionnés au point 106 ci-dessus, dans les circonstances de l’espèce, et indépendamment des développements du Parlement exposés au cours de la présente procédure et des procédures de référé, l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7 ne conférait pas aux requérants de protection autonome par rapport à celle dont ils bénéficiaient au titre de l’article 9, premier alinéa, dudit protocole.

108    Partant, le second grief doit être écarté.

109    En conséquence, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen en tant qu’il est fondé sur la violation du principe de sécurité juridique et, dans la mesure où les griefs tirés de la méconnaissance du principe de coopération loyale, du droit à une protection juridictionnelle effective et des droits de la défense sont exclusivement fondés sur la violation du principe de sécurité juridique, de rejeter le cinquième moyen en son ensemble.

 Sur le sixième moyen, dans la mesure où il est tiré de la violation de l’article 343 TFUE, de l’article 9 du protocole no 7 et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur ainsi que de certains droits fondamentaux des requérants

110    Par le sixième moyen, les requérants font notamment valoir que les décisions attaquées ont été adoptées en violation des dispositions encadrant le droit du Parlement de lever l’immunité, à savoir, d’une part, l’article 343 TFUE, l’article 9 du protocole no 7 et l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur et, d’autre part, certaines dispositions de la Charte.

111    Le Parlement et le Royaume d’Espagne contestent les arguments des requérants.

112    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 9, troisième alinéa, du protocole no 7 dispose que « [l]’immunité […] ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres », sans préciser les conditions dans lesquelles le Parlement doit apprécier s’il y a lieu ou non de lever l’immunité. Le Parlement dispose ainsi d’un très large pouvoir d’appréciation quant à l’orientation qu’il entend donner à une décision faisant suite à une demande de levée d’immunité en raison du caractère politique que revêt une telle décision (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 59, et du 12 février 2020, Bilde/Parlement, T‑248/19, non publié, EU:T:2020:46, point 19).

113    À cet égard, le règlement intérieur dispose, en son article 6, paragraphe 1, que « [t]oute demande de levée de l’immunité est examinée conformément aux articles 7, 8 et 9 du protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ainsi qu’aux principes visés à l’article 5, paragraphe 2, du présent règlement intérieur ». Selon cette dernière disposition, « [d]ans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement s’emploie à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’exercice de leurs fonctions ».

114    Aucune autre disposition ne régit les critères matériels d’examen des demandes de levée d’immunité. Dans ce contexte, la commission chargée d’instruire les demandes de levée d’immunité et de présenter une proposition de décision motivée au Parlement en vertu de l’article 9, paragraphe 4, du règlement intérieur (voir point 44 ci-dessus) a établi différentes communications à ses membres identifiant les principes qu’elle entendait suivre s’agissant des affaires d’immunité. La dernière est la communication aux membres de la commission des affaires juridiques concernant les principes applicables aux demandes de levée d’immunité, datée du 19 novembre 2019 (ci-après la « communication no 11/2019 »). Ainsi, en ses points 41 à 44, cette communication prévoit, en substance, que, lorsque le Parlement est saisi d’une demande de levée d’immunité au titre de faits qui ne sont pas couverts par l’immunité prévue à l’article 8 du protocole no 7, mais par l’immunité prévue à l’article 9 de ce protocole, il lève l’immunité sauf s’il constate l’existence d’un fumus persecutionis, c’est-à-dire s’il s’avère que la finalité des poursuites nationales est de nuire à l’activité politique du député et, partant, à l’indépendance du Parlement. Dans ses écritures, le Parlement a confirmé que cette communication reflétait la pratique effectivement suivie pour l’examen d’une demande de levée d’immunité.

115    Il y a également lieu de rappeler que les privilèges et les immunités, reconnus à l’Union par le protocole no 7, revêtent un caractère fonctionnel en ce qu’ils visent à éviter qu’une entrave ne soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union, ce qui implique, en particulier, que ces privilèges et immunités sont accordés exclusivement dans l’intérêt de cette dernière (voir point 99 ci-dessus).

116    Quant au contrôle du Tribunal sur les décisions adoptées par le Parlement à la suite d’une demande de levée d’immunité, il résulte de la jurisprudence que le juge de l’Union doit vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus par l’institution, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou l’absence de détournement de pouvoir (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 60 et jurisprudence citée ; arrêt du 1er décembre 2021, Jalkh/Parlement, T‑230/21, non publié, EU:T:2021:848, point 24).

–       Sur la prétendue violation des dispositions de l’article 343 TFUE, de l’article 9 du protocole no 7 et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur

117    Les requérants soutiennent que le Parlement a méconnu les limites encadrant son droit de lever l’immunité découlant des dispositions de l’article 343 TFUE, de l’article 9 du protocole no 7 et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur.

118    En premier lieu, les requérants font valoir que, en violation des dispositions mentionnées au point 117 ci-dessus, et en particulier de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur, le Parlement n’a pas examiné si la levée de leur immunité pouvait porter atteinte aux intérêts de l’Union et notamment à l’intégrité ou à l’indépendance du Parlement. Ainsi, il n’aurait pas envisagé les conséquences potentielles d’une levée d’immunité sur l’exercice de leur mandat parlementaire, alors même qu’elle pouvait aboutir à leur arrestation et à leur détention provisoire.

119    À cet égard, il y a lieu de relever que le Parlement, par le biais de la commission des affaires juridiques, a défini les principes qu’il entendait suivre pour déterminer si une levée d’immunité portait atteinte à son indépendance ou à son intégrité. Il a ainsi retenu le critère du fumus persecutionis, l’immunité prévue à l’article 9 du protocole no 7 étant levée si le Parlement considère qu’il n’y a pas de preuve que les poursuites judiciaires visant le membre en cause ont été engagées en vue de nuire à l’activité politique de celui-ci et, partant, du Parlement. Le Parlement a indiqué au cours de la procédure que ce critère avait été déterminé en tenant compte tant de l’objectif de sauvegarde de son indépendance et de son bon fonctionnement que du nécessaire respect du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, en vertu duquel l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

120    Il s’ensuit que, en écartant l’existence d’un fumus persecutionis, le Parlement a nécessairement considéré qu’une levée de l’immunité des requérants ne porterait pas atteinte à ses intérêts, en particulier à son bon fonctionnement et à son indépendance.

121    Selon les requérants, une telle conclusion serait erronée dès lors que les décisions attaquées les privent d’une immunité nécessaire à l’accomplissement de leur mission, en violation de l’article 343 TFUE, compte tenu du risque qu’ils soient privés de leur liberté à la suite de leur remise aux autorités espagnoles et, partant, dans l’incapacité d’exercer leur mandat.

122    Une telle argumentation procède toutefois d’une confusion entre les immunités dont les membres du Parlement doivent disposer, lesquelles doivent garantir que le Parlement est en mesure d’accomplir sa mission, et le droit du Parlement, prévu à l’article 9, troisième alinéa, du protocole no 7, de lever l’immunité parlementaire. Si, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 76), l’Union et, en particulier, les membres de ses institutions doivent, en vertu de l’article 343 TFUE, bénéficier des immunités nécessaires à l’accomplissement de leur mission, cette disposition ne saurait être interprétée comme signifiant que l’immunité d’un membre du Parlement ne peut jamais être levée si la poursuite de la procédure au titre de laquelle la levée de l’immunité a été sollicitée peut entraver l’exercice de son mandat, voire, à l’issue de cette procédure, conduire à la perte de celui-ci. Une telle interprétation reviendrait à priver de tout effet utile l’article 9, troisième alinéa, du protocole no 7.

123    En second lieu, les requérants soutiennent que les décisions attaquées ont été adoptées en violation des immunités prévues à l’article 9, premier et deuxième alinéas, du protocole no 7.

124    Premièrement, les requérants font valoir que les décisions attaquées méconnaissent l’article 9, premier alinéa, sous a) et b), du protocole no 7, en tant qu’elles visent à permettre l’exécution de mandats d’arrêt nationaux et européens émis en violation flagrante de ces dispositions.

125    D’emblée, il y a lieu de relever que, dans le cadre de son examen de la demande de levée de l’immunité, ainsi que cela a été indiqué au point 100 ci-dessus, il appartient au Parlement de vérifier si le député concerné bénéficie de l’immunité prévue à l’article 9 du protocole et, si tel est le cas, de décider s’il y a lieu ou non de lever cette immunité sur le fondement de l’article 9, troisième alinéa, du protocole no 7. Il applique, à cet effet, le critère du fumus persecutionis.

126    En revanche, il n’appartient pas au Parlement d’apprécier la légalité des actes adoptés par les autorités judiciaires au cours de la procédure en cause, cette question relevant de la seule compétence des autorités nationales.

127    Il s’ensuit qu’il n’appartenait pas au Parlement, dans le cadre de son examen de la demande de levée d’immunité, de se prononcer sur la légalité des mandats d’arrêt nationaux et européens adoptés dans le cadre de la procédure pénale en cause. Il importe également de préciser que, contrairement à ce que prétendent les requérants, les décisions attaquées n’emportent aucun effet de validation ou de légalisation desdits mandats.

128    Deuxièmement, les requérants soutiennent que les décisions attaquées reposent à tort sur le constat qu’ils ne bénéficient d’aucune immunité au titre de l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7. Selon eux, en substance, en vertu du droit espagnol auquel cet article renvoie, une personne ayant été inculpée avant d’avoir acquis la qualité de parlementaire espagnol bénéficie d’une immunité. Au soutien de leur allégation, ils font valoir l’article 71, paragraphe 2, de la Constitution espagnole, l’article 751, deuxième alinéa, et l’article 753 du code de procédure pénale ainsi que l’article 22, paragraphe 1, du règlement du Sénat.

129    À cet égard, il a déjà été constaté, au point 103 ci-dessus, que, dans les décisions attaquées, le Parlement a pris acte que le droit espagnol, tel qu’il est interprété par les juridictions espagnoles, applicable en raison du renvoi opéré par l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7, et qu’il se refusait à interpréter, ne conférait pas d’immunité aux requérants au titre des faits en cause. Lors de l’audience, le Parlement a indiqué que, au cours de la phase d’instruction des demandes de levée d’immunité, il n’avait été mis en possession d’aucun élément de nature à remettre en cause le fait que, en l’état de la jurisprudence nationale, les requérants ne bénéficiaient pas de l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7 et que, dans le cas contraire, il aurait sollicité des clarifications auprès des autorités espagnoles.

130    Dans la mesure où, selon l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole no 7, l’étendue et la portée de l’immunité dont jouissent les députés sur leur territoire national sont déterminées par les différents droits nationaux auxquels il renvoie (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2010, Gollnisch/Parlement, T‑42/06, EU:T:2010:102, point 106), les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Parlement a commis une erreur de droit en se référant au droit national tel qu’il est interprété par les juridictions nationales.

131    Par ailleurs, si les requérants invoquent plusieurs dispositions de droit national, ils n’ont pas établi que le Parlement aurait commis une erreur en relevant que le droit national, tel qu’il résulte notamment de ces dispositions, était interprété par les juridictions nationales comme n’impliquant pas d’obtenir une autorisation parlementaire pour poursuivre la procédure pénale à l’égard d’une personne qui, à l’instar des requérants, a été élue après son inculpation.

132    Troisièmement, les requérants font valoir que l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7 ne pouvait être levée sans lever également l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, dudit protocole, sous peine de méconnaître cette seconde disposition.

133    Or, il suffit de rappeler que, dans les circonstances de l’espèce, notamment dans la mesure où le Royaume d’Espagne avait reconnu la qualité de député aux requérants, l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7 ne leur conférait pas de protection autonome par rapport à celle dont ils bénéficiaient au titre de l’article 9, premier alinéa, dudit protocole (voir point 107 ci-dessus). Partant, les requérants ne sont pas fondés à faire valoir que les décisions attaquées ont été adoptées en violation de l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7.

134    En conséquence, il y a lieu d’écarter comme non fondé le grief tiré de la violation des dispositions de l’article 343 TFUE, de l’article 9 du protocole no 7 et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur.

–       Sur l’ingérence illégale dans les droits fondamentaux des requérants

135    Les requérants considèrent, en substance, que, dès lors que l’immunité parlementaire est une garantie cruciale du respect de leur droit à exercer leur mandat garanti par l’article 3 du protocole no 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et du droit d’éligibilité consacré à l’article 39, paragraphe 2, de la Charte, lu à la lumière des articles 6, 45 et 48 de celle-ci et de l’article 21 TFUE, sa levée constitue une ingérence dans ces droits soumise au respect des conditions prévues à l’article 52 de la Charte.

136    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 39, paragraphe 2, de la Charte, aux termes duquel « [l]es membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret », garantit le droit d’éligibilité aux élections au Parlement. Le droit d’éligibilité recouvre le droit de tout individu de se porter candidat aux élections et, une fois élu, d’exercer son mandat [voir, concernant l’article 3 du protocole no 1 à la CEDH, Cour EDH, 11 juin 2002, Sadak et autres c. Turquie (no 2), CE:ECHR:2002:0611JUD002514494, §33].

137    Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte :

«1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

138    Or, l’immunité ne saurait constituer un droit fondamental reconnu aux députés européens dès lors qu’elle est accordée exclusivement dans l’intérêt du Parlement (voir point 99 ci-dessus). La circonstance qu’une décision de levée d’immunité modifie la situation juridique du député en cause par le seul effet de la suppression de la protection qui lui est conférée par le protocole no 7, en rétablissant, à son égard, le statut de personne soumise au droit commun des États membres et en l’exposant, sans qu’aucune mesure intermédiaire soit nécessaire, à des mesures notamment de détention et de poursuite judiciaire, instituées par ce droit commun (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 45), est sans incidence à cet égard. En effet, cette circonstance implique seulement que les requérants sont recevables à contester les décisions attaquées devant le juge de l’Union.

139    En particulier, si l’immunité accordée aux députés européens concourt à assurer l’effectivité du droit fondamental que constitue le droit d’éligibilité, notamment en permettant aux personnes qui ont été élues membres du Parlement d’accomplir les démarches visant à prendre possession de leur mandat (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 86), elle ne saurait être confondue avec ce droit.

140    Par ailleurs, la levée de l’immunité parlementaire n’emporte en elle-même aucune conséquence sur l’exercice du mandat. Elle vise seulement à permettre aux autorités nationales de poursuivre une procédure nationale. Ainsi, seules les décisions qui seront, le cas échéant, adoptées par les autorités nationales à l’issue de cette procédure pourraient conduire à une limitation de l’exercice du mandat, voire à sa perte, et, en tant que telle, constituer une ingérence dans l’exercice du droit d’éligibilité.

141    Pour les mêmes motifs, une décision de levée d’immunité n’emporte aucune conséquence sur la liberté, notamment de circulation, des requérants, ni ne porte atteinte à leur droit au respect de la présomption d’innocence. Il est rappelé à cet égard que la question de savoir si les conditions pour une levée de l’immunité parlementaire, en vertu de l’article 9 du protocole no 7, sont réunies, au moment où il en est fait la demande, est distincte de celle consistant à déterminer si les faits reprochés aux députés concernés sont établis, cette question relevant de la compétence des autorités de l’État membre (arrêt du 17 septembre 2020, Troszczynski/Parlement, C‑12/19 P, EU:C:2020:725, point 57).

142    Par conséquent, les arguments des requérants tirés du fait que les décisions attaquées constitueraient des ingérences dans certains des droits fondamentaux reconnus par la CEDH et par la Charte doivent être écartés comme non fondés. Par voie de conséquence, leur argumentation visant à établir que ces ingérences ne respecteraient pas les exigences posées par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte est inopérante et doit être écartée pour ce motif.

143    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le sixième moyen, en tant qu’il est fondé sur la violation par le Parlement des limites encadrant son droit de lever l’immunité, doit être rejeté.

 Sur le sixième moyen, en tant qu’il est tiré d’erreurs de fait et de droit entachant l’examen, par le Parlement, du fumus persecutionis et le septième moyen, tiré de la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement et d’erreurs manifestes commises par le Parlement dans son appréciation du fumus persecutionis

144    Le sixième moyen est notamment tiré, en substance, des erreurs de droit et de fait qui auraient été commises par le Parlement dans son examen du fumus persecutionis. Quant au septième moyen, il est tiré, d’une part, d’une violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en tant que le Parlement se serait écarté, sans motivation, de sa pratique antérieure en matière d’examen des demandes de levée d’immunité et, d’autre part, d’erreurs manifestes commises par le Parlement dans son appréciation du fumus persecutionis.

145    Le Parlement et le Royaume d’Espagne contestent ces arguments.

–       Sur les prétendues erreurs de droit et de fait entachant l’examen par le Parlement du fumus persecutionis

146    En l’espèce, dans les décisions attaquées, le Parlement a envisagé l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7 à partir du point O et la question de savoir s’il y avait lieu ou non de lever cette immunité à partir du point Q. En particulier, il a constaté, au point T, que l’accusation portée à l’encontre des requérants n’était manifestement pas liée à leurs fonctions de député, mais était relative à leurs fonctions antérieures en Catalogne. Au point U, il a relevé que d’autres personnes n’ayant pas la qualité de députés européens avaient également été mises en examen au titre des mêmes faits. Au point V, il a constaté que lesdits faits avaient été commis au cours de l’année 2017 et que la procédure pénale en cause à l’égard des requérants avait été engagée alors que l’acquisition de la qualité de membre du Parlement par ces derniers était encore hypothétique. En conséquence, le Parlement a estimé, au point W, qu’il n’avait pas pu établir que les poursuites judiciaires en cause avaient été engagées en vue de nuire à l’activité politique des requérants et, partant, à la sienne.

147    Premièrement, les requérants font valoir que les décisions attaquées reposent sur une erreur de droit quant à la finalité de l’immunité parlementaire. Selon eux, le Parlement aurait estimé à tort qu’elle protégeait le député contre les seules procédures judiciaires visant des activités menées dans l’exercice de ses fonctions parlementaires ou indissociables de celles-ci. Il aurait ainsi erronément conclu que la circonstance que la procédure pénale en cause n’était pas liée à l’exercice de leurs fonctions parlementaires justifiait de lever leur immunité.

148    À cet égard, il y a lieu de relever que le point S des décisions attaquées reproduit le principe figurant au point 3 de la communication no 11/2019, selon lequel « [l]’immunité parlementaire a pour objet de protéger le Parlement et ses députés contre les procédures judiciaires visant des activités menées dans l’exercice des fonctions parlementaires et indissociables de ces fonctions ».

149    D’emblée, il y a lieu de rappeler que l’immunité prévue à l’article 8 du protocole no 7 ne couvre que les opinions ou votes exprimés par les membres du Parlement dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires. En revanche, l’immunité prévue à l’article 9 dudit protocole couvre ces membres, pendant la durée des sessions du Parlement, y compris au titre de faits dépourvus de lien avec l’exercice des fonctions parlementaires. La portée de cette immunité n’a pas été remise en cause en l’espèce. En effet, il est constant que les requérants étaient couverts par l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7, même si la procédure pénale en cause visait des activités sans lien avec l’exercice des fonctions parlementaires.

150    Ensuite, s’agissant de l’appréciation de l’existence d’un fumus persecutionis, force est de constater que le Parlement, indépendamment du libellé non dépourvu d’équivoque du point S, ne s’est pas borné à constater que les faits reprochés aux requérants dans le cadre de la procédure pénale en cause étaient antérieurs à leur élection au Parlement et, partant, dépourvus de lien avec les activités menées dans le cadre de leurs fonctions parlementaires. Le Parlement a d’ailleurs reconnu à l’audience qu’une telle circonstance ne saurait être déterminante pour apprécier l’existence d’un fumus persecutionis.

151    Pour conclure à l’absence de fumus persecutionis, le Parlement s’est fondé sur plusieurs éléments qui, envisagés ensemble, étaient, selon lui, de nature à exclure l’existence d’un cas de fumus persecutionis. Il s’agit de la circonstance que les faits incriminés ont été commis en 2017 alors que les requérants ont acquis la qualité de membre du Parlement le 13 juin 2019, mais aussi des circonstances que, d’une part, ils ont été inculpés le 21 mars 2018, c’est-à-dire à un moment où l’acquisition du statut de député européen était hypothétique et, d’autre part, cette inculpation concernait également d’autres personnes, lesquelles n’étaient pas membres du Parlement.

152    Partant, il y a lieu de considérer que l’affirmation générale figurant au point S des décisions attaquées n’a pas été mise en œuvre dans le sens où la demande de levée d’immunité d’un membre du Parlement doit être accueillie si elle vise à poursuivre une procédure judiciaire visant des faits dépourvus de lien avec l’exercice des fonctions parlementaires.

153    L’argument tiré de l’existence d’une erreur de droit donc doit être écarté.

154    Deuxièmement, les requérants soutiennent que le Parlement a fondé son appréciation du fumus persecutionis sur une erreur de fait quant à l’état d’avancement de la procédure pénale en cause. Ils font valoir que, au point B des décisions attaquées, le Parlement a considéré à tort que la phase d’instruction de la procédure pénale en cause avait été clôturée à leur égard, en se fondant sur deux ordonnances du Tribunal Supremo (Cour suprême), dont celle du 25 octobre 2018, qui ne les concernaient pas.

155    Il convient de rappeler que, en leur point B, les décisions attaquées indiquent ce qui suit :

« considérant que les faits faisant l’objet de l’inculpation auraient été commis en 2017 ; que l’ordonnance d’inculpation dans cette affaire a été rendue le 21 mars 2018 et a été confirmée par des ordonnances ultérieures rejetant les recours en appel ; que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 9 juillet 2018, clôture qui a été confirmée le 25 octobre 2018 ; que, par ordonnance du 9 juillet 2018, il a été décidé de déclarer que [le premier/le deuxième/la troisième requérant(e)], entre autres, avait refusé de comparaître et d’ordonner la suspension de l’affaire [le/la] concernant et concernant d’autres personnes jusqu’à ce qu’[ils/elles] soient retrouvé[e]s ».

156    Lors de l’audience, il a été précisé que, d’une part, la troisième phrase du point B, selon laquelle « l’instruction a été clôturée par ordonnance du 9 juillet 2018, clôture qui a été confirmée le 25 octobre 2018 » ne concernait pas les requérants, mais les autres personnes visées par la procédure pénale en cause qui n’avaient pas refusé de comparaître et que, d’autre part, l’état de la procédure pénale en cause à l’égard des requérants était reflété par la dernière phrase du point B faisant état de la suspension de la procédure. Il a également été précisé que la phase d’instruction de la procédure pénale n’avait pas été close à l’égard des requérants, une telle clôture ne pouvant être ordonnée, selon le droit national, sans que les accusés aient été entendus.

157    Les requérants sont donc fondés à soutenir que le point B des décisions attaquées souffre d’une erreur de fait ou, à tout le moins, d’un manque de clarté quant à la question de savoir si la phase d’instruction de la procédure pénale en cause avait été close à leur égard.

158    Selon les requérants, cette erreur a eu une incidence sur l’appréciation de l’existence d’un fumus persecutionis dès lors que, si le Parlement avait eu connaissance du fait que l’instruction était toujours en cours à leur égard, il aurait pu considérer que l’émission de mandats d’arrêt européens à leur égard était disproportionnée.

159    Toutefois, il découle clairement du point B des décisions attaquées que la procédure pénale visant les requérants, quel que soit son stade, a été suspendue en raison du refus des requérants de comparaître devant les autorités compétentes et que c’est en raison de ce refus et du fait qu’ils ont quitté le Royaume d’Espagne que la levée de leur immunité a été demandée, et ce afin que l’exécution des mandats d’arrêt européens émis à leur égard puisse être envisagée. À l’égard des coaccusés ayant comparu, l’instruction était close et un jugement de condamnation avait été prononcé.

160    Dans ce contexte, il n’apparaît pas que l’erreur ou, à tout le moins, le manque de clarté des décisions attaquées quant au stade exact de la procédure pénale en cause ait eu une incidence sur l’examen de la demande de levée d’immunité.

161    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter comme non fondé le grief tiré des erreurs de fait et de droit qui auraient été commises par le Parlement dans son appréciation du fumus persecutionis.

–       Sur la prétendue atteinte aux principes de bonne administration et d’égalité de traitement

162    Les requérants font valoir que, en méconnaissance d’une pratique constante, le Parlement n’a pas conclu à l’existence d’un fumus persecutionis alors que, premièrement, les accusations étaient manifestement infondées, deuxièmement, l’existence d’une intention claire de pénaliser des députés pour leurs activités politiques avait été établie, troisièmement, les mandats d’arrêt en cause avaient été émis pour la troisième fois en fonction de calculs politiques des autorités espagnoles, quatrièmement, les demandes de levée d’immunité étaient motivées par la volonté de les empêcher d’exercer leur mandat parlementaire, cinquièmement, les poursuites avaient été engagées par un adversaire politique, sixièmement, elles avaient été engagées uniquement contre des membres du Parlement, septièmement, des doutes sérieux existaient quant au respect de leurs droits fondamentaux lors de la procédure pénale en cause, huitièmement, il y avait eu plusieurs appels visant à ce que des sanctions exemplaires leur soient infligées et, neuvièmement, le ministère public avait fait certaines déclarations publiques aux médias.

163    Les requérants soutiennent également que le Parlement a méconnu sa pratique selon laquelle l’immunité ne devait pas être levée lorsque les États membres autres que celui au titre duquel le député a été élu sanctionnent moins sévèrement les faits reprochés, comme cela aurait été reconnu en l’espèce. Le Parlement aurait également méconnu sa pratique consistant, d’une part, à ne pas lever l’immunité lorsque la procédure pénale porte sur des accusations liées à des manifestations et des réunions publiques pacifiques et, d’autre part, à ne tenir compte ni de la date des faits reprochés, ni de la date d’engagement de la procédure pénale.

164    À titre liminaire, il convient de rappeler que les institutions sont tenues d’exercer leurs compétences en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe d’égalité de traitement et le principe de bonne administration. Eu égard à ces principes, il leur appartient de prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et de s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens. En outre, les principes d’égalité de traitement et de bonne administration doivent se concilier avec le respect de la légalité (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 109 et jurisprudence citée).

165    À cet égard, le principe d’égalité de traitement s’oppose, notamment, à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 110 et jurisprudence citée).

166    En l’espèce, premièrement, aux fins d’établir l’existence d’une pratique du Parlement consistant à refuser de lever l’immunité d’un député lorsque ce dernier est poursuivi au titre de ses activités politiques, lorsque ces poursuites ont été engagées par un adversaire politique ou lorsque les autorités nationales en cause ont sollicité des sanctions exemplaires à l’égard de ce député, les requérants se prévalent de la communication no 11/2003, datée du 6 juin 2003, établie par la commission juridique et du marché intérieur du Parlement, alors chargée des questions d’immunités, constituant une synthèse de la pratique décisionnelle antérieure du Parlement. Cette communication indique que l’immunité ne sera pas levée dans les cas où les actes au titre desquels un membre du Parlement est poursuivi entrent dans le cadre de son activité politique ou y sont directement liés. Cette communication précise également que l’immunité ne sera pas levée en cas de fumus persecutionis, lequel est défini comme « la présomption que les poursuites judiciaires à l’encontre d’un parlementaire sont entamées dans l’intention de porter atteinte à ses activités politiques ». Elle fait état, à titre d’exemples, d’un certain nombre d’indices de nature à en présumer l’existence. Or, il y a lieu de relever que cette communication a été remplacée par la communication no 11/2019 le 19 novembre 2019, date de la publication de celle-ci. En effet, aux termes de son point 53, la communication no 11/2019 « remplace toutes les communications précédentes et tous les autres documents de la commission des affaires juridiques [du Parlement] concernant ses pratiques et modalités de fonctionnement dans le domaine des immunités », dont, notamment, la communication no 11/2003.

167    Deuxièmement, le Parlement fait valoir que la pratique, telle qu’elle avait été synthétisée dans la communication no 11/2003, a été abandonnée dans le sens d’une limitation des cas dans lesquels le Parlement refuse de lever l’immunité. Il convient de relever que la communication no 11/2019, à l’instar de la précédente communication no 11/2016, adoptée le 9 mai 2016, définit le fumus persecutionis comme seul cas dans lequel l’immunité ne doit pas être levée, sans préciser les critères devant être pris en compte aux fins d’établir son existence, ni identifier de catégories de cas dans lesquels un tel fumus devrait être présumé.

168    Troisièmement, en tant que les requérants font valoir la pratique constante selon laquelle le Parlement refuse de lever l’immunité si le but des poursuites judiciaires en cause est d’entraver l’exercice des fonctions parlementaires du député, il y a lieu de relever que l’existence de cette pratique n’est pas contestée et que c’est cette approche qui a été suivie par le Parlement en l’espèce.

169    Quatrièmement, aux fins d’établir l’existence d’une pratique constante du Parlement quant aux éléments à prendre en compte aux fins d’identifier un fumus persecutionis et, plus généralement, quant aux cas dans lesquels le Parlement refuse de lever l’immunité de l’un de ses membres, les requérants se bornent à invoquer certaines décisions adoptées par le Parlement, sans pour autant démontrer en quoi celles-ci seraient à même d’établir l’existence d’une telle pratique.

170    Il convient également de relever que la majeure partie des décisions invoquées par les requérants ont été adoptées au cours des années 1982 à 2003. Elles s’inscrivent donc dans le cadre de la pratique synthétisée dans la communication no 11/2003, laquelle a été expressément retirée par le Parlement, et qui, selon ce dernier, est obsolète. Les requérants n’invoquent qu’une douzaine de décisions adoptées à partir de l’année 2004. Les plus récentes, rendues au cours de la législature 2014-2019, sont au nombre de sept. Quatre d’entre elles sont des décisions par lesquelles le Parlement a levé l’immunité des députés concernés après avoir conclu à l’absence de fumus persecutionis et sont invoquées par les requérants aux fins d’établir la pratique non contestée mentionnée au point 168 ci-dessus.

171    Cinquièmement, ainsi que le fait valoir le Parlement, chaque décision adoptée en réponse à une demande de levée d’immunité est intrinsèquement liée aux circonstances particulières de l’espèce. Or, le Parlement affirme, sans être contredit, qu’il n’a, à sa connaissance, jamais eu à traiter une demande de levée de l’immunité d’un député visant à permettre l’exécution d’un mandat d’arrêt émis aux fins de poursuivre une procédure pénale engagée avant l’élection de ce dernier.

172    Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que, sous réserve de la pratique non contestée mentionnée au point 168 ci-dessus et suivie en l’espèce, les requérants n’ont pas établi l’existence, au jour des décisions attaquées, d’une pratique constante du Parlement consistant à refuser de lever l’immunité dans les cas mentionnés aux points 162 et 163 ci-dessus. Le grief tiré de l’atteinte aux principes de bonne administration et d’égalité de traitement doit donc être écarté.

–       Sur les prétendues erreurs manifestes commises dans l’appréciation du fumus persecutionis

173    Les requérants estiment que le Parlement ne pouvait lever l’immunité qu’après avoir exclu l’existence d’un fumus persecutionis. Ils soutiennent que le Parlement a commis des erreurs manifestes dans l’appréciation de l’existence d’un tel fumus persecutionis en ne prenant pas en compte les éléments de preuve qu’ils lui avaient transmis. Ainsi, le Parlement aurait erronément fondé son appréciation en tenant compte de la procédure pénale « initiale » et des premiers mandats d’arrêt européens, pourtant levés, alors qu’il aurait dû prendre en compte la procédure pénale à sa « réouverture », c’est-à-dire les mandats d’arrêt européens des 14 octobre et 4 novembre 2019. Ce faisant, le Parlement aurait ignoré une série de considérations pertinentes, notamment le fait qu’aucun mandat d’arrêt européen n’était plus en vigueur à leur égard depuis le 18 juillet 2018 et que les derniers mandats d’arrêt européens n’avaient été émis qu’à la suite de leur élection au Parlement, après l’échec des manœuvres des autorités espagnoles visant à les empêcher de se présenter aux élections, puis de prêter serment. Ces mandats auraient pour seul objectif de les empêcher de siéger au Parlement, alors qu’ils sont les seuls représentants de la minorité catalane.

174    En premier lieu, en tant que les requérants font valoir que le Parlement a commis une erreur en appréciant l’existence d’un fumus persecutionis au regard de la procédure pénale en cause et non des seuls mandats d’arrêt européens émis en octobre et en novembre 2019, il y a lieu de rappeler qu’un fumus persecutionis est constaté lorsqu’il existe des éléments de fait indiquant que les poursuites judiciaires ont été engagées dans l’intention de nuire à l’activité politique du député. Or, les mandats d’arrêt européens précités s’inscrivent précisément dans le cadre de la procédure pénale en cause engagée à l’égard des requérants, laquelle avait été suspendue en raison de leur refus de comparaître devant les autorités nationales compétentes. En effet, ces mandats visent à ce que les requérants soient arrêtés dans les États membres autres que le Royaume d’Espagne en vue de leur remise aux autorités de celui-ci afin que la procédure pénale en cause puisse reprendre. Partant, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Parlement a commis une erreur dans la procédure judiciaire pertinente en vue de l’appréciation de l’existence d’un fumus persecutionis.

175    Les requérants reprochent également au Parlement de ne pas avoir pris en compte le fait qu’ils avaient chacun fait l’objet de deux précédents mandats d’arrêt européens, l’un au cours du mois de novembre 2017, qui avait été levé le mois suivant, l’autre au cours du mois de mars 2018, qui avait été levé au cours du mois de juillet 2018, et que, partant, ils ne faisaient plus l’objet de mandat d’arrêt européen depuis cette date. Une telle circonstance serait, selon les requérants, de nature à établir que les mandats d’arrêt européens des 14 octobre et 4 novembre 2019, émis après leur élection au Parlement, visaient à nuire à l’exercice de leurs fonctions au Parlement.

176    À cet égard, il ressort des débats lors de l’audience qu’un délai anormalement long s’écoulant entre les faits reprochés à un membre du Parlement et l’engagement de poursuites à son égard peut, à défaut de justification, constituer un élément pertinent pour l’appréciation du fumus persecutionis. Tel pourrait également être le cas si un tel délai s’était écoulé entre la levée d’un premier mandat d’arrêt et l’émission d’un nouveau mandat.

177    Toutefois, en l’espèce, il y a lieu de relever que le délai entre la levée des mandats d’arrêt européens émis au cours du mois de mars 2018 et l’émission des mandats d’arrêt européens des 14 octobre et 4 novembre 2019 est de moins de seize mois. Par ailleurs, le Royaume d’Espagne a indiqué que ces derniers mandats d’arrêt européens ont été émis après l’arrêt de condamnation du 14 octobre 2019 rendu à l’égard d’autres accusés, au vu duquel les chefs d’accusation retenus contre les requérants ont été partiellement modifiés.

178    Dans ce contexte, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, en ne tenant pas compte de l’absence de mandats d’arrêt européens au cours de la période comprise entre le mois de juillet 2018 et les mois d’octobre ou de novembre 2019, le Parlement a commis une erreur manifeste d’appréciation.

179    En deuxième lieu, d’une part, les requérants font valoir que les accusations à leur égard sont manifestement infondées. Ainsi, ils seraient poursuivis au titre de l’organisation illégale d’un référendum qui ne constitue plus une infraction pénale en Espagne. Ils se prévalent également de déclarations et de décisions d’organismes de défense des droits de l’homme, d’avis juridiques, de décisions juridictionnelles et de déclarations politiques. D’autre part, les requérants font valoir que la législation des autres États membres sanctionnerait moins sévèrement les faits reprochés ou ne les qualifierait pas d’infraction pénale. Ils ajoutent que, au jour des décisions attaquées, une réforme était en cours en Espagne, en vue de redéfinir, voire de supprimer, l’infraction de sédition et que neuf personnes condamnées par l’arrêt précité du 14 octobre 2019 ont été graciées le 22 juin 2021. Ils ajoutent que toutes les personnes concernées par les faits en cause n’ont pas été poursuivies.

180    À cet égard, la question de savoir si les conditions pour une levée de l’immunité parlementaire, en vertu de l’article 9 du protocole no 7, sont réunies, au moment où il en est fait la demande, est distincte de celle consistant à déterminer si les faits reprochés aux députés concernés sont établis, cette question relevant de la compétence des autorités de l’État membre (voir point 141 ci-dessus). De même, dans le cadre de l’examen d’une demande de levée d’immunité, il n’appartient pas au Parlement de se prononcer sur l’opportunité des poursuites (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2018, Jalkh/Parlement, T‑26/17, non publié, EU:T:2018:690, point 83, et du 30 avril 2019, Briois/Parlement, T‑214/18, non publié, EU:T:2019:266, point 47) et, dans ce cadre, d’apprécier le caractère approprié des dispositions de droit national instituant les infractions au titre desquelles les députés concernés ont été attraits en justice.

181    Par ailleurs, en l’espèce, il est constant que les requérants ont été inculpés au titre d’infractions présumées prévues par la Ley Orgánica del Código Penal (code pénal) en vigueur tant au jour des faits reprochés qu’au jour des décisions attaquées.

182    Il s’ensuit que, dès lors qu’ils visent à remettre en cause la réalité des faits reprochés aux requérants, leur qualification au regard de la loi pénale espagnole ainsi que la question de savoir si ces faits justifiaient ou non des poursuites pénales à leur égard, les arguments mentionnés au point 179 ci-dessus sont inopérants et doivent être écartés pour ce motif.

183    En troisième lieu, ainsi que cela a été constaté au point 151 ci-dessus, pour conclure à l’absence de fumus persecutionis, le Parlement s’est fondé sur plusieurs éléments, envisagés conjointement, à savoir la circonstance que les faits incriminés ont été commis en 2017, alors que les requérants ont acquis la qualité de membre du Parlement le 13 juin 2019 et les faits que, d’une part, ils ont été inculpés le 21 mars 2018, c’est-à-dire à un moment où l’acquisition du statut de député européen était hypothétique et, d’autre part, cette inculpation visait également d’autres personnes, lesquelles n’étaient pas membres du Parlement.

184    Ce faisant, le Parlement a considéré que ces faits, envisagés conjointement, étaient de nature à exclure tout soupçon de fumus persecutionis, en dépit des éléments avancés par les requérants. Il s’ensuit que leur argument tiré de ce que le Parlement aurait levé leur immunité sans avoir exclu l’existence d’un fumus persecutionis manque en fait et doit être écarté pour ce motif.

185    Ensuite, en tant que les requérants reprochent au Parlement de ne pas avoir examiné les prétendues irrégularités qui affecteraient la procédure pénale en cause, il convient de rappeler que, dans le cadre de son appréciation de l’existence d’un fumus persecutionis, il n’appartient pas au Parlement d’apprécier la légalité des actes adoptés par les autorités judiciaires au cours de la procédure en cause, cette question relevant de la seule compétence des autorités nationales (voir point 126 ci-dessus). Celles-ci ont d’ailleurs été effectivement saisies par les requérants. Cela étant, il ne saurait être exclu que, dans le cadre de son très large pouvoir d’appréciation, le Parlement puisse s’appuyer sur certains faits invoqués au soutien de ces irrégularités pour conclure à l’existence d’un cas de fumus persecutionis.

186    En l’espèce, il y a lieu de considérer que les requérants n’ont pas établi que, en se fondant sur les circonstances rappelées au point 183 ci-dessus pour exclure l’existence d’un fumus persecutionis, le Parlement aurait commis une erreur manifeste d’appréciation. En particulier, au vu desdites circonstances, les faits que, premièrement, les requérants sont poursuivis au titre de leurs activités politiques nationales, deuxièmement, ils pourraient, dans le cadre ou à l’issue de la procédure pénale en cause, être temporairement empêchés d’exercer leur mandat, voire, le cas échéant, perdre celui-ci, troisièmement, le parti espagnol VOX a exercé l’action populaire dans la procédure pénale en cause et, quatrièmement, ils ont été visés par certaines déclarations publiques négatives, appelant notamment à ce que des sanctions exemplaires leur soient infligées, ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion. Il en va de même des allégations des requérants visant à mettre en question l’impartialité des autorités judiciaires intervenues dans le cadre de la procédure pénale en cause. Enfin, aux fins d’établir l’existence d’une erreur manifeste commise par le Parlement dans l’appréciation du fumus persecutionis, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir d’évènements postérieurs aux décisions attaquées, tel le fait qu’eux-mêmes et leurs conseils auraient été espionnés par les autorités espagnoles et la communication de la commission électorale centrale du 3 novembre 2022.

187    Partant, il y a lieu de rejeter le sixième moyen, en tant qu’il est tiré d’erreurs de fait et de droit entachant l’examen, par le Parlement, du fumus persecutionis, et le septième moyen.

 Sur le huitième moyen, tiré de la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en tant que le Parlement a refusé de faire application des dispositions de l’article 9, paragraphe 7, du règlement intérieur

188    Les requérants font valoir que le Parlement s’est écarté sans motif de sa pratique selon laquelle, lorsqu’il existe un risque qu’un député soit arrêté sans condamnation, le Parlement soit refuse de lever l’immunité, soit fait application de l’article 9, paragraphe 7, du règlement intérieur.

189    Le Parlement et le Royaume d’Espagne soutiennent que le huitième moyen n’est pas fondé.

190    Aux fins d’établir le non-respect par le Parlement d’une pratique antérieure consistant à ne pas lever l’immunité ou à faire application de l’article 9, paragraphe 7, du règlement intérieur dans les cas où il existe un risque que l’un de ses membres soit arrêté sans condamnation préalable, les requérants invoquent certaines décisions adoptées par le Parlement en matière d’immunité au cours des années 1984 à 2011.

191    Toutefois, d’une part, les requérants se bornent à invoquer lesdites décisions sans pour autant démontrer en quoi elles seraient à même d’établir l’existence, au jour des décisions attaquées, de la pratique alléguée.

192    D’autre part, les requérants n’établissent pas en quoi les décisions précitées se rapportent à des situations comparables à la leur. À cet égard, il y a lieu de constater que, en l’espèce, les demandes de levée d’immunité visent à permettre l’exécution de mandats d’arrêt européens qui ont été émis après que les requérants ont refusé de comparaître devant les autorités compétentes espagnoles. Elles visent ainsi à permettre l’arrestation des requérants en vue de leur remise aux autorités espagnoles afin que la procédure pénale en cause puisse se poursuivre. Or, aucune des décisions invoquées ne se rapporte à une telle situation.

193    Partant, il y a lieu de rejeter le huitième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré, en substance, de la violation du droit d’être entendu

194    Le quatrième moyen comporte, en substance, deux branches.

195    Par la première branche, les requérants soutiennent qu’ils n’ont pas été entendus sur plusieurs documents auxquels ils n’ont pas eu accès. Ils ajoutent qu’il ne saurait être exclu que ces documents aient eu une incidence décisive sur les décisions attaquées. Par la seconde branche, les requérants font valoir que le président de la commission des affaires juridiques a entravé leur droit d’être entendu lors de leur audition et que le rapporteur n’a pas assisté aux observations liminaires du premier requérant. Dans la réplique, les requérants soutiennent que la position du Parlement dans ses écritures concernant l’irrecevabilité de l’annexe 44 de la requête, à savoir les observations des requérants soumises à la commission des affaires juridiques le 15 février 2021, semble établir qu’elles n’ont pas été prises en compte, alors qu’elles étaient de nature à influer sur l’issue des demandes de levée d’immunité.

196    Le Parlement et le Royaume d’Espagne contestent ces arguments.

197    Selon l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, le droit à une bonne administration comporte le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard. Ce droit, qui fait partie des droits de la défense, constitue un principe fondamental du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, points 64 et 65 et jurisprudence citée). Il garantit à toute personne la possibilité, préalablement à l’adoption de la décision le concernant, de faire valoir utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances sur la base desquels cette décision est adoptée (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 176 et jurisprudence citée).

198    Selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent. À cet égard, il ne saurait être imposé à une partie requérante qui invoque la violation de ses droits de la défense de démontrer que la décision de l’institution de l’Union concernée aurait eu un contenu différent, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement exclue. L’appréciation de cette question doit, en outre, être effectuée en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de chaque espèce (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, points 105 à 107 et jurisprudence citée).

199    C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’apprécier les deux branches du quatrième moyen.

–       Sur la première branche, tirée de ce que les requérants n’ont pas eu accès à trois documents

200    Premièrement, les requérants font valoir qu’ils n’ont pas été entendus au sujet de l’ordonnance du 25 octobre 2018 sur laquelle le Parlement s’est fondé pour considérer, à tort, que l’instruction pénale avait été clôturée et qui ne figurait pas au dossier.

201    À cet égard, il y a lieu de rappeler que cette ordonnance ne concerne pas les requérants, mais les autres personnes visées par la procédure pénale en cause qui n’ont pas refusé de comparaître (voir point 156 ci-dessus).

202    En outre, il a été considéré qu’il n’apparaissait pas que l’erreur ou, à tout le moins, le manque de clarté des décisions attaquées quant au stade exact de la procédure pénale en cause avait eu une incidence sur l’examen de la demande de levée d’immunité (voir point 160 ci-dessus).

203    Il s’ensuit que, à supposer même qu’une violation du droit d’être entendu puisse être constatée en tant que les requérants n’ont pas été mis en mesure de faire valoir leurs observations quant à cette ordonnance, elle ne serait pas de nature à justifier l’annulation des décisions attaquées.

204    Deuxièmement, les requérants font valoir qu’ils n’ont pas pu prendre position sur les arguments présentés par le Royaume d’Espagne dans les notifications, datées des 11 juin 2014 et 30 septembre 2020, adressées au Parlement relatives à l’autorité compétente en matière de demande de levée de l’immunité d’un député (voir points 81 et 82 ci-dessus), lesquelles ne leur ont pas été communiquées.

205    Toutefois, il n’a pas été contesté que, en l’état de la jurisprudence nationale, c’est la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) qui est compétente pour solliciter la levée de l’immunité d’un membre du Parlement élu au titre du Royaume d’Espagne (voir point 84 ci-dessus). Il s’ensuit que les requérants n’ont pas établi que les décisions attaquées auraient pu avoir un contenu différent s’ils avaient été entendus sur les notifications précitées du Royaume d’Espagne.

206    Troisièmement, les requérants font valoir qu’ils n’ont pas eu accès, en dépit de leur demande, à la « communication usuelle aux membres de la commission [des affaires juridiques] », établie par le rapporteur, prévue par la communication de cette commission datée du 10 février 2015, laquelle consisterait en un résumé des principaux faits relatifs à chaque affaire d’immunité établi par le rapporteur ainsi qu’en la liste complète des documents reçus.

207    Le Parlement affirme toutefois, sans être contredit, qu’aucune « communication usuelle » n’a été établie en l’espèce dès lors que celle-ci était prévue par la communication du 10 février 2015 qui a été remplacée par la communication no 11/2019, laquelle n’en fait plus état.

208    Quatrièmement, à la suite de la production du mémoire en défense et de ses annexes, les requérants font valoir dans la réplique qu’ils n’ont pas eu accès à la communication no 1/20, c’est-à-dire à la note de transmission aux membres de la commission des affaires juridiques des demandes de levée d’immunité des premier et deuxième requérants, à laquelle était joint l’extrait de l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 14 octobre 2019 ayant condamné des personnes visées par la procédure pénale en cause qui n’avaient pas refusé de comparaître.

209    À cet égard, il y a lieu de relever que les demandes de levée de l’immunité des requérants étaient accompagnées de plusieurs annexes, identifiées dans les ordonnances mentionnées aux points 11 et 15 ci-dessus, dont l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 14 octobre 2019 précité. Il n’est pas contesté que les requérants ont pu présenter leurs observations sur ces documents qui faisaient partie du dossier de levée d’immunité accessible aux requérants. La communication no 1/20, qui est une simple note de transmission, n’apporte aucun élément substantiel à ces documents à l’égard duquel les requérants auraient dû être mis en mesure de présenter leurs observations. Partant, à supposer même que la communication no 1/20 n’ait pas été portée à la connaissance des requérants, ce qui est contesté par le Parlement, une telle circonstance est dépourvue de toute incidence sur l’issue des décisions attaquées. L’argument doit donc être écarté sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le Parlement.

210    Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du quatrième moyen.

–       Sur la seconde branche, tirée de la violation du droit d’être entendu lors de l’audition des requérants

211    L’article 9, paragraphe 6, troisième alinéa, du règlement intérieur dispose que le président de la commission des affaires juridiques invite le député dont la levée de l’immunité a été demandée à une audition et que le député peut renoncer à son droit d’être entendu. Il y a également lieu de relever que, selon le point 20 de la communication no 11/2019, inclus dans la partie « Auditions », le député dont l’immunité est en cause ou celui qui le représente ne peut prendre la parole que durant une audition qui est facultative. Il peut faire des observations liminaires qui ne peuvent excéder quinze minutes et qui sont suivies de brèves réponses apportées aux questions des membres de la commission. Par ailleurs, sous le titre « Temps de parole », le point 11 de cette communication dispose que, eu égard au temps limité dont la commission des affaires juridiques dispose pour examiner les affaires d’immunité, le temps de parole est strictement réglementé par le président. Le point 13 précise également que, en cas d’audition, les membres de la commission des affaires juridiques autres que le rapporteur peuvent intervenir brièvement pour poser des questions.

212    En l’espèce, les requérants reprochent au président de la commission des affaires juridiques d’avoir suivi strictement les principes exposés au point 211 ci-dessus alors que la complexité des affaires en cause aurait justifié qu’il y déroge et que le rapporteur n’a pas assisté aux observations liminaires du premier requérant.

213    À cet égard, il est constant que les requérants ont disposé chacun de quinze minutes pour présenter leurs observations liminaires et qu’ils ont pu répondre à des questions posées par les membres de la commission des affaires juridiques, conformément aux principes posés par la communication no 11/2019.

214    Il y a également lieu de rappeler que les requérants ont transmis, à plusieurs reprises, à la commission des affaires juridiques, leurs observations assorties des éléments de preuve qu’ils jugeaient pertinents pour l’examen des demandes de levée d’immunité. Ils ont donc pu, également par ce biais, exercer leur droit d’être entendu en faisant connaître leur point de vue au cours de la procédure. À cet égard, il n’est pas établi et il ne ressort pas des observations du Parlement quant à la présentation formelle de l’annexe A 44, constituée des observations soumises le 15 février 2021 par les requérants aux membres de la commission des affaires juridiques et de leurs annexes, que cette commission n’aurait pas pris en compte cette annexe avant d’adopter les décisions attaquées.

215    Quant à la circonstance que le rapporteur n’était pas physiquement présent lorsque le premier requérant a présenté ses observations liminaires lors de la réunion de la commission des affaires juridiques du 14 janvier 2021, il n’est pas précisé pas en quoi un tel fait serait contraire aux règles internes du Parlement ou porterait atteinte au droit d’être entendu. Au demeurant, le Parlement indique, sans être contesté, que le rapporteur aurait assisté à distance au début de cette réunion, jusqu’à ce qu’un problème technique le conduise à y participer physiquement.

216    Il s’ensuit qu’il y a lieu d’écarter la seconde branche du moyen comme non fondée.

217    Partant, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que leur droit d’être entendu a été violé. Il y a également lieu de rejeter, en tout état de cause et par voie de conséquence, le grief tiré de la méconnaissance du droit d’accès aux documents et du droit à une protection juridictionnelle effective qui, en l’absence de toute argumentation des requérants à cet égard, est exclusivement fondé sur la prétendue violation du droit d’être entendu.

218    Il y a lieu, en conséquence, de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe d’impartialité

219    Le troisième moyen repose sur une prétendue méconnaissance du principe d’impartialité prévu à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, dont il résulterait également une violation de l’article 15 TFUE ainsi que de l’article 39, paragraphe 2, et des articles 47 et 48 de la Charte. Le troisième moyen est articulé en quatre branches tirées, la première, de l’irrégularité de la désignation d’un seul rapporteur pour trois affaires d’immunité, la deuxième, du défaut d’impartialité du rapporteur et, la troisième, du défaut d’impartialité du président de la commission des affaires juridiques. Par la quatrième branche, les requérants font valoir que la tenue à huis clos des travaux de cette commission entrave leur possibilité de démontrer l’impact de la partialité du rapporteur et du président de ladite commission sur les décisions attaquées.

220    Le Parlement, soutenu par le Royaume d’Espagne, conteste cette argumentation.

221    À titre liminaire, en premier lieu, il convient de rappeler que les institutions, les organes et les organismes de l’Union sont tenus de respecter les droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union, parmi lesquels figure le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte.

222    L’article 41 de la Charte énonce notamment, en son paragraphe 1, que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement et équitablement par les institutions, organes et organismes de l’Union. Ce droit reflète un principe général du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Espagne/Conseil, C‑521/15, EU:C:2017:982, points 88 et 89). L’exigence d’impartialité, qui s’impose ainsi à ces institutions, organes et organismes dans l’accomplissement de leurs missions, vise à garantir l’égalité de traitement qui est à la base de l’Union (voir arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 26 et jurisprudence citée).

223    Cette exigence vise, notamment, à éviter des situations de conflits d’intérêts éventuels s’agissant de fonctionnaires et d’agents agissant pour le compte de ces institutions, organes et organismes. Compte tenu de l’importance fondamentale de la garantie d’indépendance et d’intégrité en ce qui concerne tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union, l’exigence d’impartialité couvre toutes circonstances que le fonctionnaire ou l’agent amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptible d’affecter son indépendance en la matière (voir arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 26 et jurisprudence citée).

224    Une telle exigence d’impartialité s’impose également aux membres du Parlement intervenant dans le cadre de l’adoption de décisions relevant des fonctions administratives du Parlement (voir, en ce sens, arrêts du 7 novembre 2019, ADDE/Parlement, T‑48/17, EU:T:2019:780, point 61, et du 12 octobre 2022, Vasallo Andrés/Parlement, T‑496/21, non publié, EU:T:2022:628, points 20 à 24).

225    Quant aux décisions, de nature politique, par lesquelles le Parlement statue sur une demande de levée d’immunité (voir point 112 ci-dessus), il y a lieu de rappeler qu’elles sont de nature à modifier de façon caractérisée la situation juridique individuelle du député en cause en supprimant la protection que cette immunité lui confère et que, dans cette mesure, elles peuvent faire l’objet d’un recours en annulation. Dans ce contexte, et ainsi que l’a relevé le vice-président de la Cour dans l’ordonnance du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne [C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 192], la procédure pouvant conduire à l’adoption d’une telle décision doit nécessairement être assortie de garanties individuelles suffisantes.

226    Le Parlement a ainsi mis en place une phase d’instruction de la demande de levée d’immunité confiée à la commission compétente, en l’occurrence, la commission des affaires juridiques, laquelle est chargée de l’élaboration du projet de décision soumis au vote en séance plénière. Dans le cadre de cette phase d’instruction de la demande de levée d’immunité, il y a lieu de constater que, selon les règles internes du Parlement, le député concerné bénéficie des droits prévus à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, à savoir le droit d’être entendu, le droit d’accès à son dossier et l’obligation pour le Parlement de motiver sa décision. Durant cette phase, le député concerné doit également bénéficier du droit, prévu à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, de voir ses affaires traitées impartialement et équitablement, ainsi que cela a été admis par le Parlement dans ses écritures et lors de l’audience. Cette exigence d’impartialité doit toutefois nécessairement tenir compte du fait que les députés, membres de ladite commission, ne sont pas, par définition, politiquement neutres, ce qui les distingue des fonctionnaires et des agents agissant pour le compte des institutions, organes et organismes de l’Union.

227    En second lieu, l’exigence d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée chargé de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Dalli/Commission, C‑615/19 P, EU:C:2021:133, point 112 et jurisprudence citée).

228    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le troisième moyen.

–       Sur la première branche du troisième moyen, tirée de la désignation d’un unique rapporteur pour les trois affaires

229    Par la première branche, les requérants font valoir que le Parlement a nommé, secrètement et sans motivation, un unique rapporteur pour examiner les trois demandes de levée d’immunité en méconnaissance des points 6 et 8 de la communication no 11/2019. Selon eux, le non-respect de cette formalité substantielle caractérise une violation de leur droit, garanti par l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, de voir leurs affaires traitées impartialement et équitablement.

230    À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 9 du règlement intérieur, intitulé « Procédures relatives à l’immunité », prévoit que les demandes de levée d’immunité, si elles sont communiquées en séance plénière, sont renvoyées à la commission compétente, laquelle est chargée de présenter une proposition de décision motivée, après avoir offert au député concerné la possibilité d’être entendu et avoir, le cas échéant, sollicité des informations et des précisions auprès de l’autorité intéressée. Cet article 9 prévoit également, en son paragraphe 11, que la commission doit traiter les questions relatives aux immunités dans la plus grande confidentialité. Pour le reste, c’est la commission compétente qui détermine les modalités d’application de l’article 9, en vertu du paragraphe 13 de cet article, et donc la procédure à suivre en vue d’établir la proposition de décision à soumettre au Parlement réuni en séance plénière.

231    Dans ce contexte, la commission des affaires juridiques a adopté la communication no 11/2019, laquelle énonce des règles de conduite indicatives de la pratique qu’elle entend suivre dans le traitement des demandes de levée d’immunité (arrêt du 1er décembre 2021, Jalkh/Parlement, T‑230/21, non publié, EU:T:2021:848, point 44 ; voir également, par analogie, arrêt du 12 février 2020, Bilde/Parlement, T‑248/19, non publié, EU:T:2020:46, point 24).

232    La communication no 11/2019 prévoit, en son point 6, que la commission compétente nomme un rapporteur pour « chaque demande de levée d’immunité ». Selon le point 7 de cette communication, il appartient à chaque groupe politique de désigner un député qui fait office de rapporteur permanent pour les affaires d’immunité et assume les fonctions de coordinateur « afin de veiller à ce que les affaires d’immunités soient traitées par des députés expérimentés ». Le point 8 de cette même communication dispose que, pour chaque affaire d’immunité, la fonction de rapporteur fait l’objet d’une rotation de manière égalitaire entre les groupes politiques, le rapporteur ne pouvant cependant pas appartenir au même groupe politique, ni avoir été élu dans le même État membre que le député dont l’immunité est en cause.

233    Il s’ensuit que, ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience, chaque groupe politique du Parlement désigne, parmi ses membres siégeant au sein de la commission des affaires juridiques, un rapporteur permanent pour les affaires d’immunité. Dès lors que le Parlement compte, au titre de la législature 2019-2024, sept groupes politiques, sept députés ont ainsi été désignés pour assurer les fonctions de rapporteur dans les affaires d’immunité. La commission des affaires juridiques confie chaque demande de levée d’immunité à l’un de ces rapporteurs, selon un système de tour de rôle établi de manière égalitaire entre les groupes politiques, auquel il n’est en principe dérogé que si le rapporteur du groupe en cause se déporte, auquel cas, l’affaire est confiée au rapporteur désigné par le groupe politique suivant.

234    En l’espèce, d’emblée, il y a lieu de relever que les requérants soutiennent que la désignation d’un unique rapporteur pour examiner les trois demandes de levée d’immunité, prétendument en méconnaissance des points 6 et 8 de la communication no 11/2019, violerait leur droit, garanti par l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, à voir leurs affaires traitées impartialement et équitablement. Or, sous réserve de la question de l’impartialité du rapporteur désigné, laquelle sera examinée dans le cadre de la deuxième branche du moyen, ils ne produisent aucun élément en vue d’établir en quoi la prétendue méconnaissance desdits points de la communication no 11/2019 serait de nature à constituer une violation de ce droit.

235    Ensuite, s’agissant de la prétendue méconnaissance du point 6 de la communication no 11/2019, il y a lieu de relever qu’un rapporteur, certes identique, a été désigné pour chaque demande de levée d’immunité. Le principe figurant audit point a ainsi été respecté.

236    Quant au principe de la rotation égalitaire de la fonction de rapporteur figurant au point 8 de la communication no 11/2019, il ne saurait être interprété comme faisant obstacle à ce qu’un unique rapporteur soit désigné pour examiner plusieurs affaires d’immunité connexes lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les demandes de levée de l’immunité concernent des députés visés par une même procédure pénale.

237    Au surplus, en admettant même que le point 8 de la communication n° 11/2019 ait été méconnu, il y a lieu de rappeler que, parmi les dispositions régissant les procédures internes à une institution, il y a lieu de distinguer celles dont la violation ne peut être invoquée par les personnes physiques et morales, parce qu’elles ne concernent que les modalités de fonctionnement interne de l’institution qui ne sont pas susceptibles d’affecter leur situation juridique, de celles dont la violation peut, au contraire, être invoquée, dès lors qu’elles sont créatrices de droits et facteur de sécurité juridique pour ces personnes (voir arrêt du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824, point 135 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêts du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, EU:C:1991:186, points 49 et 50, et du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 132). Or, ledit point 8 ne consacre pas un droit au profit de ces députés, ni n’apparaît comme un facteur de sécurité juridique pour ces derniers. En effet, il vise à organiser le fonctionnement interne du Parlement, en assurant un traitement égalitaire des groupes politiques en son sein. Il s’agit ainsi d’une mesure d’organisation purement interne dont la violation ne serait pas de nature à affecter la légalité des décisions attaquées.

238    Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du troisième moyen.

–       Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée du défaut d’impartialité du rapporteur

239    Par la deuxième branche, les requérants soutiennent que le Parlement a violé une formalité substantielle en désignant un rapporteur absolument partial. Le rapporteur serait en effet membre du même groupe politique au Parlement que celui auquel appartiennent les députés élus au titre du Royaume d’Espagne membres du parti politique espagnol VOX, à savoir le groupe des conservateurs et réformistes européens (CRE). Or, le parti VOX a, aux côtés du Ministerio fiscal (ministère public) et de l’Abogado del Estado (avocat de l’État), engagé la procédure pénale contre les requérants au titre de laquelle la levée de leur immunité a été sollicitée. Ce parti manifesterait une animosité particulière à l’encontre des requérants. Ces derniers ajoutent que le rapporteur aurait manifesté son parti pris avant et après l’adoption des décisions attaquées. Ainsi, il aurait organisé et présidé au Parlement une réunion avec ce parti espagnol, au cours de laquelle des propos manifestement hostiles à leur égard auraient été tenus. Ce manque d’impartialité serait confirmé par des déclarations du rapporteur postérieures à l’adoption des décisions attaquées et par les réactions du parti espagnol VOX. Les requérants se prévalent également des liens d’amitié entre le rapporteur et les membres du parti VOX.

240    Les requérants ont précisé, lors de l’audience, qu’ils mettaient principalement en cause l’impartialité subjective du rapporteur, tout en signalant que les éléments de preuve produits établissaient, à tout le moins, un manquement à l’obligation d’impartialité objective.

241    À titre liminaire, il n’est pas contesté que le rapporteur chargé de la demande de levée de l’immunité du premier requérant a été désigné conformément au tour de rôle établi entre les groupes politiques. Les requérants font toutefois valoir que ce rapporteur, également chargé de l’examen des demandes de levée de l’immunité des deuxième et troisième requérants, aurait dû se déporter ou être récusé compte tenu de son manque d’impartialité.

242    À cet égard, premièrement, il convient de rappeler le caractère politique des décisions par lesquelles le Parlement statue sur une demande de levée d’immunité (voir point 225 ci-dessus).

243    Il y a également lieu de relever que la phase d’instruction de la demande de levée d’immunité est menée par une commission parlementaire, c’est-à-dire un organe politique, dont la composition vise, selon l’article 209 du règlement intérieur, à refléter la pluralité existant au sein du Parlement, la répartition des sièges étant, autant que possible, proportionnelle à la représentation des groupes politiques au sein du Parlement. Ainsi que cela a été exposé au point 231 ci-dessus, ladite commission désigne, en son sein, le rapporteur selon un système de rotation égalitaire entre les groupes politiques. Il s’ensuit que, si la mission de rapporteur est confiée à un député relevant d’un groupe politique donné, ce député agit dans le cadre d’une commission dont la composition reflète l’équilibre des groupes politiques au sein du Parlement.

244    Dans ce contexte, l’impartialité d’un député qui intervient au cours de cette phase d’instruction, tel le rapporteur, ne saurait, en principe, être appréciée à l’aune de son idéologie politique, ni à l’aune d’une comparaison entre son idéologie politique et celle du député visé par la demande de levée d’immunité. En particulier, l’appartenance du rapporteur à un parti politique national ou à un groupe politique constitué au sein du Parlement, quelles que soient les valeurs et les idées portées par ces derniers, et à supposer même que celles-ci soient susceptibles de révéler des sensibilités a priori défavorables à la situation du député visé par la demande de levée d’immunité, est, en principe, sans incidence sur l’appréciation de l’impartialité du rapporteur. À cet égard, il a déjà été jugé que la différence d’idéologie politique entre le rapporteur et le député visé par la demande de levée d’immunité n’était pas de nature, à elle seule, à affecter la procédure d’adoption de la décision attaquée (arrêt du 1er décembre 2021, Jalkh/Parlement, T‑230/21, non publié, EU:T:2021:848, point 46).

245    Il s’ensuit que, en l’espèce, l’appartenance du rapporteur au groupe politique européen des conservateurs et réformistes européens est, en principe, sans incidence sur l’appréciation de son impartialité.

246    Certes, ce groupe politique comprend également les députés du parti politique VOX qui, ainsi que l’a relevé le vice-président de la Cour dans l’ordonnance du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne [C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 202], est placé dans une situation tout à fait particulière à l’égard des requérants, puisqu’il est à l’origine de la procédure pénale en cause. Toutefois, cette situation particulière vise les députés membres du parti politique VOX et ne saurait s’étendre, par principe, à l’ensemble des membres du groupe politique des conservateurs et réformistes européens au seul motif qu’ils partagent, dès lors qu’ils relèvent d’un même groupe, des affinités politiques.

247    Deuxièmement, les requérants soutiennent que le rapporteur aurait présidé une réunion du parti politique VOX au sein du Parlement, au cours de laquelle il aurait soutenu le slogan « Puigdemont en prison ».

248    D’emblée, il y a lieu de constater que l’exposé sommaire de ce grief figure dans la requête et qu’il est étayé par un élément de preuve contenu dans des annexes identifiées, à savoir un lien vers une vidéo. Partant, en application de la jurisprudence citée au point 34 ci-dessus, il y a lieu d’écarter la fin de non-recevoir opposée par le Parlement à cet égard.

249    Ensuite, il est constant que, dans le cadre de ses fonctions de membre du Parlement, le rapporteur a organisé et participé à un évènement tenu le 6 mars 2019, dans l’enceinte du Parlement, consistant en une intervention du secrétaire général du parti politique VOX sur le thème « Cataluña es España » (La Catalogne est l’Espagne). Ce dernier a clos son discours par la formule « Viva España, viva Europa y Puigdemont a prisión » (Vive l’Espagne, vive l’Europe et Puigdemont en prison).

250    D’une part, il est constant que, au cours de cet évènement, le rapporteur ne s’est pas exprimé verbalement. Il ressort en effet de l’enregistrement de cet évènement que, si le rapporteur était présent à la table des orateurs, aux côtés du secrétaire général du parti VOX et de deux autres membres du Parlement, seul le secrétaire général dudit parti est intervenu oralement.

251    D’autre part, l’organisation d’un tel évènement peut être considérée comme étant une manifestation du soutien du rapporteur aux idées défendues par ledit parti politique concernant, en particulier, compte tenu du thème de l’évènement, la situation politique de la Catalogne, ainsi que son opposition aux idées politiques portées par les requérants. Si, certes, les faits reprochés aux requérants dans le cadre de la procédure pénale en cause ont trait à la situation politique en Catalogne en tant qu’ils se rapportent à l’adoption des lois mentionnées au point 2 ci-dessus et à la tenue du référendum d’autodétermination évoqué au même point, la manifestation, par le député, futur rapporteur des affaires de levée d’immunité des requérants, de sa position quant à cette situation ne saurait, pour les motifs exposés aux points 244 et 246 ci-dessus, suffire à caractériser une atteinte au principe d’impartialité. Il y a lieu d’ajouter que, ainsi que cela a été constaté au point 141 ci-dessus, les questions de savoir si les faits reprochés aux requérants sont établis, si ces faits justifiaient ou non des poursuites pénales à leur égard et si les dispositions de droit national instituant les infractions au titre desquelles les requérants ont été poursuivis étaient appropriées sont distinctes de celle consistant à déterminer si les conditions pour une levée de l’immunité parlementaire, en vertu de l’article 9 du protocole no 7, étaient réunies au moment où il en est fait la demande. Or, cette dernière question est la seule qui a été examinée par le rapporteur.

252    Troisièmement, dans la réplique, les requérants font valoir certains faits survenus après les décisions attaquées qui attesteraient de l’absence d’impartialité du rapporteur.

253    Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure, les preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. L’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure précise que les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve dans la réplique et la duplique à l’appui de leur argumentation, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

254    En tant que les requérants se prévalent d’une interview du rapporteur dans un journal bulgare, datée du jour suivant l’adoption des décisions attaquées, donc antérieure au dépôt de la requête, il y a lieu de relever que ce document a été produit dans la réplique, sans que les requérants justifient sa production tardive. Partant, il y a lieu d’écarter cet élément de preuve comme irrecevable, ainsi que le demande le Parlement.

255    Par ailleurs, les différentes réactions du parti politique VOX exprimées postérieurement à l’adoption des décisions attaquées et au dépôt de la requête, notamment les manifestations de satisfaction à l’égard du rapport établi par le rapporteur, ne sont pas de nature à établir le manque d’impartialité du rapporteur. Il en va de même de la circonstance, alléguée par les requérants, que le rapporteur aurait fait l’objet d’une sanction administrative au titre de son comportement dans l’hémicycle pour des faits sans lien avec la présente affaire.

256    Quatrièmement, les requérants ne soutiennent pas que le rapporteur était en situation de conflit d’intérêts, laquelle existe, selon l’article 3, paragraphe 1, de l’annexe I du règlement intérieur, « lorsqu’un député au Parlement européen a un intérêt personnel qui pourrait influencer indûment l’exercice de ses fonctions en tant que député ». Plus généralement, les requérants n’invoquent aucun intérêt personnel du rapporteur susceptible d’affecter son impartialité dans l’exercice de ses fonctions. De même, les requérants ne font état d’aucune déclaration du rapporteur de nature à révéler qu’il aurait abordé son office avec un préjugé d’ordre personnel, dissociable de son idéologie politique.

257    Il s’ensuit qu’il y a lieu d’écarter la deuxième branche du troisième moyen comme non fondée.

–       Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée du défaut d’impartialité du président de la commission des affaires juridiques

258    Les requérants font valoir que le président de la commission des affaires juridiques n’offrait aucune garantie d’impartialité pour les raisons évoquées dans les observations qu’ils ont communiquées à cette commission, figurant en annexe à la requête. Ils précisent, en particulier, que ce dernier et le parti politique national auquel il appartient ont fait preuve d’une farouche hostilité à leur égard en menant une stratégie visant à les empêcher de prendre possession de leur siège au Parlement.

259    À cet égard, il ressort des développements figurant aux points 33 à 37 ci-dessus qu’il y a lieu d’écarter comme irrecevables les arguments relatifs à l’absence d’impartialité du président de la commission des affaires juridiques qui ne sont exposés que dans les annexes à la requête sans figurer expressément dans celle-ci. Tel est le cas de l’argument lié à sa nationalité espagnole. Tel est également le cas de certains arguments relatifs à son prétendu comportement, ainsi que le fait valoir le Parlement.

260    En revanche, il y a lieu d’écarter la fin de non-recevoir du Parlement en tant qu’elle est dirigée contre l’argument, mentionné au point 145 de la requête, tiré de la prétendue hostilité du président de la commission des affaires juridiques résultant de la stratégie qui aurait été menée en vue d’empêcher les requérants de prendre possession de leur siège au Parlement.

261    Cet argument doit cependant être écarté. En effet, il ressort des pièces du dossier que les prétendues initiatives en vue d’empêcher les requérants de prendre possession de leur siège au Parlement émanent non du président de la commission des affaires juridiques, mais du parti politique national auquel il appartient, qui n’est pas celui qui a exercé l’action populaire dans la procédure pénale en cause. Or, il ressort du point 244 ci-dessus que l’impartialité du président de la commission des affaires juridiques ne saurait, en principe, être appréciée à l’aune de son idéologie politique, en particulier, de son appartenance à un parti politique national.

262    Partant, il y a lieu d’écarter la troisième branche du troisième moyen. Dans la mesure où les allégations de partialité formulées à l’encontre du rapporteur et du président de la commission des affaires juridiques ont été rejetées, il n’est pas nécessaire d’apprécier la quatrième branche relative à l’entrave que constituerait le caractère confidentiel des travaux de cette commission à l’établissement de la preuve de l’incidence de leur prétendue partialité sur les décisions attaquées.

263    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le recours, sans qu’il soit besoin d’adopter les mesures d’organisation de la procédure et les mesures d’instruction sollicitées par les requérants.

 Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure 

264    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 mars 2023, les requérants ont sollicité la réouverture de la phase orale de la procédure sur le fondement de l’article 113, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure.

265    En vertu de l’article 113, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure lorsqu’une partie principale le demande, en se fondant sur des faits de nature à exercer une influence décisive sur sa décision qu’elle n’avait pas pu faire valoir avant la clôture de ladite phase orale.

266    Les requérants font valoir des faits survenus après la clôture de la phase orale de la procédure qui, selon eux, ont une incidence décisive, d’une part, sur leur intérêt à agir et, d’autre part, sur le bien-fondé des décisions attaquées.

267    Plus précisément, premièrement, les requérants se réfèrent à l’entrée en vigueur, le 12 janvier 2023, de la Ley Orgánica 14/2022 (loi organique 14/2022), du 22 décembre 2022 (BOE no 307, du 23 décembre 2022, p. 1), qui a modifié le code pénal, notamment en supprimant l’infraction de sédition au titre de laquelle ils étaient poursuivis et en modifiant l’infraction de détournement de fonds publics visant les premier et deuxième requérants. Deuxièmement, ils se prévalent de l’ordonnance du 12 janvier 2023 par laquelle le juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) a notamment levé les mandats d’arrêt européens des 14 octobre et 4 novembre 2019 émis à leur égard. Troisièmement, les requérants font valoir l’ordonnance de la Corte d’appello di Cagliari, sezione distaccata di Sassari (cour d’appel de Cagliari, chambre détachée de Sassari, Italie) du 9 mars 2023 par laquelle cette juridiction a constaté la levée du mandat d’arrêt européen visant le premier requérant et, en conséquence, déclaré l’extinction de la procédure d’exécution dudit mandat. Quatrièmement, les requérants se prévalent de l’arrêt du 29 novembre 2022 par lequel le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) a rejeté le recours (« recurso de amparo ») formé par les premier et deuxième requérants contre l’ordonnance du juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 10 janvier 2020 sollicitant la levée de leur immunité auprès du Parlement.

268    En premier lieu, s’agissant du maintien de leur intérêt à agir, les requérants font valoir que les décisions attaquées ne peuvent plus produire d’effets juridiques, car, d’une part, elles ne visent qu’à permettre l’exécution de mandats d’arrêt européens qui ont été levés et, d’autre part, elles lèvent leur immunité au titre d’une procédure pénale portant sur une infraction présumée de sédition qui ne figure plus dans le code pénal et sur une infraction présumée de détournement de fonds publics qui a été substantiellement modifiée dans ce code. Les requérants soutiennent toutefois que, compte tenu des effets produits par les décisions attaquées, ils conservent un intérêt à agir, à tout le moins, dans une perspective indemnitaire. Ils soutiennent, à cet égard, qu’un arrêt d’annulation pourrait constituer une forme de réparation. Ils font également valoir le risque de répétition des illégalités affectant les décisions attaquées, dès lors que le juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême) envisagerait d’émettre de nouveaux mandats d’arrêt européens.

269    À cet égard, le Tribunal constate que les requérants sollicitent la réouverture de la phase orale de la procédure afin de permettre un débat contradictoire sur la question de la disparition de leur intérêt à agir, tout en faisant valoir que celui-ci persiste en dépit de la caducité alléguée des décisions attaquées. Par ailleurs, ni le Parlement ni le Royaume d’Espagne n’ont saisi le Tribunal d’une demande de non-lieu à statuer, alors qu’une telle demande peut être déposée à tout moment de la procédure (ordonnance du 25 octobre 2019, Le Pen/Parlement, T‑211/19, non publiée, EU:T:2019:776, point 14). Dans ce contexte, et au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que les éléments apportés par les requérants concernant la question de leur intérêt à agir ne sont pas de nature à exercer une influence décisive sur la décision du Tribunal, au sens de l’article 113, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure.

270    En second lieu, il convient de relever que les faits nouveaux invoqués par les requérants ne sont pas non plus de nature à exercer une influence décisive sur le fond du recours.

271    En effet, dans la mesure où la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où cet acte a été adopté (voir arrêts du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 31 et jurisprudence citée, et du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée) et alors qu’il n’appartient pas au Parlement, lorsqu’il statue sur une demande de levée d’immunité, d’apprécier le caractère approprié des dispositions de droit national instituant l’infraction reprochée (voir point 180 ci-dessus), la modification du code pénal, postérieurement à l’adoption des décisions attaquées, est dépourvue d’incidence sur l’examen de leur légalité. Il en va de même, d’une part, de l’ordonnance du juge d’instruction du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 12 janvier 2023, dont le caractère définitif n’a, au demeurant, pas été établi, dès lors que celle-ci vise à tirer les conséquences de la modification dudit code pénal et, d’autre part, de l’ordonnance de la Corte d’appello di Cagliari, sezione distaccata di Sassari (cour d’appel de Cagliari, chambre détachée de Sassari) du 9 mars 2023 par laquelle cette juridiction a elle-même, en substance, tiré les conséquences de la levée, par l’ordonnance précitée du 12 janvier 2023, du mandat d’arrêt européen visant le premier requérant.

272    Quant à l’arrêt du 29 novembre 2022 du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle), les requérants font valoir, en substance, qu’il conforte l’argumentation qu’ils avaient déjà développée au soutien du deuxième moyen, en lien avec l’arrêt du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest (C‑219/17, EU:C:2018:1023). Partant, cet arrêt du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) ne saurait être regardé comme étant de nature à exercer une influence décisive sur la décision du Tribunal. En tout état de cause, la circonstance que, dans ledit arrêt, le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) a indiqué qu’il appartenait au Tribunal, dans le cadre du présent recours, de statuer sur la légalité des décisions attaquées n’est pas susceptible d’infirmer la conclusion, exposée au point 88 ci-dessus, selon laquelle le Parlement n’était pas tenu d’apprécier la conformité au droit de l’Union de la jurisprudence espagnole relative à l’autorité compétente pour solliciter la levée de l’immunité d’un député européen élu au titre du Royaume d’Espagne.

273    Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande des requérants tendant à la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les dépens

274    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement dans le cadre de la présente affaire et des affaires T‑272/21 R et T‑272/21 R II, conformément aux conclusions du Parlement.

275    En application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens, y compris ceux qu’il a exposés dans le cadre de l’affaire T‑272/21 R II.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      MM. Carles Puigdemont i Casamajó, Antoni Comín i Oliveres et Mme Clara Ponsatí i Obiols sont condamnés à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement européen, y compris ceux exposés dans le cadre des affaires T272/21 R et T272/21 R II.

3)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens, y compris ceux qu’il a exposés dans le cadre de l’affaire T272/21 R II.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Kanninen

Schwarcz

 

      Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juillet 2023.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité des renvois aux annexes

Sur le fond

Cadre juridique

– Droit de l’Union

– Droit espagnol

Sur le premier moyen, tiré de l’insuffisante motivation des décisions attaquées

Sur le deuxième moyen, tiré de l’incompétence de l’autorité nationale ayant émis et transmis au Parlement les demandes de levée de l’immunité des requérants

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de coopération loyale, du droit à une protection juridictionnelle effective et des droits de la défense en raison du manque de clarté des décisions attaquées

– Sur le premier grief, tiré du manque de clarté des décisions attaquées quant aux procédures visées par la levée de l’immunité

– Sur le second grief, tiré du manque de clarté des décisions attaquées quant à la nature des mesures susceptibles d’être adoptées dans le cadre de l’exécution des mandats d’arrêt européens

Sur le sixième moyen, dans la mesure où il est tiré de la violation de l’article 343 TFUE, de l’article 9 du protocole n o 7 et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur ainsi que de certains droits fondamentaux des requérants

– Sur la prétendue violation des dispositions de l’article 343 TFUE, de l’article 9 du protocole no 7 et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement intérieur

– Sur l’ingérence illégale dans les droits fondamentaux des requérants

Sur le sixième moyen, en tant qu’il est tiré d’erreurs de fait et de droit entachant l’examen, par le Parlement, du fumus persecutionis et le septième moyen, tiré de la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement et d’erreurs manifestes commises par le Parlement dans son appréciation du fumus persecutionis

– Sur les prétendues erreurs de droit et de fait entachant l’examen par le Parlement du fumus persecutionis

– Sur la prétendue atteinte aux principes de bonne administration et d’égalité de traitement

– Sur les prétendues erreurs manifestes commises dans l’appréciation du fumus persecutionis

Sur le huitième moyen, tiré de la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en tant que le Parlement a refusé de faire application des dispositions de l’article 9, paragraphe 7, du règlement intérieur

Sur le quatrième moyen, tiré, en substance, de la violation du droit d’être entendu

– Sur la première branche, tirée de ce que les requérants n’ont pas eu accès à trois documents

– Sur la seconde branche, tirée de la violation du droit d’être entendu lors de l’audition des requérants

Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe d’impartialité

– Sur la première branche du troisième moyen, tirée de la désignation d’un unique rapporteur pour les trois affaires

– Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée du défaut d’impartialité du rapporteur

– Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée du défaut d’impartialité du président de la commission des affaires juridiques

Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.