Language of document : ECLI:EU:T:2022:366

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

15 juin 2022 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Réforme du statut de 2014 – Remboursement des frais de voyage annuel – Lieu d’origine situé dans un pays tiers – Paiement forfaitaire calculé sur la base de la distance séparant le lieu d’affectation de la capitale de l’État membre dont le fonctionnaire a la nationalité »

Dans l’affaire T‑545/16,

YY,

ZA,

représentés par Mes J.-N. Louis, R. Metz, D. Verbeke, T. Van Lysebeth et N. Maes, avocats,

parties requérantes,

contre

Cour de justice de l’Union européenne, représentée par M. J. Inghelram et Mme A. Ysebaert, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par Mmes E. Taneva et M. Ecker, en qualité d’agents,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et R. Meyer, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet des demandes fondées sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation des décisions de réduire ou de supprimer, à compter du 1er janvier 2014, le remboursement des frais de voyage annuel, pour que les requérants puissent maintenir une relation avec leur lieu d’origine,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, R. Barents (rapporteur) et Mme T. Pynnä, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 13 décembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, YY, fonctionnaire de la Cour de justice de l’Union européenne, est affectée au Luxembourg et a la double nationalité du Royaume-Uni et canadienne. Son lieu d’origine a été fixé à Ottawa (Canada). Elle perçoit une indemnité de dépaysement.

2        Le requérant, ZA, fonctionnaire de la Cour de justice de l’Union européenne, est affecté au Luxembourg et a la nationalité belge. Son lieu d’origine a été fixé à Buenos Aires (Argentine). Il perçoit une indemnité de dépaysement.

3        Depuis l’entrée en vigueur du règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (JO 2013, L 287, p. 15), le requérant n’a plus droit au remboursement de ses frais de voyage et la requérante a, depuis lors, droit à un montant réduit de ce remboursement, s’élevant, pour l’année 2014, à 221,56 euros.

4        Les requérants ont pris connaissance de ces modifications en consultant leur bulletin de rémunération du mois de juillet 2014.

5        Des réclamations ont été introduites par les requérants les 25 juillet et 1er octobre 2014. Ces réclamations ont été rejetées par une décision du 26 novembre 2014.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne le 27 février 2015, les requérants ont introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire F‑36/15.

7        Par décision du 13 avril 2015, le président de la troisième chambre du Tribunal de la fonction publique a décidé de suspendre la procédure jusqu’à ce que la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑75/14, USFSPEI/Parlement et Conseil soit passée en force de chose jugée.

8        Par actes déposés au greffe du Tribunal de la fonction publique respectivement le 11 et le 13 mai 2015, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Cour de justice.

9        En application de l’article 3 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137), le recours a été transféré au Tribunal dans l’état où il se trouvait à la date du 31 août 2016. Il a été enregistré sous le numéro T‑545/16 et a été attribué à la huitième chambre.

10      L’affaire en raison de laquelle la présente procédure avait été suspendue a donné lieu à l’arrêt du 16 novembre 2017, USFSPEI/Parlement et Conseil (T‑75/14, EU:T:2017:813). Cette décision n’a pas fait l’objet d’un pourvoi et est passée en force de chose jugée.

11      Le 19 avril 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a déposé un mémoire en défense.

12      Le 26 avril 2018, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis les interventions du Parlement et du Conseil.

13      Le Parlement et le Conseil ont déposé leurs mémoires en intervention respectivement le 12 et le 14 juin 2018. La Cour de justice de l’Union européenne et les requérants ont déposé leurs observations sur ceux-ci respectivement le 3 et le 26 juillet 2018.

14      Le 23 novembre 2018, le président de la huitième chambre a décidé, conformément à l’article 69, sous d), du règlement de procédure, de suspendre le traitement de la procédure jusqu’à ce que les décisions dans les affaires T‑516/16, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑536/16, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑523/16, Ardalic e.a./Conseil, et T‑542/16, Ardalic e.a./Conseil, soient passées en force de chose jugée.

15      Les affaires en raison desquelles la présente procédure avait été suspendue ont donné lieu aux arrêts du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission (T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267), et du 30 avril 2019, Ardalic e.a./Conseil (T‑523/16 et T‑542/16, non publié, EU:T:2019:272). Ces affaires ont fait l’objet d’un pourvoi et sont passées en force de chose jugée à la suite d’un arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission (C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240).

16      Par lettre du 6 avril 2021, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’inviter les parties à prendre position sur les conséquences qu’il convenait, selon elles, de tirer de l’arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission (C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240), pour la présente affaire. Les parties ont déféré à la demande du Tribunal dans le délai imparti.

17      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les bulletins de rémunération du mois de juillet 2014 en ce qu’ils font application pour la première fois de l’article 8 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), pour fixer le remboursement des frais de voyage annuel ;

–        annuler, pour autant que de besoin, les décisions du 26 novembre 2014 rejetant les réclamations ;

–        condamner la Cour de justice de l’Union européenne aux dépens.

18      La Cour de justice de l’Union européenne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

19      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

20      Le Conseil conclut au rejet du recours.

 En droit

21      Il ressort de la requête que, par le présent recours, les requérants demandent, d’une part, l’annulation des bulletins de rémunération du mois de juillet 2014 en ce qu’ils font application pour la première fois de l’article 8 de l’annexe VII du statut, pour fixer le montant du remboursement des frais de voyage annuel et, d’autre part, l’annulation, pour autant que de besoin, des décisions de rejet des réclamations.

22      Il convient de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, les conclusions en annulation formellement dirigées contre le rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte initial contre lequel la réclamation a été présentée, lorsqu’elles sont, comme telles, dépourvues de contenu autonome (arrêts du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8, et du 8 septembre 2021, QB/BCE, T‑555/20, non publié, EU:T:2021:552, point 29). En l’espèce, les décisions de rejet des réclamations n’ont pas un contenu autonome. En pareille hypothèse, la légalité des décisions attaquées doit donc être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans les décisions de rejet des réclamations, cette motivation étant censée coïncider avec les actes contestés (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2021, BK/EASO, T‑277/19, non publié, EU:T:2021:161, point 43 et jurisprudence citée).

23      À l’appui de leurs conclusions, les requérants soulèvent trois moyens tirés, respectivement, le premier, d’une violation de l’article 45 TFUE, le deuxième, en substance de la violation du principe de non-discrimination, de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de l’article 18 TFUE, de la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut ainsi que du principe de proportionnalité, des droits acquis et du principe de protection de la confiance légitime et, le troisième, d’une violation de l’article 10 du statut et des articles 27 et 28 de la Charte.

24      S’agissant des deux premiers moyens, il convient de préciser que, s’il est vrai que l’article 21, paragraphe 2, de la Charte consacre le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, l’article 52, paragraphe 2, de la Charte dispose cependant que les droits reconnus par celle-ci qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci. Tel est le cas de l’article 21, paragraphe 2, de la Charte qui correspond, ainsi que le confirment les explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17) afférentes à cette disposition, à l’article 18, premier alinéa, TFUE et doit s’appliquer conformément à celui-ci (voir arrêt du 10 octobre 2019, Krah, C‑703/17, EU:C:2019:850, point 18 et jurisprudence citée).

25      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 18 TFUE n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination. Or, le principe de non-discrimination a été mis en œuvre, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, par l’article 45 TFUE (voir arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld, C‑181/19, EU:C:2020:794, point 78 et jurisprudence citée).

26      Partant, l’argumentation visant à reprocher au législateur d’avoir méconnu le principe de non-discrimination en raison de la nationalité sera examinée dans le cadre du premier moyen, tiré de la violation de l’article 45 TFUE.

27      Dans la mesure où, ainsi que cela ressort des points 63 et 64 de la requête, les requérants ont, à l’appui du second moyen tiré notamment d’une violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, fait valoir que la disposition contestée serait constitutive d’une différence de traitement fondée sur la nationalité, cette argumentation sera examinée ci-après dans le cadre du premier moyen, tiré de la violation de l’article 45 TFUE.

28      À l’audience, les requérants se sont désistés du troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 10 du statut et des articles 27 et 28 de la Charte. Le Tribunal estime dès lors opportun de traiter d’abord le premier moyen, tiré, en substance, de la violation du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, puis le deuxième moyen, en ce qu’il est tiré de la violation de la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut ainsi que de la violation du principe de proportionnalité, des droits acquis et du principe de protection de la confiance légitime.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 45 TFUE

29      Selon les requérants, le remboursement des frais de voyage annuel fait partie intégrante de leur rémunération. Or, ce montant varierait en fonction de leur nationalité, ce qui constituerait une discrimination importante dans les conditions de travail, donc une entrave à la libre circulation, en violation de l’article 45 TFUE.

30      Ensuite, la modification de l’article 8 de l’annexe VII du statut serait une entrave à la libre circulation des travailleurs, car elle affecterait la rémunération en induisant une réduction conséquente par rapport à un collègue de nationalité différente, qui aurait le même lieu d’origine. Cela aurait un impact sur les conditions de travail et conditionnerait leur choix lors de leurs demandes de mobilité au sein des pays de l’Union, voire sur leur maintien dans la fonction publique européenne, notamment pour ceux dont le lieu d’origine serait éloigné du centre de l’Union. La libre circulation des travailleurs s’opposerait à toute mesure qui serait susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par des ressortissants de l’Union des libertés fondamentales garanties par le traité. Le nouveau régime, fondé sur le critère de la nationalité, ne pourrait se justifier que pour des raisons de sécurité ou de santé publique. Or, s’il poursuit un objectif légitime compatible avec le traité FUE, il ne faut pas qu’il aille au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. A fortiori, toute mesure discriminatoire liée à la nationalité qui entraverait les libertés fondamentales serait illégale. Le nouveau régime instauré dans un but de simplification administrative, de transparence et d’économie budgétaire ne pouvant être considéré comme le reflet d’un intérêt fondamental de la société, il ne peut violer le principe de la libre circulation des travailleurs. Par conséquent, l’article 8 de l’annexe VII du statut serait illégal, ce qui rendrait donc aussi les décisions attaquées illégales.

31      La Cour de justice de l’Union européenne, le Parlement et le Conseil contestent les arguments des requérants.

32      Selon l’article 45 TFUE, la libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

33      À cet égard, un paiement effectué par une institution de l’Union en sa qualité d’employeur, tel que le remboursement des frais de voyage annuel, est nécessairement lié à une relation de travail et constitue donc, à tout le moins, une condition de travail au sens de l’article 45 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 13 juillet 1995, Meyers, C‑116/94, EU:C:1995:247, point 24).

34      Par ailleurs, un ressortissant de l’Union, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs afin de rechercher un emploi dans un État membre autre que celui de sa nationalité, relève du champ d’application de l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2018, DW, C‑651/16, EU:C:2018:162, point 18).

35      Il s’ensuit qu’un ressortissant de l’Union travaillant pour une institution ou un organe de celle-ci dans un État membre autre que son État membre d’origine ne saurait se voir refuser le bénéfice des droits et avantages sociaux que lui procure l’article 45 TFUE (arrêts du 6 octobre 2016, Adrien e.a., C‑466/15, EU:C:2016:749, point 25, et du 12 mai 2021, CAF, C‑27/20, EU:C:2021:383, point 20 ; voir également, en ce sens, arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz, 389/87 et 390/87, EU:C:1989:130, point 12).

36      Il découle de ces jurisprudences que la liberté de circulation des travailleurs, en application de l’article 45 TFUE, ne s’applique qu’à la circulation des travailleurs entre deux États membres et non pas entre un lieu d’origine fixé en dehors de l’Union et un lieu d’affectation situé sur le territoire de l’Union. Pour autant que les requérants soutiennent que la réglementation litigieuse serait constitutive d’une entrave en ce qu’elle les dissuaderait de faire usage de leur liberté de circulation pour accepter un emploi dans la fonction publique européenne, il y a lieu de constater que cette argumentation se confond avec celle relative à la nature prétendument discriminatoire de ladite réglementation en ce qu’elle instituerait une différence de traitement fondée sur la nationalité entre travailleurs en ce qui concerne leurs conditions de travail, laquelle est examinée ci-après.

37      À cet égard, les requérants soutiennent que, même s’ils possèdent des nationalités différentes, deux fonctionnaires ayant le même lieu d’origine en dehors de l’Union devraient recevoir un même paiement forfaitaire à titre de remboursement de leurs frais de voyage annuel.

38      Certes, il résulte de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut que le montant du paiement forfaitaire des frais de voyage peut varier en fonction de la distance qui sépare le lieu d’affectation de la capitale de l’État membre dont le fonctionnaire a la nationalité et donc, en définitive, en fonction de la nationalité de l’intéressé. Toutefois, il importe de souligner que cette différence de traitement ne concerne pas la titularité du droit au remboursement des frais de voyage, mais seulement les modalités de calcul dudit remboursement.

39      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, si c’est dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire que le législateur de l’Union a décidé que certains membres de la fonction publique de l’Union se verraient rembourser les frais de voyage exposés à l’occasion de leur congé annuel, il dispose, à plus forte raison, d’un large pouvoir d’appréciation dans la détermination des conditions et des modalités d’un tel remboursement (arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 51).

40      En outre, la Cour a admis, à l’égard d’un critère fondé sur la nationalité de l’intéressé, que, même s’il doit résulter, dans des situations marginales, des inconvénients casuels de l’instauration d’une réglementation générale et abstraite, il ne peut être reproché au législateur de l’Union d’avoir eu recours à une catégorisation, dès lors qu’elle n’est pas discriminatoire par essence au regard de l’objectif qu’elle poursuit (arrêt du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission, C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 81 ; voir également, en ce sens, arrêts du 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice, 147/79, EU:C:1980:238, point 14).

41      En l’espèce, il importe de souligner que, en liant le montant du remboursement des frais de voyage annuel à la nationalité du fonctionnaire, le législateur a notamment pris en considération la nécessité de moderniser et de rationaliser les règles en matière de délai de route et de paiement annuel des frais de voyage, afin de rendre leur application plus simple et plus transparente, tout en garantissant un bon rapport coût-efficacité dans un contexte socio-économique en Europe exigeant un assainissement des finances publiques et un effort particulier de chaque administration publique et de son personnel pour améliorer l’efficacité et l’efficience. Ces motifs, qui relèvent de considérations budgétaires, administratives et de politique du personnel, sont légitimes (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2007, Chassagne/Commission, F‑43/05, EU:F:2007:14, point 65).

42      Le premier moyen doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut, du principe de proportionnalité, des droits acquis et du principe de protection de la confiance légitime

43      Les requérants soutiennent que, lorsque le remboursement des frais de voyage est calculé par rapport à la capitale de l’État membre dont le fonctionnaire a la nationalité, ce remboursement ne se ferait plus en fonction de leur lieu d’origine et ne remplirait donc plus l’objectif de l’article 8 de l’annexe VII du statut.

44      Ensuite, la réduction brutale du remboursement annuel forfaitaire, sans aucune disposition transitoire et sans aucune justification réelle porterait également atteinte aux attentes légitimes et aux droits acquis des fonctionnaires.

45      Selon les requérants, la finalité poursuivie par le législateur de rendre l’application du remboursement des frais de voyage annuel plus transparente en la modernisant, en la rationalisant et en la liant au statut d’expatrié, aurait abouti à la rendre davantage complexe par l’introduction d’un critère supplémentaire fondé sur la nationalité. Même en considérant que la finalité aurait été de réduire les dépenses en matière d’indemnités financières, cela ne justifierait pas l’existence d’une dérogation aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, car la différence de traitement fondée sur la nationalité violerait ainsi le principe de proportionnalité dans la mesure où elle dépasserait les limites de ce qui serait approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Il y aurait ainsi aussi une discrimination par rapport aux fonctionnaires affectés hors de l’Union européenne et dont le lieu d’origine se situerait également en dehors de celle-ci. La finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut serait de permettre aux fonctionnaires de se rendre à leur lieu d’origine afin d’y conserver des liens familiaux, sociaux et culturels, et ce droit serait un principe général de la fonction publique. Par conséquent, l’article 8 de l’annexe VII du statut serait illégal.

46      La Cour de justice de l’Union européenne, le Parlement et le Conseil contestent les arguments des requérants.

 Sur la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut

47      Il importe de noter que l’objectif de l’article 8 de l’annexe VII du statut est de permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge de se rendre, au moins une fois par an, à son lieu d’origine, afin d’y conserver des liens familiaux, sociaux et culturels. En effet, la possibilité pour le fonctionnaire de garder des relations personnelles avec le lieu de ses intérêts principaux est en effet devenue un principe général du droit de la fonction publique de l’Union (arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 68).

48      Or, l’objet et le but de l’article 8 de l’annexe VII du statut sont demeurés, en substance, inchangés avec l’entrée en vigueur du règlement no 1023/2013, cette disposition visant toujours à octroyer des avantages devant permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge de se rendre, au moins une fois par an, à son lieu d’origine, afin d’y conserver des liens familiaux, sociaux et culturels (arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 66).

49      Cela étant, ainsi qu’il ressort du considérant 24 du règlement no 1023/2013, en procédant aux modifications de l’article 8 de l’annexe VII du statut, le législateur de l’Union a souhaité, dans le cadre de la réforme du statut et du régime applicable aux autres agents de l’Union, moderniser et rationaliser les règles en matière de remboursement des frais de voyage annuel, en les liant au statut de dépaysé ou d’expatrié, afin de rendre leur application plus simple et plus transparente. Par ailleurs, cet objectif spécifique s’inscrit dans un objectif plus général consistant, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 12 de ce règlement, à garantir un bon rapport coût-efficacité dans un contexte socio-économique en Europe exigeant un assainissement des finances publiques et un effort particulier de chaque administration publique et de son personnel pour améliorer l’efficacité et l’efficience, tout en maintenant l’objectif d’assurer un recrutement de qualité ayant la base géographique la plus large possible (arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 67).

50      Dans cette perspective, lors de l’adoption du règlement no 1023/2013, le législateur a fait le choix de lier le droit au remboursement des frais de voyage annuel au « statut d’expatrié » au sens large, c’est-à-dire d’accorder ce droit aux seuls fonctionnaires et agents remplissant les conditions prévues à l’article 4 de l’annexe VII du statut pour bénéficier d’une indemnité de dépaysement ou d’expatriation, et ce en vue de mieux cibler ces mesures et d’en limiter le bénéfice à ceux qui en ont le plus besoin eu égard à ce statut de dépaysé ou d’expatrié (arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 68).

51      En l’espèce, il est constant que, dans la mesure où les requérants perçoivent tous les deux une indemnité de dépaysement, ils ont conservé le bénéfice des avantages destinés à leur permettre de se rendre, au moins une fois par an, à leur lieu d’origine, à savoir non seulement le droit à un paiement forfaitaire des frais de voyage, mais également le droit à un congé dans le foyer qui remplace le délai de route. Ce faisant, en prévoyant que les fonctionnaires et agents « dépaysés » ou « expatriés », tels que les requérants, conservent le bénéfice de ces deux avantages, le législateur de l’Union a respecté le principe général du droit de la fonction publique selon lequel le fonctionnaire doit avoir la possibilité de garder ses relations personnelles avec le lieu où se situent ses intérêts principaux.

52      Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments des requérants.

53      Il convient ainsi de souligner que l’application d’un système forfaitaire n’a pas pour objet de couvrir les frais réellement exposés en toutes circonstances. Dans ce contexte, eu égard à l’objectif plus général, rappelé au point 49 ci-dessus, dans lequel s’inscrit la modification de l’article 8 de l’annexe VII du statut, le législateur n’était pas tenu d’assurer à chaque fonctionnaire et agent bénéficiant des avantages en cause que le montant du paiement forfaitaire serait toujours suffisant pour couvrir l’ensemble des frais réellement exposés.

54      Au demeurant, les requérants n’ont pas démontré qu’ils ne pourraient plus entretenir de relations personnelles avec leur lieu d’origine à la suite de l’entrée en vigueur de la réforme.

55      La circonstance qu’un fonctionnaire ou un agent de l’Union « dépaysé » ou « expatrié » ne reçoit aucun remboursement en raison du fait que son lieu d’affectation se situe à moins de 200 kilomètres de la capitale de l’État membre dont il a la nationalité n’infirme pas ce constat.

56      En effet, il importe de souligner que, même s’il doit résulter, dans des situations marginales, des inconvénients casuels de l’instauration d’une réglementation générale et abstraite, il ne peut être reproché au législateur d’avoir eu recours à une catégorisation, dès lors que celle-ci n’est pas discriminatoire par essence (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice, 147/79, EU:C:1980:238, point 14).

57      Or, à cet égard, le premier moyen, tiré de la violation de l’article 45 TFUE ayant été écarté, il y a lieu de considérer que, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, le législateur pouvait, sans méconnaître la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut, adopter une modalité de calcul de l’indemnité kilométrique, telle que celle en cause, selon laquelle la tranche de distance comprise entre 0 et 200 kilomètres ne donne lieu à aucun remboursement.

58      Enfin, s’agissant des situations de fonctionnaires affectés en dehors de l’Union, envisagées par les requérants et décrites au point 45 ci-dessus, il convient de constater que celles-ci présentent un caractère complètement différent et qu’elles relèvent ainsi d’une catégorie distincte justifiant un traitement différent et faisant l’objet de dispositions spécifiques se trouvant à l’annexe X du statut.

59      Partant, le fait d’avoir prévu d’accorder le remboursement des frais de voyage annuel aux fonctionnaires bénéficiant d’une indemnité de dépaysement ou d’expatriation en fixant le montant du paiement forfaitaire par rapport à la distance séparant leur lieu d’affectation de la capitale de l’État membre dont ils ont la nationalité ne méconnaît pas la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut.

 Sur le principe de proportionnalité

60      Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 80 et jurisprudence citée).

61      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (voir arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, points 85 et 86 et jurisprudence citée).

62      Au regard des objectifs poursuivis et dès lors que le législateur a pu faire le choix de ne plus rembourser les frais de voyage annuel des fonctionnaires dont le lieu d’origine se situe en dehors de l’Union sur la base de la distance séparant ce lieu de leur lieu d’affectation, il lui appartenait, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, de retenir un critère objectif permettant de calculer le montant de ce paiement. À cet égard, il ne saurait être reproché au législateur de l’Union de s’être, en partie, fondé, s’agissant des conditions et des modalités du remboursement forfaitaire des frais de voyage annuel, sur le critère de la nationalité de l’intéressé, étant donné que ce critère est objectif par nature et qu’il a le mérite d’être simple d’application et transparent tout en permettant de réaliser des économies. En effet, en procédant de la sorte, le législateur s’assure que, quel que soit l’endroit où se trouve le lieu d’origine du fonctionnaire dont le lieu d’affectation se situe sur le territoire d’un État membre, le montant du paiement sera calculé sur la base de la distance, en principe plus courte, séparant ce lieu d’affectation d’un autre endroit dans l’Union correspondant à la capitale de l’État membre dont l’intéressé possède la nationalité. L’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut doit, dans ce contexte, être considéré comme étant proportionné à l’objectif poursuivi par le législateur.

63      Par conséquent, il ne saurait être soutenu que, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, le législateur a instauré des mesures qui étaient manifestement disproportionnées au regard de l’objectif qu’il poursuivait.

 Sur la violation des droits acquis

64      Quant à la prétendue violation du principe des droits acquis, il est de principe que les lois modificatives d’une disposition législative, telles que les règlements de modification du statut, s’appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne et qu’il n’en va autrement que pour les situations nées et définitivement réalisées sous l’empire de la règle précédente, qui créent des droits acquis (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 99 et jurisprudence citée).

65      Il a été jugé à ce propos qu’un droit est considéré comme acquis lorsque le fait générateur de celui-ci s’est produit avant la modification législative. Toutefois, tel n’est pas le cas d’un droit dont le fait constitutif ne s’est pas réalisé sous l’empire de la législation qui a été modifiée (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 100 et jurisprudence citée).

66      En l’espèce, contrairement à ce que prétendent les requérants, ils n’ont pas « acquis » un droit au remboursement des frais de voyage annuel. Jusqu’au 31 décembre 2013, le remboursement des frais de voyage aux agents s’effectuait une fois par an après vérification de leurs droits. Ainsi, il ne s’agit pas là d’une situation née et définitivement réalisée. Par conséquent, le remboursement des frais de voyage annuel ne peut pas être considéré comme étant un droit acquis (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 101 et jurisprudence citée).

 Sur le principe de protection de la confiance légitime

67      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante, un fonctionnaire ne peut se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime pour mettre en cause la légalité d’une disposition réglementaire nouvelle, surtout dans un domaine dont l’objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 91 et jurisprudence citée).

68      Il convient également de rappeler que, dans un domaine comme celui en cause en l’espèce, le respect du principe de protection de la confiance légitime ne saurait empêcher l’application d’une réglementation nouvelle aux effets futurs de situations nées sous l’empire d’une réglementation antérieure en l’absence d’engagements pris par l’autorité publique (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 92 et jurisprudence citée).

69      En effet, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime suppose, notamment, que les assurances données soient conformes aux normes applicables. Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration a fait naître chez lui des espérances fondées, en lui fournissant des assurances précises sous la forme de renseignements précis, inconditionnels et concordants, émanant de sources autorisées et fiables. Il s’ensuit que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 93 et jurisprudence citée).

70      Force est de constater que, en l’espèce, les requérants ne fournissent aucun élément probant qui indiquerait que la Cour de justice leur eût assuré qu’ils pourraient conserver leurs droits et avantages en matière de remboursement de frais de voyage annuel tout au long de leur carrière.

71      En tout état de cause, des particuliers ne sauraient se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime pour s’opposer à l’application d’une disposition réglementaire nouvelle, surtout dans un domaine dans lequel le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 95 et jurisprudence citée).

72      Le deuxième moyen doit donc également être rejeté.

73      Par conséquent, le recours doit être rejeté dans son intégralité comme étant non fondé.

 Sur les dépens

74      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de décider qu’ils supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Cour de justice de l’Union européenne, conformément aux conclusions de cette dernière.

75      Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Parlement et le Conseil supporteront donc chacun leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      YY et ZA sont condamnés à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Cour de justice de l’Union européenne.

3)      Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.

Svenningsen

Barents

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.