Language of document : ECLI:EU:T:2021:416

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

 7 juillet 2021(*)

« Fonction publique – Agents contractuels – Décision de licenciement avant la fin de la période de stage – Inaptitude manifeste – Conduite inappropriée – Article 84 du RAA »

Dans l’affaire T‑28/20,

ID, représentée par Me C. Bernard-Glanz, avocat,

partie requérante,

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et R. Spáč, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du SEAE du 6 mars 2019 portant résiliation du contrat de la requérante avant la fin de la période de stage et, d’autre part, à la réparation du préjudice matériel et moral que la requérante aurait prétendument subi du fait de cette décision,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Par un contrat d’engagement signé le 16 juillet 2018, la requérante, ID, a été recrutée, avec effet au 16 août 2018, en tant qu’agent contractuel au titre de l’article 3 bis du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») auprès du Service européen pour l’action extérieure (SEAE). Ce contrat de trois ans mentionnait que la requérante exercerait les fonctions correspondant au groupe de fonctions IV, grade 14, échelon 1, dans un pays tiers et précisait que la période de stage était fixée à neuf mois.

2        À compter du 16 août 2018, la requérante, affectée à la section « Politique, presse et information » (ci-après la « section politique »), a exercé les fonctions de responsable « Presse et information » de la délégation de l’Union européenne auprès du pays tiers concerné (ci-après la « délégation ») en étant placée sous la supervision du chef de ladite section (ci-après le « chef de section »).

3        Du 16 août à la fin du mois de septembre 2018, la requérante a travaillé dans les locaux du SEAE à Bruxelles (Belgique). Puis, à partir du 1er octobre 2018, elle a exercé ses fonctions dans les locaux de la délégation.

4        Le 13 octobre 2018, la requérante a adressé un courriel à l’assistant « Presse et communication » de la section politique au sujet du travail et du comportement de ce dernier (ci-après le « courriel du 13 octobre 2018 »). Dans ce courriel, elle critiquait cet assistant, ayant le statut d’agent local, mais aussi les autres agents locaux de la section politique, en ce qui concernait leur travail et leur niveau de rémunération. Le même jour, elle a établi un rapport d’incident « santé et sécurité » concernant le comportement prétendument agressif dudit assistant.

5        Le 17 octobre 2018, le chef de la délégation (ci-après le « chef de délégation ») s’est entretenu avec la requérante au sujet du courriel du 13 octobre 2018 (ci-après l’« entretien du 17 octobre 2018 »).

6        Dans une note du 19 octobre 2018, adressée à la requérante et intitulée « Notre entretien du 17 octobre 2018 », le chef de délégation a établi le compte-rendu de cet entretien. Il a considéré que le courriel du 13 octobre 2018 remettait en question la pertinence de l’échelle salariale des agents locaux de la section politique et comportait un jugement extrêmement négatif sur l’aptitude professionnelle de ces agents. Il a indiqué que le style et le contenu de ce courriel étaient inacceptables et que la requérante n’avait pas compétence pour intervenir quant au niveau de salaire desdits agents. Il a souligné que ledit courriel avait gravement offensé les agents concernés et nui à la qualité des relations interpersonnelles. Il a estimé que l’envoi du courriel en cause constituait une faute professionnelle grave et que la réitération d’une telle conduite inappropriée le conduirait à recommander la résiliation du contrat de la requérante.

7        Par une note du 8 novembre 2018 adressée à la directrice des ressources humaines de la direction générale (DG) du budget et de l’administration du SEAE (ci-après la « directrice des ressources humaines »), le chef de délégation a indiqué que, depuis le jour de son arrivée dans le pays tiers, le comportement de la requérante avait été un sujet de préoccupation grave et constant. Il a exposé qu’il avait eu un entretien avec celle-ci à la suite d’un premier incident et qu’il souhaitait s’entretenir de nouveau avec elle à la suite d’un deuxième incident. Il a ajouté qu’il se sentait tenu de proposer la résiliation du contrat de la requérante et que, dans l’attente d’une décision du siège, il était d’avis que celle-ci devait être immédiatement rapatriée à Bruxelles.

8        Le 23 novembre 2018, la requérante a quitté la délégation dans le cadre d’un congé.

9        Le 29 novembre 2018, le chef de délégation s’est entretenu avec la requérante à Bruxelles, en présence du président du comité du personnel et du chef du service du SEAE compétent pour le pays tiers concerné.

10      Le 3 décembre 2018, la requérante a été contrainte de quitter le pays tiers et réaffectée au siège du SEAE à Bruxelles, dans le cadre du régime d’évacuation partielle auquel la délégation était soumise, pour des raisons de sécurité, depuis le mois de juin 2017. À partir de cette date, elle a travaillé à distance pour la délégation depuis les locaux du service du SEAE compétent pour le pays tiers.

11      Dans une note du 4 décembre 2018 adressée à la requérante et intitulée « Notre entretien du 29 novembre 2018 », le chef de délégation a dressé un compte-rendu de cet entretien. Il a considéré que, en dépit de l’entretien du 17 octobre 2018, la situation s’était dégradée, ainsi qu’en témoignaient une série d’incidents. Il a précisé que l’incident le plus grave était le conflit que la requérante avait eu avec ses collègues en ce qui concernait une publication sur le site Internet de la délégation. À cette occasion, la requérante aurait ignoré sa demande ainsi que celle du chef de section de retirer cette publication. Il a qualifié ces faits de non-respect de l’obligation de la requérante de se conformer aux instructions écrites de sa hiérarchie. Il a fait référence à un autre incident au cours duquel la requérante avait publiquement accusé son chef de section de favoritisme à l’occasion d’un appel d’offres. Il a souligné que la requérante n’échangeait plus avec nombre de ses collègues et avait perdu la confiance de sa hiérarchie. Il a indiqué que ces problèmes internes pouvaient avoir des répercussions en termes de sécurité, étant donné la sensibilité culturelle extrême dans le pays tiers concerné et l’exposition au risque de la délégation. Il a conclu en exposant que la requérante était une collègue expérimentée et compétente, mais qu’elle n’avait pas conscience des graves conséquences de son attitude dans les relations interpersonnelles et hiérarchiques.

12      Le 14 janvier 2019, le chef de délégation, en sa qualité d’évaluateur, s’est entretenu avec la requérante aux fins de l’établissement de son rapport de stage.

13      Le 17 janvier 2019, la requérante a soumis une demande d’assistance en vertu de l’article 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »). Dans cette demande, elle a indiqué avoir été victime de harcèlement moral de la part de supérieurs hiérarchiques et de collègues.

14      Le 21 janvier 2019, le chef de délégation, en sa qualité d’évaluateur, a établi le rapport de stage de la requérante (ci-après le « rapport de stage »). Dans ce rapport, il a porté une appréciation sur le rendement, les compétences et la conduite de la requérante.

15      S’agissant du rendement de la requérante, le chef de délégation a indiqué que celle-ci s’était montrée expérimentée, énergique et engagée. Cependant, quasiment depuis le premier jour de sa présence à la délégation, la requérante aurait eu des relations professionnelles difficiles avec un certain nombre de ses collègues, à la fois agents locaux et expatriés, dont elle aurait mis en cause la capacité à exercer leurs responsabilités et, s’agissant des agents locaux, la légitimité de leur salaire. Cette attitude conflictuelle se serait rapidement étendue à sa hiérarchie. Un incident l’aurait opposée à un partenaire du pays tiers et un autre incident à l’équipe chargée de la sécurité lors d’un déplacement à l’extérieur de l’enceinte de la délégation (ci-après le « déplacement du 22 novembre 2018 »). Étant donné la gravité de cette situation, susceptible d’avoir des répercussions en termes de sécurité, un dialogue aurait été mené à deux reprises avec la requérante (rapport de stage, section 6.1).

16      S’agissant des compétences de la requérante, le chef de délégation a estimé que celle-ci avait une bonne expérience dans le domaine des médias et de la communication. Toutefois, dans le contexte du pays tiers concerné, l’aptitude de celle-ci à fournir des résultats concrets serait sérieusement limitée par son incapacité à entretenir des relations de travail respectueuses et constructives avec la plupart de ses collègues. Ses capacités techniques ne seraient pas contestées, mais une série d’incidents aurait démontré que son attitude et son incapacité à observer la courtoisie minimale exigée dans une mission diplomatique à l’égard des interlocuteurs internes et externes constituaient un obstacle majeur à la correcte exécution de ses tâches (rapport de stage, section 6.2).

17      S’agissant de la conduite de la requérante, le chef de délégation a considéré qu’il s’agissait du problème le plus aigu. Il ne se serait écoulé pratiquement pas un jour sans un incident, mineur ou majeur, déclenché par l’agressivité de la requérante envers son environnement professionnel. Dans un contexte de risque élevé, cette conduite aurait des conséquences évidentes et directes sur le plan de la sécurité pour cet agent et potentiellement pour la délégation. Les tentatives pour aborder ces problèmes auraient été ignorées de façon abrupte par la requérante. Il en résulterait que celle-ci n’entretenait plus de relations de travail fluides, voire plus de relations du tout, avec la plupart de ses collègues et qu’elle avait perdu la confiance de sa hiérarchie (rapport de stage, section 6.3).

18      Le chef de délégation en a conclu que, en dépit de ses compétences techniques, la requérante n’était pas apte à exercer ses missions dans la délégation et a recommandé la résiliation de son contrat avant la fin de la période de stage (rapport de stage, section 6.6).

19      Le 23 janvier 2019, la directrice des ressources humaines, en sa qualité de validateur, a confirmé le rapport de stage.

20      Le 4 février 2019, la requérante a présenté ses commentaires sur le rapport de stage.

21      Le 21 février 2019, le comité des rapports, après avoir entendu la requérante, a rendu un avis favorable à la proposition de résilier le contrat de celle-ci.

22      Par une note du 6 mars 2019 (ci-après la « décision attaquée »), mentionnant comme objet « licenciement avant la fin de la période de stage », la directrice des ressources humaines, en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC »), après avoir entendu la requérante, a informé cette dernière de sa décision de mettre fin à son contrat en application de l’article 84, paragraphe 2, du RAA.

23      La décision attaquée contient notamment le passage suivant :

« Durant la période de stage, vous avez démontré votre engagement pour votre travail, mais votre conduite inappropriée a causé des incidents graves, a entravé votre capacité à correctement exercer vos missions et a eu des conséquences négatives sur le fonctionnement de la délégation. Par ailleurs, le rapport de stage souligne que vous avez refusé de vous conformer aux instructions de votre hiérarchie et que vous avez donc perdu la confiance de vos supérieurs. Je note également que, malgré les discussions avec le chef de délégation qui se sont déroulées le 17 octobre et le 29 novembre [2018] et en dépit des avertissements de votre hiérarchie, vous n’avez pas modifié votre comportement et, dès lors, vos prestations, rendement et aptitude à exercer vos fonctions n’ont pas été satisfaisants. »

24      Le contrat d’engagement de la requérante a pris fin le 5 avril 2019.

25      Le 8 mai 2019, la directrice des ressources humaines a rejeté la demande d’assistance présentée par la requérante (voir point 13 ci-dessus).

26      Le 5 juin 2019, la requérante a introduit une réclamation à l’encontre de la décision attaquée, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

27      Le 8 août 2019, la requérante a introduit une réclamation à l’encontre de la décision du 8 mai 2019 portant rejet de sa demande d’assistance.

28      Par une décision du 7 octobre 2019 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »), le directeur général de la DG du budget et de l’administration du SEAE (ci-après le « directeur général »), agissant en qualité d’AHCC, a rejeté la réclamation introduite le 5 juin 2019, y compris s’agissant de la demande de réparation d’un dommage matériel et moral présentée par la requérante.

29      Le directeur général a souligné que la conduite de la requérante était en contradiction avec les compétences attendues d’un agent chargé des fonctions de responsable « Presse et information ». Il a exposé que ces fonctions comprenaient notamment les relations avec les médias et d’autres activités externes de communication, y compris la mise à jour du site Internet de la délégation. Il a souligné que la position de la requérante induisait une visibilité importante envers le public. Il a indiqué que, pour remplir de telles fonctions, il était nécessaire que l’agent concerné possède les compétences comportementales adéquates dans les domaines des relations publiques, de la diplomatie et de la communication, en tenant compte des préoccupations liées à la sécurité dans le pays tiers (décision de rejet de la réclamation, p. 7 et 8).

30      Le directeur général a considéré que la conduite inappropriée de la requérante, conduisant à une inaptitude manifeste, s’était manifestée à l’occasion de plusieurs incidents graves, relatifs notamment à la situation des agents locaux de la section politique, à la publication d’un entretien sur le site Internet de la délégation et à la participation à une réunion avec la responsable d’une chaîne de télévision locale, et avait entraîné des relations professionnelles tendues avec ses collègues et des interlocuteurs externes de la délégation (décision de rejet de la réclamation, p. 8 à 11).

31      Le directeur général a précisé que la conduite inappropriée de la requérante était constitutive d’un refus d’obéir aux instructions de sa hiérarchie, notamment s’agissant du refus de retirer une publication du site Internet de la délégation (décision de rejet de la réclamation, p. 11 et 12). Il a indiqué que cette conduite, telle qu’elle s’était notamment manifestée à l’égard d’interlocuteurs externes de la délégation, était susceptible d’avoir un impact sur l’image de celle-ci (décision de rejet de la réclamation, p. 12 et 13). Il a ajouté que les considérations du rapport de stage relatives aux préoccupations de sécurité suscitées par l’attitude de la requérante n’étaient entachées d’aucune erreur manifeste d’appréciation (décision de rejet de la réclamation, p. 15).

32      Le 5 décembre 2019, le directeur général a rejeté la réclamation de la requérante contre la décision du 8 mai 2019 portant rejet de sa demande d’assistance. La requérante n’a pas introduit de recours devant le Tribunal contre cette dernière décision.

II.    Procédure et conclusions des parties

33      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 janvier 2020, la requérante a introduit le présent recours.

34      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 février 2020, la requérante a demandé que l’anonymat lui soit accordé en application de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 10 mars 2020, le Tribunal a fait droit à cette demande.

35      En l’absence de demande en ce sens formulée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, décidé de statuer sans phase orale de la procédure.

36      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le SEAE à lui payer la somme de 449 397,05 euros, en réparation du préjudice matériel subi, et celle de 20 000 euros, en réparation du préjudice moral subi, toutes deux assorties des intérêts au taux légal jusqu’au jour du paiement intégral ;

–        condamner le SEAE aux dépens.

37      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A.      Sur les conclusions en annulation

38      Au soutien de sa demande en annulation, la requérante invoque trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 84 du RAA, le deuxième, d’un défaut de motivation adéquate et d’une erreur manifeste d’appréciation et, le troisième, d’un détournement de pouvoir.

1.      Sur l’objet des conclusions en annulation

39      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la réclamation administrative, visée à l’article 90, paragraphe 2, du statut, et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, un recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, points 7 et 8), sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée (arrêt du 25 octobre 2006, Staboli/Commission, T‑281/04, EU:T:2006:334, point 26).

40      En l’espèce, la décision de rejet de la réclamation ne fait pour l’essentiel que confirmer la décision attaquée et répondre aux critiques de la requérante en précisant sur certains points la motivation de cette dernière décision. Dans ces conditions, les conclusions en annulation doivent être regardées comme dirigées contre la décision attaquée uniquement, dont la légalité doit toutefois être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, qui est censée coïncider avec celle de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2009, Commission/Birkhoff, T‑377/08 P, EU:T:2009:485, points 55 et 59 et jurisprudence citée).

2.      Surles griefs présentés dans le cadre des deux premiers moyens, tirés d’une insuffisance de motivation, et sur la demande tendant à ce que le Tribunal écarte certaines pièces produites par le SEAE

41      Dans le cadre des premier et deuxième moyens, la requérante conteste, à certains égards, le caractère suffisamment motivé de la décision attaquée et demande au Tribunal de rejeter certaines pièces produites par le SEAE au stade du mémoire en défense. Premièrement, elle expose que, s’agissant de l’incident au cours duquel elle aurait remis en cause le niveau des prestations et le salaire des agents locaux de la section politique, l’AHCC ne fournit pas d’explication sur la manière dont cet incident aurait entravé son travail ou son intégration dans la délégation. Deuxièmement, elle estime qu’elle n’a jamais reçu d’explication en ce qui concerne la mention, figurant dans le rapport de stage, selon laquelle elle aurait remis en cause de façon conflictuelle, tant par écrit qu’oralement, la capacité des expatriés à assumer leurs fonctions. Troisièmement, la requérante fait valoir, dans la réplique, que l’administration ne peut pas compléter la motivation de l’acte attaqué après la décision de rejet de la réclamation. Elle indique s’opposer, pour cette raison, à ce que certains éléments de preuve soient soumis au stade du mémoire en défense et demande qu’ils soient écartés par le Tribunal.

42      Il convient de répondre d’emblée à cette argumentation, contestée par le SEAE.

43      L’obligation de motivation des actes des institutions de l’Union européenne prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 1er mars 2017, Silvan/Commission, T‑698/15 P, non publié, EU:T:2017:131, point 17 et jurisprudence citée). La motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 29 et jurisprudence citée).

44      En l’espèce, la décision attaquée, dont les termes ont été en partie rappelés au point 23 ci-dessus, mentionne clairement la base légale sur laquelle elle se fonde, à savoir l’article 84, paragraphe 2, du RAA. Elle indique le motif du licenciement, à savoir la conduite inappropriée de la requérante et ses conséquences. Elle précise notamment que cette conduite a entraîné des incidents graves, que la requérante a refusé de se conformer aux instructions de sa hiérarchie et qu’elle n’a pas modifié son comportement en dépit des avertissements reçus.

45      Par ailleurs, la décision attaquée a été adoptée dans un contexte connu de la requérante. Les documents dont elle disposait à la date de cette décision, en particulier le rapport de stage, mais aussi les notes du chef de délégation des 19 octobre et 4 décembre 2018, comportent de multiples précisions sur les circonstances factuelles sur lesquelles l’administration s’est fondée pour adopter ladite décision.

46      En outre, dans la décision de rejet de la réclamation, dont la motivation doit être prise en compte pour apprécier si la décision attaquée est suffisamment motivée, ainsi qu’il a été rappelé au point 40 ci-dessus, l’AHCC a suffisamment exposé, en réponse à l’argumentation de la requérante, en quoi la conduite inappropriée de celle-ci permettait de conclure à une inaptitude manifeste au sens de l’article 84, paragraphe 2, du RAA.

47      La décision attaquée est donc suffisamment motivée.

48      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation présentée par la requérante.

49      En effet, premièrement, en ce qui concerne l’incident au cours duquel la requérante aurait remis en cause le niveau de rémunération des agents locaux de la section politique et la capacité de ceux-ci à exercer leurs fonctions, l’AHCC a exposé, dans la décision de rejet de la réclamation, les circonstances factuelles pertinentes. Elle a fait référence à certains propos ainsi qu’au courriel du 13 octobre 2018, dont elle a reproduit le contenu. Elle a exposé comment, compte tenu du fait que la requérante n’était pas compétente pour intervenir en ce qui concerne le niveau de rémunération des agents locaux, ce courriel avait créé des tensions avec le personnel de la section politique et nui à son intégration au sein de la délégation (décision de rejet de la réclamation, p. 8 et 9). Les circonstances de cet incident, qui a fait l’objet de l’entretien du 17 octobre 2018 et de la note du chef de délégation du 19 octobre suivant, étaient connues de la requérante à la date de la décision attaquée. Ainsi, dans ses observations sur le rapport de stage, la requérante s’est expliquée sur les propos qu’elle avait tenus lors de la réunion au cours de laquelle lesdits agents locaux avaient revendiqué une augmentation de salaire ainsi que sur le courriel du 13 octobre 2018 (rapport de stage, p. 7).

50      Deuxièmement, en ce qui concerne les relations globales de la requérante avec les agents locaux et les expatriés, l’AHCC a explicité, dans la décision de rejet de la réclamation, de quelle manière la conduite inappropriée de la requérante avait dégradé lesdites relations, en mentionnant plusieurs incidents l’ayant opposée soit aux agents locaux, soit aux expatriés, tels que, s’agissant de ces derniers, l’incident relatif à la publication d’un entretien sur le site Internet de la délégation et l’accusation de favoritisme adressée à son chef de section. Les circonstances de ces incidents étaient également connues de la requérante à la date de la décision attaquée, ainsi qu’en témoigne la note du chef de délégation du 4 décembre 2018. La requérante s’est d’ailleurs expliquée en détail sur lesdits incidents dans ses observations sur le rapport de stage (rapport de stage, p. 8 et 11).

51      Troisièmement, la requérante fait valoir, dans la réplique, que l’administration ne peut pas compléter la motivation de l’acte attaqué après la décision de rejet de la réclamation. Pour cette raison, elle demande que les preuves soumises par le SEAE au stade du mémoire en défense, à savoir les annexes B3, B4 et B6 à B12, qui correspondent notamment à des déclarations de certains de ses collègues, soient écartées par le Tribunal.

52      À cet égard, il convient de rappeler que, en cas non pas d’absence, mais d’insuffisance de motivation de la décision attaquée, des explications données en cours de procédure juridictionnelle peuvent, dans des hypothèses exceptionnelles, remédier à cette insuffisance, de sorte que le moyen tiré de cette dernière ne justifie plus l’annulation de la décision en cause (voir arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 52 et jurisprudence citée).

53      En l’espèce, pour les raisons exposées aux points 44 à 50 ci-dessus, la décision attaquée est suffisamment motivée, sans qu’il soit besoin, pour apprécier si l’administration a respecté l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, de tenir compte des pièces produites pour la première fois par le SEAE au cours de la procédure devant le Tribunal.

54      Par ailleurs, en vertu de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure, les preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires.

55      À cet égard, la jurisprudence rappelée au point 52 ci-dessus, relative à l’appréciation par le Tribunal du caractère suffisamment motivé de la décision attaquée, ne fait pas obstacle à ce que le SEAE présente des pièces, y compris nouvelles pour la requérante, au stade du mémoire en défense, ni d’ailleurs à ce que le Tribunal en tienne compte pour apprécier la réalité des faits contestés par la requérante dans le cadre du présent recours.

56      La demande de la requérante tendant à ce que le Tribunal rejette les annexes du mémoire en défense B3, B4 et B6 à B12 doit donc être rejetée.

57      Il résulte de ce qui précède que le grief de la requérante relatif au caractère insuffisamment motivé de la décision attaquée et sa demande que soient écartées certaines pièces produites au stade du mémoire en défense doivent être rejetés.

3.      Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 84 du RAA

58      Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 84, paragraphe 2, du RAA et comporte deux branches. La requérante soutient en substance, par la première branche, que l’AHCC a erronément fondé la décision attaquée sur sa conduite prétendument inappropriée et, par la seconde branche, que l’AHCC n’a pas démontré l’existence d’une « inaptitude manifeste » au sens de ladite disposition.

a)      Sur la première branche, relative à la possibilité de justifier un licenciement avant la fin de la période de stage par la conduite du stagiaire

59      En premier lieu, la requérante soutient que, si, dans le cadre des dispositions de l’article 84, paragraphe 3, du RAA, relatives au licenciement à l’expiration de la période de stage, l’AHCC peut constater une inaptitude au regard du travail ou de la conduite du stagiaire, en revanche, dans le cadre des dispositions de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, relatives au licenciement avant l’expiration de cette période, le constat d’inaptitude ne peut être fondé que sur le seul travail de l’intéressé, c’est-à-dire sa capacité à remplir ses fonctions et son efficacité dans le service, à l’exclusion de sa conduite. Or, en l’espèce, la principale préoccupation du chef de délégation aurait été la conduite prétendument inappropriée de la requérante, tandis que le travail de celle-ci n’aurait pas posé problème.

60      En second lieu, la requérante fait valoir que le lien que la décision de rejet de la réclamation tente d’établir entre sa conduite prétendument inappropriée et son travail est dépourvu de fondement et artificiel.

61      En ce qui concerne les relations professionnelles tendues avec ses collègues et ses interlocuteurs externes, la décision de rejet de la réclamation mentionnerait trois exemples. S’agissant du premier exemple, à savoir les critiques relatives à la qualité des prestations et au salaire des agents locaux de la section politique, la requérante estime que l’AHCC ne fournit pas de preuve quant à la manière dont sa conduite aurait entravé son travail ou son intégration dans la délégation. S’agissant du deuxième exemple, relatif à un entretien publié sur le site Internet de la délégation, elle expose que l’AHCC a seulement considéré qu’elle avait ignoré les instructions du chef de délégation. S’agissant du troisième exemple, relatif à sa participation à une réunion avec la responsable d’une chaîne de télévision locale, elle estime que l’affirmation selon laquelle sa conduite entravait sa capacité à exercer ses missions est dépourvue de fondement. S’agissant des autres éléments invoqués par l’AHCC pour démontrer que sa conduite prétendument inappropriée aurait rendu son travail inadéquat, la requérante conteste avoir formulé une accusation de favoritisme à l’encontre du chef de section.

62      En ce qui concerne le prétendu impact négatif de sa conduite sur la réputation de la délégation, la requérante considère cette allégation comme non fondée. En réalité, s’agissant de la réunion avec la responsable d’une chaîne de télévision locale, sa conduite non seulement aurait été irréprochable, mais en outre n’aurait pu avoir aucun impact sur l’image de la délégation, étant donné que ladite responsable connaissait bien le chef de délégation et le chef de section.

63      Enfin, la requérante fait valoir que son travail ne posait pas de problème. Elle aurait continué à exercer sa mission après avoir été transférée à Bruxelles et aurait organisé des points presse pour le chef de délégation et l’envoyé spécial de l’Union dans le courant du mois de janvier 2019. Elle aurait effectué de nombreuses publications sur les réseaux sociaux et organisé une opération de sensibilisation du public lors de la visite du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité dans le courant du mois de mars 2019.

64      La requérante en conclut que l’AHCC a violé l’article 84, paragraphe 2, du RAA en ce qu’elle a fondé la décision attaquée sur sa conduite prétendument inappropriée alors qu’elle aurait dû la fonder sur le caractère inadapté de son travail.

65      Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

66      En premier lieu, par la première branche du premier moyen, la requérante reproche en substance à l’AHCC d’avoir commis une erreur de droit en se fondant sur sa conduite pour adopter la décision attaquée.

67      À cet égard, il convient de relever que, pour constater l’« inaptitude manifeste » de la requérante au sens de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, l’AHCC s’est effectivement fondée, ainsi que la requérante le soutient, sur la conduite de celle-ci, en particulier à l’égard de sa hiérarchie, de ses collègues et d’interlocuteurs externes. Il résulte en effet des termes de la décision attaquée, rappelés en partie au point 23 ci-dessus, que c’est la conduite inappropriée de la requérante ainsi que ses conséquences qui ont amené l’AHCC a décider de résilier son contrat avant l’expiration de la période de stage.

68      Toutefois, ce faisant, le SEAE n’a pas commis l’erreur de droit que lui reproche la requérante.

69      L’article 84, paragraphe 2, du RAA dispose : 

« En cas d’inaptitude manifeste de l’agent contractuel, un rapport peut être établi à tout moment avant la fin du stage.

[…] Sur la base de ce rapport, l’autorité visée à l’article 6, premier alinéa, [du RAA] peut décider de licencier l’agent contractuel avant l’expiration de la période de stage, moyennant un préavis d’un mois, ou de l’affecter à un autre service pour le reste du stage. »

70      Or, l’administration est en droit de recourir à la résiliation du contrat prévue à l’article 84, paragraphe 2, du RAA lorsque l’examen de la conduite d’un agent permet de conclure que les conditions d’application de cet article sont réunies (arrêt du 7 octobre 2009, Y/Commission, F‑29/08, EU:F:2009:136, point 111).

71      La notion d’aptitude est plus large que celle de rendement et de conduite dans le service, de sorte que, par exemple, la circonstance que des faits soient antérieurs à la date de recrutement d’un agent n’empêche pas nécessairement et en toutes circonstances l’administration de les prendre en compte pour évaluer l’aptitude de cet agent à exercer ses fonctions (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2009, Y/Commission, F‑29/08, EU:F:2009:136, point 86).

72      Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, qui défend une conception erronée de la notion d’inaptitude manifeste au sens de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, l’appréciation par l’administration d’une telle inaptitude ne se limite pas aux capacités techniques, à l’expérience ou à l’engagement de l’agent concerné, mais peut se fonder également sur la conduite de ce dernier, telle qu’elle se manifeste en particulier dans ses relations professionnelles, à l’égard de ses interlocuteurs, de ses collègues et de sa hiérarchie.

73      Cette conclusion n’est nullement remise en cause par le fait que, si les dispositions de l’article 84, paragraphe 3, du RAA, relatives au licenciement à l’expiration de la période de stage, font référence au travail et à la conduite, celles de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, relatives au licenciement au cours de la période de stage, ne mentionnent, dans leur version anglaise, que le travail de l’agent concerné.

74      En effet, toutes les versions linguistiques d’un acte de l’Union doivent, par principe, se voir reconnaître la même valeur. Afin de préserver l’unité d’interprétation du droit de l’Union, il importe dès lors, en cas de divergences entre ces versions, d’interpréter la disposition concernée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir arrêt du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 49 et jurisprudence citée).

75      Ainsi, la formulation utilisée dans une ou plusieurs des versions linguistiques d’un acte ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cet acte ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait en effet incompatible avec l’exigence d’uniformité d’application du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 50 et jurisprudence citée).

76      Or, si la version anglaise de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, notamment, mentionne le travail du stagiaire (if his work is proving obviously inadequate), il n’en va pas de même d’autres versions linguistiques de cet article, notamment les versions française (en cas d’inaptitude manifeste), italienne (in caso di manifesta inidoneità) et espagnole (en caso de ineptitud manifiesta).

77      En tout état de cause, même dans la version anglaise, le terme « work » est suffisamment large pour inclure la conduite du stagiaire dans l’appréciation du caractère adéquat de son travail.

78      Ainsi, il convient de constater que le libellé de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, comparativement à celui de l’article 84, paragraphe 3, du RAA, met l’accent sur le caractère manifeste de l’inaptitude de l’agent concerné et n’exclut nullement que l’examen de la conduite de cet agent permette d’aboutir à un tel constat.

79      Par ailleurs, comme le souligne le SEAE, il résulte d’une jurisprudence constante qu’un stage a pour fonction de permettre à l’administration de porter un jugement concret sur les aptitudes du stagiaire à s’acquitter des tâches que comporte la fonction en cause ainsi que sur son rendement et sa conduite dans le service (voir arrêt du 9 juillet 2009, Notarnicola/Cour des comptes, F‑85/08, EU:F:2009:94, point 69 et jurisprudence citée).

80      Par suite, la possibilité pour l’AHCC de se fonder sur la conduite du stagiaire pour constater une inaptitude manifeste au sens de l’article 84, paragraphe 2, du RAA est confirmée par la finalité de la réglementation relative à la période de stage, laquelle a notamment pour fonction de permettre à l’administration d’apprécier cette conduite.

81      Il résulte de ce qui précède que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 70 ci-dessus, le SEAE n’a pas méconnu les dispositions de l’article 84, paragraphe 2, du RAA en se fondant sur la conduite de la requérante à l’égard de sa hiérarchie, de ses collègues et de ses interlocuteurs externes pour conclure à une inaptitude manifeste.

82      En second lieu, dans la mesure où la requérante soutient que la motivation de la décision de rejet de la réclamation est dépourvue de fondement et artificielle s’agissant du lien entre sa conduite inappropriée et le caractère inadapté de son travail, cette argumentation doit être écartée, étant donné qu’elle repose sur la prémisse erronée que la conduite de la requérante à l’égard de sa hiérarchie, de ses collègues et de ses interlocuteurs externes ne ferait pas partie intégrante de l’exercice de ses fonctions.

83      Par ailleurs, pour autant que la requérante conteste la réalité des faits et leur appréciation par l’administration, cette argumentation, largement semblable à celle développée dans la seconde branche du deuxième moyen, peut être examinée dans le cadre de cette dernière et écartée pour les motifs exposés aux points 118 à 154 ci-après.

84      La première branche du premier moyen doit donc être rejetée comme non fondée.

b)      Sur la seconde branche, relative au degré d’inaptitude requis pour justifier un licenciement avant l’expiration de la période de stage

85      La requérante fait valoir que le licenciement avant la fin de la période de stage n’est possible qu’en cas d’inaptitude « manifeste » de l’agent contractuel au regard de son travail. Or, elle estime que ni le chef de délégation ni l’AHCC, dans la décision attaquée, n’ont soutenu que son inaptitude était manifeste. Si l’AHCC l’a soutenu expressément dans la décision de rejet de la réclamation, il se serait agi d’une affirmation purement formelle. La requérante considère que, en ne démontrant pas qu’elle était « manifestement » inapte, l’AHCC aurait violé l’article 84, paragraphe 2, du RAA.

86      Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

87      L’argumentation de la requérante, tirée en substance de ce que l’AHCC aurait commis une erreur de droit en résiliant son contrat de travail sans se fonder sur le caractère manifeste de son inaptitude, doit être écartée.

88      Il ressort en effet des pièces du dossier que, si la décision attaquée elle-même ne mentionne pas expressément que l’inaptitude de la requérante présentait un caractère manifeste, le chef de délégation puis l’AHCC en particulier dans la décision de rejet de la réclamation ont bien considéré que tel était le cas, conformément aux dispositions de l’article 84, paragraphe 2, du RAA.

89      À cet égard, il convient de constater que tant le chef de délégation que l’AHCC ont souligné le caractère évident et grave de l’inaptitude de la requérante à exercer ses fonctions. Déjà dans la note établie par le chef de délégation le 19 octobre 2018, c’est-à-dire moins de trois semaines après l’arrivée de la requérante dans les locaux de la délégation, celui-ci a estimé que le courriel du 13 octobre 2018 constituait une affaire « grave », qu’il était « inacceptable » et avait des conséquences « graves » et que la conduite de la requérante constituait une faute professionnelle « grossière ». Dans sa note du 4 décembre 2018, il a évoqué la dégradation continuelle de la situation, qualifié certains faits de violation « claire et manifeste » des instructions données à la requérante par sa hiérarchie et souligné, à nouveau, les « graves » conséquences de la conduite en cause. Dans le rapport de stage, il a confirmé à deux reprises la gravité de la situation, les relations professionnelles difficiles de la requérante avec nombre de ses collègues constatées « presque dès le premier jour », la multiplicité des incidents et leurs possibles conséquences en termes de sécurité ainsi que l’incapacité de la requérante à observer la courtoisie « minimale » requise dans une mission diplomatique. La décision attaquée, qui fait référence au rapport de stage et aux dispositions pertinentes de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, mentionne la gravité des incidents concernés ainsi que leur impact sur le fonctionnement de la délégation. Quant à la décision de rejet de la réclamation, elle indique expressément à deux reprises que l’inaptitude de la requérante est « manifeste » (p. 8 et 16) et mentionne notamment que le refus de cette dernière de suivre les instructions de sa hiérarchie présente un caractère « flagrant ».

90      La seconde branche du premier moyen doit donc être rejetée comme non fondée, ainsi que, par suite, le premier moyen dans son ensemble.

4.      Sur le deuxième moyen, tiré d’un défaut de motivation adéquate et d’une erreur manifeste d’appréciation

91      Le deuxième moyen comporte deux branches. Par la première, la requérante conteste le contenu du rapport de stage. Par la seconde, elle soutient que la décision attaquée ne repose pas sur des éléments factuels suffisamment caractérisés et objectivement susceptibles d’être considérés comme constitutifs d’une inaptitude manifeste.

a)      Sur la première branche, relative au défaut de motivation adéquate et à l’erreur manifeste d’appréciation entachant le rapport de stage et, par voie de conséquence, la décision attaquée

92      La requérante estime que le rapport de stage est entaché d’un défaut de motivation adéquate et d’une erreur manifeste d’appréciation.

93      En premier lieu, la requérante fait valoir que, dans la section 6.1 du rapport de stage, le chef de délégation n’aborde pour l’essentiel que des aspects de sa conduite, alors que cette section concerne le rendement. De façon similaire, elle considère que, dans la section 6.2 du rapport de stage, le chef de délégation aborde sa conduite, alors que cette section est consacrée aux aptitudes du stagiaire.

94      En second lieu, la requérante estime que, en indiquant, à la section 6.3 du rapport de stage, que, « durant la période de deux mois [de présence à la délégation], quasiment aucune journée ne s’est écoulée sans que ne survienne un incident », le chef de délégation a fait preuve d’incohérence. En effet, tout d’abord, elle soutient que, même dans l’hypothèse où l’existence de tels incidents serait établie, ce qui ne serait pas le cas, seuls quatre (ou cinq tout au plus) seraient survenus sur une période de soixante jours.

95      Par ailleurs, la requérante conteste l’appréciation du chef de délégation, figurant dans la section 6.3 du rapport de stage, selon laquelle sa conduite a mis en cause sa sécurité et celle de la délégation. Premièrement, le courriel du 13 octobre 2018 n’aurait engendré aucun problème de sécurité. Deuxièmement, le chef de délégation se contredirait en prétendant, d’une part, que la conduite de la requérante pourrait avoir des conséquences en matière de sécurité et, d’autre part, que cette conduite aurait effectivement eu de telles conséquences. Troisièmement, l’incident ayant eu lieu à l’occasion du déplacement du 22 novembre 2018 aurait été provoqué par la cheffe de l’administration de la délégation (ci-après la « cheffe de l’administration »). Quatrièmement, la considération relative à l’agressivité de la requérante serait inexacte, alors que celle-ci se serait adaptée à des conditions difficiles.

96      Enfin, la requérante fait valoir que, contrairement à ce qui est mentionné dans cette même section du rapport de stage, elle a conservé la confiance de ses supérieurs, étant donné qu’elle a continué à effectuer ses tâches quotidiennes et que le chef de délégation l’a sollicitée afin qu’elle procède à des publications sur les réseaux sociaux.

97      La requérante en conclut que, dans la mesure où, par la décision attaquée, l’AHCC a approuvé un rapport de stage entaché d’un défaut de motivation adéquate et d’une erreur manifeste d’appréciation, la décision attaquée est elle-même entachée desdites irrégularités.

98      Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

99      À titre liminaire, il convient de relever qu’il résulte des termes de l’article 84, paragraphe 2, du RAA que l’administration est tenue d’établir un rapport lorsqu’elle envisage de procéder au licenciement d’un agent contractuel avant l’expiration de la période de stage.

100    En l’espèce, il y a lieu de constater que le rapport de stage mentionne l’objectif général de l’emploi occupé par la requérante ainsi que les fonctions et les responsabilités associées à cet emploi. Il comporte une appréciation du rendement, des compétences et de la conduite de la requérante ainsi qu’un commentaire général. Finalement, il se conclut par une proposition de licenciement avant l’expiration de la période de stage.

101    En premier lieu, la requérante fait valoir que le rapport de stage aborde à tort les aspects de sa conduite dans la section 6.1, intitulée « Rendement », ainsi que dans la section 6.2, intitulée « Capacités (compétences) ».

102    Cette argumentation doit être écartée.

103    En effet, le rapport de stage comporte, à la section 6.1, conformément à l’intitulé de cette section, une appréciation du rendement de la requérante, y compris dans ses aspects positifs, puisqu’il indique que, depuis son arrivée à la délégation, la requérante s’était révélée expérimentée, énergique et avait fait preuve d’engagement. Par ailleurs, la seule circonstance que cette section évoque également les difficultés relationnelles de la requérante, son attitude conflictuelle ainsi que l’existence d’incidents susceptibles d’avoir des conséquences en matière de sécurité ne permet pas de considérer que le rapport de stage soit entaché d’un défaut de motivation adéquate ou d’une erreur manifeste d’appréciation, étant donné que la détérioration des relations professionnelles résultant d’une telle attitude peut effectivement avoir un impact sur le rendement de l’agent concerné.

104    De la même façon, il convient de relever que la section 6.2 du rapport de stage comporte, conformément à son intitulé, une appréciation des compétences de la requérante, qui est positive en ce qui concerne, d’une part, son expérience dans le domaine des médias et de la communication et, d’autre part, ses compétences techniques. Par ailleurs, si cette section mentionne l’incapacité de la requérante à entretenir des relations de travail respectueuses et constructives avec la plupart de ses collègues, cette mention n’est pas dépourvue de pertinence, étant donné qu’une telle incapacité va effectivement à l’encontre des compétences attendues, sur le plan de la communication, d’un agent contractuel du SEAE, a fortiori lorsque cet agent exerce les fonctions de responsable « Presse et information ».

105    En second lieu, dans la mesure où la requérante conteste les considérations figurant à la section 6.3 du rapport de stage, intitulée « Aspects de la conduite », il convient de considérer qu’il n’y a pas d’incohérence entre l’appréciation du chef de délégation figurant à cette section, selon laquelle « quasiment aucun jour ne s’est écoulé sans un incident, mineur ou grave », et le fait que, selon la requérante, seulement cinq incidents, qui en réalité n’en constitueraient que quatre, sont listés à la section 6.1 de ce rapport.

106    En effet, l’existence d’un large pouvoir d’appréciation de la part des évaluateurs présuppose que ces derniers n’aient pas l’obligation de faire figurer dans les rapports prévus à l’article 84, paragraphe 2, du RAA tous les éléments de fait et de droit pertinents à l’appui de leur évaluation, ni celle d’examiner et de répondre à tous les points contestés par l’agent concerné (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 10 septembre 2009, van Arum/Parlement, F‑139/07, EU:F:2009:105, point 88, et du 13 décembre 2012, BW/Commission, F‑2/11, EU:F:2012:194, point 43).

107    En outre, il convient de constater que le nombre d’incidents auxquels le rapport de stage fait référence est très élevé au regard de la période de temps limitée au cours de laquelle la requérante a exercé effectivement ses fonctions dans les locaux de la délégation, c’est-à-dire entre le 1er octobre et le 23 novembre 2018. L’appréciation contenue dans le rapport de stage relative au nombre d’incidents est au demeurant corroborée par les déclarations de collègues de la requérante, notamment celles de la cheffe de l’administration, du chef de section et de la conseillère politique, faisant état de plusieurs autres incidents non mentionnés dans ce rapport.

108    Par ailleurs, pour autant que la requérante développe une argumentation tendant à contester le bien-fondé des appréciations contenues dans le rapport de stage s’agissant en particulier des questions de sécurité et du lien de confiance avec ses supérieurs hiérarchiques, cette argumentation, largement redondante avec celle développée dans la seconde branche du présent moyen, peut être examinée dans le cadre de cette dernière et écartée pour les motifs exposés aux points 118 à 154 ci-dessous.

109    La première branche du deuxième moyen doit donc être rejetée comme non fondée.

b)      Sur la seconde branche, relative à l’appréciation des faits susceptibles d’étayer un constat d’inaptitude manifeste

110    La requérante soutient que le constat d’inaptitude manifeste doit présenter un certain caractère d’évidence et s’appuyer sur des éléments factuels suffisamment caractérisés et objectivement susceptibles d’être considérés comme constitutifs d’une telle inaptitude. Elle estime que les faits qui sont invoqués à l’appui de la décision attaquée ne remplissent pas cette condition.

111    En premier lieu, en ce qui concerne le prétendu incident lors duquel elle se serait ouvertement opposée aux agents locaux, tant oralement que par écrit, en ce qui concerne leur capacité à occuper leur emploi et le niveau de leur salaire, la requérante indique que la réunion du 11 octobre 2018 et l’échange de courriels ayant eu lieu le 13 octobre 2018 correspondent à un incident unique et qu’elle n’a pris part à la discussion concernant la rémunération des agents locaux qu’à leur invitation. Elle souligne, au sujet dudit échange de courriels, que l’assistant « Presse et communication » se trouvait dans les locaux de la délégation durant le week-end, en soirée, et avait eu une attitude irrespectueuse et hostile à son égard, de sorte qu’elle avait transmis un rapport d’incident. Elle indique également que cet agent avait fait preuve de négligence dans son travail et que les cinq agents locaux de la section politique manquaient d’efficacité, étaient fréquemment absents et avaient des exigences de salaire déraisonnables.

112    En deuxième lieu, en ce qui concerne le prétendu incident au cours duquel elle aurait contesté les directives de son chef de section, la requérante expose que ce dernier souhaitait signer un contrat avec une association dont la capacité à mener une campagne pour la Journée internationale des droits de l’homme était douteuse. Finalement, la délégation aurait retenu une autre agence, suggérée par la requérante, et la campagne aurait été un tel succès que le chef de section aurait insisté, quelques mois plus tard, pour que cette agence collabore à nouveau avec la délégation. La requérante souligne qu’elle n’a pas contesté les directives du chef de section.

113    En troisième lieu, en ce qui concerne le prétendu incident au cours duquel elle aurait ignoré les instructions écrites du chef de délégation, la requérante expose que ce dernier l’avait chargée de publier un entretien sur le site Internet de la délégation, puis avait changé d’avis au motif que la personne interrogée n’aurait pas souhaité que cet entretien fût publié. Or, non seulement cette publication n’aurait pas posé de problème à cette personne, mais ledit entretien serait resté en ligne après le départ de la requérante de la délégation et aurait été choisi afin d’être publié sur le site Intranet de la DG de la coopération internationale et du développement.

114    En quatrième lieu, en ce qui concerne le prétendu incident ayant opposé la requérante à un partenaire local de la délégation, la requérante indique que ce partenaire était l’association à laquelle le chef de section souhaitait confier la campagne pour la Journée internationale des droits de l’homme, alors même qu’elle n’avait pas la capacité de mener cette campagne. S’agissant des deux incidents avec des partenaires locaux évoqués dans la décision de rejet de la réclamation, la requérante indique que le reproche lié au premier, relatif à des collègues de la DG de la coopération internationale et du développement, est infondé et repose sur une déclaration d’un seul collègue, qui était absent du pays tiers. Quant au second, relatif à la réunion organisée avec la responsable d’une chaîne de télévision locale, la requérante conteste avoir eu un comportement inapproprié à cette occasion.

115    En cinquième et dernier lieu, en ce qui concerne l’incident avec l’équipe chargée de sa sécurité lors du déplacement du 22 novembre 2018, elle n’en serait pas à l’origine et il n’aurait mis en danger ni sa sécurité ni celle de ses collègues.

116    La requérante en conclut que l’AHCC n’a pas fait état d’éléments factuels suffisamment caractérisés et objectivement susceptibles d’être considérés comme constitutifs d’une inaptitude manifeste et que la décision attaquée est par conséquent entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

117    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

118    La décision de ne pas maintenir un agent contractuel dans son emploi en cours de stage ou à l’issue de la période de stage se distingue par nature du licenciement d’un agent ayant été préalablement confirmé dans son emploi sur la base d’un rapport de fin de stage positif. Alors que, dans ce dernier cas, s’impose un examen concentré sur des motifs justifiant de mettre un terme à un rapport d’emploi établi, les décisions relatives au maintien ou non d’un agent dans son emploi en cours de stage ou à l’issue de la période de stage requièrent un examen global portant sur la période de stage et permettant de relever l’existence, ou non, d’un ensemble d’éléments positifs faisant apparaître le maintien en fonction de l’agent comme étant dans l’intérêt du service (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Notarnicola/Cour des comptes, F‑85/08, EU:F:2009:94, points 70 et 71).

119    L’administration dispose d’une grande marge quant à l’appréciation des aptitudes et des prestations d’un agent stagiaire au regard de l’intérêt du service. Il n’appartient donc pas au Tribunal de substituer son appréciation à celle des institutions en ce qui concerne le résultat d’un stage et les aptitudes d’un candidat à la confirmation de son contrat dans le service public de l’Union, son contrôle se limitant à celle de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (arrêts du 9 juillet 2009, Notarnicola/Cour des comptes, F‑85/08, EU:F:2009:94, point 72, et du 7 octobre 2009, Y/Commission, F‑29/08, EU:F:2009:136, point 67).

120    Il convient également de relever que, eu égard à l’emploi du terme « manifeste », le constat d’inaptitude prévu à l’article 84, paragraphe 2, du RAA doit présenter un certain caractère d’évidence. Par ailleurs, ce constat entraîne des conséquences importantes sur la situation de l’agent, puisqu’il permet à l’institution de licencier ce dernier à tout moment pendant le déroulement de son stage (arrêt du 7 octobre 2009, Y/Commission, F‑29/08, EU:F:2009:136, point 70).

121    Par suite, quand une institution adopte une décision de licenciement en application des dispositions de l’article 84, paragraphe 2, du RAA, elle doit se fonder sur des éléments factuels suffisamment caractérisés et objectivement susceptibles d’être considérés comme constitutifs d’une inaptitude manifeste. Il incombe au Tribunal, dans le cadre de son contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et tout en tenant compte de la marge d’appréciation dont dispose l’administration quant à l’évaluation de l’aptitude de l’agent au cours du stage, de s’assurer de la présence de tels éléments (arrêt du 7 octobre 2009, Y/Commission, F‑29/08, EU:F:2009:136, point 71).

122    Il convient donc d’examiner si l’AHCC s’est fondée, en l’espèce, sur des éléments factuels suffisamment caractérisés et objectivement susceptibles d’être considérés comme constitutifs d’une inaptitude manifeste. À cette fin, il convient d’examiner les éléments factuels invoqués par l’AHCC dans la décision attaquée, puis, de façon globale, l’appréciation qu’elle a portée sur l’aptitude de la requérante à exercer ses fonctions.

1)      Sur les éléments factuels sur lesquels l’AHCC s’est fondée pour adopter la décision attaquée

123    Il convient tout d’abord d’examiner, de façon essentiellement chronologique, les principaux éléments factuels venant au soutien de la décision attaquée et contestés par la requérante.

124    En premier lieu, il ressort du courriel du 13 octobre 2018, adressé à 17 h 32 à l’assistant « Presse et communication », que, peu de temps après son arrivée dans le pays tiers, la requérante a remis en cause le niveau de rémunération des agents locaux de la section politique et porté un jugement extrêmement négatif et global sur la compétence de ces agents.

125    La requérante, qui conteste le caractère inapproprié de ce courriel, expose qu’elle avait eu un désaccord avec l’assistant « Presse et communication » et d’autres agents locaux de la section politique lors d’une réunion tenue le 11 octobre 2018 au cours de laquelle elle avait pris part à la discussion sur le niveau de rémunération de ces agents à leur invitation. Elle indique que ledit assistant ne lui transmettait pas les informations nécessaires, qu’il lui avait adressé un courriel de reproches et qu’il avait adopté un comportement agressif à son égard. Elle ajoute qu’elle a transmis un rapport d’incident concernant les questions de sécurité découlant de la présence de cet assistant dans les locaux de la délégation au cours de la soirée du samedi 13 octobre 2018.

126    Toutefois, dès lors que les termes du courriel du 13 octobre 2018 apparaissent gravement déplacés et concernent non seulement l’assistant « Presse et communication », mais un ensemble de cinq agents de la section politique, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que le chef de délégation a considéré, dans sa note du 19 octobre 2018, que le style et le contenu de ce courriel étaient inacceptables et constituaient une faute professionnelle grave. À cet égard, il convient de constater que, comme l’a indiqué le chef de délégation dans cette note, la requérante n’était pas compétente pour intervenir en ce qui concerne le niveau de rémunération des agents locaux et que le jugement porté sur les capacités de ces agents paraît dépourvu de pertinence étant donné son arrivée récente dans la délégation. Par ailleurs, en ce qui concerne l’attitude de l’assistant « Presse et communication » le samedi 13 octobre 2018 entre 17 h 45 et 18 h, le caractère prétendument agressif du comportement de celui-ci ne ressort pas de l’échange de courriels figurant au dossier. En outre, si les règles de sécurité internes prévoyaient que les agents locaux ne devaient pas rester sans surveillance en dehors des heures de travail, la requérante expose elle-même que cet assistant devait participer ce soir-là à un événement social à la résidence du chef de délégation, ce qui est susceptible d’expliquer sa présence dans les locaux de la délégation.

127    En outre, il est établi à suffisance que l’attitude inappropriée de la requérante à l’égard des agents locaux de la section politique, telle qu’elle s’est notamment manifestée à l’occasion du courriel du 13 octobre 2018, a fortement dégradé ses relations avec ses collègues de cette section et entravé sa capacité à exercer ses fonctions de façon satisfaisante. Cette dégradation des relations est corroborée, s’agissant des agents locaux, par le fait que la requérante a demandé à l’assistant « Presse et communication » de transmettre à ses collègues le message selon lequel « rester assis » ne serait plus toléré. Ladite dégradation a d’ailleurs été confirmée par le chef de section et la conseillère politique dans leurs déclarations produites devant le Tribunal.

128    Il convient en outre de constater que l’envoi d’un tel courriel est en contradiction manifeste avec les compétences en matière de communication attendues de la responsable « Presse et information » de la délégation et que, lors de l’entretien du 17 octobre 2018, la requérante ne semble pas avoir pris conscience de la gravité de cet incident, ainsi qu’il ressort de la note que le chef de délégation lui a adressée le 19 octobre suivant.

129    En deuxième lieu, il est également démontré à suffisance que la requérante a fait preuve d’une conduite inappropriée à l’occasion d’un séminaire intitulé « Autonomisation économique des femmes », organisé par la DG de la coopération internationale et du développement le 24 octobre 2018, c’est-à-dire quelques jours après l’entretien du 17 octobre 2018. Il ressort d’un échange de courriels retranscrit dans la décision de rejet de la réclamation que, le 26 octobre 2018, le chef d’équipe de la section « Opérations de coopération » de cette direction générale a fait part à la requérante d’objections à la publication sur le site Internet de la délégation d’un entretien avec une représentante de l’administration du pays tiers réalisé au cours de ce séminaire et a sollicité le retrait temporaire de cette publication pour en assurer une relecture. Il ressort également de cet échange de courriels que ce chef d’équipe a indiqué que l’organisation par la requérante d’entretiens au cours dudit séminaire avait perturbé le déroulement de ce dernier et nécessité de présenter des excuses auprès d’interlocuteurs du pays tiers. Il est par ailleurs établi que, en dépit des instructions du chef de section puis de celles du chef de délégation, la requérante a refusé de procéder au retrait temporaire de ladite publication.

130    La requérante fait valoir que le chef de délégation lui avait d’abord demandé de publier cet entretien avant de changer d’avis au motif que cette publication pourrait poser des difficultés à la représentante de l’administration du pays tiers concernée. Elle indique que cette publication non seulement ne causait pas de difficulté à cette dernière, mais est en outre demeurée en ligne après son départ du pays tiers et a été choisie par la DG de la coopération et du développement en vue d’une publication sur le site Intranet de cette direction générale.

131    Toutefois, le chef de délégation a pu valablement considérer, dans sa note adressée à la requérante le 4 décembre 2019, que le refus de celle-ci de retirer la publication en cause du site Internet de la délégation constituait une violation claire et manifeste de son devoir de se conformer aux instructions écrites de sa hiérarchie. En dépit de la circonstance que le chef de délégation aurait dans un premier temps validé cette publication, ce qui n’est d’ailleurs pas corroboré par les termes de la note de la requérante du 20 décembre 2018 (« [p]ensant que cela était convenu et que j’avais discrétion pour publier »), et même à supposer que cette publication soit demeurée en ligne après le départ de la requérante du pays tiers, il est démontré que, après que des objections avaient été émises à ladite publication, la requérante a méconnu les instructions de son supérieur hiérarchique direct et du chef de délégation.

132    Par ailleurs, il ressort de la décision de rejet de la réclamation que cet incident a encore détérioré les relations professionnelles de la requérante avec ses collègues. À cet égard, l’échange de courriels du 26 octobre 2018 ainsi que les déclarations du chef d’équipe et d’une chargée de mission de la section « Opérations de coopération » de la DG de la coopération internationale et du développement, lesquels étaient présents respectivement lors de l’introduction et des différentes phases du séminaire sur l’autonomisation économique des femmes, constituent des indices concordants du comportement inadapté de la requérante et des relations difficiles de celle-ci avec les agents de cette direction générale ainsi qu’avec des interlocuteurs externes, notamment une consultante du pays tiers.

133    En troisième lieu, il ressort de la décision de rejet de la réclamation que, lors d’une réunion organisée par le chef de section avec la responsable d’une chaîne de télévision locale, la requérante a empêché à plusieurs reprises cette dernière de présenter son projet et a quitté abruptement la salle de réunion.

134    La requérante expose que ce prétendu incident concerne un appel d’offres pour une campagne d’information à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme du 10 décembre 2018. Elle indique que le chef de section souhaitait que la chaîne de télévision concernée soit déclarée attributaire du contrat, alors que cette chaîne n’était pas en mesure de mener une telle campagne.

135    À cet égard, il convient de souligner que la requérante était chargée de surveiller le budget de la section politique, mais n’était en revanche pas compétente pour décider d’attribuer le contrat en question. De plus, si la requérante conteste le caractère inapproprié de sa conduite lors de la réunion organisée avec la responsable de cette chaîne de télévision, ses allégations sont contredites par la présentation suffisamment précise des faits figurant dans la décision de rejet de la réclamation, qui est d’ailleurs confirmée par la déclaration du chef de section produite devant le Tribunal. Il ressort au surplus des commentaires de la requérante sur le rapport de stage qu’elle était radicalement opposée à l’attribution du contrat à ladite chaîne de télévision et avait une opinion très critique à l’égard de la présentation que la responsable de cette chaîne avait réalisée lors de la réunion.

136    Le déroulement de cette réunion avec la responsable d’une chaîne de télévision locale corrobore ainsi l’attitude parfois agressive de la requérante. Dans la mesure où ladite réunion impliquait un interlocuteur externe, elle a pu avoir un impact négatif sur l’image de la délégation, même si cet interlocuteur connaissait le chef de délégation et le chef de section.

137    En quatrième lieu, il ressort de la décision de rejet de la réclamation que la requérante a publiquement accusé le chef de section de favoritisme. Il ressort notamment de la note adressée le 4 décembre 2018 par le chef de délégation à la requérante et des commentaires de celle-ci sur le rapport de stage que cet incident, survenu lors d’un déjeuner le 11 novembre 2018, concerne également l’appel d’offres organisé en vue de la campagne d’information pour la Journée internationale des droits de l’homme du 10 décembre 2018.

138    Si la requérante conteste avoir accusé le chef de section de favoritisme, la réalité des accusations en cause n’en demeure pas moins suffisamment établie. En particulier, les considérations figurant dans la décision de rejet de la réclamation ne sont pas remises en cause par les commentaires de la requérante sur le rapport de stage, selon lesquels, lors d’un déjeuner organisé dans un lieu auquel ont accès le personnel et les visiteurs occasionnels, elle a affirmé « en termes clairs » qu’une seule agence était en mesure de mener cette campagne et « insisté » sur le fait qu’il s’agirait de « mauvaise gestion » si le contrat relatif à celle-ci était attribué à la chaîne de télévision concernée. En outre, les considérations figurant dans la décision de rejet de la réclamation sont corroborées par les déclarations du chef de section et de la cheffe de l’administration produites devant le Tribunal, lesquelles confirment la nature et les circonstances des accusations exprimées par la requérante.

139    Comme l’a souligné en substance l’AHCC dans la décision de rejet de la réclamation, cet incident tend ainsi à confirmer le caractère inapproprié de la conduite de la requérante ainsi que l’existence de relations conflictuelles avec son entourage professionnel.

140    En cinquième et dernier lieu, il ressort notamment du rapport de stage que, à l’occasion du déplacement du 22 novembre 2018, un incident a opposé la requérante à l’équipe chargée de la sécurité. À cet égard, il est constant que, alors que la requérante devait participer à une réunion avec un représentant d’une organisation internationale à l’extérieur de l’enceinte de la délégation, l’équipe de sécurité lui a demandé de changer ses vêtements pour se conformer aux règles en vigueur.

141    La requérante soutient que la cheffe de l’administration est responsable de l’incident survenu lors du déplacement du 22 novembre 2018 approuvé par l’officier de sécurité régional compétent. Alors qu’elle était assise dans la voiture sécurisée, l’agent de sécurité aurait refusé de la conduire à son lieu de rendez-vous et la cheffe de l’administration lui aurait enjoint de quitter le véhicule. Elle aurait accepté de changer sa tenue pourtant adaptée. L’officier de sécurité régional aurait finalement autorisé le départ, mais la requérante serait arrivée en retard et au mauvais endroit à sa réunion.

142    En dépit des explications de la requérante, l’incident l’ayant opposée à l’équipe de sécurité est de nature à étayer, parmi d’autres incidents, une conclusion d’inaptitude manifeste au sens de l’article 84, paragraphe 2, du RAA. En effet, il ressort d’un échange de courriels du 22 novembre 2018 entre le chef de délégation, l’officier de sécurité régional et un membre de l’équipe de protection rapprochée que la requérante s’est emportée de façon injustifiée contre un membre de cette équipe. À cet égard, les explications de la requérante selon lesquelles la robe qu’elle portait n’était pas « très courte » sont insuffisantes pour remettre en cause l’appréciation de l’équipe de sécurité sur le caractère inapproprié de sa tenue. De plus, il ressort d’un échange de courriels du 2 octobre 2018 que les règles relatives à la tenue vestimentaire avaient été rappelées à la requérante. Par ailleurs, il résulte des commentaires de celle-ci sur le rapport de stage qu’elle s’est montrée critique à l’égard de l’entreprise de sécurité et lui a « demandé des explications » par écrit sur cet incident. En outre, les allégations de la requérante selon lesquelles la cheffe de l’administration serait responsable de l’incident en cause sont dépourvues de tout fondement. En effet, il ressort des déclarations de l’officier de sécurité régional que la cheffe de l’administration, membre de l’équipe responsable de la sécurité, est intervenue à la demande de cet officier et a fait preuve, selon celui-ci, d’une attitude « irréprochable » lorsqu’elle a conseillé à la requérante de changer de vêtements.

143    Il résulte de ce qui précède que l’argumentation par laquelle la requérante conteste le caractère suffisamment caractérisé des éléments factuels sur lesquels l’AHCC s’est fondée pour adopter la décision attaquée doit être écartée.

2)      Sur l’appréciation portée par l’AHCC sur l’aptitude de la requérante à exercer ses fonctions

144    Il convient à présent d’examiner le bien-fondé de l’appréciation globale portée par l’AHCC sur l’aptitude de la requérante à exercer ses fonctions.

145    En premier lieu, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que l’AHCC a considéré, dans la décision attaquée, que la requérante avait fait preuve d’une conduite inappropriée. Il ressort en effet des éléments factuels mentionnés aux points 123 à 143 ci-dessus que la requérante a adopté, à de multiples reprises, un comportement inadapté et conflictuel dans l’exercice de ses fonctions. À cet égard, l’AHCC a pu valablement préciser, dans la décision de rejet de la réclamation, que la conduite de la requérante était contraire aux compétences attendues de la responsable « Presse et information » de la délégation, étant donné que l’attitude de la requérante était conflictuelle et qu’elle ne respectait pas les exigences minimales de courtoisie.

146    Il ressort également des éléments mentionnés aux points 123 à 143 ci-dessus que la conduite inappropriée de la requérante a entraîné une dégradation de ses relations professionnelles avec la plupart de ses collègues, notamment le chef de délégation, la cheffe de l’administration, le chef de section, la conseillère politique, les agents locaux de la section politique, mais aussi des membres de la section « Opérations de coopération » de la DG de la coopération internationale et du développement et de l’équipe de sécurité. Ce constat concerne aussi des interlocuteurs externes, tels que la responsable d’une chaîne de télévision locale et une consultante ayant participé au séminaire sur l’autonomisation économique des femmes, et ce sur une courte période.

147    En deuxième lieu, c’est également sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que l’AHCC a considéré, dans la décision attaquée, que la requérante avait refusé d’obéir aux instructions de sa hiérarchie, ainsi qu’il ressort de son attitude à l’occasion du séminaire sur l’autonomisation économique des femmes.

148    Les considérations de la décision de rejet de la réclamation relatives aux conséquences de la conduite de la requérante sur l’image de la délégation ne sont également entachées d’aucune erreur manifeste d’appréciation, compte tenu du fait que cette conduite a concerné des interlocuteurs externes. Cet aspect est d’ailleurs corroboré par les déclarations du chef d’équipe et d’une chargée de mission de la section « Opérations de coopération » de la DG de la coopération internationale et du développement produites devant le Tribunal.

149    En troisième lieu, l’AHCC n’a pas davantage commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant, dans la décision de rejet de la réclamation, que la conduite inappropriée de la requérante était susceptible d’avoir des conséquences en termes de sécurité.

150    À cet égard, il convient de souligner que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la circonstance que le rapport de stage fasse référence aux répercussions potentielles en termes de sécurité de l’incident survenu à l’occasion du déplacement du 22 novembre 2018 (section 6.1) puis aux conséquences en termes de sécurité de la situation, claires et directes pour la requérante et potentielles pour la délégation (section 6.3), ne permet pas de considérer que ce rapport est entaché d’incohérence.

151    En effet, il ressort de façon suffisamment claire des termes de ce rapport que l’attitude de la requérante présentait des risques en termes de sécurité sans pour autant que cette attitude ait occasionné des dommages réels. De plus, l’AHCC a pu raisonnablement estimer que la conduite inappropriée de la requérante présentait des risques de cette nature dès lors que la sensibilité culturelle était extrême dans le pays tiers et que l’exposition au risque de la délégation était sérieuse. Dans un tel contexte, l’existence de relations professionnelles conflictuelles entre la requérante et les agents locaux de la section politique, des membres de l’équipe de sécurité et un partenaire extérieur de la délégation ainsi que le non-respect d’instructions de sa hiérarchie étaient de nature à engendrer de tels risques. À cet égard, il convient de rappeler que, premièrement, le courriel du 13 octobre 2018 comportait des critiques très sévères sur le travail d’agents locaux, deuxièmement, le 26 octobre 2018, la requérante n’a pas respecté les instructions de sa hiérarchie relatives à la publication d’un entretien avec une représentante de l’administration du pays tiers et, troisièmement, selon les commentaires de la requérante sur le rapport de stage, lors du déplacement du 22 novembre 2018, elle était arrivée en retard et au mauvais endroit à la réunion à laquelle elle devait se rendre. Ces circonstances factuelles sont de nature à étayer les préoccupations relatives à la sécurité mentionnées par l’AHCC dans la décision de rejet de la réclamation.

152    En quatrième et dernier lieu, le motif de la décision attaquée relatif à l’existence d’une perte de confiance n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, contrairement à ce que soutient la requérante. En particulier, la réalité de cette perte de confiance n’est pas remise en cause par le fait que la requérante a continué à effectuer ses tâches quotidiennes, notamment à la demande du chef de délégation. Une telle perte de confiance, qui ressort de la note de ce dernier du 4 décembre 2018 et du rapport de stage, est en effet confirmée par la dégradation des relations de la requérante avec le chef de délégation et le chef de section ainsi que par son refus de suivre les instructions de ces derniers.

153    Dans ces conditions, compte tenu de la multiplicité et de la gravité des incidents survenus ainsi que de la nature des fonctions de responsable « Presse et information » dans un pays où le degré de risque est élevé, et malgré certains aspects positifs que comporte l’évaluation de la requérante et la difficulté des conditions d’exercice des fonctions dans ce pays, l’AHCC n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant que l’inaptitude de la requérante présentait un caractère manifeste au sens de l’article 84, paragraphe 2, du RAA.

154    Il résulte de ce qui précède que la seconde branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée ainsi que, par suite, le deuxième moyen dans son ensemble.

5.      Sur le troisième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir 

155    En premier lieu, la requérante soutient que les préoccupations de sécurité ont été invoquées par le chef de délégation comme prétexte pour mettre fin à son contrat.

156    En deuxième lieu, la décision de mettre un terme au contrat de la requérante aurait été prise avant l’adoption de la décision attaquée, et même avant les incidents invoqués par le chef de délégation dans sa note du 4 décembre 2018. Au début du mois de novembre 2018 déjà, des experts électoraux de l’Union auraient indiqué à la requérante qu’elle allait être licenciée. Le chef de délégation, qui n’aurait pas été satisfait de son recrutement, aurait constitué un dossier en amont pour justifier son licenciement. Ainsi, lors de l’entretien du 17 octobre 2018, il ne lui aurait pas demandé de s’expliquer, mais aurait déclaré qu’il allait mettre fin à son contrat de travail.

157    En troisième lieu, la requérante expose que la décision attaquée a été adoptée dans un contexte de harcèlement moral, ce qui pourrait être pris en compte pour considérer que cette décision avait pour but de lui nuire, à supposer même que les faits dénoncés par la requérante puissent être qualifiés, en tant que tels, de harcèlement au sens de l’article 12 bis du statut. Elle indique qu’elle a introduit une demande d’assistance au motif qu’elle avait subi un harcèlement de la part du chef de délégation et maintient que tel était le cas.

158    La requérante en conclut que, en adoptant la décision attaquée, le chef de délégation a usé de ses pouvoirs dans le but de lui porter préjudice et qu’il a donc commis un détournement de pouvoir.

159    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

160    La notion de détournement de pouvoir a une portée précise qui se réfère à l’usage de ses pouvoirs par une autorité administrative dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le statut pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 5 juin 2003, O’Hannrachain/Parlement, C‑121/01 P, EU:C:2003:323, point 46 et jurisprudence citée).

161    En premier lieu, ainsi qu’il ressort des points 149 et 150 ci-dessus, le chef de délégation n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant dans le rapport de stage que la conduite inappropriée de la requérante était susceptible d’avoir des conséquences en termes de sécurité. En outre, à supposer même qu’il ait commis une erreur sur ce point, ce qui n’est pas le cas, il n’est nullement établi qu’une telle considération aurait été motivée par un objectif autre que l’intérêt du service.

162    En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le chef de délégation ait pris la décision de solliciter la résiliation du contrat de la requérante avant que ne surviennent les incidents évoqués dans la note qu’il lui a adressée le 4 décembre 2019. À cet égard, il convient de constater que les propos qu’auraient tenus, selon la requérante, des experts électoraux au début du mois de novembre 2018 ne sont pas étayés et n’émanent pas du chef de délégation. Par ailleurs, si la requérante allègue que, lors de l’entretien du 17 octobre 2018, ce dernier lui a indiqué qu’il allait mettre fin à son contrat, cette allégation est contredite par la note qu’il lui a adressée le 19 octobre 2018, énonçant que c’est la répétition d’une conduite inappropriée qui le conduirait à recommander la résiliation de son contrat.

163    En troisième lieu, la circonstance que la requérante a sollicité l’assistance de l’administration dans le cadre de l’article 24 du statut pour des faits de harcèlement moral ne permet pas de considérer que la décision attaquée est entachée d’un détournement de pouvoir.

164    Certes, l’existence d’un contexte de harcèlement moral peut être prise en compte, lorsque l’auteur de ce harcèlement est le signataire de la décision de licenciement ou l’un des signataires du rapport de stage sur le fondement duquel le licenciement a été décidé, pour établir que cette décision de licenciement a été adoptée dans le but de nuire à l’agent et qu’elle est, par suite, entachée de détournement de pouvoir (arrêt du 24 février 2010, Menghi/ENISA, F‑2/09, EU:F:2010:12, point 71).

165    Ainsi, s’agissant d’une allégation de harcèlement moral invoquée au soutien de conclusions dirigées contre une décision de licenciement intervenant avant la fin de la période de stage, un détournement de pouvoir pourra également être retenu si la décision de licenciement a été adoptée dans le but de nuire à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique de l’agent (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 24 février 2010, Menghi/ENISA, F‑2/09, EU:F:2010:12, point 72).

166    Par ailleurs, il est possible que les faits invoqués pour démontrer l’existence d’un harcèlement moral, bien qu’ils ne puissent être qualifiés comme tels au sens des dispositions de l’article 12 bis du statut, permettent malgré tout de conclure que la décision de licenciement est entachée de détournement de pouvoir et qu’elle doit, par conséquent, être annulée (arrêt du 24 février 2010, Menghi/ENISA, F‑2/09, EU:F:2010:12, point 73).

167    Toutefois, la demande d’assistance dont se prévaut la requérante a été rejetée par une décision du 8 mai 2019, confirmée par une décision du 5 décembre 2019. Cette dernière décision, désormais définitive, jouit, en principe, d’une présomption de légalité (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Schrems, C‑362/14, EU:C:2015:650, point 52 et jurisprudence citée).

168    De plus, si la requérante indique qu’elle réitère la dénonciation des faits avancés dans sa demande d’assistance et maintient qu’elle a fait l’objet d’un harcèlement de la part du chef de délégation, elle n’expose les faits et le raisonnement venant au soutien de cette allégation de harcèlement ni dans la requête ni dans la réplique.

169    Dans ces conditions, en l’absence de situation démontrée de harcèlement moral et de faits précis développés au soutien d’une telle allégation, la requérante n’est pas fondée à invoquer l’existence d’un contexte de harcèlement moral au sens de la jurisprudence rappelée au point 164 ci-dessus, ni à soutenir que la décision attaquée a été adoptée dans le but de lui nuire.

170    Ainsi, il n’existe pas d’indice probant tendant à démontrer que la décision attaquée a été prise dans un but autre que l’intérêt du service.

171    Le troisième moyen doit donc être rejeté comme non fondé, de même que, par voie de conséquence, les conclusions en annulation.

B.      Sur les conclusions indemnitaires

172    La requérante présente une demande en indemnité en vue d’obtenir la réparation des préjudices matériel et moral que lui a prétendument causés la décision attaquée.

173    En ce qui concerne le préjudice matériel, la requérante soutient que, si l’AHCC ne l’avait pas illégalement licenciée, elle aurait pu exécuter un contrat de trois ans et prétendre à un renouvellement de celui-ci soit pour une durée déterminée maximale de cinq ans puis pour une durée indéterminée, soit directement pour une durée indéterminée. Elle fait valoir que, étant donné les autres avantages que son contrat lui aurait conférés (indemnité de dépaysement, indemnité de difficulté, billets d’avion) et compte tenu d’une probabilité de 50 % que son contrat soit renouvelé pour une durée de cinq ans, le préjudice matériel découlant de son licenciement et de la perte de chance d’un renouvellement de son contrat s’élève à 449 397,05 euros.

174    En ce qui concerne le préjudice moral, la requérante soutient que l’installation dans un pays dont les conditions de vie sont difficiles nécessite une planification longue et complexe. Elle indique qu’elle a dû se conformer aux horaires de la délégation plusieurs mois avant d’y être affectée, qu’elle a vécu dans l’incertitude de la date de son installation et qu’elle a été amenée à organiser elle-même de nombreux aspects pratiques liés à sa prise de fonctions à la délégation, outre les efforts qu’elle a dû déployer sur le plan psychologique. En outre, elle se serait investie dans l’apprentissage de la langue et des caractéristiques du pays tiers. La requérante se sentirait blessée et insultée par le fait que son engagement ait été réduit à néant de manière légère et injuste. Elle considère que son préjudice moral, qui n’est pas susceptible d’être intégralement indemnisé par l’annulation de la décision attaquée, doit être réparé par le versement d’une somme forfaitaire de 20 000 euros.

175    Le SEAE conteste le bien-fondé de la demande en indemnité de la requérante.

176    Il convient de rappeler que, en matière de fonction publique, les conclusions tendant à la réparation d’un préjudice matériel ou moral doivent être rejetées lorsqu’elles présentent un lien étroit avec les conclusions à fin d’annulation qui ont, elles-mêmes, été rejetées comme non fondées (voir arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 93 et jurisprudence citée).

177    En l’espèce, il y a lieu de constater que les conclusions indemnitaires présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation. En effet, d’une part, la requérante demande la réparation des préjudices matériel et moral résultant de la seule décision attaquée. D’autre part, elle explicite le contenu desdits préjudices, mais ne se prévaut pas, au soutien de ses conclusions indemnitaires, de chefs d’illégalité qui différeraient de ceux qu’elle a exposés au soutien de ses conclusions en annulation.

178    Dans ce contexte, les conclusions en annulation ayant été rejetées comme non fondées, les conclusions indemnitaires doivent l’être également.

179    Il découle de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

180    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du SEAE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      ID est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Madise

Martín y Pérez de Nanclares 

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juillet 2021.

Signatures


Table des matières 


I. Antécédents du litige

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur les conclusions en annulation

1. Sur l’objet des conclusions en annulation

2. Sur les griefs présentés dans le cadre des deux premiers moyens, tirés d’une insuffisance de motivation, et sur la demande tendant à ce que le Tribunal écarte certaines pièces produites par le SEAE

3. Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 84 du RAA

a) Sur la première branche, relative à la possibilité de justifier un licenciement avant la fin de la période de stage par la conduite du stagiaire

b) Sur la seconde branche, relative au degré d’inaptitude requis pour justifier un licenciement avant l’expiration de la période de stage

4. Sur le deuxième moyen, tiré d’un défaut de motivation adéquate et d’une erreur manifeste d’appréciation

a) Sur la première branche, relative au défaut de motivation adéquate et à l’erreur manifeste d’appréciation entachant le rapport de stage et, par voie de conséquence, la décision attaquée

b) Sur la seconde branche, relative à l’appréciation des faits susceptibles d’étayer un constat d’inaptitude manifeste

1) Sur les éléments factuels sur lesquels l’AHCC s’est fondée pour adopter la décision attaquée

2) Sur l’appréciation portée par l’AHCC sur l’aptitude de la requérante à exercer ses fonctions

5. Sur le troisième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

B. Sur les conclusions indemnitaires

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.