Language of document : ECLI:EU:T:2022:630

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 14 novembre 2023 (1)

Affaires jointes C541/20 à C555/20

République de Lituanie (C541/20 et C542/20)

République de Bulgarie (C543/20 à C545/20)

Roumanie (C546/20 à C548/20)

République de Chypre (C549/20 et C550/20)

Hongrie (C551/20)

République de Malte (C552/20)

République de Pologne (C553/20 à C555/20)

contre

Parlement européen,

Conseil de l’Union européenne


 

« Recours en annulation – Train de mesures sur la mobilité – Règlement (UE) 2020/1054 – Durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire – Durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire – Obligation relative au retour des conducteurs – Interdiction de prise des temps de repos hebdomadaires normaux et de plus de 45 heures dans le véhicule – Délai pour l’installation de tachygraphes intelligents de deuxième génération (V2) – Date d’entrée en vigueur – Règlement (UE) 2020/1055 – Conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route – Conditions relatives à l’exigence d’établissement – Obligation relative au retour des véhicules dans le centre opérationnel de l’État membre d’établissement – Obligation relative au nombre de véhicules et de conducteurs normalement rattachés au centre opérationnel de l’État membre d’établissement – Transports de cabotage – Période de carence de quatre jours pour le cabotage – Dérogation relative au cabotage dans le cadre d’opérations de transports combinés – Directive (UE) 2020/1057 – Règles spécifiques pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier – Délai de transposition – Marché intérieur – Régime juridique spécial des transports – Libertés fondamentales – Principe de proportionnalité – Analyse d’impact – Principe de non-discrimination – Protection de l’environnement – Article 11 TFUE – Article 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de sécurité juridique – Article 91 TFUE – Prise en compte de la situation économique des transporteurs – Article 94 TFUE »






Table des matières


I. Le cadre juridique

A. Le règlement 2020/1054 (Paquet mobilité, volet « durée du temps de travail »)

B. Le règlement 2020/1055 (Paquet mobilité, volet « établissement »)

C. La directive 2020/1057 (Paquet mobilité, volet « détachement des travailleurs »)

II. Les antécédents du litige

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

IV. Analyse

A. Observations liminaires

1. Sur le régime juridique spécial des transports dans le marché intérieur

2. Sur le principe de proportionnalité

a) Sur le principe de proportionnalité, la large marge d’appréciation du législateur et le contrôle juridictionnel

b) Sur les données à prendre en considération dans le processus législatif et sur l’analyse d’impact

3. Sur les principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

4. Sur les dispositions de droit de l’Union concernant la politique en matière d’environnement

B. Sur le règlement 2020/1054 (affaires C541/20, C543/20, C546/20, C551/20 et C553/20)

1. Sur les moyens concernant l’obligation relative au retour des conducteurs

a) Sur la recevabilité du recours dans l’affaire C543/20 en ce qui concerne l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054

1) Arguments des parties

2) Analyse

b) Sur la violation du principe de sécurité juridique

1) Arguments des parties

2) Analyse

c) Sur la violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Sur les moyens relatifs à la proportionnalité de l’obligation relative au retour des conducteurs

i) Arguments des parties

ii) Analyse

– Sur les objectifs de la réglementation en cause

– Sur les répercussions négatives sur les conducteurs

– Sur les répercussions négatives sur les transporteurs

– Sur les répercussions négatives sur l’environnement

– Sur l’existence d’alternatives moins contraignantes

2) Sur les moyens relatifs à l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de l’obligation relative au retour des conducteurs

i) Arguments des parties

ii) Analyse

e) Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

i) Sur la portée de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

ii) Sur les violations alléguées de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

f) Sur la violation des dispositions de droit de l’Union concernant la politique en matière d’environnement et de changement climatique

1) Arguments des parties

2) Analyse

g) Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1) Arguments des parties

2) Analyse

h) Conclusion sur les moyens concernant l’obligation relative au retour des conducteurs

2. Sur les moyens concernant l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine

a) Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Arguments des parties

2) Analyse

i) Observations liminaires

ii) Sur l’arrêt Vaditrans et sur sa portée

iii) Sur la proportionnalité de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

b) Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

c) Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Sur la violation des dispositions de droit de l’Union en matière de libre prestation des services de transport et du marché unique

1) Arguments des parties

2) Analyse

e) Conclusion sur les moyens concernant l’interdiction du repos hebdomadaire en cabine

3. Sur les moyens concernant l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054

a) Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Arguments des parties

2) Analyse

b) Sur la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique

1) Arguments des parties

2) Analyse

c) Sur la violation de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE.

1) Arguments des parties

2) Analyse

4. Sur les moyens concernant l’article 3 du règlement 2020/1054

a) Sur le caractère opérant des moyens concernant l’article 3, du règlement 2020/1054

b) Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Arguments des parties

2) Analyse

c) Sur la violation de l’obligation de motivation

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Sur la violation du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

5. Conclusion sur les recours concernant le règlement 2020/1054

C. Sur le règlement 2020/1055 (affaires C542/20, C545/20, C547/20, C549/20, C551/20, C552/20 et C554/20)

1. Sur l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines [article 1er, point 3, du règlement  2020/1055 dans la mesure où il modifie l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009].

a) Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE pour défaut de consultation du CESE et du CdR

1) Arguments des parties

2) Analyse

b) Sur les moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique

1) Arguments des parties

2) Analyse

i) Sur la violation alléguée de l’article 3 TUE, des articles 11 et 191 TFUE et de l’article 37 de la Charte

ii) Sur la violation alléguée des engagements internationaux de l’Union et des États membres dans le domaine de la protection de l’environnement

iii) Sur la violation alléguée de la politique de l’environnement de l’Union en raison de la contrariété de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines au droit dérivé de l’environnement, aux conclusions du Conseil européen et au pacte vert pour l’Europe

iv) Conclusion de l’analyse

c) Sur les moyens tirés d’une violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Sur les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité

1) Sur l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines

i) Arguments des parties

ii) Analyse

2) Sur l’examen de la proportionnalité de la mesure

e) Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

f) Sur les moyens tirés d’une violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

g) Conclusion

2. Sur l’obligation de disposer d’un nombre de véhicules et de conducteurs en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise [article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 en ce qu’il a ajouté le point g), au paragraphe 1 de l’article 5 du règlement no 1071/2009]

a) Sur le premier moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité

1) Arguments des parties

2) Analyse

b) Sur le moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique

1) Arguments des parties

2) Analyse

c) Sur le moyen tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Conclusion

3. Sur le délai de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage [article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 qui a introduit un paragraphe 2 bis à l’article 8 du règlement no 1072/2009]

a) Sur les moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique

1) Arguments des parties

2) Analyse

b) Sur les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité

1) Arguments des parties

2) Analyse

i) Sur l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de la période de carence entre deux périodes de cabotage

ii) Sur le caractère proportionné de la période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé

c) Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Sur les moyens tirés d’une violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1) Arguments des parties

2) Analyse

e) Sur les moyens tirés d’une violation des articles 26, 34 à 36 et de l’article 58, paragraphe 1, TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

f) Conclusion

4. Sur la possibilité de soumettre les opérations de transports combinés à une période de carence [article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 en ce qu’il ajoute un paragraphe 7 à l’article 10 du règlement no 1072/2009 ou la « clause de sauvegarde »]

a) Sur le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité

1) Arguments des parties

2) Analyse

b) Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

c) Sur le moyen tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Conclusion

5. Conclusion sur les recours concernant le règlement 2020/1055

D. Sur la directive 2020/1057

1. Observations liminaires

a) Sur la directive 2020/1057 et sur la réglementation y prévue relative au détachement des conducteurs

b) Sur la portée des recours de la République de Bulgarie et de la République de Chypre, respectivement dans les affaires C544/20 et C-550/20

2. Sur les moyens concernant les règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs

a) Observations liminaires

b) Sur la jurisprudence de la Cour en matière de détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier

c) Sur le moyen relatif à la non-applicabilité de la directive 96/71 aux conducteurs dans le secteur du transport routier

1) Arguments des parties

2) Analyse

d) Sur la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

e) Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Sur les moyens relatifs à la violation du principe de proportionnalité

i) Arguments des parties

– Sur le caractère inapproprié du critère fondé sur le type d’opérations de transport

– Sur le caractère inapproprié et non nécessaire du « modèle hybride » pour contribuer aux objectifs poursuivis

– Sur les effets négatifs disproportionnés

ii) Analyse

– Observations liminaires

– Sur les objectifs des règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs, prévues par la directive 2020/1057

– Sur le caractère inapproprié du critère fondé sur le type d’opérations de transport

– Sur le caractère inapproprié et non nécessaire du « modèle hybride » pour contribuer aux objectifs poursuivis

– Sur les effets négatifs disproportionnés

2) Sur les moyens relatifs à l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité

i) Arguments des parties

ii) Analyse

– Observations liminaires

– Sur l’absence d’un complément d’analyse d’impact pour la version définitive des dispositions relatives au détachement de conducteurs de la directive 2020/1057

f) Sur la violation de l’article 90 TFUE (lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE), de l’article 91, paragraphe 2, TFUE et de l’article 94 TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

g) Sur la violation du principe de l’égalité de traitement

1) Arguments des parties

2) Analyse

i) Observations liminaires

ii) Sur la prétendue violation du principe d’égalité de traitement entre les opérations de transport bilatérales et les opérations de transport tiers (République de Lituanie, République de Bulgarie, Roumanie et République de Chypre )

iii) Sur la prétendue violation du principe d’égalité de traitement entre les opérations de transport combiné et les opérations bilatérales (Hongrie)

iv) Conclusion

h) Sur la violation de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation de services

1) Arguments des parties

2) Analyse

i) Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1) Arguments des parties

2) Analyse

3. Sur les moyens concernant l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057

a) Sur la violation du principe de sécurité juridique

1) Arguments des parties

2) Analyse

b) Sur la violation du principe de proportionnalité et de l’article 94 TFUE

1) Arguments des parties

2) Analyse

4. Conclusion sur les recours concernant la directive 2020/1057

V. Sur les dépens

VI. Conclusion


1.        Les présentes conclusions concernent quinze recours introduits par sept États membres – la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne – qui visent à obtenir l’annulation de certaines dispositions ou, parfois à titre subsidiaire, de l’intégralité, de trois actes législatifs faisant partie d’un « train de mesures sur la mobilité », dénommé également « Paquet mobilité » (« Mobility Pack »).

2.        Ces trois actes législatifs, qui concernent tous le régime juridique du transport routier, sont, premièrement, le règlement (UE) 2020/1054 concernant, notamment, les durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire et la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, ainsi que la localisation au moyen de tachygraphes (2), deuxièmement, le règlement (UE) 2020/1055 qui a modifié, notamment, les règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route et celles pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route (3), et, troisièmement, la directive (UE) 2020/1057 établissant des règles spécifiques pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier (4) (ci-après, pris ensemble, les « trois actes attaqués »).

3.        Ces quinze affaires jointes ont une dimension proprement exceptionnelle. Rarement une entreprise législative n’aura suscité, au niveau de l’Union, une réaction contentieuse aussi groupée qu’intense. Une telle réaction était attendue, eu égard aux débats et, parfois, à l’opposition exprimée par nombre d’États membres au cours de la procédure législative ayant donné lieu à l’adoption des trois actes composant le Paquet mobilité. Elle cristallise, sur un thème fondamental pour le marché intérieur, un risque de fracture entre deux visions de l’Union. Au-delà de l’enjeu juridique, c’est donc aussi, d’une certaine manière, la poursuite d’un vouloir vivre ensemble sur des fondations économiques et sociales communes qui se joue dans ces recours. Il importe donc, quelle que soit leur issue, de leur prêter l’attention qu’ils méritent. C’est investi de cette responsabilité que je soumets à la Cour la présente analyse.

I.      Le cadre juridique

A.      Le règlement 2020/1054 (Paquet mobilité, volet « durée du temps de travail »)

4.        L’article 1er, point 6, sous c) et d), ainsi que points 8 et 11, du règlement 2020/1054 énonce :

« Le règlement (CE) nº 561/2006 est modifié comme suit :

[...]

6)      L’article 8 est modifié comme suit :

[...]

c)      le paragraphe 8 est remplacé par le texte suivant :

“8.      Les temps de repos hebdomadaires normaux et tout temps de repos hebdomadaire de plus de [45] heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire antérieur ne peuvent être pris dans un véhicule. Ils sont pris dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats.

L’employeur prend en charge tous les frais d’hébergement à l’extérieur du véhicule.” ;

d)      le paragraphe suivant est inséré :

“8 bis.      Les entreprises de transport organisent le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de retourner au centre opérationnel de l’employeur auquel ils sont normalement rattachés pour y entamer leur temps de repos hebdomadaire, situé dans l’État membre d’établissement de leur employeur, ou de retourner à leur lieu de résidence au cours de chaque période de quatre semaines consécutives, afin d’y passer au moins un temps de repos hebdomadaire normal ou un temps de repos hebdomadaire de plus de [45] heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire.

Toutefois, lorsqu’un conducteur a pris deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs conformément au paragraphe 6, l’entreprise de transport organise le travail du conducteur de telle sorte que celui-ci soit en mesure de rentrer avant le début du temps de repos hebdomadaire normal de plus de [45] heures pris en compensation.

L’entreprise documente la manière dont elle s’acquitte de cette obligation et conserve cette documentation dans ses locaux afin de la présenter à la demande des autorités de contrôle.”

[...]

8)      L’article 9 est modifié comme suit :

[...]

b)      le paragraphe 2 est remplacé par le texte suivant :

“2.      Tout temps passé par un conducteur pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application du présent règlement ou en revenir, lorsque celui-ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni au centre opérationnel de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, n’est pas considéré comme repos ou pause, à moins que le conducteur se trouve dans un ferry ou un train et ait accès à une cabine couchette ou à une couchette.”

[...]

11)      À l’article 12, les alinéas suivants sont ajoutés :

“Le conducteur peut également, dans des circonstances exceptionnelles, déroger à l’article 6, paragraphes 1 et 2, et à l’article 8, paragraphe 2, en dépassant la durée de conduite journalière et hebdomadaire d’une heure au maximum afin de rejoindre le centre opérationnel de l’employeur ou son lieu de résidence pour prendre un temps de repos hebdomadaire, pour autant que cela ne compromette pas la sécurité routière.

Dans les mêmes conditions, le conducteur peut dépasser la durée de conduite journalière et hebdomadaire de deux heures au maximum, à condition d’avoir observé une pause ininterrompue de trente minutes immédiatement avant la conduite supplémentaire afin d’atteindre le centre opérationnel de l’employeur ou son lieu de résidence pour un temps de repos hebdomadaire normal.

[...]” »

5.        L’article 2 du règlement 2020/1054 est ainsi libellé :

« Le règlement (UE) nº 165/2014 est modifié comme suit :

[...]

2)      À l’article 3, le paragraphe 4 est remplacé par le texte suivant :

“4.      Au plus tard trois ans après la fin de l’année de l’entrée en vigueur des dispositions détaillées visées à l’article 11, deuxième alinéa, les catégories de véhicules suivantes circulant dans un État membre autre que leur État membre d’immatriculation sont équipées d’un tachygraphe intelligent conformément aux articles 8, 9 et 10 du présent règlement :

a)      les véhicules équipés d’un tachygraphe analogique ;

b)      les véhicules équipés d’un tachygraphe numérique conforme aux spécifications énoncées à l’annexe IB du règlement (CEE) nº 3821/85 applicables jusqu’au 30 septembre 2011 ;

c)      les véhicules équipés d’un tachygraphe numérique conforme aux spécifications énoncées à l’annexe IB du règlement (CEE) no 3821/85 applicables à partir du 1er octobre 2011 ; et

d)      les véhicules équipés d’un tachygraphe numérique conforme aux spécifications énoncées à l’annexe I B du règlement (CEE) nº 3821/85 applicables à partir du 1er octobre 2012.

4 bis.      Au plus tard quatre ans après l’entrée en vigueur des dispositions détaillées visées à l’article 11, deuxième alinéa, les véhicules équipés d’un tachygraphe intelligent conforme aux spécifications énoncées à l’annexe IC du règlement d’exécution (UE) 2016/799 de la Commission[, du 18 mars 206, mettant en œuvre le règlement nº 165/204 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences applicables à la construction, aux essais, à l’installation et à la réparations des tachygraphes et de leurs composants (JO 2016, L 139, p. 1)] circulant dans un État membre autre que leur État membre d’immatriculation sont équipés d’un tachygraphe intelligent conformément aux articles 8, 9 et 10 du présent règlement.”

[...]

8)      L’article 11 est modifié comme suit :

a)      le premier alinéa est remplacé par le texte suivant :

“Afin de faire en sorte que les tachygraphes intelligents soient conformes aux principes et aux exigences énoncés dans le présent règlement, la Commission arrête, aux moyens d’actes d’exécution, les dispositions détaillées qui sont nécessaires pour assurer l’application uniforme des articles 8, 9 et 10, à l’exclusion de toute disposition prévoyant l’enregistrement de données supplémentaires par le tachygraphe.

Au plus tard le 21 août 2021, la Commission adopte des actes d’exécution établissant des dispositions détaillées pour l’application uniforme de l’obligation d’enregistrer et de conserver les données relatives à tout franchissement de frontières par le véhicule et aux activités visés à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième et troisième tirets, et à l’article 8, paragraphe 1, deuxième alinéa.

[...]” »

6.        L’article 3 du règlement 2020/1054 dispose :

« Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

Toutefois, l’article 1er, point 15), et l’article 2, point 12), sont applicables à partir du 31 décembre 2024. »

B.      Le règlement 2020/1055 (Paquet mobilité, volet « établissement »)

7.        Aux termes des considérants 6 à 8 et 20 à 22 du règlement 2020/1055 :

« (6)      Afin de lutter contre le phénomène des “sociétés boîtes aux lettres” et de garantir une concurrence loyale et des conditions de concurrence équitables dans le marché intérieur, il est nécessaire de faire en sorte que les transporteurs par route établis dans un État membre aient une présence réelle et permanente dans cet État membre et mènent leurs activités de transport depuis celui-ci. C’est pourquoi, et à la lumière de l’expérience acquise, il est nécessaire de clarifier et de renforcer les dispositions concernant l’existence d’un établissement stable et effectif tout en évitant une charge administrative disproportionnée.

(7)      La présence réelle et permanente dans l’État membre d’établissement devrait en particulier supposer que l’entreprise exécute des opérations de transport avec l’équipement technique approprié situé dans cet État membre.

(8)      Le règlement (CE) nº 1071/2009 exige que les entreprises dirigent effectivement et en permanence leurs activités en disposant des équipements et des installations techniques appropriés dans un centre d’exploitation situé dans l’État membre d’établissement et il permet de fixer des exigences supplémentaires au niveau national, la plus courante étant l’exigence portant sur la mise à disposition d’emplacements de stationnement dans l’État membre d’établissement. Toutefois, ces exigences, appliquées de manière inégale, n’ont pas suffi à assurer un véritable lien avec cet État membre afin de lutter de manière efficace contre les sociétés boîtes aux lettres et de réduire le risque d’organisation d’un système de cabotage systématique et de conducteurs nomades depuis une entreprise dans laquelle les véhicules ne retournent pas. Compte tenu du fait que, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur dans le domaine des transports, des règles spécifiques sur le droit d’établissement et la fourniture de services peuvent être nécessaires, il convient d’harmoniser encore les exigences en matière d’établissement et de renforcer les exigences relatives à la présence des véhicules utilisés par le transporteur dans l’État membre d’établissement. La définition d’un intervalle minimum clair dans lequel le véhicule doit revenir contribue également à faire en sorte que ces véhicules soient correctement entretenus au moyen des équipements techniques situés dans l’État membre d’établissement et elle facilite les contrôles.

Le cycle de ces retours devrait être synchronisé avec l’obligation, prévue dans le règlement (CE) nº 561/2006 du Parlement européen et du Conseil[, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) nº°3821/85 et (CE) nº°2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) nº°3820/85 du Conseil (JO 2006, L 102, p. 1)], pour l’entreprise de transport d’organiser ses opérations de manière à permettre au conducteur de rentrer chez lui au moins toutes les quatre semaines, afin que ces deux obligations puissent être satisfaites par le retour du conducteur avec le véhicule au moins un cycle de quatre semaines sur deux. Cette synchronisation renforce le droit de retour du conducteur et réduit le risque que le véhicule doive revenir uniquement pour satisfaire à cette nouvelle exigence en matière d’établissement. Toutefois, l’obligation de revenir dans l’État membre d’établissement ne devrait pas requérir qu’un nombre spécifique d’opérations soient exécutées dans l’État membre d’établissement ni limiter de quelque autre manière que ce soit la possibilité pour les transporteurs de fournir des services dans l’ensemble du marché intérieur.

[...]

(20)      Les règles relatives aux transports nationaux effectués sur une base temporaire par des transporteurs non-résidents dans un État membre d’accueil (“cabotage”) devraient être claires, simples et faciles à faire respecter, tout en préservant le niveau de libéralisation atteint jusqu’à présent.

(21)      Les transports de cabotage devraient contribuer à accroître le coefficient de charge des véhicules utilitaires lourds et à réduire les parcours à vide et devraient être autorisés pour autant qu’ils ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre concerné. Afin de garantir que les transports de cabotage ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue, les transporteurs ne devraient pas être autorisés à effectuer des transports de cabotage dans le même État membre avant l’expiration d’un certain délai après la fin d’un transport de cabotage.

(22)      Si la libéralisation plus poussée prévue à l’article 4 de la directive 92/106/CEE du Conseil[, du 7 décembre 1992, relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres (5)], par rapport au cabotage visé dans le règlement (CE) nº 1072/2009, a été bénéfique pour ce qui est de promouvoir le transport combiné et devrait, en principe, être préservée, il est nécessaire de s’assurer qu’elle n’est pas utilisée de manière abusive. L’expérience montre que, dans certaines parties de l’Union, cette disposition a été systématiquement utilisée pour détourner la nature temporaire du cabotage et permettre la présence permanente de véhicules dans un État membre autre que celui d’établissement de l’entreprise. De telles pratiques déloyales risquent de conduire à un dumping social et nuisent au respect du cadre juridique applicable au cabotage. Il devrait donc être possible pour les États membres de déroger à l’article 4 de la directive 92/106/CEE et d’appliquer les dispositions relatives au cabotage figurant dans le règlement (CE) nº 1072/2009 afin de remédier à de tels problèmes, en introduisant une limite proportionnée applicable à la présence permanente de véhicules sur leur territoire. »

8.        L’article 1er du règlement 2020/1055 prévoit :

« Le règlement (CE) nº 1071/2009 est modifié comme suit :

[...]

2)      À l’article 3, le paragraphe 2 est supprimé.

3)      L’article 5 est remplacé par le texte suivant :

“Article 5

Conditions relatives à l’exigence d’établissement

1.      Pour satisfaire à l’exigence prévue à l’article 3, paragraphe 1, point a), une entreprise, dans l’État membre d’établissement :

a)      dispose de locaux dans lesquels elle peut avoir accès aux originaux de ses principaux documents d’entreprise, qu’ils soient sous forme électronique ou sous toute autre forme, notamment ses contrats de transport, les documents relatifs aux véhicules dont elle dispose, les documents comptables, les documents de gestion du personnel, les contrats de travail, les documents de sécurité sociale, les documents contenant des données sur la répartition et le détachement des conducteurs, les documents contenant les données relatives au cabotage, aux durées de conduite et aux temps de repos, ainsi que tout autre document auquel l’autorité compétente doit pouvoir accéder pour vérifier le respect par l’entreprise des conditions prévues par le présent règlement ;

b)      organise l’activité de son parc de véhicules de manière à faire en sorte que les véhicules dont elle dispose et qui sont utilisés pour le transport international retournent dans un centre opérationnel situé dans cet État membre dans un délai maximal de huit semaines après avoir quitté ledit État membre ;

c)      est inscrite au registre des sociétés commerciales de cet État membre ou dans un registre analogue lorsque le droit national prévoit une telle obligation ;

d)      est soumise à l’impôt sur le revenu et, lorsque le droit national prévoit une telle obligation, dispose d’un numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée valable ;

e)      une fois qu’une autorisation a été accordée, dispose d’un ou de plusieurs véhicules qui sont immatriculés ou mis en circulation et autorisés à être utilisés conformément à la législation dudit État membre, que ces véhicules soient détenus en pleine propriété ou, par exemple, en vertu d’un contrat de location-vente ou d’un contrat de location ou de crédit-bail (leasing) ;

f)      dirige effectivement et en permanence ses activités administratives et commerciales en disposant des équipements et des installations appropriés dans des locaux tels que ceux visés au point a), situés dans cet État membre, et gère ses opérations de transport effectivement et en permanence au moyen des véhicules visés au point g) en disposant des équipements techniques appropriés situés dans cet État membre ;

g)      dispose régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules remplissant les conditions visées au point e) et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de cet État membre, dans les deux cas en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise.

[...]” »

9.        L’article 2 du règlement 2020/1055 dispose :

« Le règlement (CE) nº 1072/2009 est modifié comme suit :

[...]

4)      L’article 8 est modifié comme suit :

a)      le paragraphe suivant est inséré :

“2 bis.      Les transporteurs ne sont pas autorisés à effectuer des transports de cabotage avec le même véhicule ou, s’il s’agit d’un ensemble de véhicules couplés, avec le véhicule à moteur de ce même véhicule dans le même État membre pendant quatre jours à compter de la fin du transport de cabotage effectué dans cet État membre.” ;

b)      au paragraphe 3, le premier alinéa est remplacé par le texte suivant :

“3.      Les transports nationaux de marchandises par route effectués dans l’État membre d’accueil par un transporteur non résident ne sont réputés conformes au présent règlement que si le transporteur peut apporter la preuve évidente du transport international qui a précédé ainsi que de chaque transport de cabotage qu’il a effectué par la suite. Si le véhicule a été présent sur le territoire de l’État membre d’accueil au cours de la période de quatre jours précédant le transport international, le transporteur apporte également la preuve irréfutable de tous les transports effectués au cours de ladite période.” ;

[...]

5)      L’article 10 est modifié comme suit :

[...]

b)      le paragraphe suivant est ajouté :

“7.      Outre les paragraphes 1 à 6 du présent article et par dérogation à l’article 4 de la directive 92/106/CEE, les États membres peuvent, lorsque cela est nécessaire pour éviter une utilisation abusive de cette dernière disposition par la fourniture de services illimités et continus consistant en des trajets routiers initiaux ou terminaux effectués dans un État membre d’accueil dans le cadre d’opérations de transports combinés entre États membres, prévoir que l’article 8 du présent règlement s’applique aux transporteurs lorsqu’ils effectuent de tels trajets routiers initiaux et/ou terminaux au sein dudit État membre. En ce qui concerne ces trajets routiers, les États membres peuvent prévoir une période plus longue que le délai de sept jours prévu à l’article 8, paragraphe 2, du présent règlement et une période plus courte que le délai de quatre jours prévu à l’article 8, paragraphe 2 bis, du présent règlement. L’application de l’article 8, paragraphe 4, du présent règlement à de telles opérations de transport est sans préjudice des exigences découlant de la directive 92/106/CEE. Les États membres recourant à la dérogation prévue au présent paragraphe en informent la Commission avant d’appliquer les mesures nationales pertinentes. Ils réexaminent ces mesures au moins tous les cinq ans et ils notifient les résultats de ce réexamen à la Commission. Ils publient les règles, y compris la durée des périodes respectives, de manière transparente.”


C.      La directive 2020/1057 (Paquet mobilité, volet « détachement des travailleurs »)

10.      L’article 1er de la directive 2020/1057, intitulé « Règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs », est libellé, en ce qui concerne ses paragraphes 1 à 7, comme suit :

« 1. Le présent article instaure des règles spécifiques en ce qui concerne certains aspects de la directive 96/71 relatifs au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et certains aspects de la directive 2014/67 relatifs aux exigences administratives et aux mesures de contrôle quant au détachement de ces conducteurs.

2. Ces règles spécifiques s’appliquent aux conducteurs employés par des entreprises établies dans un État membre prenant la mesure transnationale visée à l’article 1er, paragraphe 3, point a), de la directive 96/71.

3.       Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive 96/71 lorsqu’il effectue des opérations de transport bilatérales de marchandises.

Aux fins de la présente directive, une opération bilatérale de transport de marchandises consiste à faire circuler des marchandises, sur la base d’un contrat de transport, depuis l’État membre d’établissement, au sens de l’article 2, paragraphe 8, du règlement (CE) n° 1071/2009 vers un autre État membre ou vers un pays tiers, ou depuis un autre État membre ou un pays tiers vers l’État membre d’établissement.

À partir du 2 février 2022, qui est la date à partir de laquelle les conducteurs doivent, en vertu de l’article 34, paragraphe 7, du règlement (UE) n° 165/2014 [du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, relatif aux tachygraphes dans les transports routiers, abrogeant le règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route et modifiant le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, JO 2014, L 60, p. 1] enregistrer manuellement les données relatives au franchissement d’une frontière, les États membres appliquent également l’exemption pour les opérations de transport bilatérales de marchandises énoncée aux premier et deuxième alinéas du présent paragraphe lorsque le conducteur effectuant une opération de transport bilatérale procède en outre à une activité de chargement et/ou de déchargement dans les États membres ou pays tiers qu’il traverse, à condition de ne pas charger et décharger les marchandises dans le même État membre.

Si une opération de transport bilatérale démarrant dans l’État membre d’établissement, durant laquelle aucune activité supplémentaire n’est effectuée, est suivie d’une opération de transport bilatérale vers l’État membre d’établissement, l’exemption pour les activités supplémentaires énoncée au troisième alinéa s’applique à deux activités supplémentaires de chargement et/ou déchargement au maximum, dans les conditions fixées au troisième alinéa.

Les exemptions pour les activités supplémentaires énoncées aux troisième et quatrième alinéas du présent paragraphe s’appliquent uniquement jusqu’à la date à partir de laquelle les tachygraphes intelligents respectant l’obligation d’enregistrement des activités de franchissement des frontières et des activités supplémentaires visées à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 165/2014 doivent être installés dans les véhicules immatriculés dans un État membre pour la première fois, tel qu’il est précisé à l’article 8, paragraphe 1, quatrième alinéa, dudit règlement. À partir de cette date, les exemptions pour les activités supplémentaires énoncées aux troisième et quatrième alinéas du présent paragraphe s’appliquent uniquement aux conducteurs qui utilisent des véhicules équipés de tachygraphes intelligents, conformément aux articles 8, 9 et 10 dudit règlement.

4. Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71/CE, un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive 96/71/CE lorsqu’il effectue des opérations de transport bilatérales de voyageurs.

Aux fins de la présente directive, une opération de transport bilatérale effectuée dans le cadre d’un service occasionnel ou régulier de transport international de voyageurs, au sens du règlement n° 1073/2009, suppose qu’un conducteur réalise l’une des activités suivantes:

a)      prenne en charge des voyageurs dans l’État membre d’établissement et les dépose dans un autre État membre ou dans un pays tiers;

b)      prenne en charge des voyageurs dans un État membre ou dans un pays tiers et les dépose dans l’État membre d’établissement; ou

c)      prenne en charge et dépose des voyageurs dans l’État membre d’établissement afin d’effectuer des excursions locales dans un autre État membre ou dans un pays tiers, conformément au règlement (CE) n° 1073/2009.

À partir du 2 février 2022, qui est la date à partir de laquelle les conducteurs sont tenus, en vertu de l’article 34, paragraphe 7, du règlement (UE) n° 165/2014, d’enregistrer manuellement les données relatives au franchissement des frontières, les États membres appliquent l’exemption pour les opérations de transport bilatérales de voyageurs énoncée aux premier et deuxième alinéas du présent paragraphe également lorsque le conducteur qui effectue aussi une opération de transport bilatérale prend en charge des voyageurs à une seule occasion et/ou dépose des voyageurs à une seule occasion dans les États membres ou les pays tiers que le conducteur traverse, à condition qu’il ne propose pas de services de transport de voyageurs entre deux endroits dans l’État membre traversé. Cela s’applique aussi au voyage de retour.

L’exemption pour les activités supplémentaires énoncée au troisième alinéa du présent paragraphe s’applique uniquement jusqu’à la date à partir de laquelle les tachygraphes intelligents respectant l’exigence d’enregistrement des activités de franchissement des frontières et des activités supplémentaires visées à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (UE) n° 165/2014 doivent être installés dans les véhicules immatriculés dans un État membre pour la première fois, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, quatrième alinéa, dudit règlement. À partir de cette date, l’exemption pour les activités supplémentaires énoncée au troisième alinéa du présent paragraphe s’applique uniquement aux conducteurs qui utilisent des véhicules équipés de tachygraphes intelligents, conformément aux articles 8, 9 et 10 dudit règlement.

5.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71/CE, un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive 96/71/CE lorsqu’il transite sur le territoire d’un État membre sans effectuer de chargement ou de déchargement de marchandises et sans prendre ni déposer de voyageurs.

6.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71/CE, un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive 96/71/CE lorsqu’il effectue le trajet routier initial ou final d’une opération de transport combiné au sens de la directive 92/106/CEE du Conseil [du 7 décembre 1992 relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres, JO 1992, L 368, p. 38)] si le trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales au sens du paragraphe 3 du présent article.

7. Lorsqu’un conducteur effectue un transport de cabotage au sens des règlements (CE) n° s1072/2009 et 1073/2009, il est considéré comme détaché en vertu de la directive 96/71/CE. »

II.    Les antécédents du litige

11.      Le 31 mai 2017, la Commission européenne a adopté plusieurs propositions faisant partie d’un « train de mesures sur la mobilité » ayant pour objet de modifier certains aspects de la législation de l’Union applicable au secteur des transports. Parmi celles-ci figuraient, notamment, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier [COM (2017) 278 final, ci-après la « proposition de directive détachement »], la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, et le règlement (UE) no 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes [COM (2017) 277 final, ci-après la « proposition de règlement temps de travail »] et la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (CE) no 1071/2009, (CE) no 1072/2009 et (UE) no 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur du transport par route [COM (2017) 281 final, ci-après la « proposition de règlement établissement]. Ces propositions étaient accompagnées de deux analyses d’impact (6).

12.      À l’issue de longues discussions tant au sein du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne qu’entre ces deux institutions, un compromis a été trouvé sur les trois actes attaqués au cours de négociations menées les 11 et 12 décembre 2019 dans le cadre du trilogue interinstitutionnel entre le Conseil, le Parlement et la Commission.

13.      Le 7 avril 2020, lors du vote au sein du Conseil relatif à l’adoption de ces actes, ceux-ci ont recueilli le soutien d’une majorité qualifiée d’États membres, neuf d’entre eux, à savoir la République de Bulgarie, la République de Chypre, la République d’Estonie, la Hongrie, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Malte, la République de Pologne et la Roumanie s’étant cependant opposés à cette adoption.

14.      Le 15 juillet 2020, le Parlement et le Conseil ont adopté le texte final des trois actes attaqués.

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

15.      Dans l’affaire C‑541/20, la République de Lituanie, soutenue par la République de Lettonie et la Roumanie (7), demande à la Cour, premièrement, d’annuler, à titre principal, l’article 1er, point 6, sous d), et l’article 3 du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, le règlement dans son intégralité et, deuxièmement, d’annuler, à titre principal, l’article 1er, paragraphes 3 et 7, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, cette directive dans son intégralité.

16.      Dans l’affaire C‑542/20, la République de Lituanie, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie (8), conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, dans la mesure où il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009 et annuler l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

17.      Dans l’affaire C‑543/20, la République de Bulgarie, soutenue par la Roumanie et la République de Lettonie (9) demande à la Cour d’annuler, à titre principal, l’article 1er, point 6, sous c) et d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, le règlement dans son intégralité.

18.      Dans l’affaire C‑544/20, la République de Bulgarie, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie (10), demande à la Cour d’annuler la directive 2020/1057.

19.      Dans l’affaire C‑545/20, la République de Bulgarie, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie (11) conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, dans la mesure où il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009, ou, à titre subsidiaire, annuler ledit article 1er, point 3, dans son intégralité ; annuler l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ou, à titre subsidiaire, annuler ledit article 2, point 4, dans son intégralité ; à titre encore plus subsidiaire, annuler le règlement 2020/1055 dans son intégralité.

20.      Dans l’affaire C‑546/20, la Roumanie, soutenue par la République de Lettonie (12) demande à la Cour d’annuler, à titre principal, l’article 1er, point 6, sous c) et d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, le règlement dans son intégralité.

21.      Dans l’affaire C‑547/20, la Roumanie, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie et la République de Lituanie (13) conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, dans la mesure où il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009 ; annuler l’article 2, point 4, sous a), b) et c) de règlement 2020/1055 ; à titre subsidiaire, annuler le règlement 2020/1055 dans son intégralité.

22.      Dans l’affaire C‑548/20, la Roumanie, soutenue par la République d’Estonie et la République de Lettonie (14) demande à la Cour d’annuler, à titre principal, l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, cette directive dans son intégralité, dans le cas où la Cour jugerait que ces dispositions sont indissociables des autres dispositions de ladite directive.

23.      Dans l’affaire C‑549/20, la République de Chypre, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie (15) concluent à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, dans la mesure où il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009, ou, à titre subsidiaire, annuler cet article 1er, point 3, dans son intégralité ; à titre encore plus subsidiaire, annuler ledit règlement 2020/1055 dans son intégralité.

24.      Dans l’affaire C‑550/20, la République de Chypre, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie (16) demande à la Cour d’annuler la directive 2020/1057.

25.      Dans l’affaire C‑551/20, la Hongrie, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie (17), demande à la Cour, premièrement, d’annuler l’article 1er, point 6, sous c), et l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 ainsi que, le cas échéant, les dispositions de ce règlement qui leur sont indissociables ; deuxièmement, d’annuler l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, dans la mesure où il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement nº 1071/2009, ainsi que, le cas échéant, les dispositions de ce règlement qui lui sont indissociables, et, troisièmement, d’annuler, à titre principal, l’article 1er de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, l’article 1er, paragraphe 6, de celle-ci, ainsi que, le cas échéant, les dispositions de cette directive qui lui sont indissociables.

26.      Dans l’affaire C‑552/20, la République de Malte, soutenue par le Royaume de Belgique, la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie (18) conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, dans la mesure où il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement nº 1071/2009 et annuler l’article 2, point 4, du règlement 2020/1055 (19).

27.      Dans l’affaire C‑553/20, la République de Pologne, soutenue par la Roumanie et la République de Lettonie (20), demande à la Cour d’annuler, à titre principal, l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, le règlement dans son intégralité.

28.      Dans l’affaire C‑554/20, la République de Pologne, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie (21) demande à la Cour d’annuler l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il ajoute le paragraphe 1, sous b) et g), à l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009 ; d’annuler l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ; d’annuler l’article 2, point 5, sous b), de ce règlement, ou, à titre subsidiaire, d’annuler le règlement 2020/1055 dans son intégralité.

29.      Dans l’affaire C‑555/20, la République de Pologne, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie (22) demande à la Cour d’annuler l’article 1er, paragraphes 3, 4, 6 et 7, ainsi que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057, ou, à titre subsidiaire, cette directive dans son intégralité.

30.      Dans toutes ces affaires, les États membres requérants demandent à la Cour de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

31.      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter tous les recours susmentionnés, et de condamner les États membres requérants aux dépens.

32.      Par décisions des 13, 21, 22, 26, 27 et 29 avril 2021 ainsi que du 12 mai 2022, le président de la Cour a autorisé, respectivement, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Autriche, le Royaume de Suède, le Grand-Duché de Luxembourg, la République hellénique, le Royaume des Pays-Bas, la République française, le Royaume de Danemark et la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.

33.      La République de Bulgarie, la République de Chypre, la République de Lituanie, la Hongrie, la République de Malte, la République de Pologne, la Roumanie, la République d’Estonie, la République de Lettonie, d’une part, ainsi que le Conseil, le Parlement, la République française, la République italienne et le Royaume de Suède, d’autre part, ont été entendus en leurs plaidoiries orales lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour les 24 et 25 avril 2023.

34.      Par décision du Président den date du 13 octobre 2023, les affaires C-241/20 à C-555/20 ont été jointe conformément à l’article 54, paragraphe 2, du règlement de procédure.

IV.    Analyse

A.      Observations liminaires

35.      Les quinze recours introduits par les sept États membres requérants à l’encontre des trois actes attaqués touchent de manière transversale à un certain nombre de dispositions et de principes fondamentaux du droit de l’Union.

36.      Dans ce contexte, j’estime opportun d’effectuer, à titre liminaire, des considérations de caractère général sur ces dispositions et principes, à la lumière de la jurisprudence de la Cour. Sur la base de ces considérations, je développerai ensuite l’analyse desdits recours pour chacun des trois actes attaqués.

37.      Dans les paragraphes suivants, j’analyserai, d’abord, le régime juridique spécial dont relève le domaine des transports dans le cadre de la règlementation de l’Union en matière de marché intérieur. Ensuite, j’analyserai, respectivement, le principe de proportionnalité et les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination, tels que développés dans la jurisprudence de la Cour. Ces principes sont, en effet, invoqués à plusieurs reprises par différents États membres dans leurs recours. Enfin, j’effectuerai quelques considérations concernant les dispositions de droit de l’Union en matière d’environnement dont la violation a également été invoquée de manière transversale par plusieurs États membres requérants.

1.      Sur le régime juridique spécial des transports dans le marché intérieur

38.      Le domaine des transports, en particulier celui du transport routier, est un secteur crucial pour la société, pour l’économie et pour l’intégration européenne. Ni le droit de l’Union, ni la Cour ne fournissent une définition générale et exhaustive de la notion de « transport » (23). Néanmoins,  dans sa jurisprudence, la Cour se réfère au service de transport comme étant l’« acte physique de déplacement de personnes ou de marchandises d’un endroit à un autre grâce à un moyen de transport » (24).

39.      Le domaine des transports se caractérise par certaines spécificités propres à ce secteur économique qui justifient son assujettissement à un régime juridique spécial dans le cadre du marché intérieur (25).

40.      Dans le droit primaire de l’Union, la nécessité de tenir en considération les spécificités du domaine des transports se traduit, en premier lieu, par l’exigence imposée explicitement et de manière générale au législateur de l’Union par l’article 91, paragraphe 1, TFUE – qui constitue la base juridique pour l’implémentation de la politique commune des transports – de tenir compte des « aspects spéciaux » des transports dans la mise en œuvre de cette politique commune.

41.      D’autres dispositions relevant du titre VI de la troisième partie du traité FUE (articles 90 à 100) concernant la politique commune des transports – dispositions dont la violation est invoquée à différentes reprises par les États membres requérants – concrétisent, par ailleurs, certains aspects dont le législateur doit spécifiquement tenir compte dans le cadre de la mise en œuvre de cette politique. Ainsi, aux termes de l’article 91, paragraphe 2, TFUE lors de l’adoption de mesures relevant de ladite politique commune, il est tenu compte de l’affectation grave du niveau de vie et de l’emploi dans certaines régions, ainsi que de l’exploitation des équipements de transport et, aux termes de l’article 94 TFUE, dans l’adoption de mesures dans le domaine de prix et conditions de transport, il est tenu compte de la situation économique des transporteurs.

42.      Par ailleurs, dans sa jurisprudence constante, la Cour a reconnu que les traités laissent au législateur de l’Union un large pouvoir d’appréciation quant à l’objectif et aux moyens de la politique commune des transports (26) ainsi que pour adopter les mesures utiles en vue de cette politique commune (27).

43.      Dans ce contexte, il convient encore de mettre en exergue que l’article 91, paragraphe 1, TFUE distingue, à ses points a) et b), d’une part, entre transports internationaux et transports nationaux et, d’autre part, entre transporteurs résidents et transporteurs non‑résidents. Spécifiquement, alors que le point a) de ce paragraphe 1 prévoit l’adoption de « règles communes » applicables aux transports internationaux, la disposition du point b) dudit paragraphe prévoit simplement l’établissement de « conditions d’admission de transporteurs non‑résidents aux transports nationaux dans un État membre ». Le droit de l’Union prévoit donc au niveau du droit primaire une approche différente dans le cadre de la politique commune des transports entre la réglementation des transports internationaux et celle des transports nationaux.

44.      En second lieu, l’exigence de prendre en considération les spécificités propres au domaine des transports a conduit les auteurs du traité à attribuer à ce domaine un statut spécial dans le cadre de la réglementation du marché intérieur, en particulier au regard de la libre prestation des services (28).

45.      Ainsi, dans le domaine des transports, la libre circulation des services est régie non pas par la disposition de l’article 56 TFUE, qui concerne la libre prestation des services en général, mais par la disposition spécifique de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, aux termes de laquelle « [l]a libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports » (29).

46.      Il s’ensuit que, ainsi que la Cour l’a reconnu à plusieurs reprises dans sa jurisprudence, dans le domaine des transports, l’application des principes de liberté des prestations de services doit être réalisée, selon le traité FUE, par la mise en œuvre de la politique commune des transports (30). La libre prestation des services telle qu’elle est garantie par les articles 56 et 57 TFUE ne peut donc s’appliquer aux services de transport que dans la mesure où le droit dérivé l’a rendue applicable (31). Les services de transport non libéralisés doivent être, ainsi, exclus du champ d’application de l’article 56 TFUE (32).

47.      Les auteurs des traités n’ont pas assujetti, en revanche, les transports à aucun régime spécial en ce qui concerne la liberté d’établissement. En effet, ainsi que la Cour a eu l’occasion de le souligner explicitement, les dispositions du traité FUE en matière de liberté d’établissement s’appliquent directement aux transports (33).

48.      Il ressort des considérations qui précèdent que le statut spécial des transports dans le cadre de la réglementation de droit primaire du marché intérieur se distingue par la combinaison d’un droit d’établissement dans tout État membre fondé sur le traité FUE et d’un droit pour les transporteurs à la libre prestation de services de transport qui est garanti exclusivement dans la mesure où ce droit a été octroyé par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par le législateur de l’Union dans le cadre de la politique commune des transports.

49.      Or, en ce qui concerne spécifiquement le domaine du transport routier, l’action du législateur de l’Union en vue de réaliser la politique commune des transports, d’un côté, a visé à libéraliser le secteur et à soutenir l’achèvement du marché intérieur du transport routier, son efficacité et sa compétitivité. Alors que les opérations de transport international ont été entièrement libéralisées, le transport national est encore partiellement restreint pour les transporteurs non‑résidents par des restrictions sur les opérations de cabotage, en ligne avec le statut spécial dont disposent les transports en vertu du droit primaire établi par l’article 58, paragraphe 1, TFUE (34).

50.      Ce statut spécial limite ainsi la possibilité de fournir temporairement des services de transport routier dans un État membre autre que l’État membre d’établissement, tout en laissant, en revanche, pleinement ouverte la possibilité pour les ressortissants de tous les États membres de s’établir dans un autre État membre à titre permanent et d’y exercer la profession de transporteur routier aux mêmes conditions que les ressortissants dudit État membre.

51.      D’un autre côté, le législateur de l’Union a élaboré un vaste cadre de règles sociales pour les transporteurs routiers et les opérateurs de transport routier de voyageurs, visant, en particulier, à améliorer les conditions de travail des travailleurs mobiles dans le secteur du transport routier (à savoir les conducteurs), à améliorer la sécurité routière pour tous les usagers de la route et à garantir une concurrence loyale entre les transporteurs routiers dans le marché unique (35).

2.      Sur le principe de proportionnalité

a)      Sur le principe de proportionnalité, la large marge d’appréciation du législateur et le contrôle juridictionnel 

52.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (36). Ce principe est rappelé à l’article 5, paragraphe 4, TUE, ainsi qu’à l’article 1er du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé aux traités.

53.      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, la Cour a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation dans les domaines tels que la politique commune des transports (37), où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle‑ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (38).

54.      En outre, le large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base (39).

55.      Toutefois, même en présence d’un large pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs. En effet, en vertu de l’article 5 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé aux traités, les projets d’actes législatifs doivent tenir compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre (40).

56.      En ce qui concerne l’objet du contrôle juridictionnel à effectuer, la Cour a précisé qu’il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur de l’Union dans l’exercice d’une compétence impliquant des choix de nature politique, économique et sociale et des appréciations complexes (41). En effet, en vertu de la jurisprudence mentionnée aux points 53 à 55 ci-dessus, il incombe à la Cour de vérifier si le législateur de l’Union a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation qui lui revient s’agissant des appréciations et des évaluations complexes qu’il était appelé à effectuer, en optant pour des mesures manifestement inappropriées par rapport à l’objectif poursuivi (42).

57.      Ainsi, la Cour ne pourrait tout au plus censurer le choix normatif du législateur que s’il paraissait manifestement erroné ou si les inconvénients qui en résultent pour certains acteurs économiques étaient sans commune mesure avec les avantages qu’il présente par ailleurs (43).

58.      Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence constante que même un contrôle juridictionnel d’une portée limitée requiert que les institutions de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant la Cour que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Il en résulte que ces institutions doivent, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (44).

59.      Il revient toutefois au requérant de démontrer que les inconvénients qui résultent du choix normatif opéré par le législateur de l’Union sont disproportionnés par rapport aux avantages que celui-ci présente par ailleurs (45).

60.      En outre, le législateur de l’Union n’est pas tenu de prendre en considération la situation particulière d’un État membre lorsque l’acte de l’Union concerné a des conséquences dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis par cet acte, soit assuré. Dès lors, la recherche d’un tel équilibre, prenant en considération non pas la situation particulière d’un seul État membre mais celle de l’ensemble des États membres de l’Union, ne saurait, par elle-même, être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité (46).

b)      Sur les données à prendre en considération dans le processus législatif et sur l’analyse d’impact

61.      Dans plusieurs recours, les États membres requérants contestent l’absence ou l’insuffisance des analyses d’impact effectuées par la Commission (47) au regard des trois actes attaqués ou de certaines de leurs dispositions. La question de savoir si le législateur a pris en considération tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que l’acte a entendu régir et s’il devait effectuer ou compléter une analyse d’impact relève du principe de proportionnalité (48).

62.      Les règles concernant les analyses d’impact sont énoncées dans l’accord interinstitutionnel entre le Parlement, le Conseil et la Commission « Mieux légiférer », du 13 avril 2016 (49) (ci‑après l’« accord interinstitutionnel ») et spécifiquement dans la partie III de cet accord.

63.      Il résulte de cet accord que la Commission procédera à une analyse d’impact de ses initiatives législatives qui sont susceptibles d’avoir une incidence économique, environnementale ou sociale importante (50). L’élaboration d’analyses d’impact constitue ainsi une étape du processus législatif devant, en règle générale, intervenir dès lors qu’une initiative législative est susceptible d’avoir une telle incidence (51).

64.      Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, les dispositions de l’accord interinstitutionnel n’ont pas un caractère obligatoire (52). Bien que les analyses d’impact soient un outil important et utile dans le cadre du processus législatif, car elles facilitent l’élaboration d’une législation raisonnée et transparente, l’accord interinstitutionnel n’en fait pas, en toutes circonstances, une condition préalable pour proposer ou adopter une législation (53). À cet égard, la Cour a explicitement constaté qu’une obligation d’effectuer une telle analyse en toute circonstance ne résulte pas des termes de l’accord interinstitutionnel (54).

65.      Dans ce contexte, la Cour a relevé que l’omission d’une analyse d’impact ne saurait être qualifiée de violation du principe de proportionnalité lorsque le législateur de l’Union se trouve dans une situation particulière nécessitant d’en faire l’économie et dispose de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité d’une mesure adoptée (55).

66.      Quant à la portée de l’analyse d’impact, s’il ressort de l’accord interinstitutionnel et de la jurisprudence que le Parlement et le Conseil, lors de l’examen des propositions législatives de la Commission, tiennent pleinement compte des analyses d’impact de la Commission (56), la Cour a toutefois explicitement clarifié qu’une analyse d’impact ne lie ni le Parlement ni le Conseil (57). À cet égard il ressort de l’accord interinstitutionnel que le Parlement et le Conseil peuvent eux-mêmes, lorsqu’ils le jugent approprié et nécessaire, effectuer des analyses d’impact s’ils apportent des modifications substantielles à une proposition de la Commission (58).

67.      Il s’ensuit que le législateur de l’Union peut en principe agir également en l’absence d’une analyse d’impact (59) et que l’absence d’analyse d’impact n’entraîne pas automatiquement l’invalidité de la législation de droit de l’Union adoptée ultérieurement (60).

68.      Les considérations qui précèdent, développées dans le cas d’absence totale d’analyse d’impact au regard de l’adoption d’un acte législatif, valent, a fortiori, au regard de l’adoption d’une disposition spécifique d’un acte qui n’a pas fait, en tant que telle, l’objet de l’analyse d’impact accompagnant la proposition d’acte de la Commission.

69.      En effet, en ce qui concerne des mesures retenues par le législateur de l’Union qui ne figuraient pas parmi celles initialement envisagées par la Commission dans sa proposition d’acte législatif, la Cour a explicitement statué que ledit législateur reste libre d’adopter des mesures autres que celles qui ont fait l’objet de l’analyse d’impact et que, ainsi, le seul fait qu’il ait retenu une mesure différente et, le cas échéant, plus contraignante que celles envisagées par la Commission dans l’analyse d’impact n’est pas de nature à démontrer qu’il a manifestement dépassé les limites de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif visé (61).

70.      Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort des points 64 et 66 ci-dessus, les analyses d’impact sont des documents de la Commission qui exposent la solution privilégiée sur le plan politique par cette institution et ne lient pas le Parlement et le Conseil, ces derniers, en leur qualité de colégislateurs, sont libres, conformément à l’article 294 TFUE et dans les limites imposées par le respect du droit d’initiative de la Commission, de parvenir à une appréciation différente de la situation et, partant, d’adopter une position politique différente. Il s’ensuit que même lorsque le Parlement et le Conseil, s’écartant de la proposition de la Commission et de l’analyse d’impact qui la sous-tend, modifient des éléments substantiels de cette proposition, le fait qu’ils n’ont pas procédé à une actualisation de l’analyse d’impact n’entraîne pas automatiquement et nécessairement l’invalidité de la législation de droit de l’Union adoptée (62).

71.      Cela dit, ainsi qu’il ressort des points 58 et 65 ci-dessus, un exercice effectif du pouvoir d’appréciation par le législateur de l’Union suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir.

72.      Dans ce contexte, il ressort de la jurisprudence que la forme dans laquelle les données de base prises en compte par le législateur de l’Union sont répertoriées est dépourvue d’importance, de sorte que le législateur de l’Union peut tenir compte non seulement de l’analyse d’impact, mais également de toute autre source d’information (63).

73.      Toutefois, il ressort de la jurisprudence que pour exercer effectivement leur pouvoir d’appréciation, les colégislateurs doivent prendre en compte, au cours de la procédure législative, les données scientifiques et d’autres constatations devenues disponibles, y compris des documents scientifiques utilisés par les États membres lors des réunions du Conseil que ce dernier ne détient pas lui-même (64). Le législateur peut également tenir compte d’informations qui se trouvent dans le domaine public et qui sont accessibles à toute personne ou entreprise intéressée par le sujet en question (65).

74.      En outre, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que la validité d’un acte de l’Union doit être appréciée par rapport aux éléments dont le législateur de l’Union disposait au moment de l’adoption de la réglementation en cause (66).

3.      Sur les principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

75.      Dans plusieurs affaires, certains États membres font valoir que certaines des dispositions des trois actes attaqués ont été adoptées en violation du principe d’égalité de traitement et du principe de non‑discrimination.

76.      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, qui est désormais consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (67) et dont le principe de non‑discrimination énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte est une expression particulière (68).

77.      Selon la jurisprudence constante de la Cour, ledit principe général exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (69).

78.      Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (70).

79.      Le caractère comparable de situations différentes s’apprécie eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (71).

80.      Comme c’est le cas – ainsi qu’il ressort du point 53 ci-dessus – pour l’appréciation de la proportionnalité des mesures adoptées dans des domaines dans lesquels le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation, tel que le domaine de la politique des transports (72), la Cour a également reconnu, en ce qui concerne le respect du principe de l’égalité de traitement, un contrôle juridictionnel limité en ce qui concerne ces mesures, en précisant que, dans un tel contexte, le juge de l’Union ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur de l’Union, mais doit se limiter à examiner si celle-ci n’est pas entachée d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir normatif (73).

4.      Sur les dispositions de droit de l’Union concernant la politique en matière d’environnement 

81.      Certains des États membres requérants ont fait valoir, à plusieurs reprises dans leurs recours, que certaines des dispositions des trois actes attaqués auraient été adoptées en violation des dispositions de droit de l’Union concernant la politique en matière d’environnement. Ces États membres invoquent spécifiquement des violations de l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 11 et de l’article 191, paragraphe 1, TFUE, ainsi que de l’article 37 de la Charte.

82.      Il convient d’emblée de relever que la jurisprudence n’a eu de cesse de rappeler l’importance de l’objectif de protection de l’environnement qualifié d’« essentiel » (74) ainsi que son caractère transversal et fondamental (75).

83.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 191, paragraphe 1, TFUE définit la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement comme devant contribuer à la poursuite de la préservation, de la protection et de l’amélioration de la qualité de l’environnement, de la protection de la santé des personnes, de l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles et de la promotion sur le plan international de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et, en particulier, de la lutte contre le changement climatique.

84.      L’article 191, paragraphe 2, TFUE dispose que la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un « niveau de protection élevé », en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Dans le même sens, l’article 3, paragraphe 3, TUE prévoit que l’Union œuvre notamment pour un « niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (76).

85.      En outre, aux termes de l’article 191, paragraphe 3, TFUE, dans l’élaboration de sa politique dans le domaine de l’environnement, l’Union tient compte des données scientifiques disponibles du rapport coût/bénéfice de l’action ou de l’absence d’action ainsi que du développement économique et social de l’Union dans son ensemble et du développement équilibré de ses régions. L’article 192 TFUE détaille les conditions dans lesquelles l’Union peut agir en vue de la réalisation des objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement.

86.      L’article 11 TFUE prévoit, pour sa part, que « [l]es exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». En ce qui concerne la portée de l’article 11 TFUE, les parties ont abondamment cité et commenté les conclusions de l’avocat général Geelhoed (77) qui proposait une interprétation de l’article 6 TCE, auquel l’article 11 TFUE a succédé, sur laquelle il y aura lieu de revenir.

87.      Quant à l’article 37 de la Charte, celui-ci prévoit qu’un « niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

88.      L’article 52, paragraphe 2, de la Charte dispose que les droits reconnus par celle-ci qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ceux-ci. Tel est le cas de l’article 37 de la Charte qui repose, en substance, sur l’article 3, paragraphe 3, TUE et les articles 11 et 191 TFUE. Par conséquent, l’argumentation des États membres requérants relative à l’article 37 de la Charte doit être examinée à la lumière des conditions et des limites qui découlent de l’article 191 TFUE (78).

B.      Sur le règlement 2020/1054 (affaires C541/20, C543/20, C546/20, C551/20 et C553/20)

89.      Cinq États membres, à savoir la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20), la Hongrie (affaire C‑551/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) demandent à la Cour d’annuler plusieurs dispositions du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, ce règlement dans son intégralité. Leurs recours visent quatre dispositions dudit règlement.

90.      Premièrement, les recours de la République de Bulgarie, de la Roumanie et de la Hongrie visent l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, qui a modifié l’article 8, paragraphe 8, du règlement no 561/2006. Cette disposition interdit aux conducteurs routiers de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux et de repos hebdomadaire de plus de 45 heures dans le véhicule (ci‑après l’« interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine »).

91.      Deuxièmement, les recours de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie, de la Roumanie et de la République de Pologne visent l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 qui a introduit un nouveau paragraphe 8 bis dans l’article 8 du règlement no 561/2006. Cette disposition prévoit l’obligation pour les entreprises de transport routier d’organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de retourner, normalement, toutes les quatre semaines, au centre opérationnel de l’employeur auquel ils sont normalement rattachés, situé dans l’État membre d’établissement de leur employeur, pour y entamer leur temps de repos hebdomadaire ou de retourner à leur lieu de résidence (ci-après l’« obligation relative au retour des conducteurs »).

92.      Troisièmement, le recours introduit par la Hongrie vise aussi l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, qui a avancé la date d’entrée en vigueur de l’obligation d’installer des  tachygraphes intelligents de deuxième génération (ci-après les « tachygraphes V2 »).

93.      Quatrièmement, le recours de la République de Lituanie vise également l’article 3 du règlement 2020/1054. Cette disposition fixe la date d’entrée en vigueur de ce règlement au vingtième jour suivant sa publication (soit le 20 août 2020), sans prévoir de période transitoire pour l’entrée en vigueur de l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine et pour l’obligation relative au retour des conducteurs.

94.      Je commencerai mon analyse par l’examen des moyens soulevés pour contester la disposition du règlement 2020/1054 concernant l’obligation relative au retour des conducteurs. J’analyserai ensuite les moyens soulevés pour contester les autres dispositions de ce règlement.

1.      Sur les moyens concernant l’obligation relative au retour des conducteurs

95.      La République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) contestent l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 qui prévoit l’obligation relative au retour des conducteurs. Ces quatre États membres soulèvent plusieurs moyens à l’encontre de cette disposition.

96.      Avant d’analyser ces différents moyens, il convient d’examiner l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil dans l’affaire C‑543/20.

a)      Sur la recevabilité du recours dans l’affaire C543/20 en ce qui concerne l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 

1)      Arguments des parties

97.      Dans l’affaire C‑543/20, le Conseil soulève une exception d’irrecevabilité au regard du recours introduit par la République de Bulgarie en ce qu’il concerne l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. Selon le Conseil, en effet, le recours de cet État membre viserait non pas à mettre en cause la validité de ladite disposition, mais chercherait à clarifier l’interprétation exacte de celle-ci. Par ailleurs, ledit État membre affirmerait que, au cas où la disposition en cause devrait être interprétée d’une certaine manière, il n’y aurait pas lieu que la Cour examine les moyens contestant cette disposition. La République de Bulgarie utiliserait sa position privilégiée en vertu de l’article 263 TFUE pour attaquer des actes à la seule fin de clarifier leur signification, ce qui serait contraire à la ratio legis de cette disposition. Tout comme la Cour l’a jugé pour l’article 267 TFUE, l’article 263 TFUE ne devrait pas non plus être utilisé pour soulever des questions hypothétiques.

98.      La République de Bulgarie estime que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil devrait être rejetée.

2)      Analyse

99.      Il convient, d’emblée, de rappeler que selon une jurisprudence constante, l’objectif du recours en annulation prévu par l’article 263 TFUE est d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité (79).

100. En outre, conformément à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 120, sous c), du règlement de procédure, toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi que l’exposé sommaire des moyens. Il résulte de la jurisprudence que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle‑même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque (80).

101. En l’occurrence, il ressort explicitement des conclusions et du texte de la requête que, par son recours dans l’affaire C‑543/20, la République de Bulgarie demande, notamment, l’annulation de l’article 1er, paragraphe 6, sous d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, l’annulation intégrale dudit règlement. Cet État membre soulève plusieurs moyens à l’appui de sa demande d’annulation.

102. Cependant, ainsi que le met en exergue le Conseil, dans une partie préliminaire de son recours, la République de Bulgarie avance deux interprétations possibles de la disposition en cause. En effet, ledit État membre affirme, d’une part, que, si la Cour devait retenir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 doit être interprété en ce sens que les conducteurs sont tenus à rentrer à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’employeur auquel ils sont normalement rattachés, situé dans l’État membre d’établissement de leur employeur, alors cette disposition violerait leurs libertés fondamentales prévues par le traité FUE, ainsi que plusieurs principes de droit de l’Union. D’autre part, la République de Bulgarie affirme que, si la Cour devait, toutefois, retenir que ladite disposition ne crée pas une obligation pour les conducteurs de retourner auxdits deux lieux et que ceux-ci sont donc libres de choisir de prendre leur temps de repos où ils le veulent, alors il n’y aurait pas lieu d’examiner les moyens tirés desdites violations.

103. Dans ces conditions, j’estime que, ainsi qu’il ressort expressément des conclusions présentées par la République de Bulgarie, le recours introduit par cet État membre vise bien à mettre en cause la légalité de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 au titre de l’article 263 TFUE.

104. En outre, à la lecture de la requête, il n’y a, selon moi, pas de doute que la République de Bulgarie indique de façon claire et précise les moyens et les arguments qu’elle invoque à l’appui de cette demande d’annulation, ainsi que l’exposé sommaire des moyens invoqués à cette fin. Il s’ensuit que, à mon avis, les exigences prévues à l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour sont respectées.

105. La simple circonstance que, dans ce contexte, ledit État membre cherche à clarifier l’interprétation de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1 ne saurait, selon moi, amener à déclarer le recours irrecevable. En effet, conformément à l’objectif du recours d’annulation mentionné au point 2) des présentes conclusions, le contrôle de légalité au titre de l’article 263 TFUE implique nécessairement que le juge de l’Union, en exerçant sa compétence d’interprétation (81), interprète les dispositions dont l’annulation est demandée et en clarifie éventuellement la portée.

106. Ainsi, contrairement à ce que présuppose l’argumentation du Conseil, la détermination de la portée précise de l’obligation relative au retour des conducteurs, telle que prévue par l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, concerne non pas la recevabilité du recours, mais plutôt le bien-fondé de celui-ci.

107. Il s’ensuit, à mon avis, de ces considérations que le recours introduit par la République de Bulgarie dans l’affaire C‑543/20 en ce qui concerne l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 doit être considéré recevable.

108. Toutefois, il ressort de l’affirmation contenue dans le recours introduit par ledit État membre, mentionnée au point 102 ci-dessus, que si la Cour devait retenir une interprétation de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 selon laquelle cette disposition ne crée pas d’obligation pour les conducteurs de retourner à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel auquel ils sont normalement rattachés, situé dans l’État membre d’établissement de leur employeur, alors il ne serait plus nécessaire d’analyser au fond les moyens invoqués par la République de Bulgarie au regard de cette disposition.

109. Dans ces conditions, j’estime qu’il convient d’analyser d’abord les moyens invoqués par certains États membres tirés de ce que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 violerait le principe de sécurité juridique. Cette analyse permettra, en effet, de déterminer la portée précise de l’obligation relative au retour des conducteurs, telle que prévue par cette disposition.

b)      Sur la violation du principe de sécurité juridique

1)      Arguments des parties

110. Dans leurs recours, la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) font valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de sécurité juridique.

111. La République de Lituanie (82) fait valoir que le législateur n’a pas précisé de quelle manière la disposition prévoyant l’obligation relative au retour des conducteurs devrait être appliquée dans la pratique. Ainsi, ni les modalités du retour du conducteur, telles que les frais et la preuve du retour, ni celles d’un refus de retour et ses conséquences en termes de sanctions pour l’employeur et, le cas échéant, le travailleur ne seraient précisées. De même, l’expression « lieu de résidence » du conducteur ne serait pas clairement définie. En particulier, il ne serait pas clair si un conducteur de pays tiers doit retourner dans ce dernier ou dans le lieu de résidence temporaire de l’État membre concerné et, plus généralement, il serait incertain si cette expression vise l’État membre concerné ou une adresse précise du lieu de résidence. Toutes ces incertitudes rendraient impossible une application uniforme du règlement 2020/1054.

112. La République de Bulgarie soutient qu’un manque de clarté fondamental entoure l’interprétation exacte de ladite disposition et des obligations mises à la charge des conducteurs et des transporteurs. Ainsi, il ne serait pas clair : en premier lieu, si l’obligation relative au retour des conducteurs reste limitée aux deux lieux indiqués dans la même disposition (à savoir le centre opérationnel de l’entreprise ou le lieu de résidence du conducteur) ou si les conducteurs peuvent choisir un autre lieu ; en deuxième lieu, si cette obligation incombe aux conducteurs ou aux transporteurs, et, en troisième lieu, dans ce dernier cas, s’il s’agit d’une obligation de moyens ou de résultat. L’interprétation de la disposition en cause proposée par le Conseil et le Parlement dans leurs écritures contredirait les positions exprimées dans des documents antérieurs, tant par ces institutions que par la Commission. L’absence de sécurité juridique serait par ailleurs prouvée par l’interprétation de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 effectuée au niveau national. Ainsi, il ressortirait d’un rapport de la police belge que des sanctions auraient été infligées pour l’unique motif qu’un conducteur n’était pas rentré après 13 semaines, sans qu’il ait été apprécié s’il avait choisi de passer son temps de repos ailleurs (83).

113. La République de Pologne soutient, en premier lieu, que la nature même de l’obligation à la charge du transporteur prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne serait pas clairement définie. Il ne serait pas clair si l’entreprise est seulement tenue de fournir au conducteur un mode de transport afin qu’il puisse prendre son temps de repos dans un des lieux indiqués ou si – comme semblerait le suggérer le considérant 14 de ce règlement – elle devrait veiller à ce que le conducteur se rende effectivement dans un de ces lieux. Dans ce dernier cas, il ne serait pas clair de quelle façon le transporteur doit obliger le conducteur à recourir à la possibilité de retour qu’il lui offre, ni quel véhicule doit être utilisé à cet effet. Cette disposition risquerait ainsi d’imposer aux transporteurs des obligations dont ils ne seraient pas en mesure de s’acquitter sans violer la liberté individuelle des travailleurs.

114. En deuxième lieu, selon la République de Pologne, la question de savoir si le retour au lieu de résidence ne doit pas être précédé du retour au centre opérationnel susciterait des doutes. Il ne serait pas clair si, en permettant aux conducteurs de revenir directement à leur lieu de résidence, l’entreprise s’acquitterait de l’obligation de leur garantir un temps de repos, étant donné que les conducteurs « entament leur temps de repos hebdomadaire » au centre opérationnel.

115. En troisième lieu, selon la République de Pologne, le troisième alinéa de la disposition en cause soulèverait également des doutes. Ainsi, il ne serait pas clair si le tachygraphe dont les enregistrements constituent les éléments de preuve requis par cette disposition est celui du véhicule au moyen duquel le conducteur est retourné au centre opérationnel ou à son lieu de résidence ou celui du véhicule utilisé généralement par le conducteur. La disposition attaquée ne préciserait pas la durée de conservation des documents que, en vertu du considérant 14 du règlement 2020/1054, l’entreprise peut utiliser afin de démontrer le respect de l’obligation. La République de Pologne estime que le manque de précision entourant la disposition contenue dans cet alinéa empêche sa mise en exécution. Les règlements devraient déterminer avec une précision suffisante le contenu des mesures nationales d’application. Tel ne serait pas le cas en l’occurrence, la disposition en cause instaurant une marge d’appréciation trop étendue pour les autorités nationales. Les précisions apportées aux dispositions du règlement 2020/1054 par ces autorités conduiraient à des applications divergentes, accentuant l’état d’incertitude juridique, ce qui serait contraire à l’objectif de ce règlement de renforcer la sécurité juridique quant aux obligations incombant aux transporteurs afin d’assurer une application uniforme dans le marché intérieur.

116. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

117. Selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir des conséquences défavorables. Ledit principe exige notamment qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (84), en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (85).

118. Pour autant, les exigences de sécurité juridique ne sauraient être comprises comme s’opposant à ce que le législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une notion juridique abstraite, ni comme imposant qu’une telle norme abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur (86).

119. En outre, il n’est pas nécessaire qu’un acte législatif apporte lui‑même des précisions de nature technique, le législateur de l’Union pouvant recourir à un cadre juridique général qui est, le cas échéant, à préciser ultérieurement (87).

120. En conséquence, le fait qu’un acte législatif confère un pouvoir d’appréciation aux autorités chargées de sa mise en œuvre ne se heurte pas en soi à l’exigence de prévisibilité, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir une protection adéquate contre l’arbitraire (88).

121. En l’occurrence, dans le cadre de recours tels que ceux de la présente espèce, aucune situation concrète ne doit être appréciée et seules des situations hypothétiques sont considérées. Dans un tel cadre, en application de la jurisprudence mentionnée aux points précédents, afin d’apprécier la conformité d’une disposition avec le principe de sécurité juridique, il convient, selon moi, d’examiner si cette disposition souffre d’une ambiguïté telle qu’elle ferait obstacle à ce que ses destinataires ne puissent lever avec une certitude suffisante d’éventuels doutes sur sa portée ou son sens, de sorte qu’ils ne seraient pas en mesure de déterminer, sans équivoque, leurs droits et leurs obligations découlant de ladite disposition (89).

122. Il convient tout d’abord d’examiner les arguments tirés de ce que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne permettrait pas de comprendre, d’une part, si l’obligation relative au retour des conducteurs incombe aux conducteurs ou aux transporteurs et, d’autre part, si les conducteurs sont libres de choisir un lieu diffèrent du centre opérationnel de l’entreprise ou de leur lieu de résidence, pour entamer leurs temps de repos.

123. À cet égard il convient de rappeler que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, prévoit, à son premier alinéa, que « [l]es entreprises de transport organisent le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de retourner au centre opérationnel de l’employeur auquel ils sont normalement rattachés pour y entamer leur temps de repos hebdomadaire, situé dans l’État membre d’établissement de leur employeur, ou de retourner à leur lieu de résidence au cours de chaque période de quatre semaines consécutives, afin d’y passer au moins un temps de repos hebdomadaire normal ou un temps de repos hebdomadaire de plus de [45] heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire ».

124. En outre, conformément au deuxième alinéa de cette disposition, lu en combinaison avec l’article 1er, point 6, sous a), dudit règlement lorsqu’un conducteur a pris deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs, le conducteur doit être en mesure de rentrer la troisième semaine afin de prendre le temps de repos hebdomadaire normal compensatoire de plus de 45 heures.

125. Or, il ressort à mon avis clairement du libellé de ladite disposition, que celle-ci s’adresse non pas aux conducteurs, mais aux entreprises de transport en leur imposant d’organiser le travail des conducteurs afin que ceux-ci aient la possibilité, selon le cas, chaque trois ou quatre semaines, d’entamer leur temps de repos hebdomadaire normal soit au centre opérationnel de l’employeur, soit au lieu de résidence du conducteur.

126. Il s’ensuit que l’obligation découlant de la disposition en cause incombe sans doute aux transporteurs. Il s’agit d’une obligation d’organisation, dans le sens que le transporteur est obligé d’organiser le retour du conducteur à un des deux lieux indiqués, à savoir le centre opérationnel de l’entreprise ou le lieu de résidence du conducteur. En outre, il résulte du libellé de cette disposition que l’obligation mise à la charge de l’entreprise de transport est limitée à l’organisation du retour à un de ces deux lieux et qu’elle ne s’étend donc pas à d’autres lieux.

127. Dans ces conditions, l’obligation mise à la charge du transporteur par la disposition en cause n’a aucune incidence sur la liberté du conducteur de choisir le lieu dans lequel il entend entamer et passer son temps de repos. Selon la teneur de cette disposition, le conducteur doit avoir la possibilité de commencer son temps de repos hebdomadaire normal dans un de ces deux lieux, mais il n’est certainement pas tenu de le faire. Les conducteurs sont donc libres d’entamer et de passer leur temps de repos hebdomadaire normal à l’endroit où ils le souhaitent, cela n’ayant toutefois pas d’incidence sur l’obligation d’organisation mise à la charge de l’entreprise de transport.

128. La portée de la disposition en cause telle que décrite aux deux points précédents ne découle, d’ailleurs, pas seulement explicitement du libellé de celle-ci, mais elle est confirmée par le considérant 14 du règlement 2020/1054. Il ressort, en effet, expressément de ce considérant, d’une part, que ce sont « les entreprises de transport [qui] organisent » le travail du conducteur et qui ont des « obligations en ce qui concerne l’organisation du retour normal ». Ce considérant confirme ainsi que ladite obligation est mise à la charge du transporteur. D’autre part, il ressort dudit considérant que « [l]’organisation du retour devrait permettre aux conducteurs de rejoindre un centre opérationnel de l’entreprise de transport dans son État membre d’établissement ou leur lieu de résidence et d’être libres de choisir où passer leur temps de repos » (90). L’utilisation du terme « permettre » confirme également que ladite disposition ne prévoit qu’une possibilité et non pas une obligation pour les conducteurs.

129. Les considérations qui précèdent permettent également de répondre aux arguments avancés par les États membres quant au prétendu manque de clarté au regard de la nature de l’obligation. En effet, d’une part, en réponse aux doutes exprimés par la République de Bulgarie, il ressort de ce qui précède que l’obligation relative au retour des conducteurs est une obligation de résultat en ce qui concerne l’organisation du retour du conducteur, mais non pas en ce qui concerne le retour en tant que tel, le conducteur restant libre de choisir de ne pas retourner à un des deux lieux indiqués et d’entamer son temps de repos où il le souhaite.

130. D’autre part, en réponse au premier grief de la République de Pologne, il ressort de ces considérations que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’impose d’aucune manière aux transporteurs d’obliger le conducteur de recourir à la possibilité de retour qui lui est offerte et donc n’impose pas des obligations dont ceux‑ci ne seraient pas en mesure de s’acquitter sans violer le droit fondamental des conducteurs à la liberté individuelle.

131. Il s’ensuit également desdites considérations que, contrairement à ce qu’envisage la République de Lituanie, il ne saurait y avoir de sanctions à la charge du conducteur en cas de refus d’effectuer le retour. Il ne saurait y avoir non plus de sanction pour le transporteur en cas de non‑retour du conducteur, si ledit transporteur a satisfait à l’obligation d’organisation mise à sa charge.

132. En outre, ainsi que le relèvent tant la République de Lituanie que la République de Pologne, l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne spécifie ni les modalités de retour du conducteur, ni le moyen de transport que le conducteur utilise pour le retour. Toutefois, ce choix du législateur ne crée pas d’insécurité juridique, mais vise à laisser aux transporteurs la flexibilité nécessaire pour organiser le retour du conducteur dans la manière la plus raisonnable en termes de coûts compte tenus des besoins de l’entreprise et de ses modalités organisationnelles.

133. Par son deuxième grief, la République de Pologne soutient aussi qu’il ne serait pas clair si le retour au lieu de résidence doit être précédé du retour au centre opérationnel. À cet égard, il convient de relever que, en vertu de la teneur de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il est possible que l’employeur s’acquitte de son obligation de rendre le retour du conducteur en demandant au conducteur de retourner à son centre d’exploitation dans l’État membre d’établissement. Dans le cadre du contrat de travail, l’entreprise de transport, en tant qu’employeur, peut toujours obliger le conducteur à retourner au centre opérationnel pendant ses heures de travail (91), avant que celui-ci entame son temps de repos.

134. À cet égard, il convient de relever, premièrement, que le rapport de subordination entre transporteur et conducteur est réglé par le droit national du travail applicable audit contrat de travail. C’est donc conformément à ce droit qu’il convient de déterminer les modalités de subordination. Deuxièmement, le règlement 2020/1054 n’interdit pas que l’employeur oblige le conducteur à retourner au centre opérationnel pour autant qu’une telle obligation soit imposée pendant le temps de travail et n’empiète pas sur les temps de repos du conducteur. Cette obligation toutefois ne porte pas atteinte au droit du conducteur de choisir le lieu où il souhaite passer son temps de repos. Troisièmement, l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’impose pas au transporteur d’obliger le conducteur à retourner au centre opérationnel pour pouvoir satisfaire à l’obligation relative au retour des conducteurs. Ladite disposition utilise le terme « ou » et non la locution « et ». Elle laisse au transporteur la flexibilité quant au choix de l’une ou de l’autre destination y mentionnées.

135. En ce qui concerne le grief de la République de Lituanie selon lequel l’expression lieu de résidence ne serait pas clairement défini, il suffit de relever qu’il ressort d’une jurisprudence constante que le lieu de résidence correspond au lieu où se trouve le centre habituel des intérêts de la personne concernée (92). Il découle de cette définition que la notion de « résidence » fait référence à un lieu précis et ne vise pas le territoire d’un État membre dans son entièreté, comme envisagée par ledit État membre. En ce qui concerne la situation spécifique des conducteurs de pays tiers, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 118 ci-dessus et des considérations développés aux points 142 et 143 ci-dessous, on ne saurait soutenir que le fait que la disposition en cause ne règle pas cette situation impliquerait une violation du principe de sécurité juridique. Cette situation peut être réglée au niveau national. En tout état de cause, il n’apparaît pas raisonnable d’étendre l’obligation de retour à la charge des transporteurs jusqu’à leur imposer des retours en dehors de l’Union européenne. À cet égard, je rappelle que, ainsi que je l’ai mis en évidence au point précèdent, il est loisible à l’entreprise de transport de choisir entre les deux lieux indiqués dans la disposition en cause, de sorte que si le retour au lieu de résidence devait apparaître comme économiquement non viable, ladite entreprise pourra toujours s’acquitter de l’obligation en organisant le retour au centre opérationnel.

136. Dans son troisième grief, la République de Pologne fait valoir un manque de clarté du troisième alinéa de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 concernant la manière dont les transporteurs doivent démontrer qu’ils remplissent leur obligation relative au retour des conducteurs prévue aux alinéas précédents.

137. À cet égard, je rappelle que le troisième aliéna de ladite disposition dispose que l’« entreprise documente la manière dont elle s’acquitte de cette obligation et conserve cette documentation dans ses locaux afin de la présenter à la demande des autorités de contrôle ».

138. Sur ce point, le considérant 14 du règlement 2020/1054 spécifie que, « [a]fin de démontrer qu’elle remplit ses obligations en ce qui concerne l’organisation du retour normal, l’entreprise de transport devrait être en mesure d’utiliser les enregistrements du tachygraphe, les registres de service des conducteurs ou d’autres documents. Ces éléments de preuve devraient être disponibles dans les locaux des entreprises de transport pour présentation sur demande des autorités de contrôle ».

139. La République de Pologne fait valoir, en substance, que le manque de précision entourant la disposition contenue dans ce troisième alinéa empêcherait les entreprises de transport de la mettre en exécution. Ledit État membre met en exergue en particulier des doutes concernant les enregistrements du tachygraphe qui peuvent être utilisés pour documenter le respect de l’obligation de retour du conducteur, ainsi que le manque de détermination de la durée de conservation des documents qui peuvent prouver ledit respect.

140. Toutefois, il résulte de la lecture de la disposition mise en cause, interprétée à la lumière de la partie pertinente du considérant 14 du règlement 2020/1054, que le législateur de l’Union a entendu offrir aux transporteurs une marge de flexibilité en leur donnant la possibilité de prouver le respect de l’obligation relative au retour des conducteurs en utilisant toute documentation pertinente à cet effet. Cette flexibilité concernant la manière de prouver le respect de ladite obligation est d’ailleurs cohérente avec la flexibilité que, ainsi qu’il ressort du point 132 ci-dessus, le législateur de l’Union a offert aux transporteurs pour organiser le retour du conducteur aux transporteurs dans la manière la plus raisonnable en termes économiques et organisationnels.

141. À cet égard, la circonstance que le troisième alinéa de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne précise pas la manière dont les transporteurs doivent démontrer qu’ils remplissent leur obligation relative au retour des conducteurs ne signifie pas que cette disposition méconnaît le principe de sécurité juridique.

142. En effet, premièrement, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 118 à 120 ci-dessus, les exigences du principe de sécurité juridique ne sauraient être comprises comme imposant qu’une norme mentionne toujours les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur. Une disposition telle que celle du troisième alinéa de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 qui s’applique à une multitude de situations différentes ne peut ni ne doit préciser dans le détail toutes les situations à laquelle elle s’applique.

143. Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence que les États membres peuvent adopter des mesures d’application d’un règlement alors même que celui-ci ne les y habilite pas expressément, s’ils n’entravent pas son applicabilité directe, s’ils ne dissimulent pas sa nature d’acte de droit de l’Union et s’ils précisent l’exercice de la marge d’appréciation qui leur est conférée par ce règlement tout en restant dans les limites de ses dispositions (93). Il s’ensuit que, dans ces limites, les États membres, s’ils estiment nécessaire d’intégrer cette disposition et de fournir plus d’indications aux transporteurs, pourront le faire, tout en respectant toutefois la flexibilité que celle-ci leur donne quant à la manière de prouver le respect de l’obligation relative au retour des conducteurs.

144. Troisièmement, en l’absence de réglementation précise au niveau de l’Union ou au niveau national au regard de la manière dont les transporteurs doivent démontrer qu’ils remplissent leur obligation relative au retour des conducteurs, il appartient aux transporteurs eux-mêmes de choisir, dans le cadre de la flexibilité offerte par le législateur de l’Union, la méthode fiable susceptible d’assurer le respect de l’exigence de preuve découlant de ladite disposition (94).

145. Quant, ensuite, à l’argument de la République de Bulgarie selon lequel l’interprétation proposée par le Conseil et le Parlement dans leurs écritures devant la Cour serait différente par rapport à celle qu’ils auraient proposé dans des actes antérieurs, ledit État membre se réfère à des actes intermédiaires adoptés par ces institutions pendant la procédure législative dont l’objectif est uniquement de préparer l’adoption d’un acte final sans fixer définitivement la position de l’institution en cause (95) et qui donc ne sauraient créer aucune insécurité juridique. De même, les documents intitulés « Questions et réponses sur la mise en œuvre du train des mesures sur la mobilité », publié par la Commission sur le site Internet de la DG « Mobilité et des transports » de cette institution, auquel se sont référés tant la République de Bulgarie que la République de Pologne, ne revêtent pas un caractère juridiquement contraignant (96) et ne sauraient, ainsi, démontrer que la disposition contestée ne respecte pas les exigences de sécurité juridique.

146. Enfin, en ce qui concerne les interprétations de la disposition en cause effectuées au niveau national et invoquées par la République de Lituanie et par la République de Bulgarie, ainsi que le rapport de la police belge produit en tant que preuve du manque de sécurité juridique par la République de Bulgarie, il convient de relever, d’une part, que, en l’absence d’autres éléments, les informations fournies par lesdits États membres et, en particulier, ce dernier document ne permettent pas d’établir si, dans les cas cités, les amendes ont été imposées sur la base d’une interprétation correcte ou erronée de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. D’autre part, même si, dans les cas cités, des amendes avaient été imposées sur la base d’une lecture incorrecte de cette disposition, une éventuelle application erronée de la disposition en cause ne saurait aucunement démontrer, en tant que telle, un manque de sécurité juridique. En effet, il pourrait s’agir de simples erreurs commises par les autorités nationales dans l’application de cette disposition, qui pourraient être rectifiées en utilisant les voies de recours mises à disposition dans les ordres juridiques nationaux en question.

147. Il découle de tout ce qui précède que, selon moi, les moyens soulevés par la République de Lituanie, la République de Bulgarie et la République de Pologne tirés de la violation du principe de sécurité juridique par l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 doivent être rejetés.

148. Il résulte également de l’interprétation de l’obligation relative au retour des conducteurs, prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, qui a été retenue aux points 125 à 129 ci-dessus, que, conformément à ce qui a été relevé aux points 102 et 108 ci-dessus, il ne sera, à mon avis, pas nécessaire pour la Cour d’analyser au fond les autres moyens invoqués par la République de Bulgarie au regard de cette disposition du règlement 2020/1054.

149. De même, la République de Lituanie tant dans son mémoire en réplique (97) que lors de l’audience, apparaît avoir limité la portée de son recours contre ladite disposition juste au cas où la Cour devrait juger que celle-ci impose une obligation de retour à la charge des conducteurs, ce qui, ainsi qu’il a été relevé aux points précédents des présentes conclusions n’est pas le cas. Dans ces conditions, j’estime que la Cour ne devrait pas non plus analyser au fond les autres moyens invoqués par la République de Lituanie au regard de cette même disposition du règlement 2020/1054.

150. Par conséquent, dans la suite de ces conclusions, j’analyserai les moyens soulevés par ces deux États membres à l’encontre de la disposition en cause seulement à titre subsidiaire.

c)      Sur la violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE 

1)      Arguments des parties

151. Dans leurs recours, la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République Bulgarie (affaire C‑543/20) et la Roumanie (affaire C‑546/20), soutenues à cet égard par la République de Lettonie, font valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 viole plusieurs libertés fondamentales garanties par le traité FUE.

152. En premier lieu, la République de Lituanie soutient que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, en ce qu’il impose le retour obligatoire des conducteurs à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’entreprise, sans prévoir la possibilité pour les conducteurs de choisir eux‑mêmes où ils veulent passer leur temps de repos, enfreint la libre circulation des travailleurs prévue à l’article 45 TFUE et le droit des conducteurs à disposer librement de leur temps de repos. De même, la République de Lituanie fait valoir une violation de l’article 26 TFUE. Dans le même sens, la République de Bulgarie fait valoir la violation de l’article 21, paragraphe 1, de l’article 45 TFUE, ainsi que de l’article 45, paragraphe 1, de la Charte.

153. En second lieu, la Roumanie, soutenue à cet égard par la République de Lettonie, fait valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 restreint de manière injustifiée la liberté d’établissement et viole ainsi l’article 49 TFUE.

154. Selon la Roumanie, cette disposition entraîne pour les transporteurs routiers, d’une part, de nouvelles obligations administratives concernant la preuve du retour régulier des conducteurs et, d’autre part, une augmentation des coûts et une perte de recettes. En effet, au-delà des coûts additionnels que le respect des nouvelles exigences de preuve engendrerait, les transporteurs devraient supporter les coûts des déplacements effectués par les conducteurs, ainsi qu’une baisse des recettes au regard des périodes durant lesquelles les conducteurs n’exercent aucune activité lucrative en raison de leur retour, normalement à vide. La plupart des transporteurs routiers étant des petites ou moyennes entreprises (PME), la nécessité de respecter ladite disposition aurait des répercussions encore plus importantes.

155. Il s’ensuivrait que la création d’une entreprise dans un État situé à la périphérie géographique de l’Union s’avèrerait moins rentable que la création d’une entreprise dans un État d’Europe centrale et occidentale, et cela au regard des coûts des déplacements effectués sur des milliers de kilomètres supplémentaires toutes les quatre semaines pour organiser le retour depuis les pays dans lesquels se concentre la demande de transports, ainsi que desdits coûts administratifs additionnels et des pertes de recettes susmentionnées.

156. Ainsi, l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, en particulier en ce qu’il donne lieu à des coûts différenciés en fonction des États membres, d’une part, inciterait les transporteurs établis dans les États membres à la périphérie géographique de l’Union à créer des filiales ou succursales, voire à délocaliser leur activité, dans les États membres d’Europe centrale et occidentale. Or, cette délocalisation ne résulterait pas d’un véritable choix des entreprises. Ces dernières seraient contraintes, au regard des nouvelles conditions, de se délocaliser. D’autre part, cette disposition aurait un effet dissuasif sur les opérateurs établis dans les États membres d’Europe centrale et occidentale concernant la création de sociétés dans les États membres à la périphérie géographique de l’Union. Bien qu’étant indistinctement applicable, ladite disposition affecterait ainsi l’accès au marché pour les entreprises d’autres États membres.

157. Dans le cadre de ses arguments tirés de la violation du principe de proportionnalité, la Roumanie fait également valoir que l’obligation pour les transporteurs d’organiser leur activité de telle sorte que les temps de repos soient pris conformément aux exigences découlant de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 serait susceptible d’entraîner des restrictions injustifiées à la libre prestation des services.

158. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

159. Il convient d’emblée de relever que la Cour a jugé que l’interdiction des restrictions aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions de l’Union (98).

160. Il s’ensuit que la mesure en cause, à savoir l’obligation relative au retour des conducteurs, prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, doit respecter les dispositions du traité FUE invoquées par les États membres requérants.

161. En ce qui concerne, tout d’abord, les moyens tiré de la violation des articles 26 et 45 TFUE soulevés par la République de Lituanie et les moyens tirés de la violation de l’article 21, paragraphe 1, de l’article 45 TFUE, ainsi que de l’article 45, paragraphe 1, de la Charte soulevés par la République de Bulgarie, ils se fondent tous explicitement sur une lecture de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 selon laquelle cette disposition impose le retour obligatoire des conducteurs à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’entreprise, sans prévoir la possibilité pour les conducteurs de choisir eux‑mêmes où ils veulent passer leur temps de repos. Or, il ressort des points 125 à 129 ci-dessus que celle-ci n’est pas la portée de ladite disposition. Il s’ensuit que, étant basés sur une lecture erronée de la disposition en cause, lesdits moyens doivent être tous rejetés comme étant non fondés.

162. En ce qui concerne, ensuite, le moyen soulevé par la Roumanie tiré de la violation de l’article 49 TFUE, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme étant des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE (99).

163. En particulier, la notion de « restriction » (ou d’entrave) va au-delà de la discrimination fondée sur la nationalité et couvre les mesures qui, quoique indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les opérateurs économiques des États membres et entravent ainsi le commerce intracommunautaire (100). Une telle restriction existe, notamment, si l’accès au marché dans l’État membre d’accueil est rendu plus difficile par la mesure en cause (101) ou si les opérateurs économiques sont privés de la possibilité d’accéder au marché de cet État membre d’accueil dans des conditions de concurrence normales et efficaces (102).

164. En outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, la liberté d’établissement se distingue de la libre prestation des services d’abord et avant tout par la stabilité et la continuité de l’activité en cause, par opposition à une activité de nature temporaire (103).

165. La notion d’« établissement », au sens des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement, implique l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable dans l’État membre d’accueil pour une durée indéterminée. Elle suppose par conséquent une implantation réelle de l’opérateur concerné dans cet État membre et l’exercice d’une activité économique effective dans celui-ci (104).

166. Enfin, selon une jurisprudence bien établie, une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise qu’à la condition, en premier lieu, d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elle soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (105).

167. En l’occurrence, il est constant que la disposition prévoyant l’obligation relative au retour des conducteurs s’applique indistinctement à toute entreprise de transport qui effectue des transports par route relevant du champ d’application du règlement nº 561/2006 (106).

168. Cette disposition, en tant que telle, ne règle pas ni ne limite d’aucune manière la liberté d’opérateurs économiques établis dans un État membre de s’établir dans un autre État membre, par exemple en créant des agences ou d’autres établissements sur ce territoire.

169. Le droit de s’établir, le cas échéant, par la création de filiales, dans tout État membre de son choix afin d’organiser de manière optimale le travail en conformité avec l’obligation relative au retour des conducteurs est en revanche garanti à toute entreprise de transport par l’article 49 TFUE qui, ainsi qu’il ressort du point 47 ci-dessus s’applique directement au secteur des transports routiers et qui a été mis en œuvre, dans ce secteur, par le règlement nº 1071/2009.

170. Par ailleurs, la Roumanie confirme elle-même que cette disposition ne restreint pas la possibilité pour les entreprises de transport d’un État membre de s’établir dans un autre État membre lorsqu’elle allègue, dans le cadre de son argumentation, que cette obligation conduira les entreprises de transport établies en Roumanie à créer des filiales et succursales dans d’autres États membres.

171. Néanmoins, ledit État membre soutient que ladite obligation est susceptible d’infliger aux transporteurs des coûts différenciés en fonction des États membres ce qui, d’une part, forcerait les transporteurs établis dans les États membres périphériques de l’Union à se délocaliser dans les États membres d’Europe centrale et occidental et, d’autre part, aurait un effet dissuasif sur les opérateurs établis dans ces derniers États membres à s’établir dans les États membres périphériques. Il s’ensuivrait que cette même obligation rendrait plus difficile l’accès au marché d’autres États membres par ces établissements.

172. À cet égard, je relève, que, bien qu’elle s’applique indistinctement aux entreprises effectuant du transport routier dans le sens indiqué au point 167 ci-dessus, il est indubitable que l’obligation relative au retour des conducteurs est susceptible d’exercer une incidence plus importante sur les entreprises de transport dont les conducteurs effectuent pendant une longue durée des trajets loin de leur lieu d’affectation ou de résidence.

173. Toutefois, à mon avis, cette constatation n’implique aucunement que la disposition en cause violerait leur liberté d’établissement aux termes de l’article 49 TFUE en privant ces entreprises de la possibilité d’accéder aux marchés d’autres États membres dans des conditions de concurrence normales et efficaces, comme indiqué dans la jurisprudence mentionnée au point 163 ci-dessus.

174. En fait, comme l’a relevé à juste titre le Conseil, les désavantages organisationnels, administratifs et économiques découlant de l’obligation relative au retour des conducteurs que la Roumanie invoque dans le cadre de son argumentation – à savoir les coûts des déplacements effectués par les conducteurs pour leur retour, les éventuelles pertes de recettes et les charges et coûts administratifs additionnels – sont plutôt la conséquence, du fait qu’une entreprise de transport a choisi, pour des raisons commerciales qui lui sont propres, de s’établir dans un État membre à la périphérie de l’Union tout en exerçant, toutefois, en permanence ou majoritairement, ses activités dans d’autres États membres lointains où elle y fournit l’essentiel de ses services de transport.

175. Toutefois, la disposition en cause ne limite aucunement la liberté de cette entreprise de s’établir dans ces États membres, en s’y implantant et en y exerçant de manière effective l’activité de transporteur au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée. En effet, en dépit de ladite obligation, ces entreprises restent toujours libres, s’ils le souhaitent, de s’établir dans tout État membre de leur choix. Tout au plus, cette disposition est susceptible de rendre moins attrayant un modèle économique tel que celui indiqué au point précèdent.

176. Or, même à considérer que ladite disposition était susceptible de rendre moins attrayante la prestation des services de transport relevant du modèle économique susmentionné, cela ne comporterait pas une violation des règles du traité FUE en matière de libertés fondamentales. En effet, ainsi qu’il a été relevé en détail aux points 44 et suivants ci-dessus, la libre prestation des services dans le domaine des transports est assujettie à un régime spécial. Les transporteurs disposent d’un droit à la libre prestation de services de transport (en l’espèce, routier) exclusivement dans la mesure où ce droit a été octroyé par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par le législateur de l’Union dans le cadre de la politique commune des transports.

177. Dans ces conditions, le législateur de l’Union est tout à fait en droit, en adaptant un acte législatif afin d’accroître la protection sociale des travailleurs concernées, de modifier les conditions dans lesquelles s’exercent la libre prestation des services dans le domaine du transport routier, dès lors que le degré de libéralisation, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, est déterminé non directement par l’article 56 TFUE, mais par le législateur de l’Union lui-même dans le cadre de la mise en œuvre de la politique commune des transports, ainsi qu’il a été exposé aux points 45 et 46 ci-dessus.

178. À cet égard, je relève que la Cour a déjà mis en exergue que, en matière de liberté de circulation, notamment, des services, les mesures adoptées par le législateur de l’Union peuvent non seulement avoir pour objectif de faciliter l’exercice de cette liberté, mais peuvent également viser à assurer, le cas échéant, la protection d’autres intérêts fondamentaux reconnus par l’Union que cette liberté peut affecter (107).

179. Dans ce contexte, je relève en particulier l’article 9 TFUE aux termes duquel, dans la définition et dans la mise en œuvre de ses politiques et actions, le législateur prend en compte la garantie d’une protection sociale adéquate.

180. Il s’ensuit que, dans le cadre des mesures adoptées pour la mise en œuvre de la politique commune des transports, le législateur de l’Union peut bien, afin de contrecarrer la dégradation des conditions de travail pour les conducteurs résultant d’un modèle d’organisation économique tel que le modèle mentionné au point 174 ci-dessus, adopter des mesures visant à assurer une protection sociale adéquate à ces conducteurs, sachant que le législateur de l’Union est en droit de pondérer les intérêts en présence, dans le respect du principe de proportionnalité. La question du respect de ce principe est adressée dans la section suivante.

181. Il découle de toutes les considérations qui précédent que, à mon avis, contrairement à ce que soutient la Roumanie, l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne viole ni l’article 49 TFUE ni les dispositions du traité FUE en matière de libre prestation des services. Par conséquent, tous les moyens soulevés par les États membres requérants tirés de la violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE doivent être rejetés.

d)      Sur la violation du principe de proportionnalité

182. Dans leurs recours, la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) soutiennent que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité définies à l’article 5, paragraphe 4, TUE.

183. Ces quatre États membres, d’une part, contestent la proportionnalité en tant que telle de l’obligation relative au retour des conducteurs, prévue à cette disposition. Ils font, en particulier, valoir que cette mesure est manifestement inappropriée à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et va au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser ces objectifs déclarés.

184. D’autre part, la Roumanie et la République de Pologne contestent également l’examen effectué par le législateur de l’Union de la proportionnalité et, en particulier, l’absence d’une analyse d’impact sur la version finale de ladite disposition telle qu’elle a finalement été adoptée.

185. Il convient d’analyser séparément ces deux aspects.

1)      Sur les moyens relatifs à la proportionnalité de l’obligation relative au retour des conducteurs

i)      Arguments des parties

186. En premier lieu, selon la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, l’obligation relative au retour des conducteurs ne serait pas conforme au principe de proportionnalité eu égard aux répercussions négatives qu’elle aurait sur les conducteurs.

187. Premièrement, ces quatre États membres font valoir que l’obligation relative au retour des conducteurs violerait le principe de proportionnalité en ce que, en limitant le droit de ceux‑ci de choisir eux‑mêmes où ils entendent passer leur temps de repos et en affectant ainsi leur liberté de circulation, elle serait une mesure manifestement inappropriée, allant au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif d’améliorer les conditions de repos des travailleurs. Dans ce cadre, la République de Pologne soutient que cette obligation serait ainsi contraire à l’article 4, sous f), du règlement no 561/2006, aux termes duquel on entend par «“repos” : toute période ininterrompue pendant laquelle un conducteur peut disposer librement de son temps ». La République de Pologne fait ensuite également valoir que le législateur de l’Union aurait déterminé de manière arbitraire, dans la disposition en cause, les lieux où les conducteurs sont tenus de prendre leur repos.

188. Deuxièmement, lesdits quatre États membres font valoir que l’obligation relative au retour des conducteurs impliquerait un nombre plus élevé de déplacements qui causerait de la fatigue aux conducteurs, lesquels seraient tenus de retourner dans les États membres situés à la périphérie géographique de l’Union. Le déséquilibre pour le conducteur créé par cette obligation affecterait leur santé et leur capacité de travail, eu égard à l’épuisement que leur causerait le rythme intensif des retours. Cette situation aurait des conséquences négatives également pour la sécurité routière. Il s’ensuivrait que la mesure en cause ne serait pas appropriée pour atteindre les objectifs du règlement 2020/1054 d’améliorer les conditions de travail des conducteurs dans l’Union et la sécurité routière.

189. Troisièmement, la Roumanie fait valoir que bien que l’un des objectifs du règlement 2020/1054, ainsi qu’il ressort de son considérant 1, soit d’attirer des travailleurs qualifiés dans le domaine des transports routiers, en raison de la délocalisation forcée des entreprises de transport à cause des coûts liés à la nouvelle obligation, un nombre important d’entre eux risqueraient en réalité de perdre leur emploi ou de devoir émigrer dans un autre État membre afin de pouvoir continuer à exercer l’activité pour laquelle ils sont qualifiés. Selon des informations dont dispose la Roumanie, plus de 45 % des entreprises de transport en Roumanie envisagent de créer des sociétés ou des filiales, ou de délocaliser leur activité dans d’autres États d’Europe occidentale afin d’atténuer les effets négatifs des mesures du premier train sur la mobilité. Ces effets négatifs se produiraient dans un secteur d’importance cruciale pour l’économie nationale, les services de transport routier de marchandises faisant partie des secteurs qui génèrent les exportations roumaines les plus importantes et contribuent de manière significative à équilibrer la balance commerciale nationale.

190. En deuxième lieu, selon la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, l’obligation relative au retour des conducteurs ne serait pas conforme au principe de proportionnalité en relation aux répercussions négatives qu’elle aurait sur les transporteurs. Ces États membres soutiennent que cette obligation générerait des coûts financiers considérables pour les transporteurs. D’une part, ladite obligation engendrerait des frais de fonctionnement liés à l’organisation du retour, ainsi que des pertes de revenus liées au temps pour le retour dans l’État membre d’établissement durant lequel les conducteurs, voyageant à vide, n’exerceraient aucune activité lucrative ce qui entraînerait une limitation de l’activité commerciale et une baisse des recettes. D’autre part, l’exigence imposée aux transporteurs par le troisième alinéa de la disposition en cause de documenter la manière dont ceux-ci s’acquittent de l’obligation relative au retour des conducteurs engendrerait aussi des charges complémentaires importantes. Or, les transporteurs seraient en majeure partie des PME, pour lesquels toutes ces charges seraient particulièrement lourdes. Le Comité économique et social européen (CESE) aurait souligné la nécessité de limiter les procédures et le Comité européen des régions (CdR) aurait également signalé que les États membres situés à la périphérie de l’Union avaient plus de difficultés à atteindre le cœur du marché intérieur. En outre, la disposition attaquée aurait été adoptée en période de crise économique déclenchée par la pandémie de COVID-19, ce qui amplifierait leurs effets négatifs.

191. En troisième lieu, selon la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, l’obligation relative au retour des conducteurs ne serait pas conforme au principe de proportionnalité en relation aux répercussions négatives qu’elle aurait sur l’environnement. Ces trois États membres font valoir que cette obligation impliquerait de programmer des trajets supplémentaires pour le départ et le retour de milliers de conducteurs par jour. Les conducteurs qui proviennent de pays à la périphérie géographique de l’Union seraient objectivement tenus de voyager sur de très longues distances, bien supérieures à celles effectuées par leurs homologues d’Europe centrale et occidentale, où s’effectue l’essentiel des transports dans l’Union. En outre, les retours s’effectueraient probablement avec une charge réduite ou même sans chargement, contraignant ainsi des milliers de véhicules à voyager à vide. Cette augmentation significative du nombre de déplacements impliquerait une augmentation des émissions de CO2 et aurait une incidence importante sur l’environnement.

192. En quatrième lieu, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne font valoir que des alternatives moins contraignantes pour les conducteurs et les transporteurs auraient existé. Ces États membres soutiennent que la liberté des conducteurs aurait pu être préservée en prévoyant une obligation des transporteurs de n’organiser le retour que dans les cas dans lesquels les conducteurs souhaitent retourner. De cette manière, les transporteurs ne supporteraient pas de frais supplémentaires excessifs. Cette alternative garantirait une plus grande souplesse et, partant, une protection appropriée des droits des conducteurs. La République de Pologne se réfère spécifiquement à une mesure en ce sens proposée par la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement.

193. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

ii)    Analyse

194. Il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 52 et suivants ci-dessus que, en l’occurrence, afin de pouvoir répondre aux moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité par l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la Cour doit vérifier si le législateur de l’Union, en prévoyant une obligation qui contraint les entreprises de transport à organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ceux-ci soient en mesure de retourner soit au centre opérationnel auquel ils sont normalement rattachés, situé dans l’État membre d’établissement de l’employeur, soit à leur lieu de résidence, a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports (108), en optant pour une mesure manifestement inappropriée par rapport aux objectifs qu’il entendait poursuivre ou qui causerait des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

195. Dans ces conditions, il convient, d’emblée, de déterminer les objectifs poursuivis par la réglementation en cause et, en particulier, par l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 – objectifs dont la légitimité n’est pas contestée par les États membres requérants – pour pouvoir ensuite procéder à l’analyse des moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité.

–       Sur les objectifs de la réglementation en cause

196. Le règlement 2020/1054 a été adopté dans le cadre du Paquet mobilité pour adapter le cadre législatif du domaine du transport routier aux évolutions du secteur (109), en tenant compte de sa nature spécifique et, en particulier, de son caractère extrêmement mobile.

197. Dans ce cadre, le règlement 2020/1054 a apporté des modifications au règlement nº 561/2006 visant à atteindre trois objectifs définis comme « stratégiques ». Ainsi, il ressort de ses considérants 1, 6 et 36 que ce règlement vise, premièrement, à améliorer les conditions de travail des conducteurs, deuxièmement, à garantir une concurrence loyale et non faussée et des conditions commerciales équitables pour les entreprises de transport routier et, troisièmement, à contribuer à la sécurité routière pour tous les usagers de la route.

198. Ces objectifs sont intimement liés l’un à l’autre, les questions sociales et les questions de concurrence étant clairement interdépendantes, car les pratiques commerciales qui permettent aux opérateurs d’obtenir un avantage concurrentiel inéquitable privent souvent les conducteurs de leurs droits fondamentaux à la protection sociale et à des conditions de travail adéquates et les pratiques illégales entravent également le bon fonctionnement du marché intérieur (110).

199. Ainsi qu’il résulte de l’analyse d’impact – volet social, les modifications législatives figurant dans la proposition de règlement temps de travail visaient à contribuer aux objectifs politiques suivants découlant du traité FUE : le développement durable du marché intérieur, fondé sur une économie sociale de marché hautement compétitive (article 3 TUE) ; la libre prestation des services au-delà des frontières (article 56 TFUE) ; l’amélioration des conditions de vie et de travail (article 151 TFUE), et l’établissement de règles communes, équitables et sûres applicables aux transports internationaux exécutés (article 91 TFUE) (111).

200. Dans ce contexte, la disposition prévoyant l’obligation à la charge des transporteurs d’organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ceux-ci soient en mesure de retourner régulièrement au centre opérationnel auquel ils sont normalement rattachés ou à leur lieu de résidence vise, ainsi qu’il ressort du considérant 14 du règlement 2020/1054, l’objectif spécifique de garantir que le temps passé par les conducteurs loin de leur lieu de résidence ne soit pas excessivement long.

201. Cette disposition vise spécifiquement à remédier à l’absence dans la réglementation précédente de règles relatives au retour des conducteurs à leur lieu de résidence. Cette absence, d’une part, avait été identifiée comme l’un des facteurs contribuant à la détérioration des conditions sociales des conducteurs. En effet, dans l’analyse d’impact la Commission avait relevé que les longues périodes passées par les conducteurs loin de leur lieu de résidence contribuaient au stress et à la fatigue des conducteurs et, à terme, à la détérioration de leur état de santé et à un déséquilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée (112).

202. D’autre part, l’absence de règles relatives au retour des conducteurs avait également été identifiée comme l’un des éléments qui avaient conduit à des interprétations et des pratiques de contrôle divergentes dans les États membres (113).

203. Ainsi, la prévision de l’obligation relative au retour des conducteurs à la charge des transporteurs s’inscrit dans l’objectif stratégique plus général du règlement 2020/1054 de garantir de bonnes conditions de travail pour les conducteurs et d’améliorer ces conditions, objectif lui-même lié à l’exigence de garantir une protection sociale adéquate prévue à l’article 9 TFUE, mentionnée au point 179 ci-dessus.

204. Dans ce contexte, l’objectif de la mesure en cause d’améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des conducteurs, et, partant, leur niveau de vie contribue également à l’objectif d’attirer des travailleurs qualifiés (114), en considération de la pénurie générale de conducteurs qualifiés dans l’Union. Ainsi qu’il ressort de l’analyse d’impact, cette pénurie est, du moins en partie, causée par la détérioration des conditions de travail qui nuit à l’image et à l’attrait de la profession de conducteur (115).

205. Enfin, compte tenu du lien direct entre le fait d’assurer un repos approprié aux conducteurs et la sécurité routière, l’obligation relative au retour des conducteurs s’inscrit également dans l’objectif stratégique du règlement 2020/1054 de « contribuer à la sécurité routière pour tous les usagers de la route » (116). Cet objectif stratégique est en ligne avec l’objectif, visé à l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE, d’améliorer la sécurité des transports.

206. C’est donc à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient de procéder à l’analyse des moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité soulevés par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne. Ces États membres font valoir que la disposition en cause n’est pas conforme au principe de proportionnalité au regard des répercussions négatives qu’elle aurait, en premier lieu, sur les conducteurs, en deuxième lieu, sur les transporteurs, en troisième lieu, sur l’environnement et, en quatrième lieu, en relation à l’existence d’alternatives moins contraignantes.

–       Sur les répercussions négatives sur les conducteurs

207. En ce qui concerne, premièrement, le grief tiré de ce que l’obligation relative au retour des conducteurs violerait le principe de proportionnalité, car elle limiterait le droit des conducteurs de choisir où ils entendent passer leur temps de repos, il se fond sur la prémisse erronée que la disposition en cause limiterait la liberté des conducteurs de passer leur temps de repos au lieu de leur choix. En effet, il ressort des points 125 à 129 ci-dessus, que cette disposition n’a aucune incidence sur le libre choix des conducteurs quant au lieu dans lequel ils veulent passer leur temps de repos. Ce grief doit donc être rejeté comme étant non fondé (117).

208. J’estime, de plus, que doit être également rejeté le grief soulevé par la République de Pologne tiré du caractère arbitraire des deux lieux, alternatifs, choisis par le législateur à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, à savoir le centre opérationnel auquel les conducteurs sont normalement rattachés situé dans l’État membre d’établissement de l’employeur et le lieu de résidence du conducteur.

209. D’abord, il convient de relever que, comme le met en exergue le Conseil, ces deux lieux étaient déjà mentionnés dans le règlement nº 561/2006, spécifiquement à l’article 9, paragraphes 2 et 3, même dans la version précédant les modifications apportées par le règlement 2020/1054, comme deux lieux qui ont normalement une connexion avec le début ou la fin du temps de repos du conducteur (118). Il s’ensuit que la référence à ces deux lieux dans la disposition en cause comme étant des endroits dans lesquels est entamé le temps de repos ne constitue pas une nouveauté, mais se fonde sur la réglementation déjà existante.

210. Ensuite, pour ce qui est spécifiquement de la référence au centre opérationnel auquel les conducteurs sont normalement rattachés, il ressort de la jurisprudence qu’il correspond au lieu où le conducteur se rend de manière régulière dans l’exercice normal de ses fonctions pour prendre en charge et conduire un véhicule équipé d’un appareil de contrôle (119). La Cour a clarifié que le lieu de rattachement concret du conducteur est l’installation de l’entreprise de transport au départ de laquelle il effectue régulièrement son service et vers laquelle il retourne à la fin de celui-ci, dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions et sans se conformer à des instructions particulières de son employeur (120). Ce lieu correspond également au lieu visé à l’article 5, paragraphe 1, points b) et g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, auquel les conducteurs sont normalement rattachés et dans lequel les véhicules retournent régulièrement.

211. Or, il n’apparait aucunement arbitraire que le législateur ait choisi le lieu de rattachement concret du conducteur dans lequel celui-ci retourne dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions comme l’un des lieux où le conducteur devrait avoir le droit de pouvoir retourner pour entamer sa période de repos. En effet, en dépit du fait que le travail des conducteurs est caractérisé par une extrême mobilité et que ceux-ci sont donc amenés à fournir des services dans des endroits différents à des moments différents, cela n’enlève rien au fait que ces travailleurs sont rattachés de manière permanente à un centre opérationnel dans lequel il se rendent, normalement, pour recevoir et pour rendre le véhicule. Ce lieu constitue donc indubitablement un lieu ayant un lien réel avec le début et la fin des services offerts par le conducteur dans le cadre de sa relation de travail avec son employeur, à savoir le transporteur.

212. Pour ce qui est de la référence au lieu de résidence du conducteur, elle ne paraît pas non plus le résultat d’un choix arbitraire. Il ressort de la définition de la notion de « résidence » dans la jurisprudence mentionnée au point 135 ci-dessus, qu’il s’agit d’un lieu stable dans lequel, selon toute probabilité, le conducteur se rendra régulièrement pour y passer ses temps de repos. Si le conducteur peut à l’occasion souhaiter se rendre dans d’autres lieux à des fins de loisirs ou à d’autres fins, il pourra bien le faire sans que l’entreprise soit obligée de lui permettre de se rendre dans de tels lieux qui peuvent souvent varier. Cela n’enlève rien, cependant, à la constatation que le lieu de résidence constitue aussi indubitablement un lieu ayant un lien réel avec le temps de repos.

213. Il s’ensuit que le choix par le législateur du centre opérationnel et du lieu de résidence du conducteur comme étant les lieux vers lesquels le transporteur a l’obligation d’organiser le retour des conducteurs dans le cadre de l’obligation organisationnelle mise à sa charge n’est ni arbitraire, ni manifestement inapproprié.

214. En ce qui concerne, deuxièmement, le grief tiré du caractère inapproprié de l’obligation relative au retour des conducteurs pour atteindre les objectifs du règlement 2020/1054 eu égard à l’épuisement et à la fatigue que le nombre plus élevé de déplacements liés au retour causerait aux conducteurs, il convient de considérer que, ainsi qu’il a été relevé au point 201 ci-dessus, c’est précisément dans le souci d’améliorer les conditions sociales des conducteurs que la disposition en cause a été adoptée, justement afin d’éviter que les longues périodes loin du lieu de résidence contribuent au stress, à la fatigue et, ainsi, à la détérioration de leur état de santé.

215. À cet égard, il convient, d’emblée, de relever que le temps de repos ne débutera qu’une fois que le conducteur aura rejoint son lieu de résidence ou le centre d’exploitation de l’employeur, ce qui découle de la teneur même de la disposition en cause qui se réfère explicitement au début du temps de repos. En outre, il résulte de l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 561/2006, que la durée de conduite nécessaire au conducteur pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule ou en revenir n’est, en principe, pas considérée comme un temps de repos. Ainsi, le temps passé à conduire le véhicule, si tel est le moyen utilisé pour le retour du conducteur au centre opérationnel ou au lieu de résidence, est compté comme durée de conduite, et donc comme temps de travail, de la même manière que tout autre temps passé à conduire le véhicule dans n’importe quel autre endroit. Il s’ensuit que l’obligation de retour ne comportera d’aucune manière de temps de conduite additionnel de sorte qu’elle ne saurait engendrer de la fatigue supplémentaire pour les conducteurs. Il s’ensuit également que cette mesure n’aura pas non plus de répercussions négatives pour la sécurité routière.

216. En ce qui concerne, troisièmement, les arguments soulevés par la Roumanie au regard des conséquences négatives sur les conducteurs et sur l’économie roumaine en raison de l’éventuelle perte d’emploi en Roumanie due à la prétendue délocalisation forcée des entreprises de transport vers les États membres de l’Europe occidentale, j’ai relevé, aux points 172 et 174 ci-dessus, que l’obligation relative au retour des conducteurs, tout en étant indistinctement applicable, est toutefois susceptible d’exercer une incidence plus importante sur certaines entreprises de transport dont le modèle d’organisation économique prévoit que les conducteurs effectuent pendant une longue durée des trajets loin de leur lieu d’affectation ou de résidence.

217. Toutefois, d’une part, il ressort de l’analyse d’impact que la plupart des conducteurs, notamment des États membres dits « de l’UE-13 » (121) passait déjà avant l’adoption de la disposition en cause moins de quatre semaines loin de leur lieu de résidence (122) de sorte qu’il peut être présumé que les entreprises choisissant un tel modèle économique représentent un nombre non négligeable, mais minoritaire. Il s’ensuit qu’un éventuel impact sur l’emploi découlant d’un prétendu changement forcé de modèle d’organisation économique semblerait avoir un caractère plutôt limité.

218. D’autre part, ainsi que je l’ai relevé au point 201 ci-dessus, il ressort de l’analyse d’impact qu’une intervention normative à cet égard a été considérée nécessaire pour contrecarrer la dégradation des conditions de travail pour les conducteurs passant de longues périodes loin de leur lieu de résidence. Il a également déjà été relevé que la prévision de l’obligation relative au retour des conducteurs mise à la charge des transporteurs s’inscrit dans l’objectif stratégique plus général de garantir de bonnes conditions de travail pour les conducteurs et d’améliorer ces conditions en ligne avec l’objectif général poursuivi par l’article 9 TFUE (123).

219. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter un acte législatif, notamment dans le secteur de le politique commune des transports, à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances, eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 TFUE, parmi lesquels figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate (124).

220. En particulier, la Cour a déjà reconnu à cet égard que, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, au premier rang desquelles figurent les élargissements successifs de l’Union, le législateur de l’Union était en droit d’adapter un acte législatif afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation des services (125).

221. Il s’ensuit que, à mon avis, le législateur, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports, en pondérant les différents objectifs et intérêts en jeu, peut considérer qu’il convient d’adopter une mesure spécifique visant à améliorer les conditions de travail des conducteurs en dépit d’éventuelles conséquences négatives dans un ou plusieurs États membres et en dépit des coûts plus élevés que la mesure pourrait causer pour un nombre minoritaire, même si non négligeable, d’entreprises établies dans ces États membres qui font appel à des conducteurs nomades pour fournir des services à titre plus ou moins permanent dans d’autres États membres et qui pourrait ainsi devoir changer de modèle d’organisation économique, avec un potentiel impact limité sur l’emploi. Une telle approche apparaît conforme aux ambitions sociales de l’Union telles qu’énoncées, entre autres, à l’article 9 TFUE et ne semble pas être le résultat d’un dépassement manifeste du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union.

222. En outre, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 60 ci-dessus que lorsque l’acte de l’Union concerné a des conséquences dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis par cet acte, soit assuré, le législateur de l’Union n’est pas tenu de prendre en considération la situation particulière de chaque État membre. Dès lors, la recherche d’un tel équilibre prenant en considération non pas la situation particulière des différents États membres, mais celle de l’ensemble des États membres de l’Union ne saurait, par elle-même, être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité.

223. Il s’ensuit des considérations qui précèdent que, à mon avis, tous les griefs concernant la prétendue violation du principe de proportionnalité au regard des répercussions négatives que l’obligation relative au retour des conducteurs aurait en ce qui concerne les conducteurs doivent être rejetés.

–       Sur les répercussions négatives sur les transporteurs

224. Trois des États membres requérants font valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 viole le principe de proportionnalité au regard des répercussions négatives que l’obligation relative au retour des conducteurs y prévue aurait sur les transporteurs en considération de l’augmentation des coûts et des pertes de recettes que cette obligation leur engendrerait.

225. Ces États membres mentionnent deux types de coûts liés au respect de ladite obligation : d’une part, les frais additionnels et les pertes de recettes découlant de l’organisation du retour du conducteur ; d’autre part, les coûts découlant de l’exigence imposée aux transporteurs par le troisième alinéa de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 de documenter la manière dont ceux-ci s’acquittent de l’obligation de retour.

226. En ce qui concerne, premièrement, les coûts additionnels que les transporteurs doivent supporter pour organiser le retour des conducteurs, il convient, d’emblée, de relever que le législateur a garanti un certain niveau de flexibilité aux transporteurs au regard de l’exécution de l’obligation relative au retour des conducteurs. D’une part, comme mentionné au point 134 ci-dessus, les transporteurs peuvent choisir entre deux lieux pour organiser le retour du conducteur, dont un est le centre opérationnel de l’entreprise et donc un lieu qui a une connexion directe avec le transporteur lui-même. D’autre part, ainsi que je l’ai déjà relevé au point 132 ci-dessus, en ne spécifiant pas de manière précise les modalité d’exécution de l’obligation relative au retour des conducteurs, le législateur a laissé une marge de manœuvre à l’entreprise en lui permettant de choisir la manière qu’elle estime la meilleure pour exécuter ladite obligation. Par ailleurs, je relève également que la durée mentionnée dans la disposition en cause pour le retour régulier des conducteurs n’apparaît pas manifestement disproportionnée et n’est, en fait, remise en cause par aucun État membre.

227. En outre, le législateur a associé l’obligation relative au retour des conducteurs à des mesures facilitant ce retour. Il a ajouté à l’article 12 du règlement no 561/2006, tel que modifié par le règlement 2020/1054, quatre nouveaux alinéas qui permettent à un conducteur de dépasser la durée de conduite journalière et hebdomadaire d’une heure au maximum afin de rejoindre le centre d’exploitation de l’employeur ou son lieu de résidence pour prendre un temps de repos hebdomadaire. Pour autant que des conditions supplémentaires soient remplies, cette durée peut être portée à deux heures en ce qui concerne un temps de repos hebdomadaire normal. Il ressort de l’analyse d’impact que la justification de cette modification était de permettre aux conducteurs, en particulier à ceux qui effectuent de longs trajets internationaux, de rejoindre leur lieu de résidence ou leur base pour prendre un repos hebdomadaire normal à leur lieu de résidence (ou dans un autre lieu privé de leur choix) (126).

228. Il ressort de ces considérations que, en laissant une flexibilité importante quant aux modalités d’exécution in concreto de l’obligation relative au retour des conducteurs, le législateur a entendu, de manière cohérente avec la jurisprudence mentionnée au point55 ci-dessus, faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre.

229. En outre, ainsi que je l’ai relevé au point 217 ci-dessus, il ressort de l’analyse d’impact, d’une part, que la plupart des conducteurs, notamment des États membres de l’UE-13, passait déjà avant l’adoption de la disposition en cause moins de quatre semaines loin de leur lieu de résidence (127). Dans ces conditions, il peut être raisonnablement considéré que l’impact de cette mesure, en termes de coûts additionnels par rapport à la situation préexistante serait plutôt limité.

230. À cet égard, j’observe que, contrairement à ce qu’a fait valoir la République de Pologne, cette constatation n’est pas susceptible de remette en cause la nécessité de la mesure en cause. En effet, d’une part, ainsi qu’il a été mentionné aux points 201 et 203 ci-dessus, la mesure était nécessaire pour lutter contre le phénomène du « nomadisme des conducteurs » qui concernait un nombre non négligeable, même si minoritaire, des conducteurs et avait été identifié comme un des facteurs contribuant à la détérioration des conditions sociales des conducteurs, mais aussi comme l’un des éléments qui avaient conduit à des interprétations et des pratiques de contrôle divergentes dans les États membres. En outre, l’analyse d’impact avait montré une augmentation des périodes passées loin des lieux de résidence et donc une tendance à la hausse de ce phénomène du « nomadisme » (128).

231. D’autre part, l’analyse d’impact avait montré également qu’il était même possible que, en raison des gains d’efficacité dans l’organisation du travail, des réductions des coûts se produisent (129). Dans cette perspective, quant à l’argument tiré des pertes de recettes, je relève que l’obligation relative au retour des conducteurs constitue une obligation d’organisation. Or, outre les considérations que j’effectuerai au point 234 ci-dessous, il n’est nullement évident, et encore moins prouvé, que les opérateurs ne puissent organiser le travail de manière économiquement rentable, tout en permettant aux conducteurs d’exercer leur droit au retour.

232. En ce qui concerne, deuxièmement, les coûts découlant de l’exigence, mentionnée au troisième alinéa de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, de documenter la manière dont les transporteurs s’acquittent de l’obligation de retour, il convient de souligner que, ainsi qu’il a été relevé au point 140 ci-dessus, ici aussi le législateur de l’Union a laissé une marge de manœuvre aux entreprises. En effet, il a choisi de ne pas préciser exactement la documentation nécessaire pour satisfaire à l’exigence de prouver le respect de l’obligation relative au retour des conducteurs, en permettant ainsi également aux États membres d’adopter d’éventuelles mesures d’exécution. Le considérant 14 du règlement 2020/1054 mentionne toutefois deux documents, qui ensemble avec tous « autres documents », peuvent être utilisés par l’entreprise de transport afin de démontrer qu’elle remplit ses obligations en ce qui concerne l’organisation du retour normal : les enregistrements du tachygraphe et les registres de service des conducteurs.

233. Or, conformément à la législation en vigueur même avant l’adoption du règlement 2020/1054 (130), une entreprise de transport était déjà tenue de conserver dans ses locaux des enregistrements des tachygraphes et des registres de service pour ses conducteurs. Il s’ensuit qu’aucune nouvelle procédure est en principe nécessaire pour se conformer aux exigences de preuve du respect de l’obligation relative au retour de conducteurs. Bien au contraire, le législateur a introduit un degré additionnel de flexibilité en accordant aux entreprises la possibilité de se conformer auxdites exigences de toute autre manière et aux États membres de prévoir, si nécessaire, des modalités de mise en œuvre supplémentaires en tenant compte d’éventuelles spécificités du contexte national. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la disposition en cause a engendré, à cet égard, des conséquences manifestement disproportionnées pour les transporteurs.

234. Enfin, et, en tout état de cause, je remarque encore au regard des deux catégories de coûts susmentionnés que, ainsi qu’il a déjà été relevé à plusieurs reprises, la disposition prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 a été adoptée précisément pour protéger et promouvoir les droits sociaux des conducteurs et pour garantir que le temps passé loin de leur lieu de résidence ne soit pas excessivement long. Or, toute attribution de droits sociaux a des coûts. Il n’apparaît donc pas surprenant que l’obligation relative au retour des conducteurs puisse éventuellement engendrer des coûts additionnels pour les entreprises qui sont tenues de la respecter. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 57 et 60 ci-dessus, la Cour ne peut censurer le choix normatif du législateur que s’il paraît manifestement erroné ou si les inconvénients qui en résultent pour certains acteurs économiques sont sans commune mesure avec les avantages qu’il présente par ailleurs, ce qu’il revient au requérant de démontrer. Or, les États membres requérants n’ont fourni aucune preuve que l’obligation relative au retour des conducteurs causerait aux transporteurs de tels inconvénients.

–       Sur les répercussions négatives sur l’environnement

235. La République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne font encore valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 viole le principe de proportionnalité au regard des répercussions négatives que l’obligation relative au retour des conducteurs y prévue aurait sur l’environnement.

236. Quant à l’argument selon lequel cette obligation impliquerait de programmer des trajets supplémentaires pour le retour de milliers de conducteurs par jour, il convient d’observer que, ainsi que je l’ai relevé aux points 217 et 229 ci-dessus, l’analyse d’impact avait montré que la plupart des conducteurs, notamment des États membres de l’UE-13 retournait déjà avant l’adoption de la disposition en cause au lieu de résidence dans une période de moins de quatre semaines. Il s’ensuit que l’impact de la mesure sur l’environnement en raison de l’augmentation des émissions de CO2 serait limité aux retours additionnels découlant de la mise en exécution de la mesure en cause.

237. À cette considération il convient également d’ajouter que, contrairement à ce que semblent supposer lesdits trois États membres, il n’est pas inévitable que les chauffeurs utilisent des véhicules vides pour exercer leur droit de retour, dans la mesure où, dans le cadre de la flexibilité que la disposition en cause laisse aux transporteurs pour organiser le retour du conducteur (131), il est bien possible pour les conducteurs de recourir à d’autres moyens de transport pour le retour, tels que les transports publics dont l’utilisation n’entraîne pas d’émissions supplémentaires. En outre, il n’est pas exclu que le droit au retour puisse être couplé avec le retour des véhicules de l’entreprise au centre opérationnel dans le cadre des activités commerciales ordinaires. Il s’agit partant plutôt d’une question d’organisation du retour, les émissions n’augmentant éventuellement qu’en fonction des choix organisationnels effectués par les transporteurs.

238. Dans la même perspective, il ressort du fait que la mesure en cause est susceptible d’exercer une incidence plus importante sur certaines entreprises de transport qui ont choisi le modèle d’organisation économique tel que celui mentionné aux points 172 et 174 ci-dessus sans exercer leur droit – garanti par le droit de l’Union (132) – de s’établir dans les États membres dans lesquels ils offrent la majorité de leurs services de transport, qu’une éventuelle augmentation des émissions n’a pas de lien direct avec la mesure en cause, mais est plutôt le résultat du choix organisationnel économique des entreprises.

239. Dans un tel contexte, j’estime que, en vertu de la jurisprudence (133), le législateur, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports et après pondération des différents objectifs et intérêts en jeu, peux, sans dépasser manifestement ce large pouvoir d’appréciation, adopter une mesure spécifique visant à améliorer les conditions de travail des conducteurs sur la base de la conclusion selon laquelle une éventuelle augmentation relativement modérée des émissions en rapport avec la disposition en cause peut être compensée par les avantages offerts par la mesure aux conducteurs sur le plan social.

240. Il revient, en effet, au législateur – sans que la Cour puisse substituer sa propre appréciation (134) – de trouver un équilibre entre, notamment, les objectifs sociaux et les objectifs environnementaux, tout en tenant compte que, ainsi qu’il sera exposé plus en détail aux points 317 et 318 ci-dessous, le droit de l’Union, et en particulier l’article 11 TFUE, qui a pour objectif le développement durable, ne prévoit pas une obligation systématique, pour l’adoption de chaque disposition individuelle, de faire toujours prévaloir les exigences liées à la protection de l’environnement sur d’autres exigences dont le législateur doit également tenir compte découlant des dispositions de droit primaire telles que l’exigence de garantir une protection sociale adéquate prévue à l’article 9 TFUE (135).

–       Sur l’existence d’alternatives moins contraignantes

241. Certains des États membres font valoir l’existence d’alternatives moins contraignantes que l’imposition d’une obligation de retour telle que celle prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. Ces États membres se réfèrent en particulier à la possibilité d’introduire une obligation des transporteurs de n’organiser le retour que dans les cas dans lesquels les conducteurs souhaitent retourner.

242. À cet égard, il convient, d’abord, de relever que, ainsi que certains desdits États membres l’ont relevé eux-mêmes et ainsi qu’il ressort du dossier, cette alternative a été considérée lors du processus législatif, mais a été finalement écartée. La proposition de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement, mentionnée par la République de Pologne dans son recours, en est la preuve.

243. Ensuite, ainsi que le met justement en exergue le Conseil, le conducteur constitue la partie faible de la relation contractuelle entre l’employeur (transporteur) et l’employé (conducteur). Or, une solution législative telle que celle envisagée par ces mêmes États membres risquerait de conduire à ce que le choix du travailleur, en tant que partie faible dans la relation de travail avec le transporteur, ne soit pas complètement libre et que celui-ci puisse subir des pressions pour effectuer un choix qui soit convenable aux intérêts de l’employeur. L’analyse d’impact avait, par ailleurs, mis en exergue la difficulté de démontrer l’effective liberté de choix exercée par les conducteurs (136).

244. Il s’ensuit que l’alternative envisagée par certains des États membres n’apparaît pas comme une mesure appropriée pour atteindre les objectifs spécifiques poursuivi par l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

245. En conclusion, eu égard à toutes les considérations qui précèdent, j’estime qu’il y a lieu de rejeter tous les moyens tirés de ce que l’obligation relative au retour des conducteurs serait manifestement inappropriée à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et irait au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser ces objectifs.

2)      Sur les moyens relatifs à l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de l’obligation relative au retour des conducteurs

i)      Arguments des parties

246. La Roumanie et la République de Pologne font valoir que le législateur de l’Union n’aurait pas analysé plusieurs circonstances pertinentes de la situation que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 entend régir, faute d’avoir procédé à une analyse d’impact appropriée. En effet, la version finale de la disposition en cause n’aurait pas fait l’objet d’une analyse d’impact et donc les effets de cette version définitive n’auraient pas été pris en compte, ce qui constituerait une violation de l’accord interinstitutionnel.

247. Premièrement, la République de Pologne fait valoir que le législateur n’aurait pas procédé à une analyse appropriée de l’incidence de l’obligation relative au retour des conducteurs sur la sécurité des conducteurs. Le législateur aurait ignoré un avis du CESE qui avait regretté que les modifications proposées n’aient pas été accompagnées d’une évaluation approfondie de la sécurité des conducteurs, des passagers ou de l’environnement routier en relation avec la fatigue des conducteurs (137). La Roumanie soutient que l’incidence sur les travailleurs des voyages de longue durée répétés sur de courtes périodes n’aurait pas été prise en compte lors de l’adoption de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

248. Deuxièmement, la République de Pologne fait valoir que le législateur n’a pas analysé la question de savoir si l’exécution de l’obligation relative au retour des conducteurs n’allait pas contribuer à une intensification du trafic. Dans la pratique, cette obligation serait exécutée au moyen du transport routier de sorte que le respect de ladite obligation engendrerait 8 880 000 voyages retour sur une année. Le législateur n’aurait, en outre, pas tenu compte des distances considérables que les conducteurs des États périphériques de l’Union devront parcourir aux fins d’exécution de ladite obligation.

249. Troisièmement, la République de Pologne fait valoir que, à la différence de sa version initiale, le texte final de la disposition en cause obligerait, à son troisième alinéa, les transporteurs, sans qu’une analyse d’impact ait été réalisée à cet égard, à documenter la manière dont ils s’acquittent de l’obligation qui y est prévue et à conserver cette documentation pour pouvoir la présenter en cas de contrôle. Ce type de charges devrait être précédé d’une analyse exhaustive des effets en prenant en considération le fait que les transporteurs sont majoritairement des PME.

250. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

ii)    Analyse

251. À titre liminaire, il convient de relever que, en l’occurrence, il est constant que le législateur de l’Union disposait bien d’une analyse d’impact lorsqu’il a adopté le règlement 2020/1054 et que la disposition prévoyant l’obligation relative au retour des conducteurs était couverte par cette analyse d’impact.

252. Toutefois, le législateur de l’Union a adopté une version finale de cette disposition qui était différente par rapport à celle contenue dans la proposition de règlement temps de travail (138) et qui n’a pas fait objet d’une analyse d’impact spécifique.

253. Cette version finale contenait, fondamentalement, trois différences par rapport à la disposition telle que proposée par la Commission.

254. Premièrement, la proposition de règlement temps de travail imposait aux entreprises de transport d’organiser le travail de façon à permettre au conducteur de rentrer exclusivement « à son lieu de résidence ». La version finale de ladite disposition adoptée dans le règlement 2020/1054 prévoit la possibilité pour les entreprises de transport de choisir entre deux lieux pour organiser le retour du conducteur, à savoir le lieu de résidence du conducteur et le centre opérationnel, analysés dans le détail aux points 210 à 212 ci‑dessus.

255. Deuxièmement, cette proposition de la Commission exigeait que l’entreprise permette le retour du conducteur sur chaque période de trois semaines consécutives. La version finale de la disposition en cause, en revanche, permet le retour du conducteur, normalement (139), au cours de chaque période de quatre semaines consécutives.

256. Troisièmement, la version finale de la disposition en cause a ajouté un troisième alinéa, qui n’était pas prévu dans la proposition de la Commission, aux termes duquel l’entreprise documente la manière dont elle s’acquitte de l’obligation relative au retour des conducteurs et conserve cette documentation dans ses locaux afin de la présenter à la demande des autorités de contrôle.

257. Il s’ensuit que, mis à part l’introduction du troisième alinéa, la version finale de cette disposition adoptée par le législateur correspondait largement à celle envisagée par la Commission dans sa proposition élaborée sur la base de l’analyse d’impact. Ainsi que le met en exergue le Conseil, cette version finale est, cependant, moins contraignante pour les entreprises de transport. En effet, en prévoyant un second lieu où effectuer le retour et une période plus longue, la version finale offre auxdites entreprises un degré plus élevé de flexibilité pour l’exécution de l’obligation de retour mise à leur charge.

258. C’est dans ce contexte qu’il convient de vérifier, à la lumière des griefs avancés par les États membres, si le législateur a, en l’occurrence, violé le principe de proportionnalité au regard de la circonstance que la version finale de la disposition en cause n’a pas fait l’objet d’une actualisation de l’analyse d’impact et que le troisième alinéa ajouté n’a pas fait l’objet d’analyse d’impact spécifique.

259. En ce qui concerne, en premier lieu, le grief selon lequel le législateur n’aurait pas procédé à une analyse appropriée de l’incidence de l’obligation relative au retour des conducteurs sur la sécurité de ceux-ci, en relation avec la fatigue supplémentaire que les voyages de retour leur causerait, je renvoie aux considérations que j’ai effectuées aux points 214 et 215 des présentes conclusions. Il ressort de ces considérations que l’obligation de retour ne comportera d’aucune manière de temps de conduite additionnel de sorte qu’elle ne saurait engendrer de la fatigue supplémentaire pour les conducteurs et, donc, non plus de risques pour leur sécurité. Au contraire, comme il a déjà été relevé à plusieurs reprises, ladite disposition vise précisément à améliorer leur condition sociale.

260. En outre ainsi qu’il a été relevé aux points 217 et 229 ci-dessus, l’analyse d’impact a montré que la plupart des conducteurs, notamment des États membres de l’UE-13, passait déjà avant l’adoption de la disposition en cause moins de quatre semaines loin de leur lieu de résidence, de sorte qu’il pouvait déjà, sur la base de ladite analyse d’impact, raisonnablement s’attendre à ce que l’adoption de l’obligation de retour des conducteurs aurait un impact sur un nombre limité, même si non négligeable, de conducteurs.

261. Quant à la référence par la République de Pologne à l’avis du CESE, je relève que, si ce comité joue un rôle très important dans la procédure législative, il ressort toutefois de l’article 13, paragraphe 4, TUE et de l’article 300, paragraphe 1, TFUE que ce comité exerce des fonctions consultatives. Il s’ensuit que le législateur n’est pas tenu de suivre en tout cas les recommandations contenues dans un avis de ce comité, en particulier s’il estime disposer d’informations suffisantes pour effectuer des modifications non substantielles d’une disposition par rapport à celle prévue dans la proposition de la Commission sur la base d’une analyse d’impact.

262. Les États membres, en deuxième lieu, soulèvent un grief tiré de ce que le législateur n’aurait pas analysé la question de savoir si l’exécution de l’obligation relative au retour des conducteurs n’allait pas contribuer à une intensification du trafic qui serait préjudiciable, notamment, à l’environnement (140).

263. À cet égard, il convient, premièrement, de relever que l’analyse d’impact avait expressément conclu qu’« aucune incidence environnementale n’a[vait] été relevée » (141). Or, en l’absence d’autres explications, une telle affirmation n’apparaît pas être suffisante pour justifier une appréciation de l’impact de la disposition en cause sur l’environnement qui permettrait, dans le cadre de la nécessaire pondération des différents objectifs et intérêts en jeu, de conclure à la proportionnalité de ladite mesure au regard de son impact sur l’environnement. Toutefois, il ressort, à mon avis, du dossier que sur la base d’autres informations dont le législateur disposait au moment de l’adoption de la disposition en cause, il pouvait effectuer une telle évaluation.

264. En effet, et deuxièmement, ainsi que je l’ai relevé à plusieurs reprises (142), l’analyse d’impact montrait que la majorité des conducteurs, tant dans les États membres dits de « l’UE-15 » que dans ceux de l’UE-13 passait déjà avant l’adoption de la disposition en cause moins de quatre semaines loin de leur lieu de résidence, de sorte que l’impact de la mesure sur l’environnement en raison de l’augmentation des émissions de CO2 serait limité aux retours additionnels découlant de la mise en exécution de la mesure en cause.

265. Troisièmement, il ressortait également des informations à disposition du législateur, sans que cette information ait réellement été contestée par les États membres intéressés, que l’application de la mesure en cause était susceptible de faire augmenter le trafic de camion dans une mesure inférieure à 0,1 % (143).

266. Dans ces conditions, j’estime qu’il ne saurait être reproché au législateur de n’avoir pas fondé son analyse sur les éléments et circonstances pertinents de la situation que la disposition en cause entendait régir.

267. En troisième lieu, la République de Pologne fait valoir l’absence d’analyse d’impact en ce qui concerne le troisième alinéa de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 qui oblige les transporteurs à documenter la manière dont ils s’acquittent de l’obligation relative au retour des conducteurs.

268. À cet égard, toutefois, je relève, premièrement, que dans son analyse d’impact, la Commission avait mis expressément en évidence, en fournissant des données précises, que le non‑respect de la législation de l’Union dans les domaines social, commercial et de l’emploi, ainsi que la difficulté de faire respecter les règles applicables figuraient parmi les principaux problèmes en matière de transport routier (144). Or, la disposition dudit troisième alinéa vise à prescrire à une entreprise de démontrer qu’elle s’est acquittée de ses obligations découlant de la loi. L’introduction d’une telle disposition répond ainsi à un problème clairement mis en exergue dans l’analyse d’impact.

269. Deuxièmement, il ressort des points 232 et 233 ci-dessus, que ladite disposition n’a introduit aucune nouvelle procédure pour se conformer aux exigences de preuve du respect de l’obligation relative au retour des conducteurs, mais que, au contraire, le législateur a introduit un degré de flexibilité important pour les entreprises.

270. Dans ces conditions, à mon avis, il ne peut être considéré que le législateur de l’Union a violé le principe de proportionnalité en ne procédant pas à une analyse d’impact spécifique au regard d’une disposition qui se borne à prescrire à une entreprise de démontrer qu’elle s’est acquittée de ses obligations découlant de loi, sans introduire aucune nouvelle procédure pour se conformer aux exigences de preuve. Cette conclusion vaut encore plus dans une situation dans laquelle l’introduction de la disposition répond à un problème explicitement mis en exergue dans l’analyse d’impact.

271. En conclusion, il ressort de toutes les considérations qui précèdent que, à mon avis, tous les moyens visant à faire valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité, doivent être rejetés.

e)      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1)      Arguments des parties

272. Dans leurs recours, la République de Pologne (affaire C‑553/20) et la Roumanie (affaire C‑546/20) font valoir que, en adoptant l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union n’a pas respecté les exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE.

273. En ce qui concerne la violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, la République de Pologne fait valoir que le caractère superficiel de l’analyse d’impact ainsi que l’absence d’une telle analyse concernant la disposition en cause ne permettraient pas de considérer qu’il a été tenu compte de l’incidence de celle-ci sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport. En dépit de la marge d’appréciation du législateur, l’obligation de tenir compte des éléments indiqués dans l’article 91, paragraphe 2, TFUE ne pourrait pas se limiter à prendre connaissance de ces éléments, sous peine de priver ladite disposition de son effectivité.

274. S’agissant, en premier lieu, de l’effet sur l’exploitation des équipements de transport, l’analyse d’impact n’aurait, en particulier, pas tenu compte des conséquences découlant de la hausse du nombre des voyages sur les principaux axes de transit de l’Union résultant de l’obligation d’effectuer 8 880 000 voyages de retour sur une année. Or, ces voyages supplémentaires augmenteraient la congestion sur les routes et aggraveraient ainsi davantage la dégradation de l’état des infrastructures routières qui aurait déjà été constatée par la Commission. Dans ce contexte, il conviendrait de tenir compte de la « loi de la quatrième puissance » (145), selon laquelle l’effet de détérioration des routes croît de manière exponentielle avec l’augmentation du poids du véhicule élevé à la puissance quatre. Bien que les poids lourds soient moins nombreux que les véhicules de tourisme, leur incidence sur les infrastructures serait donc beaucoup plus importante.

275. S’agissant, en second lieu, de l’effet sur emploi et le niveau de vie, l’augmentation du trafic routier nuirait également à la qualité de vie dans les zones situées à proximité des principaux nœuds de transport et à la sécurité routière. Il n’aurait pas non plus été tenu compte des conséquences pénibles pour les conducteurs et les entreprises établies dans les États périphériques de l’Union, pour lesquels la longueur moyenne des voyages de retour au centre opérationnel serait considérablement plus élevée, ni des charges administratives et organisationnelles supplémentaires imposées aux entreprises de transport, dont plus de la moitié sont des PME, risquant ainsi, très probablement, d’entraîner la faillite de nombreuses entreprises de transport ou leur transfert dans des États situés au centre de l’Union. L’évaluation contenue dans l’analyse d’impact serait restreinte et synthétique et trop superficielle pour permettre d’aboutir à des conclusions concernant les effets de la disposition en cause sur l’emploi dans certaines régions.

276. En ce qui concerne la violation de l’article 94 TFUE, la République de Pologne fait valoir qu’en adoptant la mesure en cause, le législateur n’aurait pas tenu compte de la situation économique des transporteurs et que l’analyse d’impact aurait examiné de manière trop superficielle l’incidence de la réglementation proposée sur les PME. L’augmentation du nombre de kilomètres résultant inévitablement de l’obligation de retour des conducteurs devrait être appréciée dans le contexte du Paquet mobilité dans son ensemble dont fait également partie le règlement 2020/1055. Or, selon la République de Pologne, l’application des dispositions de ce règlement engendrerait des voyages de 2 035 200 000 kilomètres par an pour les seuls véhicules retournant aux centres opérationnels en Pologne. En supposant que 60 % de ces parcours soient effectués sans chargement, ces véhicules parcourraient au cours d’une année 1 221 120 000 kilomètres à vide. La République de Pologne estime que, parmi les nombreuses mesures disponibles visant à garantir que les travailleurs exercent leur droit au repos, le législateur de l’Union aurait ainsi choisi celle qui est la plus lourde pour les entreprises.

277. L’un des effets de cette situation serait le retrait du marché d’une partie des sociétés de transport provenant du secteur des PME établies dans les États périphériques de l’Union, pour lesquelles, en raison de leur éloignement du centre géographique de l’Union, il serait particulièrement difficile de s’acquitter des exigences organisationnelles afférentes à l’obligation de retour des conducteurs au centre opérationnel ou à leur lieu de résidence. Une partie des entreprises pourrait également décider de transférer leur centre opérationnel dans les États situés au centre de l’Union. Le postulat selon lequel la décision commerciale de délocaliser l’entreprise ne pourrait être susceptible de leur porter préjudice ne saurait être partagé. Le transfert du siège de l’entreprise représenterait une charge très importante pour le fonctionnement de l’entreprise. De plus, à la différence des multinationales, la spécificité des PME se traduirait, entre autres, par le fait qu’elles sont liées au lieu à partir duquel elles fournissent leurs services.

278. L’adoption de la disposition attaquée durant la pandémie de COVID-19 montrerait également que la situation économique des transporteurs n’a pas été prise en compte. Or, les effets économiques de la pandémie se feraient particulièrement ressentir dans le secteur du transport, celui-ci étant exposé à la baisse de la demande et aux restrictions de franchissement des frontières intérieures réinstaurées par les États membres. Or, ces effets auraient déjà été présents au cours de la procédure législative, le Paquet mobilité ayant été adopté au mois de juillet 2020.

279. La Roumanie aussi soutient que la solution législative retenue est contraire aux exigences de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE en ce qu’elle porte atteinte à la situation des transporteurs. En effet, étant donné que l’organisation du retour des conducteurs impliquerait des pertes plus importantes pour les entreprises établies dans des États membres situés à la périphérie géographique de l’Union, celles-ci seraient contraintes, afin de réduire leurs coûts, d’orienter leurs activités vers les États d’Europe occidentale en y créant des filiales ou succursales, voire en y délocalisant leur activité. Or, le secteur des transports constituerait un secteur essentiel pour l’économie nationale, en particulier pour la Roumanie ainsi que pour d’autres États membres à la périphérie géographique de l’Union, en particulier en ce qui concerne les exportations.

280. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

i)      Sur la portée de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

281. Tant l’article 91, paragraphe 2, que l’article 94 TFUE sont inclus dans le titre VI de la troisième partie du traité FUE concernant la politique commune des transports et prévoient que, dans le cadre de l’adoption de mesures relevant de cette politique, il est tenu compte de certains éléments y indiqués.

282. S’agissant, en premier lieu, de l’article 91, paragraphe 2, TFUE cette disposition prévoit que, lors de l’adoption des mesures en vue de réaliser la mise en œuvre de la politique commune des transports, visées au paragraphe 1 du même article, il est tenu compte des cas où l’application serait susceptible d’affecter gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que l’exploitation des équipements de transport.

283. Cette disposition du traité FUE a été révisée de manière substantielle par le traité de Lisbonne. Alors que la disposition précédente, à savoir l’article 71, paragraphe 2, CE prévoyait une procédure législative spéciale exigeant l’unanimité pour les mesures affectant gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que l’exploitation des équipements de transport, l’article 91, paragraphe 2, TFUE prévoit désormais seulement de « tenir compte » des cas où l’application de la mesure affecte gravement ces paramètres.

284. Ni le traité FUE, ni la jurisprudence définissent les notions de « niveau de vie et d’emploi dans certaines régions », ou d’« exploitation des équipements de transport ». À cet égard, il peut être cependant relevé que les « régions » dans lesquelles l’affectation grave du niveau de vie et de l’emploi doit être considérée peuvent consister en un ou plusieurs États membres. Aussi, la notion d’« exploitation des équipements de transport » peut, à mon avis, s’entendre comme incluant les infrastructures de transport terrestre, maritime et aérien qui sont exploitées comme des installations ouvertes aux usagers.

285. En tout état de cause, ainsi qu’il découle de l’utilisation du terme « gravement », l’effet de l’application de la mesure en cause sur les paramètres indiqués dans la disposition doit être d’un degré assez important. Une simple affectation de ces paramètres par une mesure ne suffit pas pour déclencher l’application de ladite disposition.

286. S’agissant, en second lieu, de l’article 94 TFUE, cette disposition prévoit que toute mesure dans le domaine des prix et conditions de transport, prise dans le cadre des traités, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs. Cette disposition vise à ce qu’une mesure dans le domaine des prix et conditions de transport ne poursuive pas uniquement les intérêts des usagers de la route ou d’autres intérêts publics (146), en négligeant ainsi complètement la situation économique des entreprises de transport.

287. En ce qui concerne le contenu de l’obligation prévue à l’article 94 TFUE, le Conseil fait valoir que la fixation des prix dans le domaine des transports de marchandises par route a été déréglementée (147) et que la disposition en cause, à savoir l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, ne porte pas sur les prix du transport en tant que tels. À cet égard, on peut toutefois se demander si ladite obligation prévue à l’article 94 TFUE ne concerne que les mesures ayant directement pour objet les prix et les conditions de transport, ou également celles qui augmentent les coûts et ont un effet sur la rentabilité des entreprises de transports, autrement dit qui influent indirectement sur les prix (148). Si celle-ci est l’interprétation à suivre, alors même une mesure ayant un impact indirect sur les prix de transport relèverait du domaine d’application de l’article 94 TFUE.

288. Tant l’article 91, paragraphe 2, que l’article 94 TFUE prévoient des simples obligations de « prise en compte » et n’ont donc pas une valeur absolue (149).

289. Ces dispositions obligent le législateur de l’Union, dans le cadre de l’adoption de mesures dans le domaine de la politique commune des transports, de tenir compte des paramètres et objectifs spécifiques y indiqués. Elles créent le même degré d’obligation juridique que les clauses transversales des articles 8 et suivants TFUE, qui établissent également l’obligation pour ledit législateur de « tenir compte » de certains objectifs politiques dans la définition et dans la mise en œuvre de l’ensemble de ses politiques et de ses actions (150).

290. Les dispositions de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE exigent et supposent partant une pondération par le législateur des objectifs poursuivis par une mesure et des intérêts en jeu (151).

291. Toutefois, ainsi que l’ont relevé à juste titre le Parlement et la République d’Allemagne, l’obligation, prévue dans ces deux dispositions, de tenir compte des éléments y mentionnés, n’implique aucune restriction du pouvoir discrétionnaire dont dispose le législateur dans le cadre des compétences qui lui sont conférées dans les domaines tels que la politique commune des transports (152), où son action implique des choix de nature politique, économique ou sociale et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes en cherchant à établir un équilibre entre les différents intérêts en jeu.

292. La nécessité de trouver cet équilibre n’exclut donc aucunement la possibilité pour le législateur d’adopter des actes ayant des effets négatifs sur les paramètres indiqués dans lesdites deux dispositions. L’obligation pour le législateur découlant de ces mêmes dispositions est celle de prendre en compte les effets préjudiciables sur ces paramètres – dans les cas visés par l’article 91, paragraphe 2, TFUE, seulement les cas d’affectation « grave » desdits paramètres –, dans la pondération des objectifs poursuivis par une mesure et des intérêts en jeu, qui relève, en fin de compte, de l’appréciation de la proportionnalité de la mesure.

293. Dans ce contexte, en raison de la nécessité de la pondération de ces différents objectifs et intérêts, ainsi que de la complexité de la mise en œuvre de ces critères, le contrôle judiciaire doit nécessairement se limiter à examiner si le législateur de l’Union a commis une erreur d’appréciation manifeste quant aux conditions d’application de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE (153).

294. C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’analyser les moyens tirés de la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE.

ii)    Sur les violations alléguées de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

295. En ce qui concerne, premièrement, la prétendue violation de l’exigence prévue à l’article 91, paragraphe 2, TFUE de tenir compte de l’affectation grave des équipements de transports, soulevée par la République de Pologne, force est de constater que cet État membre n’a pas prouvé, ni que l’application de l’obligation relative au retour des conducteurs prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 donnerait lieu à une telle affectation grave, ni que le législateur aurait commis une erreur d’appréciation manifeste, à cet égard, en adoptant la mesure en cause.

296. La République de Pologne fait valoir une hausse importante du nombre de voyages sur les principaux axes de transit de l’Union, mais ne conteste pas vraiment l’affirmation du Conseil selon laquelle il ressortait des informations à disposition du législateur que l’application de la mesure en cause était susceptible de faire augmenter le trafic de camion dans une mesure inférieure à 0,1 % (154). Or, même à supposer que ce chiffre devait être ajustée en application de la « loi de la quatrième puissance » mentionnée par la République de Pologne, force est de constater que, dans de telles conditions, il ne saurait être affirmé que la disposition en cause serait susceptible de produire des effets graves sur les infrastructures routières.

297. Pour le reste, la République de Pologne se borne à faire valoir que ladite hausse du nombre des voyages aggraverait l’état des infrastructures de transport qui serait déjà dans un état insatisfaisant. Elle ne fournit pas toutefois de preuve que l’effet résultant de l’application de la mesure en cause sur lesdites infrastructures serait d’un degré tel qu’il justifierait la constatation d’une affectation « grave » au sens de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

298. En ce qui concerne, deuxièmement, la prétendue violation de l’exigence prévue à l’article 91, paragraphe 2, TFUE de tenir compte de l’affectation grave du niveau de vie et de l’emploi dans certaines régions, à la lumière des considérations et des chiffres mentionnés au point 265 ci-dessus, il ne saurait non plus être affirmé que la disposition en cause produirait des effets graves sur la qualité de la vie dans les zones situées près des grands axes de transport routier et sur la sécurité routière.

299. S’agissant du grief selon lequel il n’aurait pas été tenu compte des conséquences pénibles pour les conducteurs, je me réfère aux points 201 et suivants ainsi qu’aux points 214 et 215 ci-dessus desquels il ressort que, bien au contraire, la disposition en cause a été adoptée justement pour améliorer les conditions sociales des conducteurs. Par ailleurs, même si l’article 91, paragraphe 2, TFUE fait référence à l’emploi et au niveau de vie dans certaines régions qui, ainsi que je l’ai mentionné (155), peuvent correspondre à un ou plusieurs États membres, cela n’enlève rien au fait que le législateur de l’Union ne peut ignorer d’autres régions ou la situation de l’Union dans son ensemble (156).

300. S’agissant du grief selon lequel il n’aurait pas été tenu compte des conséquences engendrées pour les entreprises de transport établies dans les États membre situés à la périphérie de l’Union en raison de l’augmentation de leurs coûts, je renvoie aux points 224 à 234 et aux points 216 et suivants des présentes conclusions desquels il ressort que, dans la pondération des intérêts effectuée par le législateur de l’Union dans le cadre de sa large marge d’appréciation en matière de politique commune des transports – pondération que l’article 91, paragraphe 2, TFUE présuppose (157) –, les éventuels effets négatifs découlant de la disposition en cause pour des entreprises qui ont choisi un modèle économique, tel que celui décrit au point 174 ci-dessus, ne sauraient entraîner une violation du principe de proportionnalité.

301. En outre, il y a lieu de relever que la structure de l’offre et de la demande de main-d’œuvre a également été examinée dans l’analyse d’impact (158). La structure du marché, y compris la grande proportion de PME, a également expressément été prise en considération dans l’analyse d’impact qui montrait que la mesure en cause aurait des incidences diverses sur les différentes parties de l’Union (159).

302. En ce qui concerne, troisièmement, la prétendue violation de l’article 94 TFUE, les arguments tirés du manque de prise en compte de la situation économique des transporteurs et les critiques à l’analyse d’impact au regard de la prise en compte des PME ont été examinés aux points précédents des présentes conclusions.

303. Pour le reste, je relève que les arguments tirés du règlement 2020/1055 seront examinés dans la partie des présentes conclusions dédiée aux recours dirigés contre ce règlement. À cet égard, il convient d’observer que, bien que les règlement 2020/1055 et 2020/1054 fassent partie d’un paquet de mesures adoptées de manière coordonnée, ils poursuivent des objectifs qui ne coïncident pas entièrement. Alors que l’obligation relative au retour des conducteurs vise, dans le cadre des objectifs généraux du règlement 2020/1054, les objectifs de caractère fondamentalement social mentionnés en détail aux points 196 à 205 ci-dessus, le règlement 2020/1055 vise les objectifs différents mentionnés aux points 578 et 693 ci-dessous. Il s’ensuit que l’analyse concernant la pondération des intérêts effectuée par le législateur et la proportionnalité des mesures adoptées dans ces deux règlements ne sont pas nécessairement les mêmes et que, ainsi, en principe, on ne saurait tirer des arguments d’un règlement pour mettre en doute la légalité de l’autre.

304. S’agissant du grief selon lequel le législateur de l’Union aurait choisi l’alternative plus lourde pour les entreprises de transport, force est de constater que, mis à part l’alternative discutée aux points 241 à 244, la République de Pologne ne spécifie pas quelles autres alternatives moins lourdes auraient été possibles.

305. S’agissant des arguments concernant les risques de retrait du marché ou de délocalisation d’une partie des sociétés de transport provenant du secteur des PME établies dans les États périphériques de l’Union, je renvoie aux développements contenus aux points 172 à 180, aux points 216 et suivants ainsi qu’au point 234 des présentes conclusions.

306. Enfin, s’agissant des arguments avancés par la République de Pologne au regard de la pandémie de COVID-19, je relève que si cette pandémie a eu de lourdes conséquences sur plusieurs secteurs économiques, parmi lesquels on compte aussi le secteur du transport routier, il s’agit toutefois d’une situation exceptionnelle et temporaire qui ne peut pas détourner le législateur de l’Union d’adopter des règles sociales appropriées qui s’appliquent à long terme. Il s’ensuit que la pandémie de COVID-19 ne saurait être invoquée pour faire valoir une violation présumée de l’article 94 TFUE.

307. Il ressort de tout ce qui précède que, à mon avis, les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE doivent être rejetés.

f)      Sur la violation des dispositions de droit de l’Union concernant la politique en matière d’environnement et de changement climatique

1)      Arguments des parties

308. Dans leurs recours, la République de Lituanie (affaire C‑541/20), et la République de Pologne (affaire C‑553/20) font valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 violerait différentes dispositions du droit de l’Union concernant la politique en matière d’environnement et de changement climatique. La République de Lituanie fait valoir la violation de l’article 3, paragraphe 3, TUE et des articles 11 et 191 TFUE. La République de Pologne fait valoir la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte.

309. La République de Lituanie fait valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, en imposant l’obligation de faire revenir régulièrement les conducteurs, viole l’article 3, paragraphe 3, TUE, les articles 11 et 191 TFUE ainsi que la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique, en ce qu’il serait incompatible avec celle-ci et avec l’obligation d’assurer la compatibilité des mesures de la politique des transports de l’Union avec les autres politiques de l’Union. La protection de l’environnement constituerait l’un des objectifs essentiels de l’Union et les exigences en la matière devraient être intégrées dans la mise en œuvre de la politique commune des transports. De surcroît, alors que la procédure d’adoption du règlement 2020/1054 était en cours, la Commission avait déjà élaboré un pacte vert pour l’Europe (160), dans lequel l’Union se serait fixé l’objectif d’atteindre la neutralité climatique d’ici l’année 2050. Selon les données de la Commission, le secteur des transports représenterait le quart du total des émissions de gaz à effet de serre de l’Union et cette part ne cesserait d’augmenter. Pour parvenir à la neutralité climatique, les émissions du secteur des transports devraient être réduites de 90 % d’ici l’année 2050 (161). Le 12 décembre 2019, le Conseil européen aurait fait sien cet objectif et aurait expressément demandé au Conseil de faire avancer les travaux dans ce domaine (162). Or, en adoptant l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte de ces objectifs. En effet, en considération du fait que la majeure partie de la demande de transport de marchandises par route émane, selon les données de la Commission, des États membres situés au centre de l’Union ou autour de ce centre, tandis que la majeure partie de la demande en personnel de transport est issue d’États membres périphériques de l’Union, cette disposition imposerait une obligation qui fera augmenter artificiellement la circulation sur les routes, le nombre de camions circulant sans marchandises ou le nombre d’autres véhicules destinés à transporter les travailleurs, la consommation de carburant et les rejets de CO2 dans l’environnement, réduisant ainsi l’efficacité du système de transport et accroissant la pollution et la congestion. Les problèmes que ladite disposition engendrera pour l’environnement et le climat seront incontestablement de grande ampleur puisque, selon les données de la Commission, le secteur des transports emploie environ 2,9 millions de travailleurs.

310. Pour sa part, la République de Pologne soutient, dans l’affaire C‑553/20, que l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte auraient été violés en ce que les exigences découlant de la protection de l’environnement n’auraient pas été prises en compte. Il découlerait de ces deux dispositions que les institutions de l’Union seraient tenues de s’abstenir de prendre des mesures qui seraient susceptibles de compromettre la réalisation des objectifs de protection de l’environnement, et ce au-delà des seules mesures se rattachant aux articles 191 et 192 TFUE. Le principe d’intégration des exigences de l’environnement dans les autres politiques de l’Union qui découlerait desdites dispositions permettrait de concilier les objectifs et les exigences de protection de l’environnement avec les autres intérêts et buts poursuivis par l’Union ainsi que la poursuite d’un développement durable. Un tel principe constituerait, en soi, un motif d’annulation d’un acte de l’Union lorsque les intérêts environnementaux n’ont manifestement pas été pris en compte ou ont été complètement ignorés. Eu égard au caractère horizontal large de l’article 11 TFUE, il conviendrait, lorsqu’on examine si une mesure donnée contribue suffisamment à la protection de l’environnement, de ne pas la considérer isolément par rapport aux autres mesures de l’Union adoptées à cette fin et liées à l’activité concernée, mais ce serait l’ensemble des mesures adoptées par l’Union dans ce domaine qui fournirait le cadre approprié pour une telle appréciation. Le contrôle juridictionnel concernant l’appréciation de la conformité de l’action du législateur de l’Union avec ce principe d’intégration devrait être analogue à celui effectué par le Tribunal lorsqu’il a eu à apprécier si l’action de la Commission respectait le principe de solidarité énergétique. Une interprétation de l’article 11 TFUE en ce sens qu’il ne concernerait que des domaines du droit et non des mesures particulières aurait pour effet d’en relativiser considérablement l’importance. Les exigences de protection de l’environnement devraient être prises en compte y compris lors de la détermination des différentes mesures faisant partie du domaine concerné du droit de l’Union. Dans ces conditions, il appartenait audit législateur de prendre en compte les exigences environnementales avant l’adoption de l’obligation de retour ce qui impliquait notamment de procéder à une analyse de l’incidence des règles projetées sur l’environnement et de s’assurer que ces dernières ne seraient pas préjudiciables à la réalisation des objectifs fixés dans les autres actes de droit dérivé adoptés dans le domaine de l’environnement. Le Parlement et le Conseil auraient été tenus ensuite de mettre en balance les intérêts en conflit et d’apporter le cas échéant les modifications adéquates.

311. Il serait notoire que la pollution de l’air par les émissions des transports engendrerait de nombreux problèmes de santé auxquels contribuerait principalement le transport routier. L’obligation de retour édictée par l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 engendrerait des voyages supplémentaires générant une augmentation des émissions de CO2 et des polluants atmosphériques, émissions susceptibles d’avoir une incidence notable sur la réalisation des objectifs environnementaux de l’Union découlant notamment du pacte vert pour l’Europe, de l’objectif d’une Union climatiquement neutre d’ici à 2050 par une réduction de 90 % des émissions globales des transports par rapport aux niveaux de 1990 et des objectifs assignés aux États membres par la législation de l’Union en la matière. Les émissions supplémentaires d’oxyde d’azote et des poussières générées en application de cette disposition et de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines prévues dans le règlement 2020/1055 seraient susceptibles de remettre en cause l’effectivité de l’action définie par les États membres dans les plans nationaux en faveur de l’environnement. Ces effets négatifs seraient documentés dans les analyses des incidences sur l’environnement de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines fournies au cours de la procédure législative notamment par les États membres, par la lettre de l’IRU, par le rapport KPMG commandé par une association bulgare et par la note de l’European Centre for International Political Economy (ECIPE). La Commission, par l’intermédiaire de la commissaire Vălean (163), aurait mis en cause la conformité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines avec les ambitions du pacte vert pour l’Europe et des conclusions du Conseil européen de 2019. Malgré cela, le Parlement et le Conseil n’auraient pas procédé à une analyse appropriée de l’incidence de l’obligation de retour des conducteurs sur la réalisation des objectifs environnementaux de l’Union et le respect des obligations incombant aux États membres en vertu des actes dans le domaine de l’environnement. Cette absence d’analyse d’impact serait constitutive d’une violation manifeste de leur obligation de procéder à une telle évaluation découlant de l’article 11 TFUE (164).

312. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

313. La question de la violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique fera l’objet d’un examen exhaustif dans le cadre des recours dirigés contre l’article 1er, point 3, sous a), du règlement 2020/1055 qui fait obligation aux transporteurs de prévoir un retour des véhicules dans l’État d’établissement toutes les huit semaines, examen auquel, compte tenu de la similarité des arguments avancés par la République de Lituanie et la République de Pologne dans leurs recours parallèles respectifs, je me permets de renvoyer largement (165).

314. Ainsi, je me bornerai à indiquer que l’article 52, paragraphe 2, de la Charte disposant que les droits reconnus par celle-ci qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ceux-ci, le droit à un niveau de protection élevé de l’environnement tel que consacré par la Charte doit se comprendre et s’interpréter dans les conditions et limites le cas échéant prévues par l’article 3, paragraphe 3, TUE et les articles 11 et 191 TFUE (166). L’article 37 de la Charte ne constitue donc pas une norme juridique autonome indépendante de ces autres dispositions de droit primaire.

315. En ce qui concerne l’article 3, paragraphe 3, TUE, sa dimension programmatique l’exclut des paramètres permettant d’apprécier la conformité au droit primaire d’une disposition de droit dérivé. Il ne peut, selon moi, recevoir une application autonome par rapport aux dispositions spécifiques du traité qui concrétisent les objectifs généraux qu’il énumère (167).

316. En ce qui concerne l’article 11 TFUE, en dépit d’un libellé d’apparence impérative, je ne suis pas convaincu que cette disposition soit de nature à faire naître des obligations à l’égard du législateur de l’Union aussi précises que celles invoquées par les parties requérantes, dès lors qu’il est seulement tenu d’intégrer les exigences liées à la protection de l’environnement, sans plus de détails. Il résulte de cette imprécision que le grief soulevé par la République de Pologne et tiré d’une violation de l’article 11 TFUE en raison de l’absence alléguée d’analyse d’impact – dont on ne sait d’ailleurs pas vraiment s’il concerne l’obligation de retour des conducteurs en tant que telle ou, celle, distincte, de l’obligation de retour des véhicules – ne peut prospérer (168).

317. En outre, si l’article 11 TFUE se réfère bien aux politiques et actions de l’Union, une telle référence ne saurait toutefois s’interpréter comme une obligation systématique, pour l’adoption de chaque disposition individuelle, d’intégrer les exigences liées à la protection de l’environnement, voire de les faire prévaloir. Eu égard au caractère transversal de l’article 11 TFUE, c’est, au final, la façon dont l’Union intègre, prend en compte dans ses politiques ces exigences qui permet de déterminer si celle-ci agit conformément à ce que cette disposition prescrit et si son législateur a exercé ses compétences dans le respect de l’objectif qui lui est fixé par ladite disposition.

318. Une telle interprétation me semble corroborée par la nature même de l’action législative, qui est de devoir arbitrer, dans un domaine donné, entre intérêts divergents et de mettre en balance des objectifs souvent contradictoires. Ainsi, quand bien même l’obligation de retour des conducteurs, envisagée isolément, aurait des conséquences négatives pour l’environnement (169), ce seul constat ne serait pas suffisant pour conclure à une violation de l’article 11 TFUE puisque, par ailleurs, le législateur de l’Union a entrepris diverses actions pour tenter de contenir les effets négatifs du transport routier de marchandises (170) et que ces conséquences alléguées constitueraient le coût environnemental d’une avancée sociale.

319. Je relève également que les différentes études et analyses citées par la République de Pologne, en particulier, s’attachent à décrire et évaluer les effets négatifs sur l’environnement allégués qui découleraient de l’adoption par le législateur de l’Union de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines dans l’État membre d’établissement. Ce sont les mêmes que celles qui sont abondamment citées et commentées dans le cadre des recours dirigés contre l’article 1er, point 3, sous a), du règlement 2020/1055 auxquels je renvoie. Toutefois, l’obligation de retour des conducteurs ne se confond pas avec celle des véhicules (171).

320. En ce qui concerne l’article 191 TFUE, je remarque que le règlement 2020/1054 n’est pas une mesure adoptée au titre de la politique de l’Union en matière d’environnement et il n’a pas été soutenu que les institutions défenderesses se seraient trompées de base juridique. En outre, une mesure ne saurait relever du domaine de l’environnement en raison du seul fait qu’elle devrait tenir compte d’exigences environnementales (172). Dans ces conditions, l’invocation de l’article 191 TFUE apparaît dénuée de pertinence.

321. Enfin, quant à l’allégation selon laquelle l’obligation de retour contreviendrait aux objectifs par ailleurs fixés par le Conseil européen, par le pacte vert pour l’Europe et par les autres instruments de droit dérivé, il y a lieu de rappeler ce qui suit. Premièrement, la légalité interne d’un acte de droit dérivé ne saurait être examinée au regard d’un autre acte de l’Union de même rang normatif (173), à moins qu’il ait été adopté en application de ce dernier acte ou s’il est expressément prévu, par l’un des deux actes, que l’un prime sur l’autre (174), ce qui n’est pas le cas du règlement 2020/1054.  En outre, d’éventuelles tensions, dans le chef des États membres, entre les objectifs qui leur sont assignés par les différentes réglementations de l’Union qui s’appliqueraient à eux ne pourraient conduire qu’au constat d’une violation par un État membre de ses obligations au titre de l’une ou l’autre de ces réglementations, sans pour autant qu’une desdites réglementations puisse être déclarée contraire à une autre de même rang normatif (175). Deuxièmement, eu égard à leur nature essentiellement politique et à l’absence de fonction législative dévolue au Conseil européen, aucune conclusion utile pour l’issue des présents recours ne saurait être tirée dans l’hypothèse où la contradiction alléguée avec les conclusions de ce dernier devrait être confirmée (176). Troisièmement, le pacte vert pour l’Europe résulte d’une communication de la Commission qui ne fait pas partie des paramètres qui s’imposaient au législateur de l’Union au moment d’adopter l’obligation de retour des conducteurs.

322. Partant, les moyens tirés de la violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique doivent être rejetés.

g)      Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1)      Arguments des parties

323. Dans leurs recours la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20) et la Roumanie (affaire C‑546/20) font valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de non‑discrimination, prévu par l’article 18 TFUE. La République de Bulgarie se réfère également aux articles 20 et 21 de la Charte, au principe d’égalité des États membres, inscrit à l’article 4, paragraphe 2, TUE ainsi qu’à l’article 95, paragraphe 1, TFUE et à la libre prestation des services.

324. En premier lieu, ces trois États membres font valoir que l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 violerait le principe de non‑discrimination en ce qu’il permettrait une discrimination entre les transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie géographique de l’Union et ceux qui sont établis dans les États membres situés au centre de l’Union. En effet, l’organisation du travail des poids lourds d’une manière telle qu’ils puissent rentrer à leur domicile ou dans l’État membre d’établissement au moins toutes les quatre semaines serait nettement moins contraignante pour les transporteurs établis dans des États membres dotés d’un vaste marché national, dont les conducteurs effectuent des transports dans l’État membre d’établissement du transporteur, à proximité de leur lieu de résidence, que pour les transporteurs établis dans des États membres périphériques, dont le marché national est limité et qui se concentrent sur le transport international. En particulier, la Roumanie fait valoir que l’obligation de garantir le retour des conducteurs entraînerait des pertes importantes pour les sociétés établies dans les États membres situés à la périphérie géographique de l’Union, qui seraient, en tout état de cause, nettement plus élevées que celles des sociétés établies en Europe centrale ou occidentale.

325. La République de Lituanie fait valoir, en outre, que la discrimination créée par la disposition en cause envers les entreprises des États membres situés à la périphérie de l’Union entraverait l’exercice des libertés du marché intérieur puisque ces entreprises se trouveraient dans une situation défavorable par rapport aux entreprises du centre de l’Union et des régions situées autour de ce centre. L’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 serait ainsi une mesure protectionniste, par laquelle les entreprises des États périphériques sont évincées du marché du transport d’une partie du territoire de l’Union, destinée à réduire le volume d’activités de ces entreprises, dès lors qu’elles devraient non seulement proposer aux conducteurs des conditions de travail qui restreignent leur libre circulation, mais aussi organiser leur activité de telle manière qu’une partie des trajets effectués par les véhicules ne seraient pas rentables ou que les véhicules resteraient vides en attendant que les conducteurs soient remplacés ou qu’ils reviennent depuis le centre opérationnel ou l’État de résidence après leur période de repos.

326. En deuxième lieu, la République de Bulgarie et la République de Lituanie font valoir que la disposition attaquée conduirait à discriminer entre les conducteurs qui travaillent pour des transporteurs établis dans des États membres situés à la périphérie géographique de l’Union et ceux qui travaillent pour des transporteurs d’États membres situés au centre de l’Union, puisque le retour à l’État de résidence impose un trajet de longue distance pendant de courtes périodes de temps, ce qui est susceptible de ne pas être souhaité et d’aggraver la situation du conducteur. Dans le cadre du même État membre, l’exigence en cause créerait une discrimination entre les conducteurs locaux et ceux d’autres États membres. En outre, les travailleurs des États membres situé à la périphérie de l’Union seraient placés dans une situation objectivement plus compliquée, en ce que, pour exercer leur droit au congé, ils devront parcourir de plus grandes distances et perdre plus de temps par rapport aux travailleurs des régions situées autour du centre de l’Union.

327. En troisième lieu, la République de Bulgarie fait valoir que l’obligation relative au retour des conducteurs violerait également le principe d’égalité des États membres en raison de la position nettement plus défavorable dans laquelle seraient les États membres situés à la périphérie de l’Union.

328. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

329. La République de Lituanie, la République de Bulgarie et la Roumanie font valoir que l’obligation relative au retour du conducteur violerait les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination de trois points de vues : premièrement, elle créerait une discrimination entre les transporteurs ; deuxièmement, elle conduirait à une discrimination entre les conducteurs, et, troisièmement, elle créerait une discrimination entre différents États membres.

330. À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 79 ci-dessus, le caractère comparable des situations différentes s’apprécie à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Les objectifs de la disposition en cause ont été exposés aux points 196 et suivants ci-dessus auxquels je renvoie.

331. S’agissant, en premier lieu, de la discrimination entre les transporteurs, prétendument créée par l’obligation de retour des conducteurs, il convient, d’emblée, de relever que, ainsi qu’il a été observé au point 167 ci-dessus, l’obligation relative au retour des conducteurs s’applique indistinctement et de la même manière à toute entreprise de transport qui effectue des transports par route relevant du champ d’application du règlement nº 561/2006. La disposition s’applique quelle que soit la nationalité de l’employeur (et aussi du conducteur).

332. Il s’ensuit que cette obligation, en tant que telle, n’institue pas explicitement de distinction entre entreprises de transports.

333. Néanmoins, lesdits trois États membres font, en substance, valoir que, en dépit du fait qu’elle s’applique indistinctement à toutes entreprises de transport, l’obligation relative au retour des conducteurs affecterait davantage les entreprises de transport établies dans les États membres situés dans la périphérie géographique de l’Union, ce qui conduirait à une discrimination interdite par le droit de l’Union.

334. À cet égard, j’ai relevé au point 174 ci-dessus que l’obligation relative au conducteurs est susceptible d’affecter davantage les entreprises de transport qui ont choisi, pour des raisons commerciales qui leur sont propres, de s’établir dans un État membre à la périphérie de l’Union tout en exerçant, toutefois, en permanence ou majoritairement, leurs activités dans d’autres États membres lointains où elles y fournissent l’essentiel de leurs services de transport, sans cependant exercer leur droit de s’établir dans ces États membres, que le droit de l’Union leur garantit (177).

335. Il ressort, par ailleurs de l’analyse d’impact, ainsi qu’il a été relevé au point 229 ci-dessus, qu’une large partie des entreprises de transport, y inclus celles situées à la périphérie de l’Union, exerçaient déjà leurs activités d’une manière compatible avec l’obligation relative au retour des conducteurs.

336. Dans ces conditions, ainsi qu’il a été observé au point 230 ci-dessus, ce sont précisément les pratiques de « nomadisme des conducteurs » qui concernaient un nombre non négligeable des conducteurs et qui avaient été identifiées comme un des facteurs contribuant à la détérioration des conditions sociales des conducteurs, que le législateur de l’Union a entendu réguler afin de poursuivre les objectifs stratégiques du règlement 2020/1054, à savoir améliorer les conditions de travail des conducteurs, garantir une concurrence loyale et non faussée entre les transporteurs, et contribuer à la sécurité routière pour tous les usagers de la route (178).

337. Or, ainsi que je l’ai relevé au point 220 ci-dessus, la Cour a déjà reconnu que le législateur de l’Union est en droit d’adapter un acte législatif afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation des services.

338. Or, une mesure d’harmonisation de l’Union a inévitablement des effets divergents dans les différents États membres (179). Le législateur ne saurait être tenu de compenser les différences de coûts entre les opérateurs économiques, découlant de leurs choix de modèle économique et des conditions différentes dans lesquelles ils sont placés (180) en raison de ce choix, telles que celles découlant de réalités géographiques (181).

339. Ensuite, dans le cadre du contrôle juridictionnel limité que, dans un domaine tel que la politique des transports, la Cour a reconnu également en ce qui concerne le respect du principe de l’égalité de traitement (182), le juge de l’Union ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur de l’Union en mettant en doute le choix du législateur de contrecarrer, en adoptant une disposition applicable indistinctement à toute entreprise de transport, certaines pratiques identifiées comme contribuant à la détérioration des conditions sociales des conducteurs, même si ce choix comporte que certaines entreprises ayant choisi un type de modèle économique devront supporter des coûts plus élevés.

340. Quant aux arguments de la République de Lituanie tirés de ce que la prétendue discrimination créée par la disposition en cause envers les entreprises des États membres situés à la périphérie de l’Union entraverait l’exercice des libertés du marché intérieur, je renvoie aux considérations effectuées aux points 167 à 180 ci-dessus,  dans lesquelles j’ai exposé les raisons pour lesquelles l’obligation relative au retour des conducteurs ne viole pas les disposition du traité FUE en matière de libertés fondamentales.

341. S’agissant, en deuxième lieu, de la discrimination entre les conducteurs, que, selon la République de Lituanie et la République de Bulgarie, l’obligation de retour des conducteurs créerait, je relève, à titre subsidiaire (183), que la situation des conducteurs employés dans des entreprises de transport établies dans des États membres situés à la périphérie géographique de l’Union et celle des conducteurs qui travaillent pour des transporteurs établis dans des États membres situés au centre de l’Union sont comparables en ce qui concerne le droit d’avoir la possibilité de retourner dans leur lieu de résidence dans un délai raisonnable.

342. Dans ces conditions, il est difficile de considérer que le législateur de l’Union a commis une erreur manifeste ou a clairement outrepassé son pouvoir d’appréciation en s’abstenant d’établir une distinction entre les différents travailleurs selon la distance la plus ou moins grande que ces travailleurs doivent parcourir pour rentrer chez eux ou au centre opérationnel de leur employeur, et ainsi de refuser ou limiter pour un groupe de travailleurs le droit de retour en raison du modèle économique choisi par leur employeur.

343. Je partage à cet égard l’avis du Conseil, selon lequel tous les conducteurs du secteur du transport routier se trouvent dans une situation comparable en ce qui concerne leur droit au retour et doivent par conséquent se voir octroyer les mêmes droits en dépit des charges différentes que l’exercice de ce droit entraîne pour leurs employeurs respectifs en fonction des modèles économiques que ceux-ci ont choisis.

344. S’agissant, en troisième lieu, de la discrimination entre différents États membres prétendument créée par l’obligation relative au retour des conducteurs, à supposer même que certains États membres soient indirectement affectés plus que d’autres par la disposition en cause, ainsi que je viens de le relever, la Cour a déjà jugé qu’un acte de l’Union ayant pour objet d’égaliser les normes des États membres, pour autant qu’il s’applique de façon égale à tous les États membres, ne saurait être considéré comme discriminatoire, un tel acte d’harmonisation créant inévitablement des effets divergents selon l’état antérieur des différentes législations nationales (184).

345. Eu égard à tout ce qui précède, j’estime que les moyens soulevés à l’encontre de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 tirés de la violation des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination doivent tous être rejetés.

h)      Conclusion sur les moyens concernant l’obligation relative au retour des conducteurs

346. Il ressort de toutes les considérations qui précèdent que, à mon avis, il convient de rejeter tous les moyens soulevés par la République de Lituanie dans l’affaire C‑541/20, par la République de Bulgarie dans l’affaire C‑543/20, par la Roumanie dans l’affaire C‑546/20 et par la République de Pologne dans l’affaire C‑553/20, à l’encontre de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 qui prévoit l’obligation relative au retour des conducteurs.

2.      Sur les moyens concernant l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine

347. La République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la Hongrie (affaire C‑551/20) contestent l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 qui prévoit l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine (185). Ces trois États membres soulèvent plusieurs moyens à l’encontre de cette disposition.

a)      Sur la violation du principe de proportionnalité

1)      Arguments des parties

348. La République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie font valoir que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité.

349. Ces trois États membres, d’une part, contestent la proportionnalité en tant que telle de l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine, prévue à ladite disposition. Ils font, en particulier, valoir que cette mesure est manifestement inappropriée à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, qu’elle n’est pas nécessaire pour atteindre ces objectifs et qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser ces objectifs déclarés. D’autre part, la Roumanie et la Hongrie contestent également l’examen effectué par le législateur de l’Union de la proportionnalité. Ces États membres font valoir, en particulier, que le législateur de l’Union aurait omis de tenir compte d’éléments essentiels dans l’adoption de la disposition en cause.

350. En ce qui concerne, en premier lieu, les moyens relatifs à la proportionnalité de l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine, la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie font valoir que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 viole le principe de proportionnalité en ce que, en raison de l’état actuel de l’infrastructure européenne, ladite interdiction y prévue constituerait une obligation excessivement difficile, voire impossible à respecter. En effet, compte tenu du nombre insuffisant d’aires de stationnement sécurisées et de lieux d’hébergement appropriés situés à proximité de celles-ci, les conducteurs et les entreprises de transport se retrouveraient souvent face à des exigences impossibles à respecter. Dans ces conditions, cette mesure ne saurait être mise en œuvre de manière à atteindre les objectifs poursuivis, ce qui démontrerait son caractère manifestement inapproprié. Elle pèserait en outre manifestement de façon disproportionnée sur les conducteurs et les entreprises de transport. Par conséquent, en prévoyant une telle exigence inapplicable en pratique, le législateur de l’Union aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

351. La République de Bulgarie et la Hongrie relèvent que déjà dans l’analyse d’impact – volet social, la Commission avait indiqué à plusieurs endroits que l’Union manquerait, d’une manière générale, d’installations de repos appropriées et d’aires de stationnement sécurisées (186). L’état insuffisant des installations dans l’Union ressortirait également d’une étude publiée par la Commission en février 2019 sur les emplacements de stationnement sûrs et sécurisés (ci-après l’« étude de 2019 ») (187), auquel les trois États membres susmentionnés se réfèrent. Selon cette étude, sur 300 000 emplacements de stationnement destinés, dans l’Union, aux poids lourds, seuls quelque 47 000 seraient partiellement sécurisés et 7 000 seulement afficheraient un niveau de sécurité certifié. La demande moyenne d’emplacements de stationnement de nuit étant estimée à près de 400 000 places, il en résulterait un déficit d’environ 100 000 emplacements, très peu d’aires existantes garantissant, par ailleurs, un niveau approprié de sécurité et de sûreté. En outre, cette étude ferait ressortir une répartition inégale des emplacements de stationnement sûrs et sécurisés par rapport aux corridors de transit européens, les 7 000 emplacements de stationnement certifiés ne se trouvant que dans certains États membres. Par ailleurs, le CESE ainsi que plusieurs États membres auraient mis en exergue cette situation pendant la procédure législative.

352. La question des aires de stationnement et celle des hébergements adéquats, bien que différentes, seraient étroitement liées, en ce sens que, pour le chauffeur, seul serait approprié un hébergement qui est situé à proximité d’une aire de stationnement adéquate et sécurisée dont il sait que sa cargaison y sera en sécurité. Le nombre limité de telles aires de stationnement restreindrait encore davantage le nombre des hébergements potentiels que le chauffeur peut utiliser afin de prendre son temps de repos hebdomadaire.

353. La République de Bulgarie relève aussi que l’insuffisance des infrastructures serait mise en exergue par l’obligation pour la Commission, en vertu de l’article 1er, point 7, du règlement 2020/1054, de faire un rapport au Parlement et au Conseil sur la disponibilité d’installations de repos appropriées pour les conducteurs au plus tard le 31 décembre 2024. La Roumanie ajoute que cet article imposerait à la Commission de publier une liste de toutes les aires de stationnement. Cependant, aucun site Internet n’aurait à ce jour été créé à cet effet.

354. La Roumanie fait également valoir que, afin de respecter la disposition en cause, les conducteurs se trouvant sur des trajets dépourvus d’aires de stationnement sûres et sécurisées n’auraient d’autre choix que d’utiliser des aires non sécurisées, sur lesquelles ils laisseraient les véhicules sans surveillance pendant leur temps de repos pris dans un lieu d’hébergement approprié, exposant ainsi le véhicule à la criminalité. Or, en vertu de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), signée à Genève le 19 mai 1956, le  transporteur serait responsable de la perte totale ou partielle, ou de l’avarie, qui se produit entre le moment de la prise en charge de la marchandise et celui de la livraison, ainsi que du retard à la livraison. En l’état actuel de l’infrastructure, la solution législative adoptée n’améliorerait donc pas les conditions de travail des conducteurs, mais, tout au contraire, pourrait avoir pour effet d’accroître la fatigue et le stress de ceux-ci, ainsi que les risques pour leur sécurité, leur marchandise et leur véhicule. Dans le même sens, la République de Bulgarie fait valoir que le manque d’aires de stationnement sécurisées pour les poids lourds dans l’Union accroîtrait le risque de vols et engendrerait des problèmes d’assurance pour les transporteurs.

355. La République de Bulgarie ajoute également que l’impossibilité de respecter l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine exposerait les conducteurs et les transporteurs au risque de se voir infliger des sanctions qui pourraient conduire à la perte de l’honorabilité et, partant, de l’accès au marché du transport routier de marchandises de l’Union. À cet égard, il serait sans incidence que la liste des infractions les plus graves aux règles de l’Union ne comprenne pas la violation de l’interdiction de prendre un repos hebdomadaire normal dans le véhicule.

356. Dans ce contexte, la Roumanie et la Hongrie se réfèrent au règlement (UE) no 1315/2013 (188), notamment à son article 38, paragraphe 3 et son article 39, paragraphe 2, sous c), ainsi qu’aux orientations révisées pour le développement du réseau transeuropéen de transport y établies et mentionnées au considérant 19 du règlement 2020/1054. Ces dispositions prouveraient également l’insuffisance de l’état actuel de l’infrastructure européenne.

357. La Hongrie relève, en outre, que l’article 8 bis, paragraphes 3 et 4, du règlement 2020/1054 comporte des appels réitérés à la création d’aires de stationnement sûres et sécurisées (189). En outre, les mesures la création d’aires de stationnement sûres et sécurisées ne pourraient produire leurs effets qu’à l’avenir, alors qu’aucune période de transition adéquate n’a été prévue, l’interdiction en cause étant en outre absolue La République de Bulgarie conteste également l’absence de période transitoire pour l’entrée en vigueur de la disposition en cause.

358. La République de Bulgarie soutient ensuite que les États membres n’auraient aucune obligation de garantir, à tout le moins jusqu’à une certaine date, des lieux d’hébergement adaptés suffisants ainsi que des aires sécurisées et sûres de stationnement. Un État membre pourrait ainsi être incité à ne pas augmenter le nombre des infrastructures afin de limiter la prestation sur son territoire de services de transport par des transporteurs étrangers

359. La République de Bulgarie fait également valoir que l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine impliquerait des coûts supplémentaires significatifs pour les transporteurs, qui sont majoritairement des PME, dès lors que le transporteur serait tenu de payer un hébergement approprié pour les repos hebdomadaires des conducteurs lorsque ces derniers sont loin de leur domicile (190). Il en résulterait aussi des frais pour les détours et les courses à vide éventuels uniquement justifiés par le souci de trouver un hébergement adéquat. Les frais que devront exposer les transporteurs bulgares en raison de cette mesure seraient estimés à 143 millions d’euros. Dans le même sens, la Roumanie fait valoir que ladite mesure est manifestement inappropriée au regard de l’objectif de la réduction des charges administratives et financières pesant sur les entreprises de transport.

360. La République de Bulgarie fait, en outre, valoir que l’interprétation de la notion de « lieu d’hébergement adapté » serait source d’insécurité juridique, ce qui, de l’aveu même de la Commission, donnerait lieu à des problèmes d’application (191). La Roumanie pour sa part soutient que la divergence entre États membres au regard des sanctions pour violation de l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine, mise en exergue dans l’analyse d’impact – volet social (192) n’est pas résolue dans le règlement 2020/1054 de sorte que les États membres continueront d’appliquer des sanctions différentes en prolongeant ainsi la situation d’insécurité juridique pour les transporteurs et les conducteurs. La solution législative serait ainsi également inappropriée de ce point de vue étant donné qu’elle contrevient à l’objectif du règlement 2020/1054 d’uniformiser l’interprétation et l’application des règles et de faciliter l’application transfrontalière de la législation sociale de manière cohérente.

361. Les trois États membres susmentionnés mettent ensuite en doute la pertinence de l’arrêt Vaditrans (193). Ainsi, selon la Hongrie et la Roumanie, cet arrêt serait sans incidence dans les présentes affaires. La lecture dudit arrêt indiquerait plutôt que, lors de la procédure juridictionnelle, aucune donnée relative aux installations de repos disponibles dans les États membres n’avait été produite devant la Cour ni, de ce fait, prise en considération par celle-ci. Il serait donc permis de présumer que la Cour n’a pas examiné la question de la proportionnalité, en ce qu’elle n’a pas apprécié une circonstance pertinente pour l’application de la réglementation en question, à savoir que l’interdiction du repos hebdomadaire en cabine est souvent impossible à appliquer en pratique du fait du nombre insuffisant d’installations de repos disponibles dans les États membres. La Cour aurait répondu à une question d’interprétation, tandis qu’en l’espèce, il s’agirait de déterminer si, à la lumière des éléments disponibles, le législateur a effectué un exercice correct de son pouvoir d’appréciation et a respecté l’exigence de proportionnalité.

362. La Roumanie relève également que, à la suite de ce même arrêt, le règlement nº 561/2006 doit, en tout état de cause, être interprété en ce sens qu’il interdit le temps de repos hebdomadaire normal dans la cabine du véhicule. Cependant, l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 consacrerait cette interdiction, tout en apportant des précisions supplémentaires. La République de Bulgarie elle aussi fait valoir que le règlement 2020/1054 ne se bornerait pas à exécuter l’arrêt Vadritans, mais il ajouterait l’exigence que les temps de repos soient pris dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats.

363. Enfin, la République de Bulgarie et la Roumanie soutiennent qu’il existerait des mesures appropriées alternatives qui seraient moins contraignantes. Ainsi, premièrement, selon la Commission elle-même, il conviendrait de permettre aux conducteurs de prendre leur repos hebdomadaire normal en cabine, à condition qu’il s’agisse d’un libre choix du conducteur ou que ce soit justifié au regard des circonstances (194). Deuxièmement, une autre mesure possible serait l’instauration d’une dérogation dans les cas dans lesquels des lieux appropriés d’hébergement manquent dans un rayon déterminé à partir de la localisation du conducteur. Troisièmement, une autre approche possible, telle que proposée par le CdR, serait de ne pas appliquer l’interdiction de repos en cabine si le temps de repos hebdomadaire de 45 heures a lieu dans un endroit où il existe un niveau de sécurité suffisant et des installations sanitaires adéquates et que la cabine du conducteur est conforme aux spécifications qui seront fixées par le comité des transports routiers. Quatrièmement, il serait possible d’instaurer une période transitoire à l’issue de laquelle la Commission constaterait le caractère suffisant des lieux d’hébergement et d’aires sécurisées et sûres de stationnement dans l’ensemble de l’Union. Cette période transitoire pourrait être accompagnée d’une obligation pour les États membres de garantir qu’ils entreprennent les démarches nécessaires afin de créer des infrastructures appropriées.

364. En ce qui concerne, en second lieu, les moyens relatifs à l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de l’interdiction du repos en cabine, la Roumanie et la Hongrie font valoir que le législateur de l’Union aurait omis de tenir compte d’éléments essentiels dans l’adoption de la disposition en cause.

365. Ces deux États membres soutiennent qu’il ressort des informations disponibles au moment de l’adoption de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 que le législateur de l’Union avait connaissance de l’état lacunaire actuel de l’infrastructure européenne. Or, l’analyse d’impact présenterait le déficit d’aires de stationnement et de lieux d’hébergement appropriés comme étant un facteur qui favorise la pratique consistant à prendre le temps de repos dans la cabine du véhicule. La Commission aurait même précisé qu’en raison de cette situation, les conducteurs ont de meilleures conditions de repos dans la cabine que s’ils recourent aux autres solutions disponibles (195). En outre, l’ampleur de ce déficit aurait été relevée par la Commission dans l’étude de 2019. En outre, l’article 8 bis, paragraphes 3 et 4, du règlement nº 561/2006, tel que modifié par le règlement 2020/1054, comporte des appels réitérés à la création d’aires de stationnement sûres et sécurisées, ce qui démontre que le législateur a adopté l’exigence contestée en étant conscient du nombre insuffisant d’aires de stationnement de qualité appropriée. Il s’ensuivrait que le législateur de l’Union a commis une erreur manifeste en omettant de tenir compte des éléments essentiels, à savoir les données relatives au déficit d’emplacements de stationnement sûrs et sécurisés, et n’a pas apprécié les preuves pertinentes.

366. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

i)      Observations liminaires

367. L’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, dont la proportionnalité est remise en cause par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, a modifié l’article 8 paragraphe 8, du règlement nº 561/2006.

368. Dans son ancienne version, l’article 8 paragraphe 8, du règlement nº 561/2006 prévoyait que « [s]i un conducteur en fait le choix, les temps de repos journaliers [(196)] et temps de repos hebdomadaires réduits [(197)] loin du point d’attache peuvent être pris à bord du véhicule, à condition que celui-ci soit équipé d’un matériel de couchage convenable pour chaque conducteur et qu’il soit à l’arrêt ».

369. Ainsi qu’il ressort de son libellé, cette disposition visait exclusivement les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits en permettant, à certaines conditions, aux conducteurs de prendre ces temps de repos à bord du véhicule. Elle ne visait pas, en revanche, de manière explicite le temps de repos hebdomadaire normal.

370. Dans l’arrêt Vaditrans, toutefois, la Cour a jugé que ladite disposition, dès lors qu’elle ne permettait expressément, selon son libellé, que la seule prise des temps de repos journaliers et temps de repos hebdomadaires réduits à bord du véhicule (à condition que celui-ci soit équipé d’un matériel de couchage convenable pour chaque conducteur et qu’il soit à l’arrêt), devait être interprétée en ce sens qu’elle interdisait la prise des temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule (198).

371. À la suite de cet arrêt, l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 – disposition dont la légalité est contestée dans les présentes affaires – a modifié l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006 en prévoyant désormais de manière explicite l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine. La nouvelle version de cette disposition telle que modifiée dispose ainsi que les « temps de repos hebdomadaires normaux et tout temps de repos hebdomadaire de plus de [45] heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire antérieur ne peuvent être pris dans un véhicule », mais doivent être pris « dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats ». Il est également précisé que « l’employeur prend en charge tous les frais d’hébergement à l’extérieur du véhicule ».

372. C’est dans un tel contexte que la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie contestent la proportionnalité de cette disposition. À cet égard, il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 52 et suivants ci-dessus que, afin d’examiner la proportionnalité d’une mesure, la Cour doit vérifier si, en adoptant une telle mesure, le législateur de l’Union a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports (199), en optant pour une mesure manifestement inappropriée par rapport aux objectifs qu’il entendait poursuivre ou qui causerait des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

373. En ce qui concerne les objectifs de la disposition en cause, il est constant que celle-ci vise à poursuivre les objectifs stratégiques du règlement 2020/1054, que j’ai déjà mentionnés au point 197 ci-dessus. En particulier, ainsi qu’il ressort du considérant 13 du règlement 2020/1054 (200), cette disposition vise l’objectif de promouvoir le progrès social, en améliorant les conditions de travail des conducteurs, ce qui contribue également à l’amélioration de la sécurité routière et à l’harmonisation des conditions de concurrence du transport routier.

374. Les trois États membres susmentionnés ne remettent pas en question la légitimité de ces objectifs. Ils contestent, en revanche, le caractère approprié et nécessaire de cette mesure et font également valoir qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser lesdits objectifs déclarés.

375. Le Conseil et le Parlement rétorquent, toutefois, que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 n’a pas réellement introduit l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine dans l’ordre juridique de l’Union, cette interdiction existant déjà en vertu de la version antérieure de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt Vaditrans. Le législateur de l’Union se serait donc simplement borné à codifier cette interprétation.

376. Lesdits trois États membres contestent toutefois la pertinence de l’arrêt Vaditrans pour la présente affaire. Dans ces conditions, j’estime que, avant d’analyser en détail les arguments tirés de la violation du principe de proportionnalité soulevés par ces mêmes États membres, il convient, à titre liminaire, d’analyser, cet arrêt et de clarifier sa pertinence pour les présentes affaires.

ii)    Sur l’arrêt Vaditrans et sur sa portée

377. Dans l’affaire Vaditrans, le Conseil d’État belge avait posé des questions préjudicielles à la Cour dans le cadre d’un litige pendant devant lui introduit par une entreprise de transport, Vaditrans, qui demandait l’annulation d’un arrêté royal en vertu duquel une amende pouvait être infligée lorsque le conducteur d’un camion prenait son repos hebdomadaire normal à bord du véhicule.

378. Dans ce contexte, le Conseil d’État belge demandait à la Cour si l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, dans son ancienne version mentionnée au point 368 ci-dessus, devait être interprété en ce sens que les temps de repos hebdomadaires normaux ne pouvaient pas être pris à bord du véhicule.

379. Ainsi que je l’ai relevé au point 370 ci-dessus, la Cour, dans son arrêt, a jugé que cette disposition devait être interprétée en ce sens qu’elle interdisait la prise des temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule (201). Après avoir indiqué qu’une telle interprétation était corroborée par la genèse de ladite disposition et le contexte dans lequel elle s’inscrivait, la Cour a souligné que cette interprétation « vise manifestement à atteindre les objectifs [du règlement nº 561/2006] consistant en l’amélioration des conditions de travail des conducteurs et de la sécurité routière » (202). À cet égard, elle a ensuite précisé que, même si la conception des véhicules et des cabines avait connu des améliorations considérables, il n’en demeurait pas moins qu’une cabine de camion « n’apparaît pas constituer un lieu de repos adapté à des périodes de repos plus longues que les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits » et que les conducteurs devraient avoir la possibilité de passer leurs temps de repos hebdomadaires normaux « dans un lieu qui fournit des conditions d’hébergement adaptées et adéquates » (203).

380. La Cour a également relevé qu’une interprétation inverse aurait impliqué qu’un conducteur aurait pu prendre l’intégralité de ses temps de repos dans la cabine du véhicule et que, ainsi, les temps de repos de ce conducteur seraient pris dans un lieu qui ne fournit pas de conditions d’hébergement adaptées, ce qui ne serait pas susceptible de contribuer à la réalisation de l’objectif d’amélioration des conditions de travail des conducteurs (204).

381. La Cour a ensuite ajouté que la détérioration éventuelle des conditions dans lesquelles les conducteurs auraient pu prendre les temps de repos hebdomadaires ou la difficulté d’apporter la preuve du respect de cette exigence ne sauraient justifier le non‑respect des dispositions impératives du règlement nº 561/2006 ayant trait aux temps de repos des conducteurs (205).

382. Les trois États membres qui contestent la proportionnalité de la disposition en cause soulèvent, toutefois, plusieurs arguments visant à remettre en cause la pertinence de l’arrêt Vaditrans dans les présentes affaires.

383. En premier lieu, la Hongrie et la Roumanie soutiennent que l’affaire Vaditrans ne serait pas pertinente, car dans cette affaire, qui concernait un renvoi préjudiciel d’interprétation, la Cour n’aurait pas examiné la question de la proportionnalité de l’obligation instituée par le règlement nº 561/2006 par rapport aux possibilités concrètes de mise en œuvre de cette disposition. La Cour n’aurait pas apprécié l’impossibilité d’appliquer l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine.

384. J’estime, toutefois, qu’un tel argument équivaut, en substance, à remettre en cause l’arrêt de la Cour et vise même à contester, ex post, la validité de ladite disposition du règlement nº 561/2006, objet de l’interprétation de la Cour dans cet arrêt. En effet, par cet argument, lesdits États membres soutiennent, en fin de compte, que la version ancienne de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt Vaditrans, aurait été invalide, car contraire au principe de proportionnalité, la Cour n’ayant pas pris en considération, dans son analyse, l’impossibilité ou la difficulté excessive à respecter l’interdiction de prendre le repos hebdomadaire normal dans le véhicule résultant de l’interprétation de cette disposition qu’elle a retenue dans cet arrêt.

385. Or, un argument soulevé dans le cadre d’un recours en annulation introduit à l’encontre d’une disposition et tiré de l’invalidité de la version précédente de cette disposition telle qu’interprétée par la Cour dans un arrêt précédent est, à mon avis, indubitablement irrecevable. En l’occurrence, l’objet des recours introduits par les États membres en cause est la demande d’annulation de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 et non pas une demande d’annulation de la version précédente de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, qui a été remplacée par ladite disposition.

386. En outre, et dans une perspective analogue, dans le cadre d’un recours en annulation introduit à l’encontre d’une disposition d’un acte de droit de l’Union, un État membre ne saurait non plus, selon moi, essayer de remettre en cause l’interprétation de la version précédente de cette disposition retenue par la Cour dans un arrêt préjudiciel.

387. À cet égard, il importe de souligner que, conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les gouvernements des États membres ont la possibilité de participer à la procédure préjudicielle et, en particulier, de présenter des observations dans cette procédure. Si un État membre veut soutenir qu’une disposition de l’Union qui fait objet d’un renvoi préjudiciel est invalide ou veut plaider en faveur d’une certaine interprétation de cette disposition, cet État membre peut bien intervenir dans la procédure préjudicielle et faire valoir ses argumentations. Il ne saurait, cependant, le faire dans un subséquent recours ayant pour objet une demande d’annulation d’une nouvelle disposition qui a modifié ladite disposition précédente.

388. Il s’ensuit que si les États membres susmentionnés estimaient que la version précédente de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006 était invalide ou aurait dû être interprétée d’une certaine manière, ils auraient pu et dû soulever leurs arguments en intervenant dans l’affaire Vaditrans. Ces États membres ne sauraient remettre en doute ni la validité de ladite disposition, ni l’interprétation retenue par la Cour dans cet arrêt dans le cadre des présents recours qui ont comme objet une demande d’annulation, notamment, de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054.

389. En second lieu, la République de Bulgarie et la Roumanie font également valoir que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne se bornerait pas à codifier l’arrêt Vaditrans, mais ajouterait des exigences additionnelles.

390. Or, à cet égard, il ressort du libellé de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 que, par rapport à l’ancienne version de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt Vaditrans, la nouvelle disposition apparaît ajouter trois exigences supplémentaires. Premièrement, la nouvelle version de cette disposition se réfère non seulement au « temps de repos hebdomadaires normaux » mais également à « tout temps de repos hebdomadaire de plus de [45] heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire antérieur ». Deuxièmement, elle précise que ces temps de repos doivent être pris « dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats ». Troisièmement, elle précise que « l’employeur prend en charge tous les frais d’hébergement à l’extérieur du véhicule ».

391. En ce qui concerne la première exigence, force est de constater qu’elle est couverte par l’interprétation de l’ancienne version de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006 retenue par la Cour dans l’arrêt Vaditrans. En effet, comme je l’ai relevé au point 379 ci-dessus, dans cet arrêt, la Cour a explicitement statué qu’une cabine de camion ne constitue pas un lieu de repos adapté à des périodes de repos plus longues que les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits (206). Il s’ensuit que même avant l’adoption du règlement 2020/1054, une période de temps de repos hebdomadaire de plus de 45 heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire antérieur n’aurait pas pu être prise à bord du véhicule.

392. De même, la deuxième exigence, mentionnée au point 390 ci-dessus, découle directement de l’arrêt Vaditrans. En effet, dans cet arrêt, la Cour a explicitement jugé que les conducteurs devraient avoir la possibilité de passer leurs temps de repos hebdomadaires normaux « dans un lieu qui fournit des conditions d’hébergement adaptées et adéquates » (207). Cela comprend, implicitement, mais indubitablement, l’exigence que ce lieu soit adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, ainsi que, dans la mesure où il s’agit d’un lieu d’hébergement adapté, que ce lieu comporte du matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats.

393. En ce qui concerne, troisièmement, l’exigence que ce soit l’employeur qui prenne en charge tous les frais d’hébergement à l’extérieur du véhicule, elle résulte, à mon avis, également de manière implicite, de l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine telle qu’elle découle de l’arrêt Vaditrans, lue à la lumière de la finalité de la disposition en cause. En effet, d’une part, le « lieu de repos adapté à des périodes de repos plus longues » mentionné par la Cour dans cet arrêt est censé substituer la cabine du camion pour les repos hebdomadaires normaux. Or, la cabine est en principe mise à disposition par l’employeur, mais est reconnue par la Cour comme un lieu qui ne fournit pas de conditions d’hébergement adaptées pour des telles périodes (208). Logiquement le « lieu de repos adapté », censé la substituer, devrait ainsi également être mis à disposition par l’employeur. D’autre part, mettre à la charge du conducteur les frais d’hébergement dans un « lieu de repos adapté à des périodes de repos plus longues » serait, à mon avis, contraire aux finalités de ladite disposition, reconnue par la Cour comme celles d’améliorer les conditions de travail du personnel du secteur routier et d’améliorer la sécurité routière en général (209).

394. Il ressort de tout ce qui précède que, en adoptant l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, le législateur n’a pas introduit dans l’ordre juridique de l’Union l’interdiction de prendre le repos hebdomadaire normal en cabine telle que prévue par cette disposition, mais n’a fait que codifier le droit existant résultant de l’ancienne version de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Vaditrans.

395. Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 52 et suivants, et en ligne avec le point 372 ci-dessus, l’examen des moyens soulevés par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie tirés de la violation du principe de proportionnalité, devra viser à vérifier si, en codifiant le droit existant, le législateur de l’Union a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports en optant pour une mesure manifestement inappropriée par rapport aux objectifs qu’il entendait poursuivre ou qui causerait des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés. C’est donc dans cette perspective qu’il convient d’examiner les différents arguments avancés par les trois États membres concernés visant à remettre en cause la proportionnalité de l’article 1er, point 6, sous, c), du règlement 2020/1054.

iii) Sur la proportionnalité de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

396. Ces trois États membres soulèvent, d’emblée, des arguments tirés du caractère inapproprié et disproportionné de la mesure en cause en raison de l’état actuel de l’infrastructure européenne et, spécifiquement, du nombre insuffisant d’aires de stationnement sécurisées et de lieux d’hébergement appropriés situés à proximité de celles-ci, qui rendraient excessivement difficile, voire impossible à respecter l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine.

397. À cet égard, en ce qui concerne le caractère approprié de cette mesure à atteindre les objectifs poursuivis, dont la légitimité n’est pas contesté, il a déjà été confirmé par la Cour au point 43 de l’arrêt Vaditrans dans lequel la Cour a jugé que l’interdiction de prendre les temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule vise manifestement à atteindre les objectifs du règlement nº 561/2006 consistant en l’amélioration des conditions de travail des conducteurs et de la sécurité routière. 

398. En ce qui concerne un éventuel caractère disproportionné du choix du législateur de codifier le droit existant, il convient de relever que toute autre approche différente à celle de maintenir l’interdiction de prendre les temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule aurait comporté une diminution de la protection sociale des conducteurs et, ainsi, une détérioration des leurs conditions de travail par rapport à celles existantes, ce qui serait contraire aux objectifs de la réglementation en cause, ainsi qu’à l’arrêt Vaditrans.

399. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a explicitement jugé que la cabine du véhicule constitue un lieu qui ne fournit pas de conditions d’hébergement adaptées à des périodes de repos plus longues que les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits (210). Partant toute solution normative qui permettrait de passer des tels temps de repos dans la cabine serait incompatible avec cette appréciation.

400. Or, un éventuel défaut actuel d’infrastructures appropriées ne saurait constituer, à mon sens, une justification pour permettre (voire, imposer), par la voie législative, aux conducteurs de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule, à savoir dans un lieu qui n’est pas adapté pour passer de telles périodes longues de repos. Des éventuels problèmes d’infrastructure ne devraient pas être résolus au détriment des droits sociaux des conducteurs et, en définitive, de leur santé. Il s’ensuit qu’on ne saurait, à mon sens, reprocher au législateur d’avoir violé le principe de proportionnalité pour n’avoir pas modifié le droit existant, en réduisant les droits sociaux des conducteurs, en leur permettant de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux dans un endroit non approprié.

401. Par ailleurs, il convient aussi de souligner que la disposition en cause n’interdit pas aux conducteurs de prendre tout repos, quel qu’il soit, dans le véhicule, mais elle s’applique exclusivement aux temps de repos hebdomadaires normaux. Ces temps de repos ne sont seulement pris que toutes les deux ou trois semaines (211). Ils constituent en outre le type de repos que, aux termes de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, les conducteurs doivent être en mesure de prendre dans leur lieu de résidence en vertu de l’obligation relative au retour des conducteurs, ce qui réduit la pression prétendument exercée par la mesure en cause sur les zones de stationnement.

402. D’ailleurs, toutes les solutions normatives alternatives mentionnées par les États membres concernés ne sont pas appropriées à poursuivre les objectifs de protection sociale visés par la réglementation en cause et comporteraient toute une réduction de cette protection sociale pour les conducteurs. S’agissant, premièrement, de la possibilité de laisser au libre choix des conducteurs de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal en cabine, j’estime qu’elle n’est pas appropriée sur la base de considérations analogues à celles que j’ai exposées au point 243 ci-dessus, concernant le risque que le choix du travailleur, en tant que partie faible dans la relation de travail avec le transporteur, ne soit pas complètement libre et qu’il puisse subir des pressions pour effectuer un choix qui soit convenable aux intérêts de l’employeur. Deuxièmement, l’instauration des dérogations, telles que celles envisagées aux deuxième et troisième solutions alternatives mentionnées au point 363 ci-dessus, comporterait qu’il serait permis aux conducteurs de prendre le temps de repos hebdomadaire normal dans un endroit non approprié, ce qui impliquerait une réduction des droits sociaux des conducteurs. Troisièmement, la prévision d’une période transitoire n’apparaît également pas appropriée pour les raisons développées en détail aux points 499 et suivants des présentes conclusions  ci-dessous dans le cadre de l’analyse des moyens soulevés à l’encontre de l’article 3 du règlement 2020/1054 concernant la date de son entrée en vigueur.

403. Dans ces conditions, les autres arguments soulevés par les trois États membres concernés et visant à remettre en cause la proportionnalité de la mesure ne sauraient à mon avis prospérer.

404. Les arguments tirés, premièrement, des risques pour la sécurité de la marchandise et, donc, de la responsabilité des transporteurs pour la perte de celle-ci, deuxièmement, du risque pour les transporteurs et pour les conducteurs de se voir infliger des sanctions et, troisièmement, des prétendus coûts supplémentaires pour les transporteurs découlant de la disposition en cause ne sauraient non plus démontrer une violation du principe de proportionnalité par le législateur de l’Union. En effet, d’une part, dès lors que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 s’est limité à codifier le droit déjà existant, son adoption n’a aucunement pu comporter une augmentation de tels risques et coûts. Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que l’adoption de cette disposition aurait des effets préjudiciables sur les opérateurs intéressés par rapport à la situation antérieure. D’autre part, les États membres en question n’ont pas démontré que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 57 ci-dessus, les inconvénients pour les entreprises de transport, découlant de l’adoption de ladite disposition, seraient sans commune mesure de sorte que le choix du législateur de codifier le droit existant serait manifestement erroné.

405. En outre, en ce qui concerne en particulier les sanctions, il ressort de l’article 1er, point 16, du règlement 2020/1054 que le législateur a explicitement prévu que ces sanctions doivent être proportionnées (212). À cet égard, s’il est vrai, comme le relève la Roumanie, que le règlement 2020/1054 n’harmonise pas les sanctions, cela ne signifie pas que ce choix du législateur porterait à une insécurité juridique telle à entraîner une violation du principe de proportionnalité. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 119 ci-dessus, le législateur de l’Union peut bien recourir à un cadre juridique général qui est, le cas échéant, à préciser ultérieurement, notamment par les États membres.

406. Sur la base d’un raisonnement analogue il y a lieu, à mon avis, de rejeter également l’argument soulevé par la République de Bulgarie tiré de l’insécurité juridique au regard de la notion de « lieu d’hébergement adapté », le législateur n’étant pas tenu de définir en détail chaque notion d’une réglementation. Par ailleurs, en ne définissant pas exactement cette notion, le législateur de l’Union a laissé une marge de flexibilité dans l’application de la disposition quant au type de lieu d’hébergement que les conducteurs peuvent utiliser, ce qui permet de mitiger les possibles conséquences d’un éventuel état lacunaire des infrastructures européennes.

407. En ce qui concerne, tout d’abord, l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas publié la liste de toutes les aires de stationnement certifiées qu’elle serait tenue de publier aux termes du nouvel article 8 bis, paragraphe 1, du règlement nº 561/2006, tel que modifié par l’article 1er, point 7 du règlement 2020/1054, si un tel argument pourrait peut-être servir à faire valoir un éventuel manquement de la part de la Commission, il ne saurait aucunement démontrer que le législateur de l’Union aurait manifestement dépassé son large pouvoir d’appréciation en adoptant l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054.

408. Quant à l’obligation spéciale de rapport incombant à la Commission, prévue à l’article 8 bis, paragraphe 4, du règlement nº 561/2006, tel que modifié par le règlement  2020/1054, en vertu de laquelle celle-ci présentera, au plus tard le 31 décembre 2024, un rapport au Parlement et au Conseil portant, entre autres, sur la disponibilité d’installations de repos appropriées pour les conducteurs et de parcs de stationnement sécurisés, elle ne démontre aucunement le caractère disproportionné de la mesure en cause. Elle montre seulement que le législateur a indiqué qu’il s’agit d’un domaine au sujet duquel il tient à être informé de toute situation susceptible de nécessiter une nouvelle évaluation.

409. En ce qui concerne, ensuite, l’argument de la République de Bulgarie selon lequel un État membre pourrait être incité à ne pas augmenter le nombre des infrastructures afin de limiter la prestation sur son territoire de services de transport par des transporteurs étrangers, je relève que cet argument est manifestement hypothétique et n’est basé sur aucun élément qui suggérerait qu’une telle situation pourrait se produire. En tout état de cause, ledit argument concerne des éventuels comportements des États membres, et non pas un dépassement manifeste par le législateur de l’Union de son large pouvoir d’appréciation.

410. Enfin, en ce qui concerne les moyens relatifs à l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité,  je relève que le Conseil et le Parlement ne nient pas que, lorsqu’il a adopté l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, le législateur était conscient de la question générale du manque d’infrastructure adéquate dans l’ensemble de l’Union. Ainsi que le relèvent la Roumanie et la Hongrie, ce problème avait, en effet, été mis en évidence au cours de la procédure législative tant dans l’analyse d’impact, que dans d’autres études, telles que l’étude de 2019.

411. Toutefois, il convient de relever que, en dépit de cette problématique, la Commission dans sa proposition de règlement temps de travail, fondée sur les résultats de l’analyse d’impact, avait prévu une disposition équivalente à celle finalement retenue à l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 qui prévoyait également l’interdiction de prendre le temps de repos plus longs, et donc le temps de repos hebdomadaire normal dans le véhicule (213).

412. Entre-temps, la Cour a prononcé l’arrêt Vaditrans qui a effacé toute insécurité quant à la portée de l’ancienne version de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006 et a interprété, ex tunc (214), cette disposition dans le sens mentionné au point 370 ci-dessus, en clarifiant qu’une interdiction telle que celle prévue dans ladite proposition de la Commission – et finalement retenue dans le règlement 2020/1054 – existait déjà dans le droit de l’Union.

413. Dans ces conditions, j’estime qu’il ne saurait être soutenu que, en adoptant l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 et, ainsi, en codifiant le droit existant, par ailleurs, conformément à la proposition de règlement temps de travail, fondée sur une analyse d’impact, le législateur de l’Union aurait omis de tenir compte d’éléments essentiels, à savoir les données relatives au déficit d’emplacements de stationnement sûrs et sécurisés, qui avaient été mis en exergue pendant la procédure législative.

414. Il ressort de toutes les considérations qui précèdent que, à mon avis, tous les moyens visant à faire valoir que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité, doivent être rejetés.

b)      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE 

1)      Arguments des parties

415. La Roumanie fait valoir que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 violerait les exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, cette disposition portant gravement atteinte aux intérêts des transporteurs et des conducteurs.

416. En ce qui concerne, d’abord, les transporteurs, leurs coûts dépasseraient largement celui de la mise à disposition d’un lieu d’hébergement pour les conducteurs. En effet, ces coûts devraient également couvrir les changements d’itinéraires en fonction de la disponibilité de lieux d’hébergement et d’aires de stationnement appropriés, la hausse des primes d’assurance due à l’augmentation des risques liés à la sécurité des marchandises transportées, la nécessité pour les conducteurs d’effectuer des distances supplémentaires pour trouver une aire appropriée, ainsi que le coût du transfert du conducteur de l’aire de stationnement vers le lieu d’hébergement, qui pourrait se trouver à une distance considérable, compte tenu de la situation décrite dans l’étude de 2019. Par ailleurs, les transporteurs subiraient une baisse des recettes dès lors que le déficit d’infrastructures aurait des répercussions sur la possibilité concrète de planifier des trajets plus longs et d’effectuer des transports sur certains itinéraires en toute sécurité.

417. Ensuite, en ce qui concerne les conducteurs, les répercussions subies par les transporteurs conduiraient à des pertes d’emplois et à la nécessité d’émigrer vers les États d’Europe occidentale. En outre la disposition en cause, en raison du manque d’infrastructures, augmenterait la fatigue et le stress des conducteurs.

418. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

419. En ce qui concerne l’analyse des dispositions de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE et de leur portée, je renvoie aux considérations que j’ai effectuées aux points 281 à 293 ci-dessus.

420. Quant aux griefs de la Roumanie, j’ai relevé au point 394 ci-dessus que, en adoptant l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, le législateur n’a pas introduit dans l’ordre juridique de l’Union l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine, mais n’a fait que codifier le droit existant résultant de l’ancienne version de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Vaditrans.

421. Dans ces conditions, l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine étant déjà en vigueur avant l’adoption de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, il ne saurait être soutenu que l’adoption de cette disposition comporterait une augmentation des coûts ou une baisse de recettes pour les transporteurs ou des conséquences préjudiciables pour les conducteurs.

422. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que, portant gravement atteinte aux intérêts des transporteurs et des conducteurs, l’adoption de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 violerait les exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE doit être rejeté.

c)      Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1)      Arguments des parties

423. Dans leurs recours, la République de Bulgarie (affaire C‑543/20) et la Roumanie (affaire C‑546/20) font valoir que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de non‑discrimination, prévu par l’article 18 TFUE. La République de Bulgarie se réfère également aux articles 20 et 21 de la Charte, au principe d’égalité des États membres, inscrit à l’article 4, paragraphe 2, TUE ainsi qu’à l’article 95, paragraphe 1, TFUE.

424. La République de Bulgarie et la Roumanie font valoir que l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine viole le principe d’égalité de traitement et de non‑discrimination tant pour les entreprises de transport situées à la périphérie géographique de l’Union que pour les conducteurs travaillant pour ces entreprises. En effet, il serait nettement plus facile pour des entreprises de transport établies dans des États membres situés au centre de l’Union et pour leurs conducteurs de respecter ladite interdiction que pour des transporteurs établis dans des États membres situés à la périphérie de l’Union et pour leurs conducteurs. Au sein d’un même État membre, l’interdiction créerait une discrimination entre les conducteurs locaux et ceux d’autres États membres. Les conducteurs nationaux ne seraient pas affectés par l’absence de lieux appropriés d’hébergement et d’aires sécurisées et sûres de stationnement, puisqu’ils peuvent dormir à leur domicile et stationner leurs poids lourds dans le centre opérationnel du transporteur. Tel ne serait pas le cas des conducteurs employés par des transporteurs établis dans des États situés à la périphérie de l’Union qui, en raison de l’absence de lieux appropriés d’hébergement et d’aires sécurisées et sûres de stationnement, seraient contraints de ne pas respecter ladite interdiction, augmentant les dépenses des transporteurs, dont la plupart sont des PME.

425. De plus, une évaluation des effets sur le marché des transports des dispositions du règlement 2020/1054 ne pourrait être effectuée sans tenir compte du règlement 2020/1055 et de la directive 2020/1057 qui font également partie du train de mesures sur la mobilité. Une appréciation globale du premier train sur la mobilité mettrait ainsi en évidence le caractère discriminatoire de la réglementation au détriment de ces derniers au regard de la possibilité concrète de fournir des services de transport dans l’Union.

426. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

427. La République de Bulgarie et la Roumanie font valoir que, en adoptant l’article 1er point 6, sous c), du règlement 2020/1054 et, ainsi, en maintenant l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine, le législateur de l’Union aurait violé les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination, cette interdiction impliquant une discrimination tant entre les conducteurs qu’entre les transporteurs.

428. À cet égard, je relève, d’abord, que l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine s’applique indistinctement et de la même manière à toute entreprise de transport qui effectue des transports par route relevant du champ d’application du règlement nº 561/2006 et à tout conducteur relevant de ce règlement (215). La disposition s’applique quelle que soit la nationalité du conducteur ou de l’employeur. Il s’ensuit que cette obligation, en tant que telle, n’institue pas explicitement de distinction, ni entre conducteurs, ni entre entreprises de transports.

429. Ensuite, à mon avis, les conducteurs qui exécutent des transports internationaux entre différents États membres et les conducteurs qui exécutent des transports nationaux dans l’État membre d’établissement de leur employeur ne sont pas nécessairement dans des situations comparables, spécifiquement en relation avec les objectifs de la disposition prévoyant l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine.

430. À cet égard, je rappelle, d’une part, que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 79 ci-dessus, le caractère comparable des situations différentes s’apprécie à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union mis en cause. D’autre part, il ressort du point 373 ci-dessus que l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine vise essentiellement l’objectif d’améliorer les conditions de travail des conducteurs, ce qui contribue également à l’amélioration de la sécurité routière.

431. Or, l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine vise de toute évidence à protéger les conducteurs qui passent des longues périodes loin de leur lieu de domicile et qui sont ainsi tenus, en raison de leur travail, de passer leurs temps de repos hebdomadaire loin de ce lieu. Au cas où un conducteur peut passer son temps de repos hebdomadaire à son domicile, ladite interdiction n’est pas pertinente. Dans cette perspectives les situations de deux types de conducteurs mentionnées au point 429 ci-dessus ne sont donc pas comparables.

432. En outre, je rappelle que, ainsi qu’il a été relevé au point 43 ci-dessus, la distinction d’une part, entre transports internationaux et transports nationaux et, d’autre part, entre transporteurs résidents et transporteurs non‑résidents est explicitement prévue par l’article 91, paragraphe 1, notamment, sous a) et b), TFUE. Le droit de l’Union prévoit donc au niveau du droit primaire une approche différente dans le cadre de la politique commune des transports entre la réglementation des transports internationaux et celle des transports nationaux.

433. Par ailleurs, en suivant la logique des deux États membres susmentionnés, permettre aux conducteurs effectuant des transport internationaux de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule comporterait un degré encore plus élevé de discrimination entre les conducteurs nationaux, qui peuvent prendre leur temps de repos hebdomadaire normal à leur domicile, et les conducteurs d’autres États membres qui devraient prendre leur temps de repos hebdomadaire normal en cabine, à savoir dans un lieu qui n’est pas adapté pour passer de telles périodes longues de repos (216).

434. Enfin, il ressort de l’argumentation avancée par les deux États membres susmentionnés que les prétendues discriminations qu’ils font valoir ne découlent pas de l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine en tant que telle, mais plutôt de l’éventuel état actuel de l’infrastructure européenne et, spécifiquement, du nombre insuffisant d’aires de stationnement sécurisées et de lieux d’hébergement appropriés situés à proximité de celles-ci.

435. Or, dans le cadre du contrôle juridictionnel limité que, dans un domaine tel que la politique des transports, la Cour a reconnu également en ce qui concerne le respect du principe de l’égalité de traitement (217), le juge de l’Union ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur de l’Union en remettant en doute – en raison d’un éventuel défaut actuel d’infrastructures appropriés – le choix du législateur de n’avoir pas modifié le droit existant et de n’avoir pas réduit les droits sociaux des conducteurs en leur permettant de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux dans un endroit non adapté à des temps de repos si longs.

436. Eu égard à tout ce qui précède, j’estime que les moyens soulevés à l’encontre de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 tirés de la violation des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination doivent être rejetés.

d)      Sur la violation des dispositions de droit de l’Union en matière de libre prestation des services de transport et du marché unique

1)      Arguments des parties

437. La Roumanie fait valoir que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 violerait les dispositions de droit de l’Union en matière de libre prestation des services de transport et du marché unique. Cet État membre soutient que, en ce qui concerne la libre prestation des services dans le domaine des transports,  telle que prévue à l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la mise en œuvre de l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine aboutirait à une restriction de cette liberté, dès lors que les itinéraires de transport seront, pour une durée indéterminée, limités aux trajets qui peuvent être effectués dans un délai qui n’oblige pas le conducteur à prendre un temps de repos hebdomadaire ou qui seront déterminés en fonction de la présence d’aires de stationnement sûres et sécurisées. En raison de cette limitation, la mesure entraînerait de facto la fragmentation du marché intérieur. Il en résulterait un recul dans la réalisation de l’objectif de développement durable de ce marché, tel que le prévoit l’article 3 TUE, qui est également l’un des objectifs définis par la Commission dans son analyse d’impact (218).

438. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

439. Ainsi qu’il ressort des points 44 et suivants ci-dessus, dans le domaine des transports, l’application des principes de liberté des prestations de services doit être réalisée, selon le traité FUE, par la mise en œuvre de la politique commune des transports et la libre prestation de services de transport est garantie exclusivement dans la mesure où ce droit a été octroyé par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par le législateur de l’Union dans le cadre de cette politique commune.

440. Il s’ensuit que, même à supposer que l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 entraîne, ainsi que le fait valoir la Roumanie, une restriction à la libre prestation des services, le législateur de l’Union étant libre, dans le cadre de sa large marge d’appréciation, de réaliser par la mise en œuvre de la politique commune des transports le degré de libéralisation de ce secteur qu’il estime opportun, cette circonstance ne comporterait aucunement une violation des dispositions de droit de l’Union en matière de libre prestation des services de transport et du marché unique. Il s’ensuit que, à mon avis, ce moyen aussi doit être rejeté.

e)      Conclusion sur les moyens concernant l’interdiction du repos hebdomadaire en cabine

441. Il résulte de tout ce qui précède que tous les moyens soulevés par la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la Hongrie (affaire C‑551/20) à l’encontre de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 doivent, à mon avis, être rejetés.

3.      Sur les moyens concernant l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054

442. Dans son recours dans l’affaire C‑551/20, la Hongrie demande l’annulation de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, par lequel la date d’entrée en vigueur de l’obligation d’installer les tachygraphes V2, à savoir les tachygraphes intelligents de deuxième génération, a été avancée.

443. Alors que, en vertu de la réglementation en vigueur avant l’adoption du règlement 2020/1054, il aurait été possible de satisfaire à l’obligation d’installer les tachygraphes V2 jusqu’au 15 juin 2034 (219), il résulte de l’article 2, point 2, de ce règlement, lu en combinaison avec le point 8 de cet article, qui fixe les délais d’adoption par la Commission des spécifications relatives aux tachygraphes V2, que, si cette institution adopte et applique dans les délais prévus le règlement d’exécution contenant lesdites spécifications, les véhicules équipés de tachygraphes numériques ou analogiques devront être équipés de tachygraphes V2 au plus tard le 31 décembre 2024 et ceux qui sont équipés de tachygraphes intelligents devront l’être au plus tard en 2025. La Commission a adopté les spécifications techniques relatives aux tachygraphes intelligents le 16 juillet 2021 (220) et les a modifiées le 16 mai 2023 (221).

444. À l’appui de sa demande d’annulation de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, la Hongrie invoque trois moyens, tirés, le premier, de la violation du principe de proportionnalité, le deuxième, de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, et le troisième, de la violation de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE.

a)      Sur la violation du principe de proportionnalité

1)      Arguments des parties

445. Par son premier moyen, la Hongrie, soutenue par la Roumanie, la République de Lettonie et la République d’Estonie, fait valoir qu’en adoptant l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a violé le principe de proportionnalité et a commis une erreur manifeste d’appréciation en n’évaluant pas les conséquences économiques de l’avancement considérable du délai d’installation des tachygraphes V2. Cette disposition ne figurant pas dans la proposition règlement temps de travail, aucune analyse d’impact n’aurait été réalisée sur ce point. Les dispositions modifiant le délai d’installation du tachygraphe auraient été introduites dans le projet de texte en vertu de l’accord conclu par le Parlement et le Conseil sans qu’aucune analyse d’impact ne soit non plus réalisée par ces institutions.

446. Or, il ressortirait de la jurisprudence qu’il est possible de faire l’économie de l’analyse d’impact lorsque le législateur dispose d’éléments d’information objectifs lui permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure. Toutefois, la Hongrie affirme n’avoir pas connaissance de l’existence de tels éléments d’information, ni d’une analyse effectuée par les législateurs.

447. La Hongrie fait également valoir que les dispositions proposées par le Parlement et le Conseil constituaient des modifications substantielles à ladite proposition de la Commission au sens de l’accord institutionnel mentionné aux points 62 et suivants ci-dessus et qu’il aurait donc été justifié d’effectuer une analyse d’impact en complément, ou de charger la Commission de l’effectuer. Deux études réalisées aux mois de février et mars 2018 auraient examiné les coûts de la mise en conformité, mais elles n’auraient pas expressément abordé la question du caractère proportionné, même si la seconde étude aurait évoqué la possibilité d’une disproportion. En outre, la Hongrie juge particulièrement problématique à cet égard le fait que la nouvelle technologie (V2) ne soit pas encore sur le marché, sans que l’on sache avec certitude quand elle le sera.

448. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

449. Dans ce moyen, la Hongrie reproche fondamentalement au législateur de l’Union d’avoir adopté l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 et, ainsi faisant, d’avoir avancé de manière considérable le délai d’installation des tachygraphes V2 sans avoir demander une analyse d’impact et sans disposer suffisamment d’éléments permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure finalement adoptée.

450. À cet égard, il convient, d’emblée, de relever qu’il est constant entre les parties que l’analyse d’impact – volet social, que la Commission a réalisée en vue de la révision des règlements nºos561/2006 et 165/2014, n’a pas couvert le délai d’installation des tachygraphes V2, cette institution n’ayant pas envisagé, dans sa proposition de modification de ce dernier règlement, l’avancement de la date d’entrée en vigueur de l’obligation portant sur l’installation de tachygraphes V2.

451. Toutefois, il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 65 et 72 ci-dessus, d’une part, que l’omission d’une analyse d’impact ne saurait être qualifiée de violation du principe de proportionnalité, lorsque le législateur de l’Union dispose de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité d’une mesure adoptée et, d’autre part, que dans l’exercice effectif de son pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union peut tenir compte non seulement de l’analyse d’impact, mais également de toute autre source d’information.

452. Or, en l’occurrence, ainsi que le font valoir le Conseil et le Parlement, bien que la mesure en cause n’ait pas figuré dans la proposition de la Commission ni dans l’analyse d’impact – volet social, au mois de mars 2018, la Commission a publié le rapport final d’une étude sur les mesures favorisant la mise en œuvre du tachygraphe intelligent. Il n’est pas contesté par la Hongrie que l’objectif de cette étude était d’évaluer différentes options stratégiques visant à accélérer la mise en œuvre du tachygraphe intelligent, et, notamment, d’évaluer les incidences économiques, sociales et en matière de sécurité routière imposant la mise en conformité des véhicules immatriculés avant le mois de juin 2019 (222). Cette étude de la Commission comprenait une analyse coûts-bénéfices détaillée tenant compte des effets économiques sur les transporteurs et les autorités nationales, des effets sur la sécurité routière, des effets sociaux et des effets sur le marché intérieur. En outre, au cours de l’année 2018, le Parlement a également réalisé une étude en vue d’évaluer les coûts et les avantages de l’installation, d’ici janvier 2020, d’un tachygraphe intelligent pour les poids lourds dans le transport international (223). Il ressort également du dossier que le législateur a examiné et pris en compte ces études lors de la procédure législative ayant abouti à l’adoption du règlement 2020/1054.

453. Dans ces conditions, j’estime que les institutions de l’Union, auteurs de l’acte en cause, ont établi devant la Cour que la mesure en cause a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation et ont produit et exposé de façon claire et non équivoque les données de base qu’elles ont prises en compte pour fonder la mesure contestée.

454. Les autres arguments avancés par la Hongrie ne sauraient remettre en cause cette appréciation.

455. En effet, premièrement, le fait, allégué par la Hongrie, que les deux études susmentionnées n’auraient pas examiné spécifiquement le respect du principe de proportionnalité est dépourvu de pertinence. En effet, c’est au législateur d’effectuer, sur la base des données disponibles, la nécessaire mise en balance entre les différents intérêts en présence visant à assurer un équilibre entre ceux-ci, compte tenu des objectifs poursuivis par la mesure en cause. Il ne saurait dès lors être exigé que les données de base sur lesquelles se base l’exercice du pouvoir d’appréciation du législateur soient présentées dans le cadre d’une évaluation spécifique de la proportionnalité. À cet égard, je rappelle également que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 72 ci-dessus, la forme dans laquelle les données de base prises en compte par le législateur de l’Union sont répertoriées est dépourvue d’importance.

456. Deuxièmement, la circonstance alléguée par la Hongrie que la technologie (V2) ne soit pas encore sur le marché, même à supposer qu’elle soit établie – ce qui n’est pas le cas – ne saurait remettre en cause la proportionnalité de la mesure en cause.

457. En effet, d’une part, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour mentionnée au point 74 ci-dessus, la validité d’un acte de l’Union doit être appréciée par rapport aux éléments dont le législateur de l’Union disposait au moment de l’adoption de la réglementation en cause. Or, les institutions de l’Union ont prouvé, sans être contredits par la Hongrie, que, au cours de la procédure législative, l’information dont le législateur disposait était que la technologie en cause aurait été prête en 2022 et que l’installation des tachygraphes V2 aurait pu être complétée jusqu’à la fin de l’année 2024 (224).

458. D’autre part, la date limite pour l’installation des tachygraphes V2 a été définie dans le règlement 2020/1054 de manière assez peu typique, en ce qu’elle a été fixée non pas en se référant à une date donnée, mais à un délai à compter de l’adoption par la Commission des dispositions techniques détaillées nécessaires de sorte à s’assurer qu’il y ait un délai suffisant pour développer ces nouveaux tachygraphes. Or, ainsi que je l’ai relevé au point 443 ci-dessus, la Commission a adopté les spécifications techniques relatives aux tachygraphe intelligents le 16 juillet 2021 et elle les a tout récemment même modifiées, afin d’assurer un fonctionnement commun de ces tachygraphes intelligents de deuxième version en dépit de certains retards dus à des raisons techniques. Ces développements montrent, à mon avis, le caractère approprié du choix du législateur au regard de la modalité de fixation de la date limite pour l’installation des tachygraphes V2, qui ont visé à garantir une flexibilité dans l’implémentation de cette obligation.

459. Il découle des considérations qui précèdent que, à mon avis, le moyen tiré de ce que, en adoptant l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union aurait violé le principe de proportionnalité, doit être rejeté.

b)      Sur la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique

1)      Arguments des parties

460. Par son deuxième moyen, la Hongrie soutient que l’avancement du délai pour l’installation des tachygraphes V2 viole les attentes légitimes des opérateurs économiques et, partant, les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. En effet, en vertu de la réglementation en vigueur avant l’adoption du règlement 2020/1054 (225), les opérateurs économiques auraient pu légitimement penser qu’ils disposaient d’un délai de quinze ans, suivant l’adoption des modalités d’application, pour satisfaire à l’exigence d’installation de tachygraphes intelligents. Les opérateurs n’auraient pas simplement placé leur confiance dans le maintien d’une situation existante, mais le législateur, en exerçant son pouvoir d’appréciation, aurait fixé lui-même un délai sur lequel ceux-ci étaient susceptibles de fonder leurs décisions économiques. Il ne serait donc possible de modifier ce délai que pour des raisons impérieuses d’intérêt général. En Hongrie, en raison des délais anticipés, l’obligation d’installation du tachygraphe V2 concernerait environs 60 % de la flotte pour un coût unitaire évalué à environ 2 000 euros.

461. Le législateur ayant adopté le règlement 2020/1054 à la date du 15 juillet 2020, c’est à partir de ce moment-là que la nouvelle date de l’obligation de mise en conformité aurait pu être connue avec certitude. Par conséquent, seule cette date pourrait marquer le point de départ de la période dont disposent les opérateurs économiques pour s’adapter, et non celle de la publication des études qui se sont penchées pour la première fois sur la question. Les opérateurs économiques, même s’ils connaissaient ces études, n’auraient pas pu savoir avec certitude quelle serait la solution retenue.

462. Aucune des raisons indiquées dans le considérant 27 du règlement 2020/1054 comme justification pour la modification des délais d’introduction des tachygraphes V2 ne constituerait une raison impérieuse d’intérêt général. En ce qui concerne, premièrement, l’efficacité du contrôle de l’application des règles sociales au regard des coûts, celui-ci n’aurait pas été réellement examiné au cours du processus législatif. Deuxièmement, la rapidité de l’évolution des nouvelles technologies et la numérisation dans l’ensemble de l’économie ne constitueraient pas des raisons impérieuses d’intérêt général de nature à justifier une atteinte à la confiance légitime des opérateurs économiques. En outre, les tachygraphes V2 ne seraient pas encore développés et leur date d’introduction sur le marché serait inconnue. Quant, troisièmement, à la nécessité d’avoir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises du secteur du transport routier international, il serait difficile de comprendre pourquoi les entreprises internationales de pays tiers ne sont pas soumises à cette obligation. En effet, l’accord européen relatif au travail des équipages des véhicules effectuant des transports internationaux par route (ci-après l’« accord AETR ») prévoirait actuellement l’obligation d’installation d’un tachygraphe numérique.

463. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

464. J’ai déjà analysé aux points 117 et suivants des présentes conclusions ci-dessus, auxquels je renvoie, les principes exposés par la Cour dans sa jurisprudence au regard du principe de sécurité juridique.

465. En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime, qui est un corollaire du principe de sécurité juridique, il ressort d’une jurisprudence constante que la possibilité de se prévaloir de ce principe est ouverte à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées. Au sens de cette jurisprudence, constituent des assurances susceptibles de faire naître de telles espérances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels, concordants et émanant de sources autorisées et fiables (226).

466. En revanche, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice du principe de protection de la confiance légitime lorsque cette mesure est adoptée (227).

467. En ce qui concerne l’invocation du principe de protection de la confiance légitime en raison de l’action du législateur de l’Union, il convient de rappeler que la Cour a reconnu audit législateur un large pouvoir d’appréciation lorsque son action implique des choix de nature politique, économique et sociale et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes (228).

468. La Cour a également jugé qu’un opérateur économique ne saurait placer sa confiance dans l’absence totale de modification législative, mais uniquement mettre en cause les modalités d’application d’une telle modification (229).

469. De même, le principe de sécurité juridique n’exige pas l’absence de modification législative, mais requiert plutôt que le législateur tienne compte des situations particulières des opérateurs économiques et prévoie, le cas échéant, des adaptations à l’application des nouvelles règles juridiques (230).

470. En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, le champ d’application du principe de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure (231), et cela notamment dans des domaines dont l’objet comporte des nécessités d’adaptation constante (232).

471. En l’occurrence, à mon avis, il ne saurait être considéré que les opérateurs économiques concernés ont reçu des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, aux termes de la jurisprudence susmentionnée, qui auraient justifié que ces derniers aient placé une confiance légitime dans le fait que l’environnement réglementaire demeurerait inchangé et que, ainsi, ils auraient disposé, en tout cas, d’un délai de quinze ans, suivant l’adoption des modalités d’application, pour satisfaire à l’exigence d’installation de tachygraphes intelligents.

472. Il ne ressort, en effet, d’aucune manière que le législateur aurait pris un engagement inconditionnel dans le sens que le cadre réglementaire applicable aux tachygraphes demeurerait inchangé pendant une durée de quinze ans. À cet égard, il convient de relever qu’il n’est pas du tout inhabituel que le cadre réglementaire soit adapté à plusieurs reprises, notamment dans des domaines traitant des questions techniques et/ou technologiques en évolution rapide et qui sont caractérisés par un progrès techniques rapide et continu.

473. Je partage, en outre, l’avis des institutions selon lequel à la lumière des deux documents mentionnés au point 452 ci-dessus, qui étaient fondés sur la consultation des représentants du secteur économique concerné et des parties intéressées, un opérateur de transport routier prudent et avisé ne pouvait, à tout le moins depuis la publication de ces études, ignorer le fait que le législateur de l’Union envisageait des possibles modifications de la réglementation relative aux tachygraphes. Un tel opérateur était donc bien en mesure de tenir compte de cette possibilité dans le cadre de ses décisions économiques.

474. En outre, il ne saurait non plus être considéré que la disposition en cause aurait abolit avec effet immédiat et sans avertissement un avantage spécifique que la réglementation octroyait aux opérateurs intéressés. Bien au contraire, en vertu du règlement 2020/1054, les opérateurs économiques disposent d’une durée de quatre à cinq ans pour se conformer aux nouvelles règles relatives aux tachygraphes intelligents.

475. Eu égard à tout ce qui précède, j’estime que le moyen soulevé par la Hongrie tiré de ce que l’article 2, paragraphe 2, du règlement 2020/1054 aurait été adopté en violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique doit également être rejeté.

c)      Sur la violation de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE.

1)      Arguments des parties

476. La Hongrie soutient que l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 viole l’obligation de maintenir la compétitivité économique de l’Union, telle que prévue à l’article 151, deuxième alinéa, TFUE. Même si ce règlement a été adopté dans le cadre de la politique des transports et a comme base juridique l’article 91, paragraphe 1, TFUE, il relèverait indubitablement de la politique sociale. Or, une amélioration des conditions de travail par le biais d’un rapprochement des législations ne pourrait pas avoir lieu sans que, simultanément, il soit tenu compte de la nécessité de préserver la compétitivité de l’économie de l’Union. Cependant, à l’heure actuelle, des exigences analogues concernant le tachygraphe V2 ne s’appliqueraient pas aux véhicules des entreprises qui ne sont pas établies dans un État membre, alors qu’en vertu de l’accord AETR les véhicules des entreprises établies dans les pays auxquels il s’applique ne doivent disposer que d’un tachygraphe numérique, ce qui leur confèrerait, dès lors, un avantage concurrentiel. Alors que le législateur aurait lui-même reconnu la nécessité de maintenir la compétitivité des entreprises de l’Union au considérant 34 du règlement 2020/1054, le texte législatif n’imposerait à la Commission aucune obligation concrète ni aucun délai précis à cet égard, de sorte que rien ne garantirait que l’accord AETR soit modifié en conséquence ou, à tout le moins, que les négociations y relatives puissent s’engager dans un avenir proche. Or, le législateur, s’il n’est pas tenu à une obligation de résultat, aurait une obligation de diligence, en ce sens qu’il devrait faire tout ce qui est en son pouvoir afin d’assurer que l’Union ne se retrouve pas en situation de désavantage concurrentiel. Pour satisfaire à cette obligation, il ne suffirait pas d’adopter un considérant qui ne revêt aucun effet contraignant.

2)      Analyse

477. L’article 151 TFUE, dont la Hongrie reproche la violation dans le présent moyen, est le premier article du titre X de la troisième partie du traité FUE, dédié à la « Politique sociale ». Aux termes de son deuxième alinéa, aux fins des objectifs de politique sociale indiqués au premier alinéa de cet article « l’Union et les États membres mettent en œuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union ».

478. Il ressort du libellé même de cette disposition qu’elle prévoit une simple obligation « de prise en compte ». Ainsi qu’il ressort des points 288 et suivants ci-dessus – et comme c’est, par ailleurs, le cas pour l’article 91, paragraphe 1 et l’article 94 TFUE –, une telle obligation n’a pas valeur absolue, mais oblige simplement le législateur de l’Union pour des mesures adoptées dans le cadre du domaine de la politique sociale, de tenir compte des paramètres et des objectifs spécifiques y indiqués, et notamment de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union.

479. Or, la Hongrie a reproché au législateur de n’avoir pas tenu compte de cette nécessité en relation avec la circonstance que, en vertu de l’accord AETR, les véhicules des entreprises établies dans les pays tiers auxquels cet accord s’applique ne doivent pas disposer d’un tachygraphe V2, ce qui leur confèrerait un avantage concurrentiel.

480. Toutefois, il ressort du considérant 34 du règlement 2020/1054 que le législateur a explicitement considéré qu’« [i]l importe que les entreprises de transport établies dans des pays tiers soient soumises à des règles équivalentes aux règles de l’Union lorsqu’elles effectuent des opérations de transport routier sur le territoire de l’Union » et que « [l]a Commission devrait évaluer l’application de ce principe au niveau de l’Union et proposer des solutions adéquates à négocier dans le cadre de l’[AETR] ».

481. Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que le législateur n’a pas « pris en compte » les différences existant dans la réglementation, y inclues celles concernant les tachygraphes, applicables, respectivement, aux entreprises de transport de l’Union, d’une part, et aux entreprises de transport des pays tiers lorsqu’ils effectuent des opérations de transport routier sur le territoire de l’Union, d’autre part.

482. Il s’ensuit des considérations qui précèdent, que, à mon avis, le troisième moyen soulevé par la Hongrie à l’encontre de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 doit également être rejeté et cela sans qu’il soit besoin d’aborder la question de savoir si l’article 151 TFUE, disposition contenue dans le titre X concernant la « Politique sociale », est applicable à un acte législatif adopté dans le cadre de la politique commune des transport prévue au titre IV et ayant par base juridique l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

483. Eu égard à tout ce qui précède, j’estime que la demande d’annulation de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, présentée par la Hongrie dans le cadre de l’affaire C‑551/20, doit être rejetée dans son intégralité.

4.      Sur les moyens concernant l’article 3 du règlement 2020/1054

484. Dans son recours dans l’affaire C‑541/20, la République de Lituanie demande l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054 qui prévoit que ce règlement – sauf deux exceptions non pertinentes dans ce contexte (233) – entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. Ledit règlement a été publié au Journal officiel le 17 juillet 2020 et est donc entré en vigueur le 20 août 2020.

485. À l’appui de son recours, la République de Lituanie invoque trois moyens. Avant d’analyser ces moyens, il convient, à titre liminaire, de vérifier leur caractère opérant.

a)      Sur le caractère opérant des moyens concernant l’article 3, du règlement 2020/1054

486. Par ses trois moyens, la République de Lituanie remet en cause l’article 3 du règlement 2020/1054 qui prévoit un délai d’entré en vigueur de ce règlement de 20 jours. Le Conseil et le Parlement font toutefois valoir que, même si cet article était annulé, en tout état de cause, en vertu de l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE, la date d’entrée en vigueur continuerait de s’appliquer pour ledit règlement (234).

487. À cet égard, je rappelle que, aux termes de l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE, les actes législatifs « entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le vingtième jour suivant leur publication ».

488. Or, ainsi que l’a relevé la vice-présidente de la Cour dans la procédure de référé introduite par la République de Lituanie, l’article 3 du règlement 2020/1054 ne constitue qu’une simple mise en œuvre de l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE (235).

489. Toutefois, cette circonstance ne comporte pas automatiquement que l’annulation dudit article 3 comporterait que, en tout état de cause, ce délai d’entré en vigueur de 20 jours s’appliquerait en force de l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE. En effet cette disposition du TFUE prévoit elle aussi que le législateur puisse, s’il l’estime opportun, décider d’appliquer un autre délai pour l’entrée en vigueur d’un acte législatif. Or, dans ses moyens, la République de Lituanie remet en discussion justement le choix du législateur de l’Union de retenir ce délai « par défaut » de 20 jours de la publication au Journal officiel pour l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, sans prévoir, en revanche, un délai d’entré en vigueur plus long, ainsi qu’il est permis explicitement par ladite disposition du TFUE. La République de Lituanie soutient que, en effet, une période transitoire suffisante serait nécessaire pour permettre aux États membres et aux opérateurs intéressés de s’adapter aux nouvelles règles prévues par ledit règlement, notamment à celles relatives aux dispositions concernant l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine et à l’obligation relative au retour des conducteurs.

490. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutiennent lesdites deux institutions de l’Union, si la Cour devait accueillir les moyens de la République de Lituanie et annuler l’article 3 du règlement 2020/1054 en considérant que l’application du délai de 20 jours y prévu n’est pas conforme au droit de l’Union, une telle annulation ne pourrait aucunement comporter l’application de ce délai, jugé illégal, et donc ladite date d’entrée en vigueur, en vertu de l’article 297 paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE. Bien au contraire, toute l’entrée en vigueur dudit règlement serait remise en cause.

491. Par conséquent, à mon avis, les moyens soulevés par la République de Lituanie concernant l’article 3 du règlement 2020/1054 ne sont pas inopérants.

b)      Sur la violation du principe de proportionnalité

1)      Arguments des parties

492. Par son premier moyen, la République de Lituanie soutient que, en prévoyant à l’article 3 du règlement 2020/1054 l’obligation d’appliquer dans le délai imparti de 20 jours les dispositions relatives à l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine et à l’obligation relative au retour des conducteurs [prévues à l’article 1er, point 6, respectivement, sous c) et d), du règlement 2020/1054], le législateur de l’Union n’a pas pris en compte le fait que, en l’absence de période transitoire, les États membres et les transporteurs ne pourraient pas être en mesure de s’adapter à ces obligations et n’a pas présenté d’argument justifiant une telle urgence pour leur entrée en vigueur. En choisissant un mécanisme inapproprié de mise en œuvre du règlement 2020/1054 (en ne prévoyant ni report de son application ni période transitoire), les institutions de l’Union auraient ainsi créé une législation insoutenable, dont il serait particulièrement compliqué d’assurer le respect pour différentes raisons objectives et auraient ainsi violé le principe de proportionnalité.

493. Premièrement, le législateur de l’Union n’aurait pas pris en compte le fait qu’il n’existe actuellement pas assez d’aires de stationnement adéquates et sûres, dans lesquelles les conducteurs pourraient bénéficier de conditions de repos appropriées hors de la cabine. Il en résulterait que les entreprises de transport devront prendre des risques injustifiés et démesurés en donnant pour instruction aux conducteurs de laisser le camion sur des aires où la sécurité du chargement n’est pas assurée. En outre, dans l’analyse d’impact, la Commission elle-même aurait confirmé les difficultés découlant de l’insuffisance de lieux d’hébergement et d’aires de stationnement sûres. L’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne serait pas une simple codification de l’arrêt Vaditrans, l’obligation de prendre les temps de repos impartis dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats, étant une obligation nouvelle. En tout état de cause, même pour codifier une disposition, le législateur devrait suivre la procédure législative ordinaire, au cours de laquelle il devrait, notamment, apprécier la proportionnalité de la mesure proposée et vérifier si celle-ci est aisée à mettre en œuvre.

494. Deuxièmement, la République de Lituanie se réfère à l’étude de 2019 et aux données mentionnées au point 351 ci-dessus.

495. Troisièmement, la République de Lituanie soutient que, bien qu’informé des difficultés d’application du règlement 2020/1054 par le CESE, les commissions de l’emploi et des affaires sociales et des transports et du tourisme du Parlement, le législateur de l’Union aurait ignoré ces informations.

496. Quatrièmement, la République de Lituanie fait valoir que l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine soulèverait aussi d’autres questions juridique importantes, par exemple concernant les mesures de précaution et la couverture d’assurance, dès lors que, dans la majorité des cas, le conducteur devra laisser le chargement sans surveillance sur un emplacement de stationnement non sécurisé.

497. Cinquièmement, la République de Lituanie soutient que le caractère injustifié de l’article 3 du règlement 2020/1054 serait également démontré par l’absence de document interprétatif conformément auquel les entreprises de transport pourraient organiser le retour des conducteurs à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’entreprise. Faute de ces documents, l’obligation relative au retour des conducteurs serait difficile à mettre en œuvre, ce qui entraînerait des pratiques différentes entre les États membres et entre les entreprises de transport.

498. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

499. Conformément à la jurisprudence rappelée aux points 52 et suivants ci-dessus, l’examen du moyen soulevé par la République de Lituanie tiré de la violation du principe de proportionnalité doit viser à vérifier si, en prévoyant à l’article 3 du règlement 2020/1054 un délai d’entrée en vigueur de ce règlement de 20 jours suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne et en ne prévoyant pas de période transitoire spécifiquement pour l’entrée en vigueur des dispositions relatives à l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine et à l’obligation relative au retour des conducteurs, le législateur de l’Union a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports, en optant pour une mesure manifestement inappropriée par rapport aux objectifs qu’il entendait poursuivre ou qui causerait des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

500. S’agissant, d’abord, des objectifs poursuivis par le règlement 2020/1054 et, spécifiquement, par les dispositions relatives à l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine et à l’obligation relative au retour des conducteurs, je renvoie aux points 196 et suivants, et 373 des présentes conclusions.

501. Ensuite, en ce qui concerne, en premier lieu, le délai d’entrée en vigueur de l’obligation prévue à l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, j’ai relevé au point 394 ci-dessus que, en adoptant cette disposition, le législateur de l’Union n’a pas introduit dans l’ordre juridique de l’Union l’interdiction de prendre le repos hebdomadaire normal en cabine, mais n’a fait que codifier le droit existant résultant de l’ancienne version de l’article 8, paragraphe 8, du règlement nº 561/2006, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Vaditrans.

502. Il s’ensuit que le grief de la République de Lituanie revient, en substance, à reprocher audit législateur de n’avoir pas prévu une période transitoire pour une règle qui était déjà en vigueur dans l’ordre juridique de l’Union et que, ainsi, les opérateurs intéressés étaient déjà tenus de respecter.

503. Or, je partage la position de la République de Lituanie selon laquelle, même lorsqu’il codifie le droit existant, le législateur n’est pas exempté de son obligation d’apprécier la proportionnalité de la mesure proposée. Cependant, il ressort des considérations que j’ai effectuées aux points 398 et suivants, d’une part, que toute approche différente, même à titre temporaire, de celle de maintenir l’interdiction de prendre les temps de repos hebdomadaires normaux en cabine aurait conduit à permettre par la voie législative aux conducteurs de prendre ces temps de repos dans un lieu qui, ainsi que la Cour l’a explicitement reconnu (236), n’est pas adapté pour passer de telles périodes longues de repos. Cela aurait comporté une diminution de la protection sociale des conducteurs et donc une détérioration des leurs conditions de travail, ce qui est contraire aux objectifs de la réglementation en cause, ainsi qu’à l’arrêt Vaditrans.

504. D’autre part, j’ai déjà exposé au point 400 ci-dessus que, à mon sens, un éventuel défaut actuel d’infrastructures appropriées ne saurait constituer une justification pour permettre, par la voie législative, aux conducteurs de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule, à savoir dans un lieu qui n’est pas adapté pour passer des périodes longues de repos.

505. S’agissant des arguments concernant les informations fournies par le CESE et par des commissions du Parlement au cours de la procédure législative au regard de l’état des infrastructures en Europe, je renvoie aux considérations exposées aux points 261 et 410 ci-dessus. De même, s’agissant des arguments concernant les mesures de précaution et la couverture d’assurance, ainsi que je l’ai exposé au point 404 ci-dessus, l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 s’étant limité à codifier le droit déjà existant, son adoption n’a aucunement pu comporter une augmentation des risques et coûts pour les entreprises de transport.

506. En ce qui concerne, en second lieu, le délai d’entrée en vigueur de l’obligation prévue à l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la République de Lituanie se borne à faire valoir que le caractère disproportionné de l’article 3 de ce règlement serait démontré par l’absence de document interprétatif conformément auquel les entreprises de transport pourraient organiser le retour des conducteurs. Or, il ressort de l’analyse effectuée aux points 125 et suivants des présentes conclusions que la disposition de l’article 1er, point 6, sous d), dudit règlement respecte les exigences de sécurité juridique, tout en laissant une certaine flexibilité aux entreprises de transport pour son exécution. Dans ces conditions, cette disposition étant suffisamment claire pour être mise en œuvre par les opérateurs intéressés, si des documents interprétatifs susceptibles d’aider les opérateurs intéressés à respecter l’obligation prévue par ladite disposition sont certainement utiles, leur absence ne saurait d’aucune manière comporter une violation du principe de proportionnalité au regard de la date d’entrée en vigueur de la même disposition.

507. Il s’ensuit de tout ce qui précède que le moyen tiré de ce que l’article 3 du règlement 2020/1054 aurait été adopté en violation du principe de proportionnalité doit être rejeté.

c)      Sur la violation de l’obligation de motivation

1)      Arguments des parties

508. Par son deuxième moyen, la République de Lituanie fait valoir que l’article 3 du règlement 2020/1054 est entaché d’un défaut de motivation au sens de l’article 296 TFUE. Cet État membre relève que, lors de l’examen de la proposition de la Commission, les institutions de l’Union étaient au courant, grâce à l’analyse d’impact et à d’autres sources, d’une part, que l’interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine ferait naître des problèmes pratiques de mise en œuvre de cette disposition, et d’autre part, que l’obligation relative au retour des conducteurs limiterait sans justification la libre circulation des travailleurs et qu’il n’existait pas de règles claires pour la mise en œuvre de cette obligation. Étant donné que ces informations étaient connues, les institutions de l’Union auraient dû avancer des arguments à l’appui de l’absence de période de transition ou de report de l’entrée en vigueur de la réglementation. Si les objectifs indiqués dans la proposition de la Commission sont importants, ils ne justifient pas l’urgence de l’entrée en vigueur des nouvelles règles.

509. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

510. L’article 296, deuxième alinéa, TFUE dispose que les actes juridiques des institutions de l’Union sont motivés. À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une telle motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté (237).

511. Ainsi que je l’ai relevé au point 487 ci-dessus, le délai de 20 jours suivant la publication de l’acte au Journal official constitue le délai prévu « par défaut » par l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE pour l’entrée en vigueur des actes législatif, sans préjudice pour le législateur de l’Union de la possibilité de choisir une autre date s’il l’estime opportun.

512. Or il ressort, à mon avis, de cette disposition que ce délai « par défaut » est, en général et sauf exceptions, destiné, conformément à la volonté des auteurs du traité FUE, à être prévu pour l’entrée en vigueur de tout acte législatif.

513. Dans ces conditions, je tends à considérer que, en principe, ce n’est éventuellement que lorsqu’il décide de ne pas retenir ce délai « par défaut » que le législateur de l’Union pourrait être tenu d’expliquer les raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas retenir de délai et d’en appliquer un diffèrent.

514. En dépit de ces considérations, j’estime que, en tout état de cause, les arguments avancés par la République de Lituanie ne sauraient démontrer une violation, en l’occurrence, par le législateur de l’Union de l’obligation de motivation.

515. En effet, en ce qui concerne le délai d’entrée en vigueur de l’obligation prévue à l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, cette disposition s’étant bornée à codifier le droit existant et l’interdiction de prendre le repos hebdomadaire normal en cabine étant donc déjà en vigueur au moment de son adoption (238), ladite disposition ne sauraient « faire naitre » des problèmes pratiques pour sa mise en œuvre, comme invoqués par la République de Lituanie, qui justifieraient une obligation de motivation particulière. Des tels problèmes pratiques, en effet, auraient éventuellement déjà existé.

516. En ce qui concerne le délai d’entrée en vigueur de l’obligation prévue à de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, l’argument tiré de ce que l’obligation relative au retour des conducteurs limiterait sans justification la libre circulation des travailleurs se fonde sur une lecture erronée de cette disposition, ainsi qu’il ressort des points 125 à 129 ci-dessus. L’argument tiré de ce qu’il n’existait pas de règles claires pour la mise en œuvre de cette obligation a été analysé et rejeté au point 506 ci-dessus.

517. Il s’ensuit de ce qui précède que le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation en ce qui concerne l’article 3 du règlement 2020/1054 doit également être rejeté.

d)      Sur la violation du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE

1)      Arguments des parties

518. Par son troisième moyen, la République de Lituanie reproche au Parlement et au Conseil, en tant que colegislateurs, d’avoir enfreint le principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE en adoptant l’article 3 du règlement 2020/1054. Premièrement, lors de l’examen de ce règlement, non seulement les institutions de l’Union n’auraient nullement justifié la nécessité de faire entrer en vigueur sans délai l’interdiction de passer la nuit dans la cabine pendant les périodes concernées et l’obligation de faire revenir les conducteurs à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’entreprise, mais, en outre, elles n’auraient pas examiné de quelle manière il aurait été possible de créer les conditions adéquates, en prévoyant une période transitoire, pour permettre aux États membres et aux entreprises de transport de s’adapter aux nouvelles obligations. En particulier, les institutions de l’Union n’auraient pas examiné de mesures qui permettraient d’atténuer la situation existante, en autorisant les États membres à s’adapter progressivement à ces nouvelles obligations, et qui garantiraient que les entreprises de transport ne soient pas sanctionnées en raison de l’insuffisance de lieux d’hébergement adéquats. Deuxièmement, elles n’auraient pas pris en compte le fait que la mise en œuvre appropriée de l’obligation de faire revenir les conducteurs n’était pas claire et que, par conséquent, pour garantir la mise en œuvre cohérente de cette obligation, l’adoption de mesures complémentaires serait nécessaire. Troisièmement, l’obligation d’assistance mutuelle serait également violée, dès lors qu’il serait manifeste que les États membres ne peuvent pas objectivement garantir une infrastructure suffisante. En outre, les institutions de l’Union seraient en principe tenues de dialoguer avec les États membres et de motiver le rejet des objections formulées par ceux-ci.

519. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

520. A titre liminaire il convient de rappeler que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

521. En ce qui concerne la portée de ce principe dans le cadre de l’adoption d’actes législatifs, il ressort de la jurisprudence que dans les domaines où le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation, la Cour vérifie seulement si les auteurs de l’acte attaqué sont en mesure d’établir que cet acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation et d’exposer, à cette fin, de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. L’obligation de coopération loyale ne saurait avoir une portée plus étendue, en ce sens qu’elle aurait pour effet de contraindre, en toutes circonstances, le législateur de l’Union à produire, à la demande d’un État membre, des documents et des informations prétendument manquants ou à corriger des informations dont il dispose avant de pouvoir procéder à l’adoption d’un acte. En effet, une telle interprétation risquerait d’empêcher les institutions d’exercer leur pouvoir d’appréciation et de bloquer le processus législatif. Il est, certes, vrai que le devoir de coopération loyale comporte l’obligation d’assistance mutuelle qui implique, notamment, l’échange des informations pertinentes entre les institutions et les États membres dans le cadre du processus législatif. Toutefois, cette obligation ne saurait permettre à l’un de ces États, en cas de désaccord sur le caractère suffisant, pertinent ou exact des données disponibles, de contester pour ce seul motif la légalité du processus décisionnel (239).

522. Dans ce conditions, la Cour a clarifié que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence constante, l’adoption d’un acte législatif dans le respect des dispositions pertinentes du traité FUE, malgré l’opposition d’une minorité d’États membres, ne saurait constituer une violation de l’obligation de coopération loyale incombant au Parlement et au Conseil (240).

523. En l’occurrence, il n’est pas contesté que, au sein du Conseil, la proposition de règlement temps de travail et l’analyse d’impact – volet social ont fait l’objet de discussions lors de plusieurs réunions. Il n’est pas non plus contesté que la République de Lituanie avait, au cours du processus législatif, accès à l’ensemble des documents sur lesquels s’est fondé le législateur de l’Union afin d’adopter ledit règlement et a pu présenter ses observations relatives aux données contenues dans ces documents et aux hypothèses retenues. Il s’ensuit que, en l’occurrence, l’échange d’informations concernant les dispositions qui sont ensuite devenues le règlement 2020/1054, échange fondé sur l’obligation d’assistance mutuelle découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE, s’est correctement déroulé. Cette constatation ne saurait être remise en cause par les arguments soulevés par la République de Lituanie qui, d’ailleurs, concernent tous des questions qui ont déjà été rejetées dans le cadre de l’analyse au fond des moyens concernant les dispositions en cause. L’existence de ladite obligation d’assistance mutuelle n’implique, en effet, aucunement l’obligation, pour le législateur, d’être d’accord avec tout État membre sur toute question.

524. À la lumière de toutes ces considérations, j’estime que le moyen tiré d’une violation du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE au regard de l’adoption de l’article 3 du règlement 2020/1054 doit être également rejeté.

525. Eu égard à tout ce qui précède, j’estime que la demande d’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054, présentée par la République de Lituanie dans le cadre de l’affaire C‑541/20, doit être rejetée dans son intégralité.

5.      Conclusion sur les recours concernant le règlement 2020/1054

526. Au vu de l’analyse qui précède, je propose à la Cour de rejeter dans leur intégralité les recours de la République de Bulgarie dans l’affaire C‑543/20, de la Roumanie dans l’affaire C‑546/20 et de la République de Pologne dans l’affaire C‑553/20, ainsi que de rejeter les recours de la République de Lituanie dans l’affaire C‑541/20 et de la Hongrie dans l’affaire C‑551/20, dans la mesure où ces deux derniers recours concernent le règlement 2020/1054.

C.      Sur le règlement 2020/1055 (affaires C542/20, C545/20, C547/20, C549/20, C551/20, C552/20 et C554/20)

527. Ces sept recours se concentrent essentiellement sur deux dispositions du règlement 2020/1055, à savoir l’article 1er, point 3, sous a), dans la mesure où il introduit une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines [article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055], et l’article 2, point 4, sous a), qui introduit une période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé (article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055). En outre, la République de Pologne est la seule à contester la validité de deux autres dispositions, à savoir l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en ce qu’il introduit l’obligation de disposer d’un nombre de véhicules et de conducteurs en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées [article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009 modifié], et l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 relatif à la possibilité de soumettre les opérations de transports combinés à une période de carence (article 10, paragraphe 7, du règlement no 1072/2009 modifié).

528. J’examinerai, en premier lieu, les moyens dirigés contre les nouvelles conditions relatives à l’exigence d’établissement (article 5 du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055), c’est-à-dire l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et l’obligation de disposer d’un nombre de véhicules et de conducteurs en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées, avant de traiter, en second lieu, les moyens relatifs au régime des transports de cabotage dirigés contre la période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé puis contre l’introduction de la possibilité de soumettre les opérations de transports combinés à une période de carence.

1.      Sur l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines [article 1er, point 3, du règlement  2020/1055 dans la mesure où il modifie l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009].

529. La République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne contestent la légalité de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 dans la mesure où il modifie l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009.

530. L’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009 est consacré aux conditions relatives à l’exigence d’établissement. Il prévoit désormais, à la suite de l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, que « [p]our satisfaire à l’exigence prévue à l’article 3, paragraphe 1, [sous] a) [(241)], une entreprise, dans l’État membre d’établissement [...] organise l’activité de son parc de véhicules de manière à faire en sorte que les véhicules dont elle dispose et qui sont utilisés pour le transport international retournent dans un centre opérationnel situé dans cet État membre dans un délai maximal de huit semaines après avoir quitté ledit État membre ». Ainsi, l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 a introduit dans le règlement no 1071/2009 une obligation de retour toutes les huit semaines des véhicules.

531. En substance, les moyens soulevés par les États membres requérants peuvent être regroupés autour de six thématiques principales que sont le respect des formes substantielles, la politique de l’Union en matière d’environnement, les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination, le principe de proportionnalité, les obligations spécifiques qui incombent au législateur de l’Union au titre de l’article 91, paragraphe 1, et de l’article 94 TFUE ainsi que les libertés économiques fondamentales.

a)      Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE pour défaut de consultation du CESE et du CdR

1)      Arguments des parties

532. La République de Bulgarie (242) soutient que l’article 91, paragraphe 1, TFUE, qui constitue la base juridique du règlement 2020/1055, exigeait du législateur de l’Union qu’il statue conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du CESE et du CdR. Elle soutient qu’en ne consultant pas ces deux comités sur les modifications introduites au cours de la procédure législative, le Conseil et le Parlement ont enfreint l’article 91, paragraphe 1, TFUE et méconnu une formalité substantielle. Une telle obligation de consultation découlerait de la jurisprudence de la Cour relative au rôle consultatif du Parlement (243) lorsque celui-ci n’était pas encore colégislateur, qui s’appliquerait mutatis mutandis en ce qui concerne le CESE et le CdR ainsi que des documents de travail concernant le fonctionnement du CdR. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines constituerait une modification substantielle et l’absence de consultation de ces deux comités aurait influé sur le fond et la substance de la nouvelle réglementation. Au stade de la réplique, la République de Bulgarie maintient que les conclusions de l’arrêt dans l’affaire C‑65/90 (244) sont transposables aux modalités de consultation du CdR et du CESE, et que la disposition ayant alors fait l’objet d’une interprétation par la Cour serait d’un libellé identique à l’article 91, paragraphe 1, TFUE. L’obligation de consultation desdits deux comités résulterait d’une exigence procédurale substantielle, univoque et claire. Une modification substantielle introduite dans la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l’évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE (245) aurait conduit le colégislateur à décider de consulter à nouveau le CESE. L’absence d’incidence significative de l’omission de consultation sur la teneur de la disposition finalement adaptée, bien que, contrairement à ce qu’allègue le Parlement, non avérée, ne saurait, en tout état de cause, affecter le caractère obligatoire de la consultation. Le Conseil aurait, à tort, soutenu que l’obligation de consultation des comités ne concernait pas la mesure attaquée, l’article 91, paragraphe 1, TFUE n’introduisant pas de distinction d’une telle nature.

533. La République de Chypre soutient une argumentation en tout point analogue à celle développée par la République de Bulgarie (246).

534. Le Parlement et le Conseil, ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ces moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE pour défaut de consultation du CESE et du CdR.

2)      Analyse

535. Il ressort de l’article 91, paragraphe 1, TFUE que le Parlement et le Conseil, lorsqu’ils agissent sur ce fondement, sont tenus de consulter le CESE et le CdR. Les avis du CESE et du CdR sur la proposition de la Commission (247) ont été recueillis respectivement le18 janvier 2018 (248) et le 1er février 2018 (249).

536. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent, en substance, que l’avis de ces deux comités aurait de nouveau dû être recueilli après les modifications substantielles que constitueraient l’introduction, au cours de la procédure législative, de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et, seulement en ce qui concerne la République de Bulgarie, d’une période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé.

537. D’emblée, je remarque qu’une telle obligation de consulter à nouveau ces deux comités dans le cas où une modification substantielle serait apportée à une proposition législative ne découle ni de l’article 91 TFUE ni d’aucune autre disposition de droit primaire.

538. En ce qui concerne, premièrement, les documents de travail invoqués par la République de Bulgarie et la République de Chypre, le guide pratique sur la violation du principe de subsidiarité publié par le CdR se borne à indiquer qu’il devrait normalement être consulté également en cas de modifications substantielles d’une proposition législative à propos de laquelle ce comité s’est déjà exprimé (250), sans autre précision tenant, notamment, à la base juridique d’une telle consultation. Le règlement intérieur du CdR, également invoqué, se borne, pour sa part, à prévoir les conditions du suivi de l’avis du comité et la possibilité pour ce comité de suivre l’évolution des travaux législatifs postérieurs à son avis et d’adopter, le cas échéant, un projet d’avis révisé (251). J’ajoute que ce règlement prévoit également la possibilité pour le CdR, lorsqu’il estime ne pas avoir été consulté dans les cas prévus par le traité FUE, d’introduire un recours devant la Cour (252). Or, force est de constater que le CdR n’a manifestement pas jugé utile d’adopter un avis révisé à la suite de l’introduction des deux mesures rappelées plus haut, comme l’a relevé le Parlement, ni d’introduire un recours devant la Cour visant à faire constater la violation de ses droits au cours de la procédure législative ayant conduit à l’adoption du règlement 2020/1055.

539. Deuxièmement, les parties ont largement débattu de la question de savoir si les enseignements de l’arrêt Parlement/Conseil (253) étaient transposables aux conditions de consultation du CESE et du CdR dès lors que l’article 75 CEE qui était interprété par la Cour dans cet arrêt serait libellé de la même manière que l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

540. À l’instar du Parlement et du Conseil, j’avoue ne pas être convaincu du caractère transposable de cet arrêt.

541. L’on ne saurait, en effet, ignorer que les conditions dans lesquelles le Conseil était tenu de consulter à nouveau le Parlement, à une époque où il n’était que consulté, ont encore été précisées dans un autre arrêt Parlement/Conseil (254) postérieur, duquel il découle que « la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue une formalité substantielle dont le non‑respect entraîne la nullité de l’acte concerné. La participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l’équilibre institutionnel voulu par le traité. Cette compétence constitue l’expression d’un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative. Or, l’exigence de consulter le Parlement européen au cours de la procédure législative [...] implique l’exigence d’une nouvelle consultation du Parlement européen à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l’exception des cas où les amendements correspondent, pour l’essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même » (255).

542. Ce n’est pas faire offense au CESE et au CdR que de rappeler qu’ils ne sont pas des institutions de l’Union (256), au sens de l’article 13, paragraphe 2, TUE, ni n’incarnent la participation des peuples à l’exercice du pouvoir comme c’était déjà le cas du Parlement en 1995. Par conséquent, l’obligation de consulter à nouveau ces deux comités ne saurait être fondée sur cette jurisprudence de la Cour.

543. Le CESE et le CdR ont pu, selon moi à suffisance, donner leur avis sur les projets législatifs envisagés.

544. Ainsi, comme l’a fait valoir à juste titre le Conseil, le CESE a exprimé, dans son avis en date du 18 janvier 2018, son soutien à l’objectif exposé et, plus généralement, à l’ensemble du Paquet mobilité (257). Il a également soutenu les objectifs de la proposition visant à introduire des exigences en matière d’établissement grâce auxquelles il sera possible de prévenir l’utilisation de sociétés boîtes aux lettres pour les opérations de transport routier (258) et accueilli favorablement l’orientation d’ensemble des modifications proposées du règlement no 1072/2009 en vue de simplifier et clarifier les règles en matière de cabotage (259). Il a pu s’exprimer, et le cas échéant émettre des réserves, sur les mesures que contenaient la proposition de la Commission, tant en ce qui concerne la révision de l’article 5 du règlement no 1071/2009 qu’en ce qui concerne la modification du règlement no 1072/2009 à propos du cabotage. Relativement à ce dernier, le CESE a en particulier regretté que « la proposition n’aborde absolument pas le problème qui se pose lorsqu’une activité de cabotage n’est plus temporaire, mais acquiert un caractère si continu et permanent qu’elle ne relève plus du droit de fournir des services dans un État membre autre que celui où est établie l’entreprise » (260) et appelé de ses vœux « une règle claire pour déterminer en quoi consiste une opération temporaire » (261) qui pourrait consister en l’instauration d’un « délai d’attente entre deux séries d’opérations de cabotage » (262) ce qui sera, précisément, l’option finalement retenue par le législateur de l’Union dans le texte final du règlement 2020/1055.

545. En ce qui concerne le CdR, celui-ci a choisi de se concentrer, dans son avis en date du 1er février 2018, sur les questions liées au travail dans le transport routier tout en soulignant les principales caractéristiques du marché du transport routier de marchandises au sein de l’Union (263) et en accueillant favorablement les dispositions plus claires sur le cabotage (264).

546. En tout état de cause, il ressort, selon moi, clairement du contenu de ces deux avis que l’introduction d’une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et d’une période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé s’inscrit dans la continuité de ce qu’annonçait la proposition de la Commission sur laquelle les deux comités ont pu s’exprimer et dont elle ne s’écarte pas d’une manière telle que cela aurait nécessité de recueillir à nouveau les avis des deux comités. Autrement dit, le système du projet dans son ensemble ne s’est pas trouvé affecté (265).

547. Je propose en conséquence de rejeter les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE pour défaut de consultation du CESE et du CdR.

b)      Sur les moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique

1)      Arguments des parties

548. Par son premier moyen, la République de Lituanie fait valoir que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, introduite par l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, viole l’article 3, paragraphe 3, TUE, les articles 11 et 191 TFUE, l’article 37 de la Charte ainsi que, plus généralement, la politique de l’Union en matière d’environnement et de lutte contre le changement climatique. La République de Lituanie soutient que la protection de l’environnement constituerait l’un des objectifs essentiels de l’Union et que les exigences tenant à cette protection devraient être intégrées dans la mise en œuvre de la politique commune des transports. Les dispositions des traités invoquées ainsi que le pacte vert pour l’Europe devraient être pris en considération dès lors que, la protection de l’environnement étant une exigence impérative, les mesures adoptées par le législateur de l’Union, même si elles poursuivent d’autres objectifs, ne sauraient lui être manifestement contraires.

549. Le pacte vert pour l’Europe, présenté pendant la procédure d’adoption du règlement 2020/1055, aurait fixé, pour l’Union, l’objectif d’atteindre la neutralité climatique d’ici l’année 2050, objectif qui aurait été réaffirmé par le Conseil européen (266). La réalisation d’un tel objectif nécessiterait de réduire de 90 % les émissions du secteur du transport d’ici cette date (267). Par ailleurs, l’objectif de neutralité climatique serait également énoncé à l’article 2, paragraphe 1, du règlement (UE) 2021/1119 (268). Le paragraphe 2 de cet article ferait obligation aux institutions de l’Union et aux États membres de prendre les mesures nécessaires, respectivement au niveau de l’Union et au niveau national, pour permettre la réalisation collective de cet objectif, en tenant compte de la nécessité de promouvoir tant l’équité et la solidarité entre les États membres que le rapport coût-efficacité dans la réalisation dudit objectif. La Commission elle-même aurait, d’ailleurs, regretté (269) que l’accord politique conclu par le Conseil et le Parlement contienne des éléments, dont l’obligation relative au retour des véhicules, qui ne seraient pas conformes aux ambitions du pacte vert pour l’Europe et à l’objectif consistant à parvenir, d’ici 2050, à une Union neutre pour le climat. Par ailleurs, la Commission se serait engagée, après l’adoption du Paquet mobilité, à analyser les répercussions de ladite obligation sur le climat et l’environnement ainsi qu’à présenter une proposition législative ciblée avant que l’obligation relative au retour des véhicules n’entre en vigueur (270). Cette analyse d’impact aurait confirmé les répercussions importantes sur l’environnement de cette obligation, de sorte que les affirmations du Parlement et du Conseil, selon lesquelles la disposition attaquée n’entraînerait qu’une augmentation modérée des émissions, seraient manifestement infondées (271).

550. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines irait dans une direction opposée au pacte vert pour l’Europe et à l’objectif de neutralité, une telle obligation entraînant une augmentation considérable du nombre de parcours effectués, dont la majeure partie serait effectuée à vide. Il en résulterait une forte augmentation des quantités de CO2 émises par le secteur des transports, qui est un secteur dans lequel les deux tiers de la totalité des besoins en main d’œuvre se concentreraient dans la région géographique centrale de l’Union, alors que la majorité des chauffeurs proviendrait des États membres périphériques de l’Union (272).

551. Dans sa réplique, la République de Lituanie soutient que l’article 3, paragraphe 3, TUE et les articles 11 et 191 TFUE ne pourraient être interprétés aussi strictement que le proposent le Conseil et le Parlement dans leur défense et maintient que la légalité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines devrait être appréciée à la lumière de ces dispositions. En outre, la position de ces institutions à l’égard du pacte vert pour l’Europe serait incohérente. La République de Lituanie rappelle que la protection de l’environnement constitue, dans la jurisprudence de la Cour, une exigence impérative. Si le législateur peut prendre des mesures qui s’écartent des objectifs de protection de l’environnement, ces mesures ne sauraient, comme en l’espèce, être manifestement incompatibles ou contraires auxdits objectifs. L’effet sur l’environnement de l’obligation litigieuse aurait été manifestement sous-estimé.

552. Pour sa part, la République de Bulgarie fait valoir, dans le cadre de son premier moyen divisé en deux branches, que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines violerait, d’une part, les dispositions combinées de l’article 90 TFUE, de l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte et, d’autre part, l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’article 208, paragraphe 2, et l’article 216, paragraphe 2, TFUE ainsi que l’accord de Paris « adopté par la Conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21) au mois de décembre 2015 et signé le 22 avril 2016 ». Alors que la politique commune des transports revêtirait une importance particulière du point de vue de l’environnement, l’obligation relative au retour des véhicules toutes les huit semaines, en entraînant une hausse considérable des émissions de CO2 et une augmentation des voyages à vide ainsi que du trafic routier, entraverait la réalisation de l’objectif du pacte vert pour l’Europe, comme l’aurait souligné la Commission. Il serait également difficile pour les États membres de se conformer aux obligations découlant du règlement (UE) 2018/842 (273).

553. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, la République de Bulgarie soutient que les dispositions invoquées exigeraient des institutions qu’elles poursuivent les objectifs fixés par les traités dans le cadre d’une politique commune des transports. L’article 11 TFUE constituerait une clause horizontale, soulignant le caractère transversal et fondamental de l’objectif de protection de l’environnement. L’intégration des considérations relatives à un niveau élevé de protection de l’environnement dans les politiques de l’Union serait par ailleurs confirmée par l’article 37 de la Charte, soulignant ainsi la place éminente de cette protection dans l’ordre juridique de l’Union. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, de par les dommages environnementaux qu’elle causerait et de par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre qu’elle engendrerait, compromettrait manifestement la poursuite des objectifs poursuivis en matière d’environnement par les traités et rendraient vaines de nombreuses autres mesures visant à protéger l’environnement et à réduire les émissions polluantes. Le Conseil et le Parlement auraient donc violé les dispositions susvisées en adoptant une disposition qui n’œuvrerait nullement en faveur d’un niveau élevé de protection de l’environnement ni n’intégrerait les exigences liées à une telle protection.

554. En ce qui concerne la seconde branche, le Parlement et le Conseil auraient eux-mêmes reconnu que, afin de contribuer aux objectifs de l’accord de Paris, il conviendrait d’accélérer le passage de l’ensemble du secteur des transports à un niveau d’émissions nul et il faudrait réduire rapidement et de manière drastique les émissions de polluants atmosphériques provenant des transports, comme l’exigeraient les articles 2 et 4 de l’accord de Paris. L’obligation litigieuse serait donc contraire aux objectifs de l’accord de Paris et constituerait donc une violation de l’article 208, paragraphe 2, TFUE. De la même manière, ladite obligation violerait l’article 216, paragraphe 2, TFUE, la Commission ayant par ailleurs affirmé que cette obligation ne respectait pas l’objectif d’une union neutre pour le climat à l’horizon 2050 (274). L’Union devant, aux termes de l’article 3, paragraphe 5, TUE, contribuer au respect et au développement du droit international, et étant tenue de respecter le droit international dans son ensemble lorsqu’elle adopte un acte, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines serait contraire à ces dispositions. L’analyse d’impact réalisée en 2021, soit après l’adoption du règlement 2020/1055, aurait confirmé la tragédie écologique causé par ce règlement. Ce n’est pas la simple absence de répercussions positives sur l’environnement de l’obligation litigieuse qui est critiqué, mais le fait que cette obligation est clairement en porte-à-faux avec les objectifs écologiques devant être poursuivis.

555. Le premier moyen du recours introduit par la République de  Chypre est tiré d’une violation des objectifs environnementaux et des engagements internationaux. La République de Chypre développe une argumentation identique à celle développée par la République de Bulgarie.

556. Dans l’affaire C‑551/20, en ce qui concerne le premier moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation des principes de proportionnalité et de précaution, la Hongrie développe des arguments en lien avec la thématique de la protection de l’environnement et de la politique environnementale de l’Union que j’examinerai ici. Elle soutient notamment que l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 serait contraire au principe de précaution qui serait un principe général du droit de l’Union, découlant de l’article 11 TFUE, de l’article 168, paragraphe 1, TFUE, de l’article 169, paragraphes 1 et 2, TFUE et de l’article 191, paragraphes 1 et 2, TFUE. Il découlerait d’un tel principe que les autorités concernées seraient tenues de prendre, dans l’exercice des compétences qui leur sont attribuées, des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques. En raison du niveau très important des émissions supplémentaires de CO2 qu’elle entraînerait, l’obligation relative au retour des véhicules irait clairement à l’encontre de l’engagement de l’Union en faveur de la réduction des gaz à effet de serre et, notamment, du pacte vert pour l’Europe qui, conformément aux engagements internationaux pris par l’Union dans le cadre de l’accord de Paris, aurait pourtant pour objectif la neutralité climatique de l’Union d’ici à 2050. Il y aurait également lieu de tenir compte de l’article 11 TFUE qui soulignerait le caractère transversal et fondamental de l’objectif de protection de l’environnement et qui devrait donc servir de standard pour contrôler la validité de la législation de l’Union lorsque les intérêts environnementaux n’auraient manifestement pas été pris en compte ou lorsqu’ils auraient été complètement ignorés. Une mesure ayant à de nombreux égards des effets négatifs sur l’environnement en raison de la circulation superflue de poids lourds qu’elle provoque – que cela concerne la pollution de l’air, le dépôt sauvage de déchets ou l’usure des infrastructures – ne pourrait pas être justifiée par de simples objectifs de contrôle. Les données qui ressortiraient de l’analyse d’impact de 2021 feraient état des répercussions significatives de l’obligation de retour du véhicule toutes les huit semaines qui contrediraient les effets négligeables, par rapport aux émissions totales, allégués par le Conseil et le Parlement. Les mesures adoptées, par ailleurs, en matière de réduction des gaz à effet de serre ne modifieraient pas cette conclusion mais l’obligation de retour du véhicule toutes les huit semaines compromettrait significativement la réalisation des objectifs que ces mesures poursuivent. Lesdites mesures démontreraient, au contraire, que la réduction de la quantité de ces gaz dans l’atmosphère serait un objectif prioritaire de l’Union dont il ne serait possible de s’écarter que dans des cas particulièrement justifiés, en raison d’un objectif qui est au moins de même rang que l’intérêt environnemental et à condition qu’aucune autre solution appropriée ne soit envisageable, ce qui ne serait pas le cas de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines.

557. Dans le cadre de l’affaire C‑552/20, la République de Malte fait valoir que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines viole l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte. Selon cet État membre, l’article 91, paragraphe 2, TFUE, qui serait la base juridique du règlement 2020/1055, devrait s’interpréter en combinaison avec d’autres dispositions du droit de l’Union imposant au législateur de l’Union de prendre en considération d’autres circonstances pertinentes, dont celles liées à la protection de l’environnement qui occuperait une place cruciale parmi les objectifs et politiques de l’Union et qui serait également une exigence impérative. L’article 11 TFUE consacrerait une obligation spécifique d’intégrer la protection de l’environnement dans les politiques de l’Union et un devoir des institutions de veiller à ce que la perspective environnementale soit prise en compte dans toutes les politiques et actions de l’Union, quel que soit le secteur concerné et indépendamment du point de savoir si elles ont ou non un lien immédiat avec l’environnement. L’article 11 TFUE aurait été complété et renforcé par l’article 37 de la Charte. Cet article 11 comporterait à la fois une obligation formelle de prendre en compte les aspects environnementaux avant d’arrêter la moindre décision et une obligation matérielle de garantir que les actions de l’Union concordent avec la réalisation des objectifs environnementaux. Aucune de ces obligations n’aurait été respectée par le Conseil et le Parlement.

558. L’obligation formelle découlant de l’article 11 TFUE lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte exigerait que des analyses d’impact soient élaborées afin de garantir la qualité et la cohérence des projets d’actes législatifs de l’Union avec les objectifs environnementaux poursuivis par le traité ainsi que la conformité de tels projets avec le principe de proportionnalité. Or, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines n’aurait pas fait l’objet d’une telle analyse et aurait été adoptée sans aucune considération préalable de son impact potentiel sur l’environnement.

559. L’obligation matérielle découlant de l’article 11 TFUE impliquerait que toutes les décisions politiques de l’Union susceptibles de porter atteinte aux objectifs environnementaux devraient être nécessaires, proportionnées et dûment justifiées. Des décisions politiques qui entraveraient la réalisation d’objectifs environnementaux de l’Union alors que des mesures alternatives existent ou lorsque l’atteinte environnementale apparaît disproportionnée, seraient contraires à l’article 11 TFUE. Les incidences négatives pour l’environnement de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, causées par le retour à vide inutile des véhicules, mettraient en péril la réalisation d’objectifs environnementaux par ailleurs poursuivis par l’Union que ce soit dans l’accord de Paris lui-même, ou dans le règlement 2018/842 qui fixe des objectifs annuels contraignants de réduction des émissions dans le secteur des transports pour chaque État membre. Ladite obligation contreviendrait également à l’objectif de réduire de 60 % les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports (275) ainsi qu’aux objectifs d’amélioration de la qualité de l’air fixés par la réglementation de l’Union et aux objectifs en termes de prévention et réduction de la production des déchets fixés par la directive 2008/98/CE (276). L’absence de prise en compte de tous ces objectifs dans la définition de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et l’atteinte grave que porterait une telle obligation à ces objectifs violeraient l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte.

560. La République de Malte soutient encore, en substance, que le Parlement et le Conseil n’ont pas démontré ni expliqué comment les exigences de la protection de l’environnement avaient été intégrées dans la définition et la mise en œuvre de l’obligation de retour. L’évaluation ex post des effets de cette obligation par la Commission prouverait que l’impact de la règle du retour des véhicules dans l’État d’établissement est très négatif et très lourd sur le changement climatique et sur la qualité de l’air. Un tel impact saperait les politiques et réglementations de l’Union en matière de changement climatique et de protection de l’environnement

561. Enfin, la République de Pologne invoque, dans l’affaire C‑554/20, un moyen, commun à toutes les dispositions qu’elle attaque, tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte en ce que les exigences découlant de la protection de l’environnement n’auraient pas été prises en compte. Il découlerait de ces deux dispositions que les institutions de l’Union seraient tenues de s’abstenir de prendre des mesures qui seraient susceptibles de compromettre la réalisation des objectifs de protection de l’environnement, et ce au-delà des seules mesures se rattachant aux articles 191 et 192 TFUE. Le principe d’intégration des exigences de l’environnement dans les autres politiques de l’Union qui découlerait de ces dispositions permettrait de concilier les objectifs et les exigences de protection de l’environnement avec les autres intérêts et buts poursuivis par l’Union ainsi que la poursuite d’un développement durable. Un tel principe constituerait, en soi, un motif d’annulation d’un acte de l’Union lorsque les intérêts environnementaux n’ont manifestement pas été pris en compte ou ont été complètement ignorés. Eu égard au caractère horizontal large de l’article 11 TFUE, il conviendrait, lorsqu’on examine si une mesure donnée contribue suffisamment à la protection de l’environnement, de la considérer non pas isolément par rapport aux autres mesures de l’Union adoptées à cette fin et liées à l’activité concernée, mais par rapport à l’ensemble des mesures adoptées par l’Union dans ce domaine qui fournirait le cadre approprié pour une telle appréciation. Le contrôle juridictionnel concernant l’appréciation de la conformité de l’action du législateur de l’Union avec ce principe d’intégration devrait être analogue à celui effectué par le Tribunal lorsqu’il a eu à apprécier si l’action de la Commission respectait le principe de solidarité énergétique (277). Dans ces conditions, il appartenait audit législateur de prendre en compte les exigences environnementales avant l’adoption de l’obligation de retour ce qui impliquait notamment de procéder à une analyse de l’incidence des règles projetées sur l’environnement et de s’assurer que ces dernières ne seraient pas préjudiciables à la réalisation des objectifs fixés dans les autres actes de droit dérivé adoptés dans le domaine de l’environnement. Cette absence d’analyse constituerait une violation manifeste de leur obligation de procéder à une telle évaluation découlant de l’article 11 TFUE (278).

562. Le Parlement et le Conseil auraient été tenus ensuite de mettre en balance les intérêts en conflit et d’apporter le cas échéant les modifications adéquates. Une interprétation de l’article 11 TFUE en ce sens qu’il ne concernerait que des domaines du droit et non des mesures particulières aurait pour effet d’en relativiser considérablement l’importance. Les exigences de protection de l’environnement devraient être prises en compte y compris lors de la détermination des différentes mesures faisant partie du domaine concerné du droit de l’Union. L’argument selon lequel les autres actes de droit dérivé en matière de pollution atmosphérique ne pourraient constituer le cadre de l’appréciation du règlement 2020/1055 devrait être écarté, sous peine, à nouveau, de remettre en cause l’effectivité de l’article 11 TFUE, les institutions pouvant alors adopter un acte entravant ou empêchant la réalisation d’objectifs fixés dans les actes adoptés dans le domaine de l’environnement alors que la crise climatique serait le principal défi de la politique environnementale de l’Union et que les institutions devraient s’atteler à poursuivre de manière conséquente la réalisation des objectifs climatiques adoptés par l’Union. Il serait notoire que la pollution de l’air par les émissions des transports engendrerait de nombreux problèmes de santé auxquels contribuerait principalement le transport routier. En contraignant les véhicules à retourner dans l’État membre d’établissement toutes les huit semaines, l’obligation de retour engendrerait des voyages supplémentaires générant une augmentation des émissions de CO2 et des polluants atmosphériques, émissions susceptibles d’avoir une incidence notable sur la réalisation des objectifs environnementaux de l’Union découlant notamment du pacte vert pour l’Europe, de l’objectif d’une Union climatiquement neutre d’ici à 2050 par une réduction de 90 % des émissions globales des transports par rapport aux niveaux de 1990 et des objectifs assignés aux États membres par la législation de l’Union en la matière. Les émissions supplémentaires d’oxyde d’azote et des poussières générées en application des dispositions attaquées seraient susceptibles de remettre en cause l’effectivité de l’action définie par les États membres dans les plans de protection de l’air, en particulier des plans adoptés pour les zones et agglomérations situées à proximité des voies de communication utilisées par le transport international. Partant, l’obligation de retour du véhicule toutes les huit semaines violerait le principe d’intégration exprimé à l’article 11 TFUE et à l’article 37 de la Charte. L’analyse d’impact de 2021 suffirait à constater que le législateur de l’Union aurait enfreint ces deux dispositions puisqu’elle confirmerait l’impact négatif sur l’environnement de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, en contradiction, notamment, avec le pacte vert pour l’Europe.

563. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique.

2)      Analyse

564. Les arguments développés par les requérantes peuvent, en substance, se diviser en trois catégories (279). D’abord, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines contreviendrait aux dispositions de droit primaire qui consacrent l’exigence de protection de l’environnement. Ensuite, cette obligation serait également contraire aux engagements internationaux liant l’Union et les États membres en matière de protection de l’environnement. Enfin, l’obligation de retour serait contraire à la politique de l’Union en matière d’environnement en ce qu’elle mettrait en péril la réalisation des objectifs poursuivis en matière environnementale par toute une série d’actes de droit dérivé.

i)      Sur la violation alléguée de l’article 3 TUE, des articles 11 et 191 TFUE et de l’article 37 de la Charte

565. En ce qui concerne l’article 37 de la Charte, il ressort des explications ad article 37 que le principe contenu dans cet article a été fondé sur les articles 2, 6 et 174 CE, aujourd’hui article 3, paragraphe 3, TUE et articles 11 et 191 TFUE. La Cour a déjà dit pour droit que l’article 52, paragraphe 2, de la Charte disposant que les droits reconnus par celle-ci font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ceux-ci, le droit à un niveau de protection élevé de l’environnement tel que consacré par la Charte doit se comprendre et s’interpréter dans les conditions et limites le cas échéant prévues par l’article 3, paragraphe 3, TUE et les articles 11 et 191 TFUE (280). À l’instar de ce qu’a relevé le Parlement (281) et de ce que j’ai déjà rappelé (282), l’article 37 de la Charte ne constitue donc pas une norme juridique autonome indépendante de ces autres dispositions de droit primaire.

566. En ce qui concerne l’article 3, paragraphe 3, TUE, il s’agit d’une disposition essentiellement programmatique qui n’établit pas de hiérarchie entre les objectifs qu’elle assigne à l’Union. Ainsi, même si l’on devait s’interroger sur la conformité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines avec l’objectif d’un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, l’on devrait, dans le même temps, constater qu’une telle obligation poursuit, par ailleurs, l’objectif d’une croissance économique équilibrée au sein d’une économie sociale de marché. La dimension programmatique de l’article 3, paragraphe 3, TUE l’exclut, selon moi, des paramètres de légalité aux fins d’apprécier si l’obligation litigieuse est pleinement conforme au droit primaire de l’Union. La mise en œuvre de l’objectif environnemental doit être le résultat des politiques et actions de l’Union et des États membres (283), et l’article 3, paragraphe 3, TUE ne peut recevoir une application autonome par rapport aux dispositions spécifiques du traité qui concrétisent les objectifs généraux qu’il contient (284).

567. En ce qui concerne l’article 11 TFUE, l’analyse de l’avocat général Geelhoed, abondamment citée par les parties, me semble avoir gardé toute sa pertinence et son actualité, bien qu’elle concernait la disposition antérieure équivalente de cet article 11. Ainsi, l’avocat général a-t-il estimé que « [b]ien que cette disposition soit rédigée en termes impératifs, elle ne peut pas [...] être considérée comme posant un standard en vertu duquel, lors de la définition des politiques communautaires, la protection de l’environnement doit toujours être acceptée comme étant l’intérêt qui prévaut. Une telle interprétation restreindrait de manière inacceptable les pouvoirs discrétionnaires des institutions communautaires et du législateur communautaire. Elle doit être considérée, tout au plus, comme une obligation des institutions communautaires de tenir dûment compte des intérêts environnementaux dans les domaines de politique, en dehors de celui de la protection de l’environnement stricto sensu. Ce n’est que lorsque les intérêts environnementaux n’ont manifestement pas été pris en compte ou lorsqu’ils ont été complètement ignorés que l’article 6 CE peut servir de standard pour la validité de la législation communautaire. En outre, compte tenu du caractère horizontal large de l’article 6 CE, il convient, lorsqu’on examine si une mesure donnée contribue suffisamment à la protection de l’environnement, de ne pas la considérer de manière isolée par rapport aux autres mesures communautaires adoptées à cette fin et liées à l’activité concernée. C’est l’ensemble des mesures adoptées par la Communauté dans ce domaine qui fournit le cadre approprié pour l’appréciation » (285).

568. Si les parties s’accordent sur cette interprétation, que la Cour n’a pas eu l’occasion de confirmer (286), elles sont en désaccord quant aux conséquences à en tirer dans le cadre des présents recours.

569. Je tiens à rappeler l’importance de l’objectif de protection de l’environnement, comme cela ressort d’ailleurs de la jurisprudence de la Cour qui en rappelle le caractère essentiel (287) et en souligne le caractère transversal et fondamental (288). Il n’est pas question de remettre en cause cette importance ici.

570. Toutefois, la question de l’importance de l’objectif se distingue de celle de l’intensité de sa justiciabilité. À cet égard, je constate, de concert avec l’avocat général Geelhoed, qu’en dépit d’un libellé d’apparence impérative, l’article 11 TFUE constitue une disposition transversale dont l’effet est, certes, de venir irradier les dispositions plus précises relatives à d’autres politiques et actions de l’Union, comme la Cour a déjà pu le constater, par exemple, dans le cadre de la politique agricole commune (289), de la politique commune de la pêche (290) ou encore dans le secteur de l’énergie nucléaire (291), mais sans toutefois préciser les conditions, les formes et l’intensité de cette irradiation. Ainsi, le législateur, quel que soit son domaine d’intervention, doit intégrer les exigences liées à la protection de l’environnement sans que l’article 11 TFUE précise davantage les obligations à la charge du législateur (292). Sans qu’il soit besoin, à ce stade, de se prononcer sur l’existence d’une évaluation, par le législateur de l’Union, de l’impact environnemental de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et en l’absence de précisions sur la portée de l’exigence contenue à l’article 11 TFUE, les griefs avancés par la République de Pologne et par la République de Malte tirés d’une violation de l’article 11 TFUE en raison de l’absence d’analyse d’impact doivent être d’ores et déjà rejetés.

571. Certes, comme cela a pu être relevé par certaines des parties requérantes, l’article 11 TFUE se réfère aux politiques et actions de l’Union. Pour autant, une telle référence ne peut s’interpréter comme une obligation systématique pour l’adoption de chaque mesure législative individuelle de prendre en compte les exigences liées à la protection de l’environnement, voire de les faire prévaloir. D’abord, les politiques et actions visées à l’article 11 TFUE doivent se comprendre comme celles visées par la partie 3 du traité FUE dont c’est précisément l’intitulé (293) et l’article 11 TFUE ne peut être utilisé comme l’étalon à l’aune duquel la conformité de chaque disposition isolée d’un acte législatif de l’Union devra être mesurée. Ensuite, cette disposition revêt un caractère transversal, les exigences en matière de protection de l’environnement étant multidimensionnelles. C’est, au final, la façon dont l’Union intègre dans ses politiques ces exigences qui permettrait de déterminer si celle-ci agit conformément à ce que prescrit l’article 11 TFUE et si son législateur a exercé ses compétences dans le respect de l’objectif qui lui est fixé par cette disposition.

572. À cet égard, les institutions défenderesses ont soutenu que si toute disposition susceptible d’avoir un impact négatif sur l’environnement devait être déclarée contraire à l’article 11 TFUE sans prendre en compte le contexte normatif plus large entourant la disposition concernée, toute mesure autorisant le transport routier de marchandises, en raison de son caractère actuellement éminemment polluant, encourrait le risque d’être censurée sur ce fondement.

573. L’argument se veut, pour sûr, un peu provocateur. Il n’en révèle pas moins, selon moi, une vérité : comme l’avocat général Geelhoed l’a relevé, ce n’était pas l’intention des rédacteurs des traités de guider ainsi la main du législateur de l’Union au risque de faire de l’objectif de protection de l’environnement un supra-objectif alors que, comme je l’ai déjà rappelé, une telle hiérarchie entre les objectifs assignés à l’Union ne ressort pas, par ailleurs, des traités.

574. Comme je l’ai déjà rappelé (294), il est, en outre, dans la nature même de l’action législative que de devoir arbitrer, dans un domaine donné, entre intérêts divergents et de mettre en balance des objectifs qui peuvent être contradictoires. C’est un exercice dont la jurisprudence reconnaît la complexité en laissant une large amplitude au pouvoir d’appréciation du législateur ; cela explique que le contrôle du juge de l’Union sera limité au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, du détournement de pouvoir et à la vérification que le législateur n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (295).

575. Ainsi, quand bien même l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines dans l’État membre d’établissement aurait des conséquences négatives pour l’environnement (296), ce seul constat ne serait pas suffisant pour conclure à une violation de l’article 11 TFUE puisque, par ailleurs, le législateur de l’Union a entrepris diverses actions pour tenter de contenir les effets négatifs du transport routier de marchandises. L’obligation de retour toutes les huit semaines doit ainsi être replacée dans le contexte normatif plus large dans lequel elle s’inscrit. Au moment de l’adoption du règlement 2020/1055, le règlement 2018/842 faisait obligation aux États membres de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans un pourcentage fixé par ce règlement. Ledit règlement rappelait qu’un tel objectif avait été approuvé par le Conseil européen à l’échelle de l’économie (297). La directive 2004/107/CE (298) a pour objectif global de préserver et améliorer la qualité de l’air ambiant en fixant notamment des valeurs cibles pour lesquelles les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour les atteindre sans que cela n’entraîne de coûts disproportionnés (299). La directive 2008/50/CE (300) a défini et fixé des objectifs concernant la qualité de l’air ambiant, qualité qui doit faire l’objet d’une évaluation sur la base de méthodes et critères communs et d’une information du public (301). La directive 2008/98 (302) a pour objet d’organiser la prévention ou la réduction des effets nocifs de la production et de la gestion des déchets, la réduction des incidences globales de l’utilisation des ressources et une amélioration de l’efficacité de cette utilisation (303). En ce qui concerne plus particulièrement le secteur des transports, la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (304) a été modifiée en 2011 par la directive 2011/76/UE (305) pour y intégrer des considérations liées à la promotion des transports durables présentée comme l’élément clé de la politique commune des transports ; le législateur de l’Union a estimé que la contribution du secteur des transports au changement climatique devrait être réduite (306) sans que, toutefois, un tel objectif puisse être atteint par la création d’obstacles disproportionnés, dans la mesure où le fonctionnement du marché intérieur doit également être préservé (307). La directive 2011/76 insère, dans la directive 1999/62 et en ce qui concerne le secteur des transports, le principe du pollueur-payeur (308), le législateur de l’Union ayant alors estimé que les péages constituent un instrument économique équitable et efficace pour une politique des transports durable en ce qu’ils permettent de prendre en compte le coût de la pollution et de la congestion occasionné par l’utilisation des véhicules (309). Par ailleurs, les émissions de CO2 étaient règlementées, en ce qui concerne les voitures et véhicules utilitaires légers neufs, par le règlement (UE) 2019/631 (310) et, en ce qui concerne les véhicules utilitaires lourds neufs, par le règlement (UE) 2019/1242 (311). Le législateur de l’Union avait également adopté une directive dont l’objet était d’obliger les États membres à prendre en compte les incidences énergétiques et environnementales des véhicules à moteur dans les procédures de commande publique (312). L’étiquetage des pneumatiques, tel que règlementé par le règlement (UE) 2020/740 (313), a pour ambition de contenir la consommation de carburant des véhicules, et donc des émissions de gaz à effet de serre, et contribue à la décarbonation du secteur des transports (314).

576. Ainsi, au moment de l’adoption du règlement 2020/1055 et donc de l’adoption de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, le législateur de l’Union pouvait, selon moi, légitimement estimer, dans le plein exercice de son large pouvoir d’appréciation, que les éventuelles conséquences négatives pour l’environnement de cette obligation pourraient être contenues en application de la législation existante portant plus spécifiquement sur les aspects environnementaux de l’activité en question et devant accompagner les transporteurs dans la transition technologique vers une mobilité moins polluante.

577. Il ressort, en outre, du considérant 8 du règlement 2020/1055 que le législateur de l’Union a évoqué la question de la réduction du risque que le véhicule revienne uniquement pour satisfaire à cette nouvelle exigence en matière d’établissement.

578. Doit-on davantage reprocher au législateur de l’Union de ne pas avoir fait figurer plus explicitement dans le règlement 2020/1055 ses préoccupations d’ordre environnemental ? Je ne le crois pas. L’article 11 TFUE n’impose pas la forme que doit prendre l’intégration des exigences de protection de l’environnement et, en tout état de cause, cette intégration doit se faire au niveau de la mise en œuvre des politiques de l’Union, dont j’ai déjà proposé qu’on en retienne une acception large. En outre, je rappelle que la base juridique du règlement 2020/1055 est l’article 91, paragraphe 1, TFUE et que l’objectif poursuivi par la mise en place de l’obligation de retour dans ce règlement n’est clairement pas immédiatement lié aux préoccupations exprimées à l’article 11 TFUE puisqu’une telle obligation constitue une clarification des dispositions du règlement no 1071/2009 concernant l’existence d’un établissement stable et effectif (315), l’effet recherché étant celui d’un renforcement du lien entre le transporteur et son État membre d’établissement afin de s’assurer d’une « présence réelle et permanente » (316) dans un contexte où un appauvrissement de ce lien menace, selon l’appréciation du législateur, la concurrence loyale et le caractère équitable des conditions de concurrence dans le marché intérieur (317). Il doit être reconnu que les dispositions du traité reconnaissant une compétence à l’Union dans le domaine de l’environnement laissent, par ailleurs, entières les compétences que l’Union détient en vertu d’autres dispositions (318).

579. Partant, en raison de la nécessité de mettre en balance certains objectifs et principes visés aux articles 3 TUE et 11 TFUE, ainsi que de la complexité de la mise en œuvre des critères (319), il n’apparaît pas que le Conseil et le Parlement ait commis une erreur manifeste d’appréciation, au regard des deux dispositions précitées, en adoptant l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines.

580. Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’invocation, par les parties requérantes, de l’étude Ricardo de 2021 dont l’objet était d’évaluer l’impact de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines car, en effet, quand bien même cette étude révélerait une augmentation significative, notamment, des émissions de CO2, il n’en demeure pas moins que la validité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit qui existaient au moment de l’adoption dudit acte (320) et que cette validité ne saurait dépendre d’appréciations rétrospectives concernant son degré d’efficacité (321). En tout état de cause, comme je l’ai déjà indiqué, une telle augmentation devrait, dans tous les cas, être mise en rapport avec l’ensemble de la réglementation touchant le domaine concerné avant de pouvoir conclure à l’absence manifeste de prise en compte par le législateur de l’Union des exigences tenant à la protection de l’environnement.

581. C’est également parce que la base juridique du règlement 2020/1055 est l’article 91, paragraphe 1, TFUE que la pertinence pour les présents recours des arguments fondés sur une violation des articles 191 et 192 TFUE doit être écartée. Ce règlement n’est pas une mesure adoptée au titre de la politique de l’Union en matière d’environnement et il n’a pas été soutenu que les institutions défenderesses se seraient trompées de base juridique. Le règlement 2020/1055 n’étant pas une action entreprise par l’Union au titre de l’article 191 TFUE (322), l’invocation d’une violation alléguée de l’article 192, paragraphe 2, sous c), TFUE est dénuée de pertinence (323). Une mesure ne saurait relever du domaine de l’environnement en raison du seul fait qu’elle devrait tenir compte d’exigences environnementales (324).

582. Quand bien même la Cour souhaiterait se prononcer sur la question de la violation du principe de précaution alléguée par la Hongrie (325), il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si l’article 191, paragraphe 2, TFUE prévoit que la politique de l’environnement est fondée notamment sur ce principe, ce dernier a, certes, également vocation à s’appliquer dans le cadre d’autres politiques de l’Union, en particulier la politique de protection de la santé publique ainsi que, lorsque les institutions de l’Union adoptent, au titre de la politique agricole commune ou de la politique du marché intérieur, des mesures de protection de la santé humaine (326). Ce principe implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (327). Même en ce qui concerne les conditions dans lesquelles le principe de précaution doit être mis en œuvre, la Cour a reconnu que, en raison de la nécessité de procéder à la mise en balance de plusieurs objectifs et principes, ainsi que de la complexité de la mise en œuvre des critères pertinents, le contrôle juridictionnel doit nécessairement se limiter au point de savoir si le législateur de l’Union a commis une erreur manifeste d’appréciation (328). Cela vaut d’autant plus lorsque le législateur est amené à apprécier les effets futurs d’une réglementation à prendre alors que ces effets ne peuvent être prévus avec exactitude (329).

583. J’avoue que l’allégation d’une violation du principe de précaution, du fait de l’instauration d’une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, me laisse perplexe, car, en effet, cela reviendrait à juger que seule la part des émissions supplémentaires alléguées résultant de la mise en œuvre de cette obligation constituerait un risque réel pour la santé des personnes qui aurait nécessité l’adoption de mesures restrictives. En tout état de cause, si le législateur est tenu de prendre en compte le principe de précaution lorsqu’il adopte, dans le cadre du marché intérieur, des mesures visant à protéger la santé humaine (330), le rapport entre les émissions supplémentaires découlant éventuellement de l’obligation de retour et les risques avérés pour la santé de la pollution en général m’apparaît ici trop ténu pour pouvoir encourir la censure. Surtout, l’article 1er, point 3, sous a), du règlement 2020/1055 n’est pas une mesure visant à protéger la santé humaine au sens de la jurisprudence de la Cour. Pour l’ensemble de ces raisons, l’argument tiré d’une violation du principe de précaution ne devrait donc pas prospérer.

ii)    Sur la violation alléguée des engagements internationaux de l’Union et des États membres dans le domaine de la protection de l’environnement

584. La République de Bulgarie et la République de Chypre ont toutes deux développé une argumentation selon laquelle l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines serait contraire à l’accord de Paris et, en tout état de cause, le Conseil et le Parlement n’auraient pas tenu compte des objectifs de cet accord en adoptant ladite obligation, ce qui constituerait une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement.

585. En ce qui concerne le grief tiré du fait que le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte des objectifs fixés par l’accord de Paris (331), je relève, de concert avec le Parlement, que, comme l’indique le considérant 7 de la décision (UE) 2016/1841 du Conseil, du 5 octobre 2016, relative à la conclusion, au nom de l’Union européenne, de l’accord de Paris adopté au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (332), l’objectif contraignant consistant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’Union d’au moins 40 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 a été fixé par les conclusions du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 pour l’ensemble de l’économie. L’objectif fixé par l’article 2 de l’accord de Paris consistant à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2º°C par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre l’action déjà entreprise pour limiter l’élévation de la température à 1,5º°C par rapport aux niveaux préindustriels (333) doit donc s’apprécier au regard de l’ensemble de l’action mise en œuvre par l’Union à cette fin. Partant, il n’est pas possible de soutenir que la seule introduction d’une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, du fait des éventuelles émissions supplémentaires qu’elle engendrerait, serait, en soi, contraire à cet objectif et donc à la politique de l’Union en matière d’environnement.

586. En ce qui concerne le grief tiré de la violation, par le législateur de l’Union, de l’accord de Paris, il découle de l’article 216, paragraphe 2, TFUE que, lorsque des accords internationaux sont conclus par l’Union, les institutions de l’Union sont liées par de tels accords et, par conséquent, ceux-ci priment les actes de l’Union (334). La validité d’un acte de l’Union peut ainsi être affectée par l’incompatibilité de cet acte avec de telles règles de droit international, sous réserve du respect de certaines conditions. L’Union doit d’abord être liée par ces règles, ce qui, en ce qui concerne l’accord de Paris, ne fait pas de doute (335). Ensuite, les dispositions d’un accord international auquel l’Union est partie ne peuvent être invoquées à l’appui d’un recours en annulation d’un acte de droit dérivé de l’Union qu’à la condition, d’une part, que la nature et l’économie de cet accord ne s’y opposent pas et, d’autre part, que ces dispositions apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises (336), ce qui sera le cas lorsque la disposition invoquée comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur (337).

587. Si l’accord de Paris se substitue, certes, à l’approche retenue dans le cadre du protocole de Kyoto (338), il n’en modifie pas fondamentalement la logique. L’accord de Paris vise à « renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté » (339). Il fixe un objectif chiffré (340) à l’échelle de la planète mais il prévoit également de renforcer les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et de promouvoir la résilience à ces changements, qui me paraît être une notion dont la juridicité ne s’impose pas tout à fait avec la force de l’évidence. Il prévoit également de rendre les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et, là encore, résilient (341). Son application se fera conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales (342). L’accord oblige les États parties à engager et communiquer des efforts ambitieux (343) et ces États doivent chercher à parvenir au plafonnement mondial des émissions dans les meilleurs délais et à opérer des réductions rapidement afin de parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle et toujours en prenant en considération la situation des pays en développement (344). Pour ce faire, chaque État partie doit établir, communiquer et actualiser les contributions déterminées au niveau national (345).

588. Sans qu’il soit nécessaire, pour le traitement du présent grief, de poursuivre plus loin l’analyse de l’accord et sans qu’il soit davantage nécessaire de se prononcer ici sur le caractère inconditionnel et suffisamment précis de ces deux dispositions de l’accord de Paris spécifiquement invoquées par la République de Bulgarie et par la République de Chypre, il me semble déjà ressortir des éléments que je viens de souligner que, à la lumière de ce que la Cour a jugé à propos du protocole de Kyoto, la nature et l’économie de l’accord de Paris s’opposent également à son intégration dans le bloc de légalité du droit de l’Union (346). L’accord de Paris ne peut donc pas être invoqué pour contester la légalité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines.

589. Il en résulte que l’invocation de l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’article 208, paragraphe 2, et l’article 216, paragraphe 2, TFUE est dénuée de pertinence.

590. Partant, les griefs tirés de la violation de l’accord de Paris et de la non prise en compte des objectifs fixés à l’Union par cet accord doivent être rejetés.

iii) Sur la violation alléguée de la politique de l’environnement de l’Union en raison de la contrariété de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines au droit dérivé de l’environnement, aux conclusions du Conseil européen et au pacte vert pour l’Europe

591. Les parties requérantes ont également fait valoir une possible contrariété de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines avec toute une série d’objectifs climatiques et environnementaux fixés par le droit dérivé tel que, notamment, les règlements 2018/842 et 2021/1119 et les directives 2004/107, 2008/50 et 2008/98 et qu’une telle contrariété serait constitutive d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement dès lors que les prétendues émissions supplémentaires causées par cette obligation mettraient en péril la réalisation des objectifs environnementaux assignés par l’Union, individuellement ou collectivement, aux États membres.

592. Comme l’ont notamment fait valoir le Conseil et le Parlement dans leurs écritures, je me bornerai à constater, comme je l’ai déjà fait, que la légalité interne d’un acte de droit dérivé ne saurait être examinée au regard d’un autre acte de l’Union de même rang normatif (347), à moins qu’il ait été adopté en application de ce dernier acte ou s’il est expressément prévu, par l’un des deux actes, que l’un prime sur l’autre (348). Or, tel n’est pas le cas du règlement 2020/1055.  En outre, d’éventuelles tensions, dans le chef des États membres, entre les objectifs qui leur sont assignés par les différentes réglementations de l’Union qui s’appliqueraient à eux ne pourraient conduire qu’au constat d’une violation par un État membre de ses obligations au titre de l’une ou l’autre de ces réglementations, sans pour autant qu’une de ces réglementations puisse être déclarée contraire à une autre de même rang normatif (349).

593. En ce qui concerne le grief tiré d’une violation des conclusions du Conseil européen, les parties requérantes soutiennent que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines contredirait les objectifs fixés par le Conseil européen dans ses conclusions du 12 décembre 2019. Toutefois, dès lors que l’article 15, paragraphe 1, TUE précise que le Conseil européen n’exerce pas de fonction législative et dès lors que de telles conclusions revêtent une portée exclusivement politique, aucune conclusion utile pour l’issue des présents recours en annulation ne saurait être tirée dans l’hypothèse où la contradiction alléguée devrait être confirmée (350). Il en va de même en ce qui concerne la déclaration de la commissaire Vălean invoquée par les parties requérantes qui, en outre, s’est bornée à exprimer des doutes quant à la conformité de certains éléments du Paquet mobilité avec l’objectif fixé par le Conseil européen et avec les ambitions du pacte vert pour l’Europe (351).

594. Un tel constat s’impose également à propos de l’argument selon lequel l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines contreviendrait à la politique de l’Union en matière d’environnement en raison du fait qu’elle entraverait la réalisation des objectifs fixés dans le pacte vert pour l’Europe dès lors que celui-ci résulte d’une communication de la Commission qui ne lie pas le législateur de l’Union et qui ne fait donc pas partie des paramètres dont le respect s’imposait au Parlement et au Conseil au moment d’adopter l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines.

iv)    Conclusion de l’analyse

595. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, l’ensemble des moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique doit être rejeté comme étant non fondé.

c)      Sur les moyens tirés d’une violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1)      Arguments des parties

596. La République de Lituanie considère que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines est contraire à l’article 26 TFUE et au principe général de non‑discrimination. Selon elle, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines constituerait une mesure protectionniste qui entraînerait une fragmentation du marché, restreindrait la concurrence et instaurerait un régime discriminatoire à l’égard des transporteurs des États membres situés aux confins géographiques de l’Union. Le secteur du transport international routier serait discriminé par rapport à d’autres secteurs du transport.

597. La place particulière du secteur des transports pour le fonctionnement du marché intérieur a été soulignée par la Commission et le principe de non‑discrimination aurait été mis en œuvre dans le domaine du droit d’établissement par l’article 49 TFUE, également applicable aux personnes morales. Au lieu d’une réglementation équilibrée et d’un compromis qui aboutirait au bon fonctionnement du marché intérieur, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines constituerait une mesure restrictive, disproportionnée et protectionniste qui engendrerait une discrimination indirecte à l’égard des transporteurs des États membres périphériques.

598. Premièrement, le Conseil et le Parlement n’auraient pas tenu compte des spécificités géographiques de l’Union et de son marché des transports, l’obligation de retour ayant restreint la compétitivité des transporteurs de la périphérie de l’Union et leur droit de libre prestation des services, conférant un avantage injustifié et illégitime aux transporteurs établis dans la partie centrale de l’Union. La majorité des transports serait réalisée dans les États membres de l’Ouest et du centre de l’Union et la majeure partie de la demande de fret routier concernerait sept États membres (352). Dès lors, l’obligation de retour affecterait moins les transporteurs de ces États membres et les transporteurs des États membres périphériques seraient dans une situation moins favorable, devant couvrir des distances nettement plus longues et franchir des obstacles naturels plus importants, notamment pour les États membres insulaires. L’obligation de retour ferait peser sur ces transporteurs une charge disproportionnée pouvant aller, compte tenu de la distance, des temps de repos, des aléas, jusqu’au retrait des véhicules de la circulation pour une période significative de 8 à 14 jours. Ce retrait serait incompatible avec l’objectif fondamental de créer un marché intérieur efficace et compétitif. Bien que s’appliquant à tous les transporteurs, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines affecterait les opérateurs différemment en fonction de leur lieu d’établissement. L’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 imposerait ainsi des exigences identiques à des opérateurs se trouvant dans des situations différentes et serait pour cette raison discriminatoire. Le transport routier serait également discriminé dès lors que les autres types de transport ne connaîtraient pas d’obligation semblable de retour des moyens de transport.

599. Deuxièmement, la République de Lituanie avance l’argument selon lequel l’objectif allégué de lutte contre les sociétés boîtes aux lettres ne justifierait pas la mesure choisie alors que la véritable conséquence de l’obligation de retour serait la discrimination des transporteurs établis dans les États membres périphériques. L’hostilité des États membres de l’ouest et du centre de l’Union à l’égard des transporteurs des États membres périphériques serait notoire. Par ailleurs, le secteur des transports se caractériserait par une faible marge bénéficiaire et l’obligation de retour aurait pour effet de restreindre le territoire géographique sur lequel les entreprises de transport des États membres périphériques peuvent opérer et donc de réorganiser artificiellement le marché du transport de marchandises par route et de le fragmenter en dissuadant les opérateurs de la périphérie d’opérer dans les autres États membres.

600. Troisièmement, la République de Lituanie soutient que l’obligation de retour aura des conséquences négatives particulièrement lourdes pour les PME qui composent la majorité du secteur dès lors que les entreprises employant seulement quelques salariés ne pourront pas fonctionner convenablement et offrir leurs services en continu, alors qu’elle serait globalement sans incidence sur les grandes entreprises de transport qui représenteraient à peine 1 % de toutes les entreprises établies et exerçant dans l’Union. La compétitivité des entreprises établies dans les États membres de l’Union en comparaison avec les transporteurs de pays tiers se trouverait également réduite.

601. Quatrièmement, la République de Lituanie fait valoir que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines aurait pour effet de fermer le marché de facto, ce qui serait contraire au traité relatif à l’adhésion de la République de Lituanie à l’Union qui prévoyait que toute restriction à la prestation de services par les transporteurs lituaniens dans le domaine du fret devait être abolie dans un délai de 5 ans à compter de l’adhésion de la République de Lituanie à l’Union. Cette fermeture du marché serait également incompatible avec la feuille de route pour un espace européen unique des transports (353).

602. Au stade de la réplique, la République de Lituanie ajoute que la discrimination de fait qu’instaurerait l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 serait non seulement contraire à l’article 18 TFUE, mais également au principe d’égalité des États membres consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE.

603. Pour sa part, la République de Bulgarie invoque la violation de l’article 18 TFUE, des articles 20 et 21 de la Charte, de l’article 4, paragraphe 2, TUE et, éventuellement, si la Cour devait l’estimer pertinent, de l’article 95, paragraphe 1, TFUE ou de la libre prestation des services. La charge imposée par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines dépendrait de la situation géographique de l’État membre d’établissement, le retour impliquant une distance et une durée bien plus longues et des dépenses plus importantes pour les transporteurs établis dans un État membre périphérique ou insulaire dès lors que la plupart des transports internationaux s’effectue dans les États membres centraux et non dans les États membres périphériques. La position géographique serait sans pertinence en ce qui concerne l’objectif consistant à assurer un véritable lien entre les transporteurs et l’État membre d’établissement ou l’entretien correct des véhicules, mais si la position géographique devait être considérée comme pertinente, alors la situation des États membres centraux et celle des États membres périphériques et insulaires se révéleraient fondamentalement distinctes et ne pourraient être traitées de manière identique.

604. Au stade de la réplique, la République de Bulgarie précise que même les formes dissimulées de discrimination seraient problématiques. Il serait constant que la demande en services de transport se trouverait essentiellement dans le centre de l’Union. L’exigence artificielle d’un retour des véhicules serait une forme dissimulée de discrimination fondée sur la nationalité et serait sans lien avec la question de savoir si les transporteurs sont établis de manière effective et stable dans leur État membre d’établissement mais créerait une distinction selon le pays d’établissement entre les transporteurs qui souhaitent fournir des services de transport sur le marché unique. La différence de charge économique proviendrait directement de la différence d’État membre d’établissement et constituerait un cas d’école de traitement inégal.

605. La Roumanie argue que l’obligation de retour violerait le principe de non‑discrimination en raison de la nationalité, énoncé par l’article 18 TFUE. Elle soutient que l’obligation de retour, bien que non discriminatoire en apparence, aurait de facto un impact différent selon les États membres concernés et affecterait de manière considérable, inégale et disproportionnée l’activité économique des transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie de l’Union et contribuerait à creuser davantage les écarts économiques entre États membres. La Roumanie mentionne les données relatives au secteur qui illustrent la part plus importantes des véhicules immatriculés dans l’UE–      13 pour les opérations de transport international. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines rendrait difficile et onéreuse l’exécution des transports internationaux de marchandises à destination de l’Europe de l’Ouest par des sociétés établies à la périphérie de l’Union comme la Roumanie. Pour leur part, les transporteurs de l’UE-15 bénéficieraient de conditions plus favorables pour effectuer des opérations de transport international même s’ils effectuent essentiellement des opérations de transport national. L’activité de ces transporteurs ne serait donc pas affectée de la même manière que celle des transporteurs de l’UE-15. L’obligation de retour relèverait d’une réglementation contraire aux objectifs de convergence de l’Union, protectionniste, restrictive et érigeant des barrières à l’entrée des marchés externes pour les transporteurs non‑résidents, provenant essentiellement des États situés à la périphérie de l’Union. Les effets de l’obligation de retour devraient être envisagés ensemble avec ceux des autres dispositions du Paquet mobilité, ce qui mettrait d’autant plus en évidence le caractère discriminatoire de cette réglementation. La Roumanie s’interroge également ici sur le fait de savoir si le Paquet mobilité respecte les prescriptions de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE.

606. La République de Chypre développe une argumentation identique à celle de la République de Bulgarie. Elle ajoute que, en ce qui concerne une entreprise de transport chypriote, la durée moyenne d’un parcours aller-retour depuis Chypre vers l’Europe centrale est de minimum 8 jours sans les éventuels retards liés notamment aux aléas climatiques et que la proposition que les transporteurs chypriotes ne participent pas aux transports internationaux ou s’établissent ailleurs qu’à Chypre démontrerait en soi le caractère discriminatoire de l’obligation de retour.

607. La Hongrie soutient que l’obligation de retour serait contraire aux articles 18 et 49 TFUE. Elle rappelle les différences géographiques déjà évoquées qui caractériseraient le marché du transport routier de marchandises et la distinction entre États membres de l’UE-13 et ceux de l’UE-15 et soutient que l’obligation de retour désavantagerait les entreprises établies dans les États membres périphériques compte tenu du temps de trajet plus long et de l’augmentation des coûts qui en découleraient. Les États membres de l’UE-13, dans lesquels le transport international de marchandises par route représente, sur le marché du travail, un pourcentage supérieur à la moyenne de l’Union, seraient affectés automatiquement de manière plus défavorable que les États membres plus centraux. La Hongrie estime que deux tiers environ des trajets routiers de plus de 1 000 km sont réalisés par des États périphériques généralement vers les régions centrales et occidentales les plus industrialisées de l’Union. L’augmentation des coûts liée à l’obligation de retour affecterait bien plus ces États que les autres États membres de l’Union. Ladite obligation constituerait donc une discrimination indirecte à l’égard desdits États membres qui les placerait dans une situation beaucoup plus défavorable. La Hongrie rejette, au stade de la réplique, la pertinence de l’arrêt Fedesa (354), invoquée par le Conseil et le Parlement dans leurs défenses, lequel aurait concerné une différence entre les règles des États membres et non un critère objectif tel que l’éloignement de certains États membres par rapport aux régions centrales. En créant des conditions inégales d’accès au marché du transport de marchandises par route, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ferait échouerla réalisation de l’objectif prétendument poursuivi par le règlement 2020/1055 d’assurer une concurrence équitable. Incidemment, la Hongrie rappelle également les obligations, qui pèseraient sur le législateur, de prendre en considération les risques d’affectation grave du niveau de vie et de l’emploi dans certaines régions, selon l’article 91, paragraphe 1, TFUE et la situation économique des transporteurs lors de l’adoption de toute mesure dans le domaine des prix et des conditions de transport, selon l’article 94 TFUE.

608. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

609. L’analyse qui suit sera guidée par les principes rappelés aux points 76 et suivants des présentes conclusions et par les limites du contrôle juridictionnel telles que reconnues par la Cour et rappelées au point 80 des présentes conclusions.

610. En ce qui concerne les griefs tirés d’une violation des articles 26 et 49 TFUE et, plus largement, d’une entrave au bon fonctionnement du marché intérieur, développés par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la République de Chypre et la Hongrie, je renvoie à la partie de mon analyse consacrée aux moyens tirés d’une violation des libertés économiques (355).

611. En ce qui concerne les griefs soulevés par la Hongrie dans le cadre du moyen tiré d’une violation du principe de non‑discrimination et tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, ils ne constituent pas un moyen distinct de celui tiré d’une violation du principe de non‑discrimination. Toutefois, au terme de son analyse relative à ce principe, la Hongrie conclut, au point 106 de sa requête, à l’annulation de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines pour violation des « dispositions susmentionnées du traité FUE », lesquelles incluent l’article 91, paragraphe 1, et l’article 94 TFUE. Bien que soulevés de manière synthétique (356), ces arguments seront analysés, le cas échéant, dans la partie dédiée à ces deux dispositions. Il en va de même pour l’invocation par la Roumanie de ces deux articles dans le cadre de son moyen tiré d’une violation du principe de non‑discrimination (357).

612. En ce qui concerne le grief tiré d’une violation de l’article 95, paragraphe 1, TFUE invoqué par la République de Bulgarie et la République de Chypre, je relève, de concert avec le Conseil, qu’il ne saurait prospérer dès lors que cet article prohibe les discriminations consistant en l’application par un transporteur, pour les mêmes marchandises sur les mêmes relations de trafic, de prix et conditions de transport différents en raison du pays d’origine ou de destination des produits transportés, que ni la République de Bulgarie ni la République de Chypre n’ont établi que tel serait l’effet de la mise en œuvre de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et que, quand bien même, l’article 95, paragraphe 1, TFUE demeure sans préjudice de la possibilité reconnue au Parlement et au Conseil par le deuxième paragraphe de cet article d’adopter des mesures, dérogeant à cette interdiction de discrimination spécifique, sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, qui constitue précisément – je le rappelle – la base juridique du règlement 2020/1055.

613. Pour le reste, les parties requérantes soutiennent que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines serait constitutive d’une discrimination entre États membres (Roumanie et Hongrie), d’une discrimination entre États membres insulaires et États membres continentaux (République de Chypre), d’une discrimination entre grands et petits États membres (République de Lituanie), d’une discrimination indirecte des transporteurs des États membres périphériques (République de Lituanie, Roumanie), d’une discrimination entre modes de transport (République de Lituanie), d’une discrimination entre PME et les autres formes sous lesquelles les opérateurs de transport seraient constitués (République de Lituanie), d’une discrimination sur le fondement de la nationalité (République de Bulgarie, Roumanie, République de Chypre, Hongrie).

614. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, telle qu’elle est formulée à l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 précise la condition, nécessaire, mais pas suffisante pour l’exercice de la profession de transporteur par route d’être établi « de façon stable et effective dans un État membre » telle qu’elle découle de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009. Ainsi, toutes les entreprises – petites, moyennes ou grandes –, quel que soit leur État membre d’établissement, qui exercent ladite profession doivent être établies de façon stable et effective dans un État membre, ce qui implique, notamment, par choix du législateur de l’Union, le retour de leurs véhicules toutes les huit semaines dans cet État membre. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines vise donc à assurer le caractère stable et effectif dans l’État membre d’établissement des entreprises de transport relevant du champ d’application du règlement no 1071/2009, qui apparaissent, à cet égard, traitées de manière identique. J’ajoute que ce règlement retient une définition particulièrement large de la notion d’« entreprise » (358) susceptible de couvrir toutes les formes sous lesquelles un transporteur peut se constituer. L’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 impose donc de manière générale et indifférenciée à ces transporteurs une obligation de retour.

615. Il reste encore à vérifier que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines n’a pas pour effet de traiter de manière égale des situations différentes, ce qui nécessite de s’interroger sur le caractère comparable ou non des différentes situations invoquées dans les conditions rappelées au point 79 des présentes conclusions. Une attention particulière doit ainsi être portée à l’objet et au but poursuivi par l’obligation litigieuse ainsi qu’aux principes et objectifs de la politique des transports.

616. Comme l’ont rappelé le Parlement et le Conseil dans leurs écritures, l’objectif poursuivi par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines découle des considérants 6 et 8 du règlement 2020/1055. Se fondant sur « l’expérience acquise », qui avait également été mise en lumière dans l’analyse d’impact, une clarification et un renforcement des dispositions concernant l’existence d’un établissement stable et effectif étaient, selon l’appréciation du législateur de l’Union, nécessaires pour que la présence réelle des transporteurs dans leur État membre d’établissement soit garantie, ce qui devait contribuer à lutter contre le phénomène des « sociétés boîtes aux lettres », à garantir une concurrence loyale et des conditions de concurrence équitables dans le marché intérieur. Le considérant 8 du règlement 2020/1055 ajoute que l’existence d’un lien réel avec l’État membre d’établissement contribue à réduire le risque d’organisation d’un système de cabotage systématique et de conducteurs nomades depuis une entreprise dans laquelle les véhicules ne retournent pas. L’obligation de retour doit également, selon l’appréciation du législateur, contribuer à l’entretien correct des véhicules et faciliter les contrôles (359).

617. S’il est probable que le respect de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines aura un coût, ce qui déterminera l’intensité de ce coût n’est pas tant la distance géographique parcourue que le respect préalable du caractère effectif de l’établissement. En effet, l’entreprise qui ne fait jamais retourner ses véhicules supportera davantage de charges découlant de l’obligation de retour que celle qui faisait déjà rentrer régulièrement ses véhicules.

618. Quand bien même le retour serait plus coûteux lorsque la distance à parcourir lors du retour est plus longue, force est de constater que la réglementation de l’Union n’impose pas aux transporteurs d’opérer sur un marché éloigné de leur lieu d’établissement ni ne les empêche de transférer leur établissement au plus près du marché dans lequel ils souhaitent opérer. L’argument invoqué par la République de Lituanie selon lequel l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines aurait pour conséquence de fermer de facto le marché doit donc être rejeté (360), de même que celui tiré d’une incompatibilité alléguée entre l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et le livre blanc de la Commission invoqué eu égard à l’absence, déjà rappelée, de caractère normatif d’un tel document (361). Comme indiqué précédemment, le choix du lieu d’établissement relève de la seule décision commerciale des transporteurs. L’obligation de retour va donc affecter davantage certains opérateurs qui, pour des raisons commerciales, ont décidé de s’établir à la périphérie de l’Union tout en exerçant, de manière permanente ou majoritaire, contrairement à ce que préconise la réglementation de l’Union en la matière, sur le territoire d’États membres éloignés dans lesquels ils fournissent la majorité des services de transport. Or, c’est précisément l’effet recherché.

619. L’argument tiré d’une discrimination fondée sur le mode de transport doit être rejeté, la Cour ayant déjà jugé que tous les secteurs des transports ne se trouvent pas dans des situations comparables (362) et que, par conséquent, la situation des entreprises intervenant dans le secteur d’activités des différents modes de transport n’est pas comparable (363).

620. Les parties requérantes soutiennent ensuite que les transporteurs de l’Europe périphérique ne pourraient être traités de la même manière que les opérateurs de l’Europe « occidentale ». Un tel argument, s’il devait être admis, devrait conduire à accorder un traitement différencié, au regard de l’exigence d’établissement stable et effectif, aux transporteurs qui ont choisi de s’établir loin du marché où ils souhaitent fournir des services de transport et où ils souhaitent baser leurs véhicules de manière permanente.

621. Or, premièrement, il s’agirait là d’une remise en cause de l’objectif poursuivi par le législateur, qu’il n’appartient pas à la Cour de remettre en question. Deuxièmement, les effets inégaux produits ou l’asymétrie des charges (364) qui découlent pour les transporteurs de l’application indistincte de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ne sont pas, en soi, contraires au principe d’égalité de traitement (365) mais sont le résultat des conditions d’exploitation différentes. Troisièmement, les bénéfices tirés d’une situation de contournement de la réglementation de l’Union ne sont pas protégés par ce principe. Quatrièmement, il ne saurait incomber au législateur de l’Union de garantir la neutralité économique du choix de l’État membre d’établissement. Cinquièmement, les coûts allégués par les parties requérantes du fait de l’obligation de retour ne prennent évidemment pas en compte le manque à gagner pour les États membres sur le territoire duquel les opérateurs ne sont pas établis tout en y assurant une présence quasi-permanente, qu’il appartient pourtant au législateur de l’Union de prendre évidemment en compte également (366), de sorte que ce dernier n’a pas entendu favoriser certains États membres par rapport à d’autres mais a procédé à « un rééquilibrage des facteurs au regard desquels les entreprises établies dans les différents États membres peuvent entrer en concurrence » (367). Sixièmement, en exigeant un lien réel avec l’État membre d’établissement, qui, selon le législateur, se manifeste notamment par un retour régulier des véhicules dans cet État, l’obligation de retour des véhicules entend, comme l’a affirmé à juste titre le Parlement, assurer le caractère temporaire de la libre prestation de services des transporteurs non‑résidents sur le territoire d’autres États membres et parvenir à un équilibre avec l’exercice du droit d’établissement qui est permanent.

622. En ce qui concerne les griefs tirés d’une discrimination dont le motif serait géographique, ils soulèvent fondamentalement un problème de définition, la périphérie de l’Union ne se limitant pas à sa partie Est, notamment. Comment qualifier le centre ? Qu’est-ce qu’un petit État si le critère devient non plus celui de la situation géographique mais celui de la taille ? Le petit État insulaire est-il dans une situation encore distincte de celle d’un petit État continental ou d’un grand État insulaire ? Il est impossible d’exiger du législateur de l’Union un traitement différencié des États membres en fonction de ces supposées particularités. L’opposition que la plupart des parties requérantes allègue pour appuyer leur démonstration et qui verrait s’affronter deux Europes « géographiques » découle, à mon sens, d’une tentative de faire coïncider artificiellement des données géographiques avec une réalité économique. Ce qui caractérise les États membres de la « périphérie » de l’Union, telle qu’elle est entendue par les parties requérantes, n’est pas qu’ils sont périphériques, mais bien qu’ils connaissent des coûts d’exploitation bien moins élevés par rapport au « reste » de l’Union. C’est de cette manière que doit être comprise la catégorisation reprise dans l’analyse d’impact entre l’UE-15 et l’UE-13 (368).

623. Enfin, en ce qui concerne l’étude Ricardo de 2021 qui confirmerait que les transporteurs établis dans les États membres de l’UE-13 supporteraient davantage les conséquences négatives liées à l’obligation de retour, force est de constater, de concert avec le Parlement, que cette analyse, d’une part, reconnaît que la nature et l’ampleur des coûts de mise en œuvre sont largement dépendants de la réponse du marché (369) et, d’autre part, que l’analyse de l’impact de cette mesure suggère que les transporteurs « de l’Est » vont conserver leur avantage compétitif en termes de coûts par rapport aux transporteurs de l’Ouest (370). Cette catégorisation repose non pas sur un critère géographique, mais sur le niveau des coûts opérationnels supportés par les transporteurs (371). Dans ces conditions, il y a lieu de conclure à l’absence de discrimination fondée sur la nationalité.

624. En ce qui concerne l’allégation d’une rupture de l’égalité entre États membres et d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, TUE (372), j’ai déjà constaté que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines s’applique de façon égale dans tous les États membres de l’Union et que les éventuels effets divergents découlant de la mise en œuvre du règlement 2020/1055 ne sauraient être constitutifs d’une discrimination (373).

625. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, les moyens tirés d’une violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination doivent être rejetés comme étant non fondés.

d)      Sur les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité

626. Toutes les parties requérantes ont développé, dans leurs recours respectifs, un moyen tiré de la violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, du principe de proportionnalité. J’envisagerai d’abord le reproche fait au Parlement et au Conseil de ne pas avoir procédé à une analyse de l’impact de cette obligation, avant, le cas échéant, de passer à l’examen de la proportionnalité de cette mesure.

1)      Sur l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines

i)      Arguments des parties

627. La République de Lituanie fait valoir, bien que cela soit dans le cadre d’un moyen distinct de celui tiré d’une violation du principe de proportionnalité, des arguments en lien avec une violation de ce principe du fait de l’absence d’analyse d’impact (374) qu’il y a lieu d’examiner ici. La République de Lituanie soutient que la proposition initiale de règlement de la Commission ne comportait pas de règle relative au retour des poids lourds dans un centre opérationnel de l’entreprise, de sorte que cette exigence n’aurait pas été examinée par la Commission dans son analyse d’impact (375). Le Conseil et le Parlement auraient introduit l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines au cours de la procédure législative et ils auraient dû, conformément à ce que préconiserait l’accord interinstitutionnel procéder à une nouvelle analyse d’impact. Une telle obligation découlerait également de l’article 11 TUE, des articles 2 et 5 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité et de la jurisprudence de la Cour. La République de Lituanie soutient que l’introduction de cette obligation constituerait une modification substantielle par rapport à la proposition initiale de règlement de la Commission et qu’il aurait donc été nécessaire de procéder à une analyse d’impact. Le caractère substantiel de la modification apportée résulterait de l’importance économique et environnementale de l’obligation de retour. Le Conseil et le Parlement n’aurait fait état d’aucune raison objective pour laquelle il n’aurait été ni utile ni nécessaire de procéder à une analyse d’impact de cette modification substantielle. La nécessité d’une telle analyse serait attestée tant par la position défendue avec constance par la Commission en ce qui concerne la disposition attaquée que par l’étude Ricardo de 2021 réalisée à l’initiative de la Commission. Le Parlement et le Conseil n’auraient pas motivé leur choix de faire une exception à la règle selon laquelle ils auraient dû procéder à une analyse de l’impact de l’obligation de retour des véhicules et n’auraient apporté aucune preuve attestant d’une situation particulière qui permettrait d’omettre cette étape, ni fourni d’informations suffisantes sur la proportionnalité de la nouvelle proposition. Les États membres et les autres parties intéressées, au contraire, auraient publiquement fourni, pendant la procédure législative, des informations au Parlement et au Conseil qui auraient démontré la nécessité de procéder à une analyse d’impact. Ainsi, alors que la fréquence précise du retour obligatoire des poids lourds était encore débattue, l’IRU aurait adressé une lettre ouverte (376) aux décideurs nationaux et de l’Union en leur demandant d’examiner les conséquences de l’obligation de retour des poids lourds et aurait fourni les résultats de ses calculs relatifs aux effets néfastes sur l’environnement. Le Parlement et le Conseil n’auraient pas tenu compte de ces informations. Les éléments figurant dans leurs mémoires en défense, tels que des déclarations concernant l’incidence prétendument réduite sur l’environnement, le renvoi réitéré à l’analyse d’impact réalisée par la Commission ne contenant pas d’évaluation des dispositions attaquées, des suppositions non fondées concernant d’autres mesures proposées par la Commission qui n’ont pas été reprises dans le règlement 2020/1055, des spéculations hypothétiques, voire erronées, concernant le coût de la mise en œuvre des dispositions attaquées ainsi que l’omission totale d’avoir égard aux effets négatifs sur l’économie des États membres périphériques confirmeraient toutefois une violation manifeste de l’obligation de procéder à une analyse d’impact.  

628. La République de Bulgarie soutient que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines méconnaît le principe de proportionnalité consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE et à l’article 1er du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Selon elle, le Parlement et le Conseil n’auraient pas disposé d’analyses économiques ni d’autres données qui auraient pu confirmer la proportionnalité de cette obligation qui ne faisait pas fait partie de la proposition initiale de la Commission. Elle n’aurait donc pas fait l’objet d’une analyse d’impact, en dépit des demandes répétées de certains États membres et des éléments portés à la connaissance du Parlement et du Conseil quant à l’impact disproportionné de cette mesure. Aucune consultation n’aurait été menée avec le CdR ou le CESE. Les parties défenderesses ne seraient donc pas en mesure de démontrer qu’elles ont effectivement exercé leur pouvoir d’appréciation lors de l’adoption d’un acte ou étaient en mesure de prendre en considération tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Elles n’auraient ni produit ni exposé de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures litigieuses et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. L’étude Ricardo de 2021 aurait confirmé que le législateur de l’Union ne disposait pas de suffisamment d’informations aux fins de l’adoption de l’obligation relative au retour des véhicules, comme en témoignerait l’écart considérable entre ses conclusions et les chiffres avancés par le Conseil.

629. La Roumanie soutient, dans le cadre de la première branche du premier moyen du recours dans l’affaire C‑547/20, que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines viole le principe de proportionnalité. Après avoir défini ce principe et les exigences qui en découlent, la Roumanie soutient que cette obligation ne faisait pas partie des mesures envisagées dans la proposition initiale de la Commission et qu’elle n’aurait pas fait l’objet d’une analyse d’impact ni dans cette proposition ni par la suite, lorsque le Conseil et le Parlement ont modifié cette proposition en vue d’y insérer l’obligation de retour. Or, selon la jurisprudence de la Cour, l’omission d’une analyse d’impact serait constitutive d’une violation du principe de proportionnalité lorsque le législateur ne se trouve pas dans une situation particulière qui justifierait d’en faire l’économie et lorsqu’il ne dispose pas d’éléments suffisants lui permettant d’apprécier la proportionnalité d’une mesure adoptée. Le point 15 de l’accord interinstitutionnel prévoirait également que ces institutions recourent à une analyse d’impact lorsqu’elles le jugent approprié et nécessaire aux fins du processus législatif et dès lors qu’elles introduiraient des modifications substantielles par rapport à la proposition de la Commission. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines constituerait une telle modification. L’analyse d’impact aurait été d’autant plus nécessaire au vu de la spécificité du domaine des transports et des conséquences administratives et financières subies par les transporteurs du fait de l’adoption du règlement 2020/1055. Non seulement le législateur de l’Union n’aurait pas, comme il aurait dû le faire, procédé à une analyse d’impact, mais il n’aurait pas davantage pris en considération les documents scientifiques utilisés par les États membres au cours de la procédure pour pouvoir exercer effectivement son pouvoir d’appréciation. L’adoption de l’obligation de retour malgré l’absence d’analyse d’impact, de données scientifiques ou de rapports au soutien de l’introduction d’une telle obligation violerait le principe de proportionnalité dès lors que le législateur de l’Union aurait outrepassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

630. La République de Chypre développe une argumentation identique à celle de la République de Bulgarie.

631. La Hongrie soutient que, en adoptant l’obligation de retour, le législateur n’a pas correctement exercé son pouvoir d’appréciation. Elle reproche au législateur de l’Union d’avoir omis d’examiner les incidences de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines sur les coûts supportés par les entreprises sur l’activité de transport, sur l’ensemble du secteur ainsi que sur l’environnement et le climat. La Hongrie n’a connaissance d’aucune étude élaborée par le Parlement ou le Conseil qui leur aurait permis d’évaluer l’ensemble de ces éléments. Le législateur de l’Union n’aurait donc été en mesure ni d’apprécier la proportionnalité de l’obligation de retour ni de s’assurer qu’elle n’était pas manifestement disproportionnée. L’absence d’analyse d’impact serait corroborée par la déclaration de la Commission dans laquelle elle aurait exprimé des réserves sur cette obligation (377).

632. Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour ainsi que l’article 5 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, la République de Malte soutient que, aucune analyse d’impact n’ayant été réalisée, le législateur de l’Union ne disposait pas des éléments suffisants, au sens de la jurisprudence de la Cour, lui permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure envisagée. Le Conseil et le Parlement n’auraient pas apprécié l’impact économique et environnemental de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, impact qui aurait pourtant préoccupé la Commission (378).

633. La République de Pologne soutient que l’article 1er, point 3), sous a), du règlement 2020/1055 viole le principe de proportionnalité. Après avoir rappelé les critères d’appréciation de la proportionnalité découlant de la jurisprudence de la Cour, la République de Pologne fait valoir que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines n’a pas fait l’objet d’une analyse d’impact de la Commission. L’accord interinstitutionnel commanderait une évaluation de l’incidence économique, sociale et environnementale d’une manière intégrée et équilibrée, sur la base d’analyses tant qualitatives que quantitatives. Compte tenu de l’influence significative du règlement 2020/1055 sur l’activité du secteur du transport routier, les effets des obligations qu’il contient auraient dû être analysés, ce qu’il incombait au Conseil et au Parlement de faire dès lors qu’ils entendaient s’éloigner de la proposition initiale de la Commission, comme le prévoirait le point 15 de l’accord interinstitutionnel. Faute d’avoir procédé à une telle analyse, fondamentale aux fins de l’appréciation de la proportionnalité de l’obligation de retour, le législateur de l’Union aurait violé le principe de proportionnalité, ce législateur ne se trouvant pas dans une situation particulière qui nécessitait d’en faire l’économie ou ne disposant pas de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure adoptée (379). Contrairement à ce qu’allèguerait le Conseil, les griefs ne porteraient pas sur l’absence de prise en considération de la situation d’un seul État membre mais de plusieurs d’entre eux, à savoir ceux situés à la périphérie de l’Union. En outre, si la réglementation attaquée devait être considérée comme visant à prévenir la pratique réelle des conducteurs qui retourneraient rarement chez eux, les déplacements supplémentaires qui en résulteraient, en particulier les conséquences environnementales, auraient mérité une analyse approfondie.

634. Le Conseil et le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent à l’absence de violation du principe de proportionnalité. Les institutions défenderesses soutiennent que la notion de « situation particulière », à laquelle le point 85 de l’arrêt République tchèque/Parlement et Conseil (380) fait référence, devrait être lue comme une référence à la situation spécifique alors en cause et que cet arrêt concernerait une situation tout à fait différente de celle des présents recours puisqu’il n’aurait alors été procédé à aucune analyse d’impact. Le Conseil rappelle la jurisprudence selon laquelle l’analyse d’impact ne lierait pas le Parlement et le Conseil qui demeureraient libres d’adopter des mesures autres que celles qui ont fait l’objet d’une telle analyse et que le seul fait qu’ils aient retenu une mesure différente et, le cas échéant, plus contraignantes que celles envisagées par la Commission dans l’analyse d’impact, ne serait pas de nature à démontrer qu’il a manifestement dépassé les limites de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif visé. L’accord interinstitutionnel ne contiendrait pas d’obligation de procéder à une nouvelle analyse d’impact dès lors qu’il se bornerait à prévoir la faculté pour le législateur de procéder à une telle analyse si le Parlement et le Conseil le jugent approprié et nécessaire aux fins du processus législatif et le législateur serait libre de tenir compte non seulement de l’analyse d’impact mais également de toute autre source d’information. Le large pouvoir d’appréciation du législateur vaudrait ainsi tant pour la nature et la portée des dispositions à prendre que pour la constatation des données de base. Aucun fondement juridique ne pourrait venir au soutien de la position de la République de Lituanie selon laquelle le législateur ne pourrait se dispenser d’une analyse d’impact que lorsque cela serait explicitement justifié. La large marge d’appréciation du législateur de l’Union devrait s’interpréter en ce sens qu’il ne serait pas tenu de se fonder seulement sur des données qui concernent individuellement la modification en cause ni de tirer les mêmes conclusions que celles des rapports et études à sa disposition. Le législateur de l’Union aurait donc pu s’appuyer sur les informations de l’analyse d’impact concernant l’état du marché et décider d’adopter des mesures partiellement différentes. La jurisprudence de la Cour reconnaîtrait qu’il puisse se fonder sur des constatations globales. Dans le cas inverse, si une analyse d’impact devait être exigée dès lors que les négociations interinstitutionnelles devaient déboucher sur un accord portant sur des mesures qui poursuivent un peu différemment un même objectif par rapport à celles envisagées par la Commission, il y aurait un risque de retarder l’adoption des actes législatifs et de bouleverser l’équilibre institutionnel dès lors qu’il y aurait une forte incitation à adopter seulement les solutions analysées par la Commission, alors même que l’analyse d’impact ne lierait pas le Parlement ou le Conseil. Selon le Conseil, l’objectif de l’analyse d’impact serait non pas de présenter la justification de la proposition de la Commission, mais d’exposer différentes solutions et, selon le point 12 de l’accord interinstitutionnel, cette analyse ne remplacerait pas les décisions politiques prises dans le cadre du processus décisionnel et démocratique. Le Parlement soutient que le fait de ne pas procéder à une analyse d’impact ne constituerait pas une violation des traités à moins qu’il soit démontré que la mesure adoptée par le législateur est manifestement appropriée et que les dispositions invoquées ne pourraient être interprétées en ce sens qu’elles créeraient une obligation procédurale autonome imposant au législateur de l’Union d’effectuer des analyses d’impact.

635. Le caractère approprié et nécessaire de la réalisation d’une analyse d’impact supplémentaire devrait s’apprécier dans le cadre du contrôle de proportionnalité et dépendrait donc des informations disponibles par ailleurs. L’analyse d’impact de la Commission contiendrait des informations sur les problèmes nécessitant un renforcement des critères d’établissement énoncés à l’article 5 du règlement no 1071/2009 et sur la nécessité d’éviter un avantage compétitif injustifié par rapport aux transporteurs des États membres où les normes sont plus strictes. Cette analyse aurait examiné sept critères d’établissement distincts, dont certains exigeaient déjà la présence des véhicules dans l’État membre d’établissement. L’obligation de retour constituerait, à cet égard, un autre moyen d’atteindre le même résultat.

636. L’analyse d’impact de la Commission fournirait également une évaluation des différentes exigences nouvelles proposées par la Commission, dont celle, plus restrictive, d’avoir une activité significative de transport ou d’exploitation dans le pays d’établissement ou d’avoir au moins un contrat commercial dans le pays d’établissement et les coûts associés ainsi que leur répartition. Il en découlerait que les transporteurs dont la présence dans le pays d’établissement est déjà actuellement réelle et constante n’auraient pas à supporter beaucoup de coûts supplémentaires liés à la mise en œuvre des nouvelles obligations prévues par le règlement  2020/1055, voire aucun (381). Le Parlement fait valoir qu’une des conclusions de l’analyse d’impact aurait plaidé en faveur d’une solution de politique publique, comprenant les sept mesures identifiées par la Commission dans cette analyse, visant à garantir une activité significative de transport ou d’exploitation dans l’État membre susceptible d’entraîner pour les transporteurs de l’UE-15, 15 à 18 % de coûts supplémentaires et pour les transporteurs de l’UE-13, 33 à 36 % de coûts supplémentaires, soit 1,09 milliard d’euros de coûts par an pour le secteur pour la période 2020‑2035, c’est-à-dire moins de 0,03 % des frais d’exploitation totaux (382).

637. En ce qui concerne l’existence d’une base objective solide, le législateur de l’Union aurait disposé de suffisamment de documents et d’informations. L’analyse d’impact – volet social contiendrait une évaluation de la longueur des cycles de transport, ce qui aurait conduit le législateur de l’Union à penser la synchronisation de l’obligation de retour des véhicules avec celle des conducteurs afin d’en contenir les effets négatifs. Cette analyse d’impact aurait également conclu à l’absence d’incidence environnementale négative liée au retour plus fréquent des conducteurs dès lors que, selon le Conseil, les conducteurs rentreraient déjà régulièrement (plus d’une fois toutes les quatre semaines) et que la structure du marché exercerait une pression en faveur de la réduction des déplacements à vide (383). Même s’il reconnaît ne pas avoir été en possession de tous les documents utilisés par les États membres pour apprécier l’impact exact de l’obligation de retour, le Conseil soutient que les documents qui auraient été disponibles dans le domaine public lui auraient permis d’apprécier l’impact de l’obligation de retour. Le législateur de l’Union disposait également de divers études et rapports et aurait organisé diverses consultations, rencontres et auditions (384). Les règlements noos1071/2009 et 1072/2009 auraient, par ailleurs, fait l’objet d’une évaluation ex-post REFIT qui aurait appelé à une définition plus précise de la notion de « centre d’exploitation ». Les États membres auraient procédé à leurs propres évaluations, comme d’autres parties intéressées.

638. L’IRU aurait fait part de son analyse (385) de l’impact spécifique de l’obligation de retour toutes les quatre semaines (386), selon laquelle un tel retour engendrerait entre 80 et 135 millions de véhicules-kilomètres par an (soit entre 45 et 75 % d’augmentation) et jusqu’à 100 000 tonnes d’émissions de CO2 par an. Ces chiffres devraient encore être divisés par deux pour une évaluation de l’impact de l’obligation de retour toutes les huit semaines et les institutions défenderesses estiment que le coût supplémentaire engendré serait de l’ordre de 50 millions d’euros. Ce résultat ne changerait pas radicalement l’ordre des choses par rapport à l’impact des sept exigences examinées par la Commission. D’un point de vue environnemental, ces 100 000 tonnes représenteraient moins de 0,014 % de la quantité totale de tonnes équivalent CO2 émises par le transport routier en 2015 et une part encore plus petite des réductions par rapport aux niveaux de 2005 requises par le règlement 2018/842.

639. Il ne serait donc pas manifestement inapproprié pour le législateur de l’Union de présumer que les incidences économiques seraient du même ordre que le coût des exigences connexes examinées par la Commission et que la répartition de ces coûts serait similaire. Le législateur aurait également disposé d’une analyse critique établie par une organisation d’employeurs polonais (ci-après le « rapport Klaus ») (387) ainsi que d’une réaction positive de la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) (388), qui serait le partenaire social de l’IRU au niveau européen rendant saillante la nécessité de rechercher une solution de compromis, ce qu’aurait fait le législateur en maintenant l’obligation de retour des véhicules mais en réduisant la fréquence de ce retour.

640. L’évolution de la proposition au cours de la procédure législative (d’une obligation de retour toutes les trois ou quatre semaines avec obligation d’exécuter une opération dans l’État membre d’établissement à un retour toutes les huit semaines sans obligation corolaire) montrerait que le législateur a bien pris en compte les effets négatifs du renforcement et les a mis en balance avec les conséquences pour les États membres où de nombreux transporteurs de l’UE-13 exercent une activité permanente et la nécessité de garantir une concurrence loyale.

641. Les conséquences économiques invoquées par les États requérants et tirées de l’étude Ricardo de 2021 se baseraient sur le scenario d’une importante restructuration du marché, alors que les conséquences environnementales invoquées se fonderaient, pour leur part, sur le scenario d’une absence d’adaptation du marché. Or, ces deux scenarii, et leurs effets, s’excluraient mutuellement. Le Conseil et le Parlement font également remarquer que les États membres de l’Europe de l’Est, pressentant qu’ils seraient plus durement touchés par la réforme à venir, auraient été plus enclins à participer à cette étude, qui ne prendrait pas en compte, par ailleurs, les synergies avec l’obligation de retour des conducteurs et qui se concentrerait seulement sur certains coûts d’exploitation. Le Parlement considère que le débat entre les parties ne concernerait pas vraiment la disponibilité des faits essentiels mais plutôt la question de savoir si les choix effectués par le législateur de l’Union à partir de ces faits seraient manifestement inappropriés, mais le simple désaccord sur le contenu final de l’acte ne suffirait pas à conclure que la mesure était manifestement inappropriée.

ii)    Analyse

642. Il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 62 et suivants des présentes conclusions que, si une analyse d’impact est préconisée par l’accord interinstitutionnel dès lors que les conséquences de la mesure envisagée, d’un point de vue économique, environnemental ou social, sont importantes (389), cet accord ne contient pas une obligation, pour le législateur de l’Union, de procéder en toute circonstance à une analyse d’impact (390). Par conséquent, l’absence d’analyse d’impact n’entraîne pas ipso facto l’invalidité de la législation de l’Union adoptée ultérieurement (391) et, comme les institutions défenderesses l’ont souligné, lorsqu’une telle analyse est disponible, elle ne lie pas le législateur (392) qui conserve toute la latitude nécessaire pour retenir une mesure différente, le cas échéant plus contraignante, que celles envisagées dans l’analyse d’impact de la Commission sans que l’on puisse automatiquement conclure que le législateur a manifestement dépassé les limites de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif visé (393), même lorsque la modification ainsi apportée se révèle substantielle au regard de la proposition initiale, dès lors que le point 15 de l’accord interinstitutionnel, dépourvu de force obligatoire, ne prévoit, en outre, qu’une simple faculté pour le Parlement et le Conseil de procéder à une actualisation de l’analyse d’impact lorsqu’ils le jugent approprié et nécessaire aux fins du processus législatif (394). Partant, les griefs tirés d’une violation de l’accord interinstitutionnel doivent être rejetés.

643. L’absence d’analyse d’impact sera, toutefois, susceptible d’être qualifiée de violation du principe de proportionnalité lorsque le législateur de l’Union ne dispose pas de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité d’une mesure adoptée (395), autrement dit d’exercer effectivement son pouvoir d’appréciation (396) sur la base de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que l’acte adopté entend régir, et ne se trouve pas dans une situation particulière nécessitant d’en faire l’économie. La forme dans laquelle les données sont répertoriées importe peu (397) et il n’est pas exigé du législateur de l’Union qu’il détienne lui-même les documents contenant les données pertinentes (398).

644. En ce qui concerne l’adoption de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, il est constant que cette mesure ne faisait pas partie de la proposition de règlement établissement (399). En substance, la Commission proposait de modifier l’article 5 du règlement no 1071/2009 en renforçant la liste des documents à conserver dans le centre opérationnel des transporteurs [proposition d’article 5, sous a)], en exigeant une gestion effective et permanente des activités administratives et commerciales avec les installations et équipements administratifs appropriés dans des locaux situés dans l’État membre d’établissement [proposition d’article 5, sous c)] ainsi que la gestion des opérations de transport avec les véhicules et l’équipement approprié depuis l’État membre d’établissement [proposition d’article 5, sous d)] et la détention d’actifs ainsi que l’emploi du personnel en proportion de l’activité de l’établissement [proposition d’article 5, sous e)].

645. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ne faisait pas partie des mesures couvertes par l’analyse d’impact de la Commission dans sa proposition initiale (400). C’est là une différence fondamentale par rapport à la situation examinée plus haut en relation avec l’obligation de retour des conducteurs (401).

646. Parmi les mesures listées dans cette analyse d’impact, la mesure no 18, intitulée « Review reference points for effective and stable establishment » envisageait, afin de s’assurer du caractère effectif et stable de l’établissement, d’exiger que les transporteurs aient une activité opérationnelle ou de transport significative dans l’État membre d’établissement ou qu’ils aient au moins un contrat commercial dans l’État membre d’établissement (402). De telles mesures n’apparaissent en aucune mesure comparables à celle qui sera finalement retenue au terme du processus législatif. Il en résulte, selon moi, que, contrairement à ce que prétendent le Parlement et le Conseil, aucune conclusion tirée de l’évaluation de l’impact des mesures analysées dans l’analyse d’impact (403) ne peut être « transposée » à la nouvelle exigence, une fois qu’elle a été introduite par le Parlement au cours de la procédure législative (404), selon une formulation qui sera, de plus, encore modifiée dans la version finale.

647. Je remarque également qu’aucune partie de l’analyse d’impact n’a été consacrée à l’analyse de l’incidence environnementale des mesures envisagées.

648. Si le législateur de l’Union a pu utilement s’appuyer sur l’analyse d’impact – volet établissement en ce qui concerne l’état du marché, l’identification des difficultés et des dysfonctionnements que son intervention était supposée résoudre, force est de constater qu’une modification du règlement 2020/1055 qui allait dans le sens d’une obligation de voyage transnational à intervalle régulier requérant l’utilisation du véhicule routier n’était pas envisagée par la Commission ni couverte d’aucune manière par l’analyse d’impact.

649. Le Conseil et le Parlement soutiennent que le législateur de l’Union aurait pu se fonder utilement sur la conclusion contenue dans l’analyse d’impact –volet social (405) selon laquelle aucune incidence environnementale ne découlerait de l’adoption de l’obligation de retour des conducteurs.

650. Outre le fait qu’un tel argument ne couvre qu’un des aspects de l’incidence potentielle de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, l’obligation de retour des conducteurs n’impose pas, contrairement à celle qui vise les véhicules, l’utilisation d’un moyen de transport en particulier. De plus, à la lumière de ce que j’ai déjà relevé à propos de cette obligation (406), la seule affirmation dans l’analyse d’impact – volet social de l’absence d’incidence environnementale de l’obligation de retour des conducteurs ne saurait être suffisante pour justifier l’appréciation de l’impact de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines conformément à ce qui est attendu du législateur de l’Union en termes d’examen de la proportionnalité.

651. L’intensité des débats devant la Cour me semble témoigner d’une interrogation véritable quant à l’intensité de l’impact de l’obligation de retour des véhicules. Des questions demeurent toujours en suspens telles que, premièrement, la question de la détermination véritablement attendues des kilomètres-véhicules supplémentaires par an et des émissions correspondantes, dès lors que, comme l’a relevé le Parlement dans le contexte d’autres moyens, les véhicules, s’ils ne doivent pas répondre à l’obligation de retour, ne resteront pas immobiles ; deuxièmement, la question de l’impact sur l’évaluation de l’obligation de retour des évolutions attendues du fait de la mise en œuvre de la réglementation européenne touchant plus largement le secteur des transports ; troisièmement, la question de la détermination des conséquences économiques globales attendues sur le marché et des conséquences plus spécifiques par rapport aux objectifs invoqués ; quatrièmement, la question des effets potentiels de l’obligation envisagée sur la situation économique des États offrant des services de transport depuis un lieu éloigné du centre des demandes ; cinquièmement, la question de savoir comment le législateur a finalement opté pour une fréquence de retour dans l’État membre d’établissement toutes les huit semaines.

652. Si, comme je l’ai rappelé, le législateur de l’Union bénéficie d’une grande latitude quant à la forme et la nature des données sur lesquelles il fonde son action, eu égard à l’importance de la politique concernée, au caractère profondément fragmenté du marché et à la radicale opposition des intérêts en présence, il ne me paraît pas suffisant que le législateur prétende avoir considéré les conséquences, notamment environnementales, de la mesure concernée en excipant essentiellement une lettre de l’IRU dans laquelle celle-ci fournit sa propre estimation du nombre de véhicules-kilomètres supplémentaires par an et de la quantité supplémentaire annuelle de CO2 émise qui seraient induits par la mise en œuvre d’une obligation de retour des véhicules toutes les trois à quatre semaines, sans fournir aucune méthodologie quant aux calculs ainsi obtenus et sans que cette lettre puisse véritablement constituer une donnée objective. Une même conclusion s’impose en ce qui concerne la prétendue réaction positive de l’EFT à l’obligation d’effectuer un chargement ou un déchargement dans l’État membre d’établissement toutes les quatre semaines (407). En outre, aucune donnée économique objective et substantielle ne peut être extraite de ladite lettre et de cette réaction. Quant au rapport Klaus, il s’agit d’un document produit à la demande d’un groupe d’intérêts et en réaction à la modification en cours de procédure législative du projet de règlement. Il n’éclaire pas les raisons du choix du législateur.

653. Alors que je m’apprête à constater une violation du principe de proportionnalité découlant de l’absence d’analyse d’impact de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, il faut encore répondre à l’objection d’une atteinte qui serait ainsi portée à l’équilibre institutionnel de l’Union et d’une ingérence dans le politique.

654. Il me semble donc important de préciser que le législateur de l’Union, dans sa fonction, demeure bien évidemment libre de prendre les décisions qu’il souhaite, mais il est important qu’il le fasse d’une manière éclairée et éclairante, ce qu’il doit être en mesure d’établir. Il en va ainsi de la capacité de la mesure à venir à être comprise et à être acceptée par l’ensemble des parties prenantes, a fortiori dans un domaine qui, comme en ce qui concerne le règlement 2020/1055, cristallise les tensions entre intérêts divergents.

655. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, j’invite la Cour à constater que le Parlement et le Conseil, en ne procédant pas à l’analyse de l’impact économique, social et environnemental de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, ont enfreint le principe de proportionnalité dès lors qu’ils n’ont pas établi qu’ils disposaient, au moment de l’adoption de cette obligation, de suffisamment d’éléments leur permettant d’apprécier la proportionnalité de ladite obligation au regard des objectifs qu’ils entendaient poursuivre et dès lors qu’ils n’ont pas prétendu se trouver dans une situation particulière nécessitant d’en faire l’économie.

656. Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen dans l’affaire C‑542/20 (408), le deuxième moyen dans l’affaire C‑545/20, le premier moyen dans l’affaire C‑547/20, le deuxième moyen dans l’affaire C‑549/20, le premier moyen dirigé contre l’article 1er, point 3 sous c), du règlement 2020/1055 dans l’affaire C‑551/20, le deuxième moyen dans l’affaire C‑552/20 et le premier moyen dans l’affaire C‑554/20 comme étant fondés.

2)      Sur l’examen de la proportionnalité de la mesure

657. La violation du principe de proportionnalité venant d’être constatée en raison de l’absence d’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, il n’y a pas lieu de procéder à l’examen des griefs tirés du caractère disproportionné de cette obligation.

e)      Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1)      Arguments des parties

658. La République de Lituanie soutient que le règlement 2020/1055 ayant été adopté sur la base de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, le législateur serait également tenu de respecter les exigences du second paragraphe de cette disposition et de tenir compte des cas dans lesquels l’application de la mesure adoptée « serait susceptible d’affecter gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que l’exploitation des équipements de transport ». Il en irait de même en ce qui concerne l’article 94 TFUE dont il découlerait pour le législateur une obligation de tenir compte de la situation économique des transporteurs lors de l’adoption dans le cadre des traités, de toute mesure dans le domaine des prix et conditions de transport. La République de Lituanie avance que le législateur de l’Union aurait adopté l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 sans examiner ses effets sur les transporteurs situés à la périphérie de l’Union, sur leur situation économique, sur leur viabilité et, donc, sur l’emploi dans ce secteur, alors que ce secteur occuperait une part sensiblement plus grande dans l’économie de ces États par rapport à celle qu’il occuperait dans les États d’Europe centrale et occidentale (409). Ainsi, les répercussions attendues du règlement 2020/1055 sur les économies de ces États membres périphériques, notamment en termes de fermetures d’entreprises, de délocalisation et de perte d’emploi seraient plus importantes sans pour autant avoir été prises en considération. Elles auraient été confirmées par l’étude Ricardo de 2021 selon laquelle l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines affecterait 29 % des conducteurs d’Europe orientale et engendrerait des frais particulièrement importants évalués à 3 milliards d’euros par an (410). Le marché du travail desdits États membres étant beaucoup plus sensible aux évolutions de la politique des transports, le législateur aurait dû en tenir compte. Le législateur de l’Union aurait donc manifestement méconnu les obligations découlant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE. En tant que disposition insérée dans le titre du traité consacré aux transports, le législateur de l’Union aurait été tenu de respecter l’article 94 TFUE lors de l’adoption du règlement 2020/1055 et, en particulier, de son article 1er, point 3.

659. La République de Bulgarie (411) soutient que le Conseil et le Parlement aurait dû prendre en considération les répercussions graves pour l’économie des États périphériques engendrées par l’adoption du règlement 2020/1055 et que, en ne le faisant pas, ces institutions auraient violé l’article 91, paragraphe 2, TFUE. Cette disposition permettrait de reconnaître et de prendre en considération le caractère sensible de certaines mesures adoptées dans le cadre de la politique des transports présentant une incidence considérable qui étaient, jusqu’à l’entrée en vigueur du traité FUE, adoptées à l’unanimité en leur portant une attention particulière. La République de Bulgarie renvoie à son argumentation développée dans le cadre du moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité pour démontrer ces effets préjudiciables sur le niveau de vie et l’emploi des transporteurs bulgares et, plus généralement, sur la situation économique des transporteurs des États membres de l’Europe périphérique. Elle soutient également que l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 serait une « mesure dans le domaine des prix et des conditions de transport » au titre de l’article 94 TFUE dont l’adoption exigerait de tenir compte de la situation économique des transporteurs. En outre, l’article 90 TFUE renvoyant aux objectifs visés par l’article 3, paragraphe 3, TUE, une attention particulière devrait être portée à la cohésion économique, sociale et territoriale et à la solidarité entre États membres lors de l’adoption de mesures relevant de la politique des transports, ce qui n’aurait pas été le cas lors de l’adoption de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055. Aucune analyse d’impact n’aurait été menée ni aucune consultation ou analyse complémentaire afin de comprendre la mesure dans laquelle le niveau de vie et d’emploi dans certaines régions serait affecté par la mesure en cours d’adoption.

660. La République de Chypre développe une argumentation en tout point semblable à celle développée par la République de Bulgarie, en mettant, en outre, l’accent sur la situation particulière des États insulaires et les conséquences considérables pour l’économie et l’emploi chypriotes.

661. La Hongrie considère que l’asymétrie des conséquences négatives pour les transporteurs des États membres situés à la périphérie de l’Union par rapport à celles subies par les transporteurs de l’Europe centrale et occidentale démontrerait que l’obligation de retour violerait l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE (412) dès lors que le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte de la situation particulière des premiers.

662. La République de Malte soutient que l’absence de prise en compte de l’incidence sur l’environnement de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines enfreindrait l’article 91, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte, ladite obligation affectant gravement le niveau de vie et l’emploi en particulier dans un État insulaire comme Malte. Le fait que l’incidence de l’obligation relative au retour des véhicules n’ait pas reçu l’attention qu’elle aurait mérité constituerait un manquement dont les implications de fond (413) devraient être appréciées également à l’aune de l’article 91, paragraphe 2, TFUE. Les répercussions de cette obligation sur l’exploitation des équipements de transport seraient clairement mises en évidence, en particulier dans un État membre insulaire dont les itinéraires de transport impliqueraient des sections maritimes ainsi que des distances considérables par rapport au continent européen. Du fait de la distance importante entre Malte et le continent, l’ensemble du système de transport maltais reposerait sur les contraintes imposées par la géographie et par les équipements de transport maritime existants et non sur des décisions commerciales. Ces opérations seraient révolutionnées par l’obligation relative au retour des véhicules, qui obligerait les transporteurs maltais à réaménager radicalement la logistique des véhicules et à engager des frais considérables. Cette obligation porterait donc gravement atteinte à l’exploitation des équipements de transport à Malte. Or, malgré les préoccupations dont le gouvernement maltais se serait ouvert à maintes reprises au Conseil, il n’aurait été tenu aucun compte des répercussions sur l’exploitation des équipements de transport à Malte de ladite obligation. L’adoption de celle-ci sans aucun argument technique permettant de justifier son impact confirmerait que le Parlement et le Conseil ne se seraient pas acquittés de leur obligation au titre de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

663. La République de Pologne soutient que les limitations de fourniture des services de cabotage et des opérations entre pays tiers découlant de l’application de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines modifieraient de manière substantielle le modèle de prestation des services de transport routier, ce qui aurait des répercussions négatives sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport, répercussions qui n’auraient pas été prises en compte, contrairement à ce que prévoit l’article 91, paragraphe 2, TFUE. L’obligation de retour forcerait les opérateurs à un retour à vide plutôt qu’une opération de cabotage ou de transport tiers, affectant ainsi la rentabilité de l’activité des transporteurs. Le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte du fait que les restrictions relatives au cabotage et au trafic tiers peuvent entraîner le retrait des transporteurs du marché et impacteraient significativement l’emploi dans ce secteur. Il n’aurait pas davantage tenu compte du fait que ces conséquences seraient particulièrement ressenties par les transporteurs des États membres situés en périphérie de l’Union. 90 % des entreprises de transport seraient des PME employant 55 % des personnes occupées dans le secteur des transports. Ces entreprises seraient particulièrement exposées aux conséquences négatives liées à l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines. La réduction d’emploi dans le secteur des transports appelée à se produire à la suite de l’effet de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines devrait frapper et fragiliser particulièrement ces États membres, ce dont le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte. Cette obligation entraînerait également des déplacements supplémentaires inutiles qui seraient préjudiciables à l’exploitation des équipements de transports existants, dont la détérioration liée à ces déplacements n’a pas été évaluée. Il en irait de même en ce qui concerne l’augmentation des comportements à risque des conducteurs. Enfin, la République de Pologne fait grief au législateur d’avoir adopté une mesure rendant plus difficile l’exercice de l’activité des transporteurs alors que la pandémie de COVID-19 avait déjà précipité ces derniers dans une période de crise.

664. En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 94 TFUE, la République de Pologne réitère que le champ d’activité des entreprises de transport provenant des différentes régions de l’Union ne serait pas homogène et que les transports internationaux occuperaient une place plus importante dans la structure des transports routiers des États membres situés en périphérie de l’Union alors que les transporteurs établis dans les États membres du centre de l’Union effectueraient davantage d’opérations de transport nationales ou bilatérales. Des coûts élevés devront donc être supportés essentiellement par les transporteurs établis dans les États membres de la périphérie de l’Union, principalement sous la forme de PME, pour se conformer à l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, les fragilisant ainsi particulièrement. Le législateur de l’Union aurait dû prendre en considération la nature particulière du marché, a fortiori dans une période déjà marquée par la vulnérabilité particulière des transporteurs en raison de la crise liée au COVID-19. En ne tenant pas compte de la situation économique des transporteurs, il aurait violé l’article 94 TFUE.

665. Le Parlement et le Conseil ainsi que les parties intervenant à leur soutient concluent au rejet des moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE.

2)      Analyse

666. Les griefs soulevés par les parties requérantes renvoient souvent à ceux exposés dans les moyens des recours tirés d’une violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, du principe de proportionnalité. Il est d’ailleurs plusieurs fois reproché au Parlement et au Conseil de ne pas avoir procédé à une analyse de l’impact de cette obligation sur les critères mentionnés à l’article 91, paragraphe 2, et à l’article 94 TFUE.

667. Cela confirme bien le rapport de proportionnalité qu’induisent les obligations découlant de ces deux articles tels que je les ai interprétés au point 292 des présentes conclusions. Dans ces conditions, dès lors qu’il a déjà été conclu à la violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, du principe de proportionnalité (414), il n’est pas nécessaire d’examiner les moyens tirés d’une violation desdits articles.

f)      Sur les moyens tirés d’une violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE 

1)      Arguments des parties

668. La République de Lituanie considère que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines est contraire à l’article 26 TFUE. Selon elle, cette obligation constituerait une mesure protectionniste qui entraînerait une fragmentation du marché, restreindrait la concurrence et instaurerait un régime discriminatoire à l’égard des transporteurs des États membres situés aux confins géographiques de l’Union.

669. L’obligation de retour constituerait une restriction injustifiée à l’exercice des libertés du marché intérieur. Cette obligation aurait été adoptée sans examiner si les buts poursuivis étaient de nature à justifier des conséquences négatives importantes pour certains opérateurs et sans s’assurer que la charge incombant aux opérateurs soit la moins élevée possible. La place particulière du secteur des transports pour le fonctionnement du marché intérieur a été soulignée par la Commission (415) et le principe de non‑discrimination aurait été mis en œuvre dans le domaine du droit d’établissement par l’article 49 TFUE, également applicable aux personnes morales. Le fait que l’aspiration à un marché intérieur, énoncée à l’article 26 TFUE, soit mise en œuvre par d’autres dispositions du traité ne priverait pas cette disposition de pertinence, et des mesures enfreignant sur le fond les objectifs visés à l’article 26 TFUE ne sauraient être considérées comme compatibles avec cet article. Les effets délétères sur l’aspiration à un marché intérieur seraient confirmés par l’analyse d’impact – volet établissement et l’étude Ricardo de 2021.

670. La République de Bulgarie fait valoir que l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 constitue, premièrement, une violation de la liberté d’exercer une activité professionnelle, de la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE ainsi que des articles 15 et 16 de la Charte (sixième moyen de la requête dans l’affaire C‑545/20), deuxièmement, une violation de la libre circulation des services de transport sur le fondement des dispositions combinées de l’article 58, paragraphe 1, et de l’article 91 TFUE et, à titre subsidiaire, de l’article 56 TFUE (septième moyen, première branche, de la requête dans l’affaire C‑545/20), et, troisièmement, de la libre circulation des marchandises en vertu des articles 34 et 35 TFUE (septième moyen, seconde branche, de la requête dans l’affaire C‑545/20).

671. Premièrement, en soumettant les transporteurs à des contraintes supplémentaires, l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines constituerait une ingérence dans la liberté d’entreprise et le droit d’établissement, tels que reconnus par l’article 49 TFUE et l’article 15, paragraphe 1, et l’article 16 de la Charte, des transporteurs des États membres insulaires et périphériques dès lors que certains seraient contraints de cesser leurs activités, alors que d’autres seraient contraints de s’installer dans un État membre plus central. En excluant divers transporteurs situés dans des États membres périphériques ou insulaires de l’activité économique, le règlement 2020/1055 menacerait l’existence même de la liberté d’exercer une activité professionnelle. Une telle ingérence ne serait pas justifiée, car disproportionnée. Les mesures qui gênent ou rendent moins attrayantes l’exercice de la liberté d’établissement doivent être considérées comme une entrave à cette liberté. Or, l’obligation de retour rendrait moins attrayant l’établissement dans les États membres périphériques ou insulaires pour les transporteurs internationaux alors que le secteur des transports internationaux serait complètement libéralisé.

672. Deuxièmement, la République de Bulgarie soutient que l’obligation de retour restreindrait considérablement la libre prestation de services de transport, le retour empêchant les transporteurs de continuer à offrir des services de transport alors même que la libre prestation de ces services leur serait garantie par le droit primaire. Les activités des prestataires de services de transport perdront beaucoup de leur attractivité et de leur avantage. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines sans tenir compte de la présence de fret à un moment donné remettrait fondamentalement en cause le modèle économique global de certains transporteurs. Il serait ainsi porté atteinte à l’article 58, paragraphe 1, TFUE, en lien avec l’article 91 TFUE. L’imposition de l’obligation de retour réintroduirait une forme de discrimination et constituerait une régression dans l’établissement d’une politique commune des transports garantissant la libre prestation des services. Si la Cour devait juger l’article 56 TFUE applicable, cette disposition devrait également être considérée violée. Au stade de la réplique, la République de Bulgarie relève que la Cour a déjà analysé l’exigence de l’établissement en tant que condition nécessaire à la fourniture des services de transport comme constituant une restriction contraire au droit d’établissement.

673. Troisièmement, la République de Bulgarie soutient que l’obligation de retour aura de graves conséquences qui affecteront la libre circulation des biens et des effets équivalant à des restrictions quantitatives, pourtant interdites en vertu des articles 34 et 35 TFUE.

674. La République de Chypre développe la même argumentation que celle de la République de Bulgarie.

675. La Roumanie soutient que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines entrave de manière significative la constitution de sociétés en Roumanie par des ressortissants d’autres États membres de l’Union dès lors qu’elle générerait des coûts d’exploitation considérables et une baisse des recettes pour une société établie dans un État membre périphérique de l’Union, comme la Roumanie. Une telle obligation violerait donc l’article 49 TFUE en rendant plus difficile et moins attractive l’exercice de la liberté d’établissement. La rentabilité et donc l’attractivité de la création d’une société de transports dans cet État membre s’en trouveraient affectées. Plus de 45 % des sociétés de transport établies en Roumanie envisageraient de créer une société ou une succursale ou de délocaliser l’activité dans d’autres États membres de l’Europe de l’Ouest afin de contenir les effets négatifs du Paquet mobilité. Ainsi, même si l’obligation de retour n’a pas pour effet d’interdire aux personnes qui ne résident pas en Roumanie de créer des sociétés de transport, il n’en demeure pas moins que cette mesure alourdit et rend moins attractive la création de sociétés en Roumanie et constitue une restriction injustifiée et disproportionnée à la liberté d’établissement.

676. Au stade de la réplique, la Roumanie souligne la divergence de point de vue entre le Conseil, selon lequel le règlement no 1071/2009 est une mesure importante pour garantir la liberté d’établissement, et le Parlement, selon lequel ce règlement ne réglementerait pas la liberté d’établissement, l’article 5 dudit règlement ne prévoyant qu’une condition pour l’exercice de la libre prestation des services. La Roumanie conteste l’affirmation du Parlement selon laquelle seules des mesures nationales pourraient constituer des restrictions à la liberté d’établissement alors que la Cour aurait déjà jugé que l’interdiction des restrictions à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services vaut non seulement pour les mesures nationales, mais aussi pour les mesures émanant des institutions de l’Union.

2)      Analyse

677. J’ai déjà rappelé le caractère spécifique et la place particulière du secteur des transports dans les traités (416), secteur qui se trouve soumis à un régime juridique spécial dans le cadre du marché intérieur. Je rappelle en particulier que le statut spécial des transports dans l’organisation normative du marché intérieur se distingue par la combinaison d’un droit d’établissement dans tout État membre fondé sur le traité et d’un droit des transporteurs à la libre prestation des services garanti seulement dans la mesure où ce droit a été reconnu par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par le législateur de l’Union dans le cadre de la politique commune des transports. Ainsi, le transport international est entièrement libéralisé. Il en va différemment des opérations de transport national qui sont encore soumises à des restrictions lorsqu’elles sont effectuées par des transporteurs non‑résidents.

678. En ce qui concerne l’article 26 TFUE, les principes généraux qu’il énonce à ses premier et deuxième paragraphes font à chaque fois référence aux autres dispositions pertinentes des traités, de sorte que, comme le fait valoir le Parlement, un acte de l’Union régissant le domaine des transports, comme c’est le cas du règlement 2020/1055, ne saurait être examiné à l’aune de cette seule disposition sans en méconnaître la portée exacte et sans occulter les autres dispositions pertinentes du traité, en particulier l’article 58, paragraphe 1, TFUE.

679. Les services de transport sont uniquement libéralisés dans la mesure où le législateur de l’Union se fonde, pour son action, sur l’article 91 TFUE qui opère comme une lex specialis. Le traité charge le législateur d’établir « des règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres ». L’article 5 du règlement no 1071/2009, avant sa modification par le règlement 2020/1055, est une de ces règles communes, ou conditions, auxquelles tout transporteur doit se plier pour être autorisé à prester ses services de transport dans l’Union. Je rappelle que l’objet du règlement no 1071/2009, tel qu’il est précisé à son article 1er, paragraphe 1, est de régir « l’accès à la profession de transporteur par route et l’exercice de cette profession » (417). Le fait que l’exercice de la profession de transporteur soit soumis au respect de règles et conditions n’emporte pas, de facto, violation de la libre prestation des services. Je suis d’avis que ces règles et conditions concernent éventuellement davantage la question des modalités de la libéralisation du marché des services de transport à l’égard desquels le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation, comme le Parlement le fait valoir.

680. En ce qui concerne l’allégation d’une violation de l’article 49 TFUE, je réaffirme, comme le fait valoir la Roumanie, que l’interdiction des restrictions aux libertés fondamentales garanties par le traité vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions de l’Union (418) et que la liberté d’établissement ne fait pas exception à cet égard. L’analyse sera, par ailleurs, guidée par les points 159 et suivants des présentes conclusions, et un raisonnement analogue à celui mené à propos de l’obligation de retour des conducteurs peut être mené. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines est imposée indistinctement à toute entreprise de transport souhaitant effectuer des transports par route au sein de l’Union. Elle entend garantir le caractère stable et effectif de l’établissement des transporteurs par route. En tant que telle, cette obligation ne règle ni ne limite en aucune manière la liberté – qui demeure entière – des opérateurs économiques d’un État membre de s’établir dans l’État membre d’accueil, d’accéder aux activités non salariées et de constituer des entreprises dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants (419). Comme le rappelle le Conseil, l’obligation de retour n’est pas destinée à être prise en considération au cours du processus d’autorisation des sociétés de transport, ces sociétés étant tenues de se conformer à cette obligation après s’être établies et dès qu’elles commencent à prester leurs services. Il n’y a donc pas d’effet restrictif de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines sur la liberté d’établissement.

681. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines n’empêche pas les transporteurs d’exercer leur liberté d’établissement dès lors qu’il n’est pas contesté qu’ils ont la liberté de déplacer, s’ils le souhaitent, le siège de leurs activités. L’allégation selon laquelle l’établissement de sociétés dans les États membres périphériques serait découragé du fait de l’augmentation significative des coûts liés à l’obligation de retour doit être rejetée dès lors qu’elle repose sur la perpétuation d’un modèle commercial qui relève de la seule responsabilité desdits transporteurs. En effet, l’augmentation des coûts est d’autant plus significative dès lors qu’un transporteur choisit d’opérer sur le territoire d’un État membre éloigné de celui dans lequel il est établi. Il n’incombe pas au législateur de l’Union de compenser les éventuelles complications liées à l’éloignement géographique entre le siège de l’opérateur et le lieu effectif de ses activités.

682. En ce qui concerne l’invocation de la Charte, l’article 15, paragraphe 1, et l’article 16 protègent respectivement le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée et la liberté d’entreprise, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales. La République de Bulgarie et République de Chypre soutiennent, en lien avec l’allégation d’une violation de l’article 49 TFUE, que l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines mettrait en péril l’existence même de la liberté d’exercer une activité professionnelle.

683. Premièrement, l’exercice de toute activité professionnelle implique nécessairement l’acceptation des règles et conditions d’exercice qui l’entourent. Deuxièmement, même à considérer que l’obligation de retour serait constitutive d’une restriction à l’activité professionnelle des opérateurs économiques concernés, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que des limitations peuvent être apportées par la loi et dans le respect du contenu essentiel des droits et libertés consacrés par la Charte. Il y a lieu de constater, en l’espèce, que l’obligation de retour ne porte aucune atteinte à la substance du droit au libre exercice de la profession de transporteurs par route (420). Troisièmement, il découle de cette disposition que toute limitation apportée doit être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union. Dès lors que le législateur a, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu, jugé nécessaire d’intervenir afin notamment de garantir une concurrence loyale et des conditions de concurrence équitables devant assurer le bon fonctionnement du marché intérieur des transports, il doit être conclu à une absence de violation des articles 15 et 16 de la Charte.

684. En ce qui concerne la méconnaissance alléguée de la libre prestation des services, je rappelle que l’article 58, paragraphe 1, et l’article 91 TFUE prévoient que la libre circulation des services dans le domaine des transports est mise en œuvre par le législateur de l’Union. L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ne saurait donc faire l’objet d’un examen séparé au titre de l’article 56 TFUE, sauf, encore une fois, à méconnaître la spécificité des transports au regard de la libre prestation des services. Comme je l’ai déjà énoncé (421), le législateur de l’Union est, partant, en droit de modifier les conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation des services dans le domaine des transports routiers en vue, notamment, de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur dès lors que le degré de libéralisation desdits services est défini par le législateur lui-même dans le cadre de la mise en œuvre de la politique commune des transports. Je rappelle que la Cour a déjà jugé légitime une entreprise du législateur de l’Union visant à assurer la libre prestation des services sur une base équitable, c’est-à-dire dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l’application dans un même État membre de conditions de travail et d’emploi d’un niveau substantiellement différent (422). L’imposition d’une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines a pour but de garantir le caractère stable et effectif de l’établissement du transporteur afin d’assurer un lien véritable avec l’État membre d’établissement qui est celui qui définira, notamment, les règles fiscales et sociales qui s’appliqueront audit transporteur. Le législateur de l’Union a clairement indiqué au considérant 8 du règlement 2020/1055 que l’objectif était de lutter contre les sociétés boîtes aux lettres, de réduire le risque d’organisation d’un système de cabotage systématique et de conducteurs nomades afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur dans le domaine des transports. Dans ces conditions, les griefs tirés d’une violation de l’article 56 et de l’article 58, paragraphe 1, TFUE doivent être rejetés comme étant non fondés.

685. En ce qui concerne l’invocation d’une atteinte à la libre circulation des marchandises, la République de Bulgarie et la République de Chypre n’ont, selon moi, pas démontré à suffisance les effets de l’obligation de retour sur la libre circulation des marchandises, en se contentant d’affirmations générales. En effet, une telle démonstration est d’autant plus difficile que les prétendus effets restrictifs de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines apparaissent clairement trop aléatoires et trop indirects pour que l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 puisse être considéré comme étant de nature à entraver le commerce entre les États membres et, donc, comme constitutif d’une restriction au sens des articles 34 et 35 TFUE (423).

686. Partant, les moyens tirés d’une violation des articles 15 et 16 de la Charte, et des articles 26, 34, 35, 49, 56 et de l’article 58, paragraphe 1, TFUE doivent être rejetés comme étant non fondés.

g)      Conclusion

687. Pour les raisons exposées aux points 642 et suivants des présentes conclusions, il y a lieu d’accueillir les recours de la République de Lituanie (C‑542/20), de la République de Bulgarie (C‑545/20), de la Roumanie (C‑547/20), de la République de Chypre (C‑549/20), de la Hongrie (C‑551/20), de la République de Malte (C‑552/20) et de la République de Pologne (C‑554/20) en ce qu’ils sont dirigés contre l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, dans la mesure où cette disposition a modifié l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009 en y insérant une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, et d’annuler ladite disposition.

2.      Sur l’obligation de disposer d’un nombre de véhicules et de conducteurs en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise [article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 en ce qu’il a ajouté le point g), au paragraphe 1 de l’article 5 du règlement no 1071/2009]

688. La République de Pologne est la seule à contester la légalité de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en ce qu’il a ajouté le point g), au paragraphe 1 de l’article 5 du règlement no 1071/2009, et soulève deux moyens à cet égard, le premier étant tiré d’une violation du principe de proportionnalité et le second étant tiré d’une violation du principe de sécurité juridique. En outre, au travers du moyen commun développé de manière transversale à l’encontre de toutes les dispositions du règlement 2020/1055 attaquées dans le cadre de son recours dans l’affaire C‑554/20, la République de Pologne conclut à une violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte.

a)      Sur le premier moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité

1)      Arguments des parties

689. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité, la République de Pologne soutient que l’obligation de disposer régulièrement, de manière continue, dans l’État membre d’établissement, d’un nombre de véhicules remplissant les conditions requises (424) et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de cet État membre en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise serait fondée sur des critères arbitraires, qu’elle ne serait pas appropriée pour atteindre les objectifs du règlement 2020/1055, qui ne seraient d’ailleurs pas précisés, et qu’elle aurait des conséquences négatives économiques démesurées pour les opérateurs par rapport à ses éventuels effets positifs. La nécessité de recourir à une telle mesure n’aurait pas été appréciée à suffisance dans l’analyse d’impact, les raisons sous-jacentes à son introduction demeureraient floues de même que les objectifs poursuivis. Le règlement 2020/1055 prévoirait déjà une obligation de retour des véhicules et une obligation de retour des conducteurs de sorte que le nouvel article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009 constituerait une mesure supplémentaire limitant encore davantage la mobilité des véhicules à disposition des entreprises. Il s’agirait d’une exigence totalement arbitraire, qui ne tiendrait pas compte de la spécificité des activités du transport international routier, et d’un obstacle absurde à l’exercice de telles activités. La République de Pologne déplore une absence de lien objectif entre l’exigence introduite à l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009 et la question d’un établissement stable et effectif, et soutient qu’une telle exigence ne concernerait pas, en réalité, les règles de détermination du lieu d’établissement mais régirait les modalités de l’organisation même de l’activité de transport. En outre, la République de Pologne prétend que cette exigence obligerait les transporteurs à organiser des voyages supplémentaires à vide, tout en reconnaissant qu’il serait difficile d’évaluer le nombre de trajets supplémentaires en raison du caractère imprécis de cette disposition. Le respect d’une telle exigence exposerait les entreprises à des coûts, qu’ils soient liés aux trajets à vide supplémentaires, à l’augmentation de leur parc automobile ou du nombre de conducteurs. Ces coûts supplémentaires seraient difficiles à supporter pour les PME qui composeraient majoritairement le secteur et entraîneraient faillites et délocalisations. L’analyse d’impact n’aurait pas tenu compte de ces éléments. La légalité d’un acte de l’Union devant être appréciée au moment de son adoption, la République de Pologne fait remarquer que le nouvel article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, aurait été adopté pendant une période de fragilisation des entreprises actives dans le secteur des transports en raison de la pandémie de COVID-19. Il n’aurait donc pas été opportun, alors que le législateur de l’Union disposait des données relatives à l’incidence de la pandémie sur le secteur des transports, qu’il soumette les entreprises à des dépenses supplémentaires injustifiées.

690. Le Conseil et le Parlement concluent au rejet du présent moyen.

2)      Analyse

691. Je rappelle que le nouvel article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, énonce une nouvelle condition relative à l’exigence d’établissement en prévoyant qu’une entreprise, pour pouvoir être considérée comme établie de façon stable et effective dans l’État membre d’établissement, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009, doit disposer régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules et de conducteurs normalement rattachés à un centre opérationnel de cet État membre, dans les deux cas en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise.

692. D’emblée, je relève que l’article 1er, point 3, sous d), de la proposition de modification du règlement no 1071/2009 de la Commission prévoyait d’ajouter à l’article 5 de ce dernier une obligation de détenir des actifs et d’employer du personnel en proportion de l’activité de l’établissement. Une telle obligation faisait l’objet d’une analyse globale de son impact, envisagée avec les six autres mesures listées par la Commission, dans l’analyse d’impact accompagnant la proposition initiale de la Commission (425). Bien que la formulation finalement retenue par le législateur de l’Union s’écarte légèrement de cette proposition (426), il est manifeste que le législateur de l’Union disposait de données suffisantes pour appréhender l’impact induit par l’adoption de l’obligation désormais prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055. Comme le Conseil l’a fait remarquer, cette disposition ne fait pas partie des dispositions du Paquet mobilité à propos desquelles la Commission a émis des réserves (427).

693. Ce nouvel article 5, paragraphe 1, sous g), contribue, selon moi, clairement à poursuivre les objectifs énoncés au considérant 6 du règlement 2020/1055, à savoir la lutte contre le phénomène des sociétés boîtes aux lettres et la garantie d’une concurrence loyale et des conditions de concurrence équitables dans le marché intérieur, qui nécessitent de s’assurer que les transporteurs ont une présence réelle et permanente dans l’État membre d’établissement et mènent leurs activités depuis ce dernier. À cette fin, le législateur de l’Union a souhaité « clarifier et [...] renforcer les dispositions concernant l’existence d’un établissement stable et effectif, tout en évitant une charge administrative disproportionnée ». Les objectifs poursuivis me semblent, à l’instar de que font valoir le Parlement et le Conseil, aisément identifiables.

694. Cette clarification et ce renforcement passaient par l’adoption de plusieurs mesures phares, dont celle concernant l’obligation de retour des véhicules et celle concernant l’obligation de retour des conducteurs. À cet égard, il n’est pas correct de soutenir que l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, ferait doublon avec ces deux précédentes obligations. Comme l’ont souligné le Conseil et le Parlement, cet article pose une exigence quantitative de matériel et de ressources humaines disponibles, mais ne s’intéresse ni au degré de mobilité des véhicules et des conducteurs, ni à la fréquence des retours, qui, pour sa part, demeure régie par l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, en ce qui concerne les véhicules et par l’article 8, paragraphe 8bis, du règlement no 561/2006, tel que modifié par le règlement 2020/1054, en ce qui concerne les conducteurs. Il ne découle pas non plus de l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009 ainsi modifié qu’une présence permanente dans l’État membre d’établissement des véhicules ou des conducteurs serait exigée.

695. Les exigences liées à ladite obligation n’apparaissent pas démesurées. D’abord, le nombre de véhicules et de conducteurs doit être proportionnel au nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise. Il paraît de prime abord difficile de conclure au caractère disproportionné d’une disposition qui contient une référence expresse au rapport proportionné qu’elle établit. Ensuite, l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, se borne à exiger l’utilisation de biens matériels et humains sans imposer, par exemple, le type de relations juridiques devant lier l’entreprise à ses conducteurs. Le reproche formulé par la République de Pologne quant aux conséquences économiques injustifiées liées à l’achat de véhicules ou au recrutement de conducteurs apparaît infondé, dès lors que l’on peut raisonnablement attendre d’une grande majorité des transporteurs que leurs activités reposent déjà sur des moyens matériels et humains en proportion suffisantes. Enfin, l’argument selon lequel cet article 5, paragraphe 1, sous g), régirait arbitrairement les modalités d’organisation de l’activité de transport repose sur une lecture erronée de cet article, dès lors que, comme le soutient le Conseil, ledit article ne réglemente d’aucune manière le lieu où le service de transport sera effectué, mais tend seulement à renforcer, pour les motifs notamment exposés aux considérants 6 et 8 du règlement 2020/1055, le lien entre l’entreprise et l’État membre d’établissement depuis lequel elle opère. Il ressort en particulier du considérant 8 de ce règlement que le législateur de l’Union a expressément rejeté toute modification qui irait dans le sens d’obliger les transporteurs à effectuer un nombre spécifique d’opérations dans l’État membre d’établissement ou de limiter la possibilité pour ces transporteurs de fournir des services dans l’ensemble du marché intérieur. Ce faisant, il ressort clairement que l’obligation prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, selon laquelle une entreprise, pour pouvoir être considérée comme établie de façon stable et effective dans l’État membre d’établissement, doit disposer régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules et de conducteurs normalement rattachés à un centre opérationnel de cet État membre, dans les deux cas en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise, est le résultat de la mise en œuvre par le législateur de son large pouvoir d’appréciation dans un domaine où une mise en balance entre intérêts divergents doit être effectuée.

696. Enfin, il ne saurait être reproché au législateur de l’Union d’avoir choisi de contraindre les transporteurs à des dépenses supplémentaires alors qu’ils étaient déjà fragilisés par les conséquences économiques liées à la pandémie de COVID-19. En effet, d’une part, le règlement 2020/1055 prévoyait son application à compter du 21 février 2022, soit plus de 18 mois après son adoption au sortir de la première vague liée à la pandémie et, d’autre part, la condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, ne fait, au final, qu’expliciter une condition normalement attendue de toute entreprise opérationnelle sur le marché des transports par route, à laquelle la plupart se conformait déjà.

697. Par conséquent, le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité doit être rejeté comme étant non fondé.

b)      Sur le moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique

1)      Arguments des parties

698. Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour, la République de Pologne soutient que l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, de par son imprécision, ne remplirait pas les exigences du principe de sécurité. Les termes qu’il contient seraient trop vagues de sorte que la portée de l’obligation que cette disposition comporte s’en trouverait affectée. Les entreprises seraient placées dans une situation d’insécurité juridique quant à la conformité de leurs actions avec l’obligation de disposer régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules et de conducteurs normalement rattachés à un centre opérationnel de cet État membre, dans les deux cas en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise. En effet, l’impossibilité pour les entreprises de savoir si elles remplissent une des conditions d’exercice de leur activité les exposerait à de graves conséquences juridiques.

699. D’une part, le critère relatif au rattachement normal des conducteurs et des véhicules à un centre opérationnel de l’État membre d’établissement serait très vague et sujet à interprétation. Le retour des véhicules et des conducteurs étant déjà régi par d’autres dispositions, ce critère constituerait une exigence distincte dont il serait impossible de déterminer la portée. D’autre part, le critère relatif au caractère proportionné serait également très flou et il serait impossible de déterminer concrètement le nombre de véhicules et de conducteurs auquel la disposition se réfère.

700. Enfin, il existerait une différence fondamentale entre l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, et l’article 5, sous c), du règlement no 1071/2009, lequel prévoyait que le transporteur devait diriger ses activités depuis le centre d’exploitation situé dans l’État membre d’établissement en disposant des « équipements administratifs nécessaires » et « des équipements et des installations techniques appropriés » dès lors que ces équipements et installations seraient, selon la République de Pologne, secondaires pour l’activité de transport, alors que la question du nombre de véhicules et de conducteurs serait cruciale du point de vue de la gestion de l’entreprise. Il serait donc particulièrement essentiel que l’obligation soit formulée de manière précise.

701. Le Parlement et le Conseil concluent au rejet du présent moyen.

2)      Analyse

702. Il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 117 et suivants des présentes conclusions que le contrôle du respect du principe de sécurité juridique impose de vérifier si la disposition examinée souffre d’une ambiguïté telle qu’elle ferait obstacle à ce que ses destinataires puissent lever, avec un certitude suffisante, d’éventuels doutes quant à sa portée ou son sens, de sorte qu’ils ne seraient pas en mesure de déterminer, sans équivoque, leurs droits et obligations.

703. À cet égard, je rappelle que l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, énonce une des conditions d’accès à la profession de transporteur en venant renforcer l’exigence d’un établissement stable et effectif dans l’État membre d’établissement.

704. D’une part, les entreprises de transport doivent disposer régulièrement et de manière continue de véhicules et de conducteurs. Je n’identifie, à ce stade, aucune difficulté telle que ces entreprises ne seraient pas en mesure de comprendre qu’elles doivent disposer – et non pas détenir – des moyens matériels et humains nécessaires à leur activité (soit des véhicules et des conducteurs). Le sens de la référence au rattachement normal des moyens humains au centre opérationnel peut, si besoin, être utilement éclairé par la lecture de la jurisprudence de la Cour (428).

705. D’autre part, ces entreprises doivent disposer de ces moyens matériels et humains « en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise ». Il est exigé de ces entreprises que leur parc automobile soit en rapport avec le niveau de leurs activités, tout comme leur main d’œuvre, s’agissant ici, comme le souligne la République de Pologne, de deux éléments inhérents à l’activité de transporteur routier. La République de Pologne soutient que la référence à la proportionnalité rendrait impossible la détermination du nombre de véhicules et de conducteurs dont les entreprises devraient concrètement disposer. Je pense, au contraire, qu’en tant que professionnels, les transporteurs routiers gèrent en permanence le flux des véhicules par rapport à la disponibilité des conducteurs et ont une idée assez précise du nombre de véhicules et de conducteurs nécessaires à leurs activités. Si le législateur de l’Union était venu encadrer plus précisément l’obligation prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, par exemple en fixant un nombre de véhicules et de conducteurs dont les entreprises devraient disposer en fonction, par exemple, de leur chiffre d’affaires, ces dernières, ainsi que les autorités chargées de contrôler le respect des exigences de l’article 5 du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, n’auraient pas eu la marge d’appréciation nécessaire, et donc la flexibilité, pour, éventuellement, prendre d’autres circonstances en compte que le chiffre d’affaires. En tout état de cause, je rappelle qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que les exigences du principe de sécurité juridique ne sauraient être comprises comme imposant qu’une norme mentionne toujours les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur de l’Union (429).

706. Il résulte ainsi de l’analyse que l’article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, apparaît suffisamment clair, précis et prévisible dans ses effets pour que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (430). Le moyen tiré d’une violation du principe de sécurité juridique doit être rejeté comme étant non fondé.

c)      Sur le moyen tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1)      Arguments des parties

707. En ce qui concerne le dernier moyen, et dans la mesure où il s’agit d’un moyen commun à toutes les dispositions attaquées qui a déjà été résumé (431), je me bornerai ici à indiquer, en substance, que la République de Pologne invoque une violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte en raison du fait que le législateur de l’Union n’aurait pas pris en compte les exigences tirées de la protection de l’environnement et soutient que la nouvelle obligation participerait à l’augmentation significative des parcours à vide, non justifiés d’un point de vue économique. La République de Pologne soutient que l’incidence de la mise en œuvre des dispositions attaquées n’a pas été analysée par le législateur de l’Union qui n’aurait ainsi pas pu mettre en balance les objectifs poursuivis par le règlement 2020/1055 avec ceux tirés de la protection de l’environnement.

708. Le Conseil et le Parlement concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

709. En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte, je me bornerai à constater que la République de Pologne n’a pas établi en quoi, au-delà de la seule affirmation de principe, le respect de l’obligation de disposer régulièrement dans l’État membre d’établissement, de manière continue, d’un nombre de véhicules remplissant les conditions visées au point e) de l’article 5 du règlement no 1071/2009, et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de cet État membre en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise, allait nécessiter des déplacements supplémentaires, le cas échéant à vide.

710. La position développée par la République de Pologne apparaît, par ailleurs, quelque peu contradictoire à deux égards. D’une part, après avoir soutenu qu’une telle obligation allait engendrer un nombre important de parcours à vide, ce qui aurait un impact négatif significatif sur l’environnement, elle soutient, dans le même temps, que le but d’une telle obligation serait de faire rester les véhicules et leurs conducteurs dans leur centre opérationnel et constituerait un « obstacle absurde à l’exercice d’activité de transports au regard de la logique qui sous-tend cette dernière » (432). D’autre part, il semble assez paradoxal de soutenir une thèse qui induit que, si ces trajets à vide étaient justifiés économiquement, la compatibilité de la disposition dont ils découlent avec l’article 11 TFUE et l’article 37 de la charte ne serait plus mise en cause.

711. Par ailleurs, en ce qui concerne l’absence alléguée d’analyse de l’impact de l’article 1, point 3, du règlement 2020/1055 insérant un point g), dans l’article 5 du règlement no 1071/2009 qui serait constitutive d’une violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte, je renvoie au point 570 des présentes conclusions. Je relève également, à titre surabondant, que les chiffres fournis par la République de Pologne pour attester l’impact négatif sur l’environnement résultant de cette nouvelle disposition concernent, en fait, quasi-exclusivement une estimation des incidences sur l’environnement en raison de la mise en œuvre de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines.

712. Au final, l’argumentation de la République de la Pologne me semble reposer, comme l’ont souligné le Conseil et le Parlement, sur une lecture erronée du nouvel article 5, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, cette disposition réglementant non pas la fréquence de la présence aux centres d’exploitation, mais seulement le nombre de véhicules et de conducteurs rattachés à ces centres. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte (433) doit être rejeté.      

d)      Conclusion

713. Le recours de la République de Pologne dans l’affaire C‑554/20, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 dans la mesure où il a introduit l’article 5, paragraphe 1, sous g), au règlement no 1071/2009, est rejeté.

3.      Sur le délai de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage [article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 qui a introduit un paragraphe 2 bis à l’article 8 du règlement no 1072/2009] 

714. La République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie (434), la République de Malte et la République de Pologne contestent la légalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 qui, en introduisant un paragraphe 2 bis à l’article 8 du règlement no 1072/2009, prévoit désormais l’obligation pour les transporteurs de respecter un délai de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé.

a)      Sur les moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique

1)      Arguments des parties

715. La République de Lituanie développe une argumentation semblable à celle développée à l’encontre de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines. Ainsi, l’imposition d’un délai d’attente de quatre jours violerait l’article 3, paragraphe 3, TUE, les articles 11 et 191 TFUE, l’article 37 de la Charte ainsi que, plus généralement, la politique de l’Union en matière d’environnement et de lutte contre le changement climatique. L’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 aurait été adopté au mépris des principes régissant la politique de l’Union en matière d’environnement, sans qu’aucune analyse d’impact ait été effectuée et sans que les conséquences négatives pour la protection de l’environnement aient été analysées. Or, l’obligation de faire sortir le véhicule du pays dans lequel le transport de cabotage a eu lieu entraînerait une augmentation du nombre de poids lourds circulant à vide et donc des émissions de CO2, comme cela serait confirmé par des études qui estimeraient ces émissions supplémentaires à 4 millions de tonnes (435).

716. L’article 3, paragraphe 3, TUE et les articles 11 et 191 TFUE ne pourraient être interprétés aussi strictement que le proposent le Conseil et le Parlement dans leur défense. Si le législateur peut prendre des mesures qui s’écartent des objectifs de protection de l’environnement, ces mesures ne sauraient, comme en l’espèce, être manifestement incompatibles ou contraires auxdits objectifs, alors que la protection de l’environnement est une exigence impérative. L’effet sur l’environnement de l’obligation litigieuse aurait été manifestement sous-estimé, comme en attesteraient les conclusions de l’analyse d’impact réalisée après l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055 à l’initiative de la Commission. Ayant omis d’analyser l’impact de la disposition litigieuse, le législateur de l’Union n’a pas tenu compte du fait que, dès lors que l’exigence d’une attente devait entraîner une baisse d’efficacité de la chaîne logistique, une augmentation du nombre de poids lourds circulant à vide, de la consommation de carburant et de la quantité de CO2 rejetée en aurait découlé. La mise en attente des véhicules constituerait donc manifestement une utilisation non rationnelle des ressources et contribuerait aux répercussions négatives du retour des véhicules identifiées dans l’étude d’impact réalisée par la Commission. Si le Conseil nie tout effet de la période d’attente sur l’environnement, il ne fournirait aucun chiffre, ce qui démontrerait que les institutions défenderesses ne disposaient pas des données suffisantes au moment de l’adoption de l’article 2, point 4, sous a), du règlement  2020/1055.

717. La République de Bulgarie a développé une argumentation commune aux deux dispositions qu’elle a attaquées sur ce thème (436). Elle soutient que ce qu’elle désigne comme la période de repos entre des transports de cabotage augmenterait le nombre de déplacements à vide et limiterait les transports de cabotage pourtant connus pour aider à diminuer ce type de déplacements, comme l’aurait souligné la Commission dans son livre blanc intitulé « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » (437) en invitant à la suppression des restrictions au cabotage. La période de carence n’œuvrerait nullement pour un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, ni n’intégrerait les exigences liées à sa protection. L’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 serait donc contraire, d’une part, à l’article 90 TFUE, lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et l’article 11 TFUE, ainsi qu’à l’article 37 de la Charte et, d’autre part, à l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’article 208, paragraphe 2, et l’article 216, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’accord de Paris.

718. La République de Pologne a développé une argumentation commune aux quatre dispositions qu’elle attaque en ce qui concerne la violation de l’article 11 et de l’article 37 de la Charte. Après avoir rappelé la part considérable du transport routier dans les émissions de CO2, dans le rejet de polluants atmosphériques et le contexte préoccupant de la crise climatique, la République de Pologne met en exergue les risques de la pollution pour la santé humaine. Elle soutient que les institutions défenderesses auraient dû procéder à une analyse de l’impact de la disposition introduisant une période de carence après la fin du transport de cabotage effectué dans un État membre et auraient dû s’assurer que la mesure envisagée n’était pas préjudiciable à la réalisation des objectifs fixés dans d’autres actes de droit dérivé en matière d’environnement. Dès lors qu’une action serait susceptible d’entraîner des conséquences environnementales négatives, les institutions défenderesses auraient dû mettre en balance les intérêts en conflit et apporter des modifications adéquates ou, à tout le moins, s’assurer que cette réglementation ne nuira pas à la réalisation des objectifs fixés dans les autres actes de droit dérivé adoptés dans le domaine de l’environnement. Or, selon elle, la restriction supplémentaire apportée au cabotage par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 entraînerait une augmentation des voyages à vide, et donc une augmentation des émissions de CO2, qui découlerait logiquement de la limitation des avantages d’optimisation des opérations de transports que procurent les opérations de cabotage. Le lien entre le transport de cabotage et la réduction des parcours à vide serait d’ailleurs reconnu par le législateur lui-même.

719. Le Conseil, le Parlement et les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ces moyens.

2)      Analyse

720. L’argument selon lequel le délai de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé serait contraire à la politique de l’environnement au seul motif qu’un tel délai réduirait la possibilité de recourir au cabotage alors que le cabotage permettrait d’optimiser les opérations de transport, comme le législateur l’aurait reconnu au considérant 21 du règlement 2020/1055, et donc d’en limiter l’impact sur l’environnement, ne peut être accueilli sauf à considérer que les exigences tirées de la protection de l’environnement doivent toujours prévaloir sur les autres objectifs de l’Union, ce qui ne ressort ni de l’article 3, paragraphe 3, TUE, ni de l’article 11 TFUE, et sauf à nier la possibilité pour le législateur, dans le cadre de l’exercice de sa large marge d’appréciation, de réglementer une activité qu’il a, en toute conscience, refusé de libéraliser totalement (438), comme en témoigne, en effet, ce considérant aux termes duquel les transports de cabotage « devraient être autorisés pour autant qu’ils ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre concerné ». J’ajoute que la définition même du cabotage contient une référence à son caractère temporaire (439) et que, comme l’a relevé le Conseil, les gains d’efficacité environnementale liés au cabotage tel que visé par le règlement no 1072/2009 ne font sens qu’aussi longtemps que l’activité de cabotage n’est pas pleinement libéralisée et qu’elle continue d’être liée à un transport international, qui, lui, induit un retour : le cabotage non lié à un tel transport – c’est-à-dire la possibilité pour un transporteur établi dans un État A de venir prester librement des transports nationaux dans un État B – ne participe donc pas de l’efficacité logistique des transports ni de l’effort de rationaliser les trajets retour.

721. En outre, ce délai de carence, en soi, ne saurait, contrairement à ce que soutient la République de Lituanie, s’interpréter comme une obligation de faire rentrer le véhicule dans son État membre de rattachement. Si les transporteurs entendent se conformer à leur obligation d’observer un délai de carence de quatre jours en faisant rentrer le véhicule dans l’État membre d’établissement du transporteur, un tel choix reposerait sur des considérations liées à l’efficacité économique de leur activité, mais n’est pas, en tant que tel, dicté par le règlement 2020/1055 (440).

722. Enfin, je relève un certain paradoxe dans l’argumentation de la République de Pologne qui dénonce les coûts d’application de la disposition découlant des parcours à vide imposés aux poids lourds qu’elle décrit, par ailleurs, comme effectuant, s’ils n’étaient pas soumis à un délai de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé, des transports de cabotage et entre pays tiers (441). D’un point de vue strictement environnemental, je peine à voir comment une telle situation aurait un impact moindre sur l’environnement (442).

723. En tout état de cause, comme je l’ai déjà indiqué, en ce qui concerne l’allégation d’une violation de l’article 11 TFUE, les dispositions attaquées du règlement 2020/1055 ne peuvent être analysées isolément, mais il doit résulter d’une analyse de l’ensemble de la politique des transports que les intérêts environnementaux ont été dûment pris en compte. Je renvoie donc ici à mes développements sur ce point qui s’appliquent, mutatis mutandis, à l’analyse relative à la période de carence (443).

724. Pour le reste, en ce qui concerne la portée de l’article 37 de la Charte, je renvoie au point 565 des présentes conclusions ; en ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’analyse d’impact, je renvoie au point 570 des présentes conclusions ; en ce qui concerne le caractère dénué de pertinence de l’invocation de l’article 191 TFUE, je renvoie au point 581 des présentes conclusions; en ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’accord de Paris ainsi que de l’article 3, paragraphe 5, TUE et de l’article 208 et de l’article 216, paragraphe 2, TFUE, je renvoie aux points 586 et suivants de mon analyse, enfin, en ce qui concerne la question du rapport avec les autres actes de droit dérivé, je renvoie au point 594 des présentes conclusions.

725. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement doivent être rejetés comme étant non fondés.

b)      Sur les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité

1)      Arguments des parties

726. La République de Lituanie soutient que l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009 tel que modifié par le règlement 2020/1055, méconnaîtrait le principe de proportionnalité dès lors que le législateur de l’Union aurait adopté cette disposition sans disposer de suffisamment d’éléments d’informations sur son impact et sans établir la mesure dans laquelle les effets négatifs pour les opérateurs économiques engendrés par ladite disposition pourraient apparaître justifiés.

727. La République de Lituanie fait d’abord valoir, bien que cela soit dans le cadre d’un moyen distinct de celui tiré d’une violation du principe de proportionnalité, des arguments en lien avec une violation de ce principe du fait de l’absence d’analyse d’impact (444) qu’il y a lieu d’examiner ici. Elle affirme que ni la Commission, ni le Conseil, ni le Parlement n’auraient procédé à une analyse d’impact de la modification introduite par l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055. Une telle mesure n’aurait pas figuré dans la proposition initiale de la Commission, la période de carence n’ayant été ajoutée qu’au cours de la procédure législative, ce qui aurait constitué une modification substantielle de la proposition de la Commission nécessitant de procéder à une nouvelle analyse d’impact (445).

728. En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure elle-même, premièrement, la République de Lituanie soutient à nouveau que la disposition serait contraire à la politique de l’Union en matière de protection de l’environnement et au pacte vert pour l’Europe eu égard à l’augmentation du nombre de trajets à vide que l’obligation de respecter un délai d’attente de quatre jours entraînerait. Deuxièmement, l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, serait incompatible avec le marché unique et le marché des services de transport en ce qu’il entraînerait un morcellement du marché, discriminerait indirectement les États membres périphériques et de petite taille et n’aurait pas tenu compte de la dégradation significative de la situation économique de ces derniers. Troisièmement, la Commission avait identifié dans son analyse d’impact une difficulté liée à l’imprécision et au manque de clarté des dispositions en vigueur relatives au cabotage avant l’adoption du règlement 2020/1055. Toutefois, après avoir rejeté la disposition proposée par la Commission, le Conseil et le Parlement n’auraient fourni aucun élément complémentaire de nature à justifier le choix de cette mesure plutôt que celle proposée par la Commission. L’objectif d’ajuster les règles relatives au cabotage et d’améliorer le contrôle de leur application devrait être réalisé au moyen de mesures qui ne déboucheraient ni sur la création d’obstacles artificiels à la prestation de services de transport, ni sur une augmentation injustifiée de la charge administrative et financière pesant sur les entreprises.

729. Si l’existence d’un large pouvoir d’appréciation du législateur doit être reconnu, la liberté du législateur de l’Union ne serait ni absolue ni illimitée. Si le législateur peut, aux termes du point 15 de l’accord interinstitutionnel décider de la réalisation d’une analyse d’impact quand cela lui apparaît nécessaire et approprié, une telle appréciation devrait être motivée par des données existant objectivement, garantissant que le législateur n’abuse pas de son pouvoir d’appréciation en adoptant des mesures non fondées, ce que le Conseil et le Parlement ne seraient pas parvenus à établir.

730. La République de Bulgarie soutient que l’obligation énoncée à l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, méconnaîtrait le principe de proportionnalité consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE et à l’article 1er du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Selon elle, le Parlement et le Conseil n’auraient pas disposé d’analyses économiques ni d’autres données qui auraient pu confirmer la proportionnalité de cette obligation qui ne faisait pas partie de la proposition initiale de la Commission. Elle n’aurait donc pas fait l’objet d’une analyse d’impact, en dépit des demandes répétées de certains États membres et des éléments portés à la connaissance du Parlement et du Conseil quant à l’impact disproportionné de cette mesure. Aucune consultation n’aurait été menée avec le CdR ou le CESE. Les parties défenderesses ne seraient donc pas en mesure de démontrer qu’elles ont effectivement exercé leur pouvoir d’appréciation lors de l’adoption d’un acte ou étaient en mesure de prendre en considération tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. L’analyse d’impact de la Commission de 2017 (446) invoquée par les institutions défenderesses ne serait pas en mesure d’établir le caractère proportionnée de la période de carence, dès lors qu’il ressortirait de cette analyse qu’une telle mesure aurait été écartée non pas pour des raisons liées à sa faisabilité technique, mais parce qu’elle n’aurait pas été reconnue comme contribuant de manière directe à résoudre les dysfonctionnements alors identifiés.

731. Par ailleurs, selon le considérant 20 du règlement 2020/1055, la période de carence serait supposée préserver le niveau de libéralisation atteint jusqu’à présent, ce qui ne serait pas le cas dès lors que de nouvelles limites sont imposées au cabotage, contrairement à ce que préconisait la Commission. Selon le considérant 21 de ce règlement, les transports de cabotage contribueraient à augmenter le coefficient de charge des véhicules et à réduire le nombre de parcours à vide. Pourtant la période de carence introduite à l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, entraînerait l’effet inverse. Ce considérant soulignerait également l’objectif de garantir le caractère effectif de l’établissement dès lors que le règlement 2020/1055 entend lutter contre les sociétés boîtes aux lettres. Toutefois, l’organisation d’un système de conducteurs nomades depuis une entreprise dans laquelle les véhicules ne retournent pas pourrait être distinguée de telles pratiques frauduleuses ou abusives, la réalité économique des services de transport étant marquée par un degré élevé de mobilité. La restriction de cette activité qui serait induite par la mise en œuvre de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ne contribuerait nullement à un objectif légitime, mais remettrait en cause l’essence même de la réalité économique et du marché commun des transports. Une telle obligation contraindrait même plusieurs entreprises de transport établies dans des États membres périphériques ou insulaires à se relocaliser dans un État membre plus central ou un pays tiers. Les exigences de l’article 5 du règlement no 1071/2009 seraient déjà suffisantes pour s’assurer du caractère stable et effectif de l’établissement et la limitation du nombre de transports de cabotage à trois sur une période de sept jours aurait permis d’éviter une activité permanente et continue du transporteur sur le territoire de l’État membre où le cabotage se déroule. La période de carence ne serait ni pertinente ni nécessaire au regard de la nature intrinsèquement transitoire du cabotage et de l’objectif de libéralisation. La République de Bulgarie fait valoir que les restrictions en matière de cabotage ont été levées en 1993 en ce qui concerne le transport aérien, ce qui aurait entraîné une augmentation des rémunérations perçues par les pilotes. Le sens de l’évolution réglementaire devrait être celui d’une libéralisation accrue. Selon la République de Bulgarie, la période de carence serait constitutive d’une mesure protectionniste et son effet sur le marché serait négatif (447). Les conducteurs effectuant des transports de cabotage seraient considérés comme détachés, de sorte qu’une libéralisation accrue ne serait pas à craindre en termes de cohésion sociale. Les transports de cabotage représenteraient par ailleurs un pourcentage très faible du transport national de sorte qu’aucun élément objectif n’annoncerait un impact notable sur l’emploi des chauffeurs routiers si moins de restrictions étaient appliquées (448). Enfin, les conséquences négatives pour l’environnement découlant de la période de carence dépasseraient les effets bénéfiques escomptés de la mesure.

732. La Roumanie soutient que l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 (449) ne satisfait pas les exigences du principe de proportionnalité. En premier lieu, elle développe à propos de cette disposition une argumentation analogue à celle développée à propos de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines concernant l’absence d’analyse d’impact (450).

733. En second lieu, la Roumanie soutient que la restriction supplémentaire introduite par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne serait ni appropriée ni nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle ne serait pas la mesure la moins restrictive pouvant être choisie. Son application causerait un préjudice disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis.

734. En ce qui concerne l’objectif poursuivi, il découlerait des considérants 20 et 21 du règlement 2020/1055. Toutefois, l’article 2, point 4, sous a), de ce règlement constituerait une régression par rapport au niveau actuel de libéralisation du marché et serait susceptible de créer des déséquilibres majeurs dans l’organisation des chaînes logistiques des sociétés de transport, d’augmenter le temps d’inactivité et le nombre de trajets à vide et de réduire l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement, comme l’aurait constaté le rapport de la Commission sur l’état du marché du transport routier. Les transports de cabotage seraient réduits de 30 % selon une analyse citée par un rapport de l’Institut Transport & Mobility Leuven (451). En ce qui concerne le secteur des transports roumain, une hausse de 5 % des trajets à vide serait attendue en raison de la restriction supplémentaire (452). Dans ces conditions, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne contribuerait pas à l’objectif d’accroître le coefficient de charge des véhicules et de réduire les parcours à vide.

735. En ce qui qui concerne l’objectif de garantir que les transports de cabotage ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue, il résulterait de diverses analyses que le cabotage illégal représenterait 0,56 % de l’activité globale de cabotage au niveau de l’Union mais continuerait à toucher davantage certains pays, avec des taux allant de presque zéro à 6,4 % (453). Le cabotage illégal découlerait non pas de l’ouverture du marché, mais des divergences dans l’application et le contrôle du respect de la réglementation existante par les États membres. Une entreprise législative visant à atteindre cet objectif aurait pu consister à clarifier et faciliter l’application des règles existantes en éliminant les restrictions ou en améliorant l’efficacité du contrôle. L’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 serait manifestement inapproprié et le choix normatif manifestement erroné.

736. Cette disposition ne constituerait pas non plus une mesure nécessaire et serait injustifiée en raison de son impact négatif notamment produit sur les entreprises des États membres situés à la périphérie de l’Union (454) en raison de l’augmentation des coûts d’exploitation, l’accès limité au marché des transports, une réduction du nombre de transporteurs et la délocalisation des sociétés vers les États de l’Ouest. Ces effets seraient amplifiés par la coexistence de l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 avec l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines. En ce qui concerne plus particulièrement le secteur roumain des transports, qui représente un tiers de la totalité des exportations romaines de services, 46 % de l’excédent total du commerce extérieur de services et 77 % de la totalité des exportations de services de transport provenant du secteur du transport de marchandises par route, la Roumanie se réfère aux estimations de l’analyse effectuée par l’UNTRR pour conclure à une augmentation des coûts d’exploitation et une baisse des recettes, une intensification de la crise des conducteurs professionnels, un risque de cessation d’activités pour 8 % des sociétés, un risque que 5 % des sociétés se retirent du marché du transport international, une augmentation des émissions de CO2, une réduction du nombre de salariés et des charges administratives supplémentaires inutiles. Ces conséquences seraient encore plus graves dès lors que l’analyse de l’UNTRR est antérieure à la pandémie de COVID-19. La nouvelle restriction en matière de transports de cabotage affecterait indirectement une part bien plus importante des économies dans les États membres d’Europe centrale et de l’Est par rapport aux économies des États membres de l’Europe de l’Ouest, et affecterait, au sein des premiers, davantage les PME. Ces conséquences surpasseraient largement les effets positifs attendus de ladite disposition et contreviendraient aux objectifs du livre blanc de 2011 « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » (455). La Roumanie considère également que l’adoption de l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 serait disproportionnée par rapport au nombre considérable d’États membres affectés négativement par ces mesures et par rapport à l’intensité des effets négatifs sur la situation des citoyens et des transporteurs établis dans ces États.

737. Par ailleurs, le Conseil et le Parlement n’aurait pas décrit le cabotage systématique en des termes similaires et le caractère illégal de ce comportement ne serait pas établi. Le cabotage systématique serait une conséquence liée au grand nombre d’opérations de cabotage réalisées par les transporteurs de l’UE-13 du fait de la structure même du marché, mais ces opérations ne constitueraient pas un élément négatif qui imposerait l’adoption de mesures restrictives. Les opérations de cabotage auraient initialement été conçues comme des types d’opérations qui contribuent au développement du secteur, à la croissance économique et à l’efficacité des transports. Les opérations de cabotage qui entraînent une présence plus longue du véhicule sur le territoire de l’État membre d’accueil répondraient à une véritable demande. En tout état de cause, un nombre élevé d’opérations de cabotage ne saurait être assimilé à la perte du caractère temporaire dès lors que ces opérations sont effectuées dans le respect de restrictions, suffisantes, existantes (une opération en trois jours ou trois opérations en sept jours). Sans analyse de l’incidence réelle du cabotage systématique et faute d’en avoir établi le caractère systémique, il ne pourrait pas être soutenu que la période de carence répondrait au besoin d’une réglementation équilibrée au niveau de l’Union dont les avantages dépasseraient les inconvénients produits. Le faible niveau de cabotage illégal (0,56 %) ne justifierait ni le besoin de surrèglementation, ni l’adoption de restrictions supplémentaires. Contrairement à l’objectif de faciliter et clarifier la mise en œuvre de règles, la mesure créerait des difficultés pour les transporteurs en termes de mise en conformité et de preuve.

738. La République de Malte soutient que l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 violerait le principe de proportionnalité dès lors qu’il ne s’agirait pas de la mesure la moins contraignante pour atteindre l’objectif poursuivi. Cette disposition nuirait, par ailleurs, gravement aux transporteurs maltais. La période de carence ne serait pas la mesure la moins contraignante disponible au regard de l’objectif identifié au considérant 21 de ce règlement. La République de Malte suggère que l’article 2, paragraphe 5, de la proposition de la Commission n’aurait pas impliqué la limitation grave à la capacité des transporteurs à organiser leur logistique et à assurer le bon fonctionnement de leur flotte sur le continent que comporterait l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055. Elle souligne que les transporteurs internationaux maltais opéreraient sur le continent dès lors qu’ils ne sont pas contraints de transporter les véhicules par voie maritime vers Malte. Sur le continent, ils feraient usage de leur liberté de circulation sans avoir de lien permanent ou durable spécifique avec d’autres États membres, comme l’Italie par exemple. L’absence physique des véhicules des transporteurs maltais de Malte serait uniquement due à la situation insulaire de cet État membre. L’alternative proposée par la Commission, selon laquelle le dernier déchargement au cours du transport de cabotage a lieu dans un délai de 5 jours à partir du dernier déchargement effectué dans l’État membre d’accueil au cours du transport international à destination de celui-ci, permettrait d’atteindre les mêmes objectifs que ceux poursuivis par le règlement 2020/1055 sans toutefois obliger les transporteurs maltais à interrompre artificiellement et régulièrement l’ensemble de leurs opérations, sans objectif clair et raisonnable pendant la période de carence de quatre jours. Les singularités géographiques des territoires insulaires n’auraient pas été prises en compte. L’évaluation ex-post du règlement no 1072/2009 ne pourrait pas se substituer à une analyse d’impact de la période de carence, d’autant plus que certaines des affirmations qu’elle contient auraient depuis été contredites, notamment en ce qui concerne la limitation des coûts supplémentaires entraînés par une clarification des dispositions relatives au cabotage. En l’absence d’analyse d’impact, le législateur de l’Union n’aurait pas établi en quoi la période de carence serait mieux appropriée, alors qu’elle serait manifestement plus restrictive, que la mesure initialement proposée par la Commission et qui, selon l’analyse d’impact, aurait permis de réduire de 20 % l’activité de cabotage. La République de Malte ignore toujours la mesure dans laquelle l’équilibre entre les différents intérêts en présence aurait été assuré. La période de carence aurait été introduite tardivement au cours de la procédure législative, malgré l’absence d’analyse d’impact, malgré le fait que des États membres se seraient régulièrement élevés contre l’adoption d’une telle mesure et sans que les institutions défenderesses aient jamais consulté ni dialogué avec la République de Malte.

739. La République de Pologne soutient que l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 introduirait une limitation supplémentaire en matière de fourniture des services de cabotage qui serait fondée sur des critères arbitraires, ne serait pas justifiée par les objectifs poursuivis par ce règlement et produirait des conséquences négatives qui l’emporteraient largement sur les effets bénéfiques espérés.

740. Selon la République de Pologne, il existerait déjà une base juridique suffisante, constituée par l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1072/2009 avant sa modification, pour éviter que l’activité de transport de cabotage soit effectuée de manière permanente et continue, de sorte que l’article 2, point 4) sous a), du règlement 2020/1055 irait au-delà de l’objectif mentionné au considérant 21 dudit règlement. Il résulterait déjà de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1072/2009 que la fourniture de cabotage serait exclue si le véhicule entre sur le territoire de l’État membre d’accueil au cours d’une opération de transport international à vide. Cette disposition permettrait à suffisance d’éviter que les transports de cabotage soient effectués de manière à créer une activité permanente et continue dans l’État membre concerné. Sans justification au regard de l’objectif concerné, l’article 2, point 4) sous a), du règlement 2020/1055 durcirait de manière disproportionnée les conditions de cabotage et procéderait davantage de la volonté du législateur de l’Union de limiter les transports de cabotage en tant que tels et non leur abus. Cette limitation ne serait pas davantage justifiée au regard des avantages du cabotage et sa contribution pour l’amélioration de l’efficience des transports rappelée au considérant 21 du règlement 2020/1055. La restriction au cabotage ne serait pas non plus justifiée au regard des conséquences négatives importantes qu’elle générerait sur l’emploi, les infrastructures et l’environnement, notamment en raison de l’augmentation du nombre de transports à vide à laquelle elle conduirait. L’ampleur réelle de cette augmentation ne pourrait pas être précisée dès lors que l’analyse d’impact n’aurait pas pris en compte une telle évaluation. Le législateur de l’Union n’aurait pas non plus pris en considération la structure particulière du marché des transporteurs, composée essentiellement de PME situées à la périphérie de l’Union, lesquelles subiraient de plein fouet la hausse des coûts engendrés par la limitation des transports de cabotage opérée par l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 et seraient ainsi davantage exposées au risque de faillite. L’augmentation des coûts de fonctionnement aurait également pour répercussion une augmentation du prix des marchandises.

741. Le Conseil et le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ces moyens.

2)      Analyse

i)      Sur l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de la période de carence entre deux périodes de cabotage

742. Comme déjà rappelé, l’exercice effectif du pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que l’acte qu’il a adopté a entendu régir. En ce qui concerne l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité du délai de carence entre deux périodes de cabotage, un rappel historique s’impose.

743. Aux termes de l’article 91, paragraphe 1, sous b), TFUE, le législateur de l’Union, en réalisant la politique commune des transports, doit établir « les conditions d’admission des transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre ». Ces conditions, jusque-là définies par le règlement (CEE) no 3118/93 (456), ont été modifiées par le règlement no 1072/2009 dont le considérant 15 définit les transports de cabotage comme « la prestation de service par un transporteur dans un État membre dans lequel il n’est pas établi » et les autorise en principe « aussi longtemps qu’ils ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue au sein de cet État membre » (457). Pour ce faire, la fréquence des transports de cabotage et la durée pendant laquelle ils peuvent être effectués ont été définies plus clairement par le règlement no 1072/2009, le législateur de l’Union soulignant alors déjà la difficulté à déterminer et garantir le caractère temporaire de la prestation de tels services (458). En effet, comme le Conseil l’a rappelé, cette difficulté avait déjà nécessité, sous l’empire du règlement no 3118/93, l’adoption par la Commission d’une communication interprétative sur le caractère temporaire du cabotage routier dans le transport de marchandises (459). L’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1072/2009 a ainsi limité les transports de cabotage à une période de 7 jours suivant le transport international et à trois prestations de service « national » pendant cette période.

744. Le règlement no 1072/2009 a fait l’objet d’une évaluation ex-post (460) qui a permis l’identification du cabotage systématique, consistant, pour une entreprise étrangère, à passer la majorité de son temps dans un autre pays de l’Union, pour autant que le transporteur effectue chaque semaine un transport international, comme une conséquence inattendue et involontaire du règlement no 1072/2009 (461). L’analyse relevait que la définition du cabotage temporaire fournie par le règlement no 1072/2009 ne permettait pas d’exclure le cabotage systématique (462).

745. Comme rappelé par les institutions défenderesses, il ressort de ces éléments bien connus du législateur de l’Union au moment de l’adoption du règlement 2020/1055 que le régime établi par le règlement no 1072/2009 en ce qui concerne le cabotage n’avait pas permis d’assurer de manière suffisante le caractère temporaire des services de cabotage.

746. Ces éléments ont été dûment pris en considération par la Commission dans le cadre de son analyse d’impact – volet établissement, qui fournissait aussi une analyse de l’évolution des transports de cabotage d’un point de vue quantitatif et géographique. Dans cette analyse, la Commission a établi, par ailleurs, un lien entre l’augmentation des transports de cabotage et le caractère systématique, voire illégal de ces transports et les risques pour la concurrence loyale entre transporteurs résidents et non-résidents (463). Si le choix de la Commission s’est finalement porté, dans sa proposition, sur une réduction de la période pendant laquelle les transports de cabotage, à la suite d’un transport international, étaient autorisés et sur une suppression de l’indication du nombre maximal de transports de cabotage pouvant être effectués pendant cette période (464), je relève, de concert avec le Conseil et le Parlement, que la Commission avait également envisagé la possibilité de modifier l’article 8 du règlement no 1072/2009 en introduisant une période d’attente entre deux périodes de cabotage, avant d’écarter une telle possibilité en raison des doutes que la Commission nourrissait quant à sa faisabilité politique et technique (465), doutes que le législateur de l’Union pouvait ne pas partager. En outre, la Commission indiquait ne pas avoir identifié de problèmes particuliers qu’aurait posé une telle mesure en termes de proportionnalité (466), puis a finalement reconnu que l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055 « devrait renforcer le caractère exécutoire des règles relatives au cabotage par rapport à la situation actuelle » (467).

747. Il résulte ainsi des éléments qui précèdent que le législateur de l’Union disposait, au moment de l’adoption de l’article 2, point 4, sous a), du règlement (UE) 2020/1055, de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de cette obligation au regard de l’objectif qu’il entendait poursuivre, ce que le Conseil et le Parlement ont établi à suffisance devant la Cour. Les griefs tirés d’une violation du principe de proportionnalité pour défaut d’analyse d’impact ou pour insuffisance de la base documentaire à disposition du législateur au moment d’exercer son pouvoir d’appréciation doivent donc être rejetés comme étant non fondés.

ii)    Sur le caractère proportionné de la période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé

748. Le respect du principe de proportionnalité exige que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 soit apte à réaliser l’objectif poursuivi par ce règlement et ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation dudit objectif, étant entendu que le législateur de l’Union est tenu de recourir à la mesure appropriée la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport au but visé. En vertu du large pouvoir d’appréciation reconnu au législateur de l’Union dans les domaines dans lesquels il est appelé à effectuer des opérations et des évaluations complexes, seul le caractère manifestement inapproprié de cette disposition pourra être censuré.

749. En ce qui concerne l’objectif poursuivi, je rappelle que l’article 2, point 4, sous c), du règlement 2020/1055 est venu préciser les conditions du régime de cabotage préexistant découlant du règlement no 1072/2009 en raison de ses limites et des conséquences inattendues et non souhaitées qui en découlaient. Aux termes du considérant 20 du règlement 2020/1055, le législateur de l’Union a entendu clarifier, simplifier et faciliter le respect des règles relatives aux transports nationaux effectués sur une base temporaire par des transporteurs non‑résidents dans un État membre d’accueil « tout en préservant le niveau de libéralisation atteint jusqu’à présent ». Le considérant 21 de ce règlement a, pour sa part, bien rappelé que les transports de cabotage « devraient être autorisés pour autant qu’ils ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre concerné » et que, afin de garantir que tel ne soit pas le cas, « les transporteurs ne devraient pas être autorisés à effectuer des transports de cabotage dans le même État membre avant l’expiration d’un certain délai après la fin d’un transport de cabotage ». D’une part, les transports de cabotage ne sont pas pleinement libéralisés. D’autre part, des conditions précises doivent être définies pour que la fourniture de tels transports demeure temporaire, ce que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 entendait précisément garantir. À l’instar du Conseil et du Parlement, je rappelle que la Cour a déjà eu l’occasion de souligner le caractère nécessairement temporaire des activités de cabotage (468).

750. Le Parlement a illustré les raisons pour lesquelles, selon le législateur, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, les transports de cabotage devaient encore être soumis à des restrictions. Se fondant sur l’analyse d’impact – volet établissement, cette institution a indiqué dans ses écritures que le marché du cabotage se caractérise par une augmentation significative des opérations de cabotage réalisées par des transporteurs de l’UE-13, essentiellement dans les États membres de l’UE-15. Cette augmentation apparaît liée au fait que les transporteurs des États membres à faibles coûts d’exploitation disposent d’un avantage compétitif par rapport aux transporteurs nationaux de l’UE-15 qui sont tenus de respecter une législation plus exigeante et de supporter des coûts d’exploitation plus élevés. Le caractère temporaire du cabotage doit donc être maintenu et assuré afin de préserver les transporteurs de l’UE-15 d’une concurrence inéquitable. Ainsi, le législateur de l’Union a fait le choix politique de renforcer les conditions d’un cabotage temporaire, en recherchant un juste équilibre entre l’accès au marché des transports nationaux des transporteurs non‑résidents et la protection des transporteurs nationaux exposés à des coûts d’exploitation plus élevés.

751. En ce qui concerne le caractère nécessaire et approprié de la période de carence entre deux périodes de cabotage, il y a lieu de tenir compte, comme l’ont invoqué le Conseil et le Parlement, du fait que les données à la disposition du législateur de l’Union indiquait que l’article 8 du règlement no 1072/2009 avait pu finalement permettre à des transporteurs non‑résidents d’organiser leurs opérations de manière à assurer une présence permanente ou continue dans l’État membre d’accueil (469). Une telle application de cette disposition plaçait ces transports dans une « zone grise », comme la qualifie le Parlement, et allait manifestement à l’encontre de l’objectif recherché déjà souligné par les considérants 13 et 15 du règlement no 1072/2009.

752. À cet égard, le Conseil rappelle que, dans la communication interprétative de la Commission sur le caractère temporaire du cabotage dans le transport de marchandises (470), la Commission indiquait quatre critères pour garantir ledit caractère, à savoir la durée, la fréquence, la périodicité et la continuité. Le Conseil explique que le règlement no 1072/2009 réglementait la durée du service, le cabotage étant possible pendant une durée de sept jours. La fréquence des transports de cabotage pendant cette période était également déterminée, mais pas la fréquence de ces périodes de sept jours. Le législateur, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation a ainsi estimé, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que permettre à un transporteur d’entamer une nouvelle période de sept jours pendant laquelle trois transports de cabotage seront autorisés immédiatement après la fin d’une période de ce type limitait l’efficacité du régime de cabotage et allait à l’encontre du caractère temporaire des transports de cabotage qu’il souhaitait continuer à garantir. L’obligation de respecter une période de « cool-off » pendant laquelle aucune activité de cabotage ne peut être réalisée apparaît appropriée à la réalisation de l’objectif poursuivi qui est de s’assurer du caractère temporaire des transports de cabotage.

753. En ce qui concerne le caractère nécessaire, tant l’évaluation ex-post du règlement no 1072/2009 que l’analyse d’impact – volet établissement ont été invoquées par le Conseil et le Parlement pour mettre en lumière les principales caractéristiques du marché des transports de cabotage et identifier les problématiques liées au cabotage systématique, les transports de cabotage ne faisant pas l’objet d’une libéralisation totale mais devant être organisés dans les conditions définies par le législateur de l’Union, comme le prévoit l’article 91, paragraphe 1, sous b), TFUE. Il relève ainsi du large pouvoir d’appréciation du législateur de considérer son intervention nécessaire pour contenir les pratiques abusives de certains transporteurs, fondées sur le caractère imprécis ou incomplet de la réglementation existante et menaçant la concurrence loyale, les transporteurs résidents se trouvant confrontés à la présence non plus temporaire mais permanente des transporteurs non‑résidents sur le marché des transports nationaux.

754. La durée de la période de carence désormais imposée (quatre jours) n’apparaît pas excessive dès lors que le Conseil explique qu’elle doit être consacrée à l’organisation de transports internationaux qui sont le préalable nécessaire à toute opération de cabotage, cette dernière n’étant autorisée que parce qu’elle est liée aux premiers. Dans l’analyse d’impact – volet établissement, la Commission avait estimé que les transporteurs pouvaient encore réaliser 3,33 périodes de sept jours pendant lesquelles les transport de cabotage sont autorisés, mais limités, par période de 30 jours (471). Le Conseil estime que l’obligation d’observer une période de carence de quatre jours devrait ramener ce chiffre à trois périodes de sept jours par période de 29 jours (472). Les activités de transport de cabotage demeurent donc possibles.

755. Par ailleurs, il ressort clairement du libellé de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 que seuls les transports de cabotage sont interdits pendant la période de carence de quatre jours, ce qui est cohérent avec l’objectif poursuivi. Les transporteurs ne sont pas tenus d’immobiliser leurs véhicules pendant cette période ni de paralyser leurs activités. Ils sont seulement tenus de consacrer ces quatre jours à d’autres types de transport que les transports de cabotage, de sorte que l’ingérence du législateur de l’Union dans l’organisation par les transporteurs de leurs activités n’apparaît pas, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, d’une portée telle que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 se révélerait disproportionné.

756. En ce qui concerne l’existence de mesures alternatives moins contraignantes, l’article 5 du règlement no 1071/2009 suggéré par la République de Bulgarie ne peut être retenu dès lors que l’objectif poursuivi est celui de s’assurer du caractère stable et effectif de l’établissement. La République de Bulgarie suggère également une libéralisation totale des services de transport de cabotage à la lumière de ce qui a déjà été fait dans le secteur aérien. Premièrement, les réglementations encadrant un secteur faisant intervenir un mode de transport particulier ne sont pas transposables, du seul fait qu’il s’agit d’un secteur lié aux transports, aux autres modes de transport, chaque marché étant caractérisé par des éléments qui lui sont propres (473). Deuxièmement, eu égard aux informations notamment contenues dans l’analyse d’impact, il est difficile de concevoir en quoi une libéralisation totale serait propre à garantir la prise en compte des intérêts des transporteurs de l’UE-15 au même titre que ceux de l’UE-13 (474). Troisièmement, le degré de libéralisation des transports de cabotage est l’expression d’un choix politique, qui relève du large pouvoir d’appréciation du législateur. Enfin, quatrièmement, suggérer la libéralisation totale du secteur en tant que mesure alternative à la période de carence entre deux périodes de cabotage revient, en fait, à mettre en cause l’essence même du régime de cabotage défini par le règlement no 1072/2009 et à en contester le caractère temporaire.

757. La Roumanie suggère d’améliorer l’efficacité des contrôles des limites existantes à la prestation des services de cabotage. Toutefois, comme relevé par le Conseil et le Parlement, le cabotage systématique relevant d’une zone grise née de l’insuffisante précision du règlement no 1072/2009, un renforcement des contrôles ne serait pas apte à atteindre avec la même efficacité l’objectif d’une clarification, y compris pour les autorités chargées du contrôle, du caractère temporaire du cabotage.

758. La République de Malte soutient que la proposition de la Commission aurait dû être suivie. Toutefois, cette proposition consistait à réduire la période pendant laquelle les transports de cabotage étaient autorisés à cinq jours et à supprimer la précision relative au nombre de transports de cabotage pouvant être effectués pendant cette période. Une telle modification n’aurait pas empêché les transporteurs d’enchaîner les périodes de cabotage et de lutter contre le cabotage systématique, et n’aurait donc pas été apte à poursuivre l’objectif visé.

759. Enfin, l’argument de la République de Pologne selon lequel l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1072/2009 serait suffisant en l’état doit être rejeté dès lors qu’il ne tient manifestement pas compte des difficultés liées au cabotage systématique notamment identifiées dans l’analyse d’impact – volet établissement, et qu’il relève du large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union de décider quand son intervention est nécessaire.

760. Partant, les parties requérantes n’ont pas établi l’existence de mesures alternatives moins contraignantes.

761. En ce qui concerne les inconvénients causés par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, je rappelle, à l’instar des institutions défenderesses, que le seul aspect du régime de cabotage aujourd’hui examiné est celui relatif à l’obligation de respecter une période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage, de sorte que tout argument qui tenterait d’élargir le débat aux restrictions au cabotage prévues par l’article 8 du règlement no 1072/2009 avant sa modification par le règlement 2020/1055 doit être considérée comme irrecevable. Il s’agit donc ici de s’interroger uniquement sur l’impact environnemental, économique et social de la seule période de carence.

762. D’un point de vue environnemental, comme rappelé plus haut, l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 impose aux transporteurs de ne pas organiser de transports de cabotage pendant cette période mais ne régit pas autrement l’utilisation ou la non-utilisation des véhicules pendant cette période. Il ne ressort pas du libellé de cette disposition une obligation de retour dans l’État membre d’établissement. L’obligation de sortir du territoire de l’État membre d’accueil avant que s’ouvre une nouvelle période de cabotage faisant suite à un transport international découle, pour sa part, du régime existant mis en place par le règlement no 1072/2009.

763. Certaines parties requérantes ont soutenu qu’une limitation supplémentaire apportée aux transports de cabotage limiterait l’efficacité environnementale de tels transports telle qu’elle est reconnue par le considérant 21 du règlement 2020/1055. La limitation des services de cabotage entraînerait, selon elles, une augmentation des trajets à vide et donc une augmentation non justifiée, notamment, des émissions de CO2. Toutefois, une telle efficacité ne saurait prévaloir sur toute autre considération, ce que le considérant 21 reflète bien en indiquant lui-même que ces transports ne doivent être autorisés que pour autant qu’ils ne donnent pas lieu à une activité permanente ou continue dans l’État membre concerné. En outre, les transports de cabotage contribuent à accroître le coefficient de charge des véhicules et à réduire les parcours à vide que pour autant qu’ils font suite à un transport international. Comme le Conseil l’a souligné, les gains d’efficacité découlant du cabotage ne sont générés que parce que ces transports sont associés à un trajet retour. Il est donc incorrect de soutenir que le régime mis en place par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 remet en cause ces gains dès lors qu’il maintient, tout en le précisant, l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1072/2009 et n’impose rien d’autre qu’une abstention de fournir des transports de cabotage pendant une période de quatre jours suivant la période de sept jours au cours de laquelle de tels transports sont autorisés. L’obligation de respecter une période de carence de quatre jours entre deux périodes pendant lesquelles les transports de cabotage sont autorisés ne cause donc manifestement pas de dommages disproportionnés en matière environnementale.

764. Un même constat s’impose en ce qui concerne l’examen des conséquences économiques de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055. Ces conséquences seront à l’évidence plus importantes pour les transporteurs qui ne se conformaient déjà pas aux prescriptions du règlement no 1072/2009 en matière de cabotage, comme cela semble être le cas, par exemple, des transporteurs maltais, comme illustré dans les écritures de la République de Malte. Elles ne trouvent donc pas leur origine dans la nouvelle obligation consacrée par le règlement 2020/1055, mais découlent des choix économiques des opérateurs de mener des opérations de cabotage systématique en dépit d’une claire référence au caractère temporaire de ces activités déjà contenue à l’article 2, point 6, du règlement no 1072/2009 et de la nécessité, soulignée par le Parlement, de mettre leurs opérations en conformité avec la réglementation de l’Union. Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude).

765. Par ailleurs, dès lors que la période de carence oblige seulement les transporteurs à ne pas organiser de transports de cabotage, ces transporteurs pourront prévoir d’autres types de transport de sorte que l’activité économique ne sera pas mise en suspend pendant les quatre jours que dure cette période. En outre, l’analyse d’impact estimait que tout impact des mesures envisagées serait répercuté sur les utilisateurs des services de transport sans que cette répercussion impacte le prix final des marchandises, dont le transport ne constitue, toujours selon l’analyse d’impact, qu’une faible proportion (475).

766. D’un point de vue social, l’analyse d’impact estimait que la réduction à quatre jours de la période pendant laquelle les transports de cabotage sont autorisés et la suppression de la limite maximale de transports de cabotage autorisés pendant cette période, telles que proposées par la Commission, qui étaient supposées entraîner une baisse de 20 % des activités de cabotage (476) n’auraient pas eu d’impact majeur sur le niveau global de l’activité de transports dès lors que cette réduction des activités de cabotage allait permettre un rééquilibrage en faveur des transporteurs nationaux, alors que les transporteurs qui s’adonnaient jusque-là à du cabotage systématique redirigeraient leurs opérations soit vers les transports nationaux dans leur État membre d’établissement soit vers les transports internationaux (477). Il ressort de l’analyse d’impact qu’aucune des mesures envisagées ne devait avoir d’impact sur le nombre d’emplois disponibles dans le secteur du transport routier de marchandises (478). Une telle conclusion peut être transposée en ce qui concerne l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 dès lors que cette disposition ne constitue pas une mesure plus restrictive par rapport à celle proposée et évaluée par la Commission.

767. Enfin, si tant est que l’argument développé par certaines parties requérantes doive s’interpréter comme un reproche adressé au législateur de l’Union de ne pas avoir tenu compte de leur situation particulière, je souhaite formuler trois séries de remarques. Premièrement, selon une jurisprudence itérative, le législateur n’est pas tenu de prendre en considération la situation particulière d’un État membre lorsque l’acte de l’Union concerné a des conséquences dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis, soit assuré et la recherche d’un tel équilibre prenant en considération non pas la situation particulière d’un seul État membre mais celle de l’ensemble des États membres de l’Union ne saurait, par elle-même, être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité (479). Deuxièmement, le législateur est encore moins tenu de prendre en considération la situation particulière d’un État membre lorsque celle-ci repose sur une violation flagrante de la réglementation de l’Union, comme cela résulte de la description par la République de Malte des activités de la plupart de ses transporteurs. Troisièmement, le règlement 2020/1055 n’a pas modifié l’exigence selon laquelle la période de cabotage autorisé ne s’ouvre que s’il y a eu, avant, un transport international justifiant la présence du véhicule sur le territoire de l’État membre d’accueil et se termine par un départ de ce territoire, de sorte que la question de la prise en compte de l’insularité de Malte est sans pertinence dans le cadre d’un recours dirigé contre une disposition introduite par ledit règlement.

768. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les parties requérantes ne sont pas parvenues à établir le caractère manifestement disproportionné de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055. Les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité doivent donc être rejetés comme étant non fondés.

c)      Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1)      Arguments des parties

769. La République de Lituanie soutient, premièrement, que les institutions n’auraient pas dûment évalué la situation du marché des transports dans l’Union ainsi que les particularités géographiques des États membres pertinentes en ce qui concerne ce marché et n’auraient pas dûment tenu compte de la dégradation de la situation économique des transporteurs opérant depuis le centre et la périphérie de l’Union. Il serait établi que l’introduction de la période de carence serait, par exemple, sans effet pour les transporteurs français dès lors que leur part dans le transport de cabotage sur toute l’Union représente moins de 1 %, à l’inverse des transporteurs polonais (qui effectuent 40 % des transports de cabotage pour toute l’Union), roumains (8,8 %) ou lituaniens (9,2 %). L’analyse d’impact estime la baisse du nombre de transports de cabotage à 31 % pour 2035 (480). Chaque jour d’interdiction de cabotage aurait un coût, estimé, par exemple, à 679 euros pour un transporteur belge, soit 96 millions d’euros par an pour l’ensemble du secteur belge. L’introduction de la période de carence aurait pour effet l’éviction du marché en ce qui concerne les transporteurs des États membres périphériques et de petite taille, le morcellement du marché des transports et sa fermeture aux transporteurs établis dans ces États membres.

770. Deuxièmement, la République de Lituanie reproche au Conseil et au Parlement de ne pas avoir tenu compte du fait que le respect d’une période de carence entre deux périodes de cabotage allait affecter le niveau de vie et l’emploi, menaçant 35 000 emplois lituaniens et agrandissant l’écart entre les États membres les moins développés économiquement et ceux plus développés situés en Europe occidentale, dès lors que les premiers emploieraient davantage de personnes dans le secteur des transports que les seconds, ce que n’auraient pas contredit le Conseil et le Parlement. En effet, ces institutions auraient confirmé que l’objectif poursuivi était précisément celui de réduire le volume actuel des opérations des transporteurs établis au centre ou à la périphérie de l’Union.

771. La République de Bulgarie soulève un moyen tiré de la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 90 TFUE en lien avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et l’article 94 TFUE commun à l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et à la période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé. Je renvoie donc ici au point 659 des présentes conclusions pour un résumé des arguments développés par cette partie requérante.

772. La République de Malte, pour sa part, fait grief au Parlement et au Conseil de ne pas avoir initié de débat lors de l’introduction de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 susceptibles d’exposer la réalité de l’impact de cette nouvelle obligation sur les États insulaires comme Malte, fortement tributaires des communications maritimes et d’itinéraires de transport combiné. Le respect de cette obligation aurait pourtant un impact grave sur les transporteurs maltais dès lors qu’ils seraient obligés de paralyser arbitrairement leurs activités. Les lourdes conséquences seraient illustrées par le rapport KPMG (481) : alourdissement des mesures logistiques, augmentation des ressources inemployées et/ou des trajets à vide et donc des coûts, atteinte à l’efficacité des opérations et renforcement de la pression économique sur les opérateurs maltais. En menaçant l’activité du secteur des transports internationaux maltais, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 méconnaît les exigences de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

773. La République de Pologne estime qu’en limitant les opérations de cabotage sur la base d’éléments arbitraires sans tenir compte de la situation des transporteurs établis dans les États membres périphériques de l’Union, le législateur de l’Union a enfreint l’article 91, paragraphe 2, TFUE. Elle renvoie aux arguments développés dans le cadre du moyen tiré d’une violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, de l’article 91, paragraphe 2, TFUE. Elle fait de même en ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 94 TFUE, auquel je renvoie.

774. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

775. Je rappelle qu’il découle des points 281 et suivants des présentes conclusions que l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE exigeraient du législateur de l’Union de tenir compte des paramètres et objectifs spécifiques qu’il poursuivait et supposent une pondération de ces objectifs ainsi que des intérêts en présence lors de l’adoption de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055. Ainsi devait-il tenir compte des effets préjudiciables sur les paramètres énoncés par ces deux dispositions (à savoir, d’une part, le risque d’affectation grave du niveau de vie et l’emploi dans certaines régions et de l’exploitation des équipements de transport et, d’autre part, la situation économique des transporteurs) de l’obligation de respecter une période de carence de quatre jours entre deux périodes pendant lesquelles les transports de cabotage sont autorisés.

776. Il ressort des points 742 et suivants des présentes conclusions que le législateur de l’Union avait à sa disposition les données suffisantes pour connaître la structure du marché des transports et des services de cabotage et pour apprécier l’impact de la mesure envisagée. Comme le fait notamment valoir le Conseil, le caractère profondément déséquilibré du marché des transports ressort déjà clairement de la lecture de la première page de l‘analyse d’impact. Cette analyse fait également état d’effets asymétriques des mesures proposées (482). Je rappelle également que la présence permanente d’un transporteur non‑résident sur le territoire d’un État membre d’accueil pour y prester des services de transports nationaux n’a jamais été admise par le législateur de l’Union qui, à tout le moins dès le règlement 1072/2009, insistait sur le caractère non‑permanent d’une telle activité. Le grief de la République de Lituanie concernant l’absence d’évaluation adéquate de la situation du marché et de ses particularités géographiques, le grief de la République de Malte concernant l’absence de débat et le grief de la République de Pologne concernant le caractère arbitraire des éléments sur lequel le législateur de l’Union se serait fondé doivent être rejetés comme étant non fondés.

777. Par ailleurs, précisément parce que la présence permanente d’un transporteur non‑résident sur le territoire d’un État membre d’accueil pour y prester des services de transports nationaux n’a jamais été admise par le législateur de l’Union, les graves conséquences économiques alléguées ne vont, dans les faits, concerner que les transporteurs qui s’adonnaient à une activité allant clairement au-delà des finalités poursuivies par le règlement no 1072/2009. En outre, comme le fait remarquer le Conseil à propos de l’argument avancé par la République de Lituanie tiré des coûts supplémentaires que devraient supporter les transporteurs belges, la plupart des graves conséquences alléguées repose sur une lecture erronée de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 selon laquelle aucune activité de transports ne serait autorisée pendant la période de carence de quatre jours, ce qui n’est pas le cas (483). De la même manière, l’estimation fournie par la Commission, également invoquée par la République de Lituanie, d’une réduction de 31 % en 2035 des activités de cabotage concerne non pas l’ajout d’une période de carence au régime existant défini par le règlement no 1072/2009, mais, au contraire, l’hypothèse selon laquelle la période pendant laquelle les transports de cabotage sont autorisés serait réduite à quatre jours (au lieu de sept sous l’empire du règlement no 1072/2009) (484).

778. En ce qui concerne l’allégation d’une affectation du niveau de vie et de l’emploi dans certaines régions, les parties requérantes ont souvent fait valoir leur situation individuelle, comme cela est notamment le cas de la République de Malte. Or, selon une jurisprudence déjà abondamment rappelée, le législateur de l’Union n’est pas tenu de prendre en considération la situation particulière d’un État membre dès lors qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence doit être recherché (485). Les conséquences négatives liées à l’obligation de respecter une période de carence de quatre jours sont, par ailleurs, sans rapport avec l’insularité de Malte, comme le rappelle le Parlement et comme je l’ai déjà constaté (486).

779. En outre, il ressort des informations à la disposition du Conseil et du Parlement au moment de légiférer qu’ils ont pu, dans l’exercice de leur large pouvoir d’appréciation en tant que colégislateurs, considéré que les coûts liés à la mise en œuvre de l’obligation de respecter une période de carence de quatre jours, même s’ils devaient être plus lourds pour les transporteurs situés à la périphérie de l’Union, seraient compensés par les avantages socio-économiques qui en découleraient pour toute l’Union. La modification substantielle du modèle de prestation des services de transport routier invoquée par la République de Pologne est précisément l’effet recherché par le législateur de l’Union non pas pour favoriser les transporteurs de l’UE-15 mais pour corriger une tendance du marché à opérer sur la base de structures profondément déséquilibrées. L’analyse d’impact a mis en exergue que l’effet escompté de l’obligation des modifications du régime de cabotage consistait non pas en une réduction de la demande en services de cabotage mais en un redéploiement des services de transport. L’argument de la République de Pologne tiré d’une quelconque incitation à une émigration économique forcée doit être rejeté avec force : la délocalisation n’est pas autre chose que l’expression d’un choix commercial d’une entreprise et l’obligation de respecter une période de carence de quatre jours entre deux périodes pendant lesquelles les transports de cabotage sont autorisés ne constitue en aucune manière une incitation à la délocalisation.

780. En ce qui concerne le grief de la République de Pologne tiré d’une absence de prise en compte du risque d’affectation grave de l’exploitation et des équipements de transport qui découlerait d’une augmentation des trajets à vide dégradant les infrastructures et contribuant à l’augmentation des comportements à risque, force est de constater que l’existence d’un tel risque n’a pas été démontrée. En effet, le lien de causalité entre l’obligation de respecter une période de carence de quatre jours et les éléments invoqués par la République de Pologne apparaît particulièrement ténu et plutôt hypothétique, dès lors qu’il appartiendra à chaque transporteur d’organiser ses activités comme il le souhaite (hors activités de cabotage) pendant cette période.

781. Enfin, en ce qui concerne le reproche formulé par la République de Pologne concernant l’absence de prise en compte par le législateur de l’Union de la pandémie liée au COVID-19, les institutions défenderesses ont utilement rappelé, premièrement, que l’accord politique sur le contenu du règlement 2020/1055 a été trouvé le 12 décembre 2019, soit avant que n’éclate la crise liée à cette pandémie ; deuxièmement, que l’objet de ce règlement n’était pas et ne pouvait donc pas être la gestion de cette crise, qui a fait l’objet d’interventions spécifiques du législateur de l’Union (487), et, troisièmement, que le règlement 2020/1055 ne prévoyait son application qu’à compter du 21 février 2022 (488). Dans ces conditions, le grief tiré de la non‑prise en compte de la situation particulière des transporteurs en raison de la pandémie liée au COVID-19 ne saurait prospérer.

782. Partant, pour l’ensemble des raisons précédemment invoquées, les moyens tirés d’une violation, par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, de l’article 91, paragraphe 2, et/ou de l’article 94 TFUE doivent donc être rejetés comme étant non fondés.

d)      Sur les moyens tirés d’une violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1)      Arguments des parties

783. La République de Lituanie invoque la violation de l’article 26 TFUE et du principe général de non‑discrimination à propos de la période de carence de quatre jours entre deux périodes pendant lesquelles les transports de cabotage sont autorisés, car elle entraverait le fonctionnement du marché intérieur et limiterait l’efficacité des chaînes logistiques. Il en découlerait une réorganisation du marché du transport routier discriminant indirectement les petits États membres périphériques de l’Union et conférant aux grands États membres centraux de l’Union un avantage illégal et injustifié en raison de leur seule position géographique.

784. Premièrement, la période de carence ne contribuerait pas à la réalisation de l’objectif de prévenir les distorsions de concurrence et serait fondamentalement contraire aux principes du libre marché. La République de Lituanie aurait attendu de son appartenance à l’Union, et comme convenu dans le traité relatif à l’adhésion de la République de Lituanie à l’Union, une ouverture du marché du fret routier aux transporteurs établis en Lituanie. La période de carence serait également incompatible avec les objectifs fixés par la Commission dans sa « Feuille de route pour un espace européen unique des transports » (489) de poursuivre la suppression des restrictions en matière de cabotage et ferait obstacle de manière fondamentale au bon fonctionnement du marché unique et à la libre prestation des services dans le secteur des transports en même temps qu’elle constituerait une discrimination indirecte à l’égard des États membres périphériques et de petite taille.

785. Deuxièmement, toutes les restrictions au cabotage dans le secteur aérien auraient été levées afin de stimuler le développement du secteur communautaire des transports aériens et d’améliorer les services offerts aux usagers. Dans le secteur du transport routier, au contraire, l’introduction d’une période de carence contribuerait à un retour en arrière et à une fermeture du marché aux transporteurs non-résidents.

786. Troisièmement, les facteurs naturels n’auraient pas été pris en compte, dont il découlerait une concentration de la demande de transport dans la partie centrale et occidentale de l’Union. La restriction imposée par la période de carence dissuaderait de prester des services là où se trouvent objectivement un plus grand marché et une demande plus forte pour ces services. La redistribution artificielle à laquelle aboutirait la période de carence et la limitation des débouchés commerciaux des transporteurs dans d’autres États membres engendreraient une discrimination indirecte à l’égard des États membres périphériques et de petite taille.

787. Au stade de la réplique, la République de Lituanie précise que la période de carence serait, selon elle, contraire à l’article 26 TFUE dans la mesure où elle abaisserait le niveau de libéralisation déjà atteint, alors même que la Commission avait souligné dans l’analyse d’impact – volet établissement que l’objectif poursuivi était celui d’une simple amélioration de la mise en œuvre des règles et qu’elle aurait rejeté la possibilité d’introduire une période de carence en raison du fait qu’une telle période serait impropre à résoudre les problèmes existants. Elle serait en outre contraire à l’article 4, paragraphe 2, TUE.

788. La Roumanie a développé une argumentation commune à l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et à la période de carence de quatre jours en ce qui concerne l’allégation d’une violation du principe de non‑discrimination en raison de la nationalité prévu par l’article 18 TFUE. Je renvoie donc, pour un résumé de ces arguments, aux points 605 et suivants des présentes conclusions.

789. La République de Malte invoque une violation des articles 20 et 21 de la Charte et du principe de non‑discrimination dans la mesure où la période de carence traite de manière identique des situations différentes en raison de l’insularité de Malte et de son emplacement géographique. Les transporteurs maltais n’auraient aucunement besoin de retourner leurs véhicules à Malte après avoir effectué trois opérations de cabotage et la période de carence les obligerait à se rendre dans un autre État membre ou à suspendre leurs activités. La période de carence imposerait à ces transporteurs une suspension de facto de leurs activités économiques. Les singularités de Malte auraient été ignorées. La République de Malte fait également valoir que la période de carence ne serait pas à considérer comme une mesure technique soumise à des preuves scientifiques complexes et à des choix politiques litigieux justifiant de reconnaître un large pouvoir d’appréciation mais constituerait une règle générale applicable à tous les États membres, tendant à ignorer les particularités géographiques spécifiques d’un État membre donné et de son secteur des transports, imposant des contraintes déraisonnables à la prestation d’un service essentiel et génératrice d’iniquité dès lors qu’elle est imposée à un État membre notoirement empêché, pour des raisons objectives, de s’y conformer. La République de Malte aurait ainsi été traitée par le Parlement et le Conseil, sans raison ni proportion, de façon discriminatoire. En faisant abstraction des effets potentiellement discriminatoires de la période de carence, le Parlement et le Conseil auraient violé les articles 20 et 21 de la Charte et le principe de non‑discrimination. Au stade de la réplique, la République de Malte ajoute qu’il serait manifestement erroné d’appliquer aux transporteurs établis dans un État membre insulaire un traitement identique à celui appliqué aux transporteurs qui ne sont pas tributaires d’un tronçon maritime pour mener à bien leurs opérations, la situation des transporteurs insulaires n’étant pas comparable à celle des transporteurs continentaux.

790. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

791. En ce qui concerne les arguments tirés d’une violation de l’article 26 TFUE invoqués par la République de Lituanie, je renvoie aux points 678 et suivants des présentes conclusions.

792. En ce qui concerne l’argumentation développée par la République de Roumanie, dès lors que celle-ci est commune à celle développée par cette partie requérante dans le cadre du moyen tiré de la violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, des principes d’égalité et de non‑discrimination, je renvoie aux points 609 et suivants des présentes conclusions.

793. En ce qui concerne les arguments de la République de Lituanie tirés, d’une part, d’une fermeture du marché qui serait contraire aux prévisions de l’accord d’adhésion et, d’autre part, à l’incompatibilité de la période de carence avec les prescriptions du livre blanc de la Commission invoqué par cette partie requérante (490), je renvoie au point 618 des présentes conclusions. Quant à l’argument tiré d’un traitement différencié par rapport à celui accordé au secteur du transport aérien et de l’article 4, paragraphe 2, TUE, je renvoie aux points 619 et 624 des présentes conclusions.

794. En ce qui concerne le niveau de contrôle juridictionnel applicable, la République de Malte contestant la reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union en la matière, un tel argument doit être rejeté en renvoyant à la jurisprudence déjà rappelée au point 80 des présentes conclusions.

795. Pour le reste, je rappelle que la mise en place d’une période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé poursuit l’objectif de renforcer le caractère temporaire du cabotage en recherchant un juste équilibre entre l’accès au marché des transports nationaux des transporteurs non‑résidents, qui est encore conditionné en vertu de l’article 91, paragraphe 1, sous b), TFUE, et la protection des transporteurs nationaux exposés à des coûts d’exploitation plus élevés. Il s’agit là d’une mesure qui frappe indistinctement tous les transporteurs de l’Union. Il reste donc à vérifier que le législateur de l’Union n’a pas traité de manière identique des situations différentes.

796. La République de Malte soutient que sa situation particulière d’État insulaire n’aurait pas été prise en compte par le législateur de l’Union. Il doit toutefois être rappelé que ce dernier n’y était pas tenu dès lors que c’est la situation de l’ensemble des États membres composant l’Union qui doit être prise en compte (491). Cette partie requérante soutient également que la période de carence affectera plus gravement les États insulaires et que les transporteurs établis sur le territoire de ces États, dès lors qu’ils sont tributaires d’un tronçon maritime pour mener à bien leurs opérations, ne pourraient pas être traités de la même manière que des transporteurs établis sur le territoire d’un État membre de l’Union « continentale ». À cet égard, dès lors que la période de carence ne fait que renforcer le caractère temporaire des opérations de cabotage par des transporteurs non‑résidents en leur imposant de suspendre leur seule activité de cabotage pendant quatre jours, il est difficile de comprendre comment l’insularité d’un État membre jouerait nécessairement en défaveur des transporteurs établis sur son territoire. Pour les raisons exposées au point 618 des présentes conclusions, il ne saurait être fait grief au législateur de l’Union de ne pas avoir tenu compte des particularités géographiques spécifiques de certains États membres dès lors que les transporteurs qui seront le plus impactés seront, en fait, ceux qui contournaient déjà l’obligation de respecter le caractère temporaire des opérations de cabotage. En outre, une partie de l’argumentation de la République de Malte repose sur une lecture erronée de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 dès lors que celui-ci n’implique pas une obligation de retour du véhicule à Malte.

797. L’argument de la République de Lituanie tiré de l’absence de prise en compte des facteurs naturels du marché et de la répartition de l’offre et de la demande sur ce dernier doit également être rejeté pour des raisons similaires. Dès lors que les transports nationaux ne sont pas complètement libéralisés, l’on comprend mal pourquoi les transporteurs établis dans un État membre « éloigné » du marché national dans lequel ils souhaitent opérer ne devraient pas être, eux aussi, soumis à une condition dont l’objectif est de garantir le caractère temporaire des opérations de cabotage. De la même manière, l’argument tiré d’une prétendue redistribution artificielle du marché et d’une limitation des débouchés commerciaux alléguée pour les transporteurs établis dans un État membre « périphérique » ou « petit » ne convainc pas. D’une part, se pose de nouveau la question de la définition de tels États (492). D’autre part, le caractère temporaire des opérations de cabotage était déjà induit par le règlement no 1072/2009, ce qui n’a manifestement pas empêché ces États d’accéder au marché « central ». Enfin, pour éviter le traitement différencié à l’égard des transporteurs non‑résidents qui est conforme au droit primaire, les transporteurs ont toujours la possibilité de faire plein usage de leur liberté d’établissement pour s’installer de manière stable et effective sur le territoire d’un autre État membre.

798. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, les moyens tirés d’une violation des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination doivent être rejetés comme étant non fondés.

e)      Sur les moyens tirés d’une violation des articles 26, 34 à 36 et de l’article 58, paragraphe 1, TFUE

1)      Arguments des parties

799. La République de Lituanie invoque la violation de l’article 26 TFUE à propos de la période de carence de quatre jours entre deux périodes pendant lesquelles les transports de cabotage sont autorisés, car elle entraverait le fonctionnement du marché intérieur et limiterait l’efficacité des chaînes logistiques. La période de carence serait fondamentalement contraire aux principes du libre marché et ferait obstacle de manière fondamentale au bon fonctionnement du marché unique et à la libre prestation des services dans le secteur des transports.

800. La République de Bulgarie soutient que la période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé restreint considérablement la liberté des transporteurs de fournir des services de transport que leur garantit la politique commune des transports, ce qui serait source d’inquiétude compte tenu de la nature intrinsèquement transitoire des restrictions imposées au transport de cabotage. Elle violerait l’article 58, paragraphe 1, TFUE en lien avec l’article 91 TFUE. Le Conseil et le Parlement auraient manqué à leur obligation d’assurer l’application des principes de liberté des prestations de services à travers la politique commune des transports. Si la Cour devait le juger pertinent, la République de Bulgarie conclut également à une violation de l’article 56 TFUE. La restriction de la libre prestation de services de transport que constituerait la période de carence de quatre jours ne saurait être justifiée. Dès lors que le Parlement a admis que le transport international était complètement libéralisé, la position de cette institution consistant à soutenir que les règlements régissant les conditions de la libéralisation de ce secteur ne peuvent pas violer la libre prestation des services devrait être rejetée.

801. Par ailleurs, la République de Bulgarie soutient que l’introduction d’une période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé aurait de graves conséquences qui affecteraient la libre circulation des biens et donc des effets équivalant à des restrictions quantitatives prohibées en vertu des articles 34 à 36 TFUE.

802. Le Parlement et le Conseil ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ces moyens.

2)      Analyse

803. En ce qui concerne le grief tiré d’une violation de l’article 26 TFUE, je rappelle que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne saurait être examiné à l’aune de cette seule disposition (493). La République de Lituanie fait valoir que l’instauration d’une période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé traiterait de manière moins favorable les petits États membres de la périphérie de l’Union. Je renvoie ici à mon analyse de ces arguments dans le cadre de la partie dédiée aux principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination (494). Quant à l’argument de cette partie requérante selon lequel la période de carence serait constitutive d’une entrave au marché intérieur et contraire à ces principes, et ferait obstacle au bon fonctionnement du marché unique et à la libre prestation de services de transport, il méconnaît manifestement la portée de l’article 91, paragraphe 1, sous b), TFUE.

804. S’agissant des transports de cabotage, c’est-à-dire de l’accès au marché des transports nationaux, le traité lui-même admet un traitement différencié entre transporteurs résidents et transporteurs non‑résidents. Or, l’article 2, point 4), sous a), du règlement 2020/1055 a précisément pour objet de soumettre les transporteurs non‑résidents à une nouvelle exigence afin de s’assurer du caractère temporaire des activités de cabotage (495), conformément à la définition qui en est donnée à l’article 2, point 6), du règlement no 1072/2009, que le règlement 2020/1055 n’a pas modifié.

805. La restriction à la liberté des transporteurs de fournir des services de transport dont se plaint la République de Bulgarie découle, en fait, du règlement no 1072/2009 et, encore plus en amont, du droit primaire qui autorise le législateur de l’Union à prévoir un régime différencié.

806. Je relève que l’argument de la République de Bulgarie tiré de la position du Parlement méconnaît la différence fondamentale entre transports internationaux et transports nationaux. Ainsi, même si le Parlement considère que les transports internationaux sont complètement libéralisés, un tel constat ne s’applique manifestement pas aux transports nationaux, qui sont eux au cœur des activités de cabotage.

807. En ce qui concerne le grief fondé sur une violation des articles 34 à 36 TFUE, de nouveau (496), la République de Bulgarie se contente d’allégations générales et peu précises. En tout état de cause, les prétendus effets restrictifs de la période de carence de quatre jours entre deux périodes de cabotage autorisé apparaissent clairement trop aléatoires et trop indirects (497) pour pouvoir conclure à une violation de ces dispositions.

808. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, les moyens tirés d’une violation des articles 26, 34 à 36 et de l’article 58, paragraphe 1, TFUE doivent être rejetés comme étant non fondés.

f)      Conclusion

809. Les recours de la République de Lituanie (C‑542/20), de la République de Bulgarie (C‑545/20), de la Roumanie (C‑547/20) (498), de la République de Malte (C‑552/20) et de la République de Pologne (C‑554/20), en ce qu’ils sont dirigés contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, sont rejetés.

4.      Sur la possibilité de soumettre les opérations de transports combinés à une période de carence [article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 en ce qu’il ajoute un paragraphe 7 à l’article 10 du règlement no 1072/2009 ou la « clause de sauvegarde »] 

810. La République de Pologne est la seule à contester la légalité de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 qui ajoute un paragraphe 7 à l’article 10 du règlement no 1072/2009. Elle soulève, à cet égard, trois moyens : le premier, tiré de la violation du principe de proportionnalité ; le deuxième, tiré d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, et le troisième, tiré d’une violation de l’article 94 TFUE. En outre, au travers du moyen commun développé de manière transversale à l’encontre de toutes les dispositions du règlement 2020/1055 attaquées dans le cadre de son recours dans l’affaire C‑554/20, la République de Pologne conclut à une violation de l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte.

811. L’article 10, paragraphe 7, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, prévoit que, par dérogation à l’article 4 de la directive 92/106 (499), les États membres peuvent, lorsque cela est nécessaire pour éviter une utilisation abusive de cette disposition par la fourniture de services illimités et continus consistant en des trajets routiers initiaux ou terminaux effectués dans un État membre d’accueil dans le cadre d’opérations de transport combinés entre États membres, prévoir que l’article 8 du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, s’applique aux transporteurs lorsqu’ils effectuent de tels trajets initiaux et/ou terminaux au sein dudit État membre, étant entendu que les États membres peuvent prévoir une période pendant laquelle le cabotage est autorisé plus longue que le délai de sept jours prévu par cette disposition et une période de carence plus courte que celle de quatre jours prévue audit article 8.

a)      Sur le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité

1)      Arguments des parties

812. En ce qui concerne le premier moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité, la République de Pologne soutient que la limitation des opérations de cabotage dans le transport combiné serait constitutive d’un renversement des acquis de la libéralisation en matière de prestation de services qui aurait permis, jusque-là, d’effectuer sans limite, à condition de respecter les conditions d’accès à la profession et au marché, des trajets routiers initiaux et/ou terminaux faisant partie intégrante du transport combiné en vertu de l’article 4 de la directive 92/106. Une telle limitation reposerait sur des critères arbitraires, ne serait pas justifiée par les objectifs prétendument poursuivis par le règlement 2020/1055 et aurait des conséquences négatives démesurées par rapport aux effets bénéfiques éventuels escomptés.

813. Le considérant 22 du règlement 2020/1055 ferait référence au dumping social mais il n’existerait aucun élément objectif susceptible de justifier d’assimiler les différences de développement économique entre les États membres et les écarts salariaux qui en découlent avec le dumping social, c’est-à-dire une activité pratiquée en dessous des coûts. La marge de manœuvre considérable laissée aux États membres permettrait aux États membres où la demande de services de transport est la plus concentrée de généraliser le recours à la clause de sauvegarde et d’ainsi durcir les conditions de cabotage prévues à l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009, lequel revêtirait déjà un caractère disproportionné selon la République de Pologne, exposant ainsi les transporteurs des États membres ayant un niveau de développement économique plus faible, constitués le plus souvent sous la forme de PME, à des conséquences négatives fondamentales, découlant de la limitation des opérations de cabotage, comme la faillite. L’analyse d’impact n’aurait pas pris en compte la disposition consacrant la clause de sauvegarde et la Commission aurait exprimé des doutes à son sujet (500). L’objectif de la directive 92/106 serait, selon son article 3, de lutter contre l’encombrement des routes et la pollution. L’introduction d’une dérogation telle que la clause de sauvegarde nuirait aux infrastructures routières et à l’environnement dès lors qu’il serait notoire que le cabotage contribuerait à la réduction du nombre de trajets à vide et optimiserait l’exploitation du parc de véhicules des transporteurs. Le législateur n’aurait pas tenu compte de ces effets négatifs, et la lutte contre le dumping social ne pourrait justifier une telle limitation à la libre prestation des services de cabotage. Le législateur n’aurait pas pris en considération la situation des transporteurs établis à la périphérie de l’Union. La Commission aurait élaboré une étude de l’incidence de la restriction du cabotage sur le transport combiné (501) dont il ressortirait que 8 % des opérations rail/route pourraient être transférés vers la route et qu’une baisse de 5 % de l’emploi dans ce secteur pourrait être attendue. Enfin, la République de Pologne considère que le recours au cabotage était déjà limité dans la législation préexistante et précise qu’elle s’oppose non pas à la lutte contre les éventuels abus, mais à l’imposition de nouvelles restrictions à l’exercice d’opérations légales de cabotage, y compris dans les transports combinés.

814. Le Parlement et le Conseil concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

815. Je relève que cette mesure n’a pas fait l’objet, en tant que telle, de l’analyse d’impact dédiée à la proposition de modification du règlement no 1072/2009 contenue dans le règlement 2020/1055 et ne faisait pas partie des mesures figurant dans la proposition de règlement de la Commission. Toutefois, comme l’a fait valoir le Conseil, la Commission avait proposé en 2017 une modification de la directive 92/106 (502), soit quelques mois après avoir présenté sa proposition de modification des règlements noos1071/2009 et 1072/2009. Bien que le considérant 16 du règlement no 1072/2009 précise que « [l]es trajets nationaux par route effectués dans un État membre d’accueil qui ne font pas partie d’un transport combiné tel qu’il est défini dans la directive [92/106] entrent dans la définition des transports de cabotage et devraient, par conséquent, être soumis aux exigences du [règlement no 1072/2009 »], la Commission a estimé que la définition des transports combinés de marchandises était « ambiguë et peu claire » (503) et en a proposé une clarification. La Commission a également indiqué tenir compte du fait que certaines parties prenantes considéraient que la directive 92/106 ouvrait la porte à un contournement des règles du cabotage, du fait de la difficulté à prouver que l’opération fait partie d’un transport combiné international. Des difficultés tenant à la transposition de l’article 4 de la directive 92/106 et de la non‑application des règles sur le cabotage aux opérations de transport combiné avaient déjà été évoquées lors de l’évaluation ex-post REFIT de la directive 92/106 (504). Vingt-deux États membres exemptaient alors totalement ces opérations du respect des règles sur le cabotage alors que cinq États membres appliquaient les restrictions relatives au cabotage aux opérations de transport combiné (505).

816. Il ressort de ces éléments que, au moment d’adopter la clause de sauvegarde constituée par l’article 10, paragraphe 7, du règlement no 1072/2009, l’attention du législateur de l’Union avait déjà été attirée sur les difficultés d’articulation entre les règles prévues par ce règlement et l’article 4 de la directive 92/106, comme en témoigne également le considérant 22 du règlement 2020/1055. Ce dernier exprime clairement le souci du législateur de l’Union que la libéralisation plus poussée prévue à l’article 4 de la directive 92/106 ne soit pas utilisée de manière abusive alors que, dans certaines parties de l’Union, cette disposition a été utilisée pour « détourner la nature temporaire du cabotage et permettre la présence permanente des véhicules dans un État membre autre que celui d’établissement de l’entreprise ». Il ressort de la lecture de ce considérant que la lutte contre le dumping social n’est pas l’objectif poursuivi, dès lors que ledit considérant ne qualifie pas la concurrence découlant de cette utilisation abusive de l’article 4 de la directive 92/106 comme dumping social, mais se borne à évoquer le risque de conduire à un tel dumping. Ainsi, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, le législateur de l’Union n’a pas considéré que les écarts de développement économique entre les États membres de l’Union et les écarts salariaux qui en découlent sont constitutifs de dumping social. En revanche, le législateur de l’Union a constaté l’existence de pratiques déloyales qui ont, par ailleurs, pour effet de contourner la réglementation en matière de cabotage et estimé qu’une action était nécessaire pour clarifier ce point et rendre cohérente ladite réglementation.

817. L’article 10, paragraphe 7, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, poursuit un objectif légitime. Reste à vérifier que cette disposition est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. À cet égard, force est de constater que cet article 10, paragraphe 7 instaure une faculté pour les États membres d’avoir recours à une clause de sauvegarde dans des conditions bien déterminées. Cette faculté ne sera exercée qu’en présence d’un risque identifié de recours abusif à l’article 4 de la directive 92/106. La mesure de sauvegarde va consister en la soumission des transports combinés au régime prévu à l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, étant entendu que le législateur offre la possibilité aux États membres de prévoir un régime plus favorable : la période pendant laquelle le cabotage est autorisée peut-être plus longue et la période de carence pendant laquelle le cabotage n’est plus possible peut être plus courte que celle prévue audit article 8, paragraphe 2 bis. Chaque État membre est donc en mesure d’adapter sa réponse face à l’intensité du problème rencontré, dans des conditions, le cas échéant, tout au plus aussi restrictives que ce qui est prévu pour les transports non combinés.

818. Lors de l’audience, les institutions défenderesses ont informé la Cour que trois États membres avaient fait part à la Commission de leur intention de mettre en œuvre la clause de sauvegarde prévue par l’article 10, paragraphe 7, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055. S’agissant d’une mesure facultative, ses effets réels sont donc particulièrement difficiles à estimer (506) mais, quand bien même tous les États membres souhaiteraient y avoir recours, la mise en œuvre d’une telle clause nécessite le respect d’un certain nombre de conditions agissant comme autant de garde-fous face à l’éventuelle tentation protectionniste de tel ou tel autre État membre. La clause de sauvegarde telle qu’elle est formulée par ledit article 10, paragraphe 7, apparaît dès lors propre à réaliser l’objectif poursuivi sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

819. Partant, et pour l’ensemble des raisons qui précèdent, le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité doit être rejeté comme étant non fondé.

b)      Sur les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1)      Arguments des parties

820. En ce qui concerne le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE et le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 94 TFUE, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la République de Pologne réitère son argumentation développée dans le cadre des moyens tirés de la violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, en particulier en ce qui concerne l’incidence négative de la clause de sauvegarde sur l’exploitation des équipements de transport. Par rapport à la violation alléguée de l’article 94 TFUE, la République de Pologne fait valoir que l’expression « dumping social » sous-tendant la disposition attaquée témoignerait également de l’absence de prise en compte de la situation des transporteurs situés dans les États membres à la périphérie de l’Union et soutient que la volonté d’assurer une égalité absolue entre les conditions de concurrence serait logiquement contraire à la notion de concurrence elle-même. Les efforts du législateur de l’Union pour limiter la participation des entreprises établies dans les États membres moins développés à la fourniture des services de cabotage témoigneraient de l’absence de prise en considération, au regard du droit de la concurrence, de la situation économique des entreprises.

821. Le Parlement et le Conseil concluent au rejet de ces moyens.

2)      Analyse

822. En se contentant de réitérer son argumentation développée dans le cadre des moyens tirés de la violation, par l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, la République de Pologne n’a pas établi en quoi, envisagée isolément, la seule possibilité reconnue aux États membres de soumettre les transports combinés à l’obligation de respecter une période de carence serait de nature à affecter gravement le niveau de vie et de l’emploi dans certaines régions ou l’exploitation des équipements de transport (article 91, paragraphe 2, TFUE), ou constituerait une « mesure dans le domaine des prix et conditions de transport » dont l’adoption aurait nécessité qu’il ait été tenu compte de la situation des transporteurs (article 94 TFUE).

823. En ce qui concerne l’affectation grave du niveau de vie et de l’emploi et de l’exploitation des équipements de transport, de tels griefs doivent être rejetés dès lors qu’il a déjà été établi que l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 n’a consacré qu’une simple faculté pour les États membres dont l’exercice est assorti de conditions claires et précises. Au jour de l’audience, seuls trois États membres avaient, selon les déclarations des institutions défenderesses, manifesté leur intention de mettre en œuvre cette faculté. L’augmentation du nombre des parcours à vide, la surcharge des infrastructures routières et leur détérioration, invoquées par la République de Pologne, ne sont que des spéculations sans fondement dès lors que l’on considère la portée réelle de cette disposition.

824. En ce qui concerne la prise en compte de la situation des transporteurs, si tant est que l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 ait consacré une mesure relative aux conditions de transport, il y a lieu de constater qu’il découle des points 815 et 816 des présentes conclusions que le législateur de l’Union était suffisamment informé sur les tenants et les aboutissants d’une clarification des règles applicables aux transports combinés afin de garantir que ces derniers ne soient pas utilisés pour contourner le caractère temporaire assigné aux opérations de cabotage par le règlement no 1072/009 et qu’il a précisément, dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation qui est le sien, pris en compte la situation de tous les transporteurs.

825. Enfin, en ce qui concerne l’argument tiré de la référence au dumping social contenue au considérant 22 du règlement 2020/1055, je renvoie au point 816 des présentes conclusions. Quant à l’argument selon lequel le législateur de l’Union déploierait ses efforts dans le but de limiter la participation des entreprises établies dans les États membres moins développés à la fourniture des services de cabotage, il y a, de nouveau, lieu de rappeler que les seules entreprises visées par l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 sont celles qui, en ayant recours aux transports combinés, en profitaient pour contourner l’interdiction du cabotage systématique et que la seule intention du législateur de l’Union est de fournir au marché les instruments nécessaires pour en corriger les éventuels dysfonctionnements.

826. Les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE doivent être rejetés comme étant non fondés.

c)      Sur le moyen tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1)      Arguments des parties

827. Au travers du moyen commun développé de manière transversale pour toutes les dispositions attaquées du règlement 2020/1055 dans le cadre de son recours dans l’affaire C‑554/20, la République de Pologne soutient que l’article 2, point 5, sous b), dudit règlement viole l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte et entrerait en contradiction avec le pacte vert pour l’Europe. Elle soutient qu’il ressortirait de l’étude Ricardo de 2021 et de l’étude portant sur la disposition introduisant une restriction à la fourniture des services de cabotage dans le cadre des opérations de transport combiné (507) une confirmation, à la fois, du fait que l’impact sur l’environnement de cette dernière disposition n’avait pas été analysée au moment de son adoption, et du caractère négatif de cet impact.

828. Le Conseil et le Parlement concluent, pour leur part, au rejet de l’ensemble de ces moyens comme étant non fondés.

2)      Analyse

829. Je rappelle que le nouveau paragraphe 7 introduit par le règlement 2020/1055 à l’article 10 du règlement no 1072/2009 prévoit la possibilité pour les États membres, lorsque cela est nécessaire pour éviter une utilisation abusive de l’article 4 de la directive 92/106 par la fourniture de services illimités et continus consistant en des trajets routiers initiaux ou terminaux effectués dans un État membre d’accueil dans le cadre d’opérations de transports combinés entre États membres, de prévoir que l’article 8 du règlement no 1072/2009 définissant les principes généraux du cabotage s’applique également aux opérations de transport combiné, étant entendu que les États membres peuvent prévoir une période plus longue que le délai de sept jours pendant laquelle le cabotage est autorisé à la suite d’un transport international et une période plus courte que le délai de carence de quatre jours pendant lequel les opérations de cabotage sont interdites (508). Les États membres qui choisissent de mettre en œuvre à l’égard des transports combinés la procédure de sauvegarde prévue par l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055, doivent préalablement en informer la Commission et sont tenus de réexaminer les mesures adoptées à cette fin au moins tous les cinq ans. Ils ont également une obligation de publication de ces mesures.

830. Le nouveau paragraphe 7 de l’article 10 du règlement no 1072/2009 a donc pour effet immédiat de permettre aux États membres, selon leur appréciation mais en vue d’atteindre une finalité bien déterminée, d’étendre l’application du délai de carence pendant lequel les transporteurs doivent s’abstenir des opérations de transport internes à l’État membre sur le territoire duquel ils sont arrivés (509). Lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour, les institutions défenderesses ont indiqué que seuls trois États membres avaient, au jour de l’audience, informer la Commission de leur intention d’utiliser cette possibilité. Le fait que ledit paragraphe 7 consacre une telle faculté, dont on ne peut savoir à l’avance dans quelle mesure elle sera mise en œuvre, et laisse aux États membres une certaine latitude quant à la définition des conditions de cette limitation au cabotage, rend l’examen à l’aune de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte plutôt incertain (510). Néanmoins, cette nouvelle disposition illustre, au regard des problèmes identifiés et de la solution législative proposée, l’exercice de mise en balance des intérêts divergents par le législateur de l’Union en permettant une réponse différenciée à un problème qui ne se pose pas avec la même intensité partout dans l’Union.

831. En tout état de cause, je renvoie aux points suivants des présentes conclusions : sur la question de la portée de l’article 37 de la Charte, point 565 ; sur la portée de l’examen au titre de l’article 11 TFUE, aux points 567 et suivants; sur le grief tiré de l’absence d’analyse d’impact, point 570; sur le grief tiré d’une contradiction avec les objectifs poursuivis par le pacte vert pour l’Europe, point 594, et sur le grief tiré du caractère probant des études menées après l’adoption de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, point 580.

832. Partant, le moyen tiré d’une violation, par l’article 2, point 5) sous b), du règlement 2020/1055, de l’article 11 TFUE, de l’article 37 de la Charte, et d’une contradiction avec les objectifs du pacte vert pour l’Europe doit être rejeté comme étant non fondé.

d)      Conclusion 

833. Le recours de la République de Pologne dans l’affaire C‑554/20, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, est rejeté.

5.      Conclusion sur les recours concernant le règlement 2020/1055

834. Au vu de l’analyse qui précède, je propose à la Cour d’accueillir, dans la mesure où ils visent l’annulation de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 en ce qu’il modifie l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1071/2009, le recours de la République de Lituanie dans l’affaire C-542/20, le recours de la République de Bulgarie dans l’affaire C-545/20, le recours de la République de Roumanie dans l’affaire C-547/20, le recours de la République de Hongrie dans l’affaire C-551/20, le recours de la République de Malte dans l’affaire C-552/20 et le recours de la République de Pologne dans l’affaire C-554/20. Il y a lieu d’accueillir intégralement le recours de la République de Chypre dans l’affaire C-549/20.

D.      Sur la directive 2020/1057

1.      Observations liminaires

835. Les recours de six États membres, à savoir la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑544/20), la Roumanie (affaire C‑548/20), la République de Chypre (affaire C-550/20), la Hongrie (affaire C‑551/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) visent la directive 2020/1057. Ces États membres demandent à la Cour d’annuler soit ladite directive dans son intégralité (à titre principal ou à titre subsidiaire) soit certaines dispositions de celle-ci.

836. Ainsi, premièrement, par leurs recours, la République de Bulgarie et la République de Chypre demandent à la Cour d’annuler la directive 2020/1057 dans son intégralité.

837. Deuxièmement, les recours de la République de Lituanie, de la Roumanie, de la Hongrie et de la République de Pologne visent l’annulation de l’article 1er de la directive 2020/1057, concernant les règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs. Plus précisément, la Hongrie demande à titre principal l’annulation de l’intégralité de cet article ; la République de Lituanie, la Roumanie et la République de Pologne, ainsi que la Hongrie à titre subsidiaire, demandent – comme il sera spécifié plus dans le détail au point 869 ci‑dessus l’annulation de certains paragraphes de cet article. À titre subsidiaire, la République de Lituanie, la Roumanie et la République de Pologne, demandent d’annuler l’intégralité de la directive 2020/1057.

838. Enfin, troisièmement, la République de Pologne demande l’annulation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057, concernant le délai de transposition de cette directive.

839. Avant d’analyser les différents moyens soulevés par lesdits six États membres au soutient de leurs recours, il convient, d’abord, à titre liminaire, de présenter les dispositions de la directive 2020/1057 et, en particulier, celles concernant les règles spécifiques relatives au détachement des conducteurs, énoncées à l’article 1er de celle-ci. Ensuite, il sera aussi nécessaire, toujours à titre liminaire, de clarifier la portée des recours de la République de Bulgarie et de la République de Chypre, respectivement dans les affaires C‑544/20 et C-550/20.

a)      Sur la directive 2020/1057 et sur la réglementation y prévue relative au détachement des conducteurs

840. Ainsi qu’il ressort de son titre, la directive 2020/1057 vise, en substance, à réglementer deux sujets principaux : premièrement, elle établit des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE (511) et la directive 2014/67/UE (512) pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier ; deuxièmement, elle modifie, quant aux exigences en matière de contrôle, la directive 2006/22/CE (513) établissant les conditions minimales à respecter en matière de législation sociale relative aux activités de transport routier, ainsi que le règlement 1024/2012 (514) concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur. Les recours en cause des six États membres ne concernant pas le deuxième sujet visé par la directive 2020/1057, il convient de se concentrer l’analyse sur le premier.

841. Ainsi qu’il ressort de son paragraphe 1, l’article 1er de la directive 2020/1057 instaure des règles spécifiques en ce qui concerne le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et certains aspects relatifs aux exigences administratives et aux mesures de contrôle quant au détachement de ces conducteurs.

842. Le premier considérant de ladite directive expose que l’instauration de telles règles spécifiques vise à « garantir des conditions de travail et une protection sociale satisfaisantes aux conducteurs, d’une part, et des conditions adéquates pour les entreprises et de concurrence loyale pour les transporteurs par route (…) d’autre part », afin de « créer un secteur du transport routier sûr, efficace et socialement responsable ». Ces règles sectorielles sont ainsi finalisées à « garantir un équilibre entre la libre prestation de services transfrontaliers pour les opérateurs, la libre circulation des marchandises, des conditions de travail satisfaisantes et la protection sociale des conducteurs », en tenant compte « du degré élevé de mobilité de la main-d’œuvre dans le secteur du transport routier ».

843. Ainsi que je l’ai relevé aux points 38 à 51 précédents, le secteur du transport et caractérisé par des aspects spéciaux, dont un, parmi les plus importants, est l’extrême mobilité de la main-d’œuvre. Ainsi, dans ce secteur, contrairement à ce qui se passe parfois dans d’autres secteurs, les travailleurs, à savoir les conducteurs, ne sont généralement pas détachés dans un autre État membre dans le cadre de contrats de service pour de longues périodes (515), mais ils exercent une profession caractérisée par une mobilité presque continue.

844. Dans ces conditions, comme exposé au huitième considérant de la directive 2020/1057, au vu des particularités du secteur du transport routier, les règles sectorielles établies par cette directive 2020/1057 visent à préciser dans quelles circonstances les conducteurs ne sont pas soumis aux règles générales relatives au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, établies par la directive 96/71, qui s’appliquent, en principe, dans tout secteurs économique (516).

845. Il ressort du neuvième considérant de la directive 2020/1057 que le législateur de l’Union a décidé de fonder ces règles sectorielles en matière de détachement sur le critère de l’existence d’un « lien suffisant » rattachant le conducteur et le service fourni au territoire d’un État membre d’accueil. À cette fin, « pour faciliter l’application de ces règles » sectorielles, le législateur a fait la distinction entre les « différents types d’opérations de transport en fonction du degré de rattachement au territoire de l’État membre d’accueil ».

846. C’est ainsi que l’article 1er de la directive 2020/1057, à ses paragraphes 3 à 7, lus à la lumière des considérants 7 à 13 de cette directive, établit une différenciation, aux fins de la détermination d’un détachement de conducteurs, entre cinq types d’opérations de transport routier international, et spécifiquement, entre: les opérations de transport bilatérales, le transit, le transport combiné, le cabotage, les opérations de transport international non bilatérales (aussi appelées « transport tiers ».

847. En ce qui concerne, en premier lieu, les opérations de « transport bilatérales », il s’agit d’opérations de transport depuis l’État membre où l’entreprise de transport est établie jusqu’au territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers ou, inversement, d’opérations de transport depuis un État membre ou un pays tiers jusqu’à l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport (517).

848. Aux termes de l’article 1er, paragraphes 2, premier alinéa, et 3, premier alinéa, de la directive 2020/1057, lorsqu’il effectue des opérations de transport bilatérales, respectivement, de marchandises ou de voyageurs, un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive 96/71.

849. Le dixième considérant de la directive 2020/1057 explique, en effet, que « lorsqu’un conducteur effectue des opérations de transport bilatérales la nature du service est étroitement liée à l’État membre d’établissement. Un conducteur peut effectuer plusieurs opérations de transport bilatérales au cours d’un seul voyage. Si les règles en matière de détachement et, par conséquent, les conditions de travail et d’emploi garanties dans l’État membre d’accueil s’appliquaient à ces opérations bilatérales, cela constituerait une restriction disproportionnée à la liberté de fournir des services de transport routier transfrontaliers ».

850. Dans des alinéas ultérieurs desdits paragraphes 2 et 3 de son article 1er, la directive 2020/1057, prévoit ensuite des exemptions pour des activités supplémentaires, tant pour les opérations de transport bilatérales de marchandises que pour les opérations de transport bilatérales de voyageurs (518).

851. En ce qui concerne, en deuxième lieu, le transit, il s’agit d’opérations de transport dans lesquelles le conducteur traverse le territoire d’un État membre sans effectuer de chargement ou de déchargement de marchandises et sans prendre ou déposer des voyageurs(519). En raison de l’absence de lien significatif entre les activités du conducteur et l’État membre de transit (520), l’article 1, paragraphe 5, de la directive 2020/1057 dispose que lorsqu’il transite sur le territoire d’un État membre sans effectuer de chargement ou de déchargement de marchandises et sans prendre ni déposer de voyageurs un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive 96/71.

852. En ce qui concerne, en troisième lieu, le transport combiné, ce type de transport est défini à l’article 1er, deuxième alinéa, de la directive 92/106/CEE (521), à laquelle la directive 2020/1057 se réfère explicitement. Il s’agit, en substance, d’opérations de transport de marchandises entre États membres dans lesquelles le camion ou l’autre moyen de transport de la marchandise lié au camion, utilise la route pour la partie initiale ou terminale du trajet et, pour l'autre partie, le chemin de fer ou une voie navigable, ou un parcours maritime (522).

853. Pour ce type d’opération de transport, ainsi qu’il ressort du douzième considérant de la directive 2020/1057, le législateur a considéré que « lorsqu’un conducteur effectue une opération de transport combiné, la nature du service fourni durant le trajet routier initial ou final est étroitement liée à l’État membre d’établissement si le trajet routier, pris isolément, est une opération de transport bilatérale. En revanche, lorsque l’opération de transport durant le trajet routier est effectuée dans l’État membre d’accueil ou à titre d’opération de transport international non bilatérale, il existe un lien suffisant avec le territoire d’un État membre d’accueil et les règles en matière de détachement devraient donc s’appliquer ».

854. C’est ainsi que le paragraphe 6, de l’article 1er de la directive 2020/1057 dispose qu’un conducteur n’est pas considéré comme détaché lorsqu’il effectue le trajet routier initial ou final d’une opération de transport combiné, si le trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales.

855. En ce qui concerne, en quatrième lieu, le cabotage, ainsi qu’il ressort des points 742 et suivants des présentes conclusions, le règlement n° 1072/2009 définit, en son considérant 5, les transports de cabotage comme « la prestation de service par un transporteur dans un État membre dans lequel il n’est pas établi » (523) et les autorise en principe « aussi longtemps qu’ils ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue au sein de cet État membre » (524). Pour ce faire, la fréquence des transports de cabotage et la durée pendant laquelle ils peuvent être effectués ont été définies plus clairement à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 1072/2009 avant sa modification, dans les conditions examinées plus haut (525), par le règlement 2020/1055.

856. Il ressort du treizième considérant de la directive 2020/1057 que le législateur a considéré que lorsqu’un conducteur effectue des transports de cabotage, il existe un lien suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil puisque toute l’opération de transport se déroule dans cet État membre et que le service est donc étroitement lié au territoire de cet État membre.

857. C’est ainsi que, le paragraphe 7, de l’article 1er, de la directive 2020/1057, prévoit que, lorsqu’un conducteur effectue un transport de cabotage, il est considéré comme détaché en vertu de la directive 96/71.

858. En ce qui concerne, en cinquième lieu, les opérations de transport international « non bilatérales» (aussi appelés « transport tiers »), il ressort du treizième considérant de la directive 2020/1057 qu’elle sont caractérisées par le fait que le conducteur effectue un transport international en dehors de l’État membre d’établissement de l’entreprise d’envoi. Il s’agit donc d’opérations de transport depuis un État membre diffèrent de l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport ou depuis un pays tiers, jusqu’au territoire d’un autre État membre lui aussi diffèrent dudit État membre d’établissement ou jusqu’au territoire d’un pays tiers.

859. Dans ledit treizième considérant le législateur a exposé que lorsqu’un conducteur effectue des opérations de transport international non bilatérales, dès lors que ce type d’opérations est caractérisée par le fait que le conducteur effectue un transport international en dehors de l’État membre d’établissement de l’entreprise d’envoi, les services fournis ont un lien avec les États membres d’accueil concernés plutôt qu’avec l’État membre d’établissement. Le législateur a ainsi considéré que dans ces cas, des règles sectorielles ne sont requises qu’en ce qui concerne les exigences administratives et les mesures de contrôle. Par conséquent, contrairement à ce qui est le cas pour les autres types d’opérations de transport susmentionnés, en ce qui concerne le transport tiers, la directive 2020/1057 ne prévoit dans son article 1er aucun paragraphe qui règle normativement le détachement des conducteurs pour ce type d’opération de transport.

b)      Sur la portée des recours de la République de Bulgarie et de la République de Chypre, respectivement dans les affaires C544/20 et C-550/20

860. À titre liminaire, il convient encore, de clarifier la portée des recours dans les affaires C‑544/20 et C‑550/20 – recours qui sont quasiment identiques – introduits par la République de Bulgarie et par la République de Chypre. Dans ces recours ces deux États membres demandent à la Cour d’annuler la directive 2020/1057 dans son intégralité.

861. Le Parlement et le Conseil soutiennent, toutefois, que les recours de ces deux États membres soulèvent des arguments visant uniquement l’article 1er de ladite directive et ne concerne le reste de celle-ci.

862. À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence qu’une annulation intégrale d’un acte contesté ne saurait être retenue lorsqu’il apparaît de toute évidence qu’un moyen, visant uniquement un aspect spécifique de cet acte, n’est susceptible d’asseoir qu’une annulation partielle. En effet, le seul fait qu’il considère fondé un moyen invoqué par la partie requérante au soutien de son recours en annulation ne permet pas au juge de l’Union d’annuler automatiquement l’acte attaqué dans son intégralité (526).

863. Toutefois, l’annulation partielle d’un acte du droit de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée sont séparables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci, ce qui doit être apprécié sur le fondement d’un critère objectif et non d’un critère subjectif lié à la volonté politique de l’autorité qui a adopté l’acte en cause (527).

864. Or, en l’espèce, dans leurs deux recours dans les affaires C‑544/20 et C‑550/20, la République de Bulgarie et la République de Chypre contestent ce qu’ils appellent de « modèle hybride » qui aurait été mis en place par la directive 2020/1057. Ainsi qu’il ressort de leurs recours, ce modèle hybride consiste « dans le fait d’appliquer au transport tiers, sans seuil temporel, les règles sur le détachement, tout en exemptant de ces règles le transport bilatéral » (528).

865. Au soutien de leurs recours ces deux États membres soulèvent cinq moyens tirés, premièrement, de la violation du principe de proportionnalité, deuxièmement, de la violation du principe d’égalité de traitement, troisièmement, de la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, quatrièmement, de la violation de l’article 91, paragraphe 2, de l’article 90 TFUE en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et de l’article 94 TFUE et, cinquièmement, de la violation des dispositions des traité en matière de libre circulation des biens des services et de la politique commune des transports

866. Ainsi qu’il a été exposé au point 840 ci-dessus, la directive 2020/1057 vise, en substance à règlementer deux sujets principaux. En particulier, dans le cadre du premier de ces sujets, ainsi que je l’ai relevé aux points 845 et suivants ci-dessus, la directive 2020/1057, spécifiquement dans son article 1er, paragraphes 3 à 7, lus à la lumière des considérants 10 à 13, vise à instaurer des règles spécifiques en ce qui concerne le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier en distinguant entre différents types d’opérations de transport en fonction du degré de rattachement au territoire de l’État membre d’accueil.

867. Dans ce contexte, force est de constater que le recours de la République de Bulgarie et de la République de Chypre visent exclusivement le premier sujet règlementé par la directive 2020/1057 et seulement deux des cinq types d’opération de transport visés dans l’article 1er de celle-ci Il s’ensuit que, même si la Cour devait accueillir un ou tous les moyens invoqués dans leurs recours par ces deux États membres, cela aurait par conséquence, tout au plus, l’annulation de la directive 2020/1057 dans la mesure où elle règle le détachement pour les deux types de transport visés par l’argumentation avancée par lesdits deux États membres, à savoir le transport bilatéral et le transport tiers. En vertu de la jurisprudence mentionnée aux points 862 et 863 ci-dessus, une telle annulation ne saurait s’étendre à la réglementation prévue par la directive concernant les autres types de transport, ni encore moins aux autres dispositions de la directive 2020/1057 (529). Il s’ensuit qu’en ce qui concerne ces derniers aspects les recours de la République de Bulgarie et de la République de Chypre doivent être rejetés.

2.      Sur les moyens concernant les règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs

a)      Observations liminaires

868. Tous les six États membres qui ont attaqué la directive 2020/1057 contestent les dispositions de celle-ci concernant les règles spécifiques, contenues notamment à l’article 1er de celle-ci, relatives au détachement des conducteurs.

869. Plus précisément, dans l’affaire C‑541/20, la République de Lituanie demande l’annulation de l’article 1er paragraphe 3 et 7, de la directive 2020/1057, concernant respectivement les opérations de transport bilatérales de marchandises et le cabotage. Dans l’affaire C‑548/20, la Roumanie demande l’annulation de l’article 1er paragraphe 3 à 6, de la directive 2020/1057, concernant respectivement les opérations de transport bilatérales de marchandises et de voyageurs, le transit et le transport combiné. Dans l’affaire C‑551/20, la Hongrie demande à titre principal l’annulation de l’intégralité de cet article et, à titre subsidiaire, l’annulation de l’article 1er paragraphe 6, de la directive 2020/1057 concernant le transport combiné, Dans l’affaire C-555/20, la République de Pologne demande l’annulation de l’article 1er paragraphes 3, 4, 6 et 7 de la directive 2020/1057, concernant respectivement les opérations de transport bilatérales de marchandises et de voyageurs, le transport combiné et le cabotage. En ce qui concerne les recours de la République de Bulgarie et la République de Chypre, respectivement dans les affaires C‑544/20 et C-550/20, ainsi qu’il a été clarifié aux points 860 à 867 ci-dessus, ils visent la réglementation de la directive 2020/1057 concernant les opérations de transport bilatérales et le transport tiers.

870. Afin de pouvoir analyser les différents moyens soulevés par lesdits États membres contre ces règles spécifiques il convient de présenter le cadre jurisprudentiel dans lequel ces règles s’inscrivent.

b)      Sur la jurisprudence de la Cour en matière de détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier

871. Ainsi que je l’ai relevé au point 845 ci-dessus, dans le cadre de la directive 2020/1057, le législateur de l’Union a fondé les règles sectorielles en matière de détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier, sur le critère de l’existence d’un « lien suffisant » rattachant le conducteur et le service fourni au territoire d’un État membre d’accueil.

872. Ainsi faisant ledit législateur a appliqué le critère développé par la Cour dans sa jurisprudence concernant l’applicabilité de la directive 96/71.  En effet, dans l’arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110) la Cour a affirmé qu’un travailleur ne saurait, au regard de la directive 96/71, être considéré comme étant détaché sur le territoire d’un État membre que si l’exécution de son travail présente un « lien suffisant » avec ce territoire (530). En revanche, ne saurait être regardé comme « détaché », au sens de la directive 96/71, un travailleur qui exerce des prestations de caractère très limité sur le territoire de l’État membre dans lequel il est envoyé (531).

873. La Cour a ensuite fourni des indications en ce qui concerne l’analyse visant à déterminer l’existence de ce « lien suffisant ». Ainsi, cette analyse suppose de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur concerné. En outre, l’existence d’un tel lien avec le territoire concerné peut se révéler, notamment, au travers des caractéristiques de la prestation de services à la fourniture de laquelle est affecté le travailleur en cause. Constitue également un élément pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’un tel lien la nature des activités qui sont accomplies par ce travailleur sur le territoire de l’État membre concerné (532).

874. Dans l’arrêt subséquent, du 1er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging – prononcé après l’adoption de la directive 2020/1057 et pendant le déroulement de la procédure écrite dans les affaires objet des présentes conclusions – la Cour a, en outre, fourni toute une série de clarifications importantes concernant le régime juridique relatif au détachement des travailleurs mobiles tels que des chauffeurs routiers internationaux sous l’empire de la directive 96/71.

875. Ainsi, dans cet arrêt la Cour a, en premier lieu, clarifié que la directive 96/71 est applicable aux prestations de services transnationales dans le secteur du transport routier. à l’exception des prestations de services impliquant le personnel navigant de la marine marchande - expressément exclue par l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 96/71, cette directive s’applique, en principe, à toute prestation de services transnationale impliquant un détachement de travailleurs, quel que soit le secteur économique auquel une telle prestation se rattache, y compris, partant, dans le secteur du transport routier (533).

876. En deuxième lieu, dans ledit arrêt la Cour a fourni des clarifications quant aux critères pour déterminer l’existence d’un « lien suffisant » avec le territoire d’un État membre pour des travailleurs mobiles, tels que des chauffeurs routiers internationaux (534). Ainsi, s’agissant de ces travailleurs, la Cour a considéré que le degré d’intensité du lien des activités accomplies par un tel travailleur, dans le cadre de la fourniture du service de transport auquel il a été affecté, avec le territoire de chaque État membre concerné revêt une pertinence aux fins de l’existence d’un « lien suffisant » avec le territoire. Elle a ensuite considéré qu’il en va de même de la part de ces activités dans l’ensemble de la prestation de services concernée et que, à cet égard, des opérations de chargement ou de déchargement de marchandises, d’entretien ou de nettoyage des véhicules de transport sont pertinentes, pour autant qu’elles soient effectivement accomplies par le chauffeur concerné, et non par des tiers.

877. En troisième lieu, dans ledit arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, la Cour a élaboré également des critères précis quant à l’existence d’un « lien suffisant » pour certains types spécifiques d’opérations de transport routier international. Ainsi, premièrement, la Cour a considéré, que ne saurait être regardé comme « détaché », au sens de la directive 96/71, un chauffeur qui, dans le cadre d’un transport routier de marchandises, ne fait que transiter sur le territoire d’un État membre, puisqu’il exerce des prestations de caractère très limité sur le territoire de l’État membre dans lequel il est envoyé (535). La Cour a donc exclu l’existence d’un « lien suffisant » avec le territoire de l’État membre d’accueil pour le transit,  tel que mentionné au point 851 ci-dessus.

878. Deuxièmement, la Cour a considéré qu’il en va de même s’agissant d’un chauffeur effectuant uniquement un transport transfrontalier depuis l’État membre d’établissement de l’entreprise de transports jusqu’au territoire d’un autre État membre ou inversement (536). La Cour a donc jugé que ne saurait être regardé comme « détaché », au sens de la directive 96/71 un chauffeur effectuant des opérations de « transport bilatérales », telles que mentionnées au point 847 ci-dessus.

879. Troisièmement, la Cour a également jugé que la circonstance que les transports de cabotage se déroulent entièrement sur le territoire de l’État membre d’accueil, permet de considérer que l’exécution du travail par le chauffeur dans le cadre de telles opérations entretient un lien suffisant avec ce territoire (537). La Cour a donc jugé que un chauffeur effectuant des opérations de cabotage, telles que mentionnées au point 855 ci-dessus doit, en principe, être considéré comme étant détaché sur le territoire de l’État membre d’accueil au sens de la directive 96/71.

880. Dans le même contexte a Cour a également jugé que la durée des transports de cabotage n’est pas de nature, en tant que telle, à remettre en cause l’existence d’un lien suffisant entre l’exécution du travail du chauffeur qui les effectue et le territoire de l’État membre d’accueil (538).

881. C’est donc dans ce contexte jurisprudentiel qu’il convient d’analyser les moyens visant à contester les règles spécifiques de la directive 2020/1057 relatives au détachement des conducteurs.

c)      Sur le moyen relatif à la non-applicabilité de la directive 96/71 aux conducteurs dans le secteur du transport routier

1)      Arguments des parties

882. Dans le cadre de ses conclusions à titre principal dans l’affaire C‑551/20, visant l’annulation de l’article 1er de la directive 2020/1057 dans son intégralité, la Hongrie, soutenue par la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie, fait valoir que les « règles spécifiques » visée à cet article sont illégales, en ce que les conducteurs effectuant des transports internationaux par route ne relèveraient généralement pas du champ d’application de la directive 96/71 sur le détachement de travailleurs, eu égard aux caractéristiques particulières de l’activité qu’ils exercent.

883. En premier lieu, en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 – auquel la directive 2020/1057 fait référence à son article 1er, paragraphe 2 – l’applicabilité du régime du détachement aux conducteurs exerçant une activité de transport international par route ne serait envisageable que dans l’hypothèse où il existe une relation contractuelle entre l’entreprise de transport qui les emploie et le destinataire de l’envoi. Or, une telle relation contractuelle serait inhabituelle dans le cadre des contrats de transport. Conformément à la directive 2020/1057, il ne serait nullement nécessaire qu’un contrat soit conclu entre l’entreprise expéditrice et l’entreprise destinataire pour qu’il y ait un détachement En effet, il suffirait que le conducteur franchisse une frontière nationale. Il s’ensuivrait que les règles en matière de détachement reposent sur une logique qui est totalement étrangère à celle des activités de transport international, de sorte que, selon le gouvernement hongrois, elles leurs sont inapplicables.

884. En deuxième lieu, le détachement, au sens de la directive 96/71, serait étroitement lié à une prestation de services effectuée par l’employeur dans l’État membre d’accueil. Toutefois, dans le cadre de l’activité de transport, l’accent ne serait pas mis sur le service fourni par le conducteur, mais sur la circulation de marchandises entre les États membres. Il ne s’agirait donc pas d’une activité de nature à justifier l’application des règles en matière de détachement prévues par la directive 96/71. Cette argumentation serait étayée par la réponse de l’Union européenne à la crise provoquée par la pandémie de COVID-19. Suite à l’introduction de restrictions de déplacements par différents États membres, la Commission serait intervenue presque immédiatement afin d’assurer le fonctionnement aussi fluide que possible du transport de marchandises.

885. En troisième lieu, en raison de la forte mobilité des travailleurs des transports internationaux de marchandises par route, la Hongrie, en se référant au susmentionné arrêt Dobersberger, estime que ces conducteurs ne peuvent pas être considérés comme exécutant temporairement leur travail dans un autre État membre, mais sont plutôt en déplacement constant entre plusieurs États membres. Un séjour de courte durée – voire de quelques heures – dans un autre État membre ne saurait créer un lien suffisant avec le territoire de cet État membre.

886. Le Conseil, le Parlement, ainsi que les parties intervenantes à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

887. Dans son moyen unique invoqué à l’appui de ses conclusions à titre principal visant l’annulation de l’article 1er de la directive 2020/1057, la Hongrie fait valoir, en substance que, puisque le régime de détachement établi par la directive 96/71 ne pourrait pas s’appliquer au secteur du transport routier, les dispositions prévues à l’article 1er de la directive 2020/1057, qui se réfèrent explicitement pour la définition de leur champ d’application à la directive 96/71, seraient illégales.

888. À cet égard, toutefois, j’ai relevé au point 875 ci-dessous, que dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging (539), prononcé après le dépôt du recours par la Hongrie dans l’affaire C-551/20 (540), la Cour a jugé que la directive 96/71 est applicable aux prestations de services transnationales dans le secteur du transport routier. Il s’ensuit de cette constatation que la prémisse même du moyen soulevé par la Hongrie fait défaut, dès lors que ce moyen se fonde sur une prétendue inapplicabilité de la directive 96/71 au secteur du transport routier. Dans ces conditions, ce moyen doit, à mon avis, être rejeté.

889. Par ailleurs, dans son mémoire en réplique qui a été déposé après le prononcé dudit arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, (541), la Hongrie a relevé elle-même que dans cet arrêt la Cour avait jugé que la directive 96/71 est applicable dans le secteur du transport routier. Or, les arguments, déjà soulevés dans la requête et ultérieurement développés dans ledit mémoire, selon lesquelles, en raison du caractère inhabituel de la conclusion d’un contrat entre l’entreprise de transport qui emploie les chauffeurs internationaux et le destinataire de l’envoi, dans de nombreux cas les services de transport ne répondraient pas aux conditions d’une situation de détachement relevant du champ d’application de la directive 96/71, de sorte que les conducteurs effectuant des transports internationaux ne pourraient généralement pas être considérés comme des personnes mettant en œuvre une des mesures transnationales visées par la directive 96/71, sont à mon avis inopérants.

890. En effet, même à considérer que les circonstances avancées étaient avérées, elles ne sauraient en tout cas démontrer une illégalité de la disposition en cause. L’éventuelle circonstance qu’une réglementation ait un champs d’application limité (542), de sorte que plusieurs cas ne seraient pas couverts par celle-ci, n’est telle à démontrer d’aucune manière l’illégalité de cette réglementation.

891. Il s’ensuit de tout ce qui précède que, à mon avis, le moyen unique invoqué à l’appui des conclusions avancées à titre principal par la Hongrie dans l’affaire C-551/20 visant l’annulation de l’article 1er de la directive 2020/1057, doit être rejeté.

d)      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE

1)      Arguments des parties

892. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent que l’article 91, paragraphe 1, TFUE, qui constitue la base juridique de la directive 2020/1057, exigeait du législateur de l’Union qu’il statue conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du CESE et du CdR. Ces deux parties requérantes soutiennent qu’en ne consultant pas ces deux comités alors que le modèle hybride (543) a été introduit au cours de la procédure législative et ne faisait pas partie de la proposition initiale de la Commission, le Conseil et le Parlement ont enfreint l’article 91, paragraphe 1, TFUE. Une telle obligation de consultation après une modification substantielle du projet initial découlerait de la jurisprudence de la Cour relative au rôle consultatif du Parlement européen (544) lorsque celui-ci n’était pas encore colégislateur, qui s’appliquerait mutatis mutandis en ce qui concerne le CESE et le CdR, ainsi que des documents de travail concernant le fonctionnement du CdR. Les conclusions de l’arrêt dans l’affaire C-65/90 (545) seraient transposables aux modalités de consultation du CdR et du CESE, et la disposition ayant alors fait l’objet d’une interprétation par la Cour serait d’un libellé identique à l’article 91, paragraphe 1, TFUE. Le modèle hybride toucherait le cœur même de la directive. La pleine application des règles sur le détachement des travailleurs, indépendamment du temps passé dans un État membre, au trafic tiers imposerait aux transporteurs concernés une obligation substantiellement modifiée. Les transports tiers ne seraient plus sur un pied d’égalité avec les transports bilatéraux ce qui fausserait la concurrence et ferait naitre entre les conducteurs des différences injustifiées. Le modèle hybride introduit au cours de la procédure législative porterait ainsi atteinte à la structure de la proposition initiale. L’absence de consultation des Comités serait susceptible d’influer sur le fond et la substance de la mesure et aurait conduit à un manque de diligence lors de l’élaboration de la mesure. Or, l’obligation de consultation de ces deux comités résulterait d’une exigence procédurale substantielle, univoque et claire dont les documents de travail du CdR feraient également état. Une modification substantielle introduite dans la proposition de règlement du Parlement et du Conseil concernant l’évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE (546) aurait conduit le colégislateur à décider de consulter à nouveau le CESE. L’absence d’incidence significative de l’omission de consultation sur la teneur des mesures finalement adoptées, bien que, contrairement à ce qu’allègue le Parlement, non avérée, ne saurait, en tout état de cause, affecter le caractère obligatoire de la consultation. Le Conseil aurait reconnu le rôle crucial de la directive 2020/1057 dans son propre communiqué de presse (547).

893. Le Conseil et le Parlement, ainsi que les parties intervenant à leur soutien, concluent au rejet du moyen tiré d’une violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE pour défaut de consultation du CESE et du CdR.

2)      Analyse

894. Comme déjà rappelé au point 535 des présentes conclusions, il ressort de l’article 91, paragraphe 1, TFUE que le Parlement et le Conseil, lorsqu’ils agissent sur ce fondement, sont tenus de consulter le CESE et le CdR. Les avis du CESE et du CdR sur la proposition de directive de la Commission ont été recueillis respectivement le 18 janvier 2018 (548) et le 1er février 2018 (549).

895. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent, en substance, une argumentation semblable à celle soutenue dans le contexte de l’article 1er, point 3, sous a), du règlement 2020/1055 (550). Puis ces deux parties requérantes reprochent au Conseil et au Parlement de ne pas avoir de nouveau recueilli l’avis du CESE et du CdR après les modifications apportées au cours de la procédure législative à la proposition de la directive sur laquelle ils s’étaient exprimés. Elles soutiennent que, alors que la proposition de la Commission était basée sur le critère de la durée passée sur le territoire d’un État membre pour déclencher l’application des règles relatives au détachement, le Conseil et le Parlement auraient choisi un autre critère et ni le CESE ni le CdR n’auraient donc été consultés au sujet de la modification substantielle que constituerait le modèle hybride.

896. J’ai déjà dit plus haut que l’obligation de consulter à nouveau ces comités en présence d’une modification substantielle apportée au texte au cours de la procédure législative ne découle ni de l’article 91 TFUE ni d’aucune autre disposition de droit primaire (551). J’ai également rejeté l’argument selon lequel les principes découlant de l’arrêt du Parlement/Conseil s’appliqueraient aux cas de consultation du CESE et du CdR (552). En ce qui concerne le contenu des documents de travail du CdR mentionnés par la République de Bulgarie et la République de Chypre, je renvoie au point 538 des présentes conclusions.

897. Cela m’amène à conclure que le CESE et le CdR ont, selon moi, pu à suffisance donner leur avis sur le projet législatif envisagé.

898. En particulier, je relève que le CdR a déjà exprimé ses réserves « en ce qui concern[ait] la large intégration des services de transport internationaux dans le champ d’application de la directive sur le détachement » (553). En outre, je remarque que le modèle hybride, tel qu’il est défini par les requérantes elles-même, consiste en une exemption du transport bilatéral de l’application des règles du détachement (554), et peut être considéré comme satisfaisant donc, au moins en partie, les préoccupations exprimées par le CdR.

899. En ce qui concerne le CESE, il a eu l’occasion de faire part de son avis selon lequel la proposition de modification de la législation sur le détachement des conducteurs ne permettait pas de résoudre efficacement les problèmes identifiés car elle ne rendait pas les règles plus simples, plus claires et plus faciles à faire respecter (555). Néanmoins, le CESE se félicitait de l’application à l’échelle de l’Union des règles relatives au détachement de travailleurs dans le secteur du transport routier (556), qui lui apparaissait comme de la plus haute importance pour maintenir des conditions de concurrence équitables pour les travailleurs et les entreprises (557), et a pu s’exprimer sur la question de l’application de ces règles selon le type d’opérations envisagées (558). Le CESE s’est dit « entièrement favorable à ce que la directive sur le détachement des travailleurs continue à s’appliquer dès le premier jour aux opérations de cabotage » (559).

900. Il me semble donc que, sur le principe de la soumission des opérations de transport aux règles sur le détachement, la directive 2020/1057 s’inscrit dans la continuité de la proposition de la Commission. Tant le CESE que le CdR ont pu utilement faire valoir leurs points de vue à cet égard. La question de la détermination de l’élément déclencheur de l’application de ces règles, soit la qualification retenue pertinente par le législateur de l’Union du « lien suffisant » avec l’État membre d’établissement (un séjour d’une durée supérieure à trois jours selon la proposition de directive de la Commission ou la prise en compte du type d’opérations) relève, pour le reste, du large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union, sans que l’on puisse considérer que l’avis du CESE et du CdR était à nouveau requis après que le Conseil et le Parlement ont modifié cette proposition.

901. Quant à l’allégation de valeur de précédent de ce qui s’est passé au cours de la procédure législative ayant mené à l’adoption du règlement 2021/2282, je renvoie à la note 265 des présentes conclusions et réitère que l’ajout d’une base juridique à l’acte en cours d’adoption, dont il était alors question, le cas échéant elle-même porteuse de l’obligation de consulter un comité, n’est pas comparable à l’aménagement des conditions d’application des règles relatives au détachement des travailleurs dans le secteur des transports dont il est question ici.

902. Je propose en conséquence de rejeter les moyens tirés d’une violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE pour défaut de consultation du CESE et du CdR.

e)      Sur la violation du principe de proportionnalité

903. Dans leurs recours tous les six États membres qui ont attaqué la directive 2020/1057, soutenues par la République e de Lettonie et par la République d’Estonie, font valoir que les dispositions de celle-ci concernant les règles spécifiques, contenues notamment à son article 1er, relatives au détachement des conducteurs ne respectent pas les exigences découlant du principe de proportionnalité définies à l’article 5, paragraphe 4, TUE.

904. D’une part, cinq de ces États membres contestent, la proportionnalité en tant que telle de ces règles. Ils font, en particulier, valoir que les dispositions attaquées de ladite directive ne seraient pas appropriées pour atteindre les objectifs déclarés, qu’elles iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs et que leurs effets négatifs seraient disproportionnés par rapport aux avantages escomptés.

905. D’autre part, tous les six États membres contestent également l’examen effectué par le législateur de l’Union de la proportionnalité et, en particulier, l’absence d’une analyse d’impact sur la version finale de la disposition telle qu’elle a finalement été adoptée.

906. Il convient d’analyser séparément ces deux aspects.

1)      Sur les moyens relatifs à la violation du principe de proportionnalité

i)      Arguments des parties

907. Dans leurs moyens, cinq parmi les six États membres requérants font valoir que les différentes dispositions concernant les règles spécifiques, relatives au détachement des conducteurs qu’ils contestent (560) ne respectent pas les exigences découlant du principe de proportionnalité, d’une part, en raison du caractère inapproprié de ces règles et, d’autre part, en raison des effets négatifs disproportionnés que l’application de ces règles causerait.

–       Sur le caractère inapproprié du critère fondé sur le type d’opérations de transport

908. Plusieurs parmi les États membres requérants soutiennent, soutenus à cet égard par la République de Lettonie et la République d’Estonie, que le critère choisi par le législateur fondé sur le type d’opérations de transport serait inapproprié pour l’application des règles sur le détachement aux conducteurs dans le transport routier international.

909. En premier lieu, le caractère inapproprié du critère fondé sur le type d’opérations de transport découlerait de la circonstance que le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte, lorsqu’il a choisi d’utiliser ledit critère, de l’existence d’un lien réel entre le conducteur et le territoire de l’État membre concerné en relation avec les spécificités des services de transport.

910. Ainsi, la République de Lituanie soutient qu’appliquer les règles relatives au détachement en fonction de la nature des opérations de transport constitue une mesure inappropriée qui ne reflète pas la notion de détachement. En particulier, les paragraphes 3 et 7 de l’article 1er, de la directive 2020/1057 – que cet États membre conteste – auraient été adoptées sans examen approprié de la nature des opérations de transport internationales. En principe, les règles relatives au détachement seraient destinées à compenser les frais supplémentaires que le travailleur supporte du fait qu’il exécute ses obligations de travail dans un autre État que celui de sa résidence habituelle. Cependant, la spécificité du travail des conducteurs de camions serait toute autre : dans les cas de cabotage de courte durée et de transport transfrontalier, les conducteurs n’auraient habituellement aucun lien avec l’État membre d’accueil, ne passeraient généralement que très peu de temps dans cet État et ne supporteraient donc, dans cet État, que des frais minimaux.

911. Selon la Roumanie il conviendrait d’établir les critères de mise en œuvre du régime de détachement dans le domaine des transports avec une attention particulière, afin d’assurer un juste équilibre entre l’amélioration des conditions sociales et de travail des conducteurs et la protection de la libre prestation de services de transports par route. Il serait ainsi nécessaire d’identifier les éléments faisant apparaître l’existence d’un lien suffisant entre le conducteur et l’État membre d’accueil. Le lien suffisant, en tant qu’élément central permettant d’établir les hypothèses de mise en œuvre du régime de détachement, devrait être fondé sur des critères objectifs, invariables et facilement applicables, qui soient adaptés aux spécificités du domaine des transports par route. Ainsi dans le domaine des transports, qui se caractérise par une grande mobilité, le lien suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil ne saurait être précisément déterminé par l’opération de transport, définie elle‑même par le même degré de mobilité. L’analyse d’impact et plusieurs autres documents (561) n’auraient pas mis en évidence l’apport du critère de l’opération de transport dans la détermination du lien suffisant.

912. La République de Pologne soutient que le critère fondé sur le type d’opérations de transport serait inapproprié pour l’application des règles sur le détachement aux conducteurs en ce qui concerne les opérations bilatérales, le cabotage et le trafic tiers car il ne prendrait pas suffisamment en compte, le caractère spécifique des services de transport, ni le lien réel entre le conducteur et l’État membre d’accueil

913. Ainsi, premièrement, en général, dans le cadre du transport international, les conducteurs effectueraient, des opérations de types variés, combinant les opérations bilatérales, le trafic tiers, les opérations de transit et le cabotage. Souvent, les nouveaux mandats seraient acceptés alors que le transport est déjà en cours, de manière à exploiter au maximum l’espace de chargement des moyens de transport utilisés, en permettant aux entreprises de transport d’optimiser les ressources disponibles, ce qui rehausserait l’efficacité globale du transport. La décision sur les conditions de travail et d’emploi applicables devrait donc tenir compte tant du lien entre le conducteur et l’État dont il traverse le territoire que des difficultés pratiques et des charges administratives et financières liées à l’application d’un nombre considérable de règlementations et d’exigences formelles variées durant un bref laps de temps. Ces éléments auraient été ignorés par le législateur de l’Union.

914. Deuxièmement, selon la République de Pologne le critère fondé sur le type d’opérations de transport serait inapproprié car il ne prendrait pas suffisamment en compte le lien réel entre le conducteur et le territoire de l’État concerné. D’une part, s’agissant du « lien étroit » avec l’État d’établissement, – sur lequel se fonde le dixième considérant de la directive 2020/1057 pour l’inapplication des règles sur le détachement aux opérations de transport bilatérales – la République de Pologne relève qu’il n’a pas été défini et qu’il n’a pas été non plus pris en compte dans le cas du transport de cabotage et du trafic tiers pour lesquels le législateur de l’Union s’est focalisé sur le lien avec l’État d’accueil (neuvième et treizième considérants). D’autre part, s’agissant de l’autre élément considéré par ce considérant, – à savoir le fait qu’un conducteur peut effectuer plusieurs opérations de transport bilatérales au cours d’un seul voyage – la République de Pologne relève que plusieurs opérations pourraient être également effectuées au cours d’un seul voyage dans le cadre du transport de cabotage et du trafic tiers.

915. En outre, les considérants de la directive 2020/1057 ne justifieraient pas les exemptions pour les opérations isolées de trafic tiers, prévues à l’article 1er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057 dont l’introduction constituerait une brèche dans la logique ainsi définie sous‑jacente à l’application des règles sur le détachement.

916. Dans leurs mémoires en intervention, la République de Lettonie et la République d’Estonie réitèrent, en substance, ces mêmes arguments. En particulier, la République de Lettonie reproche aux institutions de l’Union de n’avoir pas pris en compte, dans l’adoption des dispositions en cause les spécificités des opérations de transport international ni la mobilité exceptionnellement grande des travailleurs dans le secteur du transport international. La République d’Estonie estime qu’une classification fondée sur le critère de l’opération de transport ne permet aucune marge de manœuvre lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence d’un lien réel entre le conducteur et le territoire de l’État membre d’accueil dans le cadre d’une opération de transport international. Sauf que pour le transit et le cabotage, pour tous les autres types d’opérations de transport, il conviendrait soit de procéder à une évaluation au cas par cas de l’existence d’un lien de rattachement, soit d’examiner conjointement la condition de la durée du service fourni et les indicateurs quantitatifs, tels que la nature et le nombre des opérations de transport, qui se rattachent manifestement au travail exécuté dans l’État membre d’accueil.

917. En deuxième lieu, plusieurs État membres soutiennent qu’il existerait d’autres critères ou paramètres plus appropriés que celui fondé sur le type d’opérations de transport pour déterminer les règles relatives au détachement des conducteurs. En particulier, un de tels critères serait celui fondé sur la durée de séjour des conducteurs dans l’État d’accueil, critère qui avait initialement été retenu par la Commission dans la proposition de directive détachement.

918. Ainsi, la République de Lituanie soutient que le critère de la durée du séjour du conducteur dans l’État d’accueil constituerait un exemple de critères objectifs qui établiraient un lien factuel avec l’État dans lequel le travail est effectivement presté, même si d’autres critères pourraient être appliqués si ceux-ci sont objectivement justifiés, assurent un lien suffisant avec l’État membre dans lequel le travail est presté et sont conformes au principe de proportionnalité. Cet État membre souligne que lorsque la Cour a apprécié le critère temporel dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, elle ne se serait prononcée que sur les opérations de cabotage, mais n’aurait pas apprécié les opérations de transport bilatérales et de transport tiers à la lumière de ce critère.

919. Selon la République de Bulgarie et la République de Chypre, une mesure appropriée et moins contraignante que l’utilisation du critère fondé sur le type d’opération de transport consisterait à exempter intégralement le transport international. Une telle exemption serait justifiée compte tenu de la situation particulière du transport international et de sa nature extrêmement mobile, qui fait qu’il n’y aurait pas de lien suffisant avec le territoire des États membres autres que l’État membre d’établissement. Une exemption totale réaliserait tous les objectifs poursuivis. L’application à l’ensemble du secteur du transport international des règles sur le détachement, assorties d’un seuil temporel, serait plus appropriée que le modèle hybride, mais poserait de graves problèmes, dès lors que son impact serait toujours disproportionné en termes de coûts, de la charge administrative imposée aux PME ainsi que des difficultés liées à l’interprétation et à l’application des règles. Une autre alternative qui apporterait de la clarté et garantirait un lien suffisant serait l’accomplissement, dans le cadre d’opérations de trafic tiers, d’un minimum de tâches déterminées et énumérées, dans un État membre spécifique et au cours d’un mois donné, par exemple des travaux de chargement ou de déchargement de marchandises, d’entretien ou de nettoyage des véhicules de transport.

920. La Roumanie soutient que la pertinence de l’application de l’élément temporel (la durée minimale de l’activité) à des fins d’identification du lien suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil résulte aussi bien du cadre juridique général applicable au détachement que de l’analyse d’impact.

921. Ainsi, d’une part, le fait de réglementer le détachement dans le domaine des transports sans prendre en considération le critère temporel produirait, premièrement, des effets contraires à l’objectif poursuivi, d’atteindre un équilibre entre l’amélioration des conditions sociales et de travail des conducteurs et le fait de faciliter l’exercice de la libre prestation de services de transport routier fondé sur une concurrence loyale et, deuxièmement constituerait une violation de l’article 5 du vertu du protocole no 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (562), selon lequel toute charge doit être la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre. .

922. D’autre part, l’analyse d’impact – volet social ferait spécifiquement état des coûts excessifs pour les transporteurs par rapport aux avantages pour les conducteurs, lorsque le régime de détachement est appliqué à des opérations de transport qui ne sont pas effectuées de manière fréquente ou lorsque le travail n’est pas substantiel ou significatif. L’analyse d’impact – volet social conclurait qu’un juste équilibre entre les coûts administratifs et l’amélioration des conditions sociales et de travail pour les conducteurs peut être atteint uniquement lorsqu’un conducteur travaille dans l’État membre d’accueil pendant une période plus longue.

923. La Roumanie se réfère à l’arrêt de la Cour du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151 ci-après l’« arrêt Koelzsch ») dans lequel la Cour aurait établi les critères permettant d’identifier « l’État avec lequel le travail présente un rattachement significatif », lorsque des activités de transport sont effectuées dans plusieurs États membres, aux fins d’application de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (563). La Cour aurait relevé qu’au regard de la nature du travail dans le secteur du transport international, il convient, lorsqu’il est question de déterminer l’État avec lequel le travail présente un rattachement significatif, de tenir compte de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur, et notamment du lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que du lieu où se trouvent les outils de travail. Il convient également de vérifier quels sont les lieux où le transport est principalement effectué, les lieux de déchargement de la marchandise ainsi que le lieu où le travailleur rentre après ses missions.

924. La République de Pologne fait valoir que le législateur de l’Union a omis les autres éléments attestant du lien entre le conducteur et l’État d’accueil, notamment la durée du séjour du conducteur sur le territoire de l’État d’accueil. Selon cet État membre le critère temporel devrait être pris en compte afin d’assurer le caractère proportionné des mesures relatives à l’application des règles sur le détachement des travailleurs. La proposition de directive détachement se fondait précisément sur ce critère temporel et l’analyse d’impact élaborée par la Commission affirmait que ce critère correspond le mieux au caractère mobile des services de transport, tenant compte à la fois de la situation des conducteurs et de celle des transporteurs ainsi que des mesures juridiques existantes et proposées.

925. La République de Pologne met en exergue que la durée de séjour dans l’État d’accueil peut être également comparable dans le cadre de toutes les opérations de transport qu’elle considère, à savoir les opérations de transport bilatérales, trafic tiers et transports de cabotage. Ainsi, la durée de séjour du conducteur dans l’État d’accueil peut être très courte tant en ce qui concerne le trafic tiers que le transport de cabotage. En effectuant ces opérations, le conducteur peut bien passer moins de temps dans l’État d’accueil qu’il ne le fait dans le cadre des opérations de transport bilatérales ou de transit. Partant, il serait difficile d’évoquer un lien suffisant de nature à justifier l’application des règles sur le détachement. L’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging ne serait pas contraignant pour le législateur de l’Union, dans la mesure où cet arrêt ne s’opposerait ni à une dérogation plus poussé à l’égard du cabotage, ni à l’adoption d’un critère temporel en tant que critère déterminant le champ d’application des règles sur le détachement aux opérations de transport international.

926. Dans ce contexte la République de Pologne se réfère à l’arrêt de la Cour du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA (C‑165/98, EU:C:2001:162, ci-après l’ « arrêt Mazzoleni »). Compte tenu du fait que l’obligation de garantir aux conducteurs une rémunération correspondant au salaire de l’État d’accueil sera l’une des conséquences les plus importantes de l’application des règles sur le détachement aux conducteurs, cet arrêt serait pertinent aux fins d’appréciation de la proportionnalité des dispositions contestées de la directive 2020/1057. Dans cet arrêt la Cour aurait jugé qu’il incombait aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil, afin de déterminer si l’application de sa réglementation imposant un salaire minimal était nécessaire et proportionnée, d’évaluer tous les éléments pertinents. Cette évaluation impliquerait, d’une part, que les autorités tiennent compte, notamment, de la durée des prestations de services, de leur prévisibilité, du fait que les employés ont été effectivement déplacés vers l’État membre d’accueil ou qu’ils continuent d’être rattachés à la base d’opérations de leur employeur dans son État membre d’établissement. D’autre part, il conviendrait de s’assurer que la protection dont jouissent les employés dans l’État membre d’établissement est équivalente à celle de l’État membre d’accueil.

927. La République de Pologne soutient que l’article 3, paragraphes 2 à 5, de la directive 96/71 aurait partiellement pris en compte ces critères, en prévoyant des exemptions possibles à l’application des conditions de travail et d’emploi de l’État d’accueil en raison de la courte durée du détachement, de la nature des services fournis ou du caractère du travail effectué. Cependant, aucune de ces exemptions ne serait applicable aux conducteurs. Toutefois,  le libellé des dispositions en cause, qui a été retenu, fait à la fois abstraction du critère temporel et d’autres éléments de rattachement du conducteur à l’État d’établissement, tels que les critères indiqués dans l’arrêt Koelzsch susmentionné,

928. En outre, le lien entre l’opération et le chargement et/ou déchargement sur le territoire de l’État d’établissement du transporteur serait également décisif pour déterminer l’applicabilité des règles sur le détachement. En effet, le chargement et/ou le déchargement dans l’État d’accueil a lieu dans le cadre de toutes les opérations de transport mentionnées. Enfin il conviendrait d’appréhender le voyage du conducteur dans sa globalité. En effet, même si tout le transport de cabotage est effectué sur le territoire de l’État d’accueil, il ne serait possible qu’à la suite d’un transport routier international.

929. En troisième lieu, le caractère inapproprié du critère fondé sur le type d’opérations de transport découlerait des incertitudes et des difficultés concernant la mise en œuvre de ce critère.

930. Ainsi, la République de Lituanie fait valoir qu’il ressortirait de l’analyse d’impact que, en raison de la très grande mobilité dans le secteur du transport routier international, la mise en œuvre de la directive concernant le détachement de travailleurs soulèverait des difficultés juridiques particulières.

931. La Roumanie soutient que l’application du critère de la typologie de l’opération de transport génère des incertitudes en termes d’identification de l’État membre d’accueil et, par conséquent, de la législation applicable. Ces incertitudes seraient la conséquence directe de la réglementation d’un critère ne permettant pas d’établir un lien suffisant avec l’État membre d’accueil. Ainsi, l’application du critère de la typologie de l’opération de transport et des variables relatives au chargement/déchargement de marchandises et à la prise en charge/au dépôt de voyageurs premièrement s’avèrerait difficile. L’opérateur de l’État membre d’établissement devrait être en mesure de qualifier la situation de son salarié avant le début de toute opération de transport. En effet, l’article 1er, paragraphe 11, sous a), de la directive 2020/1057 oblige ledit opérateur à soumettre une déclaration de détachement aux autorités nationales compétentes de l’État membre dans lequel le conducteur est détaché au plus tard au début du détachement. Ainsi, la sécurité juridique et la clarté dans l’identification des hypothèses de détachement et de la législation sociale applicable constituerait une condition préalable du respect, par les opérateurs, des obligations issues du droit de l’Union.

932. Toutefois, l’application du critère de la typologie de l’opération de transport n’offrirait pas de solution claire en termes d’identification de l’État membre d’accueil et de la législation applicable. Ainsi, il ne serait est pas clairement établi si l’application du critère de l’opération de transport suppose l’identification d’un seul État membre d’accueil avec lequel le conducteur a un lien suffisant dans le contexte général de l’opération de transport concernée, ou bien si les dispositions légales en vigueur dans tous les États membres où le chargement/déchargement est effectué seront cumulativement applicables, tant qu’elles ne relèvent pas des exceptions prévues à l’article 1er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057. L’application du seul critère de l’opération de transport ne permettrait pas de résoudre la question de l’identification de la législation applicable, dans la mesure où les conditions du lien suffisant rattachant le conducteur à l’un ou à l’ensemble des États membres impliqués dans les opérations de transport ne sont pas établies en droit.

933. Par ailleurs, selon la Roumanie, l’utilisation dans la directive 2020/1057 de l’élément chargement/déchargement, en vue de déterminer le lien suffisant rattachant le conducteur au territoire d’un État membre d’accueil, n’est pas optimale. Les conducteurs n’auraient pas de compétence en matière de chargement/déchargement de marchandises et, dans la plupart des cas on ne leur demande pas d’effectuer de telles activités. Ce ne serait qu’occasionnellement que les conducteurs réalisent des opérations de chargement/déchargement de marchandises. Selon la Roumanie, l’application du critère de l’opération de transport est de nature à affecter la souplesse et la célérité spécifiques à ce domaine, ce qui ainsi qu’il ressortirait de l’analyse d’impact – volet social, génèrerait des situations de non‑respect de la législation. Ainsi, en cas de modification, durant l’activité de transport, du nombre d’activités supplémentaires associées à une opération de transport bilatérale de marchandises ou de personnes, de nature à rendre le régime de détachement applicable, le transporteur semblerait être dans l’impossibilité de soumettre une déclaration de détachement aux autorités nationales compétentes de l’État membre dans lequel le conducteur est détaché au plus tard au début du détachement, comme l’exige l’article 1er, paragraphe 11, sous a) de la directive 2020/1057.

934. La République de Pologne soutient que les exemptions prévues à l’article 1er paragraphe 3 et 4 de la directive 2020/1054 suscitent des doutes quant à leur interprétation, qui indiquent qu’elles sont fondées sur des critères construits de manière inappropriée. S’agissant de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057, compte tenu du fait que le chargement/déchargement ne peut, en principe, avoir lieu que dans l’État traversé par le conducteur, il semblerait qu’il ne s’agit que des États situés sur le trajet de l’opération de transport bilatérale. En outre, en cas d’exemption, il ne serait pas clair à quel moment doit commencer l’application des règles de l’État d’accueil lorsque le conducteur effectue une activité supplémentaire de chargement/déchargement, ne relevant pas de l’exemption. Des doutes analogues existeraient concernant l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2020/1057, en ce qui concerne la prise en charge de voyageurs. De plus, il serait difficile de comprendre les raisons pour lesquelles deux exemptions ont été autorisées en ce qui concerne le transport de marchandises alors qu’il n’en existe qu’une s’agissant du transport des personnes. Il n’y aurait pas de justification objective à cet égard non plus.

935. En quatrième lieu, la Roumanie fait valoir que la réglementation du détachement dans le domaine des transports à l’aune du critère de l’opération de transport aurait des conséquences directes sur le marché. Tant les opérations de transport non bilatérales (effectuées à part entière ou en tant qu’activités supplémentaires) que les opérations de transport combinées seraient découragées. Dans ce contexte la Roumanie attire l’attention sur les spécificités du marché des transports de l’Union qui serait constitué principalement par des PMEs.

–       Sur le caractère inapproprié et non nécessaire du « modèle hybride » pour contribuer aux objectifs poursuivis

936. La République de Bulgarie et la République de Chypre font valoir que ayant choisi le « modèle hybride », mentionné au point 864 ci-dessus, les mesures prévues par la directive 2020/1057 ne seraient pas appropriées en ce qu’elles ne parviendraient pas à maintenir un équilibre entre les objectifs qu’elles poursuivent et ne permettraient la réalisation d’aucun d’entre eux.

937. Ainsi, s’agissant, premièrement, de l’objectif d’atteindre des conditions de travail et une protection sociale satisfaisantes pour les conducteurs, la rémunération plus élevée dont pourrait profiter les conducteurs ne porterait, le plus souvent, que sur de brèves périodes passées dans le pays de chargement ou de déchargement, si bien que les conditions de travail et la protection sociale des conducteurs n’en seraient que très légèrement améliorées.

938. S’agissant, deuxièmement, de l’objectif de créer des conditions adéquates pour les entreprises et la concurrence loyale pour les transporteurs par route pour les transporteurs effectuant du trafic tiers, le modèle hybride serait synonyme de concurrence déloyale. L’avantage comparatif des transporteurs établis dans les États membres périphériques résiderait dans leurs coûts plus faibles, qui découleraient notamment d’un coût de la vie moins élevé et, partant, de salaires plus bas. Du fait de l’application du modèle hybride, les transporteurs impliqués dans le trafic tiers sont placés dans une position moins compétitive que les transporteurs effectuant du transport bilatéral. Cela fausserait la concurrence entre le centre de l’Union, où les transporteurs pratiquent surtout du transport bilatéral, et les États membres, tels que la Bulgarie, ou les transporteurs effectuent surtout des opérations de transport tiers. S’agissant, troisièmement, de l’objectif de faciliter la liberté de fournir des services transfrontaliers le modèle hybride restreindrait cette liberté en ce qu’il entraînerait une augmentation des coûts.

939. Le modèle hybride ne serait ainsi ni approprié ni nécessaire. Il n’existerait pas de lien de rattachement suffisamment fort avec aucun des pays que le conducteur traverse. Abstractions faite de l’État membre de départ ou de destination, les travailleurs effectuant un transport bilatéral effectueraient le même travail que les travailleurs effectuant un transport tiers. L’État membre de départ ou de destination n’aurait aucune incidence sur le lien entre le conducteur et l’État d’accueil. En revanche, il existerait un rattachement évident à un territoire dans le cadre des opérations de cabotage.

940. Il n’y aurait aucune raison valable pour que le travailleur affecté à une opération de transport tiers bénéficie de meilleurs conditions de travail et d’une meilleure protection sociale tandis que celui affecté à une opération de transport bilatéral n’en bénéficierait pas. Le pays de départ ou de destination de la cargaison ne serait pas un critère pertinent pour appliquer aux conducteurs des niveaux différents de protection sociale.

–       Sur les effets négatifs disproportionnés

941. Plusieurs parmi les États membres requérants soutiennent que les dispositions en matière de détachement de conducteurs de la directive 2020/1057 sont contraire au principe de proportionnalité en ce qu’elles engendraient des effets négatifs disproportionnés par rapport aux avantages qu’elles présentent.

942. Ainsi, la République de Lituanie fait valoir que les règles relatives au détachement imposeraient aux transporteurs une charge administrative particulièrement lourde et injustifiée, qui découragerait la prestation de services dans d’autres États membres. En effet, lorsqu’il effectue des opérations de cabotage ou de transport tiers de courte durée, le prestataire de services est tenu s’adapter aux exigences de l’État membre du lieu de la prestation. Appliquer les règles relatives au détachement à chaque fois, du seul fait de la nature de l’opération, engendrerait une discrimination indirecte pour les entreprises de transport établies dans les États périphériques, découragerait la prestation de services à court terme et, en substance, restreindrait la concurrence. Cela affecterait surtout les PME, qui représenteraient 99 % de tout le marché du transport de l’Union. Il serait d’ailleurs probable que les PME cesseront de réaliser des opérations de cabotage et de transport transfrontalier ou qu’elles décideront de transférer leur activité dans les États membres situés au centre de l’Union ou autour de celui-ci. Jusqu’à l’adoption de la directive 2020/1057, il n’existait pas de charge administrative en la matière. Ainsi, il ne saurait être considéré que la directive 96/71 entraînait une charge administrative, car il n’y aurait eu aucune unanimité pour faire entrer les conducteurs dans le champ d’application de celle-ci.

943. La République de Bulgarie et la République de Chypre font valoir que l’application au transport tiers des règles sur le détachement aura un impact significatif et des effets néfastes sur les transporteurs concernés. En effet, les règles sur le détachement engendreront des coûts de main d’œuvre supplémentaires et surtout des coûts administratifs très significatifs qui ont trait au moins à deux aspects. Premièrement, ils incluent les coûts de mise en conformité avec les exigences administratives et les mesures de contrôle des divers États membres (et qui sont plus élevés que les coûts d’un détachement traditionnel). Deuxièmement, ils incluent des coûts liés à la documentation de chaque détachement et à l’application des règles de l’État d’accueil. Compte tenu de la multitude de pays et d’opérations de transport, ainsi que des divergences entre les législations nationales, il sera très compliqué pour le transporteur d’apprécier quand il y a détachement et quand il n’y en a pas.

944. Cette appréciation serait rendue encore plus compliquée car la directive 2020/1057 manque de clarté au regard de quelles règles sur le détachement il convient d’appliquer au transport tiers. Le calcul pour déterminer quels jours et pour quelle durée un conducteur a été détaché, que les transporteurs auront à effectuer en distinguant entre transport tiers et transport bilatéral et en comprenant puis en appliquant les diverses règles nationales de chaque État membre, constituerait une lourde charge pour ces transporteurs dont la majorité sont des PME. Ledit manque de clarté donnerait en outre naissance à des interprétations divergentes entre États membres, ce qui gonflera encore les charges administratives et les coûts. Le Comité européen des régions (564) ainsi que des études auraient averti sur le fait que les règles sur le détachement entraîneront une hausse des coûts administratifs des opérateurs (565).

945. La charge imposée aux transporteurs du trafic tiers serait si difficile à supporter qu’elle pourrait entraîner une réorientation vers d’autres types d’activité, une délocalisation dans des pays tiers, une réduction du chiffre d’affaires, voire même la faillite. Il serait par ailleurs probable que cette charge génère des inefficiences et aggrave l’impact environnemental. Elle risquerait en outre de fausser la concurrence, dans la mesure où la directive attaquée n’impose aucune obligation et ne s’applique pas aux transporteurs d’États non membres de l’Union.

946. La Roumanie fait également valoir que compte tenu des problèmes mentionnés aux points 931 à 933 ci-dessus tenant au respect du principe de sécurité juridique (les difficultés en termes d’identification de l’État membre d’accueil, de célérité et de souplesse), que la réglementation en cause est de nature à perturber la prestation de services de transport par les PME et à mettre à leur charge des obligations disproportionnées par rapport aux avantages pour les conducteurs

947. La République de Pologne soutient qu’à la suite de la mise en œuvre des dispositions en matière de détachement de conducteurs de la directive 2020/1057 les transporteurs devront supporter des coûts élevés. Ces coûts découlent, en premier lieu, de la nécessité d’ajuster la rémunération des conducteurs aux tarifs en vigueur dans les États traversés et, en deuxième lieu, des charges administratives.

948. En ce qui concerne, en premier lieu, la rémunération des conducteurs selon les informations figurant dans l’analyse d’impact – volet social, il existerait des différences fondamentales entre les États membres en ce qui concerne les niveaux de salaire des conducteurs. Compte tenu du fait que les coûts liés aux salaires représentent environ 30 % des coûts de fonctionnement des transporteurs, une modification aussi significative des salaires constituerait une charge immense pour les entreprises et serait déterminante pour leur compétitivité. En effet, comme l’indiquerait la Commission, dans ce secteur, la concurrence est principalement fondée sur les prix. Il convient également de remarquer que le marché des services de transport est dominé par les PMES qui ont un capital limité. Des dépenses aussi importantes pourraient donc dépasser les capacités financières de ces entreprises, ce qui conduirait, par conséquent, à leur faillite et à la hausse des pratiques illégales et du faux travail indépendant.

949. Rapportant ces coûts aux avantages des conducteurs, la République de Pologne indique que, comme l’aurait relevé la Commission, en ce qui concerne la lutte contre l’emploi illégal et la sous-évaluation des salaires, seuls les conducteurs passant plus de temps dans l’État qu’ils traversent verront leur situation s’améliorer. En effet, la courte durée de séjour des autres conducteurs empêchera un contrôle effectif. Partant, l’application de la règlementation de l’État de transit à leur égard devrait être considérée comme une exigence déraisonnable.

950. En ce qui concerne, en deuxième lieu, les charges administratives, celles-ci généreront des coûts supplémentaires. Malgré une application limitée aux conducteurs des exigences fixées par la directive 2014/67/UE, il serait nécessaire de produire et de traduire des documents supplémentaires pour chaque conducteur relevant des règles sur le détachement. Fait plus important, les transporteurs seraient contraints d’analyser en permanence les opérations de transport effectuées afin de déterminer la réglementation applicable. Si la règlementation applicable est celle de l’État de transit, il faudra la traduire et modifier les conditions d’emploi et de travail. Il ressortirait des calculs présentés par le secteur que les coûts administratifs liés à l’application de la règlementation de l’État d’accueil relative au salaire des conducteurs peuvent atteindre jusqu’à 14 000 EUR par an pour un seul transporteur. Ces coûts ne comprendraient même pas les frais liés aux contrôles et aux amendes éventuelles.

951. Le Conseil, le Parlement, ainsi que les parties intervenantes à leur soutien concluent au rejet de tous ces moyens.

ii)    Analyse

–       Observations liminaires

952. Il ressort de la jurisprudence mentionnée aux points 52 et suivants ci-dessus que, en l’occurrence, afin de pouvoir répondre aux moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité la Cour doit vérifier si le législateur de l’Union, en prévoyant, à l’article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, lu à la lumière des considérants 7 à 13 de cette directive, les règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier international, a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports (566), en optant pour des mesures qui sont manifestement inappropriées par rapport aux objectifs qu’il entendait poursuivre ou qui causeraient des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

953. À cet égard, je relève que la Cour a également reconnu que la réglementation, à l’échelle de l’Union, relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services relève d’un domaine où l’action du législateur de l’Union implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexe et que, ainsi, dans un tel domaine le dit législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation (567).

954. Avant de procéder à l’analyse de la proportionnalité, je dois encore observer, toujours à titre préalable, que, ainsi qu’il ressort du huitième considérant de la directive 2020/1057, mentionné au point 844 ci-dessus, les dispositions de cette directive concernant les règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs complètent les règles générales relatives au détachement de travailleurs, prévues par la directive 96/71. En excluant l’existence d’un détachement dans le cas de certains types d’opérations de transport et en reconnaissant l’applicabilité de cette directive dans certains autres cas, les règles de la directive 2020/1057, d’une part, limitent et, d’une autre, précisent, le champ dans lequel s’applique la directive 96/71. Par rapport aux règles contenues dans cette dernière directive, les règles de la directive 2020/1057 constituent ainsi une lex specialis. Dans ces conditions, ces règles doivent être analysées dans le contexte juridique et jurisprudentiel relatif à la directive 96/71 dans lequel elles s’inscrivent.

955. Dans ce cadre, il convient, en premier lieu, de relever que, ainsi qu’ exposé aux points 874 et suivants ci-dessus, dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging la Cour a, en substance, implicitement entérinée une approche en matière de détachement des conducteurs dans le secteur routier fondée sur une différentiation selon le type d’opération de transport, dans la mesure où elle-même a dans cet arrêt considéré la règlementation du détachement découlant de la directive 96/71 applicable de manière différente à types d’opérations de transport distincts en application du critère du « lien suffisant », développé dans sa jurisprudence antérieure et, en particulier, dans l’arrêt Dobersberger susmentionné.

956. En deuxième lieu, la Cour, dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, a déjà élaboré des critères spécifiques au regard de l’existence d’un « lien suffisant », au titre de la jurisprudence, pour certains types d’opération de transport. Ainsi, comme je l’ai relevé. aux points de 877 à 880 ci-dessus elle a jugé, d’une part, que ne saurait être regardé comme « détaché », au sens de la directive 96/71, un chauffeur qui, dans le cadre d’un transport routier de marchandises, transite sur le territoire d’un État membre ou effectue uniquement une opération de transport bilatérales et, d’autre part, que un chauffeur effectuant des opérations de cabotage, doit, en principe, être considéré comme étant détaché sur le territoire de l’État membre d’accueil au sens de la directive 96/71.

957. La Cour n’a, en revanche, pas élaboré de critères spécifiques au regard de l’existence d’un « lien suffisant » pour le deux autres types d’opérations de transport qui font l’objet de la réglementation prévue par la directive 2020/1057, à savoir le transport combiné et le transport tiers.

958. Or, bien que l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbewegingait été prononcé postérieurement à l’adoption de la directive 2020/1057, il découle de l’effet ex tunc des arrêts de la Cour (568) que la règlementation du détachement des chauffeurs internationales dans le cas du transit, des opérations de transport bilatérales et du cabotage aux termes de la directive 96/71 telle qu’interprétée par cet arrêt constitue la règlementation qui était en vigueur avant l’adoption de la directive 2020/1057.

959. Il s’ensuit, d’une part, que sauf quelques aspects – tels que les exemptions prévues à l’article 1er paragraphe 3, troisième et quatrième alinéas et paragraphe 4, troisième alinéa de la directive 2020/1057 –pour ces trois types de transport la directive 2020/1057 n’a pas modifié la réglementation du détachement des conducteurs par rapport à la situation existante sous l’empire de la directive 96/71.

960. D’autre part, et par conséquent, l’annulation des dispositions de la directive 2020/1057 concernant ces trois types de transport ne comporterait, en substance, – sauf quelques aspects – aucun changement au regard de la règlementation du détachement des conducteurs.

961. Or, en raison de l’antériorité de l’adoption de la directive 2020/1057 par rapport au prononcé de l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, il n’est pas possible, en l’espèce, de considérer – comme il est le cas pour l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, ainsi que je l’ai relevé au point 394 ci-dessus – que, en adoptant ladite directive le législateur de l’Union ait vraiment « codifié » le droit existant en ce qui concerne ces trois type d’opérations de transport international (569). Néanmoins, la Cour doit tenir compte dans son analyse de la proportionnalité des mesures en cause que la règlementation antérieure et celle subséquente à l’adoption de la directive en cause sont, au moins pour ces trois types d’opération de transport international, les mêmes.

962. Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 52 et suivants  et en ligne avec le point 952. ci-dessus, en l’occurrence, l’examen des moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité au regard de l’article 1er, paragraphes 3, 4, 5 et 7, de la directive 2020/1057, devra viser à vérifier si, en adoptant une mesure normative qui ne modifie pas, par rapport au droit existant, la réglementation du détachement des conducteurs en ce qui concerne  les opérations de transport bilatérales, le transit et le cabotage, le législateur de l’Union a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports en optant pour une mesure manifestement inappropriée par rapport aux objectifs qu’il entendait poursuivre ou qui causerait des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

963. C’est donc dans cette perspective qu’il convient d’examiner les différents moyens avancés par les États membres requérants visant à remettre en cause la proportionnalité de l’article 1er, paragraphes 3 à 7 de la directive 2020/1057.

–       Sur les objectifs des règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs, prévues par la directive 2020/1057

964. Pour pouvoir procéder à l’analyse des moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité, il convient, d’abord, de déterminer les objectifs poursuivis par la règlementation en cause, objectifs dont la légitimité n’est pas contestée par les États membres requérants.

965. Ainsi qu’il ressort des points 841 à 844 ci-dessus, et des considérants de la directive 2020/1057 y mentionnée, l'objectif général des règles en matière de détachement de transporteurs est de faciliter la libre prestation des services en déterminant de manière coordonnée quel est l'État membre dont les conditions de travail et d'emploi doivent s'appliquer à un travailleur se trouvant dans une situation transfrontière. L'objectif spécifique de la directive 2020/1057 est de tenir compte des particularités du secteur du transport routier en exemptant certaines catégories d'opérations des règles en matière de détachement tout en maintenant une protection appropriée pour les travailleurs. Ces objectifs doivent être apprécié à la lumière des aspects spéciaux du secteur des transports décrits précédemment.

966. Il ressort également desdits considérants que le cadre juridique du détachement est fondé sur un équilibre entre deux intérêts, à savoir, d'une part, garantir aux entreprises la possibilité de fournir des prestations de services au sein du marché intérieur en détachant des travailleurs de l'État membre où elles sont établies vers l'État membre où elles exécutent leurs prestations et, d'autre part, protéger les droits des travailleurs détachés. En adoptant la directive 2020/1057 le législateur de l’Union a essayé ainsi d’assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence qui ne soit pas fondée sur l'application, dans un même État membre, de conditions de travail et d'emploi d'un niveau substantiellement différent selon que l'employeur est ou non établi dans cet État membre.

–       Sur le caractère inapproprié du critère fondé sur le type d’opérations de transport

967. En ce qui concerne, tout d’abord, les arguments soulevés par les États membres requérants tirés du caractère inapproprié du critère fondé sur le type d’opérations de transport, je relève que le large pouvoir d’appréciation dont le législateur de l’Union dispose tant en matière de politique commune des transports (570), qu’en matière de réglementation, à l’échelle de l’Union, relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (571), couvre indubitablement également le choix du critère par lequel l’existence d’un « lien suffisant » avec le territoire d’un État membre est déterminé, dans le respect des critères indiqué par la Cour dans sa jurisprudence.

968. Or, chaque typologie de transport prise en considération dans l’article 1er, paragraphes 3 à 7 de la directive 2020/1057 présente un lien différent soit avec le territoire de l’État membre d’établissement du transporteur, soit avec le territoire d’un ou plusieurs États membres d’accueil. Ainsi, par exemple dans le cas du cabotage l’opération de transport se déroulant exclusivement sur le territoire d’un État membre d’accueil différent de l’État membre d’établissement, il est permis de considérer que l’exécution du travail par le chauffeur dans le cadre de telles opérations entretient un lien suffisant avec ce territoire. le lien suffisant (572). Dans le cas d’opération de transport bilatérale l’opération de transport a comme point de départ ou d’arrivée l’État membre d’établissement, alors que dans le cas du transit l’opération de transport se déroule sur l’Etat membre d’accueil, sans, toutefois, que le point de départ ou d’arrivé du transport se situe dans cet État, ce qui permet de considérer que le conducteur exerce des prestations de caractère limité sur le territoire de l’État membre dans lequel il est envoyé (573). Dans le cas d’opérations de transport non bilatérales (transport tiers) en revanche l’opération de transport se déroule entre deux États d’accueil ce qui permet de considérer que la prestation du conducteur n’ait aucune relation avec le territoire de l’État membre d’établissement du transporteur.

969. Ces considérations montrent, à mon avis, que, dès lors que chacune des différentes typologies d’opération de transport présente un lien différent avec le territoire soit de l’État membre d’établissement soit des États membres d’accueil, un critère qui se fonde sur la typologie de transport pour déterminer l’existence d’un « lien suffisant » entre la prestation de ce service et le territoire de l’État membre n’apparaît pas comme manifestement inapproprié. En plus, contrairement à ce que soutiennent certains des États membres requérants un tel critère, en différentiant la règlementation selon le lien entre la prestation et le territoire de l’État membre concerné, tient bien compte des spécificités de chacune de ces types de service de transport. Au lieu de se focaliser uniquement sur le territoire où le travailleur est présent, le législateur de l’Union a comparé le lien rattachant le type de service fourni à l'État membre d'accueil et le lien le rattachant à l'État membre d'établissement, afin de faciliter la prestation de ces services par les entreprises sans compromettre gravement la protection des droits des travailleurs dont bénéficient les conducteurs.

970. Il s’ensuit, à mon avis, que, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose dans ce domaine, le législateur de l’Union pouvait bien choisir un tel critère.

971. Par ailleurs, ainsi que je l’ai observé au point 955 ci-dessus, dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging  la Cour a, en substance, implicitement entérinée une approche en matière de détachement des conducteurs dans le secteur routier fondée sur une différentiation selon le type d’opération de transport. En effet, dans cet arrêt elle-même a interprété la règlementation du détachement découlant de la directive 96/71 comme applicable de manière différente à différent types d’opérations de transport en application du critère du « lien suffisant ».

972. En outre ainsi que je l’ai relevé au point 956 ci-dessus, la Cour, dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging a déjà élaboré des critères spécifiques au regard de l’existence d’un « lien suffisant » pour les opérations de transport bilatérales, pour le transit et pour le cabotage. Dans ces conditions les États membres requérants ne sauraient faire valoir que pour ces types d’opérations de transport le critère fondé sur le type d’opérations de transport serait inapproprié car il ne prendrait pas suffisamment en compte le lien réel entre le conducteur et le territoire de l’État concerné.

973. En ce qui concerne le transport combiné, même si la Cour n’a pas fourni d’indications spécifique quant à cette typologie d’opération de transport, dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging susmentionné la Cour a indiqué clairement qu’un  transport transfrontalier depuis l’État membre d’établissement de l’entreprise de transports jusqu’au territoire d’un autre État membre ou inversement ne relève pas du champ d’application de la directive concernant le détachement des travailleurs (574). Or, ce raisonnement couvre et donc s’applique bien, à mon avis, aux opérations mentionnés à l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 qui exclue désormais intégralement l’existence d’un détachement pour les trajets routiers initiaux ou finals d'une opération de transport combiné se composant, pris isolément, d’opérations de transport bilatérales.

974. En ce qui concerne les opérations de transport non bilatérales, j’ai relevé aux points 858 et 859 ci-dessus que, contrairement à ce qui est le cas pour les autres types d’opérations de transport susmentionnés, la directive 2020/1057 ne prévoit dans son article 1er aucun paragraphe qui règle normativement le détachement des conducteurs pour ce type d’opération de transport. Elle se borne à énoncer dans son treizième considérant que, dès lors que ce type d’opérations est caractérisé par le fait que le conducteur effectue un transport international en dehors de l’État membre d’établissement de l’entreprise d’envoi, les services fournis ont un lien avec les États membres d’accueil concernés plutôt qu’avec l’État membre d’établissement.

975. Par conséquent, la directive 2020/1057 clarifie seulement que dans les cas des opérations de transport tiers il y a toujours un détachement du conducteur, dans la mesure où, la prestation étant fournie en dehors de l’État membre d’établissement, il n’y a pas de lien suffisant avec cet État. Elle ne clarifie cependant pas de manière précise quelle sera la réglementation applicable au détachement, ou plus précisément avec quel parmi les États membres d’accueil concernés, la prestation aura un lien suffisant.

976. À cet égard je rappelle qu’il ressort de la jurisprudence qu’un considérant ne constitue pas, en soi, une norme juridique et n’a, partant, pas de valeur juridique propre, mais il permet d’éclairer l’interprétation qu’il convient de donner d’une règle de droit ou d’une notion juridique prévue par l’acte qui le contient (575). Il s’ensuit que l’État membre d’accueil avec lequel il existe un lien suffisant entre la prestation et son territoire et dont, ainsi, la législation sera applicable, doit être déterminé en appliquant les critères indiqués par la jurisprudence, telle qu’exposés au point 876 ci-dessus (576).

977. En ce qui concerne le transport tiers, il convient toutefois également de relever que le législateur a décidé de faciliter la conduite d'opérations de transport efficaces par les entreprises en excluant certaines opérations de transport tiers, liées à des opérations de transport bilatérales du champ d'application du régime de détachement, ainsi qu’il est prévu par les exemptions au sens de l’article 1er, paragraphe 3 troisième et quatrième alinéas et paragraphe 4, troisième alinéa de la directive 2020/1057. Pour toutes ces opérations de transport tiers il n’y a pas de détachement et donc les règles de l’État membre d’établissement du transporteur s’appliquent.

978. Il ressort des toutes les considérations qui précèdent que, en adoptant des règles sectorielles sur le détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier reposant sur l’existence d’un lien suffisant rattachant le conducteur et le service fourni au territoire d’un État membre qui se fondent sur un critère faisant la distinction entre les différents types d’opérations de transport en fonction du degré de rattachement au territoire de cet État membre, le législateur de l’Union, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose dans ce domaine, n’a pas appliqué un critère manifestement inappropriée par rapport aux objectifs qu’il entendait poursuivre par la réglementation en cause.

979. Cette appréciation ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par les États membres requérants.

980. En premier lieu, les États membres requérants font valoir l’existence d’autres critères ou paramètres plus appropriés que celui fondé sur le type d’opérations de transport pour déterminer les règles relatives au détachement des conducteurs.

981. À cet égard, pour ce qui est, premièrement, de l’argument de la République de Bulgarie et de la République de Chypre selon lequel une mesure appropriée et moins contraignante que l’utilisation du critère fondé sur le type d’opération de transport consisterait à exempter intégralement le transport international des règles en matière de détachement et aux conditions de travail et d’emploi dans l’État membre d’accueil ne permettrait pas de parvenir à un équilibre entre les différents intérêts en présence, en ce qu’une telle solution ne répondrait pas manifestement à l’objectif primaire de la directive 2020/1057 de la protection sociale des travailleurs, et ne contribuerait non plus à rendre la concurrence plus loyale d’assurer la libre prestation des services sur une base équitable, à savoir dans un cadre réglementaire garantissant une concurrence. Une telle solution avait par ailleurs été déjà considérée et écartée par la Commission pendant la procédure législative (577).

982. Pour ce qui est, deuxièmement, de l’utilisation d’un critère fondé sur la durée de séjour des conducteurs dans l’État d’accueil, il pourrait, en abstract, avoir été un critère qui le législateur de l’Union aurait pu considérer pour établir les règles sur le détachement des conducteurs. En fait, ainsi qu’il sera analysé plus dans le détail aux points 1024 et suivants ci-dessous, la Commission avait retenu ce critère dans la proposition de directive détachement.

983. Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 53 et 56 ci-dessus et de la jurisprudence y mentionnée, il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du législateur de l’Union dans l’exercice d’une compétence impliquant des choix de nature politique, économique et sociale et des appréciations complexes. En effet, il incombe à la Cour de vérifier si le législateur de l’Union a manifestement dépassé le large pouvoir d’appréciation qui lui revient s’agissant des appréciations et des évaluations complexes qu’il était appelé à effectuer, en optant pour des mesures manifestement inappropriées par rapport à l’objectif poursuivi. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle‑ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure.

984. Or, il ressort de l’analyse que j’ai développée aux points 967 à 978 ci-dessus que le critère fondée sur la typologie d’opération de transport utilisé par le législateur de l’Union dans la directive 2020/1057 n’est pas manifestement inapproprié par rapport aux objectifs que ce législateur entendait poursuivre par la réglementation en cause.

985. En outre, ainsi qu’il a été relevé dans l’analyse des autres actes du paquet mobilité (578), il revient au législateur, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports, de pondérer les différents objectifs et intérêts en jeu, en choisissant la mesure spécifique visant à améliorer les conditions de travail de conducteurs qu’il estime opportune, pour autant que cette mesure soit appropriée à atteindre les objectifs que le dit législateur entend poursuivre. La recherche de cet équilibre relève essentiellement d'une décision politique, aux fins de laquelle le législateur doit, ainsi que la Cour l'a déjà jugé, disposer d'un large pouvoir d'appréciation  (579).

986. Dans ces conditions même si d’autres mesures établissant les règles sur le détachement des conducteurs, telles que des mesures appliquant un critère fondé sur la durée de séjour des conducteurs dans l’État d’accueil auraient été envisageables, cela ne comporte pas une violation du principe de proportionnalité par le législateur de l’Union, dans la mesure où la mesure choisie par le législateur n’est pas manifestement inappropriée.

987. Il s’ensuit de ces considérations que toute les autres arguments soulevés par les États membres, y inclus ceux fondés sur des précédents dans la jurisprudence de la Cour (580) visant à démontrer que le critère fondé sur la durée serait plus approprié du critère finalement retenu dans la directive 2020/1057 sont inopérants et doivent ainsi être rejetés.

988. En deuxième lieu, certains États membres soutiennent que le critère fondé sur le type d’opération de transport serait inapproprié en ce qu’il créerait des incertitudes quant à l’identification de l’État membre d’accueil et, partant, de la législation applicable.

989. À cet égard j’observe toutefois, à titre général, que, ainsi qu’il ressort expressément du septième considérant, l’approche suivie par par le législateur visait à faciliter l’application des règles sectorielles sur le détachement des conducteurs. Dans cette perspective, en application dudit critère fondé sur le type d’opération de transport, la directive 2020/1057 exempte certaines opérations de transport de l’application de la directive 96/71 et a contrario, les opérations qui ne sont pas exemptées restent soumises à cette directive concernant le détachement des travailleurs.

990. Ainsi pour ce qui est des opérations de transport bilatérales, du transit et des parties des opérations de transport combinés telles que déterminées à l’aune de son article 1er, paragraphe 6, la directive 2020/1057 établie de manière claire qu’il n’y a pas de détachement du conducteur et que donc la loi de l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport trouve application. Pour ce qui est du cabotage, en revanche, la directive établit de manière claire qu’il y a détachement dans l’État membre d’accueil dans le territoire duquel le transport a lieu. Par conséquent la législation de cet État membre s’applique au détachement. Enfin pour ce qui est des opérations de transport non bilatérales (transport tiers), ainsi que je l’ai relevé aux points 858, 859 et 974 ci-dessus, la directive 2020/1057 clarifie qu’il y a détachement, mais ne spécifie pas dans quel État membre d’accueil le détachement a lieu. Cet État doit être déterminé au cas par cas sur la base d’une analyse fondée sur les critères développés dans la jurisprudence, ce qui revient à l’entreprise de faire.

991. Dans ce contexte, je ne relève aucune incertitude que la directive 2020/1057 créerait quant à l’identification de l’État membre concerné et, partant, de la législation applicable en ce qui concerne les opérations de transport mentionnés au point précèdent. Au contraire, la directive 2020/1057 a aboli l’incertitude due à l’application différentes dans les différents États membres des dispositions de la directive 96/71 avant l’adoption de la nouvelle réglementation.

992. La Roumanie et, surtout, la République de Pologne visent toutefois les exemptions établies aux troisième et quatrième alinéas du paragraphe 3 et le troisième alinéa du paragraphe 4 de l’article 1er de la directive 2020/1057.

993. À cet égard, pour ce qui est de la question de savoir à partir de quel moment s'appliquent les règles de détachement, je partage l’avis du Conseil selon lequel il ressort clairement du texte même de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057 que, lorsque plus d'une opération supplémentaire est réalisée au cours du voyage aller d'une opération bilatérale particulière, l'exemption pour les opérations bilatérales ne peut aucunement être appliquée par l'État membre concerné. Pour ce qui est des doutes concernant l’article 1er paragraphe 4, de la directive 2020/1057 force est de constater que la République de Pologne n’explique pas quels doutes elle a. En ce qui concerne la raison pour laquelle une seule opération supplémentaire est autorisée et non davantage, il s’agit d’un choix politique du législateur pour trouver un juste équilibre entre intérêts en cause, dans le cadre duquel ledit législateur a un large pouvoir d’appréciation comme indiqué, inter alia, au point 985 ci-dessus. Enfin, pour ce qui est de la raison pour laquelle une opération supplémentaire est autorisée dans le cadre d'un voyage bilatéral au départ de l'État membre d'établissement, mais que deux opérations le sont sur le trajet retour si aucune opération supplémentaire n'a été menée lors du voyage au départ de l'État membre d'établissement, le Conseil a expliqué qu’elle est liée à la possibilité de faire appliquer les règles visées au considérant 9. Lorsque le conducteur quitte l'État membre d'établissement, il est impossible aux autorités de contrôle de savoir combien d'opérations supplémentaires le conducteur effectuera ensuite sur le trajet retour. Cependant, pendant le voyage de retour, les autorités de contrôle peuvent savoir ce qu'a fait le conducteur auparavant

994. En troisième lieu, la Roumanie fait valoir que la directive 2020/1057 aurait des conséquences directes sur le marché et serait susceptible de décourager certaines activités de transport.

995. À cet égard, ainsi que je l’ai relevé aux points 841 à 844 et 964 à 966 ci-dessus, l’objectif déclaré de la directive 2020/1057 est celui d’atteindre un juste équilibre afin de garantir des conditions de travail et une protection sociale satisfaisantes aux conducteurs, d’une part, et des conditions adéquates pour les entreprises et de concurrence loyale pour les transporteurs par route, d’autre part. Il en résulte qu’en garantissant une protection accrue des travailleurs détachés, la directive 2020/1057 tend à assurer l’accomplissement de la libre prestation des services au sein de l’Union dans le cadre d’une concurrence qui ne dépende pas de différences excessives dans les conditions de travail et d’emploi appliquées, dans un même État membre, aux entreprises de différents États membres.

996. Dans un tel contexte, la validité de ladite directive 2020/1057 ne saurait être remise en cause au motif que le législateur de l’Union n’aurait pas favorisé certaines activités sur le marché au détriment de la réduction de la protection sociale des travailleurs. En effet, ainsi que je viens de le relever au point 985 ci-dessus, une telle mise en balance relève entièrement du pouvoir discrétionnaire dont le législateur de l’Union dispose en l’espèce.

–       Sur le caractère inapproprié et non nécessaire du « modèle hybride » pour contribuer aux objectifs poursuivis

997. En ce qui concerne les moyens et arguments avancés par la République de Bulgarie et la République de Chypre au regard du caractère inapproprié et non nécessaire du « modèle hybride » pour contribuer aux objectifs poursuivis par la directive, je me réfère tout d’abord aux considérations exposées, inter alia, au point 985 ci-dessus, desquelles il ressort, d’une part, qu’il revient au législateur de l’Union de pondérer les différents objectifs et intérêts en jeu, en choisissant la mesure spécifique appropriée pour trouver un juste équilibre entre ces objectifs et intérêts, et d’autre part, que la recherche de cet équilibre relève d’un choix politique sur lequel le législateur dispose d’un large marge d’appréciation.

998. À cet égard, j’ai déjà relevé au point 60 ci-dessus, que le législateur doit trouver un équilibre entre les différents intérêts en se fondant sur la situation qui prévaut dans l'ensemble de l'Union, et non sur la situation particulière d'un seul État membre. De plus j’ai égalent relevé aux points 219 et 220 ci-dessus qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter un acte législatif, notamment dans le secteur de la politique commune des transports, à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances, eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 TFUE, parmi lesquels figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate (581).

999. En particulier, la Cour a déjà reconnu à cet égard que, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, au premier rang desquelles figurent les élargissements successifs de l’Union, le législateur de l’Union était en droit d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services (582).

1000.  Dans cette perspective, en ce qui concerne l'allégation selon laquelle les transporteurs routiers des États membres situé à la périphérie de l’Union seraient davantage affectés par les règles en matière de détachement des conducteurs adoptées dans la directive 2020/1057, le régime de détachement s'appliquera plus fréquemment aux entreprises qui détachent plus souvent des travailleurs pour fournir des services qui n'ont pas de lien de rattachement avec le territoire de l'État membre d'établissement. Les mesures de l'Union ont inévitablement des effets inégaux dans les différents États membres et sur les différents opérateurs économiques, en fonction des choix opérés par ces derniers quant à l'orientation de leurs activités commerciales et leur lieu d'établissement. Les règles en question s'appliquent toutefois de façon égale à tous les États membres.

–       Sur les effets négatifs disproportionnés

1001. Plusieurs parmi les États membres requérants soutiennent que les dispositions en matière de détachement de conducteurs de la directive 2020/1057 sont contraire au principe de proportionnalité en ce qu’elles engendraient des effets négatifs disproportionnés par rapport aux avantages qu’elles présentent. Ces États membres considèrent, d’une part, les coûts découlant de la mise en conformité avec la nouvelle législation (tel que la nécessité d’ajuster la rémunération des conducteurs aux tarifs en vigueur dans les États traversés) et, d’autre part, les coûts liés aux charges administratives.

1002. À cet égard, je relève toutefois que, en ce qui concerne les opérations de transport bilatérales le transit et le cabotage la directive 2020/1057 ne saurait être qualifiée de source d’un cadre réglementaire nouvellement créé et plus lourd. En effet, ainsi qu’il ressort du point 959 ci-dessus, la réglementation du détachement correspond à celle qui était déjà en vigueur avant l’adoption de la directive 2020/1057. Dans ces conditions, pour ces types de transport on ne saurait faire valoir que les charges pesant sur les opérateurs seraient augmentées de quelques manière car, au plus, elles résultaient déjà de la directive 96/71 elle-même, bien avant l’adoption de la directive 2020/1057.

1003. En ce qui concerne ensuite la réglementation prévue à l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, au regard du transport combiné, il s’agit d’une exemption de l’application des règles de la directive 96/71, pour les trajets y mentionnés, qui normalement tomberaient dans le champ d’application de la directive 96/71. Il s’ensuit qu’également cette disposition ne saurait engendrer des couts additionnels en relation avec le détachement des conducteurs par rapport à la discipline antécédente.

1004. En ce qui concerne les opération de transport non bilatérales, je relève que, s’il est vrai que, ainsi qu’il ressort du point 975 ci-dessus, la directive 2020/1057 clarifie qu’il y aura, en principe, un détachement du conducteur, cette directive prévoit aux troisième et quatrième alinéas du paragraphe 3 et le troisième alinéa du paragraphe 4 de l’article 1er, des exemptions pour toute une série d’opérations de transport tiers liées à une opération de transport bilatérale.

1005. En outre, il convient de relever que l’abolition de l’incertitude due à l’application différentes dans le différents États membres est susceptible de réduire en général les couts des entreprises. Par ailleurs, le législateur a également adopté des règles administratives spéciales, moins lourdes, pour tous les types d'opérations de transport qui contribuent à réduire les charges pesant sur les transporteurs routiers qui détachent des conducteurs par comparaison avec le cadre juridique applicable avant l’adoption de la directive 2020/1057.

1006. En tout état de cause , les États membres en question n’ont pas démontré que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 59 ci-dessus, les inconvénients pour les entreprises de transport, découlant de la réglementation prévue par la directive 2020/1057 pour le transport tiers, seraient sans commune mesure avec les avantages qu’il présente par ailleurs. 

1007. En conclusion, eu égard à toutes les considérations qui précèdent, j’estime qu’il y a lieu de rejeter tous les moyens tirés de ce que en adoptant l’article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, lu à la lumière des considérants 7 à 13 de cette directive, qui prévoit les règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier international, le législateur de l’Union aurait manifestement dépassé son large pouvoir d’appréciation.

2)      Sur les moyens relatifs à l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité

i)      Arguments des parties

1008. Tous les six États membres qui ont attaqué la directive 2020/1057 contestent l’examen effectué par le législateur de l’Union de la proportionnalité et, en particulier, l’absence d’une analyse d’impact concernant la version finale des dispositions établissant des règles spécifiques relative au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier contenues à l’article 1er, paragraphes de 3 à 7 de ladite directive.

1009. La République de Lituanie soutient que l’adoption de l’article 1er, paragraphes 3 et 7, de la directive 2020/1057 est entachée d’une violation de formes substantielles en ce que les effets de ces dispositions n’auraient pas été dument évalués. À cet égard, cet État membre se réfère à l’article 11, paragraphe 3, TUE, aux articles 2 et 5 du protocole no 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, ainsi qu’à l’accord interinstitutionnel.

1010. Dans sa proposition de directive détachement, la Commission aurait suggéré, parmi les critères les plus pertinents concernant le détachement de travailleurs, la durée du séjour dans un autre État membre. Toutefois, le Parlement et le Conseil auraient attribué la priorité à la nature de l’opération de transport, proposant ainsi des critères substantiellement nouveaux et modifiant, par conséquent, substantiellement l’essence même des dispositions concernées. Lesdites institutions auraient dû, dès lors, effectuer une analyse d’impact et exposer les raisons pour lesquelles les nouveaux critères proposés constituaient une mesure plus appropriée que celle qui figurait dans la proposition de directive.

1011. En l’espèce, il n’y aurait pas eu de raisons objectives de ne pas réaliser d’analyse d’impact et que les institutions de l’Union n’auraient pas motivé leur décision de ne pas réaliser une telle analyse. À cet égard, la République de Lituanie souligne qu’elle conteste les dispositions en question non pas parce que le législateur de l’Union n’a pas effectué d’analyse d’impact supplémentaire, mais parce que l’impact de ces dispositions n’a pas été analysé du tout.  

1012. Selon la République de Lituanie, le caractère approprié et nécessaire des analyses d’impact ne saurait être interprété comme relevant d’une appréciation absolument subjective, dépendant exclusivement de la volonté du législateur de l’Union. Au contraire, cette appréciation devrait être fondée sur des données objectives existantes, dès lors que ce serait le seul moyen de garantir que le législateur de l’Union n’abuse pas de son pouvoir d’appréciation.

1013. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent qu’en adoptant les modèle hybride dans l’absence de toute analyse d’impact, le Parlement et le Conseil ont violé le principe de proportionnalité. En effet, lesdites deux institutions n’auraient disposé d’aucune analyse d’impact, alors même que celle‑ci aurait été demandée à plusieurs reprises par des États membres, ni d’aucune autre information qui aurait pu confirmer que la mesure était proportionnelle. La proposition initiale de directive détachement de la Commission aurait prévu une approche fondamentalement différente en matière de détachement de travailleurs.

1014. La Roumanie soutient que, en l’espèce, la solution consistant à se rapporter au critère de la typologie de l’opération de transport afin d’identifier les hypothèses de mise en œuvre du régime de détachement dans le domaine des transports par route n’aurait pas fait l’objet de l’analyse d’impact effectuée par la Commission et ne serait pas fondée sur un rapport, une analyse ou des données scientifiques. Aucun rapport ni aucune analyse de ce type n’auraient été invoqués, communiqués ou débattus durant les négociations.

1015. Selon la Roumanie, afin de respecter le principe de proportionnalité, le législateur de l’Union aurait dû fonder son choix législatif sur des analyses, rapports et évaluations visant spécifiquement la détermination des conditions dans lesquelles le régime de détachement peut être appliqué aux conducteurs, dans le domaine des transports par route, y compris le critère de l’opération de transport qui a été choisi, dans la mesure où des tels documents analysant exclusivement la nécessité d’une intervention législative en matière de détachement seraient insuffisants. En effet, l’identification des solutions nécessaires et appropriées pour lutter contre les déficiences constatées ne sauraient se fonder uniquement sur une évaluation de la situation préexistante du marché des transports. Il conviendrait également de procéder à une évaluation réelle et exhaustive des conséquences attendues des mesures envisagées.

1016. Dans ce contexte, des évaluations et données scientifiques seraient d’autant plus importantes, compte tenu des spécificités de la matière et des difficultés en termes d’établissement d’un lien suffisant avec l’État membre d’accueil. De plus, les colégislateurs auraient pu, conformément au point 15 de l’accord interinstitutionnel, effectuer des analyses d’impact des modifications substantielles qu’ils apportaient à la proposition de la Commission, notamment le nouveau critère d’identification des cas de détachement dans le domaine des transports. À cet égard, le simple fait que l’approche du législateur garantirait, selon la Commission, le même objectif que sa proposition ne pallierait pas l’absence de l’analyse d’impact qui aurait dû être effectuée. L’objectif poursuivi par un acte législatif de l’Union serait une question distincte de la recherche des mesures aptes à assurer la réalisation dudit objectif, ainsi que de l’appréciation des effets que de telles mesures sont susceptibles de produire.

1017. La Hongrie fait valoir que l’absence d’analyse d’impact en ce qui concerne le détachement dans le cadre des opérations de transport combinée réglé par l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 est constitutive d’une erreur manifeste d’appréciation du législateur de l’Union et d’une violation du principe de proportionnalité. La proposition de directive détachement de la Commission n’aurait pas porté sur les opérations de transport combiné et les règles relatives à ces opérations auraient été introduites à la suite de l’accord du Conseil et du Parlement, sans que leurs effets sur le transport de marchandises intermodal n’aient été examinés par ces institutions. En outre, la Commission aurait, dans une communication du 15 avril 2020 (583), estimé que les restrictions applicables aux opérations de transport combiné poseraient problème, notamment du fait que ces restrictions pourraient réduire l’efficacité du soutien aux opérations de transport de marchandises multimodal.

1018. La République de Pologne observe également que, en ce qui concerne les effets des dispositions contenues à l’article 1er paragraphes 3, 4, 6 et 7 de la directive 2020/1057 qu’elle attaque, l’analyse d’impact – volet social concernait des mesures fondées sur un critère temporel. En revanche, les effets des mesures qui ont été finalement adoptées n’auraient pas été évalués. Dès lors, selon cet État membre, il ne saurait être soutenu que les décisions du législateur de l’Union sont fondées sur des données objectives et que ce dernier était en mesure d’analyser leurs conséquences de manière rationnelle.

1019. Selon la République de Pologne, en l’espèce, le législateur de l’Union ne se trouvait pas dans une situation particulière nécessitant de faire l’économie d’une analyse d’impact complémentaire et ne disposait pas de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité des mesures finalement adoptées. Rien n’indiquerait que le Conseil et le Parlement disposaient des données nécessaires permettant d’apprécier les effets que les dispositions attaquées exerceraient sur l’environnement, sur la situation économique des différents transporteurs et sur le secteur du transport routier dans son ensemble.

1020. Le Conseil, le Parlement, ainsi que les parties intervenantes à leur soutien concluent au rejet de tous ces moyens.

ii)    Analyse

–       Observations liminaires

1021. À titre liminaire, je dois relever que, ainsi que je l’ai rappelé au point 61 des présentes conclusions, il ressort de la jurisprudence que la question de savoir si le législateur a pris en considération tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que l’acte a entendu régir et s’il devait effectuer ou compléter une analyse d’impact relève du principe de proportionnalité. Il s’ensuit que le moyen soulevé par la République de Lituanie tiré de la violation des formes substantielles vise, en réalité, à faire valoir une violation du principe de proportionnalité et doit dès lors être examiné dans le cadre de l’analyse des moyens relatifs à la violation de ce principe.

1022. Ensuite, il convient de relever que, en l’occurrence, il est constant que le législateur de l’Union disposait bien d’une analyse d’impact lorsqu’il a adopté la directive 2020/1057 et que cette analyse d’impact couvrait l’introduction de dispositions établissant des règles spécifiques relative au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier (584). C’est ainsi que la proposition de directive détachement adoptée par la Commission contenait dans son article 2 des dispositions instaurant des règles spéciales pour le détachement des conducteurs dans ce secteur.

1023. Toutefois, dans la version finale de ces dispositions – notamment dans les paragraphes de 3 à 7, de l’article 1er, de la directive 2020/1057 qui font l’objet des présents recours – le législateur de l’Union a adopté des règles qui étaient différentes par rapport à celles contenues dans la proposition de directive détachement de la Commission. À cet égard, il est également constant que la version finale de ces dispositions n’a pas fait objet d’aucun complément d’analyse d’impact spécifique.

1024. Plus précisément, dans la proposition de directive détachement et spécifiquement à l’article 2, paragraphe 2 de celle-ci (585), la Commission avait proposé, un système dans le cadre duquel, en partant de la prémisse que la directive 96/71 s’appliquait au secteur du transport routier, deux des neuf éléments des conditions de travail et d'emploi de l'État membre d'accueil énumérés à l'article 3, paragraphe 1, de ladite directive 96/71 (586) – à savoir la durée minimale des congés annuels payés et la rémunération – ne s'appliqueraient pas aux détachements de moins de trois jours par mois lorsque les conducteurs effectueraient des opérations de transport international au sens du règlement 1072/2009 et 1073/2009.

1025. Selon ladite proposition, les périodes inférieures à trois jours auraient continué, cependant, de constituer un détachement auquel s'appliqueraient les autres sept éléments énumérés à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 et, en particulier, les exigences administratives, notamment la présentation d'une déclaration de détachement préalablement au détachement.

1026. Les opérations de cabotage étant exclues de la notion d’« opérations de transport international », puisque toute l’opération de transport se déroule dans un État membre d’accueil, ces opérations auraient dû, selon la proposition de la Commission, être couvertes intégralement par les règles de détachement prévues dans la directive 96/71. En conséquence, selon ladite proposition, le taux de salaire minimal et la durée minimale des congés payés annuels en vigueur dans l’État membre d’accueil auraient dû s’appliquer au cabotage, quelles que soient la fréquence et la durée des opérations effectuées par un conducteur.

1027. Il ressort de l’analyse de la réglementation spécifique relative au détachement des conducteurs contenue dans la proposition de la Commission, premièrement, que cette proposition préconisait un critère différent par rapport à la directive 2020/1057 pour déterminer l’applicabilité des règles en matière de détachement aux conducteurs dans le secteur du transport routier. En effet, alors que la proposition de directive utilisait un critère temporel fondé sur la durée du détachement, la directive 2020/1057 ne se réfère pas à la durée, mais elle applique un critère fondé exclusivement sur le type d’opérations de transport.

1028. Deuxièmement, alors que la directive 2020/1057, ainsi qu’il ressort des points 846 à 859 ci-dessus, exclut l’existence même d’un détachement et ainsi l’application des règles en matière de détachement pour certains types d’opérations de transport de (à savoir, les opérations de transport bilatérales, les opérations de transit et certaines opérations de transport tiers liées à une opération de transport bilatérale, ainsi que le trajet routier dans le cadre d’une opération de transport combiné aux termes du paragraphe 6 de l’article 1 de ladite directive), selon la proposition de directive détachement de la Commission, toute opération de transport international aurait donné lieu à un détachement. En application du critère temporel susmentionné, seule la règlementation de l’État membre d’accueil en matière de durée minimale des congés annuels payés et de rémunération – les susmentionnés deux des neufs éléments énumérés à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 – ne se serait pas appliquée si la période de détachement était inférieure ou égale à trois jours (587). Toutes les autres sept éléments énumérés audit paragraphe se seraient appliquées à toute opération de transport international.

1029. Troisièmement, en ce qui concerne le transport de cabotage, tant la proposition de directive détachement de la Commission, que la version finale de la directive 2020/1057 prévoient l’applicabilité intégrale de la réglementation en matière de détachement prévue par la directive 96/71. Pour ce type d’opération de transport, en ce qui concerne le détachement, il n’y a donc pas de différence entre la réglementation contenue dans la proposition de directive détachement, et celle adoptée dans la version finale de la directive 2020/1057.

–       Sur l’absence d’un complément d’analyse d’impact pour la version définitive des dispositions relatives au détachement de conducteurs de la directive 2020/1057

1030. C’est dans le contexte exposé aux points précédents qu’il convient de vérifier, à la lumière des griefs avancés dans les moyens soulevés par les États membres requérants, ainsi que de la jurisprudence mentionnée aux points 71 à 74 des présentes conclusions, si le législateur de l’Union a, en l’occurrence, violé le principe de proportionnalité en raison de l’absence d’un complément d’analyse d’impact sur la version finale des dispositions établissant des règles spécifiques relative au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier, finalement retenue dans la directive 2020/1057.

1031. À cet égard, tout d’abord, doivent, à mon avis, être rejetés les griefs soulevés par la République de Lituanie et la République de Pologne, – seuls États membres qui contestent l’article 1er paragraphe 7, de la directive 2020/1057 – tirés de ce que, s’agissant du transport de cabotage, le législateur de l’Union n’aurait pas réalisé d’analyse d’impact et n’aurait pas disposé des données nécessaires pour apprécier les effets de ladite disposition. En effet, ainsi que je l’ai mentionnée au point 1029 ci-dessus, il n’y a pas de différence au regard de ce type de transport entre la règlementation du détachement des conducteurs contenue dans la proposition de directive détachement de la Commission, qui était fondée sur l’analyse d’impact – volet social et celle finalement retenue dans la directive 2020/1057. Dans ces conditions, les deux dits États membres ne sauraient faire valoir une omission de complément d’analyse d’impact en ce qui concerne le cabotage.

1032. Ensuite, se pose la question de vérifier si, le législateur de l’Union était tenu d’effectuer un complément d’analyse d’impact en raison du fait que, ainsi que je l’ai relevé au point 1027 ci-dessus, la version définitive de la directive 2020/1057 a finalement retenu un critère diffèrent par rapport à la proposition de directive détachement pour déterminer l’applicabilité des règles en matière de détachement aux conducteurs dans le secteur du transport routier. Dans ce cas, en ayant adopté ladite directive en l’absence d’un tel complément d’analyse d’impact, ledit législateur aurait violé le principe de proportionnalité.

1033. À cet égard, je relève, à titre liminaire, que, comme je l’ai rappelé aux points 66 et 70 ci-dessus il ressort de la jurisprudence qu’une analyse d’impact effectuée par la Commission, ne lie ni le Parlement ni le Conseil. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le Parlement et le Conseil, en leur qualité de colégislateurs, sont libres, conformément à l’article 294 du TFUE et dans les limites imposées par le respect du droit d’initiative de la Commission, de parvenir à une appréciation différente de la situation de celle retenue par cette dernière institution et, partant, d’adopter une position politique différente dans le cadre du procès d’adoption d’un acte législatif de l’Union. Il s’ensuit que, même lorsque le Parlement et le Conseil, s’écartant de la proposition de la Commission et de l’analyse d’impact qui la sous-tende, modifient des éléments substantiels de cette proposition, le fait qu’ils n’ont pas procédé à une actualisation de l’analyse d’impact ne comporte pas automatiquement et nécessairement l’invalidité de la législation de droit de l’Union adoptée. Cela est confirmé par ailleurs par le point 15 de l’accord interinstitutionnel , duquel il ressort, ainsi que je l’ai relevé au point 66 ci-dessus, que le Parlement et le Conseil peuvent eux-mêmes, lorsqu’ils le jugent approprié et nécessaire, effectuer des analyses d’impact des modifications substantielles qu’ils apportent à une proposition de la Commission (588).

1034. Néanmoins, ainsi que je l’ai rappelé au point 71 ci-dessus, un exercice effectif du pouvoir d’appréciation par le législateur de l’Union suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir.

1035. Or, les États membres requérants font, en substance, valoir que le législateur aurait dû effectuer un complément d’analyse d’impact, d’une part, pour évaluer le caractère approprié du nouveau critère, finalement retenu, fondé sur le type d’opération de transport et, d’autre part, pour évaluer les effets attendus des mesures envisagées en application de ce nouveau critère.

1036. En ce qui concerne, premièrement, l’éventuelle nécessité d’un complément d’analyse d’impact pour évaluer le caractère approprié du nouveau critère, je ne crois pas que, en l’espèce, le législateur de l’Union ait été tenu d’effectuer un tel complément à cet égard.

1037. En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort des points 42 et 953 des présentes conclusions, pour l’adoption de règles spécifiques relative au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier, le législateur de l’Union disposait d’une large marge d’appréciation pour adopter le choix politique qui permettrait de pondérer les différents objectifs et intérêts en jeu, notamment afin d’établir un équilibre entre la protection sociale de conducteurs et la libre prestation de service de transport transfrontalier pour les entreprise de transport Dans ce cadre, il disposait ainsi également d’une large marge d’appréciation dans le choix du critère qu’il estimait le plus adéquat à cette fin et sur la base duquel, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 872 et suivants des présentes conclusions, il serait possible de déterminer l’existence d’un « lien suffisant » avec le territoire de l’État membre concerné afin d’établir l’existence d’un détachement d’un conducteur.

1038. Or, il ressort des points 967 à 996 ci-dessus que le critère fondé sur le type d’opération de transport n’est pas manifestement inapproprié pour déterminer l’existence d’un tel « lien suffisant » et pour atteindre les objectifs poursuivis par la directive 2020/1057.

1039. Par ailleurs, je relève que, en excluant explicitement le cabotage de l’application des règles sectorielles spécifiques concernant le détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier, la proposition de directive détachement de la Commission effectuait elle-même une différenciation entre types d’opération de transport aux fins de l’applicabilité de ces règles. Le critère fondé sur le type d’opération de transport retenu dans la directive 2020/1057 n’apparaît ainsi pas si nouveau par rapport à la proposition de directive que le soutiennent les États membres requérants.

1040. En ce qui concerne, deuxièmement, l’éventuelle nécessité d’un complément d’analyse d’impact pour évaluer les effets attendus des mesures envisagées en application de ce critère nouveau, il convient tout d’abord de relever que l’analyse d’impact – volet social contenait une analyse qui, contrairement à ce que soutiennent certains États membres, ne se bornait pas à expliquer pourquoi l’initiative législative de la Commission était nécessaire. Elle contenait, en revanche, également des calculs et des estimations de l’impact quantitatif en termes de coûts de la proposition de la Commission fondé sur le critère temporel et, spécifiquement sur la durée de trois jours du détachement mentionnée aux points 1024, 1025 et 1027 précédents (589). En particulier, la dite analyse d’impact effectuait une différenciation entre « coûts administratifs », tels que les coûts concernant les notifications de détachement, et « coûts de mise en conformité », tels que le coûts découlant de la nécessité de payer la rémunération applicable dans l'État membre d’accueil (590).

1041. Or, ces calculs et estimations figurant dans l’analyse d’impact se fondaient sur un scénario économique de référence dans lequel, en application de la réglementation telle que prévue dans la proposition de directive détachement, toutes les opérations de transport transfrontalier (y compris les opérations de transport bilatérales, le transit et toutes les opérations de transport tiers) seraient traitées de la même manière du point de vue juridique et relèveraient de la directive 96/71. Donc, ainsi qu’il a été observé au point 1028 ci-dessus, la proposition de directive détachement préconisait un système dans lequel toute opération de transport international aurait donné lieu à un détachement.

1042. Par rapport à ce scénario de référence pris en considération dans l’analyse d’impact, d’une part, la réduction des coûts administratifs semble être liée fondamentalement aux mesures qui, par dérogation à la directive 2014/67, réduisent les exigences administratives en ce qui concerne le détachement des conducteurs et facilitent les notifications de détachement (591). Or, ces mesures étaient contenues dans la proposition de directive (592) et ont été, en substance, reprises dans la directive 2020/1057 (593). De plus, ainsi que le fait valoir le Conseil, l'utilisation du système d'information du marché intérieur, prévu dans ladite directive permettrait même de réduire davantage les coûts administratifs dans le cadre par rapport au système prévu dans la proposition de directive détachement de la Commission (594).

1043. D’autre part, ainsi que je l’ai relevé au point 1028 ci-dessus dans le système prévu par la directive 2020/1057 le législateur de l’Union, en application du critère fondé sur le type de transport, a intégralement exclu plusieurs opérations de transport international de l’application du régime de détachement prévu par la directive 96/71 et des exigences administrative prévues par la directive 2014/67. Ces exclusions comportent que les coûts, tant administratifs que de mise en conformité découlant de l’application du régime de détachement ne seraient plus engendrée pour ces types d’opération de transport international. En particulier, ni une notification de détachement n’est plus du tout nécessaire pour ce types d'opération de transport international ni d’autres coûts de mise en conformité sont engendrés, dès lors que dans aucun cas la législation de l’État d’accueil trouvera application pour ces opérations de transport international.

1044. Ainsi, en ce qui concerne ces types d’opérations de transport (mentionnés au point 1028 ci-dessus) la directive 2020/1057 donne indubitablement lieu à une réduction intégrale des coûts de détachement par rapport à la proposition de directive détachement de la Commission, qui prévoyait que toute opération de transport international, et donc toutes ces opérations de transport désormais exclues dans le cadre de la directive 2020/1057, aurait donné lieu à un détachement et qui exemptait les opérations de transport d'une durée inférieure à un certain seuil seulement de certains éléments des règles applicables aux travailleurs détachés.

1045. Certes, en ce qui concerne les opérations de transport tiers qui ne sont pas liées à une opération bilatérale le fait que la directive 2020/1057 ne prévoit plus comme la proposition de directive de la Commission en cas de durée du détachement inferieur ou égale à trois jours une exemption de l’application de la règlementation de l’État membre d’accueil en matière de durée minimale des congés annuels payés et de rémunération, donnera dans certains cas lieu à une augmentation des coûts, notamment de mise en conformité, par rapport au système prévu par la proposition de directive détachement de la Commission (595).

1046. Toutefois, les États membres requérants n’ont fourni aucun élément – ni, à dire vrai, d’argument – qui serait en mesure de montrer de quelques manières qu’une éventuelle augmentation des coûts pour ce type d’opérations de transport aurait été susceptible de contrebalancer ou compenser les réductions de coûts, mentionnées au point 1044 ci-dessus découlant de l’application de la directive 2020/1057 aux autre types de transport et que ainsi il y aurait eu un risque que les inconvénients résultant du choix normatif opéré par le législateur de l’Union soient disproportionnés par rapport à ses avantages (596), de sorte que un complément d’analyse d’impact à cet égard se serait imposé.

1047. Par ailleurs, les institutions de l’Union se réfèrent à toute une série de documents et informations relevant du domaine public, tels que des données par Etat membres publiés par Eurostat qui en complément de l’analyse d’impact, permettaient d’estimer les effets et le couts découlant de l’application de la réglementation revue dans la directive 2020/1057 tels que des estimations de la proportion des marchandises faisant l’objet d’opérations bilatérales ou d’opérations de transport tiers ou permettant d’estimer les écarts de salaire entre différents États membres (597).

1048. En ce qui concerne spécifiquement la prétendue absence d’analyse d’impact au regard des règles de détachement dans les opérations de transport combiné contenues à l’article 1er , paragraphe 6, de la directive 2020/1057 et visées par le recours de la Hongrie, et également par la Roumanie te la République de Pologne, il convient tout d’abord de relever que la réglementation contenue dans la proposition de directive détachement de la Commission ne comprenait pas de règles spécifiques concernant le transport combiné.

1049. Toutefois, il ressort du dossier que, dans le cadre du procès législatif, à la suite de questions posées par des délégations au sein du Conseil, la Commission a précisé que « le trajet routier initial ou final faisant partie intégrante d'une opération de transport combiné peut être considéré comme une opération de transport international au sens de l'article 2, paragraphe 2, de la proposition [de directive détachement]. Toutefois, afin de garantir une clarté juridique suffisante, il convient de préciser davantage la manière dont le trajet routier d'une opération de transport combiné devrait être traité dans le contexte de la lex specialis sur le détachement dans le secteur du transport routier. » (598).

1050. Il s’ensuit de cette clarification de la Commission, d’une part que ces trajets relevaient des règles de détachement prévues dans la proposition de directive détachement. D’autre part, il s’ensuit que, dans le système de la proposition de directive détachement, lesdits trajets routiers initiaux ou finals d'une opération de transport combiné se composant, pris isolément d’opérations de transport bilatérales, auraient été donc, considérés comme toute les autres opérations de transport, qui, ainsi qu’il ressort des points 1024, 1025 et 1028 ci-dessus, auraient donné lieu à un détachement, dans le cadre duquel seule la réglementation de l’État membre d’accueil en matière de durée minimale des congés annuels payés et de rémunération ne s'appliqueraient pas en cas de détachement de durée inférieure ou égale à trois jours par mois.

1051. Or dès lors que, l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 exclue désormais intégralement l’existence d’un détachement pour les trajets routiers initiaux ou finals d'une opération de transport combiné se composant, pris isolément d’opérations de transport bilatérales, tout comme pour les autres types d’opérations de transport (mentionnés au point 1028 ci-dessus) la directive 2020/1057 donne également lieu à une réduction intégrale des coûts de détachement par rapport à la réglementation contenue dans la proposition de directive détachement de la Commission. Dans la mesure où pour ces opérations de transport il n’y a plus de détachement, il n’y aura non plus de couts liés au détachement. Dans cette perspective, il ne saurait être soutenu que le législateur de l’Union aurait violé le principe de proportionnalité en n’effectuant pas un complément d’analyse d’impact spécifique pour ledit type d’opération de transport.

1052. Par ailleurs le Parlement et le Conseil font valoir que disposait d'un nombre important d'informations sur le transport combiné provenant des travaux préparatoires relatifs aux modifications proposées de la directive 92/106/CEE, parmi lequel notamment l'analyse d'impact concernant la révision de ladite directive (599) ainsi que d’autre documents pertinents (600).

1053. Il ressort de toutes les déconsidérations qui précèdent que en n’effectuant pas de complément d’analyse d’impact pour la version définitive des dispositions relatives au détachement de conducteurs de la directive 2020/1057, le Parlement et le Conseil n’ont pas violé le principe de proportionnalité, le législateur disposant d'informations suffisantes tant pour évaluer les modifications apportées à la directive attaquée par rapport à l'analyse d'impact initiale de la Commission que pour apprécier l'impact probable des mesures.

1054. Il s’ensuit qu’également les moyens relatifs à l’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité et par conséquences tous les moyens relatifs à la violation du principe de proportionnalité doivent être, à mon avis, rejetés.

f)      Sur la violation de l’article 90 TFUE (lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE), de l’article 91, paragraphe 2, TFUE et de l’article 94 TFUE

1)      Arguments des parties

1055. La République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre et la République de Pologne soulèvent plusieurs moyens dans lesquels ils font valoir violation de l’article 90 TFUE (lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE), de l’article 91, paragraphe 2, TFUE et de l’article 94 TFUE.

1056. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent que la directive attaquée viole l’article 91, paragraphe 2, TFUE, l’article 90 TFUE lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et l’article 94 TFUE, en raison des effets préjudiciables découlant de cette directive sur le niveau de vie et l’emploi en Bulgarie et à Chypre, d’une manière générale, dans les États membres de la périphérie de l’Union, ainsi que sur la situation économique des transporteurs. En particulier, l’application des règles sur le détachement rendrait le transport tiers impraticable. Il y aurait également un impact négatif pour l’environnement, ainsi qu’une augmentation des embouteillages. Pourtant, aucune analyse d’impact n’aurait été réalisée à l’égard du modèle hybride et aucune consultation n’aurait été menée à ce sujet, ni avec le Comité européen des régions ni avec le Comité économique et social.

1057. La Roumanie émet également des doutes quant à la compatibilité du premier train de mesures sur la mobilité avec l’article 94 TFUE et avec les objectifs fixés à l’article 91, paragraphe 2, TFUE dès lors que la compétitivité des opérateurs situés à la périphérie de l’Union serait affectée par ces mesures. La Roumanie estime qu’il ne saurait y avoir de protection sociale véritable si ces opérateurs se retrouvent évincés du marché. La protection sociale devrait être accompagnée de mesures appropriées pour soutenir la libre prestation de services.

1058. La République de Pologne soutient, en premier lieu, que, en adoptant un critère arbitraire pour l’application des règles sur le détachement aux opérations de transport, le législateur de l’Union a violé l’article 91, paragraphe 2, TFUE, dès lors qu’il n’a pas tenu compte du fait que ce critère est susceptible d’affecter gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que l’exploitation des équipements de transport Bien que le législateur de l’Union bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation, cela n’impliquerait pas que l’obligation de tenir compte de certains effets se limiterait à en prendre connaissance. Selon leur interprétation, le législateur de l’Union aurait le droit d’adopter absolument toute règlementation, ce qui serait contraire à la jurisprudence constante de la Cour. En particulier, il n’aurait pas été tenu compte, lors de l’adoption des dispositions attaquées, de l’effet d’augmentation du nombre de parcours à vide des véhicules qui, autrement, participeraient au transport de cabotage et au trafic tiers. La justification économique de l’utilisation des véhicules dans le trafic tiers résiderait d’ailleurs dans le fait que les transporteurs peuvent répondre de manière flexible, en tenant compte de la perspective géographique, à l’évolution des besoins en matière de transport, en minimisant le nombre de parcours à vide et en évitant l’attente inefficace de l’ordre de transport des marchandises de nouveau vers l’État d’établissement. Le transport de cabotage présenterait des qualités analogues en matière d’efficacité des opérations de transport.

1059. Les restrictions relatives à l’exercice du cabotage et du trafic tiers, générées par ces dispositions de la directive 2020/1057 attaquées par la République de Pologne, pourraient signifier le retrait des transporteurs du marché, lesquels ne seraient pas en mesure d’exercer une activité rentable dans le cadre d’un modèle des services de transport supposant des opérations de transport moins performantes. Ces conséquences seraient particulièrement ressenties par les transporteurs des États membres situés en périphérie dont les activités seraient principalement fondées sur le transport de cabotage et le trafic tiers.

1060. L’analyse d’impact se cantonnerait à une évaluation superficielle concernant l’incidence des dispositions attaquées sur le niveau d’emploi dans certaines régions et porterait, en tout état de cause, sur l’application d’un critère temporel aux fins d’application des règles sur le détachement, différent que le critère finalement retenu dans la directive attaquée, n’impliquant pas les mêmes effets sur les marchés des États périphériques. L’augmentation du trafic routier aurait également des conséquences négatives sur le niveau de vie dans les zones situées à proximité des principaux nœuds de transport. Dans ce contexte, il serait utile de signaler, en particulier, le risque que présenteraient les modifications apportées pour la sécurité routière.

1061. En second lieu, la République de Pologne fait valoir qu’en adoptant les dispositions attaquées, le législateur de l’Union n’a pas tenu compte de la situation économique des transporteurs, violant ainsi l’article 94 TFUE. En l’espèce, contrairement à ce que prévoit cette disposition, l’analyse d’impact n’aurait pas tenu compte de la situation économique des transporteurs provenant des États membres situés en périphérie ayant un niveau de développement économique plus faible, dont l’activité en matière de transport routier international se concentre dans une plus large mesure sur le cabotage et le trafic tiers. Les coûts supplémentaires incombant aux transporteurs provenant des États membres situés en périphérie, découlant de l’application des règles sur le détachement, placeraient ces opérateurs dans une position moins avantageuse que celle des entreprises concurrentielles situés au centre géographique de l’Union.

1062. L’adoption des dispositions attaquées durant une période de graves perturbations économiques dues à la pandémie de COVID-19 montrerait également que la situation économique des transporteurs n’a pas été prise en compte. Les effets économiques de la pandémie se feraient particulièrement ressentir dans le secteur du transport, particulièrement exposé non seulement à la baisse de la demande dans le commerce international, mais également aux restrictions de franchissement des frontières intérieures, qui avaient été instaurées par les différents États membres. Ces effets auraient été déjà présents lors des travaux sur la directive 2020/1057.

1063. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de l’ensemble de ces moyens.

2)      Analyse

1064. En ce qui concerne la portée des articles 91, paragraphe 2 et 94 TFUE je renvoie aux considérations effectuées aux points 281 à 293 ci-dessus des quels ils ressort que les deux dispositions prévoient des simples obligations de « prise en compte » et n’ont donc pas une valeur absolue.

1065. J’estime que les arguments avancés dans ces moyens par la République de Bulgarie et la République de Chypre, la Roumanie et la République de Pologne sont couverts par les considérations que j’ai effectuées dans le cadre de l’analyse des moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité, y incluses les considération relatives à la prétendue omission d’un complément d’analyse d’impact, ainsi que par les considérations effectuées dans le cadre du traitement des moyens tirés de la violation des disposition de l’Union en matière d’environnement.

1066. Enfin, s’agissant des arguments avancés par la République de Pologne au regard de la pandémie de COVID-19, je renvoie aux considérations effectuées au point 306 ci-dessus.

1067. Dans ce contexte j’estime que les moyens tirés de la violation de l’article 90 TFUE (lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE), de l’article 91, paragraphe 2, TFUE et de l’article 94 TFUE doivent être rejetés.

g)      Sur la violation du principe de l’égalité de traitement 

1)      Arguments des parties

1068. La République de Lituanie soutient que l’article 1er, paragraphes 3 et 7, de la directive 2020/1057 enfreint le principe de l’égalité de traitement tel qu’il découle de la jurisprudence de la Cour et de l’article 20 de la Charte dès lors que ces dispositions institueraient pour les travailleurs des règles et des garanties sociales différentes déterminées sur la base de la seule nature de l’opération de transport international (bilatérale ou non bilatérale) alors même que le travail en lui-même serait de même nature. La distinction entre ces opérations de transport donnerait lieu à des normes de rémunération différentes pour les travailleurs employés par une même entreprise et effectuant un même travail. Ainsi, des situations égales seraient traitées différemment sans justification objective.

1069. Selon la République de Lituanie, si un conducteur transporte des marchandises de Vilnius à Paris, en passant par Varsovie et Berlin, les règles relatives au détachement de travailleurs ne s’appliqueraient pas. Mais un autre conducteur (en route vers la même destination, à savoir Paris, mais qui effectuerait des opérations de transport distinctes, livrant d’abord des marchandises à Varsovie, puis livrant des marchandises à Berlin, puis poursuivant sa route jusqu’à Paris) serait déjà considéré comme un travailleur détaché pour la partie du voyage qui va de Varsovie à Berlin et pour celle qui va de Berlin à Paris.

1070. La République de Lituanie juge irrationnelle la position du Conseil et du Parlement selon laquelle les opérations de transport bilatérales et cross-border ne seraient pas semblables et feraient naitre un lien différent entre le travailleur, d’une part, et le territoire de l’État membre où est effectué le transport, d’autre part. La République de Lituanie considère que, même si les critères sur lesquels se fonde l’article 1er, paragraphe 3 et 7, de la directive 2020/1057 sont fondés, à première vue, sur des justifications objectives, ils seraient conçus de manière totalement artificielle, ces critères n’ayant pas de rapport avec la réalité des opérations de transport, et seraient donc injustifiés. En pratique, les conducteurs exécuteront un travail identique mais seront traités de manière substantiellement différente. Les critères de distinction retenus par le législateur de l’Union notamment à l’article 1er, paragraphes 3 et 7, de la directive 2020/1057 créeraient des conditions artificielles pour les conducteurs soumis à des rémunérations différentes bien que les opérations de transport auxquelles ils prennent part sont semblables par nature. Le principe d’égalité de traitement s’en trouverait violé.

1071. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent que le modèle hybride qui découlerait de la directive 2020/1057 serait contraire à l’article 18 TFUE, aux articles 20 et 21 de la Charte, à l’article 4, paragraphe 2, TUE et, si la Cour devait le juger pertinent, à l’article 95, paragraphe 1, TFUE. Ce modèle aboutirait à un traitement différent de situations pourtant similaires. Premièrement, il distinguerait les conducteurs effectuant des opérations de transport international selon qu'il s’agit de trafic tiers ou bilatéral et offrirait une meilleure protection sociale en fonction de la nationalité de leur employeur et du lieu où se déroulent les opérations voire générerait de la discrimination entre conducteurs employés par un même transporteur. Deuxièmement, le modèle hybride opèrerait une distinction entre le trafic tiers et le transport bilatéral et entre les transporteurs pratiquant chacune de ces activités. Les transporteurs effectuant du trafic tiers se retrouveraient dans une situation moins favorable par rapport à ceux effectuant des opérations de transport bilatéral alors que ces deux activités seraient deux des composantes de l’activité de transport international et seraient deux activités extrêmement mobiles, de sorte que le lien avec l’État membre d’accueil serait, dans les deux cas, tout à fait comparable. Troisièmement, le modèle hybride aurait pour effet de frapper négativement de manière plus significative certains États membres, et donc les transporteurs qui y sont établis dès lors que les transporteurs de l’UE-13 pratiqueraient quasi exclusivement le trafic tiers, alors que les transporteurs de l’UE-15 seraient principalement actifs dans le transport bilatéral. L’analyse d’impact aurait déjà confirmé que l’application des règles relatives au détachement aurait des incidences économiques beaucoup plus prononcées pour les États membres tels que la Bulgarie. Une telle conclusion serait renforcée dans le cas du modèle hybride dès lors que ce modèle, contrairement à celui analysé dans l’analyse d’impact, serait appliqué sans aucun seuil temporel. Enfin, en soumettant les transporteurs à des coûts salariaux et administratifs différents en fonction du pays de chargement ou déchargement, le modèle hybride serait contraire à l’article 95, paragraphe 1, TFUE dès lors qu’il inciterait les transporteurs à facturer des tarifs différents pour les mêmes marchandises sur les mêmes relations de trafic en raison du pays d’origine ou de destination des produits transportés.

1072. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent encore que la directive 2020/1057 opèrerait une distinction artificielle entre les opérations de transport tiers sans lien suffisant au territoire de l’État membre d’accueil et les opérations bilatérales de transport. Elles réfutent les justifications avancées en particulier par le Parlement dans son mémoire en défense après qu’il a admis qu’une différence de traitement entre certains cas comparables pouvait subvenir et maintiennent que la différence des charges financières pesant sur les transporteurs découlerait directement de la différence d’État membre d’établissement, ce qui constituerait clairement une discrimination prohibée. L’impact inégal du modèle hybride serait également illustré par le fait que les transporteurs effectuant principalement du transport bilatéral pourraient effectuer certaines opérations de trafic tiers sans se plier aux règles sur le détachement.

1073. La Roumanie conclut à la violation de l’article 18 TFUE par l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057 en soutenant que, compte tenu de la structure du marché des transports, les opérateurs établis à la périphérie de l’Union seraient davantage impactés par les coûts administratifs et financiers découlant des obligations prévues par les dispositions sus-citées et seraient donc dissuadés d’effectuer des opérations régies par l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057. Leur compétitivité serait réduite à néant. Ces effets devraient d’ailleurs être envisagés dans leur globalité, c'est-à-dire en les cumulant avec ceux produits par les autres mesures du Paquet mobilité en particulier celles concernant le cabotage, le retour du véhicule toutes les huit semaines, le retour du conducteur toutes les quatre semaines, l’interdiction de prendre le temps de repos hebdomadaire normal dans la cabine. La Roumanie rappelle qu’elle a déjà indiqué dans ses recours dirigés contre les règlements 2020/1054 et 2020/1055 que ces mesures créeraient des barrières commerciales et porteraient préjudice en particulier aux transporteurs établis à la périphérie de l’Union et, par ricochet, à la main d’œuvre travaillant pour ces transporteurs. La Roumanie soutient que la situation des transporteurs situés à la périphérie de l’Union ne serait pas assimilable à « la situation particulière d’un seul État membre » au sens de la jurisprudence de la Cour et que, par conséquent, le législateur de l’Union aurait bien dû tenir compte de la situation de ces transporteurs lors de l’adoption du paquet Mobilité. La règlementation de l’Union devrait tenir compte des différences en termes de géographie, de degré de développement des économies, des marchés et des infrastructures et s’efforcer de réduire les décalages et de poursuivre une répartition plus homogène des bénéfices et des coûts de l’appartenance à l’Union.

1074. La Roumanie émet également des doutes quant à la compatibilité du premier train de mesures sur la mobilité avec l’article 94 TFUE et avec les objectifs fixés à l’article 91, paragraphe 2, TFUE dès lors que la compétitivité des opérateurs situés à la périphérie de l’Union serait affectée par ces mesures. La Roumanie estime qu’il ne saurait y avoir de protection sociale véritable si ces opérateurs se retrouvent évincés du marché. La protection sociale devrait être accompagnée de mesures appropriées pour soutenir la libre prestation de services.

1075. En ce qui concerne en particulier l’article 1er de la directive 2020/1057, le Conseil aurait admis qu’il facilitait les opérations bilatérales mais pas celles de transport tiers, soit celles qui seraient effectuées par les entreprises de l’Est de l’Europe, dès lors qu’elles se situent en dehors de la zone où le transport routier international de l’Union se concentre. L’impact disproportionné produit pour les transporteurs d’une partie seulement des États membres irait bien au-delà du seul effet inhérent à la différence de traitement ente résidents et non-résidents.

1076. La Hongrie soutient que l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 contrevient au principe d’égalité de traitement. La Hongrie considère que, en ce qui concerne le transport combiné, il existe deux types d’opérations de transport : les opérations accompagnées (le conducteur accompagne le véhicule pendant toute la durée du transport) et les opérations non accompagnées (le conducteur accompagne le véhicule seulement en ce qui concerne le segment routier du transport).

1077. En ce qui concerne les opérations accompagnées, la Hongrie fait valoir que, dès lors que le conducteur est présent durant toute l’opération et pendant toute la durée du transport, l’opération de transport combiné serait en tout point comparable à une opération de transport bilatéral. La comparabilité de ces situations devrait commander, en vertu du principe d’égalité de traitement, que l’exemption prévue à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057 couvre l’ensemble de l’opération, c'est-à-dire les deux trajets routiers. Pour la Hongrie, le changement de mode de transport ne justifierait pas une différence de traitement et devrait être sans incidence sur l’applicabilité des règles en matière de détachement. Le fait que le législateur de l’Union n’ait pas prévu d’étendre, au profit des opérations de transport combiné accompagnées, l’exemption prévue pour les opérations de transport bilatéral de marchandises serait constitutif d’une violation du principe de l’égalité de traitement. La Hongrie considère que le législateur de l’Union aurait artificiellement scindé les opérations de transport combiné en deux trajets routiers (le trajet initial et le trajet final) dont un ne remplirait pas la condition relative aux opérations de transport bilatéral. Si l’opération combinée débute dans le pays d’établissement, le trajet routier ne serait pas une opération de transport bilatéral et, s’il s’agit d’un retour, le trajet initial n’en serait pas une. En outre, le législateur de l’Union n’aurait pas procédé à l’analyse de l’impact de l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057.

1078. La Hongrie ajoute que la portée de l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 serait plus large que celle strictement nécessaire pour atteindre l’objectif invoqué par le Conseil dès lors que cet article ferait entrer dans le champ d’application de la directive relative au détachement les conducteurs qui effectuent une opération bilatérale en accompagnant les véhicules sur le trajet non routier. L’article 1er de la directive 92/106 pourrait être interprété en ce sens que les deux branches de l’alternative qu’il énonce ne serait pas nécessairement exclusives l’une de l’autre et que la notion d’opération combinée pourrait inclure la situation dans laquelle le conducteur effectue le trajet initial et terminal routier. Si tel ne devait pas être le cas, la Hongrie soutient qu’il aurait fallu que le législateur prévît une exception dans la directive pour de tels cas de figure et l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 serait illégal en ce qu’il aurait une portée trop étroite qui violerait le principe d’égalité de traitement.

1079. Le Conseil et le Parlement, ainsi que les parties intervenant à leur soutient, concluent au rejet des moyens tirés d’une violation du principe de l’égalité de traitement et du principe de non-discrimination en raison de leur caractère non fondé.

2)      Analyse

1080. L’analyse qui suit sera guidée par les principes rappelés aux points 75 et suivants des présentes conclusions et par les limites du contrôle juridictionnel telles que reconnues par la Cour et rappelées au point 80 des présentes conclusions.

i)      Observations liminaires

1081. En ce qui concerne les arguments de la Roumanie relatifs à l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE, dès lors qu’ils visent, à tout le moins pour partie, les autres mesures du Paquet mobilité, ils doivent être déclarés inopérants, le recours de la Roumanie dans l’affaire C-542/20 visant l’annulation de l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057. Pour le reste, je renvoie à la partie de l’analyse de la directive 2020/1057 dédiée à l’examen de l’article 91, paragraphe 2, TFUE et de l’article 94 TFUE (601).

1082. En ce qui concerne le grief tiré d’une violation de l’article 95, paragraphe 1, TFUE invoqué par la République de Bulgarie et la République de Chypre, je relève d’ores et déjà, de concert avec le Conseil, qu’il ne saurait prospérer dès lors que cet article prohibe les discriminations consistant en l’application par un transporteur, pour les mêmes marchandises sur les mêmes relations de trafic, de prix et conditions de transport différents en raison du pays d’origine ou de destination des produits transportés, que ni la République de Bulgarie ni la République de Chypre n’ont établi que tel serait l’effet de la mise en œuvre de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines et que, quand bien même, l’article 95, paragraphe 1, TFUE demeure sans préjudice de la possibilité reconnue au Parlement et au Conseil par le deuxième paragraphe de cet article d’adopter des mesures, dérogeant à cette interdiction de discrimination spécifique, sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, qui constitue précisément – je le rappelle – la base juridique de la directive 2020/1057.

ii)    Sur la prétendue violation du principe d’égalité de traitement entre les opérations de transport bilatérales et les opérations de transport tiers (République de Lituanie, République de Bulgarie, Roumanie et République de Chypre (602))

1083. En ce qui concerne l’allégation d’une violation du principe de l’égalité de traitement entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers, en particulier le moyen avancé par la République de Lituanie (603), par la République de Bulgarie et par la République de Chypre, il est utile de rappeler, à l’instar du Conseil, que les règles relatives au détachement ont pour objectif général de faciliter la libre prestation de services en déterminant de manière coordonnée la législation nationale régissant les conditions de travail et d’emploi devant s’appliquer à un travailleur se retrouvant dans une situation transfrontière. L’objectif spécifique de la directive 2020/1057 est d’établir des règles spécifiques pour tenir compte des particularités du secteur des transports. Le critère choisi par le législateur de l’Union est celui du type d’opérations.

1084. L’argument selon lequel l’application de règles distinctes à des situations dans lesquelles la nature du travail est la même serait constitutive d’une atteinte au principe de non-discrimination, tel que celui avancé par la République de Lituanie, ne prend pas en compte la réalité de la situation d’un détachement qui, par définition, induit l’exercice d’un même travail mais sur le territoire d’un autre État membre. Il est évident que, en soi et en principe, ce que fait le conducteur au cours d’un transport bilatéral n’est pas vraiment différent de ce qu’il fait dans le cadre d’un transport tiers. Ainsi, comme l’a fait valoir le Conseil, le critère utile pour décider de la comparabilité des situations ne peut donc naturellement pas être celui de la seule nature du travail, sous peine de gommer, par une généralisation excessive, les différences intrinsèques objectives entre les différents types d’opérations de transport.

1085. Ainsi, la différence de traitement entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers se fonde sur le fait que, dans ce dernier cas, le travailleur effectue des opérations d’un État membre à un autre et qu’aucun de ces États n’est l’État membre d’établissement. Au regard du critère du lien entre l’État membre d’établissement et les services (604), ces deux situations n’apparaissent donc pas comparables. Une telle différence a déjà été entérinée par la Cour dans le contexte de la directive 96/71 (605). La prémisse sur laquelle la République de Bulgarie et la République de Chypre se sont fondées est donc fondamentalement erronée dès lors que le critère choisi par le législateur de l’Union, dans l’exercice de sa large marge d’appréciation, procède d’une comparaison entre le lien rattachant le type de services fournis à l’État membre d’accueil et le lien rattachant à l’État membre d’établissement et que les opérations de transport bilatérales et les opérations de transport tiers ne sont pas comparables au regard de l’objectif poursuivi par ledit législateur et rappelé aux points 952 et suivants des présentes conclusions.

1086. Il en résulte naturellement que, contrairement à ce que prétendent la République de Bulgarie et la République de Chypre, les conducteurs eux-mêmes ne sont pas placés dans une situation comparable selon s’ils sont liés à une opération de transport bilatéral ou de transport tiers. La République de Bulgarie et la République de Chypre ne peuvent davantage prétendre que la situation des transporteurs pratiquant le transport tiers est moins favorable que celle des transporteurs pratiquant le transport bilatéral alors qu’il s’agirait de deux sous-catégories du transport international, dès lors que la comparabilité des situations, comme je viens de le rappeler et compte tenu de l’objectif poursuivi par la directive 2020/1057, doit être envisagée du point de vue du type d’opérations en fonction du lien qui en découle avec l’État membre d’établissement.

1087. En réponse aux arguments tirés d’une rupture de l’égalité de traitement des États membres, il y a lieu de considérer que ces derniers apparaissent traités de manière tout à fait égale.

1088. À cet égard, à l’instar du Parlement, je relève d’emblée que la directive attaquée n’opère aucune distinction formelle entre les États membres ou les opérateurs en raison de leur nationalité.

1089. La Roumanie soutient néanmoins que, dès lors que le centre de ce marché se trouverait à l’Ouest de l’Union, la part des opérations de transport tiers dans l’activité des entreprises de la périphérie de l’Union serait nécessairement beaucoup plus importante. Or, ces opérations seraient plus couteuses pour ces opérateurs en raison du régime découlant de la directive 2020/1057 en termes de détachement des travailleurs. La République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent une argumentation similaire.

1090. Premièrement, à la lumière de ce qu’a illustré le Conseil (606), il me semble toujours difficile de qualifier précisément ce qui est au centre de l’Union et ce qui en constitue la périphérie (607). Or, pour établir la comparabilité des situations, un critère précis doit être établi.

1091. Deuxièmement, au moment de l’adoption de la directive 2020/1057, l’objectif du législateur, comme l’ont rappelé le Conseil et le Parlement, était de coordonner les règlementations susceptibles d’entraver la libre prestation de services. L’entreprise législative a été guidée par la constante préoccupation d’atteindre un équilibre entre l’amélioration des conditions sociales et de travail des conducteurs et la facilitation d’une libre prestation de services fondée sur une concurrence loyale. Ainsi, la directive tend à l’accomplissement de la libre prestation de services dans le cadre d’une concurrence qui ne s’exerce pas au prix de différences excessives en termes de conditions d’emploi et de travail. L’objectif recherché est celui d’un marché intérieur véritablement intégré et concurrentiel qui se veut également l’instrument d’une convergence sociale véritable. Il me semble important de rappeler, comme l’a fait le Parlement, que l’élimination de la concurrence par les coûts n’est pas l’objectif de la directive 2020/1057. La directive 2020/1057 n’est pas non plus créatrice d’une distorsion de concurrence (608). Par ailleurs, la recherche de l’équilibre, mentionné plus haut, exige de prendre en considération non pas la situation particulière d’un seul État membre, mais celle de l’ensemble des États membres de l’Union (609).

1092. Doit également être rappelé, ainsi que je l’ai déjà relevé à différentes reprises tout au long des présentes conclusions, le fait que la Cour a déjà reconnu que le législateur de l’Union est en droit d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services. En outre, une mesure d'harmonisation de l'Union a inévitablement des effets divergents dans les différents États membres (610). Le législateur ne saurait être tenu de compenser les différences de coûts entre les opérateurs économiques, découlant de leurs choix de modèle économique et des conditions différentes dans lesquelles ils sont placés (611) en raison de ce choix. Le choix de s’établir ou de demeurer établi loin du prétendu cœur du marché pour profiter de coûts, y compris sociaux, moindres tout en envoyant des conducteurs, parfois pour de longues durées, dans les États membres où les coûts sont élevés est un choix commercial qui ne peut prétendre être favorisé par le législateur de l’Union, pas plus que tout autre choix commercial d’ailleurs.

1093. En particulier, la Cour a déjà reconnu à cet égard que, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, au premier rang desquelles figurent les élargissements successifs de l’Union, le législateur de l’Union était en droit d’adapter un acte législatif afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services. En effet, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 de ce traité, parmi lesquels figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate (612).

1094. Les conséquences sociales de la mise en œuvre de la directive 2020/1057 ne sont pas étayées par la Roumanie mais elles devraient, dans tous les cas, être mises en balance avec les avancées sociales que la directive 2020/1057 réalise pour les conducteurs. Par ailleurs, il semble évidemment inévitable que les règles fixées par la directive 2020/1057 frapperont plus fréquemment les entreprises qui détachent le plus souvent des travailleurs. Ces effets inégaux apparaissent inévitables sans pour autant que puisse être remis en question l’application égale desdites règles (613).

1095. Enfin, à l’instar du Parlement, je constate que l’exemple utilisé par la République de Lituanie pour illustrer une différence de traitement qui découlerait de l’application des règles de la directive 2020/1057 à des opérations de même nature (614) ne peut emporter la conviction. Tel que je le comprends, la première composante de l’hypothèse pourrait relever d’une situation de transit, régie par l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2020/1057, qui n’est pas visé par le recours de la République de Lituanie. En outre, pour les raisons exposées par le Conseil, auxquelles je renvoie (615), les différences de rémunération invoquées par la République de Lituanie ne constituent pas un élément probant pour affirmer l’existence d’une discrimination.

iii) Sur la prétendue violation du principe d’égalité de traitement entre les opérations de transport combiné et les opérations bilatérales (Hongrie)

1096. À propos des transports combinés, il ressort de l’article 1er, point 6, de la directive 2020/1057 que, nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de cette dernière lorsqu’il effectue « le trajet routier initial ou final » d’une opération de transport combiné, au sens de la directive 92/106, si le trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales, au sens du paragraphe 3 de cet article 1er.

1097. La Hongrie soutient, en substance, que l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 violerait le principe d’égalité de traitement dès lors que certaines opérations de transport combiné seraient comparables à des opérations de transport bilatéral et néanmoins soumises à un régime juridique différent eu égard à l’application des règles relatives au détachement, et donc traitées différemment sans justification objective.

1098. En ce qui concerne les griefs soulevés par la Hongrie tirés, d’une part, de l’absence d’une analyse d’impact et, d’autre part, de la portée plus large de l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 que ce qu’exigerait l’objectif poursuivi, ils n’ont manifestement pas trait au respect du principe de l’égalité de traitement et ne seront donc pas examinés ici.

1099. La Hongrie concentre son argumentation, en substance, sur le fait que l’opération de transport combiné accompagnée serait assimilable à une opération de transport bilatéral, de sorte que l’exemption prévue à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057 devrait, en fait, s’appliquer à l’ensemble de l’opération, c'est-à-dire aux deux trajets routiers. La Hongrie part ainsi du postulat que la situation du conducteur, dans ces deux cas, serait comparable, postulat qu’il s’agit maintenant de vérifier.

1100. Il ressort de mon analyse de la proportionnalité des dispositions de la directive 2020/1057 attaquées que le critère fondé sur le type d’opérations pour l’application des règles sur le détachement aux conducteurs dans le transport international est approprié et que chacune des différentes typologies d’opérations de transport présente un lien différent avec le territoire soit de l’État membre d’établissement soit avec celui de l’État d’accueil. Il n’en va pas différemment, selon moi, du cas des transports combinés. Il me semble également important de rappeler que les transports régis par la directive 2020/1057 induisent un franchissement de frontières.

1101. Prenons l’hypothèse d’un transport combiné au départ de l’État A. Le premier tronçon est routier, jusqu’à une gare de cet État A. Le camion est chargé, le conducteur l’accompagne. Il est déchargé dans l’État B, où le conducteur reprend sa course jusqu’à la destination dans l’État B. Le premier tronçon routier n’est pas une opération bilatérale, pas plus que le tronçon final. Si l’on s’en tient seulement aux points de départ et d’arrivée de l’opération (mouvement de marchandises de l’État A à l’État B), l’opération dans sa globalité semble comparable à une opération bilatérale. Toutefois, s’agissant d’une prestation de services en principe transfrontière, du point de vue du service, la situation n’apparait plus comparable.

1102. En effet, dans le cas d’une opération bilatérale monomodale, le conducteur assure l’intégralité de la prestation, y compris dans sa dimension de transport international. Si l’on reprend l’hypothèse de travail que je viens d’évoquer, le temps passé par le conducteur et le chauffeur n’est pas nécessairement un temps à mettre au crédit du transporteur : le camion et le chauffeur sont « passifs », le service de transport est (généralement) presté par un autre intervenant de la chaine modale (transporteur ferroviaire, maritime etc.). Et d’ailleurs, le temps lui-même n’est pas le critère retenu par le législateur dans la directive 2020/1057. Partant, la situation d’un conducteur effectuant une opération de transport combiné dans sa totalité ne m’apparait pas comparable à celle d’un conducteur effectuant une opération de transport bilatéral. Je ne peux donc souscrire à l’affirmation de la Hongrie selon laquelle les opérations de transport combiné accompagnées seraient « d’un seul tenant ». Contrairement à ce que soutient la Hongrie, le traitement différencié ne résulte pas du changement de mode de transport, mais des différences objectives entre les types de transport en ce qui concerne les modalités de la prestation de services elle-même. J’incline donc à considérer, avec le Parlement, que le choix du législateur s’explique par la nécessité de prendre en compte les particularités d’une opération de transport de ce type ainsi que la nature spécifique du problème dont il s’est saisi en adoptant la directive 2020/1057.

1103. Eu égard au caractère profondément polymorphe des opérations de transport combiné, il ne me semble guère évitable que l’application de l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 ne puisse se faire qu’essentiellement au cas par cas en fonction des critères qui y sont énoncés. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 80 des présentes conclusions que, y compris en ce qui concerne le principe d’égalité de traitement, le juge de l’Union ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur.

1104. Enfin, j’ajoute que, à l’instar du Parlement, je constate que la Hongrie ne conteste pas qu’il est légitime de scinder les opérations de transport combiné en trajets routiers initial ou final lorsque l’opération de transport combiné n’est pas accompagnée. Cette distinction entre trajets routiers initiaux ou finaux n’a pas été créée ex nihilo par le législateur de l’Union à l’occasion de l’adoption de la directive 2020/1057 mais elle reprend les termes de la définition (que la Hongrie ne saurait rechercher, dans la partie de son recours dirigée contre la directive 2020/1057, à remettre en cause) fournie par la directive 92/106 en son article 1er, auquel l’article 1er, paragraphe 6, fait donc explicitement référence.

1105. Partant, le moyen de la République de Hongrie ne saurait prospérer.

iv)    Conclusion

1106. Il y a lieu de rejeter l’intégralité des moyens tirés d’une violation d’égalité de traitement et du principe de non-discrimination par l’article 1er, paragraphes 1, 3, 4, 5, 6 et 7, de la directive 2020/1057.

h)      Sur la violation de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation de services 

1)      Arguments des parties

1107. Premièrement, en ce qui concerne la libre circulation des biens, la République de Bulgarie et la République de Chypre dans une argumentation identique, soutiennent que l’application du modèle hybride aurait de graves conséquences économiques affectant la libre circulation des biens. Un tel modèle constituerait une mesure aux effets équivalant à des restrictions quantitatives prohibées par les articles 34 et 35 TFUE et insusceptibles de justification sur le fondement de l’article 36 TFUE. La Commission aurait reconnu que l’application de la législation nationale à toutes les opérations de transport international comportant un chargement et/ou déchargement effectué sur le territoire national, sans considération pour le lien suffisant avec l’État membre concerné, constituerait une restriction disproportionnée à la libre prestation de services ainsi qu’à la libre circulation des marchandises et ne serait pas justifiée dès lors qu’elle créerait des contraintes administratives disproportionnées empêchant le bon fonctionnement du marché intérieur (616).

1108. Deuxièmement, en ce qui concerne la libre circulation des services et la politique commune des transports, la République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent que le modèle hybride restreindrait la libre prestation des services de transport, en violation de l’article 58, paragraphe 1, TFUE lu en combinaison avec l’article 91 TFUE. Il découlerait de la jurisprudence de la Cour que l’application du principe de liberté des prestations de services devrait être réalisée par la mise en œuvre de la politique commune des transports. Le modèle hybride réintroduirait une forme de discrimination en raison de la nationalité du prestataire de services ou du lieu de son établissement et constituerait une régression dans l’établissement d’une politique commune des transports garantissant la libre prestation des services. Dès lors qu’il ressortirait également de la jurisprudence que le législateur de l’Union ne disposerait pas, en la matière, du pouvoir discrétionnaire dont il pourrait se prévaloir dans d’autres domaines de la politique commune des transports, le Parlement et le Conseil auraient manqué à leur obligation d’assurer l’application des principes de liberté des prestations de services à travers la politique commune des transports.

1109. Au cas où la Cour le jugerait pertinent, la République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent que, pour ces mêmes raisons, l’article 56 TFUE aurait été enfreint. Elles rappellent, enfin, qu’elles réfutent l’idée selon laquelle la directive 2020/1057 introduirait des dérogations au régime juridique plus strict de la directive 96/71.

1110. Le Conseil et le Parlement, ainsi que les parties intervenant à leur soutien, concluent au rejet de ces moyens.

2)      Analyse

1111. En ce qui concerne la première branche de ce moyen, la République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent que le « modèle hybride » serait une mesure d’effet équivalent aux restrictions quantitatives interdites en vertu des articles 34 et 35 TFUE qui ne pourrait pas être justifiée sur le fondement de l’article 36 TFUE.

1112. Ces requérantes n’ont, selon moi, pas démontré à suffisance que tel serait l’effet de la mise en œuvre du modèle hybride à l’échelle de l’Union toute entière et se sont contentées d’affirmations générales et non étayées. Une telle démonstration est d’autant plus difficile que les prétendus effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises de l’application des règles relatives au détachement aux opérations de transport routier international dans les conditions prévues par la directive 2020/1057 apparaissent clairement trop aléatoires et trop indirects pour que le « modèle hybride » puisse être considéré comme étant de nature à entraver le commerce entre les États membres et, donc, comme constitutif d’une restriction au sens des articles 34 et 35 TFUE (617).

1113. La citation du communiqué de presse de la Commission en date du 27 avril 2017 (618) n’a pas permis aux requérantes de consolider leur position. En effet, d’une part, la Commission s’exprimait non pas sur la directive 2020/1057 mais sur le cas de l’application d’une législation nationale à des opérations de transport international dans des conditions unilatéralement décidées par l’État membre concerné. D’autre part, si la Commission regrettait alors que l’élément déclencheur de l’application de la législation nationale était le seul fait que l’opération de transport international concernée comportait un déchargement ou un chargement sur le territoire national, force est de constater que tel n’est précisément pas le critère retenu par le législateur de l’Union dans la directive 2020/1057 pour déterminer si l’on est en présence d’une situation de détachement ou non. D’ailleurs, la Commission a déclaré dans ce même communiqué qu’elle trouvait injustifié d’appliquer la législation nationale à des opérations de transport international n’ayant pas un rapport suffisant avec l’État membre concerné.

1114. La première branche du présent moyen doit donc être rejetée comme étant non fondée.

1115. En ce qui concerne la seconde branche du présent moyen, j’ai déjà rappelé le caractère spécifique et la place particulière du secteur des transports dans les traités (619), secteur qui se trouve soumis à un régime juridique spécial dans le cadre du marché intérieur. Je rappelle en particulier que le statut spécial des transports dans l’organisation normative du marché intérieur se distingue par la combinaison d’un droit d’établissement dans tout État membre fondé sur le traité et d’un droit des transporteurs à la libre prestation de services garanti seulement dans la mesure où ce droit a été reconnu par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par le législateur de l’Union dans le cadre de la politique commune des transports.

1116. En ce qui concerne la méconnaissance alléguée de la libre prestation de services, je relève d’emblée que ni la République de Bulgarie ni la République de Chypre n’ont, d’une quelconque manière, étayé leur affirmation selon laquelle le « modèle hybride » restreindrait la libre prestation des services de transport.

1117. Si la Cour devait toutefois procéder à l’examen de cette branche du présent moyen, je rappelle que l’article 58, paragraphe 1, TFUE et l’article 91 TFUE prévoient que la libre circulation des services dans le domaine des transports est mise en œuvre par le législateur de l’Union.

1118. Comme je l’ai déjà énoncé, le législateur de l’Union est tout à fait en droit, en adaptant un acte législatif afin d’accroître la protection sociale des travailleurs concernées, de modifier les conditions dans lesquelles s’exercent la libre prestation des services dans le domaine du transport routier, dès lors que le degré de libéralisation, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, est déterminé, non directement par l’article 56 TFUE, mais par le législateur de l’Union lui-même dans le cadre de la mise en œuvre de la politique commune des transports.

1119. Dans ces conditions, la seconde branche du présent moyen doit, en tout état de cause, être rejetée comme étant non fondée.

i)      Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte 

1)      Arguments des parties

1120. Selon la République de Pologne, l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte auraient été violés par les dispositions contenues à l’article 1er, paragraphes 3, 4, 6 et 7 de la directive 2020/1057 dès lors que les exigences découlant de la protection de l’environnement n’auraient pas été suffisamment prises en compte.

1121. Il découlerait de ces deux dispositions que les institutions de l’Union seraient tenues de s’abstenir de prendre des mesures qui seraient susceptibles de compromettre la réalisation des objectifs de protection de l’environnement, et ce au-delà des seules mesures se rattachant aux articles 191 et 192 TFUE. Le principe d’intégration des exigences de l’environnement dans les autres politiques de l’Union qui découlerait de ces dispositions permettrait de concilier les objectifs et les exigences de protection de l’environnement avec les autres intérêts et buts poursuivis par l’Union ainsi que la poursuite d’un développement durable. Un tel principe constituerait, per se, un motif d’annulation d’un acte de l’Union lorsque les intérêts environnementaux n’ont manifestement pas été pris en compte ou ont été complètement ignorés, comme cela découlerait de l’interprétation retenue par l’Avocat général Geelhoed de l’article 6 CE (620).

1122. Eu égard au caractère horizontal large de l’article 11 TFUE, il conviendrait, lorsqu’on examine si une mesure donnée contribue suffisamment à la protection de l’environnement, de ne pas la considérer isolément par rapport aux autres mesures de l’Union adoptées à cette fin et liées à l’activité concernée mais ce serait l’ensemble des mesures adoptées par l’Union dans ce domaine qui fournirait le cadre approprié pour une telle appréciation. Le contrôle juridictionnel concernant l’appréciation de la conformité de l’action du législateur de l’Union avec ce principe d’intégration devrait être analogue à celui effectué par le Tribunal lorsqu’il a eu à apprécier si l’action de la Commission respectait le principe de solidarité énergétique (621). Dans ces conditions, il appartenait audit législateur de prendre en compte les exigences environnementales avant l’adoption des mesures contestées, ce qui impliquait notamment de procéder à une analyse de l’incidence des règles projetées sur l’environnement et de s’assurer que ces dernières ne seraient pas préjudiciables à la réalisation des objectifs fixés dans les autres actes de droit dérivé adoptés dans le domaine de l’environnement.

1123. Le Parlement et le Conseil auraient été tenus de mettre en balance les intérêts en conflit et d’apporter le cas échéant les modifications adéquates. Une interprétation de l’article 11 TFUE en ce sens qu’il ne concernerait que des domaines du droit et non des mesures particulières aurait pour effet d’en relativiser considérablement l’importance. Les exigences de protection de l’environnement devraient être prises en compte y compris lors de la détermination des différentes mesures faisant partie du domaine concerné du droit de l’Union. L’argument selon lequel les autres actes de droit dérivé en matière de lutte contre la pollution atmosphérique ne pourraient être pris en considération devrait être écarté, sous peine, à nouveau de remettre en cause l’effectivité de l’article 11 TFUE, les Institutions pouvant alors adopter un acte entravant ou empêchant la réalisation d’objectifs fixés dans les actes adoptés dans le domaine de l’environnement alors que la crise climatique serait le principal défi de la politique environnementale de l’Union et que les institutions devraient s’atteler à poursuivre de manière conséquente la réalisation des objectifs climatiques adoptés par l’Union. Il serait notoire que la pollution de l’air par les émissions des transports engendrerait de nombreux problèmes de santé auxquels contribuerait principalement le transport routier. En appliquant les règles sur le détachement aux conducteurs effectuant des opérations de cabotage et entre pays tiers, l’application de la directive 2020/1057 engendrerait, selon la République de Pologne, des voyages supplémentaires, notamment à vide, et, partant, une augmentation des émissions de CO2 et des polluants atmosphériques, alors que les Institutions seraient au contraire tenues de d’abstenir d’actions qui remettraient en cause l’effectivité des règles déjà adoptées pour réduire les émissions de polluants et de C02 et la réalisation des objectifs environnementaux de l’Union découlant notamment du Pacte vert pour l’Europe, de l’objectif d’une Union climatiquement neutre d’ici à 2050 par une réduction de 90% des émissions globales des transports par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2050 et des objectifs assignés aux États membres par la législation de l’Union en la matière.

1124. Par ailleurs, les effets de la directive 2020/1057 sur l’environnement devraient être appréciés également à la lumière du fait qu’ils s’ajoutent à ceux imputables aux autres actes constituant le Paquet mobilité, à savoir les règlements 2020/1054 et 2020/1055. Or, les effets négatifs sur l’environnement de l’obligation de retour des véhicules seraient attestés par diverses analyses.

1125. Le conflit potentiel entre les mesures attaquées et les objectifs climatiques de l’Union aurait d’ailleurs nourri les craintes exprimées par la commissaire Vălean que le Paquet mobilité, en particulier le retour obligatoire du véhicule toutes les huit semaines et les restrictions applicables aux opérations de transport combiné ne soit conforme ni aux ambitions du Pacte vert pour l’Europe ni à l’objectif fixé par le Conseil européen d’une Union climatiquement neutre d’ici à 2050 (622). La République de Pologne souligne également que la Commission a élevé le niveau d’ambition climatique de l’Union en 2020 (623) et que les émissions de CO2 provenant des voyages supplémentaires imposés par les mesures attaquées sont susceptibles d’entraver davantage la réalisation de cet objectif relevé.

1126. Les effets négatifs pour l’environnement causés par les mesures attaquées remettraient en cause la réalisation par les États membres des objectifs de réduction en matière d’émissions de gaz à effet de serre fixés par le règlement 2018/842 (624), des objectifs en termes d’émissions de certains polluants atmosphériques fixés par la directive 2016/2284 (625) et des objectifs concernant la qualité de l’air fixés par la directive 2008/50 (626). Les émissions supplémentaires d’oxyde d’azote et des poussières générées en application des dispositions attaquées seraient susceptibles de remettre en cause l’effectivité de l’action définie par les États membres dans les plans de protection de l’air, en particulier des plans adoptés pour les zones et agglomérations situées à proximité des voies de communication utilisées par le transport international.

1127. Malgré tous ces effets négatifs, les Institutions défenderesses auraient failli à leur obligation de procéder à une analyse appropriée de l’incidence de ces mesures sur la réalisation des objectifs environnementaux de l’Union et le respect des obligations incombant aux États membres en vertu des actes dans le domaine de l’environnement. Aucun des actes composant le Paquet mobilité n’aborderait dans ses motifs les questions environnementales et ces questions n’auraient pas non plus été examinées dans l’analyse d’impact préparée avant l’adoption du Paquet mobilité, la Commission s’étant contentée d’affirmer n’avoir identifié aucune incidence sur l’environnement des options envisagées (627).

1128. Les Institutions défenderesses n’auraient donc pas analysé l’incidence de la mise en œuvre des dispositions attaquées sur les exigences environnementales, alors que leurs effets heurteraient les objectifs fixés dans les actes adoptés dans le domaine de l’environnement. Lesdites Instituions n’auraient pas mis en balance ces objectifs avec les intérêts poursuivis par le Paquet mobilité. Les exigences de protection de l’environnement et l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement et de l’amélioration de sa qualité n’auraient manifestement pas été pris en compte. En ce qui concerne la directive 2020/1057, cela ressortirait en particulier du fait que l’application des règles sur le détachement aux tronçons initiaux ou finaux des transports combinés rendrait, d’une part, plus difficile leur réalisation en Europe centrale pour les transporteurs des États périphériques et, d’autre part, moins attrayant d’y avoir recours. Les trajets bilatéraux exclusivement réalisés par route seraient finalement privilégiés, contrairement à l’objectif recherché et alors même qu’ils seraient « non écologiques ». L’analyse élaborée pour la Commission concernant l’incidence des restrictions au cabotage sur le transport combiné aurait confirmé que les restrictions à la fourniture des services de cabotage dans le cadre des opérations de transport combiné nuiront à l’environnement et seraient contraires aux postulats concernant le Pacte vert pour l’Europe (628).

1129.  Partant, l’article 1er, paragraphes 3, 4, 6 et 7 de la directive 2020/1057 violerait le principe d’intégration exprimé à l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte.

1130. Le Conseil, le Parlement ainsi que les parties intervenant à leur soutien concluent au rejet de ce moyen.

2)      Analyse

1131. La plupart des arguments présentés dans le cadre du présent moyen par la République de Pologne sont une réitération de ceux présentés dans le cadre des moyens tirés d’une violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte présentés par cette même partie requérante dans ses recours dirigés contre le règlement 2020/1054 et contre le règlement 2020/1055. Ainsi, pour les arguments concernant l’interprétation de l’article 11 TFUE et sa portée ainsi que celles de l’article 37 de la Charte, la portée du principe d’intégration des préoccupations environnementales exprimées par l’article 11 TFUE et de son contrôle juridictionnel, la nécessaire prise en compte des autres actions du législateur de l’Union en matière de politique environnementale touchant également à la politique des transports, la question de l’absence alléguée d’analyse d’impact comme constituant une violation de l’article 11 TFUE et celle des rapports entre la directive et le pacte vert pour l’Europe, je renvoie aux points 565 et suivants ainsi qu’aux points 591 et suivants des présentes conclusions.

1132. Ainsi, en cohérence avec la conclusion que je tirais de l’analyse des moyens tirés d’une violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et de changement climatique dans le cadre des recours dirigés contre le règlement 2020/1055, il y a lieu de constater que, au moment de l’adoption de la directive 2020/1057, le législateur de l’Union pouvait légitimement estimer, dans le plein exercice de son large pouvoir d’appréciation, que les éventuelles conséquences négatives pour l’environnement découlant de la mise en œuvre des obligations découlant de la directive 2020/1057 pourraient être contenues en application de la législation existante portant plus spécifiquement sur les aspects environnementaux de l’activité en question et devant accompagner les transporteurs dans la transition technologique vers une mobilité moins polluante.

1133. J’ajoute que cela est, selon moi, d’autant plus vrai en ce qui concerne la directive 2020/1057 que, comme le Parlement l’a fait valoir, la question de savoir si elle est véritablement source d’émissions polluantes supplémentaires est sujette à discussion, et ce pour plusieurs raisons.

1134. Premièrement, je rappelle que l’objet même de la directive 2020/1057 est d’établir des règles sectorielles pour garantir un équilibre entre la libre prestation de services transfrontaliers pour les opérateurs, la libre circulation des marchandises, des conditions de travail satisfaisantes et la protection sociale des conducteurs » (629) et que l’article 1er de cette directive énumère un certain nombre de règles dont l’application permettra aux transporteurs de déterminer quelle législation, notamment sociale, trouvera à s’appliquer aux conducteurs en fonction des caractéristiques retenues pertinentes aux fins de cette détermination par le législateur de l’Union. Ainsi, l’incidence de la détermination du droit social applicable à un travailleur sur les thématiques liées à la politique de l’Union en matière environnementale ne s’impose pas immédiatement avec la force de l’évidence. Elles pourraient plus facilement apparaitre comme la conséquence de la seule volonté des transporteurs de réorganiser leurs opérations de manière à échapper à l’application d’obligations pour eux plus couteuses en vertu de l’application de la directive 2020/1057.

1135. Deuxièmement, en tout état de cause, dès lors que la Cour a jugé, dans son arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging (630), que la directive 96/71 était applicable aux prestations de service transnationales impliquant un détachement de travailleurs, y compris dans le secteur du transport routier (631) et dès lors que l’interprétation ainsi fournie par la Cour est celle que devait recevoir la directive 96/71 depuis son entrée en vigueur, les règles relatives au détachement qu’elle consacre étaient donc d’application dans le secteur du transport par route. Or, l’un des rares arguments de la République de Pologne précisément dirigés contre la directive 2020/1057 consiste à soutenir que l’application des règles relatives au détachement aux opérations de transport combiné (632) dans les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 6, de cette directive découragerait le recours à de telles opérations dont l’effet favorable à l’environnement serait, par ailleurs, connu et reconnu. Les transporteurs renonceraient ainsi au multi-modal pour ne se consacrer qu’aux transports par route, gommant ainsi les bénéfices environnementaux du recours au transport combiné.

1136. Toutefois, dès lors que les règles relatives au détachement s’appliquaient déjà sous l’empire de la seule directive 96/71 et selon les critères rappelés par la Cour dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, l’application des règles sur le détachement des travailleurs à de telles opérations n’est pas, comme le souligne le Parlement, de nature à révolutionner le régime juridique préexistant. J’ajoute que l’article 1er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 précise les conditions dans lesquelles ces règles s’appliquent et « un conducteur n’est pas considéré comme détaché […] lorsqu’il effectue le trajet routier initial ou final d’une opération de transport combiné […] si le trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales au sens du paragraphe 3 » de l’article 1er de ladite directive. Ce n’est donc pas en toute hypothèse que les règles relatives au détachement prévues par la directive 2020/1057 s’appliqueront dans les cas de transport combiné.

1137. En ce qui concerne l’allégation d’une augmentation des émissions en raison de la soumission des opérations de cabotage aux règles relatives au détachement des travailleurs telle qu’invoquée par la République de Pologne, je rappelle que le considérant 17 du règlement n° 1072/2009 prévoyait déjà que « [l]es dispositions de la directive [96/71] s’appliquent aux sociétés de transport effectuant un transport de cabotage ». Dès lors, comme l’a fait valoir le Parlement, les éventuels effets sur l’environnement décrits par la République de Pologne, à supposer qu’ils existent, ne sauraient être imputables à la directive 2020/1057.

1138. Enfin, en ce qui concerne l’argument selon lequel les effets allégués de la directive 2020/1057 sur l’environnement devraient être appréciés en tenant compte du fait qu’ils se cumulent à ceux découlant prétendument des autres composantes du Paquet mobilité, il ne saurait prospérer, dès lors que ces derniers ne sont, en tout état de cause, pas imputables à la directive elle-même.

1139. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, le moyen tiré d’une violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte doit être rejeté comme étant non fondé

3.      Sur les moyens concernant l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057

1140. La République de Pologne est la seule à contester la légalité de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 par lequel le législateur de l’Union a décidé de rendre les mesures contenues dans cette directive applicable à compter du 2 février 2022. Elle invoque trois moyens à cette fin : la violation du principe de sécurité juridique, la violation du principe de proportionnalité et la violation de l’article 94 TFUE. Ces deux derniers moyens seront examinés de manière conjointe.

a)      Sur la violation du principe de sécurité juridique

1)      Arguments des parties

1141. Dès lors que les dispositions de la directive 2020/1057 dont la République de Pologne cherche l’annulation seraient imprécises et soulèveraient des problèmes d’interprétation ainsi que des difficultés pratiques afin de déterminer le droit applicable aux conditions d’emploi et de travail des conducteurs effectuant des opérations de transport routier, la mise en œuvre de ces dispositions au niveau national requerra l’adoption d’actes de rang supérieur, impliquant, par exemple en Pologne, de longs travaux législatifs. Les dix-huit mois fixés par la directive ne seraient pas suffisants pour assurer l’évolution des dispositions nationales puis la prise de connaissance de ces dispositions par les transporteurs afin de s’y conformer. Il faudrait également, pour les transporteurs, tenir compte des conventions collectives régissant le secteur ainsi que des différentes réglementations nationales. Outre que la directive 2020/1057 comporterait déjà, en elle-même, un certain nombre d’obligations nouvelles et qu’elle aurait rendu la directive 96/71 applicable dans le secteur des transports, son entrée en vigueur emporterait également application de la directive 2018/957 (633) dans le secteur du transport routier (634), ce qui nécessiterait, là encore, un certain temps d’adaptation pour les transporteurs. Dans ces conditions, la fixation de la date du 2 février 2022, soit à peine plus de 18 mois après l’adoption de la directive 2020/1057, porterait atteinte au principe de sécurité juridique qui exigerait, selon une jurisprudence constante, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union et dont le respect s’imposerait particulièrement s’agissant d’une règlementation susceptible de comporter des charges financières. L’absence d’obligation du législateur de l’Union de fixer une période de transposition spécifique ne saurait être assimilée à un pouvoir discrétionnaire complet dudit législateur à cet égard. Si l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging (635) est venu préciser le champ d’application de la directive 96/71, il n’est intervenu qu’en 2020 et aurait laissé en suspens un certain nombre de questions de sorte que, contrairement à ce que prétendent les Institutions défenderesses, la directive 2020/1057 ne constituerait pas une modification légère de la situation juridique préexistante des transporteurs. Donner plus de temps aux transporteurs pour assimiler le nouveau cadre normatif leur aurait permis de mieux s’adapter audit cadre.

1142. Le Parlement et le Conseil et les parties intervenant à leur soutien concluent au caractère non fondé de ce moyen.

2)      Analyse

1143. En ce qui concerne le cadre d’analyse relatif au principe de sécurité juridique, je renvoie aux points 117 et suivants des présentes conclusions et me bornerai à rappeler que le contrôle juridictionnel consiste, en substance, à examiner si une disposition souffre d’une ambiguïté telle qu’elle ferait obstacle à ce que ses destinataires ne puissent lever avec une certitude suffisante d’éventuels doutes sur sa portée ou son sens de sorte qu’ils ne seraient pas en mesure de déterminer sans équivoque leurs droits et leurs obligations découlant de cette disposition.

1144. À cet égard, il s’avère, selon moi, suffisant de constater que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 oblige les États membres à adopter et publier les dispositions nécessaires pour se conformer à cette directive au plus tard le 2 février 2022, date à partir de laquelle ils appliqueront ces mesures. La date du 2 février 2022 est clairement établie par le législateur de l’Union, et ce dès le moment de la publication de la directive. Il n’y avait donc aucun doute sur la date à laquelle les destinataires de la directive – les États membres – devaient préparer leurs ordres juridiques nationaux respectifs pour se conformer aux obligations édictées par la directive 2020/1057. Les États membres comme les transporteurs ont donc eu dix-huit mois pour se préparer à la transposition de la directive 2020/1057.

1145. La République de Pologne tente de convaincre que l’article 9 de la directive 2020/1057 se trouve affecté, par ricochet en quelque sorte, par le caractère imprécis et incertain des dispositions prétendument nouvellement édictées par la directive 2020/1057. Le moyen ici traité apparait donc comme une nouvelle tentative de mettre en discussion des arguments déjà traités (636). J’ajoute que, comme l’a fait valoir le Conseil, l’argumentation développée par la République de Pologne par rapport à l’article 9 de la directive 2020/1057 repose également sur le postulat erroné selon lequel la directive 96/71 n’était pas applicable au secteur des transports et que la directive 2020/1057 avait pour effet de soumettre tout un nouveau secteur, non préparé, aux règles nouvelles et complexes concernant le détachement des travailleurs. Or, j’ai déjà eu l’occasion de rappeler que tel n’était pas le cas, ainsi que cela résulte notamment de l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging.

1146. Partant, le moyen tiré d’une violation du principe de sécurité juridique doit être rejeté comme étant non fondé.

b)      Sur la violation du principe de proportionnalité et de l’article 94 TFUE

1)      Arguments des parties

1147. La République de Pologne soutient que les exigences découlant du principe de proportionnalité ont été méconnues par le législateur de l’Union dès lors qu’il n’aurait pas présenté de motifs objectifs justifiant la fixation d’un délai de transposition de dix-huit mois alors que le délai adopté pour des actes de même nature serait généralement de deux ans, comme ce fut le cas pour les directives 2014/67 et 2018/957, la directive 96/71 ayant, pour sa part, prévu un délai encore plus long. Les spécificités du secteur du transport routier auraient commandé de laisser un temps suffisant aux entreprises pour se conformer à la nouvelle règlementation et au moins égal à celui laissé pour les autres secteurs de services. Le législateur de l’Union aurait également dû tenir compte du fait que les transporteurs devaient également se préparer, dans le même temps, à appliquer les exigences découlant des règlements 2020/1054 et 2020/1055 qui obligeront les transporteurs à modifier substantiellement les modalités de fourniture des services. Le législateur de l’Union n’aurait pas davantage tenu compte du fait que le marché des transports est dominé par des petites et moyennes entreprises qui auraient besoin de plus de temps pour se familiariser et s’adapter à la nouvelle règlementation, notamment eu égard aux coûts que cela représenterait pour elles. La situation des transporteurs seraient encore rendues plus difficiles en raison des mesures adoptées du fait de la pandémie de COVID-19. Par ailleurs, la République de Pologne fait valoir que certains États membres auraient prévu des sanctions particulièrement sévères en cas de non-respect des conditions d’emploi et de travail et des exigences formelles qui s’y rattachent. Ces sanctions seront effectives à l’écoulement du délai imparti par le législateur ne laissant ainsi pas le temps aux transporteurs de s’adapter aux nouvelles règles. La fixation d’un délai de dix-huit mois ne répondrait donc pas aux exigences du principe de proportionnalité.

1148. Une telle fixation serait également contraire à l’article 94 TFUE dès lors qu’elle ne tiendrait pas compte de la situation économique des transporteurs. La République de Pologne renvoie à ses observations développées dans le cadre du moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité. Elle renvoie également à ses arguments développés dans le cadre du moyen tiré d’une violation par l’article 1er, paragraphes 3, 4, 6 et 7 de la directive 2020/1057 de l’article 94 TFUE dont il découle, en substance, que les modifications découlant de l’application des règles sur le détachement aux conducteurs impliqueront des coûts considérables pour les entreprises de transport entrainant la faillite d’une partie d’entre elles et que la vulnérabilité de ces entreprises seraient encore accrues dès lors que la directive 2020/1057 est intervenue dans une période de crise économique marquée par la pandémie de COVID-19. L’absence de prise en compte de ces éléments attesterait de la violation de l’article 94 TFUE au regard des effets négatifs attendus de l’article 1er de la directive 2020/1057 sur les entreprises de transport.

1149. Le Conseil et le Parlement, ainsi que les parties intervenant à leur soutient, concluent au rejet de ces deux moyens comme étant non fondés.

2)      Analyse

1150. En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité, je me bornerai à rappeler, de concert avec le Conseil, qu’il découle de la jurisprudence que, les gouvernements des États membres participant aux travaux préparatoires des directives, ils doivent, dès lors, être en mesure d’élaborer les dispositions législatives nécessaires à leur mise en œuvre dans le délai imparti (637). Le législateur de l’Union possède un large pouvoir d’appréciation pour fixer le délai de transposition des directives et n’est pas tenu de présenter des motifs spécifiques visant à justifier la fixation d’un délai de 18 mois.

1151. En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 94 TFUE, l’argumentation de la République de Pologne doit être comprise en ce sens que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 enfreindrait cette disposition pas tant en lui-même que parce qu’il aurait pour effet de rendre les obligations édictées par cette directive, contraignantes notamment à l’égard des transporteurs qui s’y trouveront soumis, à compter de la date qu’il fixe. Or, la partie requérante est d’avis que ces obligations contreviennent à l’article 94 TFUE.

1152. D’emblée, je relève que la République de Pologne n’a pas établi que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 constitue une « mesure dans le domaine des prix et des conditions de transport », au sens de l’article 94 TFUE, ce dont on pourrait d’ailleurs légitimement douter dès lors que cet article 9, envisagé isolément, se borne à fixer une date pour l’adoption et la publication des dispositions nationales nécessaires à la transposition de la directive 2020/1057. Si la Cour devait partager mes doutes, le présent moyen pourrait d’ores et déjà être rejeté.

1153. Pour le reste, l’argumentation de la République de Pologne encourt le même reproche que celui formulé dans le cadre de l’analyse du moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057. Comme l’a relevé le Conseil, les arguments relatifs à la part des petites et moyennes entreprises dans le secteur du transport par route, aux coûts découlant de la soumission de ce secteur aux règles relatives au détachement des travailleurs, à l’absence de justification des mesures édictées par la directive 2020/1057 et aux effets de la pandémie de COVID-19 ont déjà été avancés dans le cadre de l’examen du moyen tiré de la violation de l’article 94 TFUE par l’article 1er, paragraphes 3, 4, 6 et 7, de la directive 2020/1057, la République de Pologne entendant manifestement mettre de nouveau ici en discussion des questions déjà débattues et tranchées. Or, dès lors qu’il a déjà été constaté que l’article 1er, paragraphes 3, 4, 6 et 7, de la directive 2020/1057 n’enfreint pas l’article 94 TFUE (638), ce même constat doit s’imposer en ce qui concerne l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057.

1154. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, je suggère à la Cour de rejeter les moyens tirés d’une violation par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057, d’une part, du principe de proportionnalité et, d’autre part, de l’article 94 TFUE comme étant non fondés.

4.      Conclusion sur les recours concernant la directive 2020/1057

1155. Les recours dans les affaires C-541/20 et 551/20, dans la mesure où ils concernent la directive 2020/1057, et les recours dans les affaires C-544/20, C-548/20, C-550/20, et C-555/20 sont rejetés.

V.      Sur les dépens

1156. Il découle de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

1157. L’article 138, paragraphe 3, de ce règlement prévoit que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparait justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

1158. À la lumière de ces considérations et eu égard à la configuration particulière des recours dans les affaires jointes C-541/20 à C-555/20, je propose à la Cour de régler les dépens comme suit.

1159. La République de Lituanie est condamnée aux dépens dans l’affaire C-541/20.

1160. La République de Bulgarie est condamnée aux dépens dans les affaires C-543/20 et C-544/20.

1161. La Roumanie est condamnée aux dépens dans les affaires C-546/20 et C-548/20.

1162. Le Parlement et le Conseil sont condamnés aux dépens dans l’affaire C-549/20.

1163. La République de Chypre est condamnée aux dépens dans l’affaire C-550/20.

1164. La République de Pologne est condamnée aux dépens dans les affaires C-553/20 et C-555/20.

1165. Dans les affaires C-542/20, C-545/20, C-547/20, C-551/20, C-552/20 et C-554/20, chaque partie supportera ses propres dépens.

1166. Par ailleurs, conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la République de Lituanie et la Roumanie lorsqu’elles ont pris part aux présents recours joints en qualité de parties intervenantes, la République d’Estonie, la République de Lettonie, le Royaume de Belgique, le Royaume du Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.

VI.    Conclusion

1167. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit dans les affaires jointes C-541/20 à C-555/20 :

1)       Le recours de la République de Chypre dans l’affaire C-549/20 est accueilli.

2)       Les recours de la République de Lituanie dans l’affaire C-542/20, de la République de Bulgarie dans l’affaire C-545/20, de la Roumanie dans l’affaire C-547/20, de la Hongrie dans l’affaire C‑551/20, de la République de Malte dans l’affaire C-552/20 et de la République de Pologne dans l’affaire C-554/20 sont accueillis, dans la mesure où ils sont dirigés contre l’article 1er, point 3, du règlement (UE) 2020/1055.

3)       En conséquence, l’article 1er, point 3, du règlement (UE) 2020/1055 est annulé dans la mesure où il modifie l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1071/2009.

4)       Les recours mentionnés au point 2 sont rejetés pour le surplus.

5)       Les recours de la République de Lituanie dans l’affaire C-541/20, de la Bulgarie dans les affaires C-543/20 et C-544/20, de la Roumanie dans les affaires C-546/20 et C-548/20, de la République de Chypre dans l’affaire C-550/20 et de la République de Pologne dans les affaires C-553/20 et 555/20 sont rejetés.

6)       La République de Lituanie est condamnée aux dépens dans l’affaire C-541/20.

7)       La République de Bulgarie est condamnée aux dépens dans les affaires C-543/20 et C-544/20.

8)       La Roumanie est condamnée aux dépens dans les affaires C‑546/20 et C-548/20.

9)      Le Parlement et le Conseil sont condamnés aux dépens dans l’affaire C-549/20.

10)       La République de Chypre est condamnée aux dépens dans l’affaire C-550/20.

11)       La République de Pologne est condamnée aux dépens dans les affaires C-553/20 et C-555/20.

12)       Dans les affaires C-542/20, C-545/20, C-547/20, C-551/20, C-552/20 et C-554/20, chaque partie supportera ses propres dépens.

13)       La République de Lituanie et la Roumanie, lorsqu’elles ont pris part aux présents recours joints en qualité de parties intervenantes, la République d’Estonie, la République de Lettonie, le Royaume de Belgique, le Royaume du Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2020 modifiant le règlement (CE) no 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, et le règlement (UE) no 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes (JO 2020, L 249, p. 1).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2020 modifiant les règlements (CE) no 1071/2009, (CE) no 1072/2009 et (UE) no 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur du transport par route (JO 2020, L 249, p. 17).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2020 établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et le règlement (UE) no 1024/2012 (JO 2020, L 249, p. 49).


5      JO 1992, L 368, p. 38.


6      Analyse d’impact accompagnant la proposition de règlement temps de travail et la proposition de directive détachement (ci-après l’« analyse d’impact – volet social »), et analyse d’impact accompagnant la proposition de règlement établissement (ci-après l’« analyse d’impact – volet établissement »).


7      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 27 avril 2021.


8      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 27 avril 2021.


9      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 21 avril 2021.


10      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 29 avril 2021.


11      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 3 mai 2021.


12      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 29 avril 2021.


13      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 22 avril 2021.


14      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 22 avril 2021.


15      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 12 mai 2021.


16      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 29 avril 2021.


17      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 13 avril 2021.


18      Admis à intervenir par décisions du président de la Cour du 22 avril 2021.


19      Bien que le chef de conclusions soit libellé en ce sens, les griefs du recours sont dirigés contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 (voir point VIII de la requête dans l’affaire C‑552/20).


20      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 27 avril 2021


21      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 27 avril 2021.


22      Admises à intervenir par décisions du président de la Cour du 27 avril 2021.


23      Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans les affaires jointes Trijber et Harmsen (C‑340/14 et C‑341/14, EU:C:2015:505, point 29). Voir, également, arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen (C‑340/14 et C‑341/14, EU:C:2015:641, point 48).


24      Voir avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017 (EU:C:2017:376, point 61 et jurisprudence citée).


25      Parmi les aspects spéciaux de ce secteur sont traditionnellement mentionnés, notamment, la connexion nécessaire des services de transport à une infrastructure spécifique, le caractère extrêmement mobile des moyens de production et le haut degré de substituabilité entre les services de transport commercial et l’autoproduction (à savoir le transport motorisé individualisé). Plusieurs autres aspects sont également mentionnés en doctrine.


26      Voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220, points 49 et 50).


27      Arrêt du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil (C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:497, point 56 et jurisprudence citée).


28      Voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management (C‑628/11, EU:C:2014:171, point 36). Voir, également, arrêt du 4 avril 1974, Commission/France (167/73, EU:C:1974:35, point 27).


29      Arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 159). Voir, également, arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb (C‑338/09, EU:C:2010:814, point 29 et jurisprudence citée).


30      Arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb (C‑338/09, EU:C:2010:814, point 30 et jurisprudence citée).


31      Voir, en ce sens, par exemple, arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France (C‑381/93, EU:C:1994:370, point 13), et du 6 février 2003, Stylianakis (C‑92/01, EU:C:2003:72, point 24).


32      Voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 160), et du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981, point 48).


33      Arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb (C‑338/09, EU:C:2010:814, point 33). Voir également, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Prestige and Limousine (C‑50/21, EU:C:2022:997, point 4).


34      Voir Chapitre III du règlement no 1072/2009. Voir, également, analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 2.


35      Voir analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 4.


36      Arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2022:97, point 340 et jurisprudence citée).


37      Voir point 42 des présentes conclusions.


38      Voir, entre autres, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 112 et jurisprudence citée). En ce sens, voir, également, arrêt du 16 février 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑157/21, EU:C:2022:98, point 354 et jurisprudence citée).


39      Arrêts du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 114 et jurisprudence citée), du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 78 et jurisprudence citée), et du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2020:1001, point 151).


40      Arrêts du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 115), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 79 et jurisprudence citée).


41      Arrêts du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2020:1001, point 170 et jurisprudence citée), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 118).


42      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, points 118 et 119). Voir, également, arrêt du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil (C‑176/09, EU:C:2011:290, point 62 et, en ce sens, jurisprudence mentionnée au point 66).


43      Arrêts du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2020:1001, point 170 et jurisprudence citée), et du 17 octobre 2013, Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (C‑203/12, EU:C:2013:664, point 35 et jurisprudence citée).


44      Arrêts du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 116), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 81 et jurisprudence citée).


45      Voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2020:1001, point 177 et jurisprudence citée).


46      Voir arrêts du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2020:1001, point 167), et du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 106).


47      Voir note en bas de page 6 des présentes conclusions.


48      Voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, points 76 à 81, ainsi que 84 et 85).


49      JO 2016, L 123, p. 1


50      Voir point 13 de l’accord interinstitutionnel, ainsi que arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 83).


51      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 84).


52      Voir point 96 des conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:321), explicitement mentionné au point 82 de l’arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035).


53      Voir point 96 des conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:321), explicitement mentionné au point 82 de l’arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035.


54      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 82).


55      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 85).


56      Voir point 14 de l’accord interinstitutionnel et arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 83).


57      Arrêts du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2020:1001, point 159), et du 8 juillet 2010, Afton Chemical (C‑343/09, EU:C:2010:419, point 57).


58      Voir point 15 de l’accord interinstitutionnel ainsi que arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 83), et du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 43).


59      Voir point 97 des conclusions de l’avocate générale Sharpson dans l’affaire République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:321), explicitement mentionné au point 82 de l’arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035).


60      Voir point 98 des conclusions de l’avocate générale Sharpson dans l’affaire République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:321).


61      Arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, points 64 et 65).


62      Voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 43).


63      Arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 31 et jurisprudence citée).


64      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 86 et jurisprudence citée). Voir également, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, points 160 à 163).


65      Voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2010, Afton Chemical (C‑343/09, EU:C:2010:419, point 39).


66      Arrêts du 22 février 2022, Stichting Rookpreventie Jeugd e.a. (C‑160/20, EU:C:2022:101, point 67), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 80 et jurisprudence citée).


67      Arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr (C‑555/19, EU:C:2021:89, point 95 et jurisprudence citée).


68      Voir, notamment, arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a. (C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 140 et jurisprudence citée).


69      Voir, entre autres, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 110 et jurisprudence citée).


70      Arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (C‑262/20, EU:C:2022:117, point 58 et jurisprudence citée).


71      Arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr (C‑555/19, EU:C:2021:89, point 99). Voir arrêt du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil (C‑176/09, EU:C:2011:290, point 32).


72      Voir point 42 des présentes conclusions.


73      Voir arrêt du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil (C‑176/09, EU:C:2011:290, points 34 et 35).


74      Arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2005:542, point 41 et jurisprudence citée), du 15 novembre 2005, Commission/Autriche (C‑320/03, EU:C:2005:684, point 72), du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 91), du 16 juillet 2009, Horvath (C‑428/07, EU:C:2009:458, point 29), ainsi que du 21 décembre 2011, Commission/Autriche (C‑28/09, EU:C:2011:854, point 120).


75      Voir, notamment, arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2005:542, point 42), du 15 novembre 2005, Commission/Autriche (C‑320/03, EU:C:2005:684, point 73 et jurisprudence citée), et du 21 décembre 2011, Commission/Autriche (C‑28/09, EU:C:2011:854, point 121).


76      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 128 et jurisprudence citée).


77      Voir conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Autriche/Parlement et Conseil (C‑161/04, EU:C:2006:66, points 59 et 60).


78      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, points 130 et 131, et jurisprudence citée).


79      Voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil (22/70, EU:C:1971:32, point 40), et du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission (C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 17). Voir, également, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/BEI (C‑15/00, EU:C:2002:557, point 82).


80      Arrêt du 31 mars 2022, Commission/Pologne (Taxation des produits énergétiques) (C‑139/20, EU:C:2022:240, points 55 et 56, et jurisprudence citée).


81      Voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission (C‑506/13 P, EU:C:2015:562, points 17 et 18).


82      La République de Lituanie avance ses arguments dans le cadre de son moyen soulevé dans l’affaire C‑541/20 et tiré de la violation du principe de proportionnalité par l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. Toutefois, au vu de leur contenu, il convient d’examiner ces arguments dans le cadre de l’analyse des moyens relatifs à la violation du principe de la sécurité juridique.


83      Lors de l’audience, la République de Lituanie s’est également référée à des sanctions imposées au niveau national sur la base d’une interprétation de la disposition en cause différente de celle indiquée par les institutions de l’Union.


84      Arrêts du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2022:97, point 223 et jurisprudence citée), et du 16 février 2022 Pologne/Parlement et Conseil (C‑157/21, EU:C:2022:98, point 319 et jurisprudence citée).


85      Arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, point 100 et jurisprudence citée).


86      Arrêts du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2022:97, point 224 et jurisprudence citée), et du 16 février 2022 (Pologne/Parlement et Conseil, C‑157/21, EU:C:2022:98, point 320 et jurisprudence citée).


87      Arrêt du 30 janvier 2019, Planta Tabak (C‑220/17, EU:C:2019:76, point 32 et jurisprudence citée).


88      Arrêts du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2022:97, point 225 et jurisprudence citée), et du 16 février 2022 (Pologne/Parlement et Conseil, C‑157/21, EU:C:2022:98, point 321 et jurisprudence citée).


89      Voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2005, Belgique/Commission (C‑110/03, EU:C:2005:223, point 31).


90      Italique ajouté par mes soins.


91      À cet égard, je relève qu’il ne fait pas de doute que le temps de conduite vers le lieu de retour constitue du temps de travail. Voir article 9, paragraphe 2, du règlement 561/2006, tel que modifié par l’article 1er, point 8, sous b), du règlement 2020/1054. Voir également, par analogie, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C‑266/14, EU:C:2015:578, point 50).


92      Voir arrêts du 11 novembre 2004, Adanez-Vega (C‑372/02, EU:C:2004:705, point 37), et du 25 février 1999, Swaddling (C‑90/97, EU:C:1999:96, point 29 et jurisprudence citée).


93      Voir arrêt du 12 avril 2018, Commission/Danemark (C‑541/16, EU:C:2018:251, points 28 et 31 et jurisprudence citée). Voir, également, article 291, paragraphe 1, TFUE.


94      Voir, en ce sens, par analogie, arrêt du 30 janvier 2019, Planta Tabak (C‑220/17, EU:C:2019:76, point 33 et jurisprudence citée).


95      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Commission/Conseil (C‑196/12, EU:C:2013:549, points 85).


96      Voir arrêt du 12 avril 2018, Commission/Danemark (C‑541/16, EU:C:2018:251, point 47).


97      Voir point 25 de ce mémoire.


98      Voir, en ce qui concerne les restrictions à la libre circulation des travailleurs, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Allemagne (Transposition des directives [2009/72 et 2009/73), C‑718/18, EU:C:2021:662, point 60] et, en ce qui concerne les restrictions à la libre prestation des services, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 104 et jurisprudence citée).


99      Voir, entre autres, arrêt du 8 juin 2023, Prestige and Limousine (C‑50/21, EU:C:2023:448, point 61 et jurisprudence citée).


100      Arrêt du 8 juin 2023, Fastweb e.a. (Périodicités de facturation) (C‑468/20, EU:C:2023:447, point 82 et jurisprudence citée). Voir, également, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Prestige and Limousine (C‑50/21, EU:C:2022:997, point 50 et jurisprudence citée à la note en bas de page 19).


101      Voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 14).


102      Voir, en ce sens, dans des situations dans lesquelles étaient en jeu tant la liberté d’établissement que la libre prestation des services, arrêts du 29 mars 2011, Commission/Italie (C‑565/08, EU:C:2011:188, point 51 et jurisprudence citée), et du 7 mars 2013, DKV Belgium (C‑577/11, EU:C:2013:146, points 35 et 36).


103      Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Prestige and Limousine (C‑50/21, EU:C:2022:997, point 50 et jurisprudence citée à la note en bas de page 20).


104      Voir, entre autres, arrêt du 2 septembre 2021, Institut des Experts en Automobiles (C‑502/20, EU:C:2021:678, point 32 et jurisprudence citée).


105      Voir, entre autres, arrêt du 8 juin 2023, Prestige and Limousine (C‑50/21, EU:C:2023:448, point 64 et jurisprudence citée).


106      Voir articles 2 et 3 du règlement nº 561/2006. La notion d’« entreprise de transport » est définie à l’article 4, sous p), de ce règlement.


107      Voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 105).


108      Voir point 42 des présentes conclusions.


109      Ces évolutions sont notamment décrites dans l’analyse d’impact – volet social, en particulier dans la partie 1/2, p. 1 à 11, 26 et 49, ainsi que dans l’analyse d’impact – volet établissement, en particulier dans la partie 1/2, p. 7 à 22.


110      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, points 2.1.1 et 2.2.2.


111      Analyse d’impact – volet social, p. 39.


112      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 20. En particulier, la Commission avait constaté que le risque de détérioration des conditions de travail, y compris les conditions inappropriées de repos, les contraintes de temps et le stress des conducteurs, n’avait pas été traité efficacement en raison des violations et des lacunes des règles précédentes, de la rigidité de leur application, ainsi que des pressions du marché.


113      Voir considérant 2 du règlement 2020/1054. Selon l’analyse d’impact – volet social (voir parti 1/2, p. 5 à 6), parmi les principales causes de l’inefficacité de la législation sociale figuraient des règles peu claires et inappropriées ainsi que des divergences d’interprétation et d’application par les autorités nationales.


114      Voir considérant 1 du règlement 2020/1054.


115      Voir analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 19.


116      Voir considérants 3, 6 et 36 du règlement 2020/1054.


117      Pour la même raison, il convient, à mon avis, de rejeter également le grief soulevé par la République de Pologne selon lequel l’obligation relative au retour des conducteurs violerait l’article 4, sous f), du règlement no 561/2006.


118      L’article 9, paragraphe 2, du règlement nº 561/2006, avant l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, disposait, en effet, que « [t]out temps passé par un conducteur pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application du présent règlement ou en revenir, lorsque celui-ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni à l’établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, n’est pas considéré comme repos ou pause, à moins que le conducteur se trouve dans un ferry ou un train et ait accès à une couchette ». Le paragraphe 3 de cet article se référait aussi au « lieu de résidence du conducteur et à l’établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché ».


119      Voir arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen (C‑124/09, EU:C:2010:238, point 27). D’un point de vue linguistique, la notion de « centre opérationnel » correspond à celle de « centre d’exploitation » utilisée dans cet arrêt, ainsi que dans l’arrêt du 18 janvier 2001, Skills Motor Coaches e.a. (C‑297/99, EU:C:2001:37) et, également, dans la version originale de l’article 5, sous c) du règlement nº 1071/2009.


120      Voir arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen (C‑124/09, EU:C:2010:238, point 31).


121      Le terme « UE-13 » indique l’ensemble des États qui sont devenus membres de l’Union européenne après 2004 et qui se sont ajoutés aux 15 États qui étaient déjà membres (« l’UE-15 »).


122      L’analyse d’impact cite, à cet égard, une enquête menée auprès de conducteurs polonais par l’association patronale polonaise de laquelle il ressort que 23 % d’entre eux passent 15 jours sur la route ; 15 % passent plus de 30 jours loin de leur lieu de résidence/leur base et 7 % moins de 5 jours loin de leur lieu de résidence/leur base. Voir analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 20.


123      Voir, spécifiquement,  point 203 des présentes conclusions.  


124      Arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 41 et 42, ainsi que jurisprudence citée).


125      Voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020 (Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 41, 42, 61, 62, 64 et 128).


126      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 51.


127      Voir note en bas de page 122 des présentes conclusions.


128      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 20.


129      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, chapitre 6.2.1, p. 63.


130      Voir article 16 du règlement nº 561/2006 et article 33 du règlement no 165/2014.


131      Voir point 132 des présentes conclusions.


132      Voir point 47 des présentes conclusions.


133      Voir points 219 et 220 des présentes conclusions.


134      Voir jurisprudence mentionnée au point 56 des présentes conclusions.


135      Voir point 179 des présentes conclusions.


136      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, partie 1/2, p. 49. Si les mesures examinées dans ce contexte étaient liées à l’éventuelle interdiction de prendre le repos programmé à bord du véhicule, il y a le même type de difficultés lorsqu’il s’agit d’établir si le conducteur a été mis en mesure par l’entreprise de transport de retourner à son lieu de résidence ou au centre d’exploitation, mais a choisi de ne pas le faire, ou s’il a subi des pressions visant à le dissuader de rentrer.


137      Avis EESC 2017/02852, point 1.7.


138      L’article 1er, point 5, sous c), de la proposition de règlement temps de travail prévoyait d’insérer à l’article 8 du règlement nº 561/2006 un paragraphe 8 ter  ayant la teneur suivante : « Les entreprises de transport organisent le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de passer à leur lieu de résidence au moins un temps de repos hebdomadaire normal ou un repos hebdomadaire de plus de quarante-cinq heures pris en compensation de la réduction d’un repos hebdomadaire sur chaque période de trois semaines consécutives. »


139      Le législateur a adopté le calendrier de trois semaines applicable au retour uniquement pour les conducteurs qui ont pris deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs (article 8, paragraphe 8 bis, deuxième alinéa) et qui prendront donc, après la troisième semaine de travail, un temps de repos normal en compensation des deux temps de repos hebdomadaires réduits.


140      La République de Pologne se réfère également aux effets préjudiciables concernant les infrastructures routières. Ces arguments sont traités dans la partie relative aux moyens concernant la violation de l’article 91 paragraphe 2, TFUE aux points 281 et suiv. des présentes conclusions.


141      Voir analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 48.


142      Voir analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 20 et points 217, 229, 236 et 260 des présentes conclusions.


143      Ce chiffre découle d’une comparaison entre, d’une part, l’appréciation contenue dans la lettre ouverte du 26 octobre 2018 de l’Union internationale des transports routiers (IRU) dans laquelle il y était estimé que l’adoption d’une obligation pour les véhicules de rentrer toutes les trois à quatre semaines était susceptible de faire augmenter le kilométrage des camions de 80 à 135 millions de véhicules-kilomètres par an et, d’autre part, les données d’Eurostat desquelles il découlait que, en 2016, le trafic de véhicules de marchandises avait été au total de 135 725 millions de véhicules-kilomètres. Le Conseil a observé que l’obligation de retour des conducteurs concerne non pas les véhicules, mais les conducteurs qui ne retournent pas nécessairement toujours avec le véhicule et qui, ainsi qu’il ressort de l’analyse d’impact (voir note en bas de page 122 des présentes conclusions), rentrent déjà dans la majorité des cas chaque trois ou quatre semaines.


144      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, chapitre 2.3.1.1.


145      Élaborée par l’organisme de normalisation américain AASHTO (American Association of State Highway and Transportation Officials), démontrant l’incidence des véhicules sur les infrastructures routières.


146      Voir, en ce qui concerne l’article 74 CE, conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans les affaires jointes Espagne et Finlande/Parlement et Conseil (C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:194, point 162).


147      Règlement (CEE) nº 4058/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif à la formation des prix pour les transports de marchandises par route entre les États membres (JO 1989, L 390, p. 1).


148      Voir, en ce qui concerne l’article 74 CE, conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans les affaires jointes Espagne et Finlande/Parlement et Conseil (C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:194, point 163).


149      Voir conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans les affaires jointes Espagne et Finlande/Parlement et Conseil (C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:194, point 164).


150      Voir, en ce qui concerne l’article 9 TFUE, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 46).


151      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans les affaires jointes Espagne et Finlande/Parlement et Conseil (C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:194, point 164).


152      Voir point 42 des présentes conclusions.


153      Voir, par analogie avec l’article 191 paragraphe 3, TFUE, arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 135 et jurisprudence citée).


154      Voir note en bas de page 143 des présentes conclusions.


155      Voir point 284 des présentes conclusions.


156      À cet égard, voir, également, point 222 des présentes conclusions.


157      Voir points 291 et 292 des présentes conclusions.


158      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, en particulier p. 60 et 61.


159      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, en particulier p. 63 et suiv.


160      Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 11 décembre 2019, « Le pacte vert pour l’Europe », COM (2019) 640 final (ci-après le « pacte vert pour l’Europe »).


161      Pacte vert pour l’Europe, point 2.1.5.


162      Conclusions de la réunion du Conseil européen du 12 décembre 2019, EUCO 29/19 CO EUR 31 CONCL 9.


163      Déclaration de la commissaire Vălean sur l’adoption finale du premier train de mesures sur la mobilité par le Parlement européen, Bruxelles, 9 juillet 2020, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_20_1319.


164      Voir point 45 du mémoire en réplique dans l’affaire C‑553/20.


165      Voir points 564 et suiv. des présentes conclusions.


166      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, points 129 à 131). Une disposition jugée conforme à l’article 191 TFUE sera nécessairement jugée conforme à l’article 37 de la Charte : voir arrêt du 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus (C‑444/15, EU:C:2016:978, points 61 à 64).


167      Voir, par analogie, arrêt du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest e.a. (C‑78/90 à C‑83/90, EU:C:1992:118, point 18).


168      Ce grief ne s’entend, selon moi, que comme visant uniquement l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines, dès lors qu’une obligation de retour des conducteurs toutes les trois semaines était déjà présente dans la proposition de règlement établissement, qui a fait l’objet d’une analyse d’impact : voir article 1er, point 5, sous c), de la proposition de règlement temps de travail, et analyse d’impact – volet social accompagnant cette proposition.


169      Je précise que je ne rentrerai pas, à ce stade de l’analyse, dans le débat concernant les chiffres liés aux émissions supplémentaires potentielles ou réelles qu’engendre l’obligation de retour des conducteurs, dans la mesure où, premièrement, cela n’est pas nécessaire pour le traitement des arguments tirés de la violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et, deuxièmement, ce débat devra être tranché lors du traitement des arguments relatifs à la violation du principe de proportionnalité.


170      Voir points 575 et suiv. des présentes conclusions.


171      Le législateur a seulement envisagé l’hypothèse dans laquelle le retour du conducteur pourrait, le cas échéant, être organisé en même temps que le retour du véhicule dans l’État membre d’établissement : voir considérant 8 du règlement 2020/1055.


172      En ce sens, voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:362, point 88) et arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement (C‑733/19, EU:C:2021:272, point 48).


173      Voir arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement (C‑733/19, EU:C:2021:272, point 44).


174      Voir arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 119).


175      Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a. (C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 40).


176      Voir arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, point 86).


177      Voir point 47 des présentes conclusions.


178      Voir point 197 des présentes conclusions.


179      Voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, points 19 et 20), et du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf (C‑248/95 et C‑249/95, EU:C:1997:377, points 52, 52 63 et 64).


180      Voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 1958, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie e.a./Haute Autorité (13/57, EU:C:1958:10, p. 292).


181      À cet égard, voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 1973, Werhahn Hansamühle e.a./Conseil et Commission (63/72 à 69/72, EU:C:1973:121, point 17).


182      Voir point 80 des présentes conclusions.


183      Voir points 148 à 150 des présentes conclusions.


184      Arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, point 20).


185      Voir point 90 des présentes conclusions.


186      Voir p. 18 de cette analyse d’impact.


187      Rapport final de l’étude sur les emplacements de stationnement sûrs et sécurisés pour les camions (https://ec.europa.eu/transport/sites/transport/files/2019-study-on-safe-and-secure-parking-places-for-trucks.pdf), p. 8 et 18 à 20.


188      Règlement (UE) no 1315/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, sur les orientations de l’Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport et abrogeant la décision no 661/2010/UE (JO 2013, L 348, p. 1, ci-après le « règlement RTE-T »)).


189      Aux termes du paragraphe 3 de cette disposition, « [t]outes les aires de stationnement qui ont été certifiées peuvent indiquer qu’elles le sont conformément aux normes et procédures de l’Union. Conformément à l’article 39, paragraphe 2, point c), du règlement [RTE-T], les États membres encouragent la création de zones de stationnement pour les usagers commerciaux ». Aux termes du paragraphe 4 de cette disposition, « [a]u plus tard le 31 décembre 2024, la Commission présente au Parlement européen et au Conseil un rapport sur la disponibilité d’installations de repos appropriées pour les conducteurs et de parcs de stationnement sécurisés, ainsi que sur l’aménagement d’aires de stationnement sûres et sécurisées certifiées conformément aux actes délégués visés au paragraphe 2. Ce rapport peut énumérer des mesures visant à accroître le nombre et la qualité des aires de stationnement sûres et sécurisées ».


190      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 64.


191      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 70.


192      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 18.


193      Arrêt du 20 décembre 2017 (C‑102/16, ci-après l’« arrêt Vaditrans », EU:C:2017:1012).


194      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 46.


195      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 18.


196      Aux termes de l’article 4, sous g) du règlement nº 561/2006, aux fins de ce règlement, on entend par « “temps de repos journalier” : la partie d’une journée pendant laquelle un conducteur peut disposer librement de son temps et qui peut être un “temps de repos journalier normal” ou un “temps de repos journalier réduit” ». Aux termes du premier tiret de cette disposition, on entend par « “temps de repos journalier normal” : toute période de repos d’au moins onze heures. Ce temps de repos journalier normal peut aussi être pris en deux tranches, dont la première doit être une période ininterrompue de trois heures au moins et la deuxième une période ininterrompue d’au moins neuf heures ». Aux termes du second tiret de ladite disposition, on entend par « “temps de repos journalier réduit”: toute période de repos d’au moins neuf heures, mais de moins de onze heures ».


197      Aux termes de l’article 4, sous h) du règlement nº 561/2006, aux fins de ce règlement, on entend par « “temps de repos hebdomadaire”: une période hebdomadaire pendant laquelle un conducteur peut disposer librement de son temps, et qui peut être un “temps de repos hebdomadaire normal” ou un “temps de repos hebdomadaire réduit” ». Aux termes du premier tiret de cette disposition, on entend par « “temps de repos hebdomadaire normal” : toute période de repos d’au moins [45] heures ». Aux termes du second tiret de ladite disposition, on entend par « “temps de repos hebdomadaire réduit” : toute période de repos de moins de [45] heures, pouvant être réduite à un minimum de [24] heures consécutives, sous réserve des conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 6 ».


198      Arrêt Vaditrans (points 31, 32 et 48). .


199      Voir point 42 des présentes conclusions.


200      Aux termes du considérant 13 du règlement 2020/1054, « [a]fin de promouvoir le progrès social, il convient de préciser le lieu où les temps de repos hebdomadaires peuvent être pris en veillant à ce que les conducteurs bénéficient de conditions de repos adéquates. La qualité du lieu d’hébergement est particulièrement importante pendant les temps de repos hebdomadaires normaux, que les conducteurs devraient passer en dehors de la cabine du véhicule dans un lieu d’hébergement adapté, aux frais de l’entreprise de transport en tant qu’employeur. Afin d’assurer de bonnes conditions de travail et la sécurité des conducteurs, il convient de préciser l’exigence que les conducteurs disposent d’un lieu d’hébergement de qualité adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes pour leurs temps de repos hebdomadaires normaux si ce repos n’est pas pris à leur lieu de résidence ».


201      Arrêt Vaditrans (points 31, 32 et 48).


202      Arrêt Vaditrans (point 43).


203      Arrêt Vaditrans (point 44).


204      Arrêt Vaditrans (point 45).


205      Arrêt Vaditrans (points 46 et 47).


206      Arrêt Vaditrans (point 44).


207      Arrêt Vaditrans (point 44).


208      Arrêt Vaditrans (points 44 et 45).


209      Arrêt Vaditrans (point 42).


210      Arrêt Vaditrans (point 44). Voir point 379 des présentes conclusions. Voir, également, ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil (C‑541/20 R, EU:C:2021:264, point 38).


211      Voir article 8, paragraphe 6, du règlement no 561/2006, tel que modifié par le règlement 2020/1054.


212      Aux termes de cette disposition, l’article 19, paragraphe 1, du règlement nº 561/2006 est remplacé par le texte suivant : « 1. Les États membres établissent des règles concernant les sanctions applicables aux infractions au présent règlement [...] et prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions sont effectives et proportionnées à la gravité de l’infraction conformément à l’annexe III de la directive 2006/22/CE [...]. Aucune infraction au présent règlement ou [...] ne donne lieu à plus d’une sanction ou plus d’une procédure. Les États membres notifient à la Commission ces règles et mesures, ainsi que la méthode et les critères choisis au niveau national pour en évaluer la proportionnalité. Les États membres notifient à la Commission sans retard toute modification ultérieure concernant ces éléments. La Commission informe les États membres de ces règles et mesures et de toute modification les concernant. La Commission veille à ce que ces informations soient publiées dans toutes les langues officielles de l’Union sur un site internet public spécifique contenant des informations détaillées sur les sanctions applicables dans les États membres. »


213      Voir proposition de règlement temps de travail, article 1er, paragraphe 5, sous c), cité au point 11 des présentes conclusions.


214      Voir, entre autres, arrêt du 20 décembre 2017, Erzeugerorganisation Tiefkühlgemüse (C‑516/16, EU:C:2017:1011, point 88 et jurisprudence citée).


215      La notion de « conducteur » est définie à l’article 4, sous c), du règlement nº 561/2006.


216      Arrêt Vaditrans (point 44). Voir, aussi, point 379 des présentes conclusions. Voir, également, ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil (C‑541/20 R, EU:C:2021:264, point 38)


217      Voir point 80 des présentes conclusions.


218      Analyse d’impact – volet social, partie 1/2, p. 39.


219      En vertu de l’article 3, paragraphe 4, du règlement nº 165/2014, lu en combinaison avec l’article 6, troisième phrase, du règlement d’exécution 2016/799, les véhicules circulant dans un État membre autre que leur État membre d’immatriculation devaient initialement être équipés d’un tachygraphe intelligent, régi par les articles 8 à 10 du règlement no 165/2014, dans un délai de quinze années après la date d’entrée en vigueur, le 15 juin 2019, des modalités relatives à ces tachygraphes fixées à l’annexe IC de ce règlement d’exécution, à savoir, pour le 15 juin 2034 au plus tard.


220      Règlement d’exécution (UE) 2021/1228 de la Commission, du 16 juillet 2021, modifiant le règlement d’exécution 2016/799 (JO 2021, L 273, p. 1).


221      Règlement d’exécution (UE) 2023/980 de la Commission, du 16 mai 2023, modifiant le règlement d’exécution 2016/799 (JO 2023, L 134, p. 28).


222      Commission, « Study regarding measures fostering the implementation of the smart tachograph », 2018, p. 9.


223      Parlement européen (EPRS) : Retrofitting smart tachographs by 2020 : Costs and benefits (Mise à niveau des tachygraphes intelligents d’ici à 2020 : Coûts et avantages), 2 février 2018 (https://www.europarl.europa.eu/thinktank/fr/document.html?reference=EPRS_STU%282018 %29615643), p. 7.


224      Voir lettre de la Commission au Conseil du 4 octobre 2018, annexe B4 dans l’affaire C‑551/20.


225      Voir note en bas de page 219 des présentes conclusions.


226      Arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 153), et du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, points 100 et 110).


227      Arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 153), et du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, point 111).


228      Arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C 5/16, EU:C:2018:483, point 112).


229      Arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet (C‑322/16, EU:C:2017:985, point 47 et jurisprudence citée).


230      Voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet (C‑322/16, EU:C:2017:985, point 48 et jurisprudence citée).


231      Voir, ex multis, arrêt du 8 septembre 2022, Ministerstvo životního prostředí (Perroquets Ara hyacinthe) (C‑659/20, EU:C:2022:642, point 69 et jurisprudence citée).


232      Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil (203/86, EU:C:1988:420, point 19 et jurisprudence citée).


233      Cet article prévoit comme exceptions les dispositions de l’article 1er, point 15, et de l’article 2, point 12, qui ne seront applicables qu’à compter du 31 décembre 2024. Ces deux dispositions ne font pas objet des recours introduits dans les présentes affaires.


234      Selon ces deux institutions, seule la date reportée pour les deux dispositions mentionnées à la note précédente des présentes conclusions serait anticipée à la date d’entrée en vigueur de tout le règlement.


235      Ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil (C‑541/20 R, EU:C:2021:264, point 31).


236      Arrêt Vaditrans (point 44).


237      Voir, entre autres, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 104 et jurisprudence citée).


238      Voir point 394 des présentes conclusions.


239      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, points 73 à 75)


240      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 76).


241      Cette disposition, consacrée aux exigences pour exercer la profession de transporteur par route, prévoit que « [l]es entreprises qui exercent la profession de transporteur par route [...] sont établies de façon stable et effective dans un État membre ».


242      Ce moyen de la requête dans l’affaire C‑545/20 est développé par la République de Bulgarie tant au regard de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 que de l’article 2, point 4, sous a), de ce dernier. Pour des raisons d’économie de procédure, je ne l’examinerai qu’ici, étant entendu que les conclusions tirées de mon analyse au regard de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 s’appliquent mutatis mutandis en ce qui concerne l’article 2, point 4, sous a), dudit règlement.


243      Arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil (C‑65/90, EU:C:1992:325).


244      Arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil (C‑65/90, EU:C:1992:325).


245      COM (2018) 51 final du 31 janvier 2018.


246      La République de Chypre n’a pas attaqué, dans son recours C‑549/20, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, de sorte que son moyen tiré d’une violation des formes substantielles découlant de l’article 91, paragraphe 1, TFUE vise exclusivement l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines.


247      Voir point 10 des présentes conclusions,


248      JO 2018, C 197, p. 38.


249      JO 2018, C 176, p. 57.


250      Voir CdR, Practical guide on the infringement of the subsidiarity principle, disponible à partir de https://portal.cor.europa.eu/subsidiarity/Publications/Documents/Guide%20on%20SubsidiarityFINAL.pdf.


251      Voir articles 56 et 57 du règlement intérieur du CdR ([JO 2014, L 65, p. 41, dans sa version applicable au moment de l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055)].


252      Voir article 59 du règlement intérieur du CdR, dans sa version applicable au moment de l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055.


253      Arrêt du 16 juillet 1992 (C‑65/90, EU:C:1992:325).


254      Arrêt du 5 juillet 1995 (C‑21/94, EU:C:1995:220).


255      Arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil (C‑21/94, EU:C:1995:220, points 17 et 18).


256      Voir ordonnance du président de la Cour du 17 mars 2004, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2004:158, points 9 à 11).


257      Voir point 1.1 de l’avis du CESE du 18 janvier 2018.


258      Voir points 1.4 et 3.2 de l’avis du CESE du 18 janvier 2018.


259      Voir point 1.6 de l’avis du CESE du 18 janvier 2018.


260      Voir point 5.2 de l’avis du CESE du 18 janvier 2018.


261      Voir point 5.2 de l’avis du CESE du 18 janvier 2018.


262      Voir point 5.2 de l’avis du CESE du 18 janvier 2018.


263      Voir, notamment, points 6 à 8 de l’avis du CdR du 1er février 2018.


264      Voir point 9 de l’avis du CdR du 1er février 2018.


265      Voir, par analogie, arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil (C‑21/94, EU:C:1995:220, point 27). Il en irait autrement dans le cas de l’ajout, au cours de la procédure législative, d’une base juridique qui justifie pleinement que le CESE soit consulté à nouveau, comme ce fut le cas, ainsi que l’ont relevé la République de Bulgarie et la République de Chypre, lors de l’adoption du règlement (UE) 2021/2282 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2021, concernant l’évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE (JO 2021, L 458, p. 1). Pour les deux avis de ce comité au cours d’une même procédure législative, voir JO 2018, C 283, p. 38 et JO 2021, C 286, p. 95.


266      Voir, à cet égard, conclusions du Conseil européen du 12 décembre 2019 (EUCO 29/19 CO EUR 31 CONCL 9).


267      Pacte vert pour l’Europe, point 2.1.5.


268      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) no 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat ») (JO 2021, L 243, p. 1).


269      Voir communication de la Commission au Parlement européen conformément à l’article 294, paragraphe 6, TFUE, concernant la position du Conseil sur l’adoption d’un règlement modifiant le règlement (CE) no 1071/2009, le règlement (CE) no 1072/2009 et le règlement (UE) no 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur ; d’un règlement modifiant le règlement (CE) no 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, et le règlement (UE) no 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes, et d’une directive modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 [COM (2020) 151 final].


270      Premier train de mesures sur la mobilité concernant le transport routier – Déclaration de la Commission (JO 2020, C 252 p. 1).


271      Assessment of the impact of a provision in the context of the revision of Regulation (EC) no 1071/2009 and Regulation (EC) no 1072/2009, Final report [Analyse d’impact d’une disposition dans le contexte de la révision du règlement (CE) nº 1071/2009 et du règlement (CE) nº 1072/2009, rapport final], MOVE/C1/SER/2050‑557/SI2.830443 (ci‑après l’« étude Ricardo de 2021 »).


272      Soit, selon la République de Lituanie, la Lituanie, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Lettonie et l’Estonie. La République de Lituanie avance que le parc de poids lourds de ces sept États membres émettra 3,2 millions de tonnes de CO2 supplémentaires par an et que 570 000 poids lourds sans chargement devront rentrer à leur base toutes les huit semaines, ce qui représenterait 780 millions de kilomètres à vide et 188 millions de litres de carburant consommés inutilement chaque année. La République de Lituanie se fonde ici sur des chiffres parus dans un article publié sur le site www.trans.info.


273      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et modifiant le règlement (UE) no 525/2013 (JO 2018, L 156, p. 26).


274      Voir déclarations de la Commission et des États membres concernant l’accord additionnel conclu entre le Conseil et le Parlement sur le premier train de mesures  reproduites dans le document du Conseil du 11 février 2020 (ST 5424 2020 ADD 4, p. 2).


275      La République de Malte se fonde ici sur les projections indiquées des effets de la législation de l’Union en vigueur au moment de l’adoption de la communication de la Commission du 28 novembre 2018, « Une planète propre pour tous – Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat » [COM (2018) 773 final, p. 5 et 6].


276      Directive du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3).


277      La République de Pologne renvoie ici à l’arrêt du 10 septembre 2019, Pologne/Commission (T‑883/16, EU:T:2019:567, points 77 et 78).


278      Voir point 48 du mémoire en réplique dans l’affaire C‑554/20, Pologne/Parlement et Conseil.


279      Les arguments de la République de Malte concernant l’article 91, paragraphe 2, TFUE, en lien avec l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte, ne seront pas traités dans cette partie.


280      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, points 129 à 131). Une disposition jugée conforme à l’article 191 TFUE sera nécessairement jugée conforme à l’article 37 de la Charte : voir arrêt du 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus (C‑444/15, EU:C:2016:978, points 61 à 64).


281      Notamment au point 30 de son mémoire en défense dans l’affaire C‑542/20.


282      Voir point 304 des présentes conclusions.


283      Voir, par analogie, arrêt du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil (C‑149/96, EU:C:1999:574, point 86). Voir, également, arrêt du 26 juin 2019, Craeynest e.a. (C‑723/17, EU:C:2019:533, point 33).


284      Voir, par analogie, arrêt du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest e.a. (C‑78/90 à C‑83/90, EU:C:1992:118, point 18).


285      Conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Autriche/Parlement et Conseil (C‑161/04, EU:C:2006:66, points 59 et 60).


286      Voir ordonnance de radiation du président de la Cour du 6 septembre 2006, Autriche/Parlement et Conseil (C‑161/04, EU:C:2006:512).


287      Voir, entre autres, arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2005:542, point 41 et jurisprudence citée), du 15 novembre 2005, Commission/Autriche (C‑320/03, EU:C:2005:684, point 72), du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 91), du 16 juillet 2009, Horvath (C‑428/07, EU:C:2009:458, point 29), ainsi que du 21 décembre 2011, Commission/Autriche (C‑28/09, EU:C:2011:854, point 120).


288      Voir, notamment, arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2005:542, point 42), du 15 novembre 2005, Commission/Autriche (C‑320/03, EU:C:2005:684, point 73 et jurisprudence citée), et du 21 décembre 2011, Commission/Autriche (C‑28/09, EU:C:2011:854, point 121).


289      Voir arrêt du 16 juillet 2009, Horvath (C‑428/07, EU:C:2009:458, point 29).


290      Voir arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement (C‑733/19, EU:C:2021:272, point 46).


291      Arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742, points 42 et 100). À propos de l’article 11 TFUE, la Cour a jugé que « l’Union [devait] se conformer à cette disposition lorsqu’elle exerce l’une de ses compétences » [arrêt du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, point 101)] sans toutefois préciser davantage la charge incombant au législateur à cet égard.


292      Sur ce que l’article 11 TFUE n’impose pas, voir arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement (C‑733/19, EU:C:2021:272, point 49).


293      L’intitulé de cette troisième partie vise, pour être tout à fait exact, les politiques et actions internes de l’Union.


294      Voir point 308 des présentes conclusions.


295      Voir, par exemple, arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement (C‑733/19, EU:C:2021:272, point 50).


296      Je précise que je ne rentrerai pas, à ce stade de l’analyse, dans le débat concernant les chiffres liés aux émissions supplémentaires potentielles ou réelles qu’engendre l’obligation de retour, dans la mesure où, premièrement, cela n’est pas nécessaire pour le traitement des arguments tirés de la violation de la politique de l’Union en matière d’environnement et, deuxièmement, ce débat devra être tranché, le cas échéant, lors du traitement des arguments relatifs à la violation du principe de proportionnalité.


297      Voir considérant 1 du règlement 2018/842. Sur les ambitions du législateur de l’Union pour le secteur des transports, voir considérant 12 dudit règlement.


298      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 concernant l’arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l’air ambiant (JO 2005, L 23, p. 3), telle que modifiée par le règlement (CE) no 219/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2009 (JO 2009, L 87, p. 109) et par la directive (UE) 2015/1480 de la Commission, du 28 août 2015 (JO 2015, L 226, p. 4) (ci-après la « directive 2004/107).


299      Voir article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/107.


300      Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (JO 2008, L 152, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/1480 de la Commission, du 28 août 2015 (JO 2015, L 226, p. 4) (ci-après la « directive 2008/50 »).


301      Voir article 1er de la directive 2008/50.


302      Modifiée pour la dernière fois par la directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018 (JO 2018, L 150, p. 109).


303      Voir article 1er de la directive 2008/98, telle que modifiée par la directive 2008/851.


304      JO 1999, L 187, p. 42.


305      Directive du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2011 modifiant la directive 1999/62 (JO 2011, L 269, p. 1).


306      Voir considérant 1er de la directive 2011/76.


307      Voir considérant 2 de la directive 2011/76.


308      Voir considérant 3 de la directive 2011/76.


309      Voir considérant 7 de la directive 2011/76.


310      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et pour les véhicules utilitaires légers neufs, et abrogeant les règlements (CE) no 443/2009 et (UE) no 510/2011 (JO 2019, L 111, p. 13).


311      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les véhicules utilitaires lourds neufs et modifiant les règlements (CE) no 595/2009 et (UE) 2018/956 du Parlement européen et du Conseil et la directive 96/53/CE du Conseil (JO 2019, L 198, p. 202). Voir, également, en ce qui concerne l’amélioration de l’efficience énergétique de ces véhicules, règlement (UE) 2019/1892 de la Commission, du 31 octobre 2019, modifiant le règlement (UE) no 1230/2012 en ce qui concerne les prescriptions pour la réception par type de certains véhicules à moteur équipés de cabines allongées et des dispositifs et équipements aérodynamiques destinés aux véhicules à moteur et à leurs remorques (JO 2019, L 291, p. 17), en particulier son considérant 6.


312      Voir directive 2009/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de véhicules de transport routier propres à l’appui d’une mobilité à faible taux d’émissions (JO 2009, L 120, p. 5), telle que modifiée par la directive (UE) 2019/1161 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 (JO 2019, L 1888, p. 116).


313      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 2020 sur l’étiquetage des pneumatiques en relation avec l’efficacité en carburant et d’autres paramètres, modifiant le règlement (UE) 2017/1369 et abrogeant le règlement (CE) no 1222/2009 (JO 2020, L 177, p. 1).


314      Voir considérant 4 du règlement 2020/740.


315      Voir considérant 6 du règlement 2020/1055.


316      Voir considérant 6 du règlement 2020/1055.


317      Voir considérant 6 du règlement 2020/1055.


318      Voir, à propos de l’article 130 R et 130 S du traité CE, arrêt du 24 novembre 1993, Mondiet (C‑405/92, EU:C:1993:906, point 26), et conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:362, point 88).


319      Voir, par analogie, arrêts du 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus (C‑444/15, EU:C:2016:978, point 46), et du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800, point 50).


320      Voir arrêts du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission (C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 31 et jurisprudence citée), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 80)


321      Voir arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 221).


322      Voir article 192, paragraphe 1, TFUE.


323      Pour rappel, cette disposition prévoit que les mesures affectant sensiblement le choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique devront être adoptées à l’unanimité.


324      En ce sens, voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:362, point 88), et arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement (C‑733/19, EU:C:2021:272, point 48).


325      La Hongrie invoque un principe de précaution, principe général de droit, qu’elle fait globalement découler de l’article 11 TFUE, de l’article 168, paragraphe 1, TFUE, de l’article 169, paragraphes 1 et 2, TFUE, et de l’article 191, paragraphes 1 et 2, TFUE. Je ne mènerai donc pas d’analyse séparée des articles 168 et 169 TFUE.


326      Voir arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800, point 41 et jurisprudence citée).


327      Voir arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800, point 43 et jurisprudence citée).


328      Voir arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800, point 50).


329      Voir arrêt du 9 juin 2016, Pesce e.a. (C‑78/16 et C‑79/16, EU:C:2016:428, point 50).


330      Voir arrêt du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, point 68).


331      L’argumentation de la République de Bulgarie et de la République de Chypre a quelque peu évolué au cours de la procédure écrite (voir point 8 du mémoire en réplique dans l’affaire C‑545/20 et point 10 du mémoire en réplique dans l’affaire C‑549/20).


332      JO 2016, L 282, p. 1.


333      Voir article 2, paragraphe 1, sous a), de l’accord de Paris.


334      Voir arrêts du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, point 50 et jurisprudence citée), du 11 avril 2013, HK Danmark (C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, point 28), du 18 mars 2014, Z. (C‑363/12, EU:C:2014:159, point 71), du 13 janvier 2015, Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht (C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, point 52), du 13 janvier 2015, Conseil et Commission/Stichting Natuur en Milieu et Pesticide Action Network Europe (C‑404/12 P et C‑405/12 P, EU:C:2015:5, point 44), du 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers (C‑265/19, EU:C:2020:677, point 62), ainsi que du 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:978, point 25).


335      L’accord de Paris est entré en vigueur le 4 novembre 2016.


336      Voir arrêt du 13 janvier 2015, Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht (C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, point 54 et jurisprudence citée).


337      Voir arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, points 52 à 55 et jurisprudence citée).


338      Voir considérant 4 de la décision 2016/1841.


339      Voir article 2, paragraphe 1, de l’accord de Paris, annexé à la décision 2016/1841.


340      Voir point 575 des présentes conclusions.


341      Voir article 2, paragraphe 1, sous c), de l’accord de Paris, annexé à la décision 2016/1841.


342      Voir article 2, paragraphe 2, de l’accord de Paris, annexé à la décision 2016/1841.


343      Article 3 de l’accord de Paris, annexé à la décision 2016/1841.


344      Article 4, paragraphe 1, de l’accord de Paris, annexé à la décision 2016/1841.


345      Article 4, paragraphe 2, de l’accord de Paris, annexé à la décision 2016/1841.


346      Ces raisons sont relativement analogues à celles retenues par la Cour pour dénier l’invocabilité, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, du protocole de Kyoto : voir arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, points 73 à 78).


347      Voir arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement (C‑733/19, EU:C:2021:272, point 44).


348      Voir arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 119).


349      Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a. (C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 40).


350      Voir arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, point 86).


351      Voir deuxième paragraphe de la déclaration de la Commissaire Vălean du 9 juillet 2020 sur l’adoption finale du premier train de mesures sur la mobilité par le Parlement européen.


352      Soit l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Belgique.


353      Livre blanc « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM (2011) 144 final du 28 mars 2011].


354      Arrêt du 13 novembre 1990 (C‑331/88, EU:C:1990:391).


355      Voir points 667 et suiv. des présentes conclusions.


356      Voir point 597 des présentes conclusions.


357      Voir point 131 de la requête dans l’affaire C‑547/20.


358      Voir article 2, point 4, du règlement no 1071/2009.


359      Voir considérant 8 du règlement 2020/1055.


360      Pour le reste, la République de Lituanie n’a pas précisé quelle disposition du traité d’adhésion, selon elle, assurait l’abolition, dans un délai de 5 ans, de toute restriction à la libre prestation de services par les transporteurs lituaniens dans d’autres États membres. Comme le Parlement l’a affirmé à juste titre, ce traité ne prévoyait pas que la Lituanie bénéficierait d’un régime dérogatoire et serait dispensée d’appliquer le droit dérivé dans le domaine des transports. J’ajoute que, au moment de l’entrée de la République de Lituanie dans l’Union, l’article 71, paragraphe 1, CE soulignait déjà, notamment, les aspects spéciaux des transports ainsi que le traitement différencié des transporteurs non‑résidents.


361      Voir point 584 des présentes conclusions.


362      Arrêt du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf (C‑248/95 et C‑249/95, EU:C:1997:377, point 55).


363      Voir arrêt du 26 septembre 2013, ÖBB-Personenverkehr (C‑509/11, EU:C:2013:613, point 47).


364      L’analyse d’impact – volte établissement évoquait déjà une telle asymétrie dans l’hypothèse d’un renforcement des critères d’établissement (voir partie 1/2, p. 37).


365      Voir arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, points 19 et 20).


366      La légitimité de l’adaptation de la réglementation à l’évolution du contexte dans lequel elle déploie ses effets ne saurait être remise en question. Il est ainsi notoire que la participation au marché des transports des entreprises d’États membres où sont, en général, applicables des conditions de travail et d’emploi éloignées de celles applicables dans les autres États membres à la suite des élargissements successifs peut nécessiter, selon son appréciation, l’intervention du législateur de l’Union (voir arrêt du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et Conseil (C‑626/18, EU:C:2020:1000, point 67). Sur la nécessité de prendre en considération la situation de l’ensemble des États membres de l’Union, voir, entre autres, arrêt du 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a. (C‑426/16, EU:C:2018:335, point 74).


367      Arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 128).


368      Voir définition de ces deux catégories fournies par l’analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 1, note en bas de page 3.


369      Voir étude Ricardo de 2021, p. XI et 91.


370      Voir étude Ricardo de 2021, p. XI et 91.


371      Voir étude Ricardo de 2021, p. 6.


372      Le Conseil et le Parlement contestent la recevabilité de ce grief tel que développé par la République de Lituanie dans l’affaire C‑542/20 dès lors qu’il n’est apparu, en effet, qu’au stade de la réplique. Quand bien même il serait déclaré irrecevable, la Cour devrait examiner un grief de même nature dès lors qu’il est également invoqué par la République de Bulgarie et la République de Chypre.


373      Voir, par analogie, arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, point 20).


374      Voir requête dans le recours C‑542/20, en particulier le moyen tiré d’une violation injustifiée de la procédure législative ordinaire du fait de l’absence d’analyse d’impact.


375      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2.


376      IRU, « Open letter on the potential consequences of obligatory return to the truck », 26 octobre 2018.


377      Annexe 9 de la requête dans l’affaire C‑551/20.


378      La République de Malte fait ici référence à la déclaration de la commissaire Vălean.


379      La République de Pologne mentionne ici l’arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 85).


380      Arrêt du 3 décembre 2019 (C‑482/17, EU:C:2019:1035).


381      Analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 37.


382      Analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 49.


383      Analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 20 et 21.


384      Le Conseil établit un parallèle avec l’arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, point 66).


385      En réaction, selon le Conseil, au rapport du Parlement européen, du 7 juin 2018, sur la proposition de règlement établissement, rapport qui prévoyait l’obligation pour tous les véhicules d’effectuer au moins un chargement ou un déchargement de marchandises toutes les trois semaines dans l’État membre d’établissement (voir amendement 18 du rapport A8‑0204/2018).


386      IRU, « Open letter on the potential consequences of obligatory return to the truck », 26 octobre 2016.


387      Klaus, P., Mobility Package I – Impact on the European road transport system (voir notamment annexe D.3 dumémoire en duplique du Conseil dans l’affaire dans l’affaire C‑542/20).


388      Disponible à partir de https://www.etf-europe.org/vehicle-activity-in-the-home-country-the-real-problem/.


389      Voir point 13 de l’accord interinstitutionnel.


390      Voir arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 82).


391      Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:321, point 98).


392      Voir arrêts du 8 juillet 2010, Afton Chemical (C‑343/09, EU:C:2010:419, point 57), et du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, point 159).


393      Voir arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, points 64 et 65).


394      Arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 43).


395      Arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 85).


396      Voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 45).


397      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 31 et jurisprudence citée).


398      Voir arrêts du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, points 160 à 163), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 86 et jurisprudence citée).


399      Voir, pour comparaison, article 1er, point 3, de la proposition de règlement établissement.


400      Analyse d’impact – volet établissement. Cela est confirmé par la Commission elle-même dans sa déclaration suivant l’accord politique auquel sont parvenus le Parlement et le Conseil le 12 décembre 2019, également reproduite dans la communication de la Commission au Parlement européen conformément à l’article 294, paragraphe 6, TFUE concernant la position du Conseil sur l’adoption du règlement 2020/1055 [COM (2020) 151 final du 15 avril 2020, p. 7].


401      Voir point 241 des présentes conclusions.


402      Voir analyse d’impact – volet établissement, p. 30 et 31.


403      Voir p. 36, partie 5.1.1 « Impacts on business » dédiée au « policy package 3 », dont relèvent les mesures en question de l’analyse d’impact – volet établissement et, plus largement, partie 5 de cette analyse.


404      Voir amendement 128 de la résolution législative du Parlement européen du 4 avril 2019 sur la proposition de règlement établissement [document P8_TA-PROV(2019)0341]. Cet amendement proposait l’insertion d’un article 5, sous a bis), dans le règlement no 1071/2009 qui aurait imposé que les véhicules effectuent, dans le cadre d’un contrat de transport, au moins un chargement ou un déchargement de marchandises toutes les trois semaines dans l’État membre d’établissement. Voir, également, rapport du Parlement du 7 juin 2018 (document A8‑0204‑2018).


405      Voir partie 6 de l’analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2.


406      Voir point 253 des présentes conclusions.


407      Consultée à partir de https://www.etf-europe.org/vehicle-activity-in-the-home-country-the-real-problem/.


408      Dès lors qu’une partie des griefs a été traitée ici.


409      Selon les données fournies par Eurostat sur le volume du transport de fret par rapport au PIB par pays (2018).


410      La République de Lituanie se réfère ici à l’étude Ricardo de 2021.


411      La République de Bulgarie soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 90 TFUE en lien avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et l’article 94 TFUE, au sein duquel elle développe une argumentation commune à l’encontre de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 et de l’article 2, point 4, sous a), de ce règlement.


412      À l’égard de cette dernière disposition, la Hongrie affirme que l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 constitue une mesure relative aux « conditions de transport ».


413      En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’absence d’analyse d’impact constituerait une violation des formes substantielles prévues à l’article 91, paragraphe 2, TFUE, lu en combinaison avec l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte, je renvoie au point 561 des présentes conclusions.


414      Voir point 645 des présentes conclusions.


415      Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions, « Vers un acte pour le marché unique – Pour une économie sociale de marché hautement compétitive – 50 propositions pour mieux travailler, entreprendre et échanger ensemble » [COM (2010) 608 final].


416      Voir points 36 et suiv. des présentes conclusions.


417      Italique ajouté par mes soins.


418      Voir point 149 des présentes conclusions.


419      Voir, par exemple, arrêt du 23 février 2006, CLT-UFA (C‑253/03, EU:C:2006:129, point 13).


420      Voir arrêt du 8 octobre 1986, Keller (234/85, EU:C:1986:377, point 9).


421      Voir point 167 des présentes conclusions.


422      Voir, à propos de l’article 56 TFUE, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 107).


423      Voir, par analogie, arrêts du 21 septembre 1999, BASF (C‑44/98, EU:C:1999:440, point 16), et du 17 septembre 2020, Hidroelectrica (C‑648/18, EU:C:2020:723, point 29 et jurisprudence citée) .


424      C’est-à-dire celles définies à l’article 5, sous e), du règlement no 1071/2009, à savoir être immatriculés ou mis en circulation et autorisés à être utilisés conformément à la législation de l’État membre d’établissement.


425      Voir, notamment, p. 30 et dernier paragraphe de la p. 36 de l’analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2 (voir, également, p. 18 de la partie 2/2 de cette analyse).


426      Dans un sens, selon moi, moins restrictif.


427      Voir p. 6 de la communication de la Commission conformément à l’article 294, paragraphe 6, TFUE [COM (2020) 151 final du 15 avril 2020] aux termes de laquelle la Commission estime que la position du Conseil est destinée à garantir la disponibilité d’effectifs suffisants pour un établissement présumé stable et effectif et qu’elle laisse une marge suffisante pour ne pas restreindre indûment la liberté des transporteurs en termes de recrutement de personnel.


428      Voir arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen (C‑124/09, EU:C:2010:238, point 31).


429      Voir point 108 des présentes conclusions.


430      Voir arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 148).


431      Voir points 40 et suiv. des présentes conclusions.


432      Voir point 111 de la requête dans l’affaire C‑554/20, Pologne/Conseil et Parlement.


433      Sur la portée de ces deux articles, je renvoie aux points 555 et 557 des présentes conclusions.


434      La Roumanie conclut également à l’annulation de l’article 2, point 4, sous b) et c), du règlement 2020/1055, qui ont modifié le paragraphe 3 et inséré un paragraphe 4 bis à l’article 8 du règlement no 1072/2009, sans toutefois développer une argumentation distincte par rapport à celle visant l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.


435      La République de Lituanie se réfère ici aux p. 19 et 20 de la note d’orientation du European Centre for International Political Economy (ECIPE), « Discrimination, Exclusion and Environmental Harm : Why EU Lawmakers Need to Ban Freight Transport Restrictions to Save the Single Market », nº 3/2020 (ci‑après la « note d’orientation de l’ECIPE »).


436      Voir point 11 de la requête dans l’affaire C‑545/20. Pour un résumé de cette argumentation, voir points 542 et suiv. des présentes conclusions.


437      COM (2011) 144 final du 28 mars 2011. La République de Bulgarie mentionne en particulier la p. 6 de ce livre blanc.


438      Puisqu’il s’agit d’une option envisagée par la Commission dans son analyse d’impact (voir analyse d’impact – volet établissement, partie 2/2).


439      Voir considérant 20 du règlement 2020/1055. Voir, également, article 2, point 6), du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055.


440      À la différence, évidemment, de ce qu’impose l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 qui a modifié l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009.


441      Voir point 78 de la requête de la République de Pologne dans l’affaire C‑554/20.


442      D’ailleurs, un parcours avec un chargement est, certes, justifié économiquement, pour reprendre l’argument de la République de Pologne, mais plus les véhicules sont lourds, plus ils consomment, donc émettent du CO2, et usent les infrastructures.


443      Voir point 561 des présentes conclusions.


444      Voir le moyen tiré d’une violation injustifiée de la procédure législative ordinaire du fait de l’absence d’analyse d’impact, développé à l’encontre de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 dans le recours C‑542/20.


445      Quant au fondement, selon la République de Lituanie, de l’obligation pour le législateur de l’Union de procéder à une analyse d’impact en cas de modification substantielle, je renvoie au résumé de l’argumentation de la République de Lituanie dans le cadre du moyen tiré de la violation, par l’article 1, point 3), du règlement 2020/1055, du principe de proportionnalité lors de l’examen par le législateur de la proportionnalité de l’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines.


446      Analyse d’impact – volet établissement.


447      La République de Bulgarie se réfère ici à la p. 13 du rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur l’état du marché de l’Union dans le transport routier (voir annexe A.28 à la requête de la République de Bulgarie dans l’affaire C‑545/20).


448      La République de Bulgarie renvoie ici à la p. 18 du rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur l’état du marché de l’Union dans le transport routier (voir annexe A.28 à la requête de la République de Bulgarie dans l’affaire C‑545/20).


449      Si le moyen est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), b) et c), du règlement 2020/1055, les arguments portent exclusivement sur la restriction supplémentaire aux transports de cabotage que constituerait l’article 2, point 4, sous a), dudit règlement.


450      Je renvoie donc ici au résumé de l’argumentation de la Roumanie (point 619 des présentes conclusions).


451      La Roumanie cite ici Bauer, M., « Discrimination, Exclusion and Environmental Harm : why EU lawmakers need to ban freight transport restrictions to save the single market », policy brief no 3/2020, ECIPE (Bruxelles).


452      Selon les chiffres de l’union nationale des transporteurs routiers de Roumanie (UNTRR) (voir point 78 de la requête de la Roumanie dans l’affaire C‑547/20).


453      La Roumanie se réfère ici au point 1.2.1 de l’analyse d’impact – volet établissement.


454      Selon les données d’Eurostat citées par la Roumanie (voir point 99 de la requête dans l’affaire C‑547/20), les transporteurs polonais réaliseraient 40 % de la totalité des transports de cabotage à l’intérieur de l’Union, les transporteurs lituaniens 5,7 % et les transporteurs roumains 8,7 %.


455      COM (2011) 144 final du 28 mars 2011.


456      Règlement du Conseil du 25 octobre 1993 fixant les conditions de l’admission des transporteurs non‑résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre (JO 1993, L 279, p. 1).


457      Considérant 15 du règlement no 1072/2009.


458      Voir avant-dernière phrase du considérant 15 du règlement no 1072/2009.


459      JO 2005, C 21, p. 2.


460      « Ex-post evaluation of Regulation (EC) no 1071/2009 and Regulation (EC) no 1072/2009 – Final report », Ricardo, 2015.


461      « Ex-post evaluation of Regulation (EC) no 1071/2009 and Regulation (EC) no 1072/2009 – Final report », Ricardo, 2015 (p. 137).


462      Voir « Ex-post evaluation of Regulation (EC) no 1071/2009 and Regulation (EC) no 1072/2009 – Final report », Ricardo, 2015 (p. 137, point 6.7.3).


463      Voir point 1.2.1 de l’analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2.


464      Voir article 2, point 5, sous a), de la proposition de règlement établissement.


465      Voir l’analyse d’impact – volet établissement, partie 2/2, p.41. Voir, également, p. 48. En ce qui concerne l’argument de la République de Bulgarie relatif à une absence de consultation du CESE et du CdR, je renvoie aux points 525 et suiv. des présentes conclusions. Eu égard au contenu de l’analyse d’impact – volet établissement, il est manifeste que ces deux comités ont eu la possibilité de s’exprimer de manière suffisante sur le projet de règlement (la période de carence de quatre jours).


466      Voir l’analyse d’impact – volet établissement, partie 2/2, p. 41, dernière colonne.


467      Voir document COM (2020) 151 final, p. 6.


468      Voir arrêts du 12 avril 2018, Commission/Danemark (C‑541/16, EU:C:2018:251, point 53), et du 14 septembre 2023, Staatsanwaltschaft Köln et Bundesamt für Güterverkehr (Transport de conteneurs vides) (C‑246/22, EU:C:2023:673, points 25, 28 et 29).


469      Il suffisait de procéder à un transport international à destination de l’État membre d’accueil pour que s’ouvre une période de sept jours pendant laquelle les opérations de cabotage étaient permises. À la fin de cette période, les transporteurs pouvaient organiser immédiatement un autre transport international et un retour dans l’État membre d’accueil pour que s’ouvre une nouvelle période de sept jours pour les opérations de cabotage.


470      JO 2005, C 21, p. 2. Voir point 3.1.1 de cette communication.


471      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 40 (note en bas de page 96).


472      3,14 périodes de sept jours selon le Parlement.


473      Voir arrêt du 26 septembre 2013, ÖBB-Personenverkehr (C‑509/11, EU:C:2013:613, point 47).


474      La Commission a examiné la question des effets de la suppression de toutes les restrictions au cabotage et conclu que les différences économiques et sociales entre les États membres empêchaient d’envisager une telle suppression : voir analyse d’impact – volet établissement, partie 2/2, p. 40.


475      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 49.


476      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 40.


477      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 50.


478      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 50.


479      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 106).


480      Voir p. 40 de l’analyse d’impact.


481      Voir point 301 des présentes conclusions.


482      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 37 et 54.


483      Voir point 745 des présentes conclusions.


484      Voir analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 39 et 40.


485      Voir, entre autres, arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 106).


486      Voir point 757 des présentes conclusions.


487      Le règlement (UE) 2020/698 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 2020, établissant des mesures spécifiques et temporaires dans le contexte de la propagation de la COVID-19 relatives au renouvellement ou à la prolongation de certains certificats, licences et agréments et au report de certaines vérifications périodiques et formations continues dans certains domaines de la législation en matière de transports (JO 2020, L 165, p. 10) et le règlement (UE) no 2021/267 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2021, établissant des mesures spécifiques et temporaires dans le contexte de la persistante de la crise de la COVID-19 relatives au renouvellement ou à la prolongation de certains certificats, licences et agréments, au report de certaines vérifications périodiques et formations continues dans certains domaines de la législation en matière de transports et à la prolongation de certaines périodes visées par le règlement (UE) 2020/698 (JO 2021, L 60 p. 1) sont cités à titre d’exemples par le Conseil dans son mémoire en défense dans l’affaire C‑554/20.


488      Conformément à l’article 4 du règlement 2020/1055.


489      Livre blanc « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM (2011) 144 final du 28 mars 2011]. 


490      Livre blanc « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » du 28 mars 2011 [COM (2011) 144 final].


491      Voir arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 106).


492      Voir point 612 des présentes conclusions.


493      Voir points 668 et suiv. des présentes conclusions.


494      Voir points 781et suiv. des présentes conclusions.


495      Voir arrêt du 8 juillet 2021, Staatsanwaltschaft Köln et Bundesamt für Güterverkehr (C‑937/19, EU:C:2021:555, point 51).


496      Voir point 675 des présentes conclusions.


497      Voir jurisprudence citée à la note en bas de page 422 des présentes conclusions.


498      La Roumanie conclut également à l’annulation de l’article 2, point 4, sous b) et c), du règlement 2020/1055, qui ont modifié le paragraphe 3 et inséré un paragraphe 4 bis à l’article 8 du règlement no 1072/2009, sans toutefois développer une argumentation distincte par rapport à celle visant l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.


499      Cet article 4 prévoit que « [t]out transporteur routier établi dans un État membre et satisfaisant aux conditions d’accès à la profession et au marché des transports de marchandises entre États membres a le droit d’effectuer, dans le cadre d’un transport combiné entre États membres, des trajets routiers initiaux et/ou terminaux qui font partie intégrante du transport combiné et qui comportent ou non le passage d’une frontière ». La directive 92/106 a été modifiée pour la dernière fois par la directive 2013/22/UE du Conseil, du 13 mai 2013, portant adaptation de certaines directives dans le domaine de la politique des transports du fait de l’adhésion de la République de Croatie (JO 2013, L 158, p. 356).


500      La République de Pologne se réfère ici à la déclaration de la commissaire Vălean.


501      Mobility Package 1 – Data gathering and analysis of the impacts of cabotage restrictions on combined transport road legs, final report, TRT, novembre 2020 (disponible à partir de https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/a671830272a111eb-9ac901aa75ed71a1/language-en) (ci-après l’« étude TRT »).


502      COM (2017) 648 final du 8 novembre 2017.


503      Voir explication détaillée de la proposition COM (2017) 648 final (p. 13).


504      Document de travail de la Commission, REFIT ex-post evaluation of combined transport directive 92/106, final report [SWD(2016) 141 final du 20 avril 2016].


505      Voir point 4.1 du document de travail de la Commission, REFIT ex-post evaluation of combined transport directive 92/106, 106, final report [SWD(2016) 141 final du 20 avril 2016].


506      Dans ces conditions, l’étude TRT invoquée par la République de Pologne, qui part de la prémisse que tous les États membres auront recours à la clause de sauvegarde pour en évaluer l’impact, repose sur un postulat erroné.


507      Voir étude TRT.


508      Voir article 8, paragraphes 2 et 2 bis, du règlement no 1072/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055.


509      Dont le sens est également éclairé par la lecture du considérant 22 du règlement 2020/1055.


510      L’étude TRT confirme l’incertitude en ce qui concerne la portée réelle des restrictions futures dans le secteur des transports combinés (voir p. 11 de cette étude).


511      Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).


512      Directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71 et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11),


513      Directive 2006/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du no 3820/85 et no 3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO 2006, L 102, p. 35).


514      Règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur et abrogeant la décision 2008/49/CE de la Commission (« règlement IMI ») (JO 2012, L 316, p. 1).


515      Voir considérant 8 de la directive 2020/1057.


516      À cet égard v. arrêt du 1er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976, point 33, ci-après « l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging »).


517      Voir considérant 10 de la directive 2020/1057. L’article 1er, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la directive 2020/1057 prévoit la définition des opérations de transport bilatérales de marchandises ; l’article 1er, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la même directive prévoit la définition des opérations de transport bilatérales de voyageurs.


518      Voir respectivement, les troisième et quatrième alinéas du paragraphe 3 et le troisième alinéa du paragraphe 4 de l’article 1er de la directive 2020/1057.


519      Onzième considérant de la directive 2020/1057.


520      Onzième considérant de la directive 2020/1057.


521      Directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres (JO L 368, p. 38).


522      Aux termes de l’article 1er, deuxième alinéa, de la directive 92/106/CEE « on entend par “transports combinés” les transports de marchandises entre États membres pour lesquels le camion, la remorque, la semi-remorque, avec ou sans tracteur, la caisse mobile ou le conteneur de 20 pieds et plus utilisent la route pour la partie initiale ou terminale du trajet et, pour l'autre partie, le chemin de fer ou une voie navigable, ou un parcours maritime lorsque celui-ci excède 100 kilomètres à vol d'oiseau, et effectuent le trajet initial ou terminal routier: soit entre le point de chargement de la marchandise et la gare ferroviaire d'embarquement appropriée la plus proche pour le trajet initial et entre la gare ferroviaire de débarquement appropriée la plus proche et le point de déchargement de la marchandise pour le trajet terminal, soit dans un rayon n'excédant pas 150 kilomètres à vol d'oiseau à partir du port fluvial ou maritime d'embarquement ou de débarquement ».


523      Considérant 15 du règlement n° 1072/2009.


524      Considérant 15 du règlement n° 1072/2009.


525      Voir l’analyse des présentes conclusions consacrées aux moyens des recours dirigés contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.


526      Voir, en ce sens, arrêts du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret (C‑295/07 P, EU:C:2008:707, point 104) et du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 37).


527      Arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 38).


528      Voir point 9 de la requête de la République de Bulgarie et point 8 de la requête de la République de Chypre, qui utilise le terme « système de différenciation ».


529      Du moins en ce que ces dispositions ne concernent pas les deux types d’opérations de transport visés par les lesdits deux États membres.


530      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 31) ; voir également arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, point 45.


531      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 31) et arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, point 49.


532      Voir, arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, points 45 et 46.


533      Voir, arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, points 32, 33 et 41.


534      Voir, arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, points 47 et 48.


535      Voir arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, points 47 et 48.


536      Voir arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, points 47 et 48.


537      Voir arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, point 62.


538      Voir arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, point 64.


539      Arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, points 31 à 41. Plus récemment encore, la Cour a eu l’occasion de rappeler cette jurisprudence dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 juillet 2021, Rapidsped (C‑428/19, EU:C:2021:548, points 34 à 36).


540      La Hongrie a déposé sa requête le 26 octobre 2020, alors que ledit arrêt a été prononcé le 1er décembre 2020.


541      La Hongrie a déposé le mémoire en réplique dans l’affaire C-551/20 le 26 mars 2021.


542      L'article 1er, paragraphe 2, de la directive attaquée dispose que ledit article s'applique aux conducteurs employés par des entreprises établies dans un État membre prenant la mesure transnationale visée à l'article 1er, paragraphe 3, point a), de la directive 96/71. La principale conclusion que l'on peut en tirer est que ce n'est que lorsqu'une situation relève de l'article 1er, paragraphe 3, point a), de la directive 96/71 que la directive attaquée sera pertinente. A cet égard je note que le Conseil a relevé qu’il convient de considérer que les dispositions de l'article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 limitent le champ d'application de la directive 96/71, en ce qu'elles étendent les situations dans lesquelles les conditions de travail et d'emploi de l'État membre d'accueil ne s'appliqueront pas.


543      Pour rappel, la République de Bulgarie et la République de Chypre désignent sous cette appellation le fait d’appliquer au transport tiers, sans seuil temporel, les règles sur le détachement tout en exemptant de ces règles le transport bilatéral (soit, selon elles, un modèle opérant une distinction entre les types de transport) : voir point 8 de la requête dans l’affaire C-544/20 et point 8 de la requête dans l’affaire C-550/20.


544      Arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil (C‑65/90, EU:C:1992:325).


545      Arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil (C‑65/90, EU:C:1992:325).


546      COM(2018) 51 final du 31 janvier 2018.


547      Voir annexe C2 de la requête dans l’affaire C-544/20.


548      JO 2018, C 197, p. 45.


549      JO 2018, C 176, p. 57.


550      Voir points 532 et suiv. des présentes conclusions.


551      Voir point 537 des présentes conclusions.


552      Arrêt du 16 juillet 1992 (C‑65/90, EU:C:1992:325). Voir points 540 et suiv. des présentes conclusions.


553      Voir le point 1 de l’exposé des motifs de l’avis du CdR.


554      Voir points 8 et 9 de la requête dans l’affaire C-544/20.


555      Voir point 1.4 de l’avis du CESE.


556      Voir point 1.15 de l’avis du CESE.


557      Voir point 5.12 de l’avis du CESE.


558      Voir point 1.16 de l’avis du CESE.


559      Voir point 1.17 de l’avis du CESE. Italique ajouté par mes soins. Voir également le point 5.9 de cet avis.


560      Voir point 869 ci-dessus.


561      La Roumanie se réfère à l’étude d’évaluation ex-post, à l’étude du Parlement « conditions sociales et de travail des transporteurs routiers de marchandises », à l’étude de la Commission portant sur la situation du marché des transports dans l’Union, aux consultations publiques initiales de la Commission et aux groupes de travail organisés par la Commission.


562      Traité UE, version consolidée du 9 mai 2008 – Protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (JO 2008, C 115, p. 206).


563      JO 1980, L 266, p. 1


564      Avis du Comité européen des régions – L’Europe en mouvement : les questions liées au travail dans le transport routier [2018/C 176/13 JO C176/57 du 23.5.2018, considérants 23, 24 et 26].


565      La République de Bulgarie se réfère à une étude réalisée par KPMG du 8 Octobre 2019 intitulé « Le secteur bulgare du transport de marchandises par routes – Étude de marché : analyse d’impact du paquet Mobilité I ».


566      Voir point 42 supra.


567      Voir arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 112 et 113).


568      V. arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a. (C‑73/08, EU:C:2010:181, point 90). Voir également point 412 ci-dessus. 


569      À cet égard, il convient de relever que, ainsi que plusieurs parties l’ont mis en exergue, au moment de l’adoption de cette directive il y avait un grand degré d’incertitude quant à l’applicabilité même de la directive 96/71 au secteur du transport routier, les États membres défendant positions diamétralement opposées sur ce sujet.


570      Voir point 42 supra.


571      Voir point 953 supra.


572      Arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, point 62.


573      Arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, point 49.


574      Arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, point 49.


575      À cet égard, voir, mes conclusions dans les affaires jointes Hessischer Rundfunk (C‑422/19 et C‑423/19, EU:C:2020:756, point 114 et jurisprudence y citée).


576      Voir, arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging, points 47 et 48.


577      Voir, analyse d’impact -- volet social part 2/2 page 107.


578      Voir, inter alia, points 222 et 240 des présentes conclusions.


579      Voir, à cet égard, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 112 et 113).


580      La Romanie et la République de Pologne se réfèrent à l’arrêt Koelzschet à l’arrêt Mazzoleni.


581      Arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).


582      Voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020 (Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 41, 42, 61, 62, 64 et 128).


583      Communication de la Commission au Parlement européen conformément à l’article 294, paragraphe 6, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne concernant la position du Conseil sur l’adoption d’un règlement modifiant le règlement (CE) nº 1071/2009, le règlement (CE) nº 1072/2009 et le règlement (UE) nº 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur ; d’un règlement modifiant le règlement (CE) nº 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalière et hebdomadaire et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, et le règlement (UE) nº 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes ; et d’une directive modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et modifiant le règlement (UE) nº 1024/2012 (COM(2020) 151 final).


584      V. analyse d’impact – volet social, partie 1/2, inter alia, pages 43 et 45.


585      Aux termes de l’article 2, paragraphe 2 de la proposition de la Commission de directive détachement « [l]es États membres n’appliquent pas l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, points b) et c), de la directive 96/71/CE aux conducteurs du secteur du transport routier employés par les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 3, point a), de ladite directive lorsque ces conducteurs effectuent des opérations de transport international au sens des règlements (CE) n° 1072/2009 et n° 1073/2009 si la période de détachement sur leur territoire aux fins de ces opérations est inférieure ou égale à 3 jours sur une période d’un mois calendaire. » Aux termes du deuxième alinéa du même paragraphe : « [l]orsque la période de détachement est supérieure à 3 jours, les États membres appliquent l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, points b) et c), de la directive 96/71/CE à toute la période de détachement sur leur territoire pendant le mois calendaire visé au premier alinéa ».


586      Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 « les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, les conditions de travail et d’emploi couvrant les matières énoncées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées: —  par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou — par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8: a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos; b) la durée minimale des congés annuels payés; c)  la rémunération, y compris les taux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels; d) les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire; e) la sécurité, la santé et l’hygiène au travail; f) les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes; g) l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination; h) les conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel; i) les allocations ou le remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles.


587      Voir note précédente.


588      Voir arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 83) et du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 43).


589      Analyse d’impact – volet social, pages 65 et ss. 74 et 75.


590      Analyse d’impact – volet social, pages 65 à 69.


591      Par rapport aux exigences prévue à l’article 9, paragraphes 1 et 2 de la directive 2014/67.


592      Voir l’article 2, paragraphe 4, de la proposition de directive détachement.


593      Voir l’article 1er, paragraphe 11 à 15 de la directive 2020/1057 et l’article 9, paragraphes 1 et 2 de la directive 2014/67.


594      La Commission elle-même a confirmé cela dans sa communication concernant la position du Conseil en première lecture, COM(2020) 151, p. 4.


595      Il n’apparaît pas que cette situation comporte une augmentation des coûts administratifs, dès lors que tant en application de la proposition de directive détachement que, en application de la directive 2020/1057 il s’agirait toujours d’une situation de détachement, la seule différence étant la non applicabilité, dans le premier cas de la règlementation de l’État membre d’accueil en matière de durée minimale des congés annuels payés et de rémunération.


596      Voir, par analogie, jurisprudence mentionnée au point 59 ci-dessus.


597      Voir, Eurostat, Road freight transport by journey characteristics, decembre 2019; Eurostat, Road freight transport statistics – cabotage Aout 2018; Eurostat, Statistiques d’Eurostat, cabotage et transport international par les transporteurs routiers polonais.


598      Document ST 12087/17 du Conseil, p. 13 (passage traduit par le Conseil pour les besoins du présent mémoire en défense, le document n'ayant pas été traduit en français.


599      Analyse d'impact de la Commission accompagnant la proposition COM(2017) 648, SWD(2017) 362.


600      KombiConsult, 2015, Analysis of the EU Combined Transport; ISL/KombiConsult, 2017, Updating EU combined transport data; TRT Trasporti e Territorio srl, 2017, Gathering additional data on EU combined transport; KombiConsult, 2017, Consultations and related analysis in the framework of impact assessment for the amendment of Combined Transport Directive (92/106/EEC); ces quatre dernières études sont toutes publiées par la Commission à l'adresse suivante: https://ec.europa.eu/transport/themes/logistics/studies_en.


601      Voir points 1064 et suiv. des présentes conclusions.


602      Je relève que, dans un premier temps, la Roumanie soutient que les opérateurs établis à la périphérie de l’Union supporteront les coûts administratifs et financiers liés au détachement et qui seront dissuadés d’effectuer des opérations telles que celle régies par l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057. Les dispositions attaquées traitent cependant tous les États membres de la même manière, la différence de traitement résultant de celles‑ci étant définie en fonction de l’opération de transport particulière concernée. J’analyserai donc ici les arguments de la Roumanie invoqués dans un second temps et qui se concentrent sur une différence de traitement entre opérations bilatérales et opérations de transport tiers.


603      Ce moyen ne concerne que l’allégation de violation du principe d’égalité de traitement et de l’article 20 de la Charte en raison de la différence de traitement alléguée entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers et ne concerne pas le cabotage.


604      Voir considérant 10 de la directive 2020/1057.


605      Arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging (point 49).


606      Voir la note en bas de page 26 du mémoire en duplique du Conseil dans l’affaire C-548/20.


607      Voir point 622 des présentes conclusions.


608      Voir, par analogie, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil (C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 125).


609      Voir arrêt du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil (C‑358/14, EU:C:2016:323, point 103 et jurisprudence citée).


610      Voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, points 19 et 20) et arrêt du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf (C‑248/95 et C‑249/95, EU:C:1997:377, points 52, 52 63 et 64).


611      Voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 1958, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie e.a./Haute Autorité (13/57, EU:C:1958:10, page 292).


612      Voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020 (Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 41, 42, 61, 62, 64 et 128).


613      Voir arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391) et, par analogie, du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf (C‑248/95 et C‑249/95, EU:C:1997:377, point 64).


614      Voir point 1069 des présentes conclusions.


615      Voir le point 7 du mémoire en duplique du Conseil dans l’affaire C-541/20.


616      Voir annexe A9 de la requête dans l’affaire C-544/20.


617      Voir, par analogie, arrêts du 21 septembre 1999, BASF (C‑44/98, EU:C:1999:440, point 16) et du 17 septembre 2020, Hidroelectrica (C‑648/18, EU:C:2020:723, point 29 et jurisprudence citée) .


618      Voir annexe A.9 de la requête de la République de Bulgarie dans l’affaire C-544/20 et annexe A.7 de la requête de la République de Chypre dans l’affaire C-550/20.


619      Voir points 38 et suiv. des présentes conclusions.


620      Voir les conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Autriche/Parlement et Conseil (C‑161/04, EU:C:2006:66, points 59 et 60). Sur ces conclusions, voir points 567 et suiv. des présentes conclusions.


621      La République de Pologne renvoie ici à l’arrêt du 10 septembre 2019, Pologne/Commission (T‑883/16, EU:T:2019:567, points 77 et 78).


622      Déclaration de la commissaire Vălean sur l’adoption finale du premier train de mesures sur la mobilité par le Parlement européen, Bruxelles, 9 juillet 2020 (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_20_1319).


623      Voir Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « Accroitre les ambitions de l’Europe en matière de climat pour 2030 – Investir dans un avenir climatiquement »[COM(2020) 562 final du 17 septembre 2020].


624      Voir note en bas de page 273 des présentes conclusions.


625      Directive (UE) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016, concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques modifiant la directive 2003/38/CE et abrogeant la directive 2001/81/CE (JO 2016, L 344, p. 1).


626      Voir note en bas de page 300 des présentes conclusions.


627      Analyse d’impact – volet social, point 6.


628      European Commission, Directorate-General for Mobility and Transport « Mobility Package 1 – Data gathering and analysis of the impacts of cabotage restrictions on combined transport road legs – Final report », Publications Office, 2021 (disponible à partir de https://data.europa.eu/doi/10.2832/701828).


629      Considérant 1er de la directive 2020/1057.


630      Arrêt du 1er décembre 2020 (C‑815/18, EU:C:2020:976).


631      Voir arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging (point 33).


632      Si le Conseil note que l’argument n’a été soulevé qu’au stade de la réplique par la République de Pologne, il ne semble pas en contester la recevabilité. Par souci d’exhaustivité, je répondrai donc à l’argument.


633      Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2018, modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 2018, L 173, p. 16).


634      Ainsi que cela découle de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957.


635      Arrêt du 1er décembre 2020 (C‑815/18, EU:C:2020:976).


636      Voir points 913 et suiv. des présentes conclusions.


637      Voir arrêt du 1er mars 1983, Commission/Belgique (301/81, EU:C:1983:51, point 11).


638      Voir points 931 et suiv. des présentes conclusions.