Language of document : ECLI:EU:T:2010:467

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

12 novembre 2010 (*)

« Marque communautaire – Demande de marque communautaire consistant en une combinaison verticale des couleurs gris et rouge – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 207/2009  »

Dans l’affaire T‑405/09,

Deutsche Bahn AG, établie à Berlin (Allemagne), représentée par Mes U. Hildebrandt, K. Schmidt-Hern et B. Weichhaus, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. G. Schneider, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 23 juillet 2009 (affaire R 372/2009-1), concernant une demande d’enregistrement d’un signe de couleur, consistant en la combinaison des couleurs gris et rouge, comme marque communautaire,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé, lors du délibéré, de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Papasavvas (rapporteur) et N. Wahl, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2009,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 12 janvier 2010,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure, 

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 7 mars 2008, la requérante, Deutsche Bahn AG, a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe de couleur reproduit ci-après :

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3        Dans la demande d’enregistrement, la requérante a décrit la marque comme suit :

« Le gris clair (RAL 7035) est situé à côté du rouge signalisation (RAL 3020). Le rapport des couleurs entre elles est tel que gris clair : rouge signalisation : gris clair = 1 : 1. »

4        Les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 39 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Transport de personnes et de marchandises par voie ferrée ».

5        Par décision du 30 janvier 2009, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement pour absence de caractère distinctif, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009].

6        Le 30 mars 2009, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 62 du règlement n° 40/94 (devenus articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009), contre la décision de l’examinateur.

7        Par décision du 23 juillet 2009 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’OHMI a rejeté ce recours au motif que, par rapport aux services en cause, le signe demandé était dépourvu de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. En substance, la première chambre de recours a constaté qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer à l’appréciation du caractère distinctif de marques de couleur désignant des services des critères autres que ceux applicables à l’appréciation de marques de couleur désignant des produits. Elle a considéré que le choix des couleurs gris clair et rouge signalisation ainsi que leur agencement dans le signe demandé n’étaient pas perçus comme inhabituels pour les services en cause et avaient une signification plutôt « fonctionnelle, publicitaire ou décorative ». De plus, la protection de la marque demandée entraînerait un monopole sur une combinaison de couleurs courante dans le secteur des transports ferroviaires en faveur d’un opérateur économique.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

9        L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

11      Elle estime que la marque demandée est apte à indiquer l’origine commerciale des services en cause. En particulier, elle fait valoir que les principes dégagés par la jurisprudence en ce qui concerne l’enregistrement de marques de couleur désignant des produits sont inapplicables en l’espèce, puisque la marque demandée désigne des services. Elle ajoute que les affirmations de la chambre de recours relatives au caractère limité des couleurs disponibles ne sont pas pertinentes, puisque la marque en cause consiste en une combinaison de couleurs. Enfin, elle reproche à la chambre de recours, en premier lieu, d’avoir appliqué un critère erroné en examinant si la combinaison de couleurs en cause possédait un caractère inhabituel, en deuxième lieu, d’avoir considéré que la combinaison de couleurs pourrait être perçue en tant qu’élément « publicitaire et décoratif » et, en dernier lieu, d’avoir examiné d’office des motifs relatifs de refus d’enregistrement, visés à l’article 8 du règlement n° 207/2009.

12      L’OHMI conteste les arguments de la requérante.

13      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, sont refusées à l’enregistrement les « marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ».

14      Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, signifie que cette marque permet d’identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises [voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, Rec. p. I‑5089, point 34, et arrêt du Tribunal du 12 novembre 2008, GretagMacbeth/OHMI (Combinaison de 24 carrés de couleur), T‑400/07, non publié au Recueil, point 32].

15      Il y a en outre lieu de rappeler que, pour constituer une marque, des couleurs ou des combinaisons de couleurs doivent remplir trois conditions. Premièrement, elles doivent constituer un signe. Deuxièmement, ce signe doit être susceptible d’une représentation graphique. Troisièmement, ce signe doit être propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises [voir, dans le contexte de l’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), qui est identique à l’article 4 du règlement n° 207/2009, arrêts de la Cour du 6 mai 2003 Libertel, C‑104/01, Rec p. I‑3793, point 23, et du 24 juin 2004, Heidelberger Bauchemie, C‑49/02, Rec. p. I‑6129, point 22 ; voir également arrêt Combinaison de 24 carrés de couleur, précité, point 33].

16      Quant à la question de savoir si les couleurs ou les combinaisons de couleurs sont propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, il faut apprécier si elles sont aptes à transmettre des informations précises, notamment quant à l’origine d’un produit ou d’un service (arrêt Combinaison de 24 carrés de couleur, précité, point 34 ; voir également, par analogie, arrêt Heidelberger Bauchemie, précité, point 37).

17      À cet égard, il convient de rappeler que, si les couleurs sont propres à véhiculer certaines associations d’idées et à susciter des sentiments, en revanche, de par leur nature, elles sont peu aptes à communiquer des informations précises. Elles le sont d’autant moins qu’elles sont habituellement et largement utilisées dans la publicité et dans la commercialisation des produits et des services pour leur pouvoir attractif, en dehors de tout message précis (arrêts Heidelberger Bauchemie, précité, point 38, et Combinaison de 24 carrés de couleur, précité, point 35).

18      Sauf dans des circonstances exceptionnelles, les couleurs n’ont pas un caractère distinctif ab initio, mais peuvent éventuellement l’acquérir à la suite d’un usage en rapport avec les produits ou les services visés par la demande de marque communautaire (arrêt Heidelberger Bauchemie, précité, point 39). Ainsi, une couleur en elle-même peut acquérir, pour les produits ou les services pour lesquels est demandé l’enregistrement, un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009. En revanche, dans le cas d’une couleur en elle-même, l’existence d’un caractère distinctif avant tout usage ne pourrait se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles, et notamment lorsque le nombre des produits ou des services pour lesquels la marque est demandée est très limité et que le marché pertinent est très spécifique (arrêts de la Cour Libertel, précité, point 66, et du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, Rec. p. I‑10107, point 79 ; arrêt Combinaison de 24 carrés de couleur, précité, point 36).

19      Par ailleurs, pour apprécier le caractère distinctif qu’une couleur ou une combinaison de couleurs déterminée peut présenter en tant que marque, il est nécessaire de tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé (voir, par analogie, arrêts Libertel, précité, point 60 et Heidelberger Bauchemie, précité, point 42).

20      Enfin, il y a lieu de rappeler que le caractère distinctif d’un signe ne peut être apprécié que, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (voir arrêt Combinaison de 24 carrés de couleur, précité, point 37, et la jurisprudence citée).

21      C’est au vu de ces considérations qu’il convient d’examiner le moyen unique soulevé par la requérante.

22      À titre liminaire, il convient de constater qu’il ressort de la jurisprudence précitée qu’il n’y a pas lieu d’appliquer à l’appréciation du caractère distinctif d’une marque de couleur désignant des services des critères différents de ceux applicables pour les marques de couleur désignant des produits. En particulier, en vertu de la jurisprudence citée au point 16 ci-dessus, la nécessité d’apprécier si les marques demandées sont aptes à véhiculer des informations précises, notamment quant à l’origine, s’applique aussi bien aux marques de produits qu’aux marques de services. Cette distinction entre les marques de services et les marques de produits n’est d’ailleurs pas prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

23      Contrairement aux affirmations de la requérante, le fait que les services soient immatériels ne s’oppose pas à ce que les mêmes critères d’appréciation du caractère distinctif soient utilisés dans la mesure où la fourniture et la commercialisation de services impliquent de faire usage de moyens matériels qui ont nécessairement une couleur.

24      En outre, le fait que le Tribunal a considéré, dans son arrêt du 9 octobre 2002, KWS Saat/OHMI (Nuance d’orange) (T‑173/00, Rec. p. II‑3843), qu’une marque de couleur pouvait être enregistrée pour les services visés dans la demande d’enregistrement, mais pas pour les produits, ne saurait être interprété, ainsi que le suggère la requérante, comme établissant une règle selon laquelle les marques de couleurs sont nécessairement distinctives lorsqu’elles désignent des services. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal a précisé que la marque demandée était distinctive pour les services concernés dans la mesure où, notamment, il n’était pas établi que la couleur en cause avait, en tant que telle, un caractère habituel ou remplissait d’autres fonctions plus immédiates (arrêt Nuance d’orange, précité, points 43 et 44).

25      De même, il ressort de la jurisprudence citée au point 19 ci-dessus qu’il n’y a pas lieu d’opérer de distinction entre les marques composées d’une seule couleur et celles consistant en des combinaisons de couleurs s’agissant de la prise en compte de la nécessité de ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les opérateurs concurrents.

26      En l’espèce, il doit d’abord être relevé que les services concernés s’adressent aussi bien aux professionnels qu’au grand public, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par les parties.

27      Concernant ensuite l’appréciation du caractère distinctif du signe demandé, il convient, s’agissant d’un signe complexe, de le considérer dans son ensemble. Toutefois, cela ne s’oppose pas à un examen préalable de chacun des éléments dont il est composé (voir arrêt Combinaison de 24 carrés de couleur, précité, point 40, et la jurisprudence citée).

28      En ce qui concerne, d’une part, les éléments composant le signe demandé, il convient de constater que les deux couleurs figurant dans la combinaison de couleurs dont l’enregistrement est demandé ne présentent pas d’écart perceptible, pour le public concerné, par rapport aux couleurs communément utilisées pour les services visés.

29      En effet, ainsi que l’a relevé la chambre de recours, le gris clair est communément utilisé sur les équipements techniques nécessaires pour la fourniture de services de transport ferroviaire, telles, par exemple, les parties de locomotives ou de wagons et les armoires de commande le long de voies ferrées.

30      La couleur rouge signalisation est quant à elle utilisée en tant que couleur d’avertissement pour les panneaux de signalisation et en tant que couleur permettant de capter l’attention du consommateur dans les messages publicitaires.

31      Il s’ensuit que le signe demandé est composé d’une combinaison de deux couleurs qui, prises individuellement, n’ont pas de caractère distinctif.

32      En ce qui concerne, d’autre part, le signe demandé pris dans son ensemble, il doit être observé qu’il est composé de deux couleurs, l’une à côté de l’autre, suivant les proportions indiquées dans la demande d’enregistrement.

33      Ainsi que l’a relevé la chambre de recours, le gris clair peut être perçu comme du blanc sale. La combinaison de couleurs en cause est donc très proche de la combinaison de blanc et de rouge signalisation qui est utilisée sur les barrières ferroviaires et les panneaux routiers concernant les chemins de fer.

34      De plus, la chambre de recours a constaté que l’apposition d’une bande verticale rouge sur un véhicule ferroviaire peut constituer une décoration ou un avertissement.

35      Il résulte de ce qui précède que le signe demandé, pris dans son ensemble, sera perçu par le public pertinent comme un élément fonctionnel ou décoratif et non comme une indication de l’origine commerciale des services en cause.

36      Par ailleurs, la chambre de recours a constaté, à juste titre, que l’enregistrement du signe demandé conférerait à la requérante un monopole sur une combinaison de couleurs courante dans le secteur des transports ferroviaires.

37      Partant, c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif.

38      Il convient en outre de relever que l’affirmation de la requérante selon laquelle la décision attaquée serait en réalité fondée sur des motifs relatifs de refus et viserait à protéger ses concurrents est erronée et sans fondement. En effet, la chambre de recours n’a mentionné d’autres entreprises actives dans le secteur ferroviaire que pour démontrer que les couleurs en cause étaient couramment utilisées dans ledit secteur.

39      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le moyen unique tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 doit être rejeté comme non fondé, ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

40      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Deutsche Bahn AG est condamnée aux dépens.

Martins Ribeiro

Papasavvas

Wahl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 novembre 2010.

Signatures



*Langue de procédure : l’allemand.