Language of document : ECLI:EU:T:2005:137

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

20 avril 2005 (*)

« Fonction publique – Rapport d’évolution de carrière – Exercice d’évaluation 2001-2002 »

Dans l’affaire T-86/04,

Asa Sundholm, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes S. Orlandi, A. Coolen, J.‑N. Louis et E. Marchal, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis‑Kayser et M. H. Kraemer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation du rapport d’évolution de carrière de la requérante pour l’exercice d’évaluation 2001-2002,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 février 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique du litige

1       Le 26 avril 2002, la Commission a adopté une décision portant dispositions générales d’exécution (ci-après les « DGE ») de l’article 43 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »). Par ces DGE, un nouveau système de notation a été introduit.

2       En vertu de la règle de transition consacrée à l’article 4, paragraphe 1, des DGE, lors du premier exercice de notation effectué selon le nouveau système, le rapport d’évolution de carrière (ci-après le « REC ») couvre la période du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2002. Pour l’exercice transitoire 2001-2002, l’évaluation du rendement est effectuée nonobstant l’absence de définition des objectifs à atteindre dans le cadre du poste, prévu à l’article 7, paragraphe 1, des DGE. Le REC porte sur les compétences, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire. Aussi, le REC comporte trois échelles distinctes pour les trois rubriques d’évaluation, le nombre maximal de points étant de dix pour le rendement, de six pour les compétences et de quatre pour la conduite dans le service.

3       Les éléments essentiels de la procédure de notation selon le nouveau système peuvent se résumer comme suit.

4       Les acteurs de cette procédure sont premièrement, l’évaluateur, qui est, en règle générale, le chef d’unité, en tant que supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire noté (article 3, paragraphe 1, des DGE), deuxièmement, le validateur qui est, généralement, le directeur, en tant que supérieur hiérarchique direct de l’évaluateur (article 2, paragraphe 2, et article 3, paragraphe 1, des DGE) et l’évaluateur d’appel qui est, en principe, le directeur général, en tant que supérieur hiérarchique direct du validateur (article 2, paragraphe 4, des DGE).

5       Pour faire suite à une « auto-évaluation » établie par le fonctionnaire noté et sur la base d’un dialogue entre ce dernier et l’évaluateur, l’évaluateur et le validateur établissent le REC (article 7, paragraphe 4, des DGE). Le fonctionnaire noté a alors le droit de demander un entretien avec le validateur, lequel a la faculté soit de modifier, soit de confirmer le REC (article 7, paragraphe 5, des DGE). Le fonctionnaire noté peut ensuite demander au validateur de saisir le comité paritaire d’évaluation (ci-après le « CPE »), en vertu des dispositions combinées de l’article 7, paragraphe 6, et de l’article 8 des DGE. Le rôle du CPE est de vérifier si le REC a été établi équitablement, objectivement et conformément aux normes d’évaluation habituelles (article 8, paragraphe 5, des DGE).

6       Le CPE émet ensuite un avis motivé sur la base duquel l’évaluateur d’appel soit modifie, soit confirme le REC. Toutefois, si l’évaluateur d’appel s’écarte des recommandations figurant dans cet avis, il est tenu de motiver sa décision (article 8, paragraphe 7, des DGE).

7       L’article 6 des DGE prévoit que le REC est destiné à être utilisé sous format électronique. Dans la pratique, les formulaires du REC sont directement remplis sur écran et stockés dans un système informatique de gestion du personnel appelé « Sysper 2 ».

8       En juillet 2002, la Commission a porté à la connaissance de son personnel, par le moyen de l’intranet, un document intitulé « Système d’évaluation du personnel centré sur l’évolution de carrière – Guide » (ci-après le « guide d’évaluation »).

9       Le 3 décembre 2002, la Commission a publié, dans les « Informations Administratives » n° 99-2002, un document intitulé « Guide pour l’exercice d’évaluation du personnel 2001-2002 (transition) », contenant des informations quant au nouveau système de notation ainsi qu’aux règles de transition applicables. Ce document indique, sous le titre « Comment sont évalués le rendement, les compétences et la conduite? », que « le ‘Rendement’ est évalué par une note de zéro à dix. Étant donné que l’évaluateur et l’évalué n’ont pas fixé à l’avance des objectifs, l’évaluateur portera un jugement d’ensemble sur les tâches effectivement accomplies par le fonctionnaire durant la période de référence. La ‘Compétence’ et la ‘Conduite’ sont évaluées respectivement par une note de zéro à six et de zéro à quatre. Étant donné que l’évaluateur et l’évalué n’ont pas fait la liste à l’avance des compétences et des autres exigences du poste, l’évaluateur fondera son évaluation sur la base de la ‘grille des compétences’ et des aspects de conduite standard ».

 Faits à l’origine du litige

10     Par décision du 25 janvier 1999, remplaçant celle du 9 septembre 1997, la requérante, de nationalité finlandaise, est entrée en fonction auprès de la Commission, en tant que fonctionnaire stagiaire de grade A 5, échelon l. La requérante a été affectée à la direction générale « Emploi, relations industrielles et affaires sociales » (DG V), direction « Fonds social européen développement politique », unité « Suivi et appréciation de l’impact politique du fonds social européen ».

11     Par décision du 4 juin 1999, la requérante a ensuite été titularisée dans son emploi et son classement a été fixé au grade A 5, échelon 2.

12     Par décision du 2 février 2001, prenant effet le 16 février 2001, la requérante a été mutée à la direction générale « Emploi et affaires sociales », direction G, unité « Évaluation ».

13     Le 20 février 2003, le chef d’unité de la direction générale « Emploi et affaires sociales » a établi, en qualité d’évaluateur de la requérante, son REC pour l’exercice 2001-2002. Ce dernier lui a attribué une note globale de onze points sur vingt. Le 24 février 2003, le directeur de la direction générale « Emploi et affaires sociales » a contresigné le REC en tant que validateur. La requérante a demandé, le 27 février 2003, la révision de son évaluation. Le 7 mars 2003, le validateur a eu un entretien avec la requérante et a confirmé le rapport le 17 mars 2003. Le 24 mars 2003, la requérante a demandé la saisine du CPE qui a rendu un avis le 1er avril 2003.

14     Dans cet avis, le CPE a relevé (i) que les absences de la requérante, pour raison médicale, avaient été mentionnées à tort dans le REC et que les tâches effectuées n’avaient pas été correctement évaluées, (ii) que la remarque ayant trait à la capacité linguistique était inappropriée sous la section 6.2, (iii) qu’il n’existait pas d’exemples au soutien de l’affirmation ayant trait aux difficultés de la requérante d’établir des contacts productifs sous la section 6.3. Le CPE a donc demandé que des modifications soient effectuées pour les points 6.1, 6.2 et également pour le point 6.4, ceci dans un souci de cohérence.

15     Pour faire suite à cet avis et par décision du 10 avril 2003 (ci-après la « décision attaquée »), le directeur général de la direction générale « Emploi et affaires sociales » a choisi, en tant qu’évaluateur d’appel, de modifier certains commentaires. Le 10 juillet 2003, la requérante a introduit une réclamation contre cette décision. Le 13 novembre 2003, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») y a opposé une décision explicite de rejet. En exécution de cette décision, la note globale de onze sur vingt n’a pas été modifiée. La requérante a accusé réception de ladite décision le 20 novembre 2003.

 Procédure et conclusions des parties

16     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er mars 2004, la requérante a introduit le présent recours.

17     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l’audience du 22 février 2005.

18     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

19     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       statuer sur les dépens comme de droit.

 En droit

20     La requérante soulève trois moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 7, paragraphe 2, des DGE. Le deuxième moyen est tiré de l’incohérence entre les commentaires et les notes attribuées à la requérante, de l’absence de motivation ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation. Le troisième moyen est pris, d’une part, de la violation de l’article 8, paragraphe 7, des DGE et, d’autre part, d’une violation de l’obligation de motivation.

Sur le premier moyen, pris de la violation de l’article 7, paragraphe 2, des DGE

Arguments des parties

21     La requérante estime que l’évaluateur a fait référence aux sections 6.1 « Rendement », 6.3 « Conduite dans le service » et 6.4 « Synthèse », aux absences justifiées et à l’état de santé de la requérante pour justifier les notes qui lui sont attribuées.

22     La requérante note que, pour faire suite à l’avis du CPE, l’évaluateur d’appel a décidé d’amender les sections 6.1, 6.2 et 6.4 du REC sans pour autant modifier la notation. En outre, même si l’évaluateur d’appel a décidé d’amender partiellement certains commentaires, la requérante soutient que les anciens commentaires n’ont été supprimés du REC que postérieurement à l’introduction du présent recours, en l’espèce le 19 mars 2004.

23     La requérante souligne que, dans sa réponse à la réclamation, l’AIPN expose que « les absences prolongées et répétées de l’intéressée ont créé une situation d’incertitude quant à sa présence obligeant ainsi une réattribution des tâches afin de respecter les engagements de l’unité de la réclamante. Dès lors l’évaluation de Mme Sundholm s’est basée sur ses fonctions et ses tâches et non pas sur sa situation médicale ».

24     Selon la requérante, l’AIPN reconnaîtrait ainsi que les absences justifiées de cette dernière ont été prises en considération pour procéder à son évaluation, étant donné que ses tâches et fonctions nécessitent « par nature » une continuité pour obtenir des résultats. Or, s’agissant d’un exercice d’évaluation transitoire, la requérante rappelle que les résultats ou objectifs à atteindre au cours de la période d’évaluation 2001‑2002 n’ont pas été fixés. Il en résulterait que seules les tâches effectivement accomplies par la requérante devraient être prises en considération aux fins d’évaluer son rendement, ses compétences et sa conduite dans le service.

25     La Commission estime quant à elle, concernant la référence aux problèmes de santé de la requérante, qu’il ressort de la décision de l’AIPN du 13 novembre 2003, portant réponse à la réclamation, que toutes les références dans le REC concernant les absences pour maladie de la requérante ont été supprimées.

26     La Commission souligne également, concernant l’influence alléguée des absences de la requérante, que le REC a été établi sur la base d’une appréciation des performances de la requérante en ce qui concerne les différentes rubriques d’évaluation et non pas sur sa situation médicale. Le premier moyen ne serait donc pas fondé.

Appréciation du Tribunal

27     À titre préliminaire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 43 du statut, la compétence, le rendement et la conduite dans le service font l’objet d’un rapport périodique.

28     À cet égard, l’article 7, paragraphe 2, des DGE dispose que « l’évaluateur ne tient pas compte des absences justifiées éventuelles de l’évalué, pendant lesquelles il n’était pas à la disposition du service ». En outre, selon le guide d’évaluation et s’agissant de la rubrique « Rendement », il « est exclu que le titulaire du poste puisse être pénalisé s’il n’a pas pu atteindre ses objectifs en raison de facteurs externes. Dans ce type de situation, l’accent doit être mis sur ce que l’intéressé était réellement en position de faire pendant l’année. Par exemple, s’il est malade ou s’il s’agit d’un congé de maternité ou d’obligations externes comme des convocations de juré ».

29     En l’espèce, le Tribunal relève que le REC comportait initialement divers commentaires relatifs aux absences pour raison médicale de la requérante, puisqu’il indiquait notamment que « Mme Sundholm a été en congé maladie pendant près des 2/3 de la période d’évaluation » (« Mrs Sundholm has been on sick leave for about 2/3 of the period assessed », ancien point 6.1, 1er paragraphe du commentaire de l’évaluateur), qu’elle « n’a pas pu accomplir son travail en raison de sa maladie et a du être relayée par d’autres collègues » (« she could not complete her work due to the illness and was backed-up by other colleagues », ancien point 6.1, 3ème paragraphe, du commentaire de l’évaluateur) et qu’elle a dû surmonter « les difficultés rencontrées en raison de sa maladie […] » (« surmounting the difficulties encountered due to her illness […] », ancien point 6.3, 1er paragraphe du commentaire de l’évaluateur).

30     Dès lors, il y a lieu de considérer que l’évaluateur a pris en compte, à diverses reprises, les absences pour raisons médicales de la requérante, étant entendu qu’il est constant entre les parties que ces absences étaient justifiées.

31     C’est pourquoi, le CPE notant que « la maladie [de la requérante] est mentionnée à tort dans le rapport et que son travail n’a pas été correctement évalué » (« her sickness is unduly mentioned in the report and the work done is not properly assessed », point 9.2 du REC), a recommandé que les points 6.1, 6.2 et 6.4 soient amendés en conséquence. L’AIPN a, quant à elle, exigé que l’ensemble des « mentions relatives aux absences de Mme Sundholm pour cause de maladie [soient] retirées du présent REC ».

32     À la lumière de la procédure d’évaluation, il convient de considérer que les commentaires, qui encadrent le pouvoir discrétionnaire dont jouissent les évaluateurs, constituent la base de ladite notation. En effet, les commentaires ont une double fonction puisqu’ils servent d’une part, d’assise à l’établissement de la notation et permettent d’autre part, au fonctionnaire de comprendre la notation obtenue et d’appréhender pleinement la perception qu’ont ses supérieurs hiérarchiques au regard de la qualité des tâches qu’il a pu effectuer. Ainsi, les commentaires peuvent aider un fonctionnaire à améliorer, en tant que de besoin, ses mérites qui conditionnent nécessairement l’avancement de sa carrière. Dès lors, les commentaires jouent un rôle prédominant dans l’établissement du REC, la Commission ayant par ailleurs reconnu, à l’audience, qu’une cohérence se doit d’exister entre les commentaires et les notes allouées. Partant, la notation doit être considérée comme une transcription chiffrée des commentaires.

33     Dans les circonstances d’espèce, les absences justifiées, qui ont été prises erronément en compte dans la rédaction du REC, ont eu une incidence directe sur la notation en raison de la fréquence de leurs mentions dans le corps des commentaires et de leurs connotations des plus négatives.

34     À cet égard, le Tribunal relève que l’AIPN reconnaît elle-même l’impact des absences justifiées sur les commentaires et de facto sur la notation, estimant dans sa décision que « la référence auxdites absences a pour objet de contextualiser les difficultés éprouvées par la réclamante à produire des résultats concrets et à lui attribuer des tâches de manière continue […] ».

35     Dès lors, la simple suppression des commentaires pris illégalement en considération, constituerait une juste rectification, cependant celle-ci ne peut remédier à la notation contestée qui résulte intrinsèquement, et en partie, d’éléments factuels illégaux.

36     En outre, il convient également d’observer que la suppression des mentions litigieuses affecte de manière non négligeable la cohérence du REC, étant donné que l’appréciation de l’administration se trouve être nécessairement lacunaire.

37     À titre d’exemple, le Tribunal relève que la cohérence de la rubrique « Rendement » du REC est affectée par la suppression des mentions litigieuses, puisque le commentaire initial qui avait trait aux tâches effectuées par la requérante, dans le cadre d’un projet dénommé « EQUAL », indiquait que « en raison de sa maladie elle a dû être remplacée » (« due to her illness she had to be replaced in the responsibility for this task », ancien point 6.1, 2ème paragraphe du commentaire de l’évaluateur), et qu’elle « n’a pas pu accomplir son travail en raison de sa maladie et a dû être relayée par d’autres collègues » (ancien point 6.1, 3ème paragraphe du commentaire de l’évaluateur, texte original en anglais précité au point 29). Or, pour faire suite aux suppressions des mentions relatives aux absences justifiées de la requérante, telles que recommandées par le CPE puis exigées par l’AIPN, il est désormais simplement indiqué qu’elle a « dû être remplacée » et « relayée par d’autres collègues », sans que la moindre explication vienne, par conséquent, asseoir et justifier le bien-fondé de ces commentaires.

38     En raison des multiples références aux absences justifiées de la requérante dans les commentaires qui établissent le REC et qui servent d’assise à la fixation de la notation, la simple suppression desdites mentions sans une modification corrélative de la note allouée ne peut remédier à l’illégalité commise par l’évaluateur. Partant, la procédure d’évaluation de la requérante est entachée d’une violation de l’article 7, paragraphe 2, des DGE.

39     Le premier moyen doit, dès lors, être accueilli et la décision attaquée doit être annulée, sans qu’il y ait lieu d’examiner les deuxième et troisième moyens.

 Sur les dépens

40     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 10 avril 2003 établissant le rapport d’évolution de carrière de la requérante pour la période du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2002 est annulée.

2)      

3)      La Commission est condamnée aux dépens.

4)      

Pirrung

Forwood

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 avril 2005

Le greffier

 

Le président

H. Jung

 

J. Pirrung


* Langue de procédure : le français.