Language of document : ECLI:EU:T:2024:218

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

10 avril 2024 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne verbale Rebell – Déchéance partielle – Usage sérieux de la marque – Article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/1001 – Droit d’être entendu – Obligation de motivation – Article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑161/23,

Schönegger Käse-Alm GmbH, établie à Prem (Allemagne), représentée par Me M.-C. Seiler, avocate,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. T. Klee, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Jumpseat3D plus Germany GmbH, établie à Berlin (Allemagne),

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et Mme M. Brkan, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Schönegger Käse-Alm GmbH, demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 13 janvier 2023 (affaire R 295/2022-1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 7 août 2002, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour le signe verbal Rebell.

3        La marque demandée désignait les produits relevant de la classe 29 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Lait et produits laitiers, en particulier beurre, préparations à base de beurre, beurre fondu, huile de beurre, fromage, produits à base de fromage, fromage blanc, préparations à base de fromage blanc, produits à base de lait, produits à base de lait condensé, aliments diététiques à base de lait et produits laitiers ».

4        Le 28 novembre 2005, ladite marque a été enregistrée en tant que marque de l’Union européenne sous le numéro 2810950, pour les produits mentionnés au point 3 ci-dessus.

5        Le 10 juin 2020, Jumpseat3D plus Germany GmbH a présenté auprès de l’EUIPO une demande de déchéance, sur le fondement de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), au motif que ladite marque n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans. Cette demande concernait l’ensemble des produits visés au point 3 ci-dessus.

6        Le 17 décembre 2021, la division d’annulation a partiellement rejeté la demande en déchéance et a considéré que la marque contestée pouvait rester enregistrée pour les produits visés au point 3 ci-dessus, à l’exception du « lait », pour lequel la déchéance de la marque a été prononcée.

7        Le 15 février 2022, Jumpseat3D plus Germany a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation en demandant la déchéance de la marque contestée dans son intégralité.

8        Par la décision attaquée, la chambre de recours a partiellement accueilli le recours et, par conséquent, a partiellement annulé la décision de la division d’annulation. Ladite chambre a, en substance, considéré que les éléments de preuve fournis par la requérante démontraient l’usage sérieux de la marque contestée uniquement pour les « fromages et produits à base de fromages », ces derniers constituant une sous-catégorie suffisamment large et précise de la catégorie générale du « lait et des produits laitiers ». En revanche, elle a considéré que les éléments de preuve produits par la requérante ne démontraient pas l’usage pour le lait et les autres produits laitiers allant au-delà du fromage et des produits à base de fromage. La chambre de recours a donc conclu que la marque contestée restait enregistrée exclusivement pour les « fromages et produits à base de fromage » et a prononcé sa déchéance pour tous les autres produits visés au point 3 ci-dessus.

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où la déchéance de la marque contestée a été déclarée pour les « produits laitiers, en particulier beurre, préparations à base de beurre, beurre fondu, huile de beurre, fromage blanc, préparations à base de fromage blanc, produits à base de lait, produits à base de lait condensé, aliments diététiques à base de lait et produits laitiers » ;

–        annuler la décision attaquée, dans la mesure où les dépens de la procédure de recours ont été mis à sa charge ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens des procédures de recours.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens, dans l’hypothèse où une audience serait convoquée.

 En droit

11      À l’appui de son recours la requérante invoque trois moyens. Le premier est tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 21, paragraphe 1, sous e), du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), en ce que la chambre de recours aurait outrepassé son pouvoir d’examen. Le deuxième est tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du même règlement, en ce que la chambre de recours aurait violé son droit d’être entendue et la décision attaquée serait entachée d’un défaut de motivation. Le troisième est tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, troisième phrase, et de l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué 2018/625, en ce que la chambre de recours aurait déterminé de façon erronée l’étendue de l’usage de la marque contestée.

 Sur le droit temporellement applicable au litige

12      À titre liminaire, compte tenu de la date d’introduction de la demande en déchéance en cause, en l’occurrence le 10 juin 2020, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, le présent litige est régi par les dispositions matérielles du règlement 2017/1001 (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2019, Deichmann/EUIPO, C‑223/18 P, non publié, EU:C:2019:471, point 2, et du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, point 3).

13      Par conséquent, en l’espèce, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par l’EUIPO dans le mémoire en réponse, notamment à l’article 50 du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement 2017/1001], comme visant l’article 58 d’une teneur identique du règlement 2017/1001.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 21, paragraphe 1, sous e), du règlement délégué 2018/625

14      La requérante fait valoir que la chambre de recours a outrepassé son pouvoir d’examen en décidant de ne maintenir la marque contestée que pour le « fromage et les produits à base de fromage », ceux-ci ne constituant qu’un exemple des produits laitiers pour lesquels la marque est enregistrée. La requérante souligne en outre que, conformément à l’article 21, paragraphe 1, sous e), du règlement délégué 2018/625, la portée du recours est déterminée par l’acte de recours. Dans la mesure où, dans cet acte, Jumpseat3D plus Germany demandait la déchéance de la marque contestée pour l’ensemble des produits, la chambre de recours, en prononçant la déchéance de la marque uniquement pour certains produits, aurait outrepassé les limites de sa compétence et se serait prononcée sur ce qui ne lui n’était pas demandé.

15      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

16      À cet égard, il convient tout d’abord de relever que la demande en déchéance introduite par Jumpseat3D plus Germany était dirigée contre tous les produits désignés par l’enregistrement de la marque contestée et que cette demande a été rejetée par la division d’annulation dans la mesure où elle était dirigée contre les « produits laitiers, en particulier beurre, préparations à base de beurre, beurre fondu, huile de beurre, fromage, produits à base de fromage, fromage blanc, préparations à base de fromage blanc, produits à base de lait, produits à base de lait condensé, aliments diététiques à base de lait et produits laitiers » (voir point 3 du dispositif de la décision de la division d’annulation). En outre, le recours formé par Jumpseat3D plus Germany contre la décision de la division d’annulation était expressément dirigé contre le point 3 du dispositif de la décision de la division d’annulation.

17      Il résulte d’une lecture combinée de l’article 58, paragraphe 1, sous a), et de l’article 58, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 que la preuve de l’usage sérieux doit en principe porter sur l’intégralité des produits ou des services pour lesquels une marque contestée est enregistrée. Si la preuve de l’usage sérieux n’est apportée que s’agissant d’une partie des produits ou des services pour lesquels une marque contestée est enregistrée et si les autres conditions prévues par l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 sont réunies, son titulaire peut être déclaré déchu de ses droits pour les produits ou les services pour lesquels il n’a pas apporté la preuve de l’usage sérieux, voire aucune preuve de l’usage du tout [voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2016, August Storck/EUIPO – Chiquita Brands (Fruitfuls), T‑367/14, non publié, EU:T:2016:615, point 21].

18      En effet, il convient de constater que le libellé de l’article 58, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 prévoit expressément que l’existence d’une cause de déchéance pour une partie seulement des produits ou des services entraîne une déclaration de déchéance uniquement pour ces produits ou ces services.

19      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas outrepassé son pouvoir d’examen en décidant de ne maintenir la marque contestée que pour le « fromage et les produits à base de fromage », sans préjudice de l’appréciation du caractère motivé et du bien-fondé de la décision attaquée.

20      Dans ces conditions, il convient de rejeter ce moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du même règlement

21      En premier lieu, la requérante soutient que la chambre de recours n’a pas mentionné ni pris en compte ses observations sur la finalité ou la destination des produits en cause qui démontraient que le « fromage et les produits à base de fromage » font partie de la catégorie unique des « produits laitiers » et ne constituent pas une sous-catégorie individuelle de celle-ci. Selon la requérante, la chambre de recours a donc violé son droit d’être entendue en ce que la décision attaquée n’aurait pu être fondée que sur des motifs au sujet desquels les parties ont pu prendre position. En second lieu, la requérante soutient que la chambre de recours n’a pas motivé sa constatation, au paragraphe 78 de la décision attaquée, selon laquelle les « fromage et produits à base de fromage » constituent une sous-catégorie distincte et autonome de produits laitiers. En effet, la décision attaquée ne contiendrait aucun motif ou indice permettant de savoir au regard de quels critères la chambre de recours est parvenue à cette conclusion.

22      En premier lieu, L’EUIPO rétorque que, au paragraphe 24 de la décision attaquée, la chambre de recours a exposé les arguments de Jumpseat3D plus Germany en faveur de l’existence d’une sous-catégorie autonome rassemblant les « fromage et produits à base de fromage ». Selon l’EUIPO, ces arguments étaient connus de la requérante, le mémoire exposant les motifs du recours contenant ces arguments lui ayant été dûment notifié dans le cadre de la procédure de recours. L’EUIPO ajoute que la circonstance selon laquelle l’argumentation correspondante de la requérante n’a pas été explicitement mentionnée dans la décision attaquée ne signifie pas que la chambre de recours n’en aurait pas tenu compte lors de la prise de décision. En second lieu, l’EUIPO fait valoir que, en constatant, au paragraphe 78 de la décision attaquée, que les « fromage et produits à base de fromage » constituent une sous-catégorie suffisamment importante et définie de la large catégorie des produits laitiers, la chambre de recours s’est implicitement ralliée aux arguments de Jumpseat3D plus Germany à cet égard et a donc, simultanément, rejeté les arguments contraires de la requérante. Dans ces conditions, selon l’EUIPO, la motivation de la chambre de recours pouvait également être implicite.

23      S’agissant, en premier lieu, de l’argument de la requérante tiré de la violation de son droit d’être entendue, il convient de relever que, conformément à l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs sur lesquels les parties ont pu prendre position. Cette disposition consacre, dans le cadre du droit des marques de l’Union européenne, le principe général de protection des droits de la défense. En vertu de ce principe général du droit de l’Union, toute personne à qui une décision d’une autorité publique fait grief doit avoir été mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue avant l’adoption de ladite décision. Le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de ladite décision, mais non à la position finale que l’autorité publique entend adopter [voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2010, Storck/OHMI (Forme d’une souris en chocolat), T‑13/09, non publié, EU:T:2010:552, point 52 et jurisprudence citée, et du 1er juin 2016, Grupo Bimbo/EUIPO (Forme d’une barre avec quatre cercles), T‑240/15, non publié, EU:T:2016:327, point 61 et jurisprudence citée].

24      En l’espèce, le Tribunal constate que la requérante a eu l’occasion de faire valoir ses arguments concernant l’étendue de l’usage de la marque contestée devant l’EUIPO.

25      En effet, la requérante indique elle-même avoir exposé de manière détaillée dans son mémoire du 30 octobre 2020 ses considérations sur la finalité et la destination des produits en cause et sur leur appartenance à une même catégorie uniforme de produits, à savoir celle des produits laitiers. De plus, la requérante ne conteste pas avoir pu prendre position sur les arguments de Jumpseat3D plus Germany.

26      Force est de constater que la requérante a eu l’opportunité effective, tant devant la division d’annulation que devant la chambre de recours, de faire connaître utilement son point de vue.

27      Il y a donc lieu de rejeter comme non fondée l’argumentation tirée de la violation du droit d’être entendue.

28      S’agissant, en second lieu, de l’argument de la requérante tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée, il convient de rappeler que, en vertu l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Il est de jurisprudence constante que cette obligation a la même portée que celle consacrée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et que la motivation exigée par ledit article doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte. En effet, l’obligation de motivation des décisions de l’EUIPO a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision [arrêts du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, EU:C:2004:649, points 64 et 65, et du 23 septembre 2015, Mechadyne International/OHMI (FlexValve), T‑588/14, non publié, EU:T:2015:676, point 57].

29      Par ailleurs, la chambre de recours n’est pas tenue de répondre expressément et de manière exhaustive à l’ensemble des arguments avancés par les parties à la procédure devant elle (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2012, Rubinstein et L’Oréal/OHMI, C‑100/11 P, EU:C:2012:285, point 112, et du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C‑96/11 P, non publié, EU:C:2012:537, point 88), à condition toutefois qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision [voir arrêt du 24 novembre 2015, Intervog/OHMI (meet me), T‑190/15, non publié, EU:T:2015:874, point 48 et jurisprudence citée].

30      Il convient, en outre, de rappeler que l’article 58, paragraphe 2, du règlement no 2017/1001 vise à éviter qu’une marque utilisée de manière partielle jouisse d’une protection étendue au seul motif qu’elle a été enregistrée pour une large gamme de produits ou de services. Ainsi, lors de l’application de cette disposition, il y a lieu de tenir compte de l’étendue des catégories de produits ou de services pour lesquelles la marque antérieure a été enregistrée, notamment de la généralité des termes employés à cette fin pour décrire lesdites catégories, et ce au regard des produits ou des services dont l’usage sérieux a, par hypothèse, effectivement été établi [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 juillet 2005, Reckitt Benckiser (España)/OHMI – Aladin (ALADIN), T‑126/03, EU:T:2005:288, points 42 à 44].

31      La ratio legis de l’exigence selon laquelle une marque doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être protégée au titre du droit de l’Union réside dans le fait que le registre de l’EUIPO ne saurait être assimilé à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d’une durée indéterminée. Au contraire, ledit registre devrait refléter fidèlement les indications que les entreprises utilisent effectivement sur le marché pour distinguer leurs produits et leurs services dans la vie économique [voir arrêt du 15 juillet 2015, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI – Recticel (λ), T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 20 et jurisprudence citée].

32      Il y a lieu de relever que le consommateur désireux d’acquérir un produit ou un service relevant d’une catégorie de produits ou de services ayant été définie de façon particulièrement précise et circonscrite, mais à l’intérieur de laquelle il n’est pas possible d’opérer des divisions significatives, associera à une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services l’ensemble des produits ou des services appartenant à celle-ci, de telle sorte que cette marque remplira sa fonction essentielle de garantie de l’origine de ces produits ou de ces services. Dans ces circonstances, il est suffisant d’exiger du titulaire d’une telle marque d’apporter la preuve de l’usage sérieux de sa marque pour une partie des produits ou des services relevant de cette catégorie homogène. En revanche, en ce qui concerne des produits ou des services rassemblés au sein d’une catégorie large, susceptible d’être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il est nécessaire d’exiger du titulaire d’une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services d’apporter la preuve de l’usage sérieux de sa marque pour chacune de ces sous-catégories autonomes, à défaut de quoi il sera susceptible d’être déchu de ses droits à la marque pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles il n’a pas apporté une telle preuve (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, points 42 et 43).

33      Si la notion d’usage partiel a pour fonction de ne pas rendre indisponibles des marques dont il n’a pas été fait usage pour une catégorie de produits donnée, elle ne doit néanmoins pas avoir pour effet de priver le titulaire de la marque antérieure de toute protection pour des produits qui, sans être rigoureusement identiques à ceux pour lesquels il a pu prouver un usage sérieux, ne sont pas essentiellement différents de ceux-ci et relèvent d’un même groupe qui ne peut être divisé autrement que de façon arbitraire. Il convient à cet égard d’observer qu’il est en pratique impossible au titulaire d’une marque d’apporter la preuve de l’usage de celle-ci pour toutes les variantes imaginables des produits concernés par l’enregistrement. Par conséquent, la notion de « partie des produits ou services » au sens de l’article 58, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 ne peut s’entendre de toutes les déclinaisons commerciales de produits ou de services analogues, mais seulement de produits ou de services suffisamment différenciés pour pouvoir constituer des catégories ou sous-catégories cohérentes [voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 2005, ALADIN, T‑126/03, EU:T:2005:288, point 46, et du 13 février 2007, Mundipharma/OHMI – Altana Pharma  (RESPICUR), T‑256/04, EU:T:2007:46, point 24].

34      En ce qui concerne le ou les critères pertinents à appliquer aux fins de l’identification d’une sous-catégorie cohérente de produits ou de services susceptible d’être envisagée de manière autonome, la Cour a jugé, en substance, que le critère de la finalité et de la destination des produits ou des services en cause constitue un critère essentiel aux fins de la définition d’une sous-catégorie autonome de produits (voir arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 44 et jurisprudence citée).

35      En l’espèce, il convient de relever que la chambre de recours, après avoir constaté qu’il ressortait des documents produits par la requérante qu’il y avait eu un usage sérieux de la marque contestée pour différents fromages, s’est limitée, aux points 32 et 78 de la décision attaquée, à considérer que les « fromages et produits à base de fromage », tout en relevant de l’indication générale « lait et produits laitiers », constituaient une sous-catégorie suffisamment large et précise de ladite indication. La chambre de recours à, par conséquent, déclaré la déchéance pour tous les produits laitiers visés au point 3 ci-dessus à l’exception des « fromages et produits à base de fromage ».

36      Il convient de relever que, en s’abstenant d’indiquer spécifiquement les raisons qui l’ont conduite à considérer les « fromages et produits à base de fromage » comme une sous-catégorie autonome des produits laitiers et, notamment, en s’abstenant de faire référence à la finalité ou à la destination desdits produits par rapport aux autres produits laitiers couverts par la marque contestée, la chambre de recours n’a pas exposé l’intégralité des faits et des considérations juridiques revêtant une importance essentielle pour déterminer la déchéance partielle de la marque contestée, de sorte que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation.

37      L’EUIPO fait valoir que la chambre de recours s’est implicitement ralliée aux arguments de Jumpseat3D plus Germany à cet égard et a donc, simultanément, rejeté les arguments contraires de la requérante. Cet argument de l’EUIPO ne saurait prospérer. En effet, d’une part, il convient de considérer que la décision attaquée ne fait aucune référence aux arguments de Jumpseat3D plus Germany auxquels elle se serait prétendument ralliée. D’autre part, il y a lieu d’ajouter qu’une motivation concernant cet aspect du litige aurait été d’autant plus nécessaire en considération du fait que la division d’annulation avait, contrairement à la chambre de recours, considéré que la catégorie des produits laitiers n’était pas suffisamment étendue pour déterminer plusieurs sous-catégories (voir point 11 de la décision attaquée).

38      Dans ces conditions, la décision attaquée ne permet pas de comprendre le raisonnement qu’a mené la chambre de recours pour conclure que les « fromages et produits à base de fromage » étaient une sous-catégorie autonome des produits laitiers.

39      Or, en l’absence de motifs suffisants permettant d’examiner la légalité des appréciations de la chambre de recours, il n’appartient pas au Tribunal de conduire une analyse fondée sur des motifs qui ne ressortent pas de la décision attaquée ou de se substituer à l’EUIPO dans l’exercice des compétences dévolues à ce dernier par le règlement 2017/1001 [voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, Polytetra/OHMI – EI du Pont de Nemours (POLYTETRAFLON), T‑660/11, EU:T:2015:387, point 34 et jurisprudence citée].

40      Partant, il y a lieu de constater que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation.

41      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et sans qu’il soit besoin d’examiner le troisième moyen du recours, il convient d’accueillir le deuxième moyen et, partant, d’annuler la décision attaquée dans la mesure où la déchéance de la marque contestée a été déclarée pour les « produits laitiers, en particulier beurre, préparations à base de beurre, beurre fondu, huile de beurre, fromage blanc, préparations à base de fromage blanc, produits à base de lait, produits à base de lait condensé, aliments diététiques à base de lait et produits laitiers ».

 Sur les dépens

42      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

43      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

44      En outre, la requérante a conclu à la condamnation de l’EUIPO aux dépens qu’elle a exposés dans le cadre de la procédure de recours.

45      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, seuls les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables.

46      À cet égard, il appartiendra à la chambre de recours de statuer, à la lumière du présent arrêt, sur les frais afférents à cette procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 13 janvier 2023 (affaire R 295/2022-1) est annulée dans la mesure où la déchéance de la marque de l’Union européenne verbale Rebell a été déclarée pour les « produits laitiers, en particulier beurre, préparations à base de beurre, beurre fondu, huile de beurre, fromage blanc, préparations à base de fromage blanc, produits à base de lait, produits à base de lait condensé, aliments diététiques à base de lait et produits laitiers ».

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 avril 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.