Language of document : ECLI:EU:T:2003:52

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

5 mars 2003(1)

«Fonctionnaires - Concours général - Épreuves éliminatoires - Pouvoir du jury d'écarter les seuils minimaux de points requis par l'avis de concours - Épreuves de nature comparative - Recevabilité»

Dans l'affaire T-24/01,

Claire Staelen , agent temporaire du Parlement européen, demeurant à Bridel (Luxembourg), représentée par Me J. Choucroun, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Parlement européen , représenté par MM. J. F. de Wachter et D. Moore, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d'annulation de la décision du jury du concours EUR/A/151/98 refusant d'admettre la requérante aux épreuves postérieures à l'épreuve VII A, d) dudit concours et, à titre subsidiaire, une demande de réparation du préjudice moral prétendument subi,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges

greffier: M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 20 novembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Faits à l’origine du recours

1.
    Le 2 mars 1999, un avis a été publié au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 60 A, p. 10), portant sur l’organisation par le Parlement européen de trois concours généraux sur épreuves pour la constitution des listes d’aptitude en vue du recrutement d’administrateurs de langue française (EUR/A/151/98), d’administrateurs de formation en droit français (EUR/A/152/98) et d’administrateurs adjoints de langue française (PE/89/A). Le premier concours a été organisé avec le Conseil.

2.
    La requérante s’est portée candidate au concours EUR/A/151/98 - Administrateurs de langue française (ci-après le «concours»).

3.
    Le point VII de l’avis de concours intitulé «Nature, durée et notation des épreuves» est libellé comme suit:

«A. Épreuves écrites

a)    Épreuve de compréhension et de raisonnement logique (tests objectifs à caractère non numérique), sous forme de questionnaire à choix multiple.

[...]

Notation: de 0 à 20 points

Toute note inférieure à 10 sera éliminatoire.

b)    Épreuve constituée d’une série de questions à choix multiple, visant à évaluer les connaissances relatives à l’Union européenne, ses institutions et ses politiques, voire son environnement culturel et social.

[...]

Notation: de 0 à 10 points

Toute note inférieure à 5 sera éliminatoire.

c)    Dissertation sur un thème choisi par le candidat entre plusieurs sujets à caractère général dans des domaines intéressant l’Union européenne pour apprécier le niveau de ses connaissances, ses capacités rédactionnelles et la rigueur de son raisonnement.

[...]

Notation: de 0 à 40 points

Toute note inférieure à 20 sera éliminatoire.

d)     Épreuve de nature pratique à partir d’un dossier remis au candidat. Cette épreuve doit permettre d’évaluer les capacités d’analyse et de synthèse du candidat ainsi que son aptitude au traitement d’un dossier.

[...]

Notation: de 0 à 40 points

Toute note inférieure à 20 sera éliminatoire.

[...]

Important:

Les épreuves sont corrigées dans l’ordre précité.

Seront admis aux épreuves orales les candidats ayant obtenu 60 % des points sur l’ensemble des épreuves écrites et ayant atteint le seuil minimal requis pour chaque épreuve éliminatoire.»

4.
    Le point VIII de l’avis de concours prévoit que la liste d’aptitude comportera, par ordre de mérite, pour le concours EUR/A/151/98, le nom des 22 meilleurs candidats.

5.
    Les épreuves mentionnées au point VII A, sous a) et b), de l’avis de concours [ci-après l’«épreuve a)» et l’«épreuve b)»] ont été communes aux trois concours mentionnés au point 1 ci-dessus. Les épreuves a) et b) consistaient en des épreuves comportant des questionnaires à choix multiple qui ont été corrigées automatiquement par lecteur optique. Le nombre de points maximal, attribués pour les deux épreuves, était de 152 pour l’épreuve a) et de 66 pour l’épreuve b).

6.
    La requérante a été invitée à participer aux épreuves écrites du concours qui se sont déroulées les 8 et 9 juin 2000.

7.
    Il ressort du compte rendu de la réunion du jury du 19 juin 2000 que, à la suite des épreuves écrites, le jury a constaté que, «en appliquant la règle des 50 %, le minimum des points requis était de 76/152 pour l’épreuve a) test objectifs, et de 33/66 pour l’épreuve b) connaissances sur l’Union européenne». Or, le jury «a décidé de considérer que le minimum des points serait de 64 pour l’épreuve a) et de 17 pour l’épreuve b)» (ci-après la «décision du jury du 19 juin 2000»).

8.
    Par lettre du 26 octobre 2000, le président du jury du concours a informé la requérante que cette dernière, n’ayant obtenu que 17 points à l’épreuve visée au point VII A, sous d), de l’avis de concours [ci-après l’«épreuve d)»], alors que le minimum exigé pour cette épreuve était de 20 points, ne serait pas admise aux épreuves ultérieures du concours.

9.
    Par lettre du 1er novembre 2000, intitulée «réclamation» et adressée au président du jury du concours, la requérante a sollicité un nouvel examen de sa prestation lors de l’épreuve d).

10.
    Par lettre du 13 novembre 2000, le président du jury a indiqué à la requérante que le jury avait confirmé à l’unanimité, après réexamen de ladite prestation, la note qui lui avait été attribuée.

11.
    Par lettre du 22 novembre 2000, adressée au président du jury, la requérante a contesté l’évaluation de sa prestation par le jury et a interrogé le président du jury sur les critères de notation appliqués aux épreuves antérieures du concours.

12.
    Par lettre du 19 décembre 2000, le président du jury a fait savoir à la requérante que la notation de chacune des épreuves du concours avait été effectuée sur une base uniforme et anonyme et que la note initiale de sa prestation lors de l’épreuve d) avait été confirmée, individuellement, par chaque membre du jury.

13.
    Le 12 janvier 2001, le jury a adopté le rapport comportant la liste d'aptitude des candidats au concours.

Procédure et conclusions des parties

14.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 janvier 2001, la requérante a introduit le présent recours, initialement dirigé contre le Parlement et le Conseil.

15.
    Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le même jour, elle a également introduit une demande de mesures provisoires ayant, en particulier, pour objet la suspension de la procédure de recrutement entamée par le concours. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 2 avril 2001.

16.
    Par ordonnance du Tribunal du 7 octobre 2002, le recours a été rejeté comme manifestement irrecevable dans la mesure où il était dirigé contre le Conseil.

17.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 19 mars 2001, le Parlement a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 14 mai 2001.

18.
    Par ordonnance du Tribunal du 24 septembre 2001, l'exception a été jointe au fond.

19.
    Au titre de mesures d’organisation de la procédure, le Parlement a été invité à répondre, dans son mémoire en défense, aux questions écrites posées par le Tribunal.

20.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d’instruction préalables.

21.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 20 novembre 2002.

22.
    La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

—    à titre principal, annuler l’ensemble de la procédure de correction des épreuves écrites du concours, ou la décision du jury refusant d’admettre la requérante aux épreuves postérieures à l’épreuve d);

—    à titre subsidiaire:

    —    ordonner au Parlement de produire les notes obtenues par les lauréats et par la requérante aux épreuves c) et d);

    —    ordonner au Parlement de dire si le jury a modifié les limites des points de ces épreuves parce que le nombre de candidats admis à la phase suivante aurait été insuffisant compte tenu du nombre de lauréats fixés par l’avis de concours;

    —    ordonner l’audition de tous les membres du jury et de Mme Lutgen (en sa qualité de salariée du centre de psychologie appliquée);

    —    condamner le Parlement à lui payer une somme de 12 000 euros en réparation du préjudice moral;

—    condamner le Parlement aux dépens.

23.
    Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

—    à titre principal, déclarer le recours irrecevable;

—    à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé;

—    ordonner la restitution des documents transmis à la requérante lors de la procédure en référé, à l’exception des comptes rendus du jury des 19 juin, 8 novembre et 8 décembre 2000;

—    condamner la requérante à l’ensemble des dépens en application de l’article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal.

24.
    Lors de l’audience, la requérante a renoncé à sa demande d’annulation de l’ensemble de la procédure de correction des épreuves écrites du concours et le Parlement s’est désisté de sa demande de restitution des documents transmis à la requérante lors de la procédure en référé, ce dont il a été pris acte par le Tribunal dans le procès-verbal d’audience.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

25.
    Le Parlement soutient que le recours est irrecevable. Il considère que le moyen principal soulevé par la requérante se rapporte à une décision de modification des critères de notation des épreuves a) et b) qui n’existe pas. Le Parlement fait valoir que le jury a procédé à une fixation unique de critères de notation pour ces épreuves lors de sa réunion du 19 juin 2000 et que, partant, la prétendue décision de modification des critères de notation fait défaut.

26.
    En outre, il estime que la décision du jury relative aux critères de notation a été prise en vue d’être appliquée de manière générale et uniforme à tous les candidats, de sorte que la requérante ne peut pas faire valoir l’existence d’un acte lui faisant grief.

27.
    Le Parlement ajoute que le moyen présenté par la requérante à l’appui de son recours en annulation doit être également déclaré irrecevable pour manque d’intérêt à agir, car ce moyen concerne des prétendues irrégularités dans la correction des épreuves a) et b) que la requérante a réussies. En outre, le nombre de candidats ayant réussi les épreuves a) et b) n’aurait pas eu d’influence sur la notation de l’épreuve d), étant donné que, pour cette épreuve, chaque candidat a été noté selon ses propres mérites.

28.
    La requérante estime que le recours est recevable en tant qu’il est dirigé contre la décision de modification des minimums de points requis aux épreuves a) et b). La requérante souligne que le jury a modifié les critères de notation des épreuves a) et b) en baissant le minimum de points requis par l’avis de concours. Or, cette possibilité ne figurerait pas dans l’avis de concours. En outre, cette décision de modification n’aurait pas été motivée.

29.
    En ce qui concerne son prétendu manque d’intérêt à agir, elle considère qu’elle aurait très probablement réussi l’épreuve d) si le nombre de candidats admis à participer à cette épreuve n’avait pas été modifié en violation des conditions posées dans l’avis de concours. Elle estime que, puisque le nombre des candidats participant à l’épreuve d) a été plus élevé que si les critères de notation des épreuves a) et b) prévus par l’avis de concours avaient été respectés, la sélection des candidats a été plus sévère.

Appréciation du Tribunal

30.
    À titre liminaire, il y a lieu d’identifier quel est l’acte attaqué, à titre principal, par le présent recours. À cet égard, il convient de rappeler que, par lettre du 26 octobre 2000, la requérante a été informée de la décision du jury de ne pas l’admettre aux épreuves postérieures à l’épreuve d). Cette décision a fait l’objet d’un réexamen par le jury à la suite d’une demande en ce sens introduite par la requérante le 1er novembre 2000, conformément au point V de l’avis de concours. Le jury a confirmé sa décision de ne pas admettre la requérante aux épreuves suivantes et en a informé la requérante par lettre du 13 novembre 2000. Le présent recours a été introduit à l’encontre de cette décision du jury (ci-après la «décision attaquée»).

31.
    À cet égard, il y a lieu de relever que ladite décision, adoptée à la suite de la demande de réexamen introduite par la requérante en vertu d’une règle que le Parlement s’est engagé à respecter, et qui, dès lors, le lie (ordonnance du Tribunal du 3 avril 2001, Zaur-Gora et Dubigh/Commission, T-95/00 et T-96/00, RecFP p. I-A-79 et II-379, point 25; arrêt du Tribunal du 23 janvier 2002,Gonçalves/Parlement, T-386/00, RecFP p. I-A-13 et II-55, point 38), s’est substituée à la décision initiale du jury et constitue, donc, l’acte faisant grief.

32.
    Par ailleurs, il convient de rappeler que constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation les seules mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci. Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au cours d’une procédure interne, telle que celle d’un concours, ne constituent des actes attaquables que les mesures fixant définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure. En revanche, les mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale ne font pas grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut et ne peuvent être contestées que de façon incidente lors d’un recours contre les actes annulables (arrêt du Tribunal du 15 juin 1994, Pérez Jiménez/Commission, T-6/93, RecFP p. I-A-155 et II-497, points 34 et 35; ordonnance du Tribunal du 2 mai 2001, Barleycorn Mongolue et Boixader Rivas/Conseil et Parlement, T-208/00, RecFP p. I-A-103 et II-479, point 34).

33.
    En l’espèce, il y a lieu de relever que, à l’appui de son recours, la requérante soulève la prétendue violation de l’avis de concours, survenue à la suite de la décision du jury du 19 juin 2000 visant à considérer que «le minimum des points serait de 64 pour l’épreuve a) et de 17 pour l’épreuve b)». Or, une telle décision ne constitue pas, au vu de la jurisprudence susvisée, un acte attaquable et ne peut être contestée par la requérante que de manière incidente dans le cadre d’un recours contre un acte lui faisant grief, tel que la décision attaquée.

34.
    En conséquence, le recours de la requérante visant, notamment, à l’annulation de la décision du jury du 13 novembre 2000, et à l’appui duquel elle soulève une éventuelle irrégularité de la procédure du concours, survenue à la suite d’une décision du jury du 19 juin 2000, est recevable.

35.
    L’argumentation du Parlement quant au défaut d’intérêt à agir de la requérante est dénuée de toute pertinence s’agissant de l’appréciation de la recevabilité du présent recours. En réalité, cette argumentation soulève la question de savoir si la décision du jury du 19 juin 2000 modifiant les minimums de points requis aux épreuves a) et b) a eu une incidence sur les résultats des épreuves et, partant, sur la décision attaquée. Cette question relève donc de l’examen du fond du recours.

36.
    Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parlement.

Sur le fond

Arguments des parties

37.
    À l'appui de son recours en annulation, la requérante invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré d'une violation de l’avis de concours ainsi que d’une violation des principes d’égalité de traitement, d’objectivité et de confiance légitime. Le second moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation.

38.
    La requérante affirme, en substance, que le jury a modifié le minimum de points requis par l’avis de concours pour réussir les deux premières épreuves, à savoir les épreuves a) et b), de sorte que le nombre de candidats ayant réussi ces deux épreuves a augmenté. Or, le jury serait, malgré son large pouvoir d’appréciation, lié par l’avis de concours tel qu’il a été publié.

39.
    Elle fait valoir que l’avis de concours indiquait que, pour être admis, les candidats devaient obtenir la moitié du nombre maximal de points. Ce nombre s’élèverait pour l’épreuve a) à 76 (sur un total de 152 points). Or, les candidats ont été admis à l’épreuve suivante avec seulement 64 points. De même, la moyenne pour l’épreuve b) aurait dû être de 33 points (sur un total de 66 points), alors que les candidats ont été admis à participer à l’épreuve suivante après avoir obtenu seulement 17 points.

40.
    La requérante souligne que cette situation a eu pour conséquence directe la présence d’un nombre beaucoup plus important de candidats aux épreuves suivantes qui étaient de nature comparative et qu’elle a ainsi été mise en compétition, notamment, avec des candidats ayant bénéficié - sans motifs - de la modification substantielle de l’avis de concours.

41.
    Elle souligne qu’une partie des candidats finalement retenus sur la liste d’aptitude n’ont pas obtenu la moitié des points pour les épreuves a) et b) comme cela était exigé par l’avis de concours.

42.
    Le Parlement considère que la décision de modification des critères de notation, dont parle la requérante, est inexistante. Selon lui, le jury n’a pas fixé initialement puis modifié les critères de notation des épreuves a) et b) du concours. Il aurait seulement décidé de considérer que le minimum de points requis serait de 64 pour l’épreuve a) et de 17 pour l’épreuve b). Le jury aurait simplement établi un taux de conversion permettant de convertir les points obtenus par les candidats aux épreuves a) et b) par correction automatique en points tels que prévus par l’avis de concours.

43.
    Le Parlement fait valoir qu’il incombe au jury de fixer le niveau des épreuves, à savoir de déterminer à partir de quel niveau les candidats sont censés avoir obtenu la moitié des points.

44.
    Le Parlement admet, dans ses mémoires, que les épreuves c) et d) sont à considérer, conformément à une jurisprudence constante, comme des épreuves de nature comparative. Or, il fait valoir que les modalités et les critères d’évaluation ont été fixés au préalable et que la prestation de chaque candidat à ces épreuvesa été, en conséquence, appréciée par les correcteurs en fonction de ses propres mérites. De cette façon, la nature comparative des épreuves n’impliquerait pas que la sélection des candidats soit plus sévère s’il y a un nombre plus important de candidats.

45.
    Le Parlement soutient que la requérante n’aurait jamais pu réussir l’épreuve d), même si le nombre de candidats avait été moindre. Il note que la prestation de la requérante à cette épreuve a été considérée par les membres du jury de concours comme étant très insatisfaisante. En effet, la requérante n’aurait pas préparé une note utilisable comme cela avait été demandé dans les instructions données aux candidats.

46.
    Il soutient que, si la fixation des critères de notation est faite de façon objective et que le jury ne commet ni erreur manifeste d’appréciation ni détournement de pouvoir, celui-ci peut modifier le taux de conversion permettant de coter des épreuves consistant en une série de questions à choix multiple, à condition que l’anonymat des candidats concernés soit respecté.

Appréciation du Tribunal

47.
    Il convient de rappeler, tout d’abord, que, si l’autorité investie du pouvoir de nomination dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer les conditions d'un concours, le jury est lié par le texte de l’avis de concours tel qu’il a été publié (arrêt de la Cour du 18 février 1982, Ruske/Commission, 67/81, Rec. p. 661, point 9). Les termes de l’avis de concours constituent aussi bien le cadre de légalité que le cadre d’appréciation pour le jury de concours (arrêt du Tribunal du 16 avril 1997, Fernandes Leite Mateus/Conseil, T-80/96, RecFP p. I-A-87 et II-259, point 27).

48.
    En conséquence, il y a lieu de vérifier si, en l’espèce, le jury du concours a respecté l’avis de concours. À cet égard, il faut constater que l’avis de concours prévoyait dans son point VII que, en ce qui concerne les épreuves a) et b), l’échelle de notation était, respectivement, de 0 à 20 points et de 0 à 10 points et que toute note inférieure à, respectivement, 10 ou 5 serait éliminatoire. Ainsi, chaque épreuve était éliminatoire si le candidat n’avait pas obtenu la moyenne des points. Ainsi que cela ressort du compte rendu de la réunion du jury du 19 juin 2000, ce dernier a relevé que, «en appliquant la règle des 50 %, le minimum des points requis était de 76/152 pour l’épreuve a) tests objectifs, et de 33/66 pour l’épreuve b) connaissances sur l’Union européenne».

49.
    Il en résulte que, pour respecter l’avis de concours sur ce point, le jury aurait dû exiger que les candidats obtiennent au minimum la moitié mathématique des points maximaux aux épreuves a) et b), à savoir 76 points pour l’épreuve a) et 33 points pour l’épreuve b). En l’espèce, le jury a décidé que le minimum de points requis pour réussir l’épreuve a) était de 64 et pour réussir l’épreuve b) de 17.

50.
    Or, même si les points obtenus à la suite de la correction automatique des épreuves a) et b) devaient être convertis à l’échelle correspondant à l’avis de concours, il n’en demeure pas moins que cette conversion ne faisait pas obstacle à une exacte interprétation de l’avis de concours qui indiquait que, pour réussir ces épreuves, la moitié des points était exigée. Partant, le jury n’aurait pas dû admettre aux épreuves ultérieures du concours des candidats ayant obtenu moins de 76 points à l’épreuve a) et moins de 33 points à l’épreuve b). En effet, en admettant aux épreuves ultérieures du concours des candidats ayant obtenu pour les épreuves a) ou b) une note inférieure, respectivement, à 76 et à 33 points, le jury a méconnu la condition édictée au point VII A de l’avis de concours, qui exigeait que tout candidat devait obtenir au moins la moitié des points pour réussir lesdites épreuves.

51.
    Cette conclusion n’est pas infirmée par les affirmations du Parlement selon lesquelles, en décidant de baisser les minimums de points requis, le jury n’aurait fait que fixer le niveau de difficulté des épreuves. Certes, il est vrai que le jury d’un concours dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne les modalités et le contenu détaillé des épreuves prévues dans le cadre du concours (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 21 mai 1996, Kaps/Cour de justice, T-153/95, RecFP p. I-A-233 et II-663, point 37). Toutefois, le niveau de difficulté des épreuves d’un concours est fixé en établissant le contenu détaillé des questions, tandis que les seuils de réussite des épreuves sont fixés par l’autorité investie du pouvoir de nomination dans l’avis de concours conformément à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de l’annexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes qui indique que cet avis doit spécifier, notamment, dans le cas de concours sur épreuves, la nature des examens et leur cotation respective.

52.
    En conséquence, il y a lieu de conclure que, en l’espèce, la décision du jury du 19 juin 2000, qui modifie les seuils de réussite pour les épreuves a) et b), a entaché d’une irrégularité la procédure du concours.

53.
    Or, il est de jurisprudence constante qu’une irrégularité de procédure n’est de nature à vicier un acte que s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, ledit acte aurait pu avoir un contenu différent (arrêts de la Cour du 23 avril 1986, Bernardi/Parlement, 150/84, Rec. p. 1375, point 28, et du 10 décembre 1987, Del Plato e.a./Commission, 181/86 à 184/86, Rec. p. 4991, point 36).

54.
    Quant à l’influence qu’a pu avoir, en l’espèce, l’irrégularité susmentionnée sur les résultats du concours, il y a lieu de relever que, à la suite de la modification des seuils de réussite par le jury, le nombre de candidats acceptés aux étapes postérieures aux épreuves a) et b) du concours a augmenté de façon significative. Comme cela ressort des réponses du Parlement aux questions du Tribunal, si les seuils de réussite pour les épreuves a) et b) avaient été fixés, respectivement, à 76 et à 33 points, seulement 443 candidats pour l’épreuve a) et 20 candidats pour l’épreuve b) auraient obtenu un nombre de points suffisant pour réussir cesépreuves. Or, à la suite de la fixation des seuils d’admissibilité pour les épreuves a) et b), respectivement, à 64 et à 17 points, 598 candidats pour l’épreuve a) et 252 candidats pour l’épreuve b) ont été admis aux épreuves ultérieures du concours. Il s’ensuit que la modification des seuils de réussite par le jury a eu pour conséquence directe d’augmenter de manière significative le nombre de candidats présents aux épreuves suivantes qui étaient de nature comparative. Cette circonstance est de nature à vicier le déroulement des épreuves ultérieures. En effet, comme cela ressort de l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 1990, Albani e.a./Commission (T-35/89, Rec. p. II-395, points 43 à 45), une décision du jury qui a pour effet d’élargir le nombre de candidats autorisés à continuer le concours est susceptible de constituer une irrégularité de nature à vicier la correction ultérieure des épreuves.

55.
    Le Parlement soutient que le nombre des candidats n’a pas affecté les résultats de l’épreuve c) et, plus particulièrement, de l’épreuve d), dans laquelle la requérante n’a pas reçu le minimum de points exigé par l’avis de concours pour être admise à l’épreuve orale. Selon le Parlement, la correction de ces épreuves ne se faisait pas en fonction du nombre de candidats, mais en fonction des critères d’appréciation fixés au préalable par le jury et qui étaient objectifs et identiques pour tous les candidats.

56.
    À cet égard, il y a lieu d’examiner la nature des épreuves intervenues à la suite de l’irrégularité susmentionnée. L’avis de concours prévoit que l’épreuve c) consistait en une dissertation sur un thème choisi par le candidat entre plusieurs sujets à caractère général dans des domaines intéressant l’Union européenne et que l’épreuve d) était une épreuve de nature pratique à partir d’un dossier. Le Parlement a reconnu qu’il s’agissait d’épreuves de nature comparative (défense, points 26 à 30, et duplique, point 26).

57.
    À cet égard, force est de constater que les épreuves de nature comparative sont par définition des épreuves dans lesquelles les performances de chaque candidat sont appréciées en fonction de celles des autres, de sorte que le nombre des candidats admis à ces épreuves est susceptible d’avoir une incidence sur les appréciations portées par le jury sur les candidats. Ces dernières reflètent le jugement de valeur porté sur la prestation d’un candidat par rapport à celle des autres candidats. Or, plus le nombre des candidats à ce type d’épreuves est élevé, plus le niveau des exigences du jury à l’égard de ceux-ci est important. En l’espèce, cette conclusion est d’autant plus évidente que seuls 20 candidats auraient été admis aux épreuves ultérieures à l’épreuve b) si le minimum des points exigé par l’avis de concours avait été suivi par le jury.

58.
    Cette conclusion pourrait être remise en cause uniquement si l’institution défenderesse apportait la preuve que chaque candidat a été noté de façon à éliminer toute comparaison par rapport aux autres candidats. À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que, si une irrégularité intervient pendant un concours, il incombe à l’institution défenderesse de prouverque celle-ci n’a pas affecté le résultat final du concours (arrêt du Tribunal du 11 février 1999, Jiménez/OHMI, T-200/97, RecFP p. I-A-19 et II-73, point 55).

59.
    Or, en l’espèce, le Parlement n’a pas démontré que la correction des épreuves c) et d) aurait été organisée de façon à écarter toute évaluation comparative des candidats. Le Parlement n’a pas apporté la preuve que les critères de correction de l’épreuve c) et, plus particulièrement, de l’épreuve d) ont été fixés de telle façon que chaque candidat a été noté sans que ses prestations aient été comparées avec celles des autres candidats. Au contraire, il ressort des documents fournis par le Parlement, et notamment des fiches d’évaluation de la performance de la requérante pour l’épreuve d) (annexe 6 à la duplique), que chaque candidat n’a pas seulement été évalué d’après ses propres mérites, mais que ces derniers ont été comparés avec ceux des autres candidats.

60.
    Enfin, en ce qui concerne les affirmations du Parlement selon lesquelles les fiches d’évaluation de la performance de la requérante démontrent que la correction des épreuves a été effectuée en appliquant des critères objectifs et liés aux exigences de l’avis de concours pour l’épreuve d), ou selon lesquelles la requérante n’aurait jamais pu réussir l’épreuve d), même si le nombre des candidats à cette épreuve avait été moindre, elles ne sauraient être retenues. En effet, rien ne permet d’exclure que, malgré les appréciations négatives portées par les correcteurs sur la performance de la requérante dans l’épreuve d), elle aurait pu avoir une note supérieure au minimum exigé par l’avis de concours, si le nombre des candidats avait été moindre.

61.
    Au vu de ce qui précède, la décision attaquée doit être annulée sans qu’il soit nécessaire de statuer, d’une part, sur le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation et, d’autre part, sur les autres chefs de conclusions de la requérante, tendant à ce que le Tribunal ordonne certaines mesures d’instruction et à ce qu'elle soit indemnisée pour le préjudice moral subi, ceux-ci ayant été présentés à titre subsidiaire.

Sur les dépens

62.
    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé dans ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter les dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé, de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision du jury de concours EUR/A/151/98 refusant d'admettre la requérante aux épreuves postérieures à l'épreuve VII A, d) dudit concours est annulée.

2)     Le Parlement supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, y compris les dépens afférents à la procédure en référé.

Vilaras
Tiili

Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mars 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Vilaras


1: Langue de procédure: le français