Language of document : ECLI:EU:T:1998:243

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

16 octobre 1998 (1)

«Fonctionnaires — Procédure disciplinaire — Révocation — Pourvoi — Renvoi au Tribunal — Réalité des faits — Droits de la défense»

Dans l'affaire T-40/95,

V, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, représenté par Mes Jean-Noël Louis et Thierry Demaseure, et initialement par Me Ariane Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 18 janvier 1995, portant révocation du requérant sans réduction ni suppression du droit à pension d'ancienneté,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, R. García-Valdecasas et M. Jaeger, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu l'arrêt du Tribunal du 28 mars 1996,

vu l'arrêt de la Cour du 20 novembre 1997,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 28 avril 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le requérant, M. V, est entré au service de la Commission le 16 janvier 1988 en qualité de fonctionnaire stagiaire de grade C 5 et a été affecté au bureau de sécurité de la Commission à Luxembourg. Titularisé le 16 juillet 1988, il a été affecté à la direction de l'administration du Centre commun de recherche à Ispra à partir du 1er novembre 1989. Il était toujours affecté à Ispra au moment des faits litigieux. Le 1er mars 1992, il a été affecté à l'unité 2 «prélèvements, amendes, cautions et dispositions d'application» de la direction A «finances» de la direction générale Crédits et investissements (DG XVIII). Le 1er avril 1993, il a été promu au grade C 3.

2.
    Le 24 mai 1991, le requérant, ainsi que son épouse, Mme G, et un de ses collègues, M. K, lequel était affecté au bureau de sécurité au moment des faits litigieux, ont participé au concours général EUR/B/21, organisé en commun par la Commission et la Cour des comptes. Les épreuves de ce concours comportaient un volet comptabilité et un volet audit. Par lettre du 10 juillet 1991, adressée au jury du concours en question, un des correcteurs des épreuves écrites a relevé des similitudes dans la rédaction des réponses des trois candidats relatives à certaines questions de comptabilité et d'audit, ainsi que des similitudes entre certaines réponses et le manuel d'audit de la Cour des comptes.

3.
    Par lettre du 19 février 1992, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a notifié au requérant sa décision du même jour, d'une part, d'entamer une procédure disciplinaire à son encontre au motif qu'il était soupçonné d'avoir communiqué avec deux autres candidats lors du concours EUR/B/21 et, d'autre part, de charger M. Caston, chef de l'unité 5 «assurance, maladie et accidents» de la direction B «droits et obligations» de la direction générale Personnel et administration (DG IX), de procéder à l'enquête disciplinaire.

4.
    Dans le cadre de la procédure d'enquête disciplinaire, le requérant a été entendu une première fois le 5 mars 1992 par M. Caston. L'épouse du requérant et M. K ont été entendus le même jour. Le 27 mars 1992, des auditions complémentaires de ces trois fonctionnaires, auxquelles ont participé M. Joris, administrateur principal à l'unité «droits et obligations — réclamations et discipline» et M. Depoulain, représentant de la Cour des comptes, ont eu lieu. Dans le cadre d'une enquête administrative parallèle menée par la Cour des comptes au sujet du déroulement des épreuves du concours EUR/B/21, le requérant et M. K ont été entendus, le 9 avril 1992, par M. Ruppert, en qualité d'AIPN déléguée de la Cour des comptes et M. Depoulain, assistant du secrétaire général de la Cour des comptes, en présence de M. Joris.

5.
    Le 22 mai 1992, M. Caston a eu un entretien confidentiel avec M. K. Par la suite, des auditions complémentaires de celui-ci et du requérant ont eu lieu le 3 juin 1992, en présence de MM. Joris et Depoulain. Lors de ces auditions du 3 juin 1992, le requérant a reconnu avoir fourni ses brouillons, au cours des épreuves du concours EUR/B/21, sous forme de copies carbone, tant à son épouse qu'à M. K. Il a cependant nié avoir eu connaissance des questions et/ou des corrigés types des épreuves écrites avant le 24 mai 1991, date des épreuves.

6.
    Le 17 février 1993, l'AIPN a décidé de saisir, en application de l'article 1er de l'annexe IX du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), le conseil de discipline. Dans son rapport de saisine du conseil du 23 février 1993, elle a fait grief au requérant:

«—    de s'être concerté avec deux autres candidats pour la sous-partie I des questions de comptabilité et avec l'un des candidats pour la plupart des questions restantes, ainsi que;

—    d'avoir eu connaissance à l'avance, soit des corrigés types des questions de comptabilité et peut-être d'audit, soit du libellé de ces questions ou de certaines d'entre elles, soit à la fois de ces corrigés types et de ces questions».

7.
    Le 11 juin 1993, le conseil de discipline a procédé à l'audition du requérant, de Mme G et de M. K, assistés de leurs conseils respectifs. Dans son avis rendu le même jour, le conseil de discipline a recommandé à l'AIPN d'infliger au requérant

la sanction du blâme visée à l'article 86, paragraphe 2, sous b), du statut. Il a constaté un manquement du requérant à ses obligations statutaires, eu égard au fait qu'il avait avoué avoir remis, au cours des épreuves écrites, des brouillons à deux candidats. En revanche, le conseil de discipline n'a pas retenu le grief, considéré comme non prouvé, que le requérant aurait eu connaissance à l'avance des questions et/ou des corrigés types des réponses.

8.
    En application de l'article 7, paragraphe 3, de l'annexe IX du statut, M. De Koster, directeur général de la DG IX, en sa qualité d'AIPN, a procédé à l'audition du requérant le 26 juillet 1993.

9.
    M. K, assisté de son avocat, a été entendu par l'AIPN le 28 juillet 1993. Lors de cette audition, M. K a déclaré avoir été informé par le requérant lui-même, à la veille des épreuves écrites, que ce dernier disposait des questions qui seraient posées lors des épreuves. Les questions lui auraient été remises par un réseau, existant au sein du bureau de sécurité à Luxembourg, lequel aurait distribué des informations sur les épreuves des concours à un nombre limité de personnes.

10.
    A la suite de cette audition, M. De Koster s'est entretenu le même jour avec M. Caston qui lui a confirmé que M. K lui avait fait les mêmes déclarations lors de l'entretien confidentiel du 22 mai 1992.

11.
    Par note du 17 septembre 1993, l'AIPN a notifié au requérant sa décision de suspendre momentanément la procédure disciplinaire engagée à son encontre, en vue de poursuivre l'enquête administrative «compte tenu des faits nouveaux révélés lors des récentes auditions».

12.
    Le 27 septembre 1993, le requérant, assisté de son avocat, a été entendu par M. Petersen, conseiller à la DG IX, mandaté par l'AIPN à cet effet. Après avoir été informé des éléments nouveaux à l'origine de la reprise de l'enquête administrative, le requérant a réitéré ses déclarations antérieures et a nié avoir connaissance du réseau mentionné par M. K.

13.
    Le 5 octobre 1993, M. Petersen a procédé à l'audition de M. K, assisté de deux avocats, qui ont demandé la suspension de l'audition en raison de vices de forme et de procédure.

14.
    Le 27 octobre 1993, M. Petersen a entendu le requérant.

15.
    Par rapport complémentaire du 5 novembre 1993, l'AIPN a rouvert la procédure devant le conseil de discipline à l'encontre du requérant. Dans son rapport, l'AIPN a conclu qu'il était nécessaire de saisir à nouveau le conseil de discipline notamment pour les raisons suivantes:

«—    l'AIPN estime que les révélations de M. K, faites lors de son audition par l'AIPN le 28 juillet 1993, sont à considérer comme des faits nouveaux acquis

ultérieurement au premier avis du conseil de discipline et doivent pouvoir être appréciés par celui-ci;

—    l'affirmation selon laquelle M. V aurait été en possession du corrigé type et qu'un réseau de fonctionnaires distribuerait des informations sur les épreuves de concours sont d'une extrême gravité. De tels agissements sont susceptibles d'avoir un impact direct sur les travaux du Conseil et ses recommandations».

16.
    Lors de sa réunion du 15 février 1994, le conseil de discipline a décidé d'entendre plusieurs témoins avant de se prononcer. Ainsi, le 16 septembre 1994, le conseil de discipline a procédé à l'audition des témoins D, M, S, St, C et P. Par lettre du 20 septembre 1994, le président du conseil de discipline a demandé des éclaircissements à M. F, assistant du chef du bureau de sécurité de Luxembourg, au sujet des questions qu'il aurait remises au requérant avant les épreuves écrites du concours EUR/B/21. Par lettre télécopiée du 22 septembre 1994, M. F a répondu au président du conseil de discipline que les seuls documents qu'il a transmis au requérant étaient trois ou quatre livres techniques, ayant trait à la comptabilité et à l'audit, qu'il avait achetés à Bruxelles pour le compte de M. V. Il nie avoir disposé des questions du concours EUR/B/21 et les avoir remis à qui que ce soit.

17.
    Le conseil de discipline a rendu un second avis le 11 octobre 1994, dont la teneur est notamment la suivante:

«— Considérant la déclaration de M. K;

— considérant qu'il découle des témoignages que le système d'organisation du concours n'exclut pas l'accès aux questions avant les épreuves;

— considérant que la majorité des membres du Conseil aboutissent à la conviction que le requérant était en possession des questions avant les épreuves;

— le conseil de discipline,

bien qu'une minorité soit d'avis, au vu des déclarations contradictoires, d'infliger un blâme, a recommandé l'application au requérant de la sanction disciplinaire visée à l'article 86, paragraphe 2, sous c), du statut, à savoir la rétrogradation au grade C 4, avec maintien d'échelon.»

18.
    Après avoir procédé à l'audition du requérant en présence de son avocat le 26 octobre 1994, l'AIPN a adopté, le 18 janvier 1995, et remis au requérant, le 20 janvier 1995, une décision lui infligeant la sanction disciplinaire visée à l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, à savoir la révocation sans suppression ni réduction du droit à pension d'ancienneté, avec prise d'effet au 1er mars 1995 (ci-après

«décision attaquée» ou «décision litigieuse»). La décision expose, notamment, cequi suit:

«considérant que les griefs retenus à l'encontre de M. V sont:

—    de s'être concerté au cours des épreuves écrites de comptabilité et d'audit du concours général EUR/B/21 à Luxembourg, avec deux autres candidats, soit son épouse Mme G et M. K, fonctionnaire du bureau de sécurité à Luxembourg temporairement affecté à l'Office des publications, pour la sous-partie I de l'épreuve A 1 de comptabilité et avec l'un de ces deux candidats pour la plupart des questions restantes, ainsi que

—    d'avoir eu connaissance à l'avance des corrigés types aux questions de comptabilité et peut-être d'audit, soit du libellé de ces questions ou de certaines d'entre elles, soit à la fois de ces corrigés types et de ces questions» (ci-après «premier considérant»);

«considérant que [... le requérant] a reconnu avoir remis au cours des épreuves écrites des brouillons à M. K suite à des signes faits par ce dernier» (ci-après «quatrième considérant»);

«considérant que, ainsi qu'il ressort du tableau à la page 4 de la présente décision, la réponse de M. K à la sous-partie 2, point 2, de la question A1 présente certaines similitudes avec la réponse [du requérant]; que par contre la réponse de M. K reproduit presque à la lettre la partie du corrigé type de la question A1 sous-partie 2, point 2, qui avait été préalablement établi par le jury» (ci-après «septième considérant»);

«considérant qu'il résulte du dossier que les éléments de réponse ne peuvent pas avoir été pris du Manuel d'audit de la Cour des comptes» (ci-après «huitième considérant»);

«considérant que, dans ses déclarations, [le requérant] indique que M. K a pu lui dire lors du déroulement des épreuves qu'il se croyait incapable de résoudre certains des exercices de comptabilité et que c'est à la suite de cette supplique qu'il lui a fourni ce qu'il appelle des brouillons de ses réponses; qu'il est donc clair que, avant l'aide reçue du requérant, M. K n'avait pas connaissance des éléments de réponse qu'il a utilisés; que ceux-ci sont aussi proches de la réponse du requérant que du corrigé type pour le point mentionné ci-dessus; qu'il faut donc bien constater que le requérant disposait du corrigé type pour le point en question et cela forcément avant de pénétrer dans la salle de concours; qu'il a donc bénéficié d'une fuite» (ci-après «neuvième considérant»).

19.
    A l'issue de procédures disciplinaires distinctes, M. K et Mme G se sont vus infliger, respectivement, par décisions du 11 janvier 1995 et du 22 décembre 1994, la sanction de blâme prévue à l'article 86, paragraphe 2, sous b), du statut.

Procédure administrative et judiciaire

20.
    C'est dans ces circonstances que le requérant a introduit, le 17 février 1995, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation par la voie hiérarchique contre la décision litigieuse. Le requérant a également introduit le même jour, en application du paragraphe 4 de l'article 90, un recours en annulation de la décision litigieuse, ainsi qu'une demande de mesures provisoires visant à obtenir le sursis à l'exécution de ladite décision attaquée.

21.
    Par ordonnance rendue le 24 février 1995, le président du Tribunal a ordonné la suspension de l'exécution de la décision litigieuse jusqu'au prononcé de l'ordonnance mettant fin à la procédure de référé. Par ordonnance rendue le 31 mars 1995, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé du requérant.

22.
    Par lettre du 28 juin 1995 adressée à l'avocat du requérant, la Commission a rejeté sa réclamation.

23.
    Par arrêt du 28 mars 1996, V/Commission (T-40/95, RecFP p. II-461), le Tribunal a annulé la décision litigieuse pour insuffisance de motivation, sans examiner les autres moyens et arguments invoqués par le requérant. Il a condamné la Commission aux dépens.

24.
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 31 mai 1996, la Commission a formé un pourvoi contre l'arrêt V/Commission, cité au point 23 ci-dessus. Le 20 novembre 1997, la Cour a rendu l'arrêt Commission/V (C-188/96 P, Rec. p. I-6561), dont le dispositif se lit comme suit:

«1)    L'arrêt du Tribunal de première instance du 28 mars 1996, V/Commission (T-40/95), est annulé en tant qu'il a, d'une part, annulé la décision de la Commission du 18 janvier 1995 portant révocation de M. V pour insuffisance de motivation et, d'autre part, condamné la Commission aux dépens, y compris ceux afférents à des procédures de référé antérieures.

2)    L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance pour qu'il statue sur les autres moyens invoqués par M. V en première instance.

3)    Les dépens sont réservés.»

25.
    Le Tribunal étant ainsi, en vertu de l'article 117 de son règlement de procédure, à nouveau saisi de l'affaire, les parties ont été invitées à déposer un mémoire en observations écrites, en application de l'article 119, paragraphe 1, sous a), du règlement de procédure. Par lettre du 19 décembre 1997, le requérant, se référant aux moyens et arguments qu'il avait développés initialement soit au cours de la procédure écrite, soit au cours de la procédure orale devant le Tribunal, a renoncé à déposer un mémoire en observation. Par lettre du 12 janvier 1998, la Commission

a également renvoyé à ses moyens et arguments déjà présentés devant le Tribunal et a renoncé à déposer un mémoire en observation.

26.
    Par lettre du 20 janvier 1998, la Commission a informé le requérant que la décision le révoquant étant devenue applicable, il n'était «plus autorisé à prester [ses] services dans les bureaux de la Commission» à compter du 1er février 1998.

27.
    Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 1998, le requérant a introduit une demande de sursis à l'exécution de la décision litigieuse jusqu'au prononcé de la décision mettant fin à la procédure principale.

28.
    Par ordonnance du 3 février 1998, prise en vertu de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal, en attendant que la partie défenderesse puisse se prononcer sur les moyens et arguments invoqués par le requérant à l'appui de sa demande en référé, a suspendu l'exécution de la décision litigieuse jusqu'au prononcé de l'ordonnance mettant fin à la procédure de référé.

29.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois, la défenderesse a été invitée à produire, au titre de mesures d'organisation de la procédure, l'original du compte rendu de l'audition de M. K du 27 mars 1992.

30.
    Les représentants des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience publique du 28 avril 1998.

Conclusions des parties

31.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision litigieuse;

—    condamner la partie défenderesse aux dépens.

32.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur le fond

33.
    Le requérant invoque en substance six moyens à l'appui de son recours. Le premier moyen est tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après «CEDH») et de l'article 7 de l'annexe IX du statut. Le deuxième moyen est pris d'une violation des droits de la défense, le troisième moyen est tiré de l'illégalité de la sanction disciplinaire, le quatrième moyen d'un abus de pouvoir de la part de l'AIPN, le cinquième moyen d'une erreur manifeste d'appréciation et le sixième moyen est pris de la méconnaissance du principe de proportionnalité et du défaut de motivation de la décision attaquée.

34.
    Le Tribunal considère que, en l'espèce, il convient de procéder d'abord à l'examen des moyens tirés de l'illégalité de la sanction disciplinaire et de l'erreur manifeste d'appréciation. Ces deux moyens étant, ainsi que le souligne la défenderesse, intimement liés, le Tribunal les examinera ensemble.

Sur les moyens pris de l'illégalité de la sanction disciplinaire et de l'erreur manifeste d'appréciation

Arguments des parties

35.
    Le requérant fait grief à la Commission de lui avoir infligé une sanction disciplinaire sans avoir établi la matérialité des faits retenus qui lui étaient reprochés. En effet, ni la comparaison de ses réponses aux épreuves du concours EUR/B/21 avec le corrigé type ni le témoignage de M. K ne seraient de nature à établir les accusations de fraude pesant sur lui et qui ont donné lieu à la sanction de révocation attaquée.

36.
    Le requérant estime que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en tenant pour établi, au vu de ses propres réponses et de celles de M. K aux épreuves du concours EUR/B/21, qu'il a été en possession du corrigé type du concours avant les épreuves.

37.
    A cet égard, le requérant expose que, en ce qui concerne l'épreuve A1 de comptabilité, sous-partie 1, sept réponses sur neuf sont différentes du corrigé type. En outre la réponse b) aurait été qualifiée de bonne réponse libellée autrement que celle du corrigé type. L'identité entre la réponse c) et le corrigé type constatée par le premier correcteur permettrait uniquement de conclure que la réponse est correcte. Le correcteur qui aurait relevé cette identité ne lui aurait d'ailleurs attribué que la moitié des points pour l'ensemble des neuf sous-questions.

38.
    Le requérant explique que sa réponse à l'épreuve de comptabilité, sous-partie 2, point 1, ne pourrait être qu'identique à celle du corrigé type, dans la mesure où

elle reprenait tel quel l'énoncé de la question. En outre, la question posée n'aurait exigé qu'une présentation de la formule de calcul et du résultat, sans calculs intermédiaires, de sorte que l'identité de la réponse avec le corrigé type était inévitable. S'agissant de la réponse à la question de la sous-partie 2, point 2, le requérant fait valoir que la circonstance selon laquelle certains termes techniques utilisés sont identiques à ceux figurant dans le corrigé type ne constitue que la preuve de sa maîtrise du sujet. Les ressemblances n'auraient d'ailleurs pas été décelées par deux autres correcteurs.

39.
    S'agissant de l'épreuve d'audit C2, le requérant soutient que l'analyse des six réponses qu'il y a apportées démontre que seule celle correspondant à la question b) peut être considérée comme très inspirée du corrigé type. Or, il n'existerait pas de corrigé type de cette question, mais il serait renvoyé au manuel d'audit de la Cour des comptes, dont il aurait admis, dès le début de la procédure disciplinaire, avoir disposé.

40.
    Le requérant conteste, enfin, que la Commission puisse tirer de la circonstance selon laquelle la réponse de M. K à la question A1, sous-partie 2, ressemblait davantage au corrigé type que la sienne la preuve que le requérant était en possession du corrigé type. La Commission aurait, dès lors, à tort, pris enconsidération cet élément (neuvième considérant) pour retenir sa culpabilité, les constatations effectuées à cet égard lui permettant uniquement de conclure que M. K possédait le corrigé type et non pas qu'il avait servilement copié sur le requérant.

41.
    Le requérant considère que la seule conclusion qui puisse être tirée de ces constatations est qu'il maîtrisait parfaitement la matière faisant l'objet du concours. Or, il déplore que la Commission n'ait pas produit les résultats du test auquel il a été soumis par M. Depoulain en présence de M. Caston lors de son audition du 27 mars 1992.

42.
    Le requérant reproche encore à l'AIPN de ne pas avoir procédé à une enquête plus approfondie à la suite des révélations faites par M. K en juillet 1993 et, notamment, de ne pas avoir interrogé M. F sur l'existence d'un prétendu réseau au sein du bureau de sécurité de la Commission à Luxembourg. En outre, il souligne que M. K a parlé des questions du concours, mais qu'il n'a pas mentionné le corrigé type, qui ne serait remis qu'aux membres du jury.

43.
    Enfin, le requérant fait valoir que, si les faits s'étaient déroulés ainsi que la Commission les présente, il serait pour le moins curieux qu'il ait couru le risque de faire circuler son brouillon pendant les épreuves et qu'il n'ait pas fait profiter son épouse du corrigé type avant les épreuves.

44.
    Le requérant relève, en dernier lieu, que la Commission se contredit, d'une part, en soutenant qu'elle ne peut lui communiquer le dossier administratif de M. K en raison de son caractère confidentiel et, d'autre part, en se basant principalement

sur les similitudes des réponses de M. K avec le corrigé type pour établir les fautes disciplinaires retenues à sa charge.

45.
    La Commission estime que le moyen tiré de l'illégalité de la sanction infligée n'a pas de portée ni de contenu autonomes, mais qu'il se confond avec le grief tiré de l'absence de preuve de la matérialité des faits invoqués. La Commission entend, dès lors, y répondre dans le cadre de la réfutation du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.

46.
    La Commission soutient qu'elle a établi, à suffisance de droit, que le requérant était en possession du corrigé type des épreuves du concours EUR/B/21 avant le déroulement de ces épreuves. Elle relève que la décision attaquée se fonde uniquement sur ce manquement disciplinaire et non pas sur des accusations non établies, ni sur l'existence de l'éventuelle appartenance du requérant à un réseau.

47.
    La défenderesse fait valoir, à cet égard, que les ressemblances entre les réponses du requérant et celles de M. K ainsi que les ressemblances des réponses avec le corrigé type sont telles qu'elles ne sauraient être le résultat d'une simple coïncidence. En outre, l'explication, donnée par le requérant selon laquelle, il aurait été particulièrement bien préparé et la raison de certaines similitudes constatées entre ses réponses et le corrigé type résiderait dans la circonstance qu'il se serait inspiré du manuel d'audit de la Cour des comptes, serait dénuée de fondement, ce manuel constituant uniquement un guide de travail sans aucun élément précis et concret en rapport avec les épreuves en cause.

48.
    La Commission ajoute qu'il est constant que le requérant a donné les brouillons de ses réponses aux épreuves de comptabilité à M. K au cours de l'examen parce qu'il éprouvait des difficultés pour répondre aux questions posées. Or, M. K, dont les connaissances en comptabilité seraient très faibles, aurait donné des réponses plus proches du corrigé type que le requérant. La Commission en déduit que le requérant disposait nécessairement du corrigé type des questions et qu'il l'a fourni à M. K.

Appréciation du Tribunal

49.
    Il ressort de la jurisprudence que la légalité de toute sanction disciplinaire présuppose que la réalité des faits reprochés à l'intéressé soit établie (arrêt du 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T-12/94, RecFP p. II-1197, point 64).

50.
    En l'espèce, il résulte du premier considérant de la décision litigieuse que la défenderesse a retenu deux griefs à la charge du requérant, à savoir, d'une part, celui de s'être concerté, au cours des épreuves de comptabilité et d'audit, avec M. K et Mme G pour la sous-partie 1 de l'épreuve A1 de comptabilité et avec l'un de ces deux candidats pour la plupart des questions restantes, et, d'autre part, celui d'avoir eu connaissance à l'avance des corrigés types des questions de comptabilité

et peut-être d'audit, soit du libellé de ces questions ou de certaines d'entre elles, soit à la fois de ces corrigés types et de ces questions.

51.
    Le premier grief, dénonçant la collaboration du requérant avec deux autres candidats durant les épreuves, est établi par l'aveu du requérant lui-même, qui a confirmé avoir remis ses brouillons à M. K et à son épouse au cours des épreuves écrites, d'une part, et par la ressemblance des copies des trois candidats, que le requérant a d'ailleurs confirmé dans ses mémoires, d'autre part. Il s'ensuit que les faits visés par ce premier grief sont établis.

52.
    Il ressort du cinquième considérant de la décision litigieuse, ainsi que des suivants, que la révocation du requérant est venue sanctionner le fait qu'il disposait à l'avance du corrigé type des questions de comptabilité. Dans ses écritures et dans ses plaidoiries, la défenderesse a d'ailleurs expressément confirmé que la décision de révocation était fondée sur la constatation que le requérant avait eu une connaissance préalable du corrigé type de l'épreuve en question. En outre, cette constatation est corroborée par le fait que, tant M. K que Mme G, qui se sont également rendus coupables des faits visés par le premier grief, ne se sont cependant vu infliger que la sanction mineure du blâme.

53.
    Il convient donc d'examiner si l'AIPN a établi que le requérant disposait effectivement à l'avance du corrigé type.

54.
    Il est constant que l'AIPN ne dispose pas de preuve directe de ce que le requérant possédait le corrigé type de l'épreuve de comptabilité, mais qu'elle a déduit cette possession d'un faisceau d'indices, à partir desquels elle a développé un raisonnement logique.

55.
    Le Tribunal constate qu'il résulte de la décision litigieuse, et en particulier des sixième, septième et huitième considérants, que, en substance, l'AIPN a déduit que le requérant possédait le corrigé type à l'avance du fait que la réponse de M. K était quasi identique au corrigé type et qu'il avait dû établir ses réponses à l'aide des brouillons que le requérant a reconnu lui avoir transmis, et non pas de la similitude de la réponse du requérant avec celle du corrigé type. Dans ses mémoires et plaidoiries devant le Tribunal, la défenderesse semble, toutefois, également soutenir que les similitudes entre la réponse du requérant et le corrigé type, bien que moins frappantes, sont cependant suffisantes pour établir, à elles seules, que le requérant possédait le corrigé type avant les épreuves du 24 mai 1991.

56.
    En vue de déterminer si ces éléments sont suffisants pour établir que le requérant disposait à l'avance du corrigé type de comptabilité, il convient de rappeler, à titre liminaire, que le concours EUR/B/21 comportait un volet comptabilité et un volet audit et que les réponses du requérant au volet audit n'ont pas été prises en considération par l'AIPN pour établir les faits reprochés.

57.
    Il y a lieu ensuite de rappeler les éléments suivants, qui sont constants. En premier lieu, les connaissances de M. K tant en comptabilité qu'en audit sont considérées comme inexistantes. En deuxième lieu, le requérant a transmis à M. K, durant le concours, le brouillon de ses réponses relatives à la seule épreuve de comptabilité, mais non celles relatives au volet audit. En troisième lieu, le requérant n'a pas répondu à au moins une question du volet audit à laquelle M. K a répondu. Par ailleurs, M. K a donné une meilleure réponse que celle du requérant à une autre question d'audit.

58.
    En quatrième lieu, l'épreuve A1 de comptabilité comportait une sous-partie 1 invitant les candidats à enregistrer les écritures de fin d'exercice relatives aux neuf opérations décrites sous a) à i) du questionnaire. Dans la sous-partie 2 (ci-après «question SEF»), les candidats devaient d'abord, sous le point 1, calculer le délai de recouvrement des créances clients de la société SEF puis, sous le point 2, analyser et commenter le résultat obtenu.

59.
    S'agissant de l'enregistrement des écritures comptables des neuf opérations de la sous-partie 1, le Tribunal constate que les réponses du requérant et de M. K, d'une part, sont rigoureusement identiques et, d'autre part, sont très éloignées du corrigé type, les deux candidats n'ayant d'ailleurs obtenu, de la part du correcteur M. L, que 14 points sur 30.

60.
    Il s'ensuit que, si les réponses à ces neuf premières questions de comptabilité établissent, de manière certaine, que le requérant et M. K ont collaboré durant le concours, le requérant ayant d'ailleurs admis avoir remis ses brouillons de comptabilité à M. K, en revanche, elles ne sont pas de nature à établir que le requérant possédait à l'avance le corrigé type de l'épreuve de comptabilité. En effet, non seulement le libellé des réponses des deux candidats est très éloigné du corrigé type, mais, en outre, les réponses sont pour la plupart erronées, le requérant et M. K n'ayant même pas obtenu la moitié des points.

61.
    Cette première constatation conduit, a priori, à considérer que le requérant ne disposait pas du corrigé type relatif aux épreuves de comptabilité. En effet, s'il est certes probable qu'un candidat disposant du corrigé type d'une épreuve veillera à ne pas reproduire parfaitement toutes les réponses figurant dans celui-ci au risque d'être démasqué facilement, il est cependant inconcevable qu'il ne s'assure même pas d'obtenir à tout le moins une note satisfaisante.

62.
    En réponse aux questions du Tribunal, la défenderesse a toutefois expliqué lors de l'audience que, si la responsabilité collégiale de la rédaction des épreuves, de l'élaboration du corrigé type et de sa conservation dans le dossier du concours tenu uniquement à Bruxelles revient au jury, et si aucun élément du corrigé type n'avait été envoyé dans les différents centres d'examen, dont Luxembourg, certaines questions, et leurs réponses, s'agissant de matières présupposant des connaissances techniques, avaient été établies par différentes personnes en différents endroits. En

ce qui concerne plus particulièrement la question SEF, ainsi que sa réponse, il est constant qu'elle a été préparée à la Cour des comptes à Luxembourg. Tout en insistant sur le fait qu'elle ne mettait en cause, en aucune manière, l'auteur de cette question et de cette réponse du corrigé type, la défenderesse a fait valoir à l'audience qu'une fuite avait néanmoins pu se produire dans ce contexte, notamment au cours des opérations de traduction ou de reproduction.

63.
    Il s'ensuit qu'il ne saurait être exclu que l'un des candidats, tout en ne possédant pas le corrigé type pour l'ensemble de l'épreuve de comptabilité, ait, en revanche, disposé des éléments du corrigé type relatifs à la seule question SEF.

64.
    Il convient donc d'examiner si les similitudes entre les réponses du requérant et deM. K avec le corrigé type pour la seule question SEF sont de nature à établir que le requérant disposait du corrigé type de cette question.

65.
    Il convient de rappeler à cet égard que, si la réponse du requérant à la question SEF présente certaines similitudes avec le corrigé type, c'est en raison des ressemblances beaucoup plus frappantes, confinant presque à l'identité parfaite, de la réponse de M. K avec le corrigé type que l'AIPN a estimé que le requérant avait dû être en possession du corrigé type avant les épreuves du concours.

66.
    Le Tribunal constate que le libellé de la réponse de M. K à la question SEF est effectivement à ce point proche du corrigé type que toute coïncidence fortuite est à exclure et que la quasi-identité ne peut s'expliquer que par la possession dudit corrigé type.

67.
    Or, le requérant ayant admis que, sur un signe de M. K, il lui avait transmis ses brouillons de comptabilité, il s'ensuivrait, selon la décision litigieuse, que le requérant, et non M. K, disposait du corrigé type pour la question SEF, M. K n'ayant eu aucune raison de demander l'assistance du requérant s'il possédait déjà le corrigé type.

68.
    Le Tribunal observe à cet égard que, dans ses déclarations durant la procédure disciplinaire, le requérant s'est borné à admettre avoir transmis, sans autre précision, ses brouillons de comptabilité. A aucun moment de la procédure disciplinaire, ni dans la décision, ni dans ses mémoires, la défenderesse n'a soutenu que les brouillons transmis par le requérant à M. K portaient sur une partie déterminée des questions de comptabilité et plus particulièrement sur la question SEF.

69.
    Le Tribunal relève également qu'il ne ressort nullement du dossier et que la défenderesse n'a pas soutenu que l'éventuel signe fait par M. K au requérant au cours des épreuves du concours était en relation avec la question SEF. Le Tribunal relève d'ailleurs que, dans le deuxième avis du conseil de discipline concernant M. K, il est même expressément constaté que ce dernier n'a pas demandé d'aide au requérant. En tout état de cause, même si M. K a fait un signe au requérant ou

lui a demandé son aide, il n'est nullement établi que ce signe concernait la question SEF.

70.
    Dès lors, à supposer même que M. K ait fait un signe pour demander l'aide du requérant, il ne saurait être déduit de cette demande d'assistance que M. K ne pouvait répondre, ou n'avait pas déjà répondu, à la question SEF. Une série d'autres explications alternatives que celle retenue dans la décision litigieuse sont parfaitement envisageables. Ainsi, il ne saurait être exclu que M. K ne possédait précisément que le corrigé type relatif à la question SEF et ait, dans ces conditions, estimé nécessaire de demander l'assistance du requérant pour les autres questions de comptabilité.

71.
    Cette considération est d'ailleurs renforcée par les éléments suivants.

72.
    En premier lieu, il est constant, ainsi qu'il est d'ailleurs expressément constaté dans la décision disciplinaire prise à l'encontre de M. K, que la réponse de M. K à la question SEF est nettement plus proche du corrigé type que ne l'est celle du requérant, mais n'est pas identique ni même similaire à la réponse du requérant à cette question. L'explication la plus logique de cette constatation est que c'est plutôt M. K qui détenait le corrigé type.

73.
    En deuxième lieu, s'agissant des neuf premières sous-questions faisant l'objet de la sous-partie 1 de l'épreuve A1 de comptabilité, les réponses de M. K sont rigoureusement identiques à celles du requérant. Or, l'on ne voit pas pourquoi M. K aurait recopié servilement le brouillon du requérant pour ces neuf premières questions, mais non pour la question SEF, si ce n'est parce qu'il disposait déjà de la réponse à la question SEF.

74.
    En troisième lieu, s'agissant des réponses de Mme G, à laquelle le requérant a admis avoir également remis ses brouillons, il y a lieu d'observer que celles relatives à l'enregistrement comptable des opérations faisant l'objet de la sous-partie 1 sont également quasi identiques à celles du requérant, tandis que sa réponse à la question SEF ne correspond pas du tout à la réponse du requérant, ni à celle de M. K, ni au corrigé type. Cela tend plutôt à confirmer que la remise par le requérant de ses brouillons a permis, tant à M. K qu'à Mme G, de répondre aux questions de la sous-partie 1, mais non à la question SEF.

75.
    En quatrième lieu, alors que le requérant, ainsi qu'il l'a affirmé sans être contredit par la défenderesse, ne lui a pas transmis ses brouillons relatifs aux questions d'audit, il y a lieu de relever que M. K, dont il est constant que les connaissances en comptabilité et en audit sont quasi inexistantes, a fourni une réponse correcte à une question d'audit et a même répondu à une question d'audit à laquelle le requérant n'avait pas répondu. La défenderesse ne saurait écarter cette constatation matérielle en affirmant que la décision se fonde exclusivement sur les indices relatifs au volet comptabilité du concours. En effet, le volet audit des

épreuves du concours est pertinent pour établir la matérialité des faits et tend à confirmer que M. K a pu disposer, mis à part les brouillons des réponses de comptabilité transmis par le requérant, d'autres sources ou moyens lui permettant de répondre correctement aux épreuves du concours, que ce soit par la possession de certaines parties du corrigé type, par l'assistance reçue d'autres candidats, voire par la possibilité de compléter ou de modifier ses réponses après le concours ou par tout autre moyen.

76.
    Dans ces conditions, force est de constater que d'autres éléments que le fait que le requérant disposait du corrigé type permettent d'expliquer la similitude des réponses de M. K avec le corrigé type.

77.
    Il résulte de ce qui précède que le faisceau d'éléments matériels et le raisonnement tenu par la défenderesse concernant les analogies triangulaires entre les réponses de M. K, du requérant et du corrigé type, retenus par l'AIPN dans la décision litigieuse, ne permettent pas d'établir à suffisance de droit que le requérant a nécessairement dû disposer du corrigé type pour la question SEF avant de pénétrer dans la salle de concours.

78.
    Toutefois, au vu de l'argumentation développée par la défenderesse dans ses mémoires et plaidoiries devant le Tribunal, et à supposer que cette argumentation puisse être considérée comme ne faisant qu'expliquer et non compléter ou réformer la décision litigieuse, il convient encore d'examiner si, abstraction faite des réponses de M. K, les seules similitudes entre les réponses du requérant et le corrigé type peuvent établir que le requérant possédait le corrigé type.

79.
    A cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que la défenderesse a confirmé expressément que la décision litigieuse était fondée uniquement sur les indices relatifs au volet comptabilité du concours. Le Tribunal rappelle, en deuxième lieu, qu'il a été constaté ci-dessus que les réponses du requérant aux neuf premières questions faisant l'objet de la sous-partie 1 du volet comptabilité du concours étaient pour la plupart erronées et, en tout état de cause, très éloignées du corrigé type. Seule la réponse à la question SEF, qui ne représente qu'une seule des huit pages du corrigé type, mérite d'être examinée plus en détail.

80.
    La réponse du requérant au point 1 de la question SEF est certes identique au corrigé type. Toutefois, cet élément n'est pas pertinent dès lors que la réponse ne fait que reprendre les éléments de l'énoncé de la question et se limite à un calcul mathématique simple, et que la réponse fournie par le requérant était la seule façon d'exprimer correctement le calcul du délai de recouvrement des créances clients.

81.
    S'agissant du commentaire et de l'analyse du résultat obtenu en réponse au point 1 de la question SEF que devaient effectuer les candidats sous le point 2 de la question SEF, le Tribunal constate que, si les éléments essentiels de la réponse du requérant correspondent plus ou moins à ceux figurant dans le corrigé type, tant

la présentation de la réponse que son libellé ne sont, contrairement à la réponse de M. K, pas à ce point proches du corrigé type que ces similitudes ne pourraient résulter d'une coïncidence et ne s'expliquer que par le fait que le requérant disposait du corrigé type. En outre, il convient de noter que la réponse du requérant est incomplète puisque, après avoir exposé les deux explications possibles du résultat obtenu, elle n'explique pas, contrairement à ce qui est fait dans le corrigé type, le moyen d'analyser la situation réelle de l'entreprise SEF.

82.
    Dans ces conditions, le Tribunal considère que le grief fait au requérant d'avoir détenu à l'avance le corrigé type pour la question SEF ne peut pas non plus être établi sur la seule base des ressemblances entre sa réponse et le corrigé type.

83.
    L'argument soulevé par la défenderesse à l'audience, selon lequel la comparaison de la réponse du requérant à la question SEF avec le corrigé type suffirait à établir la matérialité des faits en ce que tant ladite réponse que le corrigé type reproduiraient la même erreur grossière de traduction, ne saurait modifier cette constatation.

84.
    En effet, il convient d'abord de constater que cet argument, qui ne figure pas dans la décision attaquée, ni dans les mémoires, est soulevé tardivement dès lors qu'il a été formulé pour la première fois à l'audience. Ensuite, et en tout état de cause, contrairement à ce que soutient la défenderesse, rendre l'expression «larger treasury» par la traduction littérale «trésorerie plus large» utilisée par le requérant ainsi que par M. K et par le corrigé type, plutôt que par «trésorerie plus abondante», ne saurait être considérée comme une erreur à ce point grossière qu'elle ne pourrait s'expliquer que par la détention par le requérant du corrigé type. En outre, il ressort des comptes rendus d'audition figurant au dossier que, contrairement à ce qu'a soutenu la défenderesse à l'audience, le requérant a toujours affirmé, in tempore non suspecto, avoir préparé le concours avec la version anglaise du Manuel d'audit de la Cour des comptes et non avec la version française, dans laquelle figurait la traduction exacte de l'expression anglaise. Ne possédant, ainsi qu'il résulte des comptes-rendus des premières auditions du requérant, qu'une connaissance très imparfaite de la langue anglaise, le requérant a ainsi pu naturellement traduire l'expression «larger treasury» par «trésorerie plus large». Il s'ensuit que l'argument tiré de la prétendue erreur grossière de traduction est non fondé.

85.
    Il résulte de ce qui précède que la défenderesse, en tirant argument de faits non établis, a commis une erreur d'appréciation et que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant, la décision du 18 janvier 1995 lui infligeant la sanction de révocation doit être annulée.

86.
    A titre surabondant, la décision attaquée devant être annulée indépendamment de la constatation qui suit, le Tribunal note que le dossier de M. K, déposé par la défenderesse à l'audience, contient une lettre anonyme dénonçant des tricheries

dans le cadre du concours EUR/B/21. Les auteurs de cette lettre affirment, en particulier, que M. K avait reçu d'un fonctionnaire de la Cour des comptes toutes les questions avant l'examen et qu'il avait préparé à l'avance avec ce mêmefonctionnaire les réponses aux épreuves rédactionnelles. Il ne saurait être exclu que cette lettre, dont l'importance n'avait pourtant pas échappé à la défenderesse, ainsi qu'en atteste une note du 7 novembre 1991 de l'unité 7 «recrutement» de la direction A «Personnel» de la DG IX, soit de nature à corroborer l'explication avancée ci-dessus au point 73, dernière phrase. Le requérant aurait pu l'utiliser comme pièce à décharge si elle avait été portée à sa connaissance. En toute hypothèse, cette pièce, ainsi que l'ensemble des autres éléments de fait évoqués ci-dessus, auraient dû amener la défenderesse à approfondir son enquête, afin d'éviter de sanctionner le requérant sans avoir écarté toute autre explication que celle conduisant nécessairement à conclure à sa culpabilité. La nécessité de mener une enquête minutieuse et impartiale s'imposait d'autant plus que la sanction infligée est particulièrement grave.

Sur les dépens

87.
    L'arrêt du Tribunal du 28 mars 1996 qui avait condamné la Commission aux dépens a été annulé. Dans son arrêt sur pourvoi, la Cour a réservé les dépens. Il appartient donc au Tribunal de statuer, dans le présent arrêt, sur tous les dépens afférents aux différentes étapes de la procédure.

88.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens et le requérant ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter l'ensemble des dépens, y compris ceux afférents aux procédures de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission du 18 janvier 1995 portant révocation du requérant est annulée.

2)    La Commission supportera l'ensemble des dépens, y compris ceux afférents à la procédure devant la Cour et aux procédures de référé.

Azizi
García-Valdecasas
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 octobre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: le français.