Language of document : ECLI:EU:T:2002:3

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

11 janvier 2002(1)

«Substances à effet hormonal - Directive 88/146/CEE - Recours en indemnité - Prescription»

Dans l'affaire T-210/00,

Établissements Biret et Cie SA, établie à Paris (France), représentée par Me S. Rodrigues, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. J. Carbery et F. P. Ruggeri Laderchi, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. T. Christoforou et A. Bordes, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'indemnisation au titre des articles 178 du traité CE (devenu article 235 CE) et 215, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 288, deuxième alinéa, CE), visant à la réparation du préjudice prétendument subi par la requérante du fait de la mise en liquidation judiciaire de sa filiale Biret International SA à la suite de l'interdiction d'importation dans la Communauté de viande bovine traitée avec certaines hormones,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, N. J. Forwood et H. Legal, juges,

greffier: M. J. Palacio Gonzáles, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 7 novembre 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre normatif

1.
    La directive 81/602/CEE du Conseil, du 31 juillet 1981, concernant l'interdiction de certaines substances à effet hormonal et des substances à effet thyréostatique (JO L 222, p. 32), prévoit, en son article 2, que les États membres interdisent l'administration aux animaux d'exploitation de substances à effet thyréostatique et de substances à effet oestrogène, androgène ou gestagène, ainsi que la mise sur le marché des animaux et des viandes provenant d'animaux d'exploitation auxquels ces substances ont été administrées. Par dérogation à cette interdiction, l'article 5 de ladite directive prévoit que, jusqu'à ce que le Conseil ait pris une décision concernant l'administration aux animaux d'exploitation d'oestradiol 17/ß, de progestérone, de testostérone, de trenbolone et de zeranol, aux fins d'engraissement, les réglementations nationales en vigueur, ainsi que les arrangements conclus par les États membres relatifs à ces substances, demeurent applicables, dans le respect des dispositions générales du traité. Cette dérogationétait justifiée, au quatrième considérant de la directive, par la circonstance que l'utilisation de ces cinq substances devait encore faire l'objet d'études approfondies sur leur innocuité ou leur nocivité.

2.
    Le 31 décembre 1985, le Conseil a adopté la directive 85/649/CEE, interdisant l'utilisation de certaines substances à effet hormonal dans les spéculations animales (JO L 382, p. 228). Cette directive ayant été annulée, pour violation des formes substantielles, par l'arrêt de la Cour du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil (68/86, Rec. p. 855), elle a été remplacée par la directive 88/146/CEE du Conseil, du 7 mars 1988, interdisant l'utilisation de certaines substances à effet hormonal dans les spéculations animales (JO L 70, p. 16). Sous réserve de l'utilisation, dans un but de traitement thérapeutique, d'oestradiol 17/ß, de testostérone et de progestérone, qui peut rester autorisée, cette directive supprime la possibilité de dérogation prévue, à l'article 5 de la directive 81/602, en faveur des cinq substances visées au point 1 ci-dessus. Aux termes de son article 6, les États membres interdisent l'importation en provenance des pays tiers d'animaux d'exploitation auxquels ont été administrées, par quelque moyen que ce soit, des substances à effet thyréostatique, oestrogène, androgène ou gestagène ainsi que des viandes provenant de ces animaux.

3.
    La directive 88/146 devait être transposée au plus tard le 1er janvier 1988, mais son entrée en vigueur a été reportée au 1er janvier 1989. Il s'en est suivi, à compter de cette date, une interdiction d'importation dans la Communauté de viande et de produits à base de viande traités avec certaines hormones en provenance des pays tiers, sur le fondement de la directive 72/462/CEE du Conseil, du 12 décembre 1972, concernant des problèmes sanitaires et de police sanitaire lors de l'importation d'animaux des espèces bovine et porcine et des viandes fraîches en provenance des pays tiers (JO L 302, p. 28).

4.
    Le 15 avril 1994, lors de la réunion de Marrakech (Maroc), le président du Conseil et le membre de la Commission chargé des relations extérieures ont, au nom de l'Union européenne, procédé, sous réserve d'approbation ultérieure, à la signature de l'acte final, concluant les négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay, de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (ci-après l'«OMC»), ainsi que de l'ensemble des accords et des mémorandums figurant aux annexes 1 à 4 de l'accord instituant l'OMC (ci-après les «accords OMC»).

5.
    À la suite de cette signature, le Conseil a adopté la décision 94/800/CE, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).

6.
    Les accords OMC, parmi lesquels figure, à l'annexe 1 A, l'accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (JO 1994 L 336, p. 40, ci-après l'«accord SPS»), sont entrés en vigueur le 1er janvier 1995.

7.
    Aux termes de l'article 3, paragraphe 3, de l'accord SPS, «[l]es membres pourront introduire ou maintenir des mesures sanitaires ou phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire plus élevé que celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou recommandations internationales pertinentes s'il y a une justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire qu'un membre juge approprié conformément aux dispositions pertinentes des paragraphes 1 à 8 de l'article 5».

8.
    Aux termes de l'article 5, paragraphe 1, de l'accord SPS, «[l]es membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires et phytosanitaires soient établies sur la base d'une évaluation, selon qu'il sera approprié en fonction des circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des végétaux, compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations internationales compétentes».

9.
    Le 29 avril 1996, le Conseil a adopté la directive 96/22/CE, concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances à effet hormonal ou thyréostatique et des substances ß-agonistes dans les spéculations animales et abrogeant les directives 81/602, 88/146 et 88/299/CEE (JO L 125, p. 3). Cette directive confirme le régime d'interdiction résultant de l'application combinée des directives 81/602 et 88/146 et ajoute, aux cinq substances interdites visées aux points 1 et 2 ci-dessus, l'acétate de mélengestrol.

10.
    En mai et en novembre 1996, respectivement, les États-Unis et le Canada, considérant que la législation communautaire restreignait leurs exportations de viande bovine traitée avec certaines hormones vers la Communauté en violation des obligations contractées par celle-ci dans le cadre de l'OMC, ont entamé, chacun de leur côté, une procédure de règlement des différends devant les organes compétents de l'OMC.

11.
    Chacun des deux groupes spéciaux constitués dans le cadre de ces procédures a déposé, le 18 août 1997, un rapport (respectivement WT/DS26/R/USA et WT/DS48/R/CAN) concluant à la violation de diverses dispositions de l'accord SPS par la Communauté.

12.
    Sur appel interjeté par la Communauté, l'organe d'appel a rendu, le 16 janvier 1998, un rapport (WT/DS26/AB/R WT/DS48/AB/R) amendant, sur certains points, les rapports des deux groupes spéciaux, mais concluant néanmoins à la violation, par la Communauté, des articles 3, paragraphe 3 et 5, paragraphe 1, de l'accord SPS, essentiellement au motif de l'absence d'une analyse scientifique suffisamment spécifique des risques de cancer associés à l'utilisation de certaines hormones en tant que promoteurs de croissance. L'organe d'appel a recommandé que «l'organe de règlement des différends invite la Communauté européenne à rendre les mesures qui se sont avérées [...] incompatibles avec l'accord [SPS] conformes aux obligations qu'elle a souscrites dans le cadre dudit accord».

13.
    Le 13 février 1998, l'organe de règlement des différends de l'OMC (ci-après l'«ORD») a adopté le rapport de l'organe d'appel et les rapports des groupes spéciaux tels que modifiés par l'organe d'appel.

14.
    La Communauté ayant indiqué qu'elle entendait respecter ses obligations au titre de l'OMC mais que, pour ce faire, elle devait disposer d'un délai raisonnable, conformément à l'article 21, paragraphe 3, du mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (JO 1994, L 336, p. 234), qui forme l'annexe 2 de l'accord instituant l'OMC, elle s'est vu accorder à cette fin un délai de quinze mois, expirant le 13 mai 1999.

15.
    Sur la base des résultats d'une nouvelle analyse des risques associés à l'utilisation des substances en cause, la Commission a adopté, le 24 mai 2000, et soumis au Parlement et au Conseil, le 3 juillet 2000, la proposition de directive 2000/C 337 E/25 du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/22 (JO C 337 E, p. 163) et visant, notamment, au maintien de l'interdiction de l'utilisation, à titre définitif, de l'oestradiol 17/ß et, à titre temporaire, dans l'attente de nouveaux rapports scientifiques, des cinq autres substances interdites par la directive 96/22.

Faits à l'origine du recours, de la procédure et des conclusions des parties

16.
    La requérante détient près de 66 % du capital de Biret International SA (ci-après «Biret International»), société constituée le 26 juillet 1990 et immatriculée au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Paris (France) le 9 août 1990, avec pour objet statutaire le négoce de divers produits agro-alimentaires, notamment la viande.

17.
    Par jugement du 7 décembre 1995, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la requérante et a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 28 février 1995.

18.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juin 2000, Biret International a introduit un recours, enregistré sous le numéro T-174/00, qui vise à l'établissement de la responsabilité de la Communauté dans sa mise en liquidation judiciaire et à la condamnation du Conseil au paiement d'une somme de 87 006 000 francs français (FRF) correspondant, d'une part, au montant global de son passif et, d'autre part, à un prétendu manque à gagner pour les années 1996 à 2000.

19.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 août 2000, la requérante a introduit le présent recours, dans lequel elle conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    établir la responsabilité de la Communauté européenne dans la mise en liquidation judiciaire de Biret International;

-    condamner la partie défenderesse à lui payer des dommages et intérêts d'un montant de 70 630 085 FRF;

-    condamner la partie défenderesse aux dépens.

20.
    Sans soulever formellement une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Conseil conclut, dans son mémoire en défense, à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer, le cas échéant par ordonnance motivée, le recours irrecevable et, à titre subsidiaire, manifestement non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

21.
    La Commission ayant été admise à intervenir par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 15 janvier 2001, elle conclut à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la partie défenderesse.

22.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

23.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 7 novembre 2001.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

24.
    La requérante demande la réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi à la suite de la mise en liquidation judiciaire de Biret International, qu'elle impute à l'interdiction d'importation dans la Communauté de viande bovine, notamment d'origine américaine, décidée et mise en oeuvre par le Conseil sur la base des directives 81/602 et 88/146, et confirmée lors de l'adoption de la directive 96/22 (ci-après l'«embargo»).

25.
    Le Conseil et la Commission mettent en cause la recevabilité de ce recours.

26.
    Les institutions soutiennent, en premier lieu, que la requête ne satisfait pas aux exigences de l'article 19 du statut CE de la Cour de justice et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

27.
    Le Conseil estime, en deuxième lieu, que la requérante a omis de se prévaloir des voies de recours qui lui étaient ouvertes devant les juridictions nationales et qui, selon l'institution, étaient de nature à lui offrir une protection juridictionnelle complète et efficace (arrêt de la Cour du 12 avril 1984, Unifrex/Commission et Conseil, 281/82, Rec. p. 1969, point 11). Le Conseil expose que, à la différence d'unrèglement ou d'une décision, une directive ne peut pas être la cause directe d'un préjudice puisqu'elle est adressée aux États membres et qu'elle ne saurait en aucun cas être une source d'obligations pour les particuliers (arrêt de la Cour du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91/92, Rec. p. I-3325). La requérante aurait donc dû, selon lui, attaquer les actes de transposition des directives litigieuses pris par les autorités françaises en invoquant l'illégalité desdites directives et en amenant, le cas échéant, la Cour à se prononcer au titre de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE). Elle aurait ainsi pu obtenir, le cas échéant, une déclaration d'invalidité des directives en cause ainsi que des mesures nationales de transposition et empêcher de la sorte la matérialisation du préjudice allégué.

28.
    Le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir, en troisième lieu, que l'action est prescrite, le recours ayant été introduit après l'échéance du délai de cinq ans prévu par l'article 43 du statut de la Cour, calculé à partir de la matérialisation du préjudice allégué. Selon les institutions, en effet, le prétendu dommage s'est matérialisé pour les opérateurs dès la transposition des directives litigieuses en droit national et, dans le cas de la requérante, au plus tard le 28 février 1995, date de la cessation des paiements de Biret International fixée par le tribunal de commerce de Paris dans le jugement précité. À partir de cette date, en effet, Biret International, devenue insolvable, aurait été dans l'impossibilité d'importer de la viande et le préjudice n'aurait donc plus pu s'accroître.

29.
    Le Conseil et la Commission mettent également en doute l'intérêt à agir de la requérante, en relevant que Biret International demande elle-même à être dédommagée du préjudice qu'elle prétend avoir subi. Ainsi, à supposer même que les prétentions de la requérante soient fondées, quod non, Biret International serait indemnisée, ce qui éliminerait toute conséquence préjudiciable du comportement du Conseil pour ses créanciers et actionnaires, dont la requérante. Admettre l'intérêt de celle-ci à agir en de telles circonstances est, selon les institutions, contraire au principe général «ne bis in idem», commun aux droits des États membres au sens de l'article 215 du traité CE (devenu article 288 CE).

30.
    En réponse à ces arguments, la requérante fait valoir, en premier lieu, que, selon la jurisprudence, un recours en indemnité est recevable dès que la cause du préjudice est certaine, sans pour autant que ce préjudice puisse encore être évalué (arrêts de la Cour du 29 janvier 1985, Binderer/Commission, 147/83, Rec. p. 257, et du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg e.a./Conseil et Commission, 281/84, Rec. p. 49). Tel serait le cas en l'espèce.

31.
    En deuxième lieu, la requérante allègue que les voies de recours internes qui lui sont ouvertes pour contester la légalité des mesures prises par les autorités nationales en application de l'embargo ne sont pas susceptibles d'aboutir à la réparation du dommage allégué (voir arrêts de la Cour Unifrex/Commission et Conseil, précité, point 12, et du 26 février 1986, Krohn/Commission, 175/84, Rec. p. 753, point 27).

32.
    La requérante soutient, en troisième lieu, que le délai de prescription quinquennale prévu par l'article 43 du statut de la Cour a commencé à courir, en l'espèce, à compter du jour de la cessation d'activités de Biret International consécutive au jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 décembre 1995, dans la mesure où ce jugement serait «constitutif d'un état nouveau opposable à tous». Quant à la date de cessation des paiements fixée au 28 février 1995 dans ce même jugement, la requérante réplique au Conseil qu'elle a pour seule fin d'identifier la période suspecte, antérieure à la faillite, pendant laquelle les actes accomplis peuvent être déclarés nuls sous certaines conditions. En l'espèce, Biret International aurait poursuivi ses activités durant les mois de mars à décembre 1995.

33.
    Enfin, pour justifier de son intérêt à agir la requérante fait valoir, dans sa réplique, que son préjudice ne se confond pas avec celui de Biret International. Ce préjudice porterait, en effet, sur l'ensemble des conséquences de la liquidation de sa filiale, et pas seulement sur l'apurement du passif. Outre le préjudice immobilier et le dommage moral résultant de l'atteinte à son image causée par la mise en faillite de sa filiale, la requérante aurait un intérêt direct à ce que la Communauté soit reconnue responsable de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de reprendre à son compte les activités de Biret International. La demande de réparation de ce dernier préjudice serait implicitement contenue dans les conclusions de la requête, dont elle constituerait un développement admissible. Elle serait donc recevable aux termes du règlement de procédure (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197).

Appréciation du Tribunal

34.
    En vertu de l'article 19 du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en application de l'article 46 du même statut, et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Selon une jurisprudence constante, cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l'appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d'identifier le comportement que le requérant reproche à l'institution, les raisons pour lesquelles il estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu'il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387/94, Rec. p. II-961, points 106 et 107, et du 6 mai 1997, Guérin automobiles/Commission, T-195/95, Rec. p. II-679, points 20 et 21).

35.
    En l'espèce, la requête satisfait à ces exigences, puisqu'elle a permis tant à l'institution défenderesse qu'au Tribunal d'identifier le comportement reproché au Conseil, le préjudice prétendument subi et le lien de causalité allégué entre ce comportement et ce préjudice (voir, notamment, points 19 et 24 ci-dessus et 53 ci-après). L'argument tiré de l'irrégularité formelle de la requête doit donc être rejeté.

36.
    Quant à l'argument tiré par le Conseil du non-épuisement des voies de recours nationales, il convient de relever que le comportement fautif allégué en l'espèce n'émane pas d'un organisme national mais d'une institution communautaire. Les préjudices qui pourraient éventuellement résulter de la mise en oeuvre de la réglementation communautaire par les autorités françaises qui, pour ce qui concerne l'embargo en tant que tel, ne disposaient d'aucune marge d'appréciation, seraient, dès lors, imputables à la Communauté (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 15 décembre 1977, Dietz/Commission, 126/76, Rec. p. 2431, point 5, et du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, point 9; arrêts du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 71, et du 20 mars 2001, Bocchi Food Trade International/Commission, T-30/99, Rec. p. II-943, point 31).

37.
    Le juge communautaire ayant compétence exclusive pour connaître, en vertu de l'article 215 du traité, des litiges relatifs à l'indemnisation d'un dommage imputable à la Communauté (arrêts de la Cour du 27 septembre 1988, Asteris e.a./Grèce et CEE, 106/87 à 120/87, Rec. p. 5515, point 14, et du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission, C-282/90, Rec. p. I-1937, point 14), les voies de recours nationales ne pourraient ipso facto permettre d'assurer à la requérante une protection efficace de ses droits (arrêts Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, précité, point 72, et Bocchi Food Trade International/Commission, précité, point 32).

38.
    À cet égard, même si la Cour, dans le cadre d'une procédure préjudicielle, estimait que la réglementation applicable était de nature à causer un préjudice, le tribunal national ne serait pas habilité à arrêter lui-même les mesures nécessaires pour réparer l'entièreté du dommage allégué par la requérante en l'espèce, de sorte qu'un recours direct devant le Tribunal sur la base de l'article 215 du traité serait, également dans une telle hypothèse, nécessaire (voir, en ce sens, arrêt Dietz/Commission, précité, point 5).

39.
    Dès lors, l'argument tiré du non-épuisement des voies de recours nationales doit être rejeté.

40.
    S'agissant, ensuite, de l'argument tiré de la prescription du recours, il convient de rappeler que, selon l'article 43 du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 46 du même statut, les actions contre laCommunauté en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu.

41.
    Selon une jurisprudence constante, le délai de prescription de l'action en responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait toutefois commencer à courir avant que soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l'obligation de réparation et, notamment, s'agissant des cas où la responsabilité découle, comme en l'espèce, d'un acte normatif, avant que les effets dommageables de cet acte se soient produits (arrêt de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 10, et arrêt du Tribunal du 16 avril 1997, Hartmann/Conseil et Commission, T-20/94, Rec. p. II-595, point 107).

42.
    En l'espèce, dans la mesure où la requérante soutient que son dommage est constitué par les pertes subies par sa filiale, du fait de l'adoption et du maintien en vigueur de l'embargo, il y a lieu de constater que les effets dommageables de cet embargo se sont manifestés dès le début des activités commerciales de Biret International et donc immédiatement après la constitution de celle-ci en société, le 26 juillet 1990, puisque Biret International a été, dès le départ et du fait de cet embargo, légalement empêchée d'exercer l'une des activités en vue desquelles elle aurait, selon la requérante, été constituée, à savoir, l'importation de viande de boeuf d'origine américaine traitée avec certaines hormones.

43.
    Au cas où elle aurait estimé que cet embargo était illégal et lui causait un dommage, la requérante était ainsi en mesure de mettre en cause la responsabilité non contractuelle de la Communauté dès le commencement des activités de Biret International, en 1990. C'est donc à cette époque que les conditions d'une action en indemnisation contre la Communauté ont été réunies et que, par conséquent, le délai de prescription quinquennale a commencé à courir.

44.
    Dans les affaires dites de «quotas laitiers», le Tribunal a toutefois précisé que, lorsque le préjudice n'a pas été causé instantanément, mais s'est poursuivi quotidiennement pendant une certaine période, du fait du maintien en vigueur d'un acte illégal, la prescription de l'article 43 du statut de la Cour s'applique, en fonction de la date de l'acte interruptif, à la période antérieure de plus de cinq ans à cette date, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures (voir, par exemple, arrêt Hartmann/Conseil et Commission, précité, point 132; voir, également en ce sens, conclusions de l'avocat général M. Capotorti sous l'arrêt Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, précité, Rec. p. 108, point 6).

45.
    Conformément à cette jurisprudence, dont la requérante elle-même a soutenu, dans sa réplique, qu'elle devait s'appliquer au cas d'espèce, il y a lieu de considérer l'action en responsabilité comme prescrite pour autant qu'elle vise à la réparation du dommage prétendument subi au cours de la période antérieure aux cinq années qui ont précédé l'introduction du recours, soit antérieurement au 10 août 1995.

46.
    La prescription relevant des conditions de recevabilité du recours (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 4 août 1999, Fratelli Murri/Commission, T-106/98, Rec. p. II-2553), celui-ci doit, dans cette mesure, être rejeté comme irrecevable.

47.
    Pour le surplus, la circonstance que le tribunal de commerce de Paris a fixé provisoirement la date de la cessation des paiements de Biret International au 28 février 1995, dans son jugement du 7 décembre 1995, n'implique pas nécessairement que cette société n'était plus en mesure d'exercer une quelconque activité commerciale pendant la période courant à compter du 10 août 1995 jusqu'à cette dernière date. Par ailleurs, la requérante affirme avoir subi un préjudice propre du fait même de la mise en liquidation de sa filiale. Le recours ne saurait, dès lors, être d'emblée rejeté comme irrecevable dans son ensemble pour cause de prescription.

48.
    Quant à l'intérêt de la requérante à agir, il est vrai que, comme l'a souligné à juste titre le Conseil, la requête ne contient pas de demande d'indemnisation d'un dommage moral, ni d'un préjudice prétendument subi par la requérante, après la cessation des activités de Biret International, du fait de l'impossibilité dans laquelle elle se trouverait de reprendre les activités d'importation de viande bovine de sa filiale. Ces demandes ne constituent pas non plus un simple développement chiffré des conclusions formulées dans la requête, développement qui serait admissible aux termes de l'arrêt Plaumann/Commission, précité. Il s'agit, au contraire, de demandes entièrement nouvelles, la requérante n'ayant jamais prétendu, dans sa requête, qu'elle entendait exercer elle-même une activité d'importation de viande.

49.
    Or, selon une jurisprudence constante, il résulte des dispositions combinées des articles 44, paragraphe 1, et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, que l'objet de la demande doit être déterminé dans la requête et qu'une demande formulée pour la première fois dans la réplique modifie l'objet initial de la requête et doit, dès lors, être considérée comme une nouvelle demande et, par suite, être rejetée comme irrecevable (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 7 mai 1986, Barcella e.a./Commission, 191/84, Rec. p. 1541, points 5 et 6; arrêts du Tribunal du 8 mars 1990, Schwedler/Parlement, T-41/89, Rec. p. II-79, point 34, et du 26 octobre 1993, Weissenfels/Parlement, T-22/92, Rec. p. II-1095, point 27).

50.
    Les demandes nouvelles tendant à la réparation d'un soi-disant dommage moral, au demeurant non chiffré, et d'un préjudice propre prétendument subi par la requérante après la cessation des activités de Biret International, doivent, dès lors, être rejetées comme irrecevables.

51.
    Pour le surplus, il ne saurait être exclu, à ce stade de l'examen du Tribunal, que les conclusions de la requête visent un préjudice distinct, en tout ou en partie, de celui allégué par Biret International dans le cadre de l'affaire T-174/00. Le présent recours ne saurait, dès lors, être d'emblée rejeté comme irrecevable dans son ensemble pour défaut d'intérêt à agir.

Sur le fond

52.
    Quant au bien-fondé du recours en ce qu'il concerne la période courant à compter du 10 août 1995, il convient de rappeler que, ainsi qu'il ressort de l'article 215 du traité et selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions tenant à l'illégalité du comportement reproché aux institutions, à la réalité du dommage et à l'existence d'un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. S'agissant de la première de ces conditions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, Rec. p. I-5291, point 42).

53.
    S'agissant de la condition relative à l'illégalité du comportement reproché au Conseil, la requérante fait valoir, dans sa requête, que, en adoptant et en maintenant en vigueur les directives 81/602, 88/146 et 96/22, cette institution a violé deux règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, à savoir, d'une part, le principe de protection de la confiance légitime et, d'autre part, l'accord SPS.

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

Arguments de la requérante

54.
    La requérante soutient que sa confiance légitime a été lésée. En effet, elle considère qu'elle pouvait légitimement espérer, d'une part, que l'interdiction des hormones en cause ne serait que temporaire, dans l'attente d'une évaluation scientifique appropriée quant à leur caractère dangereux ou non pour la santé humaine, et, d'autre part, que le champ des dérogations prévues à l'article 7 de la directive 88/146 allait progressivement s'ouvrir et viser les catégories d'animaux originaires des États-Unis dont Biret International avait prévu d'assurer l'importation dans la Communauté.

55.
    En réponse à l'argument selon lequel des directives respectivement adoptées en 1981 et 1988 ne sauraient avoir lésé la confiance légitime des fondateurs d'une société constituée en 1990, la requérante fait valoir, dans sa réplique, que l'embargo n'a été effectivement appliqué par les autorités nationales qu'à partir de 1991, entraînant, vers la fin de cette année, une chute brutale du courant d'importation de viande bovine américaine, après que celui-ci eut connu une forte hausse entre 1989 et 1990. Ainsi, lors de la fondation de Biret International en 1990, la requérante aurait pu croire, en toute bonne foi, que les activités d'importation de viande bovine américaine qu'elle avait jusque-là exercées sans entraves, et qui étaient transférées à sa filiale, allaient continuer à se développer en conformité avec la réglementation communautaire.

56.
    En outre, les négociations entreprises dans le cadre de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) en vue de la création de l'OMC, durant les années 1991 à 1994, pouvaient, selon la requérante, laisser entendre qu'une interprétation de la réglementation communautaire conforme aux nouvelles règles internationales en voie d'adoption allait s'imposer.

Appréciation du Tribunal

57.
    Il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C-331/88, Rec. p. I-4023, point 10), il a été jugé que la directive 88/146 n'a pas violé la confiance légitime des opérateurs économiques affectés par l'interdiction de l'utilisation des hormones en cause. La Cour a relevé, notamment, que, compte tenu des divergences d'appréciation qui s'étaient manifestées, ces opérateurs n'étaient pas en droit d'attendre qu'une interdiction d'administration des substances en cause à des animaux ne puisse être fondée que sur des données scientifiques.

58.
    Ces considérations s'appliquent, a fortiori, aux fondateurs d'un opérateur économique qui, à l'instar de Biret International, n'a entamé son activité qu'après l'adoption et l'entrée en vigueur de la directive 88/146. En l'occurrence, la requérante était d'autant moins fondée à escompter une levée ou un assouplissement de l'embargo que, deux ans avant la constitution de Biret International en société, la directive 88/146 était venue renforcer les effets de la directive 81/602 (voir point 2 ci-dessus) et que, le 13 novembre 1990, la Cour avait confirmé la légalité de l'embargo par son arrêt Fedesa e.a., précité.

59.
    Par ailleurs, la dérogation envisagée à l'article 7 de la directive 88/146, en faveur des échanges d'animaux destinés à la reproduction et d'animaux reproducteurs en fin de carrière qui, au cours de leur existence, ont été traités dans le cadre des dispositions de l'article 4 de la directive 81/602 et des viandes provenant de ces animaux, apparaît trop limitée, dans son champ d'application tant matériel que temporel, pour avoir permis à la requérante d'espérer une quelconque extension ultérieure.

60.
    Quant à l'allégation nouvelle, dans la réplique, selon laquelle l'embargo n'aurait été effectivement appliqué qu'à partir de 1991, force est de constater qu'elle est en contradiction avec l'affirmation, au point 18 de la requête, selon laquelle l'embargo serait «devenu effectif et opérationnel [...] à partir du 1er janvier 1989». Cette allégation, qui est catégoriquement démentie par les institutions, n'est assortie d'aucun élément de preuve susceptible d'en établir la véracité. Au contraire, il apparaît que l'embargo, progressivement appliqué par les États membres après 1981, a été mis en oeuvre, au plus tard, en France, par une loi du 16 juillet 1984, en Allemagne, par une loi du 11 mars 1988, en Espagne, par un décret royal du 22 novembre 1987, au Royaume-Uni, par un règlement de 1988, en Belgique, par un arrêté royal du 10 janvier 1990 et, au Luxembourg, par un règlement du 13 avril 1989. Dans ces conditions, ladite allégation de la requérante doit être rejetée.

61.
    En tout état de cause, une éventuelle non-application de la directive 88/146 par les États membres, entre 1989 et 1991, ne saurait être assimilée à un comportement du Conseil susceptible d'avoir fait naître une confiance légitime dans le chef des opérateurs économiques. De plus, une telle non-application aurait été manifestement contraire aux obligations qui incombent aux États membres en vertu du traité et, plus particulièrement, aux obligations qui leur étaient imposées par ladite directive. Or, selon une jurisprudence constante (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 12 décembre 1985, Sideradria/Commission, 67/84, Rec. p. 3983, point 21, et du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas, C-96/89, Rec. p. I-2461, point 30), nul ne peut avoir une confiance légitime dans le maintien d'une situation illégale ni, dès lors, fonder une telle confiance sur une carence éventuelle des États membres dans la transposition et la mise en oeuvre effective d'une directive du Conseil.

62.
    S'agissant, enfin, de l'incidence des négociations en cours dans le cadre du GATT, entre 1991 et 1994, il y a lieu de rappeler que, en l'absence d'assurances précises fournies par l'administration, personne ne peut invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime (arrêts du Tribunal du 11 décembre 1996, Atlanta e.a./CE, T-521/93, Rec. p. II-1707, point 57, et du 17 février 1998, Pharos/Commission, T-105/96, Rec. p. II-285, point 64). Or, la requérante n'allègue même pas qu'elle aurait reçu certaines assurances, quant à l'issue de ces négociations, de la part des autorités communautaires. Au demeurant, selon une jurisprudence constante, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 15 juillet 1982, Edeka Zentrale, 245/81, Rec. p. 2745, point 27, et arrêt Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, précité, point 148). Il s'ensuit, a fortiori, que ces opérateurs ne sont pas fondés à placer leur confiance légitime dans une modification future et hypothétique de la législation, en particulier dans un domaine tel que celui de la politique agricole commune où, du fait de ses incidences potentielles sur la santé publique, toute modification législative dépend des développements imprévisibles des connaissances scientifiques et des évaluations complexes devant être effectuées par le législateur.

63.
    Le moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.

Sur la violation de l'accord SPS

Arguments de la requérante

64.
    La requérante soutient que, depuis le 1er janvier 1995, les directives en cause violent les accords OMC, et plus particulièrement l'accord SPS, ainsi que l'a d'ailleurs reconnu l'ORD. Dans le cadre d'un recours en indemnité, le juge communautaire doit, selon elle, être en mesure de tirer les conséquences d'une telle violation des obligations internationales contractées par la Communauté.

65.
    Elle ajoute que la présente affaire se distingue sous deux aspects de celle ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil (C-149/96, Rec. p. I-8395). D'une part, la réglementation communautaire ici en cause aurait fait l'objet d'une condamnation explicite de la part de l'ORD. D'autre part, la violation de ses obligations par la Communauté ne serait pas temporaire et négociable, mais aurait au contraire un caractère permanent, la Communauté ayant exprimé son intention de maintenir l'embargo en dépit de l'état actuel des recherches scientifiques (voir point 15 ci-dessus), de sorte que l'argument tiré de la souplesse du mécanisme de règlement des différends (arrêt Portugal/Conseil, précité, point 40) serait inopérant en l'espèce.

66.
    Plus fondamentalement, la requérante soutient que l'arrêt Portugal/Conseil, précité, viole le texte clair de l'article 228, paragraphe 7, du traité CE (devenu, après modification, article 300, paragraphe 7, CE), et qu'il va à l'encontre d'une jurisprudence bien établie, selon laquelle les conventions internationales forment partie intégrante, à partir de leur entrée en vigueur, de l'ordre juridique communautaire (arrêts de la Cour du 30 avril 1974, Haegeman, 181/73, Rec. p. 449, point 5, et du 30 septembre 1987, Demirel, 12/86, Rec. p. 3719, point 7; voir également conclusions de l'avocat général M. Saggio sous l'arrêt Portugal/Conseil, précité, Rec. p. I-8397). Ce même arrêt, en ce qu'il repose sur une conception «dualiste» des rapports entre l'ordre juridique communautaire et le droit de l'OMC, serait également inconciliable avec l'arrêt de la Cour du 16 juin 1998, Hermès International (C-53/96, Rec. p. I-3603), qui traiterait de façon «moniste» la question de l'interprétation de ce droit.

67.
    La requérante fait encore valoir qu'une reconnaissance du droit pour les particuliers d'invoquer les accords OMC et les décisions de l'ORD permettrait de remédier aux conséquences inéquitables qui résultent pour eux des mesures de rétorsion adoptées par les partenaires de la Communauté, en cas de violation par celle-ci de ses engagements. Ainsi, en l'espèce, l'embargo ayant pour but de protéger la santé de l'ensemble des citoyens européens, il serait légitime de faire supporter son coût par la collectivité.

68.
    La requérante soutient, par ailleurs, qu'une reconnaissance de la responsabilité de la Communauté en cas de violation du droit de l'OMC ne porterait nullement atteinte à l'équilibre des concessions et avantages réciproques négociés avec les pays tiers au sein de cette instance, pour autant qu'elle soit limitée à l'indemnisation des seuls opérateurs communautaires préjudiciés.

69.
    Une telle reconnaissance n'aurait pas davantage pour effet de porter atteinte aux possibilités de négociation de la Communauté dans le cadre du mécanisme de règlement des différends, puisque les mesures de rétorsion ne sont autorisées par l'ORD qu'après l'échec de ces négociations, une fois qu'il est acquis que la Communauté entend faire perdurer son manquement au droit de l'OMC.

Appréciation du Tribunal

70.
    S'il est vrai que, aux termes de l'article 228, paragraphe 7, du traité, les accords conclus entre la Communauté et les États tiers lient les institutions de la Communauté et les États membres, et que, ainsi que la Cour l'a notamment jugé dans ses arrêts Haegeman et Demirel, précités, les dispositions de pareils accords forment partie intégrante, à partir de l'entrée en vigueur de ceux-ci, de l'ordre juridique communautaire, la Cour a constamment souligné que les effets de tels accords dans l'ordre juridique communautaire doivent être déterminés eu égard à la nature et aux objectifs de l'accord en cause. C'est ainsi que, dans son arrêt du 26 octobre 1982, Kupferberg (104/81, Rec. p. 3641, point 17), la Cour a relevé que les effets, dans la Communauté, des dispositions d'un accord international ne sauraient être déterminés en faisant abstraction de l'origine internationale des dispositions en cause, et que, conformément aux principes du droit international, les parties contractantes peuvent convenir des effets que les dispositions de l'accord doivent produire dans leur ordre interne (voir également conclusions de l'avocat général M. Gulmann sous l'arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, I-4980, point 127). En particulier, dans l'arrêt Demirel, précité, la Cour a considéré (au point 14) qu'une disposition d'un accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant d'application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'à l'objet et à la nature de l'accord, elle comporte une obligation claire et précise, qui n'est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur. La question de savoir si une telle stipulation est inconditionnelle et suffisamment précise pour produire un effet direct est à apprécier dans le cadre de l'accord dont elle fait partie (arrêt Kupferberg, précité, point 23).

71.
    Or, il ressort d'une jurisprudence maintenant fermement établie que, compte tenu de leur nature et de leur économie, l'accord OMC et ses annexes, pas plus que les règles du GATT de 1947, ne figurent en principe parmi les normes au regard desquelles la Cour et le Tribunal contrôlent les actes des institutions communautaires en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, premier alinéa, CE), qu'ils ne sont pas de nature à créer pour les particuliers des droits dont ceux-ci pourraient se prévaloir en justice et que leur violation éventuelle n'est donc pas susceptible d'engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté (arrêts de la Cour Portugal/Conseil, précité; du 14 décembre 2000, Dior e.a., C-300/98 et C-392/98, Rec. p. I-11307, et du 9 octobre 2001, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C-377/98, non encore publié au Recueil; ordonnance de la Cour du 2 mai 2001, OGT Fruchthandelsgesellschaft, C-307/99, Rec. p. I-3159; arrêts du Tribunal du 20 mars 2001, Cordis/Commission, T-18/99, Rec. p. II-913, Bocchi Food Trade International/Commission, précité, et T. Port/Commission, T-52/99, Rec. p. II-981, et du 12 juillet 2001, T. Port/Conseil, T-2/99, Rec. p. II-2093, et Bananatrading/Conseil, T-3/99, Rec. p. II-2123).

72.
    En effet, les accords OMC ont pour objet le règlement et la gestion des relations entre États ou organisations régionales d'intégration économique, et non pas laprotection des particuliers. Comme la Cour l'a souligné dans l'arrêt Portugal/Conseil, précité, ces accords restent fondés sur le principe de négociations entreprises sur une base de réciprocité et d'avantages mutuels, et ils se distinguent ainsi des accords conclus par la Communauté avec des pays tiers qui instaurent une certaine asymétrie des obligations. Admettre que la tâche d'assurer la conformité du droit communautaire avec ces règles incombe directement au juge communautaire reviendrait à priver les organes législatifs ou exécutifs de la Communauté de la marge de manoeuvre dont jouissent les organes similaires des partenaires commerciaux de la Communauté.

73.
    Selon cette jurisprudence (arrêt Portugal/Conseil, précité, point 49), ce n'est que dans l'hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l'OMC, ou dans l'occurrence où l'acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC, qu'il appartient au juge communautaire de contrôler la légalité de l'acte communautaire en cause au regard des règles de l'OMC (voir, pour ce qui concerne le GATT de 1947, arrêts de la Cour du 22 juin 1989, Fediol/Commission, 70/87, Rec. p. 1781, points 19 à 22, et du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C-69/89, Rec. p. I-2069, point 31).

74.
    Force est de constater que les circonstances de l'espèce ne correspondent manifestement à aucune des deux hypothèses énoncées au point précédent. En effet, les directives 81/602 et 88/146 ayant été adoptées plusieurs années avant l'entrée en vigueur de l'accord SPS, le 1er janvier 1995, elles ne peuvent logiquement ni donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de cet accord, ni renvoyer expressément à certaines de ses dispositions.

75.
    En l'espèce, la requérante n'est donc pas fondée à se prévaloir d'une violation de l'accord SPS.

76.
    La décision de l'ORD du 13 février 1998, précitée, n'est pas susceptible de remettre en cause cette appréciation.

77.
    En effet, cette décision est nécessairement et directement liée au moyen tiré de la violation de l'accord SPS, et elle ne saurait donc être prise en considération que dans l'hypothèse où l'effet direct de cet accord aurait été consacré par le juge communautaire dans le cadre d'un moyen tiré de l'invalidité des directives en cause (voir, à propos d'une décision de l'ORD constatant l'incompatibilité de certaines dispositions du droit communautaire avec le GATT de 1994, arrêt de la Cour du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C-104/97 P, Rec. p. I-6983, points 19 et 20).

78.
    Le moyen tiré de la violation de l'accord SPS doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.

79.
    La requérante ayant ainsi échoué à établir l'illégalité du comportement reproché à l'institution défenderesse, le recours doit, en tout état de cause, être rejeté comme non fondé, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur l'intérêt de la requérante à agir (voir point 29 ci-dessus), ni d'examiner les autres conditions d'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir, par exemple, arrêt Atlanta/Communauté européenne, précité, point 65).

80.
    Dans sa réplique, la requérante demande toutefois au Tribunal, à titre subsidiaire, de «faire évoluer sa jurisprudence» vers un régime de responsabilité sans faute de la Communauté du fait de ses actes normatifs. À l'appui de cette demande elle invoque, notamment, la «défense de l'état de droit», le caractère autonome du recours en indemnité, les principes généraux communs aux droits des États membres et des considérations d'équité liées à l'application du «principe de précaution».

81.
    Cette argumentation, qui modifie le fondement même de la responsabilité de la Communauté, doit être regardée comme constituant un moyen nouveau qui ne peut être invoqué en cours d'instance, conformément à l'article 48 du règlement de procédure du Tribunal (arrêt Atlanta/Communauté européenne, précité, points 27 à 29).

82.
    Il découle de l'ensemble de ce qui précède que, dans la mesure où le recours n'est pas irrecevable, il est, en tout état de cause, dépourvu de fondement.

Sur les dépens

83.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil. La Commission supportera toutefois ses propres dépens en application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, aux termes duquel les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté comme étant, pour partie, irrecevable et, pour le surplus, non fondé.

2)    La requérante est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil. La Commission supportera ses propres dépens.

Vesterdorf

Forwood
Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 janvier 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.