Language of document : ECLI:EU:T:2009:519

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

17 décembre 2009 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché de la soude dans la Communauté (à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande) – Décision constatant une infraction à l’article 82 CE – Accords d’approvisionnement pour une période excessivement longue – Remise de fidélité– Prescription du pouvoir de la Commission d’infliger des amendes ou des sanctions – Délai raisonnable – Formes substantielles – Marché géographique pertinent– Existence de la position dominante – Exploitation abusive de la position dominante – Droit d’accès au dossier – Amende – Gravité et durée de l’infraction – Circonstances aggravantes – Récidive – Circonstances atténuantes »

Dans l’affaire T‑57/01,

Solvay SA, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes L. Simont, P.-A. Foriers, G. Block, F. Louis et A. Vallery, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P. Oliver et J. Currall, en qualité d’agents, assistés de Me N. Coutrelis, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision 2003/6/CE de la Commission, du 13 décembre 2000, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (Affaire COMP/33.133 – C : Carbonate de soude – Solvay) (JO 2003, L 10, p. 10), et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, V. Vadapalas (rapporteur) et A. Dittrich, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Solvay SA, est une société de droit belge, active dans les secteurs de la pharmacie, de la chimie, du plastique et de la transformation. Elle produit notamment du carbonate de soude.

2        Le carbonate de soude est soit présent dans la nature sous forme de minerai de trona (soude naturelle), soit obtenu par procédé chimique (soude synthétique). La soude naturelle est obtenue à partir du broyage, de la purification et de la calcination du minerai de trona. La soude synthétique est issue de la réaction du sel ordinaire et du calcaire par le procédé « ammoniaque – soude », mis au point par les frères Solvay en 1863.

3        Le 7 février 1978, la requérante a conclu avec trois verriers belges, ses trois principaux clients traditionnels en Belgique, des contrats « tous besoins », d’une durée de cinq ans, comportant des clauses d’alignement de prix.

4        Ces conventions ont donné lieu à une procédure judiciaire introduite par un producteur américain de carbonate de soude devant les tribunaux belges. Par arrêt du 20 octobre 1989, la cour d’appel de Liège, statuant sur renvoi de la Cour de cassation, a débouté ce producteur américain de son action.

5        Parallèlement, la Commission des Communautés européennes a ouvert une procédure au titre de l’article 81 CE. Par lettre du 21 octobre 1980, elle a communiqué à la requérante les éléments des conventions qu’elle considérait comme contestables au regard du droit communautaire de la concurrence. Elle a notamment indiqué qu’elle ne pouvait pas accepter des accords de type « tous besoins » ou « pourcentage de tous besoins », mais qu’elle autorisait des contrats de type « tonnage » dans la mesure où ceux-ci laissent le client libre de s’approvisionner, pour une partie non négligeable de ses besoins, auprès d’autres producteurs. La Commission a fixé la durée des contrats d’approvisionnement à deux ans au maximum et a réservé son appréciation sur la clause de concurrence.

6        Le 16 décembre 1980, la requérante a transmis à la Commission un projet de lettre, destiné à ses directions nationales, visant à ce que celles-ci adoptent des contrats de type « tonnage » suivant certaines lignes directrices qui ont été élaborées en tenant compte des observations formulées par la Commission .

7        Par lettre du 2 février 1981, la Commission a fait savoir à la requérante que les lignes directrices contenues dans le projet de lettre du 16 décembre 1980 étaient en conformité avec ses demandes de modification des contrats d’approvisionnement en carbonate de soude. Elle a cependant émis des réserves sur la clause de concurrence, dite « clause anglaise », et a demandé la modification des contrats conclus avec les trois verriers belges.

8        Conformément aux observations de la Commission relatives à la clause de concurrence, la requérante a adapté le projet de lettre et, en date du 19 février 1981, a adressé une lettre à ses différentes directions nationales les invitant à modifier leurs contrats de tonnage avec l’industrie verrière à la suite des remarques de la Commission. Par lettre du 29 octobre 1981, la requérante a informé la Commission de l’état d’avancement des négociations avec l’industrie verrière afin de rendre les contrats existants conformes aux exigences du droit communautaire de la concurrence.

9        Dans ces circonstances, la Commission a décidé de clore la procédure ouverte au titre de l’article 81 CE. Elle a également publié un communiqué de presse le 5 février 1982, dans lequel elle indiquait que, dans le secteur du carbonate de soude, la requérante avait modifié ses contrats d’approvisionnement afin de les rendre compatibles avec le droit communautaire de la concurrence.

10      Au moment des faits faisant l’objet du présent litige, la requérante était présente dans le secteur du carbonate de soude, par l’intermédiaire d’unités de commercialisation établies dans neuf pays, à savoir en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en France, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal et en Suisse. Elle possédait également des unités de production en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en France, en Italie et au Portugal.

11      En 1987, la capacité totale de production de la requérante représentait environ 4 millions de tonnes et sa production en Europe était d’environ 3,7 millions de tonnes.

12      Dans une télécopie transmise le 2 novembre 1988, qui n’est ni datée ni signée, mais qui porte l’en-tête de la requérante et qui a été adressée à la Commission, il est indiqué que, en 1988, la capacité de production mondiale de carbonate de soude était de l’ordre de 37 millions de tonnes et la consommation mondiale de carbonate de soude était de l’ordre de 31 millions de tonnes.

13      En 1988, la requérante possédait notamment 52,5 % du marché allemand, 96,9 % du marché autrichien, 82 % du marché belge, 99,6 % du marché espagnol, 54,9 % du marché français, 95 % du marché italien, 14,7 % du marché néerlandais, 100 % du marché portugais et 76,1 % du marché suisse.

14      En 1989, la consommation de carbonate de soude dans la Communauté européenne était d’environ 5,5 millions de tonnes, dont la valeur marchande était d’environ 900 millions d’écus.

15      En plus de la requérante, les producteurs communautaires étaient, pendant la période de 1987 à 1989, les sociétés Imperial Chemical Industries (ci-après « ICI »), Rhône-Poulenc, AKZO, Matthes & Weber, ainsi que la société Chemische Fabrik Kalk (ci-après « CFK »), filiale de Kali & Salz, appartenant au groupe BASF.

16      La requérante avait pour clients des entreprises des secteurs du verre, de la chimie et de la métallurgie. À l’époque des faits litigieux, son client le plus important était Saint-Gobain SA et les autres sociétés du même groupe (ci-après le « groupe Saint-Gobain »), non seulement pour le carbonate de soude, mais également pour l’ensemble des activités de la requérante. Ledit groupe possédait des filiales dans différents États d’Europe de l’Ouest, qui se fournissaient en carbonate de soude auprès des directions nationales de la requérante.

17      En 1988, les importations en provenance des pays d’Europe de l’Est, qui étaient frappées de droits antidumping à leur entrée dans la Communauté, représentaient notamment 8,1 % du marché allemand, 2 % du marché autrichien, 2,1 % du marché belge, 1,4 % du marché français et 3 % du marché italien.

18      Les importations en provenance des États-Unis étaient également frappées de droits antidumping, certaines importations étaient cependant effectuées sous le régime du perfectionnement actif. En 1988, les importations de soude américaine représentaient 2,4 % du marché belge, 0,9 % du marché français, 3 % du marché néerlandais et ne couvraient pas le marché allemand.

19      Le 5 avril 1989, la Commission a adopté une décision relative à une vérification à effectuer auprès de AZKO, CFK, ICI, Matthes & Weber, Rhône Poulenc et Solvay en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil (Affaire IV/33.133) (ci-après la « décision de vérification »), comprenant notamment les considérations suivantes :

« [Considérant que] les renseignements obtenus par la Commission font apparaître que le marché du carbonate de soude dense dans la [Communauté] est rigoureusement divisé selon les frontières nationales, chaque producteur limitant en principe ses ventes dans la Communauté à son marché ‘local’, c’est-à-dire à l’État membre ou les États membres dans lesquels sont sis ses propres centres de production ;

[q]ue Solvay qui a sept usines installées dans la [Communauté] est le seul producteur livrant dans la majorité des États membres et qui ne livre pas du tout au Royaume-Uni et en République d’Irlande, qui sont les territoires réservés d’ICI ;

[q]u’ICI ne semble pas livrer dans la [Communauté] en dehors de son marché local, constitué du Royaume-Uni et de l’Irlande et les autres producteurs semblent également confiner leurs livraisons à leurs marchés nationaux traditionnels ;

[q]ue d’après les renseignements dont dispose la Commission, il existe des barèmes de prix différents pour chaque État membre, mais les acheteurs ne se fournissent qu’auprès du producteur national, les producteurs ne désirant pas vendre sur les marchés nationaux d’autres producteurs ;

[q]ue de surcroît, dans les États membres où plusieurs producteurs existent, ceux-ci appliqueraient des barèmes de prix identiques et pratiqueraient des hausses de prix tant presque concomitantes qu’uniformes ;

[q]u’il est nécessaire d’établir si la rigidité apparente du marché dans la [Communauté] et le défaut apparent de concurrence [sont] le résultat d’ententes ou de pratiques concertées entre les producteurs au sens de l’article [81 CE] ;

[q]u’il est nécessaire en outre d’établir si des accords pouvant tomber sous l’article [81 CE] s’étendent au carbonate de soude léger, également fabriqué par les six producteurs ;

[q]ue toute entente ou pratique concertée comprenant le cloisonnement des marchés nationaux et/ou la concertation sur les prix pourraient constituer des infractions graves à l’article [81 CE] et que leur nature même laisse entrevoir qu’elles sont appliquées selon des modalités extrêmement secrètes ;

[q]ue pour permettre à la Commission de prendre connaissance de tous les éléments de fait concernant les éventuels accords ou pratiques concertées ainsi que l’identité des parties concernées, une décision s’impose obligeant les entreprises à se soumettre à une vérification en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 […] »

20      À la suite de ces considérations, l’article 1er de la décision de vérification énonce que la requérante ainsi que ses filiales allemandes et espagnoles étaient « tenues de se soumettre à une vérification portant sur […] leur participation éventuelle à des ententes et/ou à des pratiques concertées contraires à l’article [81 CE] ayant pour effet un cloisonnement des marchés nationaux et une concertation des prix du carbonate de soude [et sur] la mise en œuvre d’arrangements d’achat exclusifs avec des acheteurs qui pourraient restreindre ou éliminer la concurrence et renforcer la rigidité du marché du carbonate de soude dans la [Communauté] ».

21      Sur le fondement de la décision de vérification, la Commission a procédé à des vérifications auprès des différents producteurs de carbonate de soude établis dans la Communauté. Elle a saisi divers documents dans les locaux des entreprises concernées.

22      Le 21 juin 1989, la Commission a adressé à la requérante une demande de renseignements en application de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), dans sa version applicable au moment des faits, puis, le 8 juillet 1989, une demande de renseignements à sa filiale allemande, lesquelles visaient à la fois l’article 81 CE et l’article 82 CE.

23      Le 19 février 1990, la Commission a décidé d’engager une procédure d’office à l’encontre de la requérante, d’ICI et de CFK au titre de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17.

24      Le 13 mars 1990, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante, à ICI et à CFK. Chacune de ces sociétés a reçu uniquement la ou les parties de la communication des griefs relatives aux infractions la concernant, auxquelles étaient annexés les éléments de preuve à charge afférents.

25      La Commission a constitué un seul dossier pour l’ensemble des infractions visées par la communication des griefs.

26      En ce qui concerne la présente affaire, la Commission a conclu sous le titre IV, intitulé « Solvay », de la communication des griefs que la requérante avait abusé de la position dominante qu’elle détenait sur le marché du carbonate de soude en Europe de l’Ouest continentale.

27      Le 28 mai 1990, la requérante a présenté ses observations écrites en réponse aux griefs retenus par la Commission.

28      Le 19 décembre 1990, la Commission a adopté la décision 91/299/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/33.133 – C : Carbonate de soude – Solvay) (JO 1991, L 152, p. 21). Dans cette décision, notifiée à la requérante par lettre du 1er mars 1991, elle a constaté que « [la requérante avait] enfreint les dispositions de l’article [82 CE], depuis environ 1983 [et] jusqu’à ce jour, par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à […] conclure des accords avec des clients qui les obligent à s’approvisionner [auprès d’elle] pour la totalité ou une très large part de leurs besoins de soude pour une période indéfinie ou excessivement longue [, à] accorder des ristournes substantielles et d’autres incitations financières par référence à un tonnage marginal excédant le tonnage contractuel de base du client de façon à assurer qu’il s’approvisionne [auprès d’elle] pour la totalité ou la plus grande part de leurs besoins [et à] subordonner l’octroi des ristournes à l’accord du client de s’approvisionner [auprès d’elle] pour la totalité de ses besoins ».

29      Aux termes de l’article 3 de la décision 91/299, « une amende de 20 millions d’écus est infligée [à la requérante] en raison de l’infraction […] constatée ».

30      Le même jour, la Commission a également adopté la décision 91/297/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/33.133 – A : Carbonate de soude – Solvay, ICI) (JO 1991, L 152, p. 1), dans laquelle elle a constaté que « [la requérante] et ICI [avaient] enfreint les dispositions de l’article [81 CE] en participant, depuis le 1er janvier 1973 [et] jusqu’à au moins l’engagement de la présente procédure, à une pratique concertée par laquelle elles ont limité leurs ventes de soude dans la Communauté à leurs marchés intérieurs respectifs, à savoir l’Europe de l’Ouest continentale pour [la requérante] et le Royaume-Uni et l’Irlande pour ICI ». La requérante et ICI ont été condamnées respectivement à une amende de sept millions d’écus.

31      Le même jour, la Commission a, par ailleurs, adopté la décision 91/298/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/33.133 – B : Carbonate de soude – Solvay, CFK) (JO 1991, L 152, p. 16), dans laquelle elle a constaté que « [la requérante] et CFK [avaient] enfreint les dispositions de l’article [81 CE] en participant, depuis 1987 environ [et] jusqu’à ce jour, à un accord de partage de marché par lequel la requérante garantissait à CFK un tonnage annuel minimal de ventes de soude en Allemagne, calculé par référence aux ventes réalisées par CFK en 1986, et compensait à CFK tout déficit en lui rachetant les tonnages nécessaires pour porter ses ventes au minimum garanti ». La requérante et CFK ont été condamnées à une amende respectivement de trois millions et d’un million d’écus.

32      Le même jour, la Commission a, en outre, adopté la décision 91/300/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/33.133 – D : Carbonate de soude – ICI) (JO 1991, L 152, p. 40), dans laquelle elle a constaté que « ICI [avait] enfreint les dispositions de l’article [82 CE], depuis environ 1983 [et] jusqu’à ce jour, par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à […] accorder des ristournes substantielles et d’autres incitations financières se rapportant à un tonnage marginal de façon à assurer que le client s’approvisionne pour la totalité ou la plus grande part de ses besoins [auprès d’] ICI [, à] s’assurer l’accord des clients de s’approvisionner [auprès d’] ICI pour couvrir la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins ou de restreindre leurs achats aux concurrents à une quantité spécifiée [et], dans un cas au moins, [à] subordonner l’octroi des ristournes et autres avantages financiers à l’accord du client de s’approvisionner [auprès d’] ICI pour la totalité de ses besoins ». ICI a été condamnée à une amende de dix millions d’écus.

33      Le 2 mai 1991, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 91/299. Le même jour, la requérante a également demandé l’annulation des décisions 91/297 et 91/298. Le 14 mai 1991, ICI a demandé l’annulation des décisions 91/297 et 91/300.

34      Par arrêt du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T‑32/91, Rec. p. II‑1825, ci-après l’« arrêt Solvay III »), le Tribunal a annulé la décision 91/299 au motif que l’authentification de ladite décision avait été effectuée après sa notification, ce qui constituait une violation d’une forme substantielle au sens de l’article 230 CE.

35      Le même jour, le Tribunal a également annulé la décision 91/298 dans la mesure où elle concerne la requérante (arrêt Solvay/Commission, T‑31/91, non publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Solvay II ») ainsi que la décision 91/300 (arrêt ICI/Commission, T‑37/91, Rec. p. II‑1901, ci-après l’« arrêt ICI II ») en raison de l’authentification irrégulière des décisions attaquées. Par ailleurs, le Tribunal a annulé la décision 91/297 (arrêts Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, ci-après l’« arrêt Solvay I », et ICI/Commission, T‑36/91, Rec. p. II‑1847, ci-après l’« arrêt ICI I »), dans la mesure où celle-ci concerne les parties requérantes dans ces deux affaires, pour violation du droit d’accès au dossier.

36      Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 30 août 1995, la Commission a formé des pourvois contre les arrêts Solvay II, point 35 supra, Solvay III, point 34 supra, et ICI II, point 35 supra.

37      Par arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI (C‑286/95 P, Rec. p. I‑2341), et Commission/Solvay (C‑287/95 P et C‑288/95 P, Rec. p. I‑2391), la Cour a rejeté les pourvois contre les arrêts ICI II, point 35 supra, Solvay II, point 35 supra, et Solvay III, point 34 supra.

38      Le mardi 12 décembre 2000, une agence de presse a publié un communiqué de presse qui est rédigé de la façon suivante :

« La Commission européenne infligera une amende aux sociétés de l’industrie de la chimie que sont Solvay SA et Imperial Chemical Industries plc […] mercredi pour violation du droit de la concurrence de l’Union européenne, a déclaré une porte-parole ce mardi.

Les amendes pour le prétendu abus de position dominante sur le marché du carbonate de soude avaient été imposées à l’origine il y a dix ans, mais elles ont été annulées par la plus haute Cour européenne pour des raisons de procédure.

La Commission adoptera à nouveau la même décision mercredi, mais dans une forme correcte, a déclaré la porte-parole.

La substance de la décision n’a jamais été contestée par les sociétés. Nous adopterons à nouveau la même décision, a-t-elle dit. »

39      Le 13 décembre 2000, la Commission a adopté la décision 2003/6/CE, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (COMP/33.133 – C : Carbonate de soude – Solvay) (JO 2003, L 10, p. 10, ci-après la « décision attaquée »).

40      Le même jour, la Commission a également adopté les décisions 2003/5/CE, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (COMP/33.133 – B : Carbonate de soude – Solvay, CFK) (JO 2003, L 10, p. 1), et 2003/7/CE relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (Affaire COMP/33.133 – D : Carbonate de soude – ICI) (JO 2003, L 10, p. 33).

41      La décision attaquée comporte le dispositif suivant :

« Article premier

Solvay […] a enfreint les dispositions de l’article [82 CE] à partir de 1983 et jusqu’à fin 1990 environ par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à :

a)      conclure des accords avec des clients qui les obligent à s’approvisionner [auprès de] Solvay pour la totalité ou une très large part de leurs besoins de soude pour une période indéfinie ou excessivement longue ;

b)      accorder des ristournes substantielles et d’autres incitations financières par référence à un tonnage marginal excédant le tonnage contractuel de base du client de façon à assurer qu’il s’approvisionne [auprès de] Solvay pour la totalité ou la plus grande part de ses besoins ;

c)      subordonner l’octroi des ristournes à l’accord du client de s’approvisionner [auprès de] Solvay pour la totalité de ses besoins.

Article 2

Une amende de 20 millions d’euros est infligée à Solvay pour l’infraction spécifiée à l’article 1er, [sous] b) et c).

[…] »

42      La décision attaquée est rédigée pratiquement dans les mêmes termes que la décision 91/299. La Commission a seulement apporté quelques modifications d’ordre rédactionnel et ajouté une partie nouvelle intitulée « Procédures devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice ».

43      Dans cette partie nouvelle de la décision attaquée, la Commission, se référant à l’arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, ci-après l’« arrêt PVC II du Tribunal »), a considéré qu’elle avait « le droit d’arrêter [à] nouveau une décision qui avait été annulée pour vices de pure procédure, sans que soit engagée une nouvelle procédure administrative » et qu’elle n’était « pas tenue d’organiser une nouvelle audition si le texte de la nouvelle décision ne [contenait] pas d’autres griefs que ceux formulés dans la première décision » (considérant 199).

44      La Commission a également précisé dans la décision attaquée que le délai de prescription devait être prorogé de la période pendant laquelle le recours contre la décision 91/299 faisait l’objet d’une procédure pendante devant le Tribunal et la Cour, en application de l’article 3 du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1) (considérants 204 et 205). Ainsi, compte tenu des circonstances de l’espèce, la Commission a considéré qu’elle avait jusqu’au mois de septembre 2004 pour arrêter une nouvelle décision (considérant 207). Elle a, en outre, indiqué qu’il n’y avait pas violation des droits de la défense si la nouvelle décision était arrêtée dans un délai raisonnable (considérant 199).

45      En ce qui concerne l’infraction proprement dite, la Commission a précisé dans la décision attaquée que le produit et la zone géographique à l’égard desquels la puissance économique de la requérante devait être appréciée étaient le marché de la soude et la Communauté, à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande (considérant 136).

46      Afin d’apprécier la puissance sur le marché de la requérante aux fins de la présente affaire, la Commission a examiné les facteurs économiques pertinents et a conclu dans la décision attaquée que, pendant toute la période considérée, la requérante avait occupé une position dominante au sens de l’article 82 CE (considérants 137 à 148).

47      S’agissant de l’abus de position dominante, la Commission a indiqué dans la décision attaquée que la requérante avait « lié » ses clients au moyen de plusieurs mécanismes qui visaient tous le même but d’exclusion (considérant 150). À cet égard, elle a exposé que :

–        à partir de 1982, la requérante avait adopté un système de ristournes progressives qui visait expressément à assurer la fidélité du client et à exclure ou à limiter la concurrence (considérants 151 à 160) ;

–        la requérante avait conclu un protocole secret avec Saint-Gobain, destiné à la confirmer dans la position de fournisseur exclusif ou quasi exclusif de Saint-Gobain en Europe de l’Ouest, sauf en France. Ainsi, le paiement de la ristourne « groupe » de 1,5 %, calculée sur l’ensemble des achats de Saint-Gobain en Europe, était subordonné à la condition que Saint-Gobain continue à accorder à la requérante la priorité pour son approvisionnement (considérants 161 à 165) ;

–        la requérante avait conclu des accords d’exclusivité, exprès et de fait, avec certains de ses clients (considérants 166 à 176) ;

–        diverses formes de clauses de concurrence et des mécanismes similaires renforçaient le lien avec la requérante, limitaient la possibilité pour le client de changer de fournisseur et rendaient plus difficile l’accès des concurrents à l’approvisionnement des clients établis de la requérante (considérants 177 à 180) ;

–        le système de ristournes appliqué par la requérante constituait des pratiques discriminatoires (considérants 181 à 185).

48      Aux termes de la décision attaquée, « [l]es ristournes de fidélité et les autres incitations offertes par [la requérante] en vue de s’assurer l’exclusivité ont affecté le commerce entre États membres en renforçant les liens entre les clients et le fournisseur dominant » et « [l]es divers mécanismes utilisés par [la requérante] pour lier les clients ont eu pour résultat de renforcer la rigidité structurelle et la division du marché de la soude selon des frontières nationales, nuisant ou menaçant ainsi de nuire à la réalisation de l’objectif d’un marché unique entre les États membres » (considérant 187).

49      La Commission a précisé dans la décision attaquée que les infractions commises avaient été d’une gravité extrême dès lors que la requérante était le premier producteur de soude de la Communauté et que lesdites infractions lui avaient permis de consolider sa maîtrise du marché en excluant une concurrence effective dans une grande partie du marché commun (considérant 191).

50      La Commission a en outre indiqué dans la décision attaquée que les infractions avaient commencé approximativement en 1983, soit très peu de temps après les négociations avec elle et la clôture du dossier, et s’étaient poursuivies tout au moins jusqu’à la fin de l’année 1990 (considérant 195).

51      Le 13 décembre 2000, la Commission a également publié un communiqué de presse indiquant qu’elle adopterait des décisions infligeant à la requérante et à ICI des amendes identiques à celles qui leur avaient été initialement infligées dans l’affaire « Carbonate de soude ».

 Procédure

52      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mars 2001, la requérante a introduit le présent recours.

53      Dans la requête, la requérante a demandé au Tribunal d’ordonner à la Commission de produire l’ensemble des documents composant son dossier afin d’examiner si l’accès à ces documents au cours de la procédure administrative aurait été susceptible d’affecter l’exercice de ses droits de la défense.

54      Le 8 mai 2001, l’affaire a été attribuée à la quatrième chambre du Tribunal et un juge rapporteur a été nommé.

55      Après autorisation du Tribunal, la requérante et la Commission ont présenté leurs observations respectivement le 6 et le 23 décembre 2002 sur les conséquences à tirer dans la présente affaire de l’arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, ci-après l’« arrêt PVC II de la Cour »).

56      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter du 1er octobre 2003, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée le 8 octobre 2003.

57      Le 19 décembre 2003, le Tribunal a invité la Commission à produire la communication des griefs, ses annexes ainsi qu’une liste énumérative détaillée de l’ensemble des documents composant le dossier. Cette liste devait comporter une indication succincte permettant d’identifier l’auteur, la nature et le contenu de chaque pièce. Le Tribunal a également demandé à la Commission de lui indiquer lesquelles parmi ces pièces avaient été accessibles à la requérante lors de la procédure administrative.

58      Le 13 février 2004, la Commission a produit la communication des griefs et ses annexes ainsi que la liste énumérative demandée. Elle a sollicité un délai pour répondre à la dernière demande du Tribunal.

59      Par lettre du 10 mars 2004, la Commission a précisé que, lors de la procédure administrative, la requérante avait eu accès aux documents qui étayaient la communication des griefs et qui étaient joints à celle-ci. Par ailleurs, elle a fait référence à 65 « sous-dossiers » composant le dossier, parmi lesquels 22 « sous-dossiers » provenaient du siège de la requérante ou de l’une de ses filiales (à savoir les « sous-dossiers » nos 2 à 14, 24 à 27, 50 à 52 et 62 à 65 et une partie du « sous-dossier » n° 61). Selon la Commission, la procédure suivie en 1990 respectait la jurisprudence existante relative au droit d’accès au dossier. Elle a ajouté que, après relecture du dossier d’instruction, rien n’indiquait à ce stade que les droits de la défense avaient été violés au cours de la procédure administrative, même en examinant ce dossier d’instruction à la lumière de la jurisprudence ultérieure relative au droit d’accès au dossier.

60      Par lettre du 21 juin 2004, la Commission a adressé au greffe du Tribunal une liste énumérative révisée de documents composant le dossier administratif plus complète que celle fournie le 13 février 2004. Comme la liste précédente, cette liste énumérative révisée faisait référence à 65 « sous‑dossiers ». Elle énumérait également quelques documents provenant pour la plupart de la société Oberland Glas.

61      Par lettre du 21 juillet 2004, le Tribunal a invité la requérante à indiquer les documents figurant dans la liste énumérative révisée dont elle n’avait pas eu communication lors de la procédure administrative et qui, à son avis, étaient susceptibles de contenir des éléments qui auraient pu être utiles à sa défense.

62      Par lettre du 29 septembre 2004, la requérante a souligné que la liste énumérative révisée était incomplète et imprécise. Elle a également indiqué, parmi les documents répertoriés dans cette liste énumérative révisée, ceux qui lui semblaient utiles à sa défense et qu’elle souhaitait consulter. Selon elle, ces documents auraient pu lui permettre de développer son argumentation quant à la définition du marché géographique pertinent, à l’absence de position dominante et à l’absence d’abus de position dominante.

63      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter du 13 septembre 2004, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre dans sa nouvelle composition, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée le 7 octobre 2004.

64      Le 17 décembre 2004, le Tribunal a invité la Commission à déposer au greffe les documents du dossier mentionnés par la requérante dans sa lettre du 29 septembre 2004, dans des versions confidentielle et non confidentielle.

65      Par lettre du 28 janvier 2005, la Commission a déposé au greffe du Tribunal la version confidentielle des documents du dossier demandés. Elle a demandé un délai supplémentaire pour produire une éventuelle version non confidentielle, les entreprises concernées devant être consultées sur l’intérêt pour elles du maintien de la confidentialité. La Commission a également précisé ce qui suit :

« [L]a liste, bien que [comportant] tous les dossiers en sa possession à ce jour, ne reprend pas tous les dossiers qui avaient été mentionnés au Tribunal dans la première affaire Carbonate de soude. Les quelques dossiers manquants sont demeurés introuvables, malgré de longues recherches. »

66      Par lettre du 15 mars 2005, après avoir indiqué que les entreprises concernées ne demandaient pas un traitement confidentiel, la Commission a présenté les observations suivantes :

« En ce qui concerne les dossiers demeurés introuvables, la Commission regrette de ne pouvoir apporter une réponse totalement fiable aux questions du Tribunal.

Le dossier administratif ([c’est-à-dire] le dossier couvrant la procédure à partir de l’ouverture de l’enquête jusqu’à l’envoi de la communication des griefs) que possède actuellement la Commission comporte 65 classeurs numérotés couvrant la période [allant] jusqu’en septembre 1989 [ainsi que] le dossier qui porte le numéro 71 et qui contient la communication des griefs et ses annexes ainsi [qu’un] classeur non numéroté dénommé ‘Oberland Glas’. Partant, il est vraisemblable que cinq classeurs soient manquants.

En ce qui concerne le contenu des classeurs manquants, la Commission regrette qu’il soit impossible de dresser la liste complète des documents qui ont disparu, car les index de ces classeurs sont également introuvables. Cela étant dit, il y a toute raison de croire qu’au moins certains d’entre eux contenaient de la correspondance au titre de l’article 11 du règlement n° 17, ce qui correspond à l’explication fournie par la Commission au Tribunal à propos du dossier administratif en 1990. Par exemple, il est probable que la réponse de […] ICI à la demande de renseignements de la Commission du 19 juin 1989 fasse partie des dossiers manquants : cette demande faite à ICI figure dans le dossier administratif toujours entre les mains de la Commission, mais la réponse [fait] défaut. »

67      Le 14 avril 2005, la requérante a consulté au greffe du Tribunal les documents du dossier mentionnés dans sa lettre du 29 septembre 2004.

68      Le 15 juillet 2005, la requérante a présenté ses observations quant à l’utilité pour sa défense des documents consultés. Le 18 novembre 2005, la Commission a répondu aux observations de la requérante.

69      À la suite de la cessation des fonctions du juge rapporteur initialement désigné, le président du Tribunal a, par décision du 22 juin 2006, nommé un nouveau juge rapporteur.

70      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter du 25 septembre 2007, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée le 5 octobre 2007.

71      Le 12 février 2008, M. le juge Tchipev étant empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, M. le juge Dittrich pour compléter la chambre.

72      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé le 5 mai 2008 des questions écrites à la requérante et à la Commission. Les parties y ont répondu dans le délai imparti.

73      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 26 juin 2008.

 Conclusions des parties

74      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, constater l’extinction des poursuites du fait de l’écoulement du temps et, en tout état de cause, annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, constater que le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes était prescrit et, en tout état de cause, annuler l’article 2 de la décision attaquée en tant qu’il lui inflige une amende de 20 millions d’euros ;

–        à titre encore plus subsidiaire, dire qu’il n’y a pas lieu de lui infliger d’amende ou, à tout le moins, la réduire substantiellement ;

–        à titre de mesure d’instruction, ordonner à la Commission de produire tous les documents internes relatifs à l’adoption de la décision attaquée et, en particulier, le procès-verbal de toute réunion du collège des commissaires au cours de laquelle la décision attaquée aurait été discutée ;

–        ordonner à la Commission de produire l’ensemble des documents composant son dossier dans l’affaire COM/33.133 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

75      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

76      Les conclusions de la requérante visent, à titre principal, à l’annulation de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par ladite décision.

 1. Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

77      La requérante soulève, en substance, six moyens tendant à l’annulation de la décision attaquée. Ils sont tirés, premièrement, de l’écoulement du temps, deuxièmement, de la violation des formes substantielles, troisièmement, de la définition erronée du marché géographique retenue par la Commission, quatrièmement, de l’absence de position dominante, cinquièmement, de l’absence d’abus de position dominante et, sixièmement, de la violation du droit d’accès au dossier.

 Sur le premier moyen, tiré de l’écoulement du temps

78      Le premier moyen s’articule en deux branches, tirées respectivement d’une application erronée des règles de prescription posées par le règlement n° 2988/74 et de la violation du principe du délai raisonnable.

 Sur la première branche, tirée d’une application erronée des règles de prescription

–       Arguments des parties

79      La requérante fait valoir que le raisonnement suivi par la Commission en ce qui concerne le respect des règles de prescription est contraire à la lettre et à l’esprit du règlement n° 2988/74.

80      Selon la requérante, le pourvoi formé par la Commission le 30 août 1995, lequel n’a pas d’effet suspensif en vertu de l’article 60 du statut de la Cour, avait pour objet non pas la décision 91/299, qui avait cessé d’exister de façon rétroactive, mais l’arrêt Solvay III, point 34 supra, annulant ladite décision. En effet, en vertu de l’article 58 du statut de la Cour, la procédure sur pourvoi serait limitée aux questions de droit et la Cour procéderait à un contrôle de la légalité en se référant à l’appréciation souveraine du Tribunal pour ce qui concerne les questions de fait.

81      Si la « procédure pendante devant la Cour », énoncée à l’article 3 du règlement n° 2988/74, doit se lire à présent comme incluant le Tribunal, l’instauration d’un double degré de juridiction ne pourrait permettre d’étendre la période de suspension de la prescription pour couvrir une procédure dont l’objet n’est pas la décision attaquée. En outre, soutenir que l’article 3 du règlement n° 2988/74 impliquerait de suspendre la prescription pendant la durée d’une procédure sur pourvoi reviendrait à donner un effet à une décision annulée ab initio, ce qui serait sans précédent dans la pratique commune des États membres.

82      Se référant au point 1098 de l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, la requérante fait observer que l’objet de l’article 3 du règlement n° 2988/74 est de permettre la suspension de la prescription lorsque la Commission est empêchée d’intervenir pour une raison objective qui ne lui est pas imputable, tenant au fait même qu’un recours est pendant. La requérante estime que, en l’espèce, la Commission pouvait se prétendre empêchée d’agir tant que le recours était pendant devant le Tribunal. En revanche, à compter du prononcé de l’arrêt du Tribunal, la Commission, sous réserve du respect du principe du délai raisonnable, aurait été libre d’adopter une nouvelle décision. La Commission aurait ainsi, en formant un pourvoi, pris le risque de voir son action prescrite alors qu’elle avait connaissance de l’arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555), qui avait statué sur le défaut d’authentification des actes adoptés par le collège des commissaires. Dès lors, l’inaction de la Commission tandis que son pourvoi était pendant devant la Cour ne pourrait être justifiée par aucune raison objective.

83      Par conséquent, seule la durée de la procédure devant le Tribunal aurait dû être prise en compte comme prorogeant le délai de prescription. Celui-ci aurait donc pris fin le 27 janvier 2000, bien avant l’adoption de la décision attaquée.

84      La requérante fait également observer que, dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, cette interprétation n’est pas contredite. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la nouvelle décision de la Commission aurait été adoptée dans un délai inférieur au délai de cinq ans majoré par le seul « délai de suspension » relatif à la procédure devant le Tribunal. Ainsi, dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, n’aurait pas été examinée la question de savoir si un pourvoi a un effet suspensif au sens de l’article 3 du règlement n° 2988/74.

85      Dans la réplique, la requérante ajoute que la thèse soutenue par la Commission reviendrait à priver l’arrêt Solvay III, point 34 supra, de tout effet tant que celui-ci n’avait pas été confirmé par la Cour, ce qui méconnaîtrait l’autorité dudit arrêt. Par ailleurs, donner une interprétation extensive à l’article 3 du règlement n° 2988/74, qui couvrirait des situations dans lesquelles la Commission n’est pas empêchée d’agir, serait contraire au principe de sécurité juridique.

86      Enfin, dans ses observations présentées à la suite de l’arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, la requérante maintient que ni le Tribunal ni la Cour n’ont pu avoir, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’intention de trancher la question de savoir si le pourvoi introduit par la Commission contre un arrêt d’annulation du Tribunal a pour effet de suspendre la prescription pendant la durée de la procédure sur pourvoi.

87      La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

88      À titre liminaire, il convient de souligner que le règlement n° 2988/74 a institué une réglementation complète régissant en détail les délais dans lesquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de la sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles communautaires de la concurrence (arrêts du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e. a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 324, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec. p. II‑881, point 223).

89      Ainsi, en application de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, du règlement n° 2988/74 ainsi que de l’article 2, paragraphe 3, du même règlement, la prescription des poursuites est acquise lorsque la Commission n’a pas prononcé une amende ou une sanction dans les cinq ans suivant le point de départ du délai de prescription sans que, entre-temps, soit intervenu un acte interruptif ou, au plus tard, dans les dix ans suivant le même point de départ si des actes interruptifs ont été accomplis. Néanmoins, en vertu de l’article 2, paragraphe 3, du règlement en cause, le délai de prescription ainsi défini est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue conformément à son article 3 (arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, point 140).

90      Aux termes de l’article 3 du règlement n° 2988/74, la prescription en matière de poursuites est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant la Cour de justice des Communautés européennes.

91      En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que, dans l’affaire en cause, la Commission a appliqué les règles de prescription de la manière suivante.

92      Tout d’abord, la Commission a estimé que, s’agissant d’infractions continues ou continuées, le délai de prescription avait commencé à courir à compter de la fin de l’année 1990. Elle a également ajouté que, même en supposant que l’infraction avait pris fin le 31 décembre 1990 et que l’adoption et la notification de la décision 91/299 n’avaient pas interrompu le délai de prescription, elle disposait d’un délai allant à tout le moins jusqu’à la fin de l’année 1995 pour arrêter sa décision (considérant 203).

93      Ensuite, la Commission a considéré que le délai de prescription devait être prorogé de la période au cours de laquelle le recours contre la décision était pendant devant le Tribunal (considérant 204). Or, en l’espèce, dans la mesure où le recours avait été introduit devant le Tribunal le 2 mai 1991, où l’arrêt avait été rendu par le Tribunal le 29 juin 1995, où le pourvoi avait été formé devant la Cour le 30 août 1995 et où l’arrêt avait été rendu par la Cour le 6 avril 2000, la prescription avait été suspendue pour une période minimale de huit ans, neuf mois et quatre jours (considérant 206). Par conséquent, la Commission a estimé qu’elle disposait d’un délai allant jusqu’au mois de septembre 2004 pour adopter une nouvelle décision (considérant 207).

94      Il en résulte que, selon la Commission, la décision attaquée, du 13 décembre 2000, a été adoptée avant l’expiration du délai de prescription.

95      Un tel raisonnement est conforme aux règles de prescription applicables en l’espèce.

96      En effet, tout d’abord, les infractions reprochées à la requérante ont pris fin avec l’adoption de la décision 91/299, le 19 décembre 1990. Par conséquent, le délai de prescription a commencé à courir à cette date.

97      Ensuite, comme le soulignent à juste titre les parties, la référence de l’article 3 du règlement n° 2988/74 à « une procédure pendante devant la Cour de justice des Communautés européennes » doit être comprise, depuis la création du Tribunal, comme visant en premier lieu une procédure pendante devant celui-ci, dans la mesure où les recours infligeant des sanctions ou des amendes dans le domaine du droit de la concurrence relèvent de sa compétence. Par conséquent, la prescription a été suspendue pendant toute la durée de la procédure devant le Tribunal.

98      Enfin, il résulte du point 157 de l’arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, que, au sens de l’article 3 du règlement n° 2988/74, la prescription est suspendue aussi longtemps que la décision en cause fait l’objet d’une procédure pendante « devant le Tribunal et la Cour ». Ainsi, en l’espèce, la prescription a également été suspendue pendant toute la durée de la procédure devant la Cour, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la période allant du prononcé de l’arrêt du Tribunal à la saisine de la Cour.

99      Par conséquent, à la suite de cette suspension de la prescription, aucune période de plus de cinq ans ne s’est écoulée, en l’espèce, depuis la fin des infractions en cause ou depuis une interruption quelconque de la prescription.

100    Partant, la décision attaquée a été adoptée dans le respect des règles de prescription établies par le règlement n° 2988/74.

101    Aucun des arguments avancés par la requérante n’est de nature à remettre en cause cette considération.

102    En effet, premièrement, il convient de relever que l’article 60 du statut de la Cour et l’article 3 du règlement n° 2988/74 ont un champ d’application différent. L’absence d’effet suspensif d’un pourvoi n’est pas de nature à priver de tout effet l’article 3 du règlement n° 2988/74, qui concerne des situations dans lesquelles la Commission doit attendre la décision du juge communautaire. La thèse de la requérante selon laquelle la Commission ne devait pas tenir compte de la période au cours de laquelle un pourvoi était pendant devant la Cour ne saurait donc être accueillie, car elle aurait pour résultat de priver l’arrêt de la Cour sur pourvoi de sa raison d’être et de ses effets.

103    Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’instauration d’un double degré de juridiction ne permet pas d’étendre la période de suspension de la prescription, il convient de rappeler que l’article 3 du règlement n° 2988/74 protège la Commission contre l’effet de la prescription dans des situations dans lesquelles elle doit attendre la décision du juge communautaire, dans le cadre de procédures dont elle ne maîtrise pas le déroulement, avant de savoir si l’acte attaqué est ou non entaché d’illégalité (arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, point 144).

104    Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, ne serait pas pertinent pour la solution du présent litige, il résulte au contraire clairement du texte de cet arrêt, confirmé sur pourvoi, que, d’une façon générale, il convient d’ajouter au délai de prescription la période pendant laquelle la prescription a été suspendue, à savoir non seulement la période pendant laquelle la procédure était pendante devant le Tribunal, mais également la période pendant laquelle la procédure était pendante devant la Cour.

105    Quatrièmement, s’agissant de l’argument selon lequel la suspension de la prescription pendant la durée d’une procédure sur pourvoi reviendrait à octroyer des effets à une décision annulée en première instance, il suffit de relever que la suspension de la prescription permet uniquement à la Commission d’adopter éventuellement une nouvelle décision dans l’hypothèse où le pourvoi formé contre un arrêt du Tribunal annulant une décision de la Commission est rejeté. Cette suspension de la prescription n’emporte aucun effet sur la décision ayant été annulée par l’arrêt du Tribunal.

106    Cinquièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû adopter une nouvelle décision sans attendre l’arrêt de la Cour, il y a lieu de relever que, certes, la Commission n’était pas formellement empêchée d’agir à la suite de l’annulation par le Tribunal de la décision initiale, sans que cela implique pour autant que la Commission devait nécessairement adopter une nouvelle décision sans attendre l’arrêt de la Cour. Il ne saurait en outre être reproché à la Commission d’avoir exercé ses droits de la défense en introduisant un pourvoi et d’avoir attendu l’arrêt de la Cour avant d’adopter une nouvelle décision. Une telle interprétation de l’article 3 du règlement n° 2988/74 est par ailleurs conforme au principe de sécurité juridique, qui vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire (arrêt de la Cour du 15 février 1996, Duff e.a., C-63/93, Rec. p. I‑569, point 20, et arrêt du Tribunal du 19 mars 1997, Oliveira/Commission, T‑73/95, Rec. p. II‑381, point 29).

107    Sixièmement, il convient d’ajouter que l’interprétation de l’article 3 du règlement n° 2988/74 proposée par la requérante aboutit à des difficultés pratiques sérieuses. En effet, si la Commission doit adopter une nouvelle décision à la suite de l’annulation d’une décision par le Tribunal sans attendre l’arrêt de la Cour, il existe un risque que deux décisions ayant le même objet coexistent dans l’hypothèse où la Cour annulerait l’arrêt du Tribunal.

108    En outre, il apparaît contraire aux exigences d’économie de la procédure administrative d’imposer à la Commission, dans le seul but d’éviter que la prescription ne soit acquise, l’adoption d’une nouvelle décision avant de savoir si la décision initiale est ou non entachée d’illégalité.

109    Il résulte de tout ce qui précède que la première branche du premier moyen doit être écartée.

 Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe du délai raisonnable

–       Arguments des parties

110    La requérante fait valoir qu’elle a eu connaissance de l’« accusation à son encontre » le 13 mars 1990, date à laquelle la communication des griefs lui a été adressée, soit onze ans avant la date de l’introduction du présent recours. En outre, l’enjeu de la présente affaire serait particulièrement important pour elle dans la mesure où, dans la décision 91/299 puis dans la décision attaquée, la Commission lui a reproché des infractions d’une « gravité extrême », et lui a infligé une amende de 20 millions d’euros. Or, au moment de l’introduction du présent recours, aucune décision définitive n’aurait été adoptée en ce qui concerne les accusations formulées à son égard dans la communication des griefs.

111    Se référant à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »), signée à Rome le 4 novembre 1950, la requérante fait observer que, considérée dans son ensemble, la procédure lancée en février 1990 a manifestement outrepassé un délai raisonnable. À cet égard, la jurisprudence communautaire ne prévoirait pas que la durée de la procédure doive s’apprécier étape par étape. Dès lors, rien ne pourrait justifier que la Commission ait attendu cinq ans et demi pour adopter une nouvelle décision, d’autant que le pourvoi devant la Cour n’aurait pas d’effet suspensif.

112    À la suite de l’arrêt Solvay III, point 34 supra, la Commission aurait choisi non seulement d’introduire un recours dont elle pouvait s’attendre à ce qu’il soit rejeté à la lumière de l’arrêt Commission/BASF e.a, point 82 supra, mais également d’attendre son issue avant d’adopter la décision attaquée. En outre, selon la requérante, la Commission a attendu encore huit mois après l’arrêt Commission/Solvay, point 37 supra, alors que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, la nouvelle décision avait été adoptée dans un délai d’un mois et demi.

113    Par ailleurs, la Commission confondrait le délai raisonnable et le délai de prescription en considérant à tort avoir été autorisée à attendre l’année 2004 pour adopter une nouvelle décision. Ainsi, dans la décision attaquée, la Commission n’indiquerait pas les éléments sur lesquels elle se fonde pour considérer que le délai raisonnable a été respecté en l’espèce. Selon la requérante, quelle que puisse être la justification de la longueur de chaque étape de la procédure, « un délai de quatorze à seize ans, voire davantage, pour l’ensemble de la procédure entre la communication des griefs et la décision définitive du Tribunal ou de la Cour » ne peut être qualifié de raisonnable.

114    Dès lors, il appartiendrait au Tribunal de constater le dépassement du délai raisonnable et d’annuler la décision attaquée en ce qu’il ne serait plus possible, à ce stade, de se prononcer dans un délai raisonnable sur les accusations formulées à l’encontre de la requérante. Toute autre solution, consistant par exemple à tenir compte du dépassement du délai raisonnable dans la fixation du montant de l’amende, ne remédierait pas à la violation de l’article 6 de la CEDH. En outre, la requérante soutient que, en application des principes posés par la Cour européenne des droits de l’homme, elle n’a pas à démontrer que ce dépassement du délai raisonnable a porté préjudice à ses droits de la défense, ce qui constituerait un motif distinct d’annulation. En effet, le critère de l’atteinte aux droits de la défense serait distinct du droit à être jugé dans un délai raisonnable en matière pénale.

115    En tout état de cause, la requérante fait valoir que le dépassement du délai raisonnable et le dépérissement des preuves qui en résulte l’empêchent de se défendre, en la privant notamment de la possibilité d’étayer les arguments avancés dans la requête. En outre, la requérante soutient qu’elle ne peut plus faire appel à ses anciens salariés, qui étaient employés dans le secteur et la filiale concernés. En particulier, la requérante affirme qu’elle ne peut pas se livrer à des analyses détaillées des conditions de production et de fourniture du carbonate de soude dans les années 80, car plusieurs de ses unités de production ont été fermées depuis et les archives afférentes à ces unités de production n’ont pas été systématiquement conservées.

116    La requérante estime que l’inaction fautive de la Commission au cours des cinq années et demie postérieures à l’arrêt Solvay III, point 34 supra, doit être spécialement sanctionnée. À cet égard, la requérante précise qu’elle a pu croire légitimement que la Commission avait renoncé à rouvrir le dossier, si bien qu’elle n’a pas cherché à conserver systématiquement une trace des faits et des documents pouvant être utiles à sa défense. De plus, sa politique d’archivage lui imposerait, sauf circonstances exceptionnelles, une destruction systématique des archives après dix ans, voire après cinq ans.

117    Enfin, considérer que la charge de la preuve du caractère déraisonnable appartient à la requérante serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle il appartient aux autorités nationales, en présence de longues périodes d’inactivité, d’en expliquer les raisons, qui ne pourraient être justifiées que dans des circonstances exceptionnelles. La requérante soutient également que, contrairement à la Commission, il ne saurait lui être reproché une manœuvre visant à retarder la procédure depuis 1989. Elle fait observer que la Commission s’est montrée incapable de respecter ses règles internes d’authentification et le principe de sécurité juridique, ce qui a retardé l’examen au fond de la décision initiale de plusieurs années.

118    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

119    À titre liminaire, il convient de rappeler que le respect du principe du délai raisonnable s’impose, en matière de concurrence, aux procédures administratives diligentées en application du règlement nº 17 et susceptibles d’aboutir aux sanctions fixées par celui-ci et à la procédure juridictionnelle devant le juge communautaire (arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, point 179).

120    En premier lieu, au soutien de son grief tiré du caractère déraisonnable de la durée de la procédure administrative, la requérante invoque notamment le fait que, bien que le pourvoi n’ait pas d’effet suspensif, la Commission a, sans aucun motif, attendu cinq ans et demi pour adopter une nouvelle décision à la suite de l’annulation de la décision 91/299 par l’arrêt Solvay III, point 34 supra.

121    Or, comme il a été constaté lors de l’examen de la première branche du premier moyen, la prescription a été suspendue conformément à l’article 3 du règlement n° 2988/74 pendant toute la durée de la procédure devant la Cour à la suite de l’introduction du pourvoi contre l’arrêt Solvay III, point 34 supra. Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir violé le principe du délai raisonnable du seul fait d’avoir attendu que la Cour ait statué dans le cadre d’un tel pourvoi avant d’adopter la décision attaquée.

122    En deuxième lieu, la requérante fait valoir, plus généralement, que la durée de la procédure administrative, prise dans son ensemble, c’est-à-dire entre l’envoi de la communication des griefs et l’adoption de la décision attaquée, a excédé un délai raisonnable.

123    Cet argument doit être rejeté.

124    En effet, dans le cadre de l’examen d’un grief pris d’une violation du principe du délai raisonnable, il y a lieu d’opérer une distinction entre la procédure administrative et la procédure juridictionnelle. Ainsi, la période durant laquelle le juge communautaire a examiné la légalité de la décision 91/299 ainsi que la validité de l’arrêt Solvay III, point 34 supra, ne peut pas être prise en compte lors de la détermination de la durée de la procédure devant la Commission (voir, en ce sens, arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, point 123 ).

125    En troisième lieu, la requérante critique la durée de la procédure administrative entre le prononcé de l’arrêt Commission/Solvay, point 37 supra, et l’adoption de la décision attaquée.

126    À cet égard, il convient de rappeler que cette période a débuté le 6 avril 2000, date du prononcé de l’arrêt Commission/Solvay, point 37 supra, et a pris fin le 13 décembre 2000 avec l’adoption de la décision attaquée. Cette étape de la procédure administrative a par conséquent duré huit mois et sept jours.

127    Lors de cette période, la Commission a uniquement procédé à des modifications de forme de la décision 91/299, notamment par l’introduction d’un nouveau passage relatif aux « procédures devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice », concernant l’appréciation du respect des délais de prescription. Par ailleurs, l’adoption de la décision attaquée n’a été précédée d’aucun acte d’instruction supplémentaire, la Commission s’étant fondée sur les résultats de l’enquête menée dix ans auparavant. Cependant, il convient d’admettre que, même dans ces conditions, certaines vérifications et concertations au sein de l’administration peuvent s’avérer indispensables aux fins d’arriver à un tel résultat.

128    Dans cette perspective, il n’y a pas lieu de considérer le délai de huit mois et sept jours qui s’est écoulé entre le prononcé de l’arrêt Commission/Solvay, point 37 supra, et l’adoption de la décision attaquée comme étant déraisonnable.

129    En quatrième lieu, s’agissant de la durée de la procédure administrative entre l’envoi de la communication des griefs et l’adoption de la décision 91/299, il convient de relever que la requérante n’a pas fait valoir que celle-ci était, en tant que telle, susceptible d’être critiquée. En effet, la requérante s’est limitée à affirmer que le caractère raisonnable du délai devait être évalué à partir du 13 mars 1990, à savoir la date à laquelle la communication des griefs lui a été adressée, sans critiquer la période de onze mois et demi qui s’est écoulée entre la communication des griefs et l’adoption de la décision 91/299, le 1er mars 1991.

130    Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n’a avancé aucun élément permettant de considérer que la durée de l’ensemble de la procédure administrative serait excessive en l’espèce.

131    En effet, même s’il doit être tenu compte de la phase de la procédure administrative antérieure à la communication des griefs (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 51), il y a lieu de considérer que la durée de la totalité de la procédure administrative n’est pas excessive à la lumière notamment des vérifications effectuées à partir du mois d’avril 1989, des demandes de renseignements effectuées par la suite et de l’ouverture de la procédure d’office du 19 février 1990.

132    Il y a lieu d’ajouter que, en tout état de cause, la violation du principe du délai raisonnable ne justifierait l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une procédure administrative en matière de concurrence qu’en tant qu’elle emporterait également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée. En effet, lorsqu’il n’est pas établi que l’écoulement excessif du temps a affecté la capacité des entreprises concernées de se défendre effectivement, le non-respect du principe du délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, point 122).

133    À cet égard, la requérante prétend qu’il lui est difficile de se défendre contre des accusations portant sur des faits qui se sont prétendument produits à l’époque, car elle ne peut plus faire appel à ses employés actifs au moment des faits dans le secteur et la filiale concernés.

134    Cependant, la Commission n’a pas effectué d’acte d’instruction entre le prononcé de l’arrêt Commission/Solvay, point 37 supra, et l’adoption de la décision attaquée.

135    En outre, il ressort de la décision attaquée que celle-ci est fondée sur les mêmes motifs que ceux de la décision 91/299, que le contenu de ces deux décisions est quasi identique et que la Commission n’a pris en compte aucun élément nouveau nécessitant l’exercice d’un droit de la défense.

136    Dans ces circonstances, les droits de la défense de la requérante n’ont pas été violés.

137    En cinquième lieu, s’agissant de la procédure juridictionnelle, il y a lieu de constater que, dans la requête, la requérante ne met pas directement en cause la durée de la procédure devant le Tribunal puis devant la Cour en ce qui concerne la décision 91/299.

138    En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que le principe général de droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, qui s’inspire de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, et notamment le droit à un procès dans un délai raisonnable, est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission infligeant à une entreprise des amendes pour violation du droit de la concurrence. Le caractère raisonnable du délai est apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire ainsi que du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes. La liste de ces critères n’est pas exhaustive et l’appréciation du caractère raisonnable du délai n’exige pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun d’eux lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d’un seul. Ainsi, la complexité de l’affaire peut être retenue pour justifier un délai de prime abord trop long (voir arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, points 115 à 117, et la jurisprudence citée).

139    En outre, dans l’arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417), après avoir constaté que le Tribunal avait méconnu les exigences liées au respect du délai raisonnable, la Cour a, pour des raisons d’économie de procédure et afin de garantir un remède immédiat et effectif contre une telle irrégularité de procédure, déclaré le moyen tiré de la durée excessive de la procédure fondé aux fins de l’annulation de l’arrêt attaqué dans la mesure où il fixait le montant de l’amende infligée à la requérante à 3 millions d’écus. En l’absence de tout indice que la durée de la procédure ait eu une incidence sur la solution du litige, la Cour a jugé que ce moyen ne saurait aboutir à l’annulation de l’arrêt attaqué dans son ensemble, mais qu’un montant de 50 000 écus constituait une réparation équitable, en raison de la durée excessive de la procédure, et a donc réduit le montant de l’amende infligée à l’entreprise concernée.

140    Par conséquent, en l’absence de tout indice que la durée de la procédure ait eu une incidence sur la solution du litige, un éventuel dépassement du délai raisonnable par le juge communautaire en l’espèce, même en le supposant établi, n’aurait aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée.

141    Il convient d’ajouter que, dans la requête, la requérante a expressément renoncé à la possibilité d’une réduction de l’amende à titre de réparation pour la prétendue violation de son droit à être jugé dans un délai raisonnable. Elle n’a pas davantage introduit de demande en indemnité.

142    Partant, il y a lieu d’écarter la seconde branche du premier moyen et, par conséquent, de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des formes substantielles requises pour l’adoption et l’authentification de la décision attaquée

143    Le deuxième moyen s’articule, en substance, en huit branches, tirées premièrement, de la violation du principe de collégialité, deuxièmement, de la violation du principe de sécurité juridique, troisièmement, du droit de la requérante d’être à nouveau entendue, quatrièmement, de l’absence de nouvelle consultation du comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes, cinquièmement, de la composition irrégulière dudit comité consultatif, sixièmement, de l’utilisation de documents saisis en violation du règlement n° 17, septièmement, de la violation du droit d’accès au dossier et, huitièmement, de la violation des principes d’impartialité, de bonne administration et de proportionnalité.

144    Le Tribunal estime opportun d’examiner la septième branche du deuxième moyen dans le cadre d’un sixième moyen, tiré de la violation du droit d’accès au dossier, à la suite de l’examen de l’ensemble des moyens portant sur le fond de l’affaire.

 Sur la première branche, tirée de la violation du principe de collégialité

–       Arguments des parties

145    La requérante fait observer que, selon la lettre d’accompagnement du 10 janvier 2001, signée par le membre de la Commission chargé de la concurrence, la décision attaquée a été adoptée par le collège des commissaires le 13 décembre 2000.

146    Or, il ressortirait des déclarations de la porte-parole de la Commission, reproduites dans un communiqué de presse d’une agence de presse du 12 décembre 2000, que la décision d’adopter à nouveau la décision 91/299 était déjà prise au plus tard la veille du jour où le collège des commissaires s’est réuni pour délibérer.

147    Selon la requérante, en l’absence d’indication du fait que le collège des commissaires a délibéré à une date antérieure au 12 décembre 2000, il doit en être déduit que la décision attaquée a été adoptée en violation du principe de collégialité.

148    Par ailleurs, à supposer que la décision attaquée ait été réellement adoptée par le collège des commissaires, il résulterait du communiqué de presse d’une agence de presse du 12 décembre 2000 que la Commission avait apparemment décidé d’adopter une nouvelle décision au contenu identique à celui de la décision 91/299 au motif que la requérante n’avait jamais contesté le fond de cette dernière. Or, la requérante soutient avoir critiqué l’appréciation juridique et factuelle opérée par la Commission ainsi que le principe et le montant de l’amende. Par conséquent, le collège des commissaires n’aurait pas été correctement informé de la position de la requérante au moment où il a été décidé d’adopter la décision attaquée.

149    La requérante demande également au Tribunal d’ordonner à la Commission de produire tous les documents internes relatifs à l’adoption de la décision attaquée, et en particulier le procès‑verbal de toute réunion du collège des commissaires au cours de laquelle le projet de décision aurait été discuté ainsi que les documents soumis au collège.

150    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

151    Selon une jurisprudence constante, le principe de collégialité repose sur l’égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment que les décisions soient délibérées en commun et que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, de l’ensemble des décisions arrêtées (arrêts de la Cour du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C‑191/95, Rec. p. I‑5449, point 39, et du 13 décembre 2001, Commission/France, C‑1/00, Rec. p. I‑9989, point 79).

152    Le respect du principe de collégialité, et spécialement la nécessité que les décisions soient délibérées en commun, intéresse nécessairement les sujets de droit concernés par les effets juridiques qu’elles produisent, en ce sens qu’ils doivent être assurés que ces décisions ont été effectivement prises par le collège et correspondent exactement à la volonté de ce dernier. Tel est le cas, en particulier, des actes, qualifiés expressément de décisions, que la Commission est amenée à prendre à l’égard des entreprises ou des associations d’entreprises en vue du respect des règles de concurrence et qui ont pour objet de constater une infraction à ces règles, d’émettre des injonctions à l’égard de ces entreprises et de leur infliger des sanctions pécuniaires (arrêt Commission/BASF e.a., point 82 supra, points 64 et 65).

153    En l’espèce, la requérante invoque le fait que, selon un communiqué de presse d’une agence de presse du 12 décembre 2000, la porte‑parole de la Commission a annoncé que celle-ci adopterait à nouveau la même décision le 13 décembre 2000.

154    Cependant, à supposer que la porte-parole de la Commission ait tenu les propos auxquels la requérante se réfère, le simple fait qu’un communiqué de presse d’une société privée fasse mention d’une déclaration ne présentant aucun caractère officiel ne saurait suffire à considérer que la Commission a violé le principe de collégialité. En effet, le collège des commissaires n’était aucunement lié par cette déclaration et, lors de sa réunion du 13 décembre 2000, il aurait donc pu également décider, au terme d’une délibération en commun, de ne pas adopter la décision attaquée.

155    Il convient d’ajouter que le communiqué de presse officiel de la Commission a été publié le 13 décembre 2000.

156    Par ailleurs, à supposer même que la porte-parole de la Commission ait déclaré que la requérante n’avait jamais contesté le fond de la décision 91/299, un tel argument est inopérant. En effet, il résulte du considérant 199 de la décision attaquée que la Commission a adopté une nouvelle décision dont le contenu était quasi identique à celui de la décision 91/299 au motif que celle-ci avait été annulée pour un vice de procédure. Dès lors, le fait que la requérante ait critiqué le fond de la décision 91/299 est sans pertinence.

157    Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’ordonner à la Commission, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, de produire tous les documents internes relatifs à l’adoption de la décision attaquée.

158    Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du deuxième moyen.

 Sur la deuxième branche, tirée de la violation du principe de sécurité juridique

–       Arguments des parties

159    La requérante laisse entendre que les formalités d’authentification fixées par le règlement intérieur de la Commission (JO 1999, L 252, p. 41), qui était applicable au moment de l’adoption de la décision attaquée, ne sont pas conformes au prescrit des arrêts Commission/BASF e.a., point 82 supra (points 73 à 76), et Commission/Solvay, point 37 supra (points 44 à 49).

160    En effet, l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, en vigueur à l’époque, n’imposerait aucune formalité pour authentifier la décision attaquée, laquelle n’est pas signée même si elle mentionne le nom du membre de la commission chargé de la concurrence. En particulier, il ne serait pas prévu que les actes adoptés doivent être joints à la note récapitulative au moment où celle-ci est établie, si bien que « l’authentification de l’une ou de l’autre de ces notes n’a pas de lien direct avec l’acte adopté ». À cet égard, l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission différerait de l’article 15 de la décision du Conseil du 5 juin 2000, portant adoption de son règlement intérieur (JO L 149, p. 21).

161    Dès lors, le règlement intérieur de la Commission méconnaîtrait le caractère fondamental des formalités d’authentification et contreviendrait au principe de sécurité juridique. En conséquence, la décision attaquée n’aurait pas été valablement authentifiée.

162    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

163    Le Tribunal estime, à titre liminaire, que l’argumentation de la requérante doit être comprise en ce sens qu’elle excipe de l’illégalité d’une disposition du règlement intérieur de la Commission en vigueur lors de l’adoption de la décision attaquée.

164    Une telle exception d’illégalité doit être considérée comme recevable.

165    En effet, selon la jurisprudence, le champ d’application de l’article 241 CE doit également s’étendre aux dispositions d’un règlement intérieur d’une institution qui, bien qu’elles ne constituent pas la base juridique de la décision attaquée et ne produisent pas des effets analogues à ceux d’un règlement au sens de cet article du traité, déterminent les formes substantielles requises aux fins de l’adoption de cette décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des personnes qui en sont destinataires. Il importe, en effet, que tout destinataire d’une décision puisse contester de manière incidente la légalité de l’acte qui conditionne la validité formelle de cette décision, nonobstant le fait que l’acte en cause ne constitue pas le fondement juridique de celle-ci, dès lors qu’il n’a pas été en mesure de demander l’annulation de cet acte avant d’avoir reçu notification de la décision litigieuse. Par conséquent, les dispositions du règlement intérieur de la Commission peuvent faire l’objet d’une exception d’illégalité dans la mesure où elles assurent la protection des particuliers (arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, points 286 et 287).

166    En outre, il convient de rappeler que l’exception d’illégalité doit être limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige.

167    En effet, l’article 241 CE n’a pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à la faveur d’un recours quelconque. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, points 288 et 289, et la jurisprudence citée).

168    À cet égard, il convient de rappeler que la décision attaquée a été authentifiée en vertu des dispositions de l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur. Il existe par conséquent un lien juridique direct entre cette décision et cet article du règlement intérieur dont la requérante invoque l’illégalité. Il s’ensuit que l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur applicable au moment de l’adoption de la décision attaquée peut faire l’objet d’une exception d’illégalité.

169    Il convient donc de vérifier si les formalités d’authentification fixées par le règlement intérieur de la Commission sont conformes ou non aux exigences du principe de sécurité juridique.

170    En l’espèce, le texte de référence est l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, dans sa version applicable au moment de l’adoption de la décision attaquée, lequel prévoit ce qui suit :

« Les actes adoptés en réunion sont joints de façon indissociable, dans la ou les langues dans lesquelles ils font foi, à une note récapitulative établie dès la fin de la réunion de la Commission au cours de laquelle ils ont été adoptés. Ces actes sont authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général apposées à la dernière page de la note récapitulative. »

171    Dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, a été examinée la légalité de l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, du 17 février 1993 (JO L 230, p. 15), lequel était rédigé de la façon suivante :

« Les actes adoptés en réunion […] sont annexés, dans la ou les langues dans lesquelles ils font foi, au procès-verbal de la réunion de la Commission au cours de laquelle ils ont été adoptés ou au cours de laquelle il a été pris acte de leur adoption. Ces actes sont authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général apposées à la première page de ce procès-verbal. »

172    Dans cet arrêt, le Tribunal a considéré que les modalités fixées par cette disposition constituaient en elles-mêmes une garantie suffisante pour contrôler, en cas de contestation, la correspondance parfaite des textes notifiés ou publiés avec le texte adopté par le collège et, par là même, avec la volonté de leur auteur. En effet, dès lors que ce texte était annexé au procès-verbal et que la première page de celui-ci était signée par le président et le secrétaire général, il existait un lien entre ce procès-verbal et les documents qu’il recouvrait permettant d’être assuré du contenu et de la forme exacts de la décision du collège. À cet égard, une autorité devait être présumée avoir agi conformément à la législation applicable tant que la non-conformité à la norme de ses agissements n’avait pas été constatée par le juge communautaire. Dès lors, l’authentification prévue selon les modalités de l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur devait être considérée comme légale (arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, points 302 à 304).

173    Or, il y a lieu de constater que l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission, dans sa version applicable à la date d’adoption de la décision attaquée, prévoit une procédure d’authentification plus formaliste que celle examinée dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra.

174    En effet, les modifications opérées entre les deux versions du texte sont les suivantes : les actes adoptés en réunion ne sont plus seulement « annexés » au procès-verbal, mais « joints de façon indissociable » ; le terme de « procès-verbal » est remplacé par celui de « note récapitulative » ; la note est établie « dès la fin de la réunion » ; enfin, la signature n’est plus à la « première page du procès-verbal », mais à la « dernière page de la note récapitulative ».

175    Ces modifications, prises dans leur ensemble, renforcent les garanties offertes par la procédure d’authentification en vue d’assurer notamment le respect du principe de sécurité juridique.

176    Dès lors, l’article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de la Commission applicable à la date d’adoption de la décision attaquée n’est pas entaché d’illégalité.

177    Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du deuxième moyen.

 Sur la troisième branche, tirée de la violation du droit de la requérante d’être à nouveau entendue

–       Arguments des parties

178    La requérante reconnaît que, aux points 246 à 252 de l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, il a été considéré que, lorsqu’une décision de la Commission est annulée pour un vice de procédure, une nouvelle audition des entreprises intéressées n’est requise avant d’adopter une nouvelle décision que dans la mesure où celle-ci contient des griefs nouveaux.

179    Cependant, cette solution ne serait pas transposable aux faits de l’espèce. D’une part, la procédure administrative serait entachée de nombreux vices du fait de l’utilisation par la Commission de pièces saisies dans un but autre que celui pour lequel elle était autorisée à en prendre connaissance et en raison de la violation du droit d’accès au dossier. D’autre part, la décision attaquée reprendrait l’analyse effectuée dans la décision 91/297, annulée pour des raisons autres que de pure forme, et qui n’a pas été adoptée à nouveau.

180    Ainsi, l’annulation de la décision 91/297 aurait affecté la validité des mesures préparatoires à la décision attaquée. En effet, dans l’arrêt Solvay I, point 35 supra, le Tribunal aurait constaté que le refus total de divulgation des documents opposé par la Commission violait le droit d’accès de la requérante au dossier. Par ailleurs, ce vice de procédure affecterait tout autant la procédure administrative relative à l’application de l’article 82 CE que celle concernant l’article 81 CE. Dès lors, la Commission aurait dû rouvrir la procédure en lui octroyant un accès complet à son dossier et lui permettre ensuite de faire valoir toutes ses observations écrites et orales à ce sujet.

181    En outre, l’interprétation retenue dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, car elle limiterait le droit d’être entendu à la seule possibilité pour l’entreprise concernée de faire valoir ses observations sur les griefs retenus à son égard, serait erronée en droit. En effet, toute entreprise concernée aurait également le droit d’être entendue et de faire valoir ses observations quant au principe, à l’opportunité et au montant des amendes. Se référant à la jurisprudence, la requérante affirme que les entreprises potentiellement destinataires d’une décision constatant une infraction de leur part et leur infligeant une amende de ce fait doivent être mises en mesure de faire valoir toutes leurs observations quant à l’amende au stade de la procédure administrative. Or, du fait de l’écoulement du temps dans la présente affaire, la requérante soutient qu’elle aurait eu des observations nouvelles à faire valoir quant à la prescription du pouvoir de la Commission de lui infliger des amendes et au dépassement du délai raisonnable ainsi qu’au montant de l’amende.

182    La requérante estime que, à la suite de l’annulation de la décision 91/297, elle aurait dû notamment être entendue sur la cohérence interne de l’analyse de la Commission, qui a présenté les infractions prétendues aux articles 81 CE et 82 CE comme se soutenant l’une l’autre, et sur la validité de certaines affirmations contenues dans la décision attaquée quant à l’existence d’une entente avec ICI, qui seraient directement empruntées à la décision 91/297 ou participeraient de sa philosophie, en violation de la présomption d’innocence.

183    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

184    Lorsque la Commission, après l’annulation d’une décision sanctionnant des entreprises ayant enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE, en raison d’un vice de procédure concernant exclusivement les modalités de son adoption définitive par le collège des commissaires, adopte une nouvelle décision, d’un contenu substantiellement identique et fondée sur les mêmes griefs, elle n’est pas obligée de procéder à une nouvelle audition des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt PVC  II du Tribunal, point 43 supra, points 246 à 253, confirmé par arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, points 83 à 111).

185    Quant aux questions de droit susceptibles de se poser dans le cadre de l’application de l’article 233 CE, comme celles relatives à l’écoulement du temps, à la possibilité d’une reprise des poursuites, à l’accès au dossier qui serait inhérent à la reprise de la procédure, à l’intervention du conseiller-auditeur et du comité consultatif ainsi qu’à d’éventuelles implications de l’article 20 du règlement n° 17, elles n’exigent pas davantage de nouvelles auditions, dans la mesure où elles ne modifiaient pas le contenu des griefs, étant seulement justiciables, le cas échéant, d’un contrôle juridictionnel ultérieur (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, point 93).

186    En l’espèce, la Commission a repris la quasi-intégralité du contenu de la décision 91/299. Elle a seulement complété la décision attaquée par un passage concernant la procédure devant le Tribunal et la Cour.

187    Certes, dans la partie de la décision attaquée consacrée aux faits, la Commission a également ajouté des considérations provenant de la décision 91/297, laquelle a ensuite été annulée par l’arrêt Solvay I, point 35 supra. Cette partie comprend notamment des références à ICI.

188    Cependant, d’une part, la décision 91/299, à l’origine de la décision attaquée, faisait expressément référence à la décision 91/297 en ce qui concerne les informations sur le produit et le marché de la soude (voir point I B des considérants de la décision 91/299). Dans la réplique, la requérante reconnaît d’ailleurs que les passages de la décision 91/297 repris dans la décision attaquée faisaient « intégralement partie » de la décision 91/299.

189    D’autre part, ces informations, présentant uniquement un caractère factuel, ne sont pas pertinentes en ce qui concerne les infractions reprochées à la requérante dans la présente affaire. En effet, en l’espèce, le comportement reproché à la requérante est un abus de position dominante et non un accord conclu avec une autre entreprise ou des pratiques concertées qui ont pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.

190    Dès lors, il convient de constater que la décision attaquée et la décision 91/299 ont un contenu substantiellement identique et sont fondées sur les mêmes motifs.

191    Par conséquent, conformément à la jurisprudence citée aux points 184 et 185 ci-dessus, la Commission n’était pas tenue en l’espèce d’auditionner à nouveau la requérante avant d’adopter la décision attaquée.

192    Par ailleurs, s’agissant des arguments tirés de l’utilisation de documents saisis en violation du règlement n° 17 et de la violation du droit d’accès au dossier, ils font l’objet de griefs autonomes et sont donc examinés par ailleurs.

193    Il résulte de ce qui précède que la troisième branche du deuxième moyen doit être écartée.

 Sur la quatrième branche, tirée de l’absence de nouvelle consultation du comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes

–       Arguments des parties

194    La requérante conteste l’appréciation figurant aux points 254 à 257 de l’arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, selon laquelle une nouvelle consultation du comité consultatif n’était pas requise dans cette affaire. Selon la requérante, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal dans cet arrêt, l’obligation de consulter le comité consultatif ne ressort pas de l’article 1er du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l’article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 127, p. 2268), qui se borne à régler la chronologie de la procédure à suivre, mais de l’article 10 du règlement n° 17 dans sa version applicable au moment des faits. En outre, même si la consultation du comité consultatif constitue une garantie procédurale importante, elle poursuivrait un but autre que la simple audition de l’entreprise concernée par le projet de décision, comme en attesterait le fait que la renonciation à l’audition par l’entreprise ne dispense pas la Commission de consulter le comité consultatif.

195    Par conséquent, en l’espèce, le comité consultatif aurait dû être consulté sur le projet de la Commission d’adopter la décision attaquée à la suite de l’arrêt Commission/Solvay, point 37 supra, en particulier sur la question du respect du principe du délai raisonnable.

196    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

197    Aux termes de l’article 10 du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits :

« 3. Un comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes est consulté préalablement à toute décision consécutive à une procédure visée au paragraphe 1 et à toute décision concernant le renouvellement, la modification ou la révocation d’une décision prise en application de l’article [81], paragraphe 3, [CE].

[…]

5. La consultation a lieu au cours d’une réunion commune sur l’invitation de la Commission et au plus tôt quatorze jours après l’envoi de la convocation. [À] celle-ci seront annexés un exposé de l’affaire avec indication des pièces les plus importantes et un avant-projet de décision pour chaque cas à examiner. »

198    Par ailleurs, l’article 1er du règlement n° 99/63 dispose :

« Avant de consulter le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes, la Commission procède à une audition en application de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 ».

199    Selon une jurisprudence constante, il résulte de l’article 1er du règlement n° 99/63 que l’audition des entreprises intéressées et la consultation du comité sont nécessaires dans les mêmes situations (arrêt de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859, point 54, et arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, point 115).

200    Le règlement n° 99/63 a été remplacé par le règlement (CE) nº 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81 CE] et [82 CE] (JO L 354, p. 18), en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée, dont l’article 2, paragraphe 1, est rédigé dans des termes proches de ceux de l’article 1er du règlement n° 99/63.

201    En l’espèce, il y a lieu de constater que, aux termes de la décision attaquée, le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes a été consulté préalablement à la décision 91/299. La requérante ne conteste ni l’existence ni la régularité de cette consultation.

202    Dès lors, dans la mesure où la décision attaquée ne comporte pas de modifications substantielles par rapport à la décision 91/299, la Commission, qui n’était pas tenue d’entendre à nouveau la requérante avant d’adopter la décision attaquée, n’était pas davantage tenue de procéder à une nouvelle consultation du comité consultatif (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, point 118).

203    En conséquence, il y a lieu d’écarter la quatrième branche du deuxième moyen.

 Sur la cinquième branche, tirée de la composition irrégulière du comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes

–       Arguments des parties

204    La requérante fait valoir que, à la suite de la consultation du comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes, qui est intervenue avant l’adoption de la décision 91/299 et de la décision attaquée, trois États ont adhéré à la Communauté, le 1er janvier 1995. Dès lors que ledit comité consultatif est composé d’un représentant de chaque État membre, ce comité consultatif n’aurait plus été valablement composé au moment où la Commission a établi le projet ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée. La Commission aurait donc dû procéder à une nouvelle consultation du comité consultatif régulièrement composé.

205    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

206    Aux termes de l’article 10, paragraphe 4, du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits :

« Le comité consultatif est composé de fonctionnaires compétents en matière d’ententes et de positions dominantes. Chaque État membre désigne un fonctionnaire qui le représente et qui peut être remplacé en cas d’empêchement par un autre fonctionnaire. »

207    Selon la jurisprudence, la modification de la composition d’une institution n’affecte pas la continuité de l’institution elle-même, dont les actes définitifs ou préparatoires conservent, en principe, tous leurs effets (arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 36).

208    En outre, il n’existe aucun principe général de droit communautaire imposant la continuité dans la composition de l’organe administratif saisi d’une procédure pouvant aboutir à une amende (arrêt PVC II du Tribunal, point 43 supra, points 322 et 323).

209    Il en résulte que la Commission n’était pas tenue de consulter à nouveau le comité consultatif à la suite de l’adhésion de trois États supplémentaires à la Communauté.

210    Partant, la cinquième branche du deuxième moyen doit être écartée.

 Sur la sixième branche, tirée de l’utilisation de documents saisis en violation du règlement n° 17

–       Arguments des parties

211    La requérante rappelle que, en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits, la Commission pouvait ordonner des vérifications auprès des entreprises par voie de décision, laquelle indique l’objet et le but de ces vérifications, et que, aux termes de l’article 20, paragraphe 1, dudit règlement, dans sa version applicable au moment des faits, les informations recueillies en application de l’article 14 ne pouvaient être utilisées que dans le but pour lequel elles ont été demandées.

212    En l’espèce, selon la requérante, la décision de vérification du 5 avril 1989, sur le fondement de laquelle la Commission a procédé à des vérifications dans ses locaux et ceux de ses filiales allemande et espagnole, ne visait que l’article 81 CE et elle ordonnait aux six producteurs concernés de se soumettre à une vérification portant, d’une part, sur leur participation éventuelle à des ententes et/ou à des pratiques concertées ayant pour effet un cloisonnement des marchés nationaux et une concertation des prix du carbonate de soude et, d’autre part, sur la mise en œuvre d’arrangements d’achat exclusifs avec des acheteurs qui pourraient restreindre ou éliminer la concurrence et renforcer la rigidité du marché du carbonate de soude dans la Communauté.

213    En outre, il ressortirait de documents abandonnés dans les locaux de la requérante par un des fonctionnaires ayant procédé à la vérification que la Commission ne possédait aucune indication préliminaire, aucun soupçon ou aucun indice quelconque d’infraction à l’article 82 CE. Par ailleurs, la Commission se serait intéressée aux relations avec les clients dans la mesure où les contrats conclus avec eux pouvaient constituer un accord de partage de marché. De surcroît, selon la requérante, il ressort d’un échange de courrier entre elle et la Commission que celle-ci, le 22 mai 1989, avait accepté la réserve explicite, exprimée par elle, visant à interdire l’utilisation des documents saisis dans un but autre que des vérifications dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE.

214    Par ailleurs, la requérante fait observer que la Commission lui a adressé, le 21 juin 1989, ainsi qu’à l’une de ses filiales allemandes, à savoir DSW, le 8 juillet 1989, des demandes de renseignements. Contrairement à la décision de vérification, ces demandes viseraient à la fois l’article 81 CE et l’article 82 CE. La requérante affirme que la demande qui lui a été adressée mentionne également que la Commission examinait la « compatibilité avec les règles de la concurrence des contrats de fourniture avec les clients tendant à assurer l’exclusivité d’approvisionnement par le biais de rabais de fidélité discriminatoires ».

215    La requérante reconnaît que la Commission était autorisée, d’une part, à saisir les documents que celle-ci a découverts lors des vérifications dans la mesure où ils entraient dans le champ d’application de la décision de vérification et, d’autre part, à ouvrir une enquête afin de vérifier l’existence d’une infraction présumée à l’article 82 CE dont celle-ci aurait eu connaissance à la suite des vérifications effectuées. En revanche, selon la requérante, la Commission ne pouvait utiliser les documents saisis dans le cadre de la procédure ultérieure visant à établir l’existence d’une infraction présumée à l’article 82 CE, si ce n’est comme fondement de la décision d’ouvrir ladite procédure. Or, la requérante soutient que, dans leur immense majorité, les documents mentionnés dans la partie de la communication des griefs relative au prétendu abus de position dominante ont apparemment été saisis lors des vérifications effectuées auprès d’elle et de ses filiales. La Commission aurait par conséquent utilisé les documents en cause dans un but différent de celui pour lequel ils ont été obtenus. Ce faisant, la Commission aurait violé les droits de la défense de la requérante et le droit au secret professionnel, tels que garantis par l’article 14, paragraphe 3, et l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits.

216    La requérante en déduit que les documents annexés à la communication des griefs et venant à l’appui des griefs fondés sur l’article 82 CE auraient dû être écartés, à l’exception des documents transmis par elle et sa filiale en réponse aux demandes de renseignements qui leur ont été adressées après les vérifications. En outre, du fait de l’écoulement du temps, la requérante soutient qu’elle n’était pas en mesure de déterminer, parmi les documents annexés à la communication des griefs, ceux qui avaient été saisis dans ses locaux et ceux qui avaient été communiqués à la Commission en réponse aux demandes de renseignements. Dans la mesure où chacun des griefs retenus par la Commission se fonde sur des documents qui auraient dû être écartés, la décision attaquée devrait donc être annulée dans son ensemble. En outre, les griefs retenus par la Commission auraient pour fondement, à tout le moins implicitement, certains documents à charge annexés à la communication des griefs, sans que le Tribunal soit en mesure d’apprécier l’influence précise de ces documents sur la formulation des griefs retenus dans la décision attaquée. Il en résulterait que le Tribunal ne serait pas en mesure de contrôler la légalité de la décision attaquée et la régularité de sa motivation.

217    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

218    À titre liminaire, il convient de rappeler que, tant la finalité du règlement n° 17 que l’énumération, par son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission font apparaître que les vérifications peuvent avoir une portée très large. À cet égard, le droit d’accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises. Ce droit d’accès serait dépourvu d’utilité si les agents de la Commission devaient se limiter à demander la production de documents ou de dossiers qu’ils seraient à même d’identifier au préalable de façon précise. Un tel droit implique, au contraire, la faculté de rechercher des éléments d’information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés. Sans une telle faculté, il serait impossible pour la Commission de recueillir les éléments d’information nécessaires à la vérification au cas où elle se heurterait à un refus de collaboration ou encore à une attitude d’obstruction de la part des entreprises concernées. Si l’article 14 du règlement n° 17 confère ainsi à la Commission de larges pouvoirs d’investigation, l’exercice de ces pouvoirs est soumis à des conditions de nature à garantir le respect des droits des entreprises concernées. À cet égard, il convient de relever d’abord l’obligation imposée à la Commission d’indiquer l’objet et le but de la vérification. Cette obligation constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de la défense (arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, point 199 supra, points 26 à 29).

219    Il s’ensuit que la portée de l’obligation de motivation des décisions de vérification ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’investigation. À cet égard, il convient de préciser que, s’il est vrai que la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision de vérification toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, elle doit, en revanche, indiquer clairement les présomptions qu’elle entend vérifier (arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, point 199 supra, point 41).

220    En l’espèce, il y a lieu de constater que la décision de vérification fait uniquement référence à l’article 81 CE.

221    Cependant, dès lors que la Commission n’était pas tenue de procéder à une qualification juridique rigoureuse des infractions, le fait que la décision ne cite pas expressément l’article 82 CE ne saurait conduire, par lui-même, à considérer que la Commission a violé l’article 14 du règlement n° 17.

222    Il est vrai qu’il résulte de la rédaction de la décision de vérification que la Commission ne visait expressément qu’à vérifier si la requérante participait à des ententes et/ou à des pratiques concertées. Aucun élément ne permet de considérer qu’un abus de position dominante était également soupçonné. En outre, la Commission n’a pas demandé les pièces qu’elle a utilisées dans la procédure au titre de l’article 82 CE dans le cadre de nouveaux mandats de vérification.

223    Cependant, il ressort de l’article 1er de la décision attaquée que « [la requérante] a enfreint les dispositions de l’article 82 CE par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à […] conclure des accords avec des clients qui les obligent à s’approvisionner auprès de la requérante pour la totalité ou une très large part de leurs besoins de soude pour une période indéfinie ou excessivement longue [, à] accorder des ristournes substantielles ou d’autres incitations financières par référence à un tonnage marginal excédant le tonnage contractuel de base du client de façon à assurer qu’il s’approvisionne auprès de la requérante pour la totalité ou la plus grande part de ses besoins [et à] subordonner l’octroi des ristournes à l’accord du client de s’approvisionner auprès de la requérante pour la totalité de ses besoins ».

224    Dès lors, il y a lieu de constater que la « mise en œuvre d’arrangements d’achats exclusifs », visée par l’article 1er, deuxième tiret, de la décision de vérification, correspond à ce qui a finalement été retenu dans la décision attaquée à l’encontre de la requérante. En effet, les infractions à l’article 82 CE reprochées à la requérante dans la décision attaquée ont été commises dans le cadre de ses relations contractuelles avec une partie de sa clientèle et consistaient, en substance, en des arrangements d’exclusivité.

225    Il existe ainsi une similitude matérielle entre les pratiques que la Commission a estimé être à l’origine des abus de position dominante retenus dans la décision attaquée et celles sur lesquelles elle avait donné mandat à ses agents d’enquêter à l’article 1er, deuxième tiret, de la décision de vérification.

226    Dès lors qu’une partie des faits pour lesquels les agents de la Commission avaient été mandatés en vue d’obtenir des preuves quant à une infraction à l’article 81 CE étaient les mêmes que ceux ayant par la suite constitué le fondement des griefs d’abus de position dominante reprochés à la requérante dans la décision attaquée, la saisine de documents n’a pas dépassé le cadre de légalité constitué par la décision de vérification. En effet, celle-ci contient les éléments essentiels exigés par l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17.

227    En conséquence, il apparaît que les documents utilisés dans le cadre de la décision attaquée à l’appui des griefs d’infraction à l’article 82 CE, indépendamment de la question de savoir s’ils ont été saisis au cours des vérifications intervenues en avril 1989 ou s’ils ont été communiqués à la suite des demandes de renseignements adressées ultérieurement à la requérante au titre de l’article 11 du règlement n° 17, ont été obtenus de manière licite par la Commission.

228    Il résulte également de ce qui précède que la Commission a utilisé lesdits documents de manière licite en tant qu’éléments de preuve dans le cadre de la décision attaquée, fondée sur l’article 82 CE.

229    Par ailleurs, il résulte uniquement de la lettre de la Commission du 22 mai 1989 que celle-ci a confirmé que les dispositions de l’article 20 du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits, s’appliquaient aux documents recueillis au cours des vérifications et que les documents en question ne seraient pas utilisés comme éléments de preuve dans le cadre d’une procédure antidumping. La Commission n’a donc pas pris position en ce sens que l’enquête concerne uniquement des infractions à l’article 81 CE et qu’une qualification des infractions en cause d’abus de position dominante serait hors de l’objectif de l’enquête.

230    Dès lors, il y a lieu d’écarter la sixième branche du deuxième moyen.

 Sur la huitième branche, tirée de la violation des principes d’impartialité, de bonne administration et de proportionnalité

–       Arguments des parties

231    La requérante fait valoir que la décision attaquée reproduit pratiquement mot pour mot une décision adoptée dix ans auparavant et qu’elle ne tient aucun compte de l’écoulement du temps et des conséquences de l’annulation de la décision 91/297. En outre, la requérante soutient que la Commission aurait dû lui octroyer un accès complet au dossier.

232    Par ailleurs, la décision attaquée serait disproportionnée dans la mesure où elle aurait pour effet de rouvrir une procédure longtemps après les faits, si bien qu’elle serait, en tout état de cause, privée de tout effet utile.

233    De surcroît, la requérante affirme que la Commission n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles celle-ci estimait opportun de lui imposer à nouveau une « décision draconienne », alors que celle-ci avait par ailleurs renoncé à adopter une nouvelle décision à la suite de l’annulation de la décision 91/297. La Commission aurait pourtant traité comme un tout les infractions ayant donné lieu aux décisions 91/297, 91/298 et 91/299, qui avaient été rédigées dans cette perspective. Le Tribunal serait donc dans l’impossibilité d’apprécier la motivation de la décision de la Commission d’adopter une nouvelle décision dont le contenu serait quasi identique à celui de la décision 91/299.

234    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

235    La requérante, sous couvert d’une prétendue violation des principes d’impartialité, de bonne administration et de proportionnalité, reprend les mêmes arguments que ceux déjà invoqués, tirés notamment de l’écoulement du temps et du droit d’accès au dossier, que le Tribunal examine par ailleurs.

236    Le seul élément nouveau concerne l’absence de motivation quant au fait que la Commission a adopté une nouvelle décision dont le contenu serait quasi identique à celui de la décision 91/299. Or, à cet égard, il y a lieu de constater que la Commission a motivé son choix d’adopter à nouveau la décision 91/299 aux considérants 196 à 207 de la décision attaquée, lesquels s’ajoutent à la décision 91/299. Dès lors, le grief invoqué par la requérante manque en fait.

237    En conséquence, il convient d’écarter la huitième branche du deuxième moyen.

238    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble, sous réserve de l’examen de la septième branche, tirée de la violation du droit d’accès au dossier, qui sera mené dans le cadre du sixième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la définition erronée du marché géographique

 Arguments des parties

239    Se référant à la jurisprudence de la Cour, la requérante fait valoir que le critère des parts de marché, bien que constituant un élément important pour prouver l’existence d’une position dominante, n’est jamais en lui‑même décisif, particulièrement dans l’hypothèse où ces parts de marché sont d’un montant raisonnable. Il conviendrait également de tenir compte d’autres facteurs, tels que, notamment, les barrières à l’entrée sur le marché, l’intégration verticale, la puissance financière, l’avance technologique, le pouvoir compensateur des clients ou encore la structure des coûts.

240    La requérante conteste que la Commission ait retenu une dimension communautaire du marché géographique pertinent après avoir énuméré divers éléments qui « militent tous pour une dimension nationale ». Si la Commission avait mené une analyse préliminaire des conditions de concurrence, elle aurait conclu que l’étendue du marché était limitée au territoire national.

241    Le caractère erroné de l’appréciation de la Commission serait confirmé par la décision de l’« autorité italienne de la concurrence » du 10 avril 1997, dans l’affaire Solvay/Sodi, dans laquelle le marché géographique pertinent avait été défini comme le marché italien du carbonate de soude. Dans la communication publiée conformément à l’article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 concernant une demande d’attestation négative ou d’exemption en vertu de l’article 81, paragraphe 3, [CE] (Affaire IV/E‑2/36.732 – Solvay-Sisecam) (JO 1999, C 272, p. 14), la Commission aurait également reconnu que la délimitation du marché géographique pertinent était une question « particulièrement complexe » et qu’une division en termes de marchés nationaux n’était plus aussi pertinente qu’elle l’avait été.

242    Par ailleurs, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que sa sphère d’influence correspondait à l’Europe de l’Ouest continentale. En effet, la requérante estime que cette analyse était fondée sur l’existence d’un accord entre elle et ICI et avait pour unique objectif de parvenir à la conclusion qu’elle disposait d’une part de marché importante, en termes absolus et relatifs, sur le « marché retenu ». La Commission n’aurait donc pas pris en compte les critères habituels permettant de délimiter avec exactitude le marché géographique pertinent, à savoir le territoire sur lequel les conditions de marché sont suffisamment homogènes pour que tous les opérateurs présents se trouvent en concurrence les uns avec les autres.

243    La requérante fait également valoir que, en ne précisant pas les raisons qui l’ont conduite à se départir de sa pratique constante pour délimiter le marché géographique pertinent, la Commission n’a pas régulièrement motivé la décision attaquée.

244    En outre, la requérante estime que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce que celle-ci a décidé à la fois que le Benelux et le Royaume-Uni constituaient des marchés distincts et que le Benelux et le Portugal, où elle était dans une situation de monopole de fait, appartenaient au même marché.

245    La requérante ajoute que, au considérant 132 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que « le marché traditionnel de Solvay couvrait l’ensemble de la Communauté à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande où, en raison de leurs dispositions anticoncurrentielles, la situation de la concurrence était tout à fait différente ». Or, selon la requérante, dans le mémoire en défense, la Commission a expliqué, de façon contradictoire, qu’ICI et elle n’étaient pas en situation de concurrence pour exclure le Royaume-Uni et l’Irlande du marché géographique pertinent. Par ailleurs, dans la décision attaquée, la Commission ne mentionnerait pas les conditions de concurrence sur les marchés italien, espagnol, portugais, grec et danois, alors même qu’elle conclurait, sans la moindre justification complémentaire, à l’homogénéité des conditions de concurrence sur l’ensemble du territoire de l’Europe continentale. S’agissant de ses parts de marché nationales, la requérante fait observer que celles-ci n’étaient pas du tout homogènes, puisque, selon les États, elles étaient soit inexistantes, soit de 15, 50, 80 ou 100 %. Dans ces circonstances, la requérante demande au Tribunal d’inviter la Commission à s’expliquer sur ce qui l’a conduite à considérer que la structure du marché était identique partout en Europe de l’Ouest continentale.

246    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

247    Selon une jurisprudence constante, afin d’examiner si une entreprise occupe une position dominante au sens de l’article 82, premier alinéa, CE, une importance fondamentale doit être accordée à la détermination du marché en cause et à la délimitation de la partie substantielle du marché commun où l’entreprise est en mesure de se livrer éventuellement à des pratiques abusives faisant obstacle à une concurrence effective (arrêts de la Cour du 26 novembre 1998, Bronner, C‑7/97, Rec. p. I‑7791, point 32, et du 23 mai 2000, Sydhavnens Sten & Grus, C‑209/98, Rec. p. I‑3743, point 57).

248    À cet égard, il convient de rappeler que la délimitation du marché ne joue pas le même rôle selon qu’il s’agit d’appliquer l’article 81 CE ou l’article 82 CE. Dans le cadre de l’application de l’article 82 CE, la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d’établir l’existence d’un abus de position dominante, il faut établir l’existence d’une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité. En revanche, dans le cadre de l’application de l’article 81 CE, c’est pour déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en litige est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun qu’il faut, le cas échéant, définir le marché en cause (arrêts du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 230, et du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission, T‑61/99, Rec. p. II‑5349, point 27).

249    Dans l’économie de l’article 82 CE, le marché géographique peut être défini comme le territoire sur lequel tous les opérateurs économiques se trouvent dans des conditions de concurrence similaires en ce qui concerne les produits concernés. Il n’est nullement nécessaire que les conditions objectives de concurrence entre les opérateurs économiques soient parfaitement homogènes. Il suffit qu’elles soient similaires ou suffisamment homogènes (arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, Rec. p. 207, points 44 et 53, et arrêt du Tribunal du 22 novembre 2001, AAMS/Commission, T‑139/98, Rec. p. II‑3413, point 39). Dès lors, seules les zones dans lesquelles les conditions objectives de concurrence sont hétérogènes ne peuvent être considérées comme constituant un marché uniforme (arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 92).

250    Enfin, il résulte d’une jurisprudence constante que, si la juridiction communautaire exerce, de manière générale, un entier contrôle sur le point de savoir si les conditions d’application des règles de concurrence se trouvent ou non réunies, le contrôle qu’elle exerce sur les appréciations économiques complexes portées par la Commission doit, toutefois, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (arrêts du Tribunal du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T‑65/96, Rec. p. II‑1885, point 64, et du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, Rec. p. II‑3601, point 87).

251    En l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission, dans la partie de la décision attaquée consacrée au marché en cause, a défini le marché géographique pertinent comme suit :

« 136. Le produit et la zone géographique en cause à l’égard desquels la puissance économique de Solvay devait être appréciée sont donc le marché de la soude dans la Communauté (à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande). »

252    En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a souligné que d’autres passages de la décision attaquée se référaient au même marché géographique que celui identifié au considérant 136 de la décision attaquée.

253    La Commission invoque notamment les considérants 8, 18 à 20, 23, 26, 36 à 38, 40 à 42, 43, 133, 137, 138, 188 et 191, lesquels font référence à l’« Europe occidentale », à l’« Europe de l’Ouest », ou à la « Communauté ».

254    En outre, la définition du marché géographique énoncée au considérant 136 de la décision attaquée n’est pas en contradiction avec d’autres considérants de la décision attaquée. En effet, il résulte de la jurisprudence citée au point 249 ci-dessus qu’il suffit que les conditions de concurrence soient similaires ou suffisamment homogènes en ce qui concerne les produits concernés. Dès lors, plusieurs marchés nationaux peuvent former ensemble un marché géographique, dans le cadre de l’application de l’article 82 CE, au cas où les conditions objectives de concurrence sont suffisamment homogènes.

255    De plus, le fait que les producteurs avaient tendance à concentrer leurs ventes dans les États membres où ils possédaient des capacités de production n’exclut pas que les conditions objectives de concurrence étaient suffisamment homogènes.

256    En tout état de cause, il résulte de l’examen du quatrième moyen invoqué par la requérante (voir points 261 à 305 ci-après) que celle-ci est en position dominante, que le marché géographique pertinent soit défini comme étant la Communauté, à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande, ou comme étant chacun des États dans lesquels les infractions à l’article 82 CE lui sont reprochées sur le marché du carbonate de soude.

257    Comme l’indique le considérant 147 de la décision attaquée :

« [… M]ême si chacun des marchés nationaux particulièrement touchés par le comportement d’exclusion de Solvay était considéré comme un marché distinct, Solvay restait dominante sur chacun d’entre eux, et la plupart des considérations émises ci-dessus s’y appliquent également. »

258    En effet, il résulte des parts de marchés détenues par la requérante qu’elle était également en position dominante dans chacun des États où elle aurait commis les infractions à l’article 82 CE qui lui sont reprochées.

259    Il en résulte que, à supposer même que la Commission n’ait pas défini le marché géographique pertinent de manière correcte, cette erreur n’aurait pas pu avoir une influence déterminante quant au résultat. Une telle erreur, à la supposer établie, ne saurait justifier l’annulation de la décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, point 49, et la jurisprudence citée).

260    Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de position dominante

 Arguments des parties

261    La requérante conteste l’analyse de la Commission selon laquelle ses propres documents confirmeraient l’existence d’une position dominante en Europe de l’Ouest.

262    En premier lieu, la requérante estime que la thèse de la Commission n’est pas étayée par les faits.

263    À cet égard, la requérante fait observer que, au considérant 147 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, même si chacun des marchés nationaux particulièrement touchés par le comportement d’exclusion était considéré comme un marché distinct, elle restait dominante sur chacun d’entre eux.

264    Or, selon la requérante, sa part de marché sur les marchés nationaux n’était pas de 70 % et, même si cette part de marché était significative, celle-ci ne serait pas révélatrice d’un degré significatif de puissance sur le marché. Ainsi, au cours de la période considérée, sa part de marché aurait seulement été de 56,7 % au Benelux, de 54,9 % en France et de 52,5 % en Allemagne. La requérante soutient également que le fait qu’elle soit le seul producteur de carbonate de soude exerçant son activité dans l’ensemble de la Communauté serait sans incidence. Sa capacité totale de production en Europe, en l’absence de toute livraison significative de ses différentes unités de production sur les autres marchés nationaux où elle possédait des unités de production, serait également sans incidence. Au niveau national, ses capacités de production auraient été comparables à celles de ses concurrents nationaux.

265    De même, la requérante soutient que la protection qui lui aurait été conférée par les mesures antidumping était seulement relative dans la mesure où les importations en provenance d’Allemagne de l’Est et à destination de l’Allemagne de l’Ouest n’étaient pas soumises aux droits antidumping et aux droits de douane et où, en tout état de cause, le régime du perfectionnement actif permettait aux producteurs de verre d’acheter aux producteurs américains et aux producteurs d’Europe de l’Est des quantités significatives de carbonate de soude exonérées de droits antidumping.

266    Par ailleurs, la requérante fait valoir que la Commission aurait dû tenir compte de la possibilité pour les clients d’utiliser de la soude caustique et du calcin à la place du carbonate de soude. En effet, dans sa relation avec la clientèle, elle estime avoir été soumise à une pression concurrentielle causée par ces produits.

267    La requérante en déduit qu’elle ne possédait pas de position dominante sur les marchés nationaux considérés, les seuls pouvant être admis en termes géographiques.

268    De surcroît, selon la requérante, la Commission n’a pas tenu compte du pouvoir d’achat compensateur important dont disposaient certains de ses clients verriers. En effet, celle-ci n’aurait pas vérifié dans quelle mesure les tonnages enlevés par ces clients étaient nécessaires à sa survie à long terme, en raison notamment de l’importance des frais fixes dans cette industrie lourde. La Commission n’aurait pas davantage mesuré le rôle des concurrents locaux ni l’impact des importations en provenance des États-Unis ou d’Europe de l’Est.

269    Même à supposer que le marché géographique pertinent soit de dimension européenne, l’analyse de la Commission serait inexacte et « mal motivée ». À cet égard, la requérante invoque la pression concurrentielle provenant, premièrement, des concurrents communautaires appartenant à de grands groupes industriels, deuxièmement, des concurrents américains et des concurrents des pays d’Europe de l’Est, capables d’offrir des prix attractifs, et, troisièmement, des clients appartenant également à de grands groupes.

270    La requérante allègue également une contradiction entre le considérant 39 de la décision attaquée, selon lequel le risque principal pour elle provenait non pas des autres producteurs européens, mais du carbonate de soude américain, et le considérant 53 de la décision attaquée, aux termes duquel elle « semble avoir eu pour souci premier de préserver sa position dominante sur le marché européen contre l’agitation des petits producteurs ainsi que contre la menace qu’elle percevait des importations d’Europe de l’Est et des États-Unis d’Amérique ». La puissance de marché de ses concurrents aurait été d’autant plus importante que, lors de son enquête menée en 1980 et 1981, la Commission ne leur avait imposé aucune modification de leurs pratiques contractuelles, de sorte qu’ils pouvaient protéger leurs clients par la conclusion de contrats tous besoins de longue durée.

271    En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission a commis plusieurs erreurs de droit en concluant, au considérant 148 de la décision attaquée, qu’elle avait occupé une position dominante pendant toute la période considérée.

272    À cet égard, la requérante fait notamment observer que la Commission a totalement ignoré le critère du pouvoir compensateur des clients, auquel le Tribunal s’est référé dans son arrêt du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission (T‑68/89, T‑77/89 et T‑78/89, Rec. p. II‑1403). De même, dans la décision de la Commission du 25 novembre 1998, déclarant une concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (Affaire IV/M.1225 – Enso/Stora) (JO 1999, L 254, p. 9), aurait été examinée la question de la puissance d’achat compensatrice des clients sur le marché du carton pour l’emballage de liquides. La requérante soutient que, du fait de la structure des coûts de production, les coûts variables étant faibles par rapport au coût total, ses clients pouvaient la menacer de lui faire perdre une part significative, voire l’intégralité, de ses livraisons. La requérante estime donc que la Commission aurait dû rechercher si elle était ou non à même de se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante par rapport à sa clientèle.

273    En troisième lieu, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas motivé régulièrement la décision attaquée en s’abstenant, d’une part, de spécifier quels critères, parmi ceux retenus pour apprécier sa position dominante sur le marché communautaire, s’appliquaient à l’analyse de sa position sur les marchés nationaux et, d’autre part, de mettre en oeuvre concrètement ces critères en ce qui concerne les conditions prévalant sur lesdits marchés.

274    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

275    Selon une jurisprudence constante, la position dominante visée par l’article 82 CE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêts United Brands et United Brands Continentaal/Commission, point 249 supra, point 65, et Microsoft/Commission, point 250 supra, point 229). Une telle position, à la différence d’une situation de monopole ou de quasi-monopole, n’exclut pas l’existence d’une certaine concurrence, mais met la firme qui en bénéficie en mesure sinon de décider, tout au moins d’influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 39).

276    L’existence d’une position dominante résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (arrêt United Brands et United Brands Continentaal/Commission, point 249 supra, point 66). L’examen de l’existence d’une position dominante sur le marché en cause doit se faire en examinant d’abord sa structure et ensuite la situation concurrentielle sur ledit marché (voir, en ce sens, arrêt United Brands et United Brands Continentaal/Commission, point 249 supra, point 67).

277    Des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante. En effet, la possession d’une part de marché extrêmement importante met l’entreprise qui la détient pendant une période d’une certaine durée, par le volume de production et d’offre qu’elle représente – sans que les détenteurs de parts sensiblement plus réduites soient en mesure de satisfaire rapidement la demande qui désirerait se détourner de l’entreprise détenant la part la plus considérable –, dans une situation de force qui fait d’elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues, l’indépendance de comportement caractéristique de la position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 275 supra, point 41, et arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, Rec. p. II‑4653, point 154).

278    Ainsi, une part de marché de 70 à 80 % constitue, en elle-même, un indice clair de l’existence d’une position dominante (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T‑30/89, Rec. p. II‑1439, point 92, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 907).

279    De même, selon la jurisprudence de la Cour, une part de marché de 50 % constitue par elle-même, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 60).

280    En l’espèce, la Commission a indiqué, au considérant 137 de la décision attaquée, que la requérante détenait une part de marché de « quelque 70 % en Europe de l’Ouest », et ce « pour toute la période considérée ».

281    Dans sa requête, la requérante ne conteste pas détenir une part de marché très importante, à supposer que le marché soit de dimension communautaire. Elle indique ainsi que, si le marché est européen, sa part de marché oscillait entre 60 et 70 %.

282    Il résulte également des chiffres fournis par la requérante, qui n’ont pas été contestés par la Commission, que, en 1988, elle possédait notamment 52,5 % du marché allemand, 96,9 % du marché autrichien, 82 % du marché belge, 99,6 % du marché espagnol, 54,9 % du marché français, 95 % du marché italien, 14,7 % du marché néerlandais et 100 % du marché portugais.

283    Il résulte de la détention de telles parts de marché que, sauf circonstances exceptionnelles propres à l’espèce, la requérante détenait une position dominante soit sur le marché communautaire, soit sur les différents marchés nationaux sur lesquels elle aurait commis les infractions à l’article 82 CE qui lui sont reprochées, à supposer que le marché géographique doive être défini comme tel.

284    Au considérant 138 de la décision attaquée, la Commission invoque différents éléments qui complètent son examen des parts de marché de la requérante et vont dans le sens de l’existence d’une position dominante de celle-ci.

285    Dès lors que, par définition, ces éléments ne sauraient se rattacher à des circonstances exceptionnelles permettant de considérer que la requérante n’est pas en position dominante, il n’y a pas lieu d’examiner les critiques de la requérante à leur égard.

286    Par ailleurs, la requérante invoque trois arguments qu’il convient d’analyser afin de déterminer si, en l’espèce, il existait de telles circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence de la Cour.

287    Premièrement, la requérante allègue une pression concurrentielle importante provenant d’entreprises communautaires et non communautaires.

288    À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que l’existence d’un certain degré de concurrence n’est pas incompatible avec l’existence d’une position dominante sur le marché en cause .

289    En outre, il y a lieu d’observer que, s’agissant des concurrents communautaires, la requérante ne fournit aucun élément précis à l’appui de son argumentation.

290    En tout état de cause, il ressort des données chiffrées fournies dans la requête par la requérante elle-même que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a constaté, au considérant 138 de la décision attaquée, l’existence d’une part de marché élevée de la requérante au Benelux, en France et en Allemagne, ainsi que sa position de monopole ou de quasi-monopole en Italie, en Espagne et au Portugal.

291    S’agissant des concurrents non communautaires, la requérante soutient que les importations en provenance d’Allemagne de l’Est s’élevaient à 8 % des ventes totales en Allemagne de l’Ouest, pourcentage qui n’est pas contesté par la Commission. Cependant, que le marché géographique soit de dimension communautaire ou qu’il soit de dimension nationale, un tel pourcentage ne permet pas de conclure à l’absence de position dominante de la requérante sur le marché en cause.

292    S’agissant des importations américaines, le considérant 31 de la décision attaquée indique que, jusqu’en 1990, les livraisons des producteurs américains en Europe de l’Ouest continentale n’ont été que de 40 000 tonnes au total, et ce sous le régime du perfectionnement actif pour leur quasi-totalité.

293    Or, comme le souligne à juste titre la Commission, même en considérant que cette quantité ait été réalisée en une année, elle ne représentait que 0,07 % environ de la consommation totale de carbonate de soude dans la Communauté, laquelle s’élevait à environ 5,5 millions de tonnes en 1989. Une telle part de marché ne peut être considérée comme significative.

294    Enfin, s’agissant de l’affirmation de la requérante selon laquelle ses clients utilisaient la menace de faire usage du régime de perfectionnement actif pour s’approvisionner auprès des producteurs américains et des producteurs d’Europe de l’Est, celle-ci n’est étayée par aucun élément de preuve. En tout état de cause, cet argument est inopérant dès lors que le seul fait que les clients utilisent une telle menace ne peut constituer une circonstance exceptionnelle excluant une position dominante.

295    Deuxièmement, la requérante invoque la possibilité d’une substitution du carbonate de soude par la soude caustique et le calcin, ce qui constituait selon elle une pression concurrentielle dans sa relation avec la clientèle.

296    À cet égard, il y a lieu de constater que, aux considérants 139 à 145 de la décision attaquée, la Commission a procédé à une analyse détaillée du degré de substitution possible de la soude caustique au carbonate de soude et a constaté que, dans la pratique, les possibilités de substitution ne constituaient pas une contrainte significative à l’égard de la puissance sur le marché de la requérante. Dans la requête, la requérante ne fournit aucun élément susceptible de remettre en cause cette analyse.

297    S’agissant du calcin, la Commission a indiqué, au considérant 144 de la décision attaquée, que les besoins de soude d’un client pour la production de verre creux pouvaient être réduits jusqu’à 15 % par l’utilisation de calcin. Ce chiffre n’est pas contesté par la requérante. La Commission a également admis qu’il était possible que l’utilisation de calcin réduise la dépendance des clients à l’égard des fournisseurs de soude en général sans toutefois réduire la capacité d’un producteur de soude puissant d’exclure les petits producteurs. Dès lors, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Commission a tenu compte de cette possibilité de substitution du carbonate de soude par le calcin.

298    Dans ces circonstances, la requérante n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que les possibilités de substitution ne constituaient pas une contrainte significative à l’égard de la puissance sur le marché de la requérante.

299    Troisièmement, la requérante prétend que la Commission aurait dû prendre en compte la pression concurrentielle exercée par les clients.

300    Cependant, selon les chiffres fournis par la requérante elle-même et confirmés par la Commission, la production totale de la requérante en Europe, à l’époque des faits litigieux, était de l’ordre de 3,7 millions de tonnes et le total de ses ventes en Europe de l’ordre de 3,1 millions de tonnes.

301    Au considérant 42 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le principal client de la requérante était le groupe Saint-Gobain, avec lequel elle avait conclu des contrats à durée indéterminée dans les différents États membres qui portaient sur des ventes de plus de 500 000 tonnes par an en Europe de l’Ouest.

302    Par conséquent, la part des ventes de la requérante à Saint-Gobain, son plus gros client, représente environ 14 % du montant de sa production et 16 % de ses ventes en Europe.

303    Dès lors, à supposer que la Commission ait dû prendre en compte le critère du pouvoir compensateur des clients de la requérante, il résulte des pourcentages indiqués ci-dessus que ni Saint-Gobain ni aucun autre de ses clients n’était en mesure de contrebalancer sa puissance sur le marché.

304    En conclusion, les arguments soulevés par la requérante ne permettent pas d’admettre l’existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient de remettre en cause la constatation selon laquelle elle était en position dominante sur le marché en cause.

305    En conséquence, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de l’absence d’abus de position dominante

306    Le cinquième moyen s’articule en cinq branches, relatives, respectivement, aux ristournes sur tonnage marginal, à la ristourne « groupe » accordée à Saint-Gobain, aux accords d’exclusivité, aux clauses de concurrence et au caractère discriminatoire des pratiques reprochées à la requérante.

 Sur la première branche, relative aux ristournes sur tonnage marginal

–       Arguments des parties

307    La requérante fait valoir qu’elle n’a pas mis en place une politique générale de fidélité. À cet égard, les notes de stratégie visées aux considérants 53 à 55 de la décision attaquée auraient trait à la volonté de favoriser les clients s’engageant à terme, ce qui serait économiquement justifié. L’objectif aurait été de rémunérer l’avantage économique que la requérante retirait de l’assurance d’une utilisation de ses capacités de production pour une durée limitée, mais certaine, de deux ans au maximum, admise expressément par la Commission en 1981.

308    Le fait que les rabais accordés concernent le tonnage marginal serait justifié par la structure de coût particulière de la production du carbonate de soude. En effet, les coûts variables représenteraient une proportion très faible des coûts totaux. Lors de la négociation et de la fixation du prix de vente du carbonate de soude en début d’année, l’ensemble des coûts totaux, répartis sur les tonnages que ses clients se sont engagés à prendre, aurait été pris en considération. S’agissant des quantités supplémentaires éventuellement achetées par les clients en cours d’exécution du contrat, la requérante fait observer que, les coûts fixes ayant déjà été couverts par les quantités fixes, elle disposait d’une plus grande marge de manœuvre dans la fixation du prix et dans la détermination du montant de la ristourne à octroyer au client concerné.

309    En particulier, la requérante soutient que la Commission a apprécié de manière inexacte les effets résultant de l’octroi de prétendues ristournes de fidélité par la direction nationale allemande à ses clients allemands. En effet, celle-ci aurait considéré à tort que les autres producteurs de carbonate de soude n’étaient des concurrents que sur les tonnages marginaux. Or, selon la requérante, ses concurrents qui souhaitaient vendre à ses clients bénéficiant de ristournes sur tonnages marginaux pouvaient proposer de leur livrer des quantités supérieures aux tonnages marginaux, voire la totalité de leurs besoins, ce qui leur aurait permis d’offrir des prix moyens compétitifs. Par ailleurs, la Commission n’aurait pas examiné les capacités de production de ses concurrents et leur structure de coûts à l’époque.

310    En outre, la requérante estime que la durée des contrats, qui était limitée à deux ans, permettait à ses concurrents de contester sa position à court terme. Compte tenu du pouvoir de négociation des clients, il leur aurait été même possible, au cours de la période contractuelle, de remettre en cause leur « engagement de tonnage ».

311    Par conséquent, le système de ristournes mis en place en l’espèce serait conforme à la jurisprudence de la Cour, qui autoriserait les systèmes de rabais lorsque ceux-ci sont justifiés par une contrepartie économique.

312    Par ailleurs, la requérante se réfère au règlement (CE) n° 823/95 de la Commission, du 10 avril 1995, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de carbonate disodique originaire des États-Unis d’Amérique (JO L 83, p. 8), pour en déduire que le système de ristournes sur la tranche supérieure avait un effet très limité en Europe, dans la mesure où ce système était exclusivement appliqué à de faibles quantités sur des marchés déterminés.

313    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

314    Selon une jurisprudence constante, la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 275 supra, point 91, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, Rec. p. II‑5575, point 549).

315    Si la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, il lui incombe, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 57, et arrêt Microsoft/Commission, point 250 supra, point 229). De même, si l’existence d’une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut, cependant, admettre de tels comportements lorsqu’ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser (arrêt United Brands et United Brands Continentaal/Commission, point 249 supra, point 189, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 55).

316    S’agissant plus particulièrement de l’octroi de rabais par une entreprise en position dominante, il ressort d’une jurisprudence constante qu’un rabais de fidélité, qui est octroyé en contrepartie d’un engagement du client de s’approvisionner exclusivement ou quasi exclusivement auprès d’une entreprise en position dominante, est contraire à l’article 82 CE. Un tel rabais tend, en effet, à empêcher, par la voie de l’octroi d’avantages financiers, l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 518, et arrêt Michelin/Commission, point 315 supra, point 56).

317    Un système de rabais qui a un effet de forclusion sur le marché sera considéré comme étant contraire à l’article 82 CE s’il est appliqué par une entreprise en position dominante. Pour cette raison, la Cour a jugé qu’un rabais lié à la réalisation d’un objectif d’achat violait l’article 82 CE (arrêt Michelin/Commission, point 315 supra, point 57).

318    Les systèmes de rabais quantitatifs, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès d’une entreprise en position dominante, sont généralement considérés ne pas avoir un effet de forclusion interdit par l’article 82 CE. Si l’augmentation de la quantité fournie se traduit par un coût inférieur pour le fournisseur, celui-ci est, en effet, en droit de faire bénéficier son client de cette réduction par le biais d’un tarif plus favorable. Les rabais de quantité sont donc censés refléter des gains d’efficience et des économies d’échelle réalisées par l’entreprise en position dominante (arrêt Michelin/Commission, point 315 supra, point 58).

319    Il s’ensuit qu’un système de rabais dont le taux de la remise augmente en fonction du volume acheté ne violera pas l’article 82 CE, sauf si les critères et les modalités d’octroi du rabais font apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée, mais tend, à l’instar d’un rabais de fidélité et d’objectif, à empêcher l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 275 supra, point 90, et Michelin/Commission, point 315 supra, point 59).

320    Pour déterminer l’éventuel caractère abusif d’un système de rabais quantitatifs, il y aura donc lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités d’octroi des rabais, et d’examiner si les rabais tendent, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre à son égard, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 275 supra, point 90, et Michelin/Commission, point 315 supra, point 60).

321    En l’espèce, dans la partie de la décision attaquée consacrée au comportement de la requérante visant à exclure la concurrence, la Commission a tout d’abord fait référence, aux considérants 53 à 55 de la décision attaquée, à une stratégie commerciale de la part de celle-ci après 1982.

322    À cet égard, la Commission s’est fondée sur deux notes de stratégie de 1988, selon lesquelles la requérante cherchait à fidéliser ses clients par l’octroi de ristournes contractuelles.

323    Aux considérants 56 à 80 de la décision attaquée, la Commission a examiné ensuite le système de ristournes mis en place par la requérante en Allemagne et en France.

324    En particulier, la Commission a mentionné ce qui suit :

« Outre les ristournes usuelles de quantité sur le tonnage de base pour les gros clients, Solvay a, à partir de 1982, accordé deux formes supplémentaires de ristourne en Allemagne :

–        une ristourne sur le tonnage marginal, dénommée ‘Spitzenrabatt’, qui était presque toujours fixée à 20 % du prix de liste,

–        un paiement annuel spécial par chèque [jusqu’à 3,4 millions de [marks allemands] (DEM) dans un cas] à condition que le client s’approvisionne [auprès de] Solvay pour la totalité ou l’essentiel de ses besoins.

[…]

Ainsi, dans le cas de Vegla, qui faisait partie du groupe Saint-Gobain et était le principal client de Solvay en Allemagne, le système de ristournes a fonctionné comme suit pour 1989 :

1) sur le tonnage contractuel de base de 85 000 tonnes, une ristourne de 10 % ;

2) pour le tonnage ‘marginal’ de 43 000 tonnes, une ristourne de 20 % ;

3) un chèque correspondant au tonnage marginal de 3 349 000 DEM.

[…]

Dans la plupart des cas, comme dans celui de Vegla, le système de ristournes raffermissait la position de Solvay en tant que fournisseur exclusif. Toutefois, ce système visait également à maintenir la part dominante de Solvay lorsque les clients avaient pour politique de subdiviser leur activité entre deux fournisseurs. Flachglas, le deuxième client de Solvay en Allemagne, fractionnait ses activités en gros dans la proportion de 70 à 30 entre Solvay et M & W. À partir de 1983, les conditions de prix appliquées par Solvay à Flachglas prévoyaient une ristourne de quantité de 8,5 % pour toute quantité jusqu’à 70 kilotonnes, 20 % sur tout tonnage marginal, ainsi qu’un chèque de 500 000 à 750 000 DEM. Cette ristourne supplémentaire par chèque signifiait que le prix réel de tout tonnage marginal au-delà de 70 kilotonnes n’était (selon la quantité) que de 250 ou 260 DEM par tonne. Il était extrêmement difficile pour le deuxième fournisseur de s’attaquer à la part ‘essentielle’ de l’approvisionnement détenue par Solvay, qui (comme il ressort des propres documents de Solvay) était protégée par la ‘barrière’ des ristournes. Même si le deuxième fournisseur était en mesure d’égaler le prix facturé de 322,40 DEM (prix de liste -20 %), il était hautement improbable que le client veuille risquer de perdre le chèque substantiel dont le paiement était de toute évidence subordonné à l’achat par lui d’un tonnage approprié à Solvay en plus du tonnage contractuel de base. Des documents obtenus de Matthes & Weber confirment qu’il était impossible à cette société de faire des incursions dans la part de l’approvisionnement de Flachglas détenue par Solvay. »

325    La requérante ne conteste à aucun moment les éléments retenus à son égard en ce qui concerne le système de ristourne mis en place en France. En effet, elle fait uniquement référence au système mis en place en Allemagne.

326    Dès lors, il convient uniquement d’examiner si le système de ristournes mis en place par la requérante en Allemagne constituait un système de ristournes quantitatives, par lequel le fournisseur faisait bénéficier ses clients des économies d’échelle obtenues grâce à leurs engagements d’achats ou bien un système de rabais de fidélisation qui, par un avantage ne reposant sur aucune prestation économique le justifiant, visait à restreindre le choix des clients de la requérante dans leurs sources d’approvisionnement.

327    À cet égard, la requérante ne conteste pas l’existence et le contenu des deux notes de stratégie de 1988, mais fait valoir que celles-ci avaient pour objectif de favoriser les clients s’engageant à terme, ce qui serait économiquement justifié.

328    Conformément à la jurisprudence, il y a lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités d’octroi des rabais.

329    Il résulte de la décision attaquée que, contrairement à un rabais de quantité lié uniquement au volume des achats, aucune progressivité n’était prévue dans le taux des remises octroyées sur les quantités de base et les quantités marginales, le système prévoyant le passage d’un taux de 7 à 10 % environ appliqué sur les premières à un taux de 20 % octroyé sur les deuxièmes, montant par ailleurs complété par l’application d’un paiement spécial par chèque.

330    De plus, le taux de 20 % commençait à s’appliquer dès que le client commandait à la requérante des quantités supplémentaires par rapport à celles fixées contractuellement, indépendamment de l’importance en termes absolus de ces dernières, ainsi que cela ressort du considérant 160 de la décision attaquée.

331    La baisse des prix n’intervenait donc pas graduellement, en fonction des quantités fixées contractuellement, mais seulement lorsque les quantités atteignaient un certain seuil fixé à un niveau voisin des besoins déterminés lors des négociations du contrat. Or, dans un système de rabais de quantité, l’avantage doit être répercuté sur le prix du tonnage de base, en fonction des quantités achetées.

332    L’application cumulative de ces ristournes avait pour conséquence que le prix unitaire offert pour les quantités marginales était sensiblement inférieur au prix moyen payé par le client pour les quantités de base fixées contractuellement, comme le souligne la Commission aux considérants 61 et 62 de la décision attaquée.

333    Par conséquent, les clients étaient incités à s’approvisionner auprès de la requérante également pour les tonnages dépassant les quantités contractuelles, dans la mesure où les autres fournisseurs auraient difficilement pu offrir, sur ces tonnages, des prix concurrentiels par rapport à ceux offerts par la requérante (considérants 63 à 66 de la décision attaquée).

334    En outre, conformément à l’arrêt Michelin/Commission, point 315 supra (points 107 à 109), la requérante devrait démontrer que son système de rabais reposait sur une justification économique objective. Or, la requérante ne fournit aucune indication concrète à cet égard. Elle indique uniquement qu’il s’agissait de rémunérer l’avantage économique qu’elle retirait de l’assurance d’une utilisation de ses capacités de production.

335    Une telle argumentation est trop générale et ne saurait constituer une justification permettant d’expliquer concrètement le choix des taux de rabais retenus.

336    De surcroît, le caractère fidélisant du système de rabais mis en œuvre ressort de preuves documentaires examinées aux considérants 68 à 71 de la décision attaquée, qui ne sont pas contestées par la requérante.

337    Au surplus, s’agissant des procédures antidumping, l’invocation du règlement n° 823/95 est dépourvue de pertinence, dès lors qu’il a été adopté dans un cadre juridique totalement différent.

338    Enfin, à supposer même que les ristournes n’aient été appliquées que sur de faibles quantités, il résulte de la jurisprudence que, aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 82 CE, il suffit de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est de nature à, ou susceptible de, avoir un tel effet (arrêt Michelin/Commission, point 315 supra, point 239).

339    Or, tel est le cas en l’espèce du système de ristournes sur tonnage marginal mis en place par la requérante en Allemagne.

340    En conclusion, il convient de constater que la requérante n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur en concluant que le système de rabais qu’elle avait mis en place en Allemagne avait pour but de fidéliser la clientèle et était susceptible d’avoir un effet d’exclusion sur la concurrence.

341    Dès lors, la première branche du cinquième moyen doit être écartée.

 Sur la deuxième branche, relative à la ristourne « groupe » accordée à Saint-Gobain

–       Arguments des parties

342    La requérante fait valoir que le protocole secret conclu avec Saint-Gobain ne constituait pas un contrat exclusif ou quasi exclusif, car elle ne fournissait que 67 % environ de la totalité des besoins de Saint-Gobain en Europe.

343    La requérante soutient que les livraisons s’effectuaient au niveau national pour des motifs tirés de la réalité économique, à savoir essentiellement les coûts de transport. En outre, la ristourne de 1,5 % aurait été octroyée sur les quantités effectivement achetées par les filiales nationales et à la demande de Saint-Gobain. Il s’agirait d’une remise supplémentaire de quantité, qui était limitée à un niveau modéré afin d’éviter toute contrariété avec les règles de concurrence communautaires.

344    La requérante ajoute que cette ristourne n’était pas calculée sur la somme des achats du groupe. L’assiette de la ristourne pour chacune des filiales de Saint-Gobain aurait été constituée par le prix de vente à celle-ci, multiplié par les ventes à celle-ci. Par conséquent, la ristourne serait liée aux achats que les filiales de Saint-Gobain se seraient engagées à réaliser directement auprès des différentes directions nationales de la requérante.

345    Par ailleurs, la requérante fait observer que, postérieurement à l’adoption de la décision 91/299, la Commission a accepté un contrat qu’elle avait conclu avec le groupe Saint-Gobain en 1994 en vertu duquel les sociétés du groupe Saint-Gobain bénéficiaient de conditions privilégiées en ce qui concerne la fourniture de carbonate de soude, compte tenu du fait que la durée du contrat était de trois ans et que celle-ci ne serait pas prorogée.

346    Enfin, la requérante prétend que le protocole secret qu’elle a conclu avec le groupe Saint-Gobain n’a pas empêché les filiales nationales de Saint-Gobain d’utiliser la menace pour négocier des conditions contractuelles plus avantageuses, voire rompre leur contrat, comme dans le cas de Saint-Gobain France.

347    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

348    Au considérant 161 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le protocole secret était destiné à confirmer la requérante dans la position de fournisseur exclusif ou quasi exclusif de Saint-Gobain en Europe de l’Ouest, sauf en France.

349    Il y a lieu de constater que la requérante ne conteste pas l’existence de ce protocole secret, ni le contenu de la clause 4 dudit protocole qui était rédigée comme suit :

« Dans le cadre du présent protocole, Solvay accorde en outre à Saint-Gobain une ristourne complémentaire de 1,5 % calculée sur l’ensemble des achats de carbonate de soude de Saint-Gobain à Solvay en Europe. »

350    La requérante soutient que cette ristourne constituait une ristourne supplémentaire de quantité, attribuée en fonction des achats des filiales de Saint-Gobain auprès de ses différentes directions nationales.

351    Quant à la Commission, elle fait valoir que la ristourne de 1,5 % ne représentait pas un rabais de quantité, dans la mesure où chacune des filiales de Saint-Gobain recevait une ristourne qui n’était pas exclusivement liée aux quantités achetée par elle-même, mais qui était également fonction des quantités achetées par les autres filiales. Étant calculée sur les performances de l’ensemble du groupe, cette ristourne, qui ne correspondait pas à un avantage économique lié aux quantités livrées, aurait donc eu pour objet et pour effet de fidéliser l’ensemble du groupe et constituait donc un rabais de fidélité.

352    À cet égard, il résulte du texte même de la clause 4 du protocole secret que la ristourne était calculée sur l’« ensemble des achats » de carbonate de soude par Saint-Gobain à la requérante en Europe.

353    En outre, le Tribunal l’ayant invitée à préciser son argumentation par une question écrite dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, la requérante se contente d’affirmer que la ristourne n’était pas, « comme le protocole pourrait le laisser penser », calculée ou octroyée sur la somme de tous les achats de Saint-Gobain pris dans leur ensemble auprès d’elle en Europe.

354     Dès lors, faute de considérations étayées de nature à infirmer l’interprétation littérale de la clause 4 du protocole secret, il y a lieu de considérer que la ristourne de 1,5 %, octroyée indépendamment de toute considération liée aux avantages économiques en termes d’efficience et d’économies d’échelle que chaque filiale de Saint-Gobain aurait obtenus du fait de ses seuls achats de carbonate de soude, constituait un rabais de fidélité.

355    La requérante fait encore observer que le montant très modéré de la ristourne permettait d’éviter tout effet anticoncurrentiel. À cet égard, il suffit de constater que, même modeste, le montant d’un rabais de fidélité exerce une influence sur les conditions de la concurrence.

356    S’agissant du fait que la Commission a accepté la conclusion d’un contrat au terme duquel Saint-Gobain bénéficiait de conditions privilégiées consenties par la requérante, il suffit de constater que la lettre de la Commission, produite par la requérante, indique que « l’application de l’article [82] du traité ne pouvait être exclue ».

357    Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel le protocole secret n’a pas empêché les filiales nationales de Saint-Gobain d’utiliser la menace pour négocier des conditions contractuelles plus avantageuses ou même de rompre leur contrat dans le cas de Saint-Gobain France, la requérante n’apporte aucun élément au soutien de cette affirmation. En tout état de cause, cet argument est inopérant dès lors qu’il ne se rapporte pas à une circonstance exceptionnelle justifiant le comportement qualifié d’abus de position dominante.

358    En conséquence, il y a lieu de constater que la Commission a considéré à juste titre que la ristourne « groupe » octroyée à Saint-Gobain était contraire à l’article 82 CE.

359    Partant, la deuxième branche du cinquième moyen doit être écartée.

 Sur la troisième branche, relative aux accords d’exclusivité

–       Arguments des parties

360    La requérante soutient que, pour les accords d’exclusivité exprès conclus avec différentes entreprises, la Commission a déduit, à tort, de divers documents que certains de ses clients auraient accepté ou auraient été contraints d’accepter de se fournir exclusivement auprès de la direction nationale concernée.

361    Quant aux exclusivités de fait, la requérante fait observer qu’il ne ressort pas du dossier qu’elle imposait dans le contrat les quantités à fournir en s’assurant préalablement que celles-ci se rapprochaient des besoins totaux du client. Par ailleurs, la fixation de ces quantités aurait été totalement justifiée, compte tenu de l’absence de capacité de stockage des clients et de la nécessité d’une fourniture régulière et constante en carbonate de soude.

362    De surcroît, la requérante soutient que la Commission a eu une attitude contradictoire. D’une part, celle-ci l’aurait autorisée, en 1981, à remplacer les contrats existants par des contrats d’une durée maximale de deux ans ou par des contrats à durée indéterminée prévoyant un préavis de deux ans. D’autre part, celle-ci considérerait, à présent, que cette durée est excessive.

363    Enfin, la requérante prétend que, au cours de la période considérée, tant Glaverbel que Saint-Gobain auraient d’ailleurs dénoncé leur contrat avec elle pour ce qui concerne la France.

364    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

365    Selon une jurisprudence constante, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier – fût-ce à leur demande – des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès d’elle constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client – quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats – s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (arrêt Hoffmann-Laroche/Commission, point 275 supra, point 89). En effet, les engagements d’approvisionnement exclusif de cette nature, avec ou sans la contrepartie de rabais ou l’octroi de rabais de fidélité en vue d’inciter l’acheteur à s’approvisionner exclusivement auprès de l’entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu’ils ne reposent pas sur une prestation économique justifiant cette charge ou cet avantage, mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre à son égard, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès du marché aux autres producteurs (arrêt Hoffmann-Laroche/Commission, point 275 supra, point 90).

366    En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission a mentionné l’existence d’exclusivités expresses et d’exclusivités de fait.

367    En ce qui concerne Vegla, Oberland Glas et Owens Corning, la Commission a indiqué au considérant 170 de la décision attaquée qu’il était expressément entendu que le client s’approvisionnait pour la totalité de ses besoins auprès de la requérante. Elle s’appuie à cet égard sur des preuves documentaires détaillées dans la première partie de la décision attaquée (considérants 92 à 97 et 110).

368    À la suite d’une question écrite du Tribunal, la Commission a précisé les références des documents du dossier sur lesquels elle s’était fondée pour aboutir à la constatation de l’existence d’exclusivités expresses.

369    La requérante ne conteste pas l’existence de ces documents, mais prétend qu’ils ont été mal interprétés par la Commission.

370    S’agissant de Vegla, la requérante admet qu’« il est sans doute exact que la filiale allemande de la requérante (DSW) semble avoir parfois interprété ce contrat dans le sens d’une exclusivité ». Elle indique toutefois que DSW n’a pas toujours eu la même interprétation, sans étayer cette affirmation par des éléments de fait ou de preuve.

371    S’agissant d’Oberland Glas, la requérante soutient qu’il s’agissait d’un « fait isolé », sans en contester l’existence.

372    Quant à Owens Corning, la requérante reconnaît l’existence de propositions de la part de certaines de ses directions nationales. Sa seule défense consiste à affirmer qu’il ne ressortirait pas des documents en cause que ces offres ou ces engagements d’exclusivité ont été acceptés.

373    Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la Commission a pu considérer à bon droit que la requérante avait conclu des exclusivités expresses.

374    S’agissant des exclusivités de fait, la Commission a énoncé, au considérant 171 de la décision attaquée, que, dans les cas autres que les exclusivités exprès, le tonnage contractuel prévu dans le principal contrat à durée indéterminée, qui était assorti d’un préavis de deux ans, correspondait aux besoins totaux du client, avec toutefois une certaine marge, généralement de plus ou moins 15 %, et que le client indiquait à la requérante au début de chaque année la quantité exacte de ses besoins à l’intérieur de cette fourchette.

375    Tout d’abord, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 365 ci-dessus, est inopérant le fait que l’exclusivité soit établie à la demande du client. Dès lors, doit être écarté l’argument de la requérante selon lequel les quantités étaient déterminées par ses clients en fonction de leurs souhaits.

376    Ensuite, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas les constatations contenues dans la décision attaquée en ce qui concerne les accords d’exclusivité conclus avec BSN, Verlipack et Verreries d’Albi.

377    Par ailleurs, comme le fait observer la Commission, une lettre de Saint-Roch à la Commission, du 21 décembre 1989, contenue dans le dossier, indique que la requérante fournissait 100 % des tonnages achetés par Saint‑Roch entre 1982 et 1987, puis en 1989, et la quasi-totalité des tonnages en 1988. Dès lors, il y a lieu de constater que Solvay disposait effectivement d’une exclusivité de fait en ce qui concerne Saint-Roch.

378    De même, la Commission invoque une lettre que lui a adressée Glaverbel, le 18 décembre 1989, également contenue dans le dossier, qui confirme que tous ses approvisionnements en dehors de l’Allemagne de l’Est provenaient de la requérante.

379    Il résulte de ce qui précède que, sur le marché en cause, la requérante a fourni, pour la totalité de leurs besoins, au moins deux entreprises parmi celles citées dans la décision attaquée, à savoir Saint-Roch et Glaverbel.

380    Dès lors, il y a lieu de conclure que la Commission a considéré à juste titre que la requérante avait conclu des accords d’exclusivité exprès et qu’il existait des exclusivités de fait.

381    S’agissant de l’argument de la requérante tiré de l’attitude contradictoire de la Commission, il résulte des considérants 192 et 193 de la décision attaquée que, après avoir indiqué son accord sur une période de préavis de deux ans dans le cas des contrats à durée indéterminée, la Commission n’a imposé d’amende à la requérante que pour les ristournes de fidélité et les « accords d’exclusivité officieux ». Dès lors, il convient de constater que l’argument de la requérante manque en fait.

382    Enfin, l’argument de la requérante selon lequel Glaverbel et Saint-Gobain ont dénoncé leur contrat respectif avec elle en ce qui concerne la France, outre qu’il n’est pas étayé, ne change rien à la nature illégale des accords d’exclusivité.

383    En conséquence, il y a lieu d’écarter la troisième branche du cinquième moyen.

 Sur la quatrième branche, relative aux clauses de concurrence

–       Arguments des parties

384    La requérante indique que les clauses de concurrence contenues dans ses contrats, qui sont contestées, avaient été adaptées conformément aux remarques de la Commission.

385    En outre, au considérant 177 de la décision attaquée, la Commission aurait assimilé abusivement les clauses de sauvegarde contenues dans certains contrats à des clauses de concurrence. En effet, il ressortirait du considérant 123 de la décision attaquée que, selon la Commission, ces clauses n’étaient pas critiquables en elles-mêmes, mais que, si les clauses de sauvegarde permettaient au client d’utiliser les offres concurrentes pour réduire le prix à payer à la requérante, il était peu probable qu’un concurrent parvienne effectivement à obtenir et à conserver une part de l’approvisionnement.

386    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

387    Aux considérants 112 à 122 de la décision attaquée, la Commission fournit des éléments détaillés quant aux clauses de concurrence contenues dans les contrats conclus par la requérante.

388    La requérante ne conteste pas l’existence de ces clauses de concurrence.

389    Son seul argument consiste à indiquer que celles-ci avaient été acceptées par la Commission en 1981.

390    Or, à cet égard, la Commission n’avait pas accepté en 1981 la « clause de concurrence » ou « clause anglaise », telle que reprochée à la requérante dans le cadre de la présente affaire aux considérants 112 à 122 de la décision attaquée.

391    S’agissant des clauses de sauvegarde, il y a lieu de constater que, au considérant 177 de la décision attaquée, la Commission a distingué les « diverses formes de clauses de concurrence » des « autres mécanismes similaires exposés aux considérants 111 à 123 ». Dès lors, l’argument de la requérante manque en fait. Au demeurant, l’essentiel de l’argumentation de la Commission concerne les clauses de concurrence proprement dites.

392    Partant, la quatrième branche du cinquième moyen doit être écartée.

 Sur la cinquième branche, relative au caractère discriminatoire des pratiques reprochées

–       Arguments des parties

393    La requérante prétend que le grief tiré de l’existence de pratiques discriminatoires de sa part ne reposerait sur aucun élément factuel constaté dans la décision attaquée. La seule référence à une prétendue différence de traitement figurerait au considérant 160 de la décision attaquée, dans la partie consacrée à la description juridique des ristournes sur tonnage marginal. Il serait également erroné de prétendre, d’une part, que les filiales du groupe Saint-Gobain, et notamment Vegla, bénéficient d’un traitement plus favorable et, d’autre part, que Vegla est moins bien traitée que PLM. Or, les producteurs de verre plat, comme Vegla, seraient actifs sur un autre marché que celui des producteurs de verre creux, comme PLM.

394    En toute hypothèse, la Commission aurait incorrectement apprécié le rôle du prix du carbonate de soude sur les coûts des verriers. En effet, si le carbonate de soude constitue la matière première la plus importante dans la fabrication du verre, il ne représenterait que 2 à 6 % du prix de vente moyen du verre. Dès lors, une différence dans le montant d’une ristourne sur le prix du carbonate de soude ne pourrait avoir une influence significative sur la position concurrentielle des verriers concernés.

395    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

396    Selon la jurisprudence de la Cour, une entreprise en position dominante est en droit de consentir à ses clients des rabais de quantité, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès d’elle. Toutefois, les modalités de calcul de ces rabais ne doivent pas se traduire par l’application à l’égard de partenaires commerciaux de conditions inégales à des prestations équivalentes, en violation de l’article 82, second alinéa, sous c), CE. À cet égard, il convient de constater qu’il est de l’essence même d’un système de rabais de quantité que les plus importants acheteurs ou utilisateurs d’un produit ou d’un service bénéficient de prix moyens unitaires plus faibles ou, ce qui revient au même, de taux moyens de réduction supérieurs à ceux qui sont consentis aux acheteurs ou aux utilisateurs moins importants de ce produit ou service. Il convient de constater également que, même dans le cas d’une progression linéaire des taux de rabais en fonction des quantités avec un rabais maximal, le taux moyen de réduction augmente ou le prix moyen diminue mathématiquement, dans un premier temps, dans une proportion supérieure à l’augmentation des achats et, dans un second temps, dans une proportion inférieure à l’augmentation des achats, avant de tendre à se stabiliser vers le taux maximal de rabais. Le seul fait que le résultat d’un système de rabais de quantité aboutisse à ce que certains clients bénéficient, sur des quantités données, d’un taux moyen de réduction proportionnellement plus élevé que celui accordé à d’autres clients par rapport à la différence de leurs volumes d’achat respectifs est inhérent à ce type de système et ne saurait à lui seul permettre d’en déduire que le système est discriminatoire. Néanmoins, lorsque les seuils de déclenchement des différentes tranches de rabais, liés aux taux pratiqués, conduisent à réserver le bénéfice de rabais, ou de rabais supplémentaires, à certains partenaires commerciaux tout en leur donnant un avantage économique non justifié par le volume d’activité qu’ils apportent et par les éventuelles économies d’échelle qu’ils permettent au fournisseur de réaliser par rapport à leurs concurrents, un système de rabais de quantité entraîne l’application de conditions inégales à des prestations équivalentes. Peuvent constituer, à défaut de justifications objectives, des indices d’un tel traitement discriminatoire un seuil de déclenchement du système élevé, ne pouvant concerner que quelques partenaires particulièrement importants de l’entreprise en position dominante, ou l’absence de linéarité de l’augmentation des taux de rabais avec les quantités (arrêt de la Cour du 29 mars 2001, Portugal/Commission, C‑163/99, Rec. p. I‑2613, points 50 à 53).

397    En l’espèce, comme il a déjà été indiqué lors de l’examen de la première branche du cinquième moyen, la requérante ne conteste pas les constatations relatives au système de ristournes mis en place en France.

398    Or, le système de rabais mis en œuvre par la requérante ne suivait pas une progression linéaire en fonction des quantités, même entre les entreprises bénéficiant de tels rabais. En effet, il résulte notamment de la décision attaquée que les ristournes accordées à Durant et à Perrier étaient d’un montant différent (considérants 75 et 76).

399    Dès lors, de ce seul fait, contrairement à ce qu’affirme la requérante, le grief tiré de l’existence de pratiques discriminatoires reposait sur des éléments factuels constatés dans la décision attaquée.

400    En ce qui concerne l’argument de la requérante tiré de l’existence d’un marché différent pour les producteurs de verre creux et ceux de verre plat, il y a lieu de rappeler que le marché en cause est celui du carbonate de soude et non celui du verre. En conséquence, il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les producteurs de verre, parmi les clients des producteurs de carbonate de soude.

401    La requérante invoque également les faibles coûts du carbonate de soude. Cependant, cette affirmation n’est ni étayée ni de nature à remettre en cause le caractère discriminatoire des pratiques reprochées à la requérante.

402    Dès lors, il y a lieu d’écarter la cinquième branche du cinquième moyen et, par conséquent, de rejeter le cinquième moyen dans son ensemble.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation du droit d’accès au dossier

403    Le sixième moyen s’articule, en substance, en trois branches, tirées respectivement du défaut d’accès à des documents à charge, de l’existence de documents utiles à la défense parmi les documents du dossier consultés dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure et de l’absence de consultation complète du dossier par la requérante.

404    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être observé en toutes circonstances, notamment dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, même s’il s’agit d’une procédure administrative. Il exige que les entreprises et les associations d’entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, des griefs et des circonstances allégués par la Commission (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 275 supra, point 11, et arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 49).

405    Corollaire du principe du respect des droits de la défense, le droit d’accès au dossier implique que la Commission donne à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 68, et arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, point 88 supra, point 145).

406    S’agissant des éléments à charge, l’entreprise concernée doit démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si un document non communiqué sur lequel la Commission s’est fondée pour incriminer cette entreprise devait être écarté comme moyen de preuve à charge. S’agissant des éléments à décharge, l’entreprise concernée doit établir que leur non-divulgation a pu influencer, au détriment de celle-ci, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser lesdits documents à décharge pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influencer, de quelque manière que ce soit, les appréciations portées par cette dernière dans la décision éventuelle, au moins en ce qui concerne la gravité et la durée du comportement qui lui était reproché, et, partant, le niveau de l’amende. La possibilité qu’un document non divulgué ait pu avoir une influence sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission ne peut être établie qu’après un examen provisoire de certains moyens de preuve faisant apparaître que les documents non divulgués ont pu avoir – au regard de ces moyens de preuve – une importance qui n’aurait pas dû être négligée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 405 supra, points 73 à 76, et arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, point 88 supra, point 146).

407    Enfin, une violation du droit d’accès au dossier ne pourrait entraîner une annulation totale ou partielle d’une décision de la Commission que si l’accès irrégulier au dossier d’instruction au cours de la procédure administrative avait empêché la ou les entreprises concernées de prendre connaissance de documents qui étaient susceptibles d’être utiles à leur défense et avait, de la sorte, violé leurs droits de la défense. Tel serait le cas si la divulgation d’un document avait eu une chance, même réduite, de faire aboutir la procédure administrative à un résultat différent dans l’hypothèse où l’entreprise concernée aurait pu s’en prévaloir au cours de ladite procédure (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 405 supra, points 73 à 76).

408    C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’apprécier si, dans la présente affaire, la Commission a respecté les droits de la défense de la requérante.

 Sur la première branche, tirée du défaut d’accès à des documents à charge

–       Arguments des parties

409    La requérante prétend que la Commission n’indique pas sur quelles preuves documentaires sont fondées certaines allégations à son égard, notamment celles contenues aux considérants 138 et 176 de la décision attaquée.

410    La requérante soutient également que les allégations de la Commission à son égard doivent être écartées, dès lors que les pièces annexées à la communication des griefs ne contiennent aucun élément de nature à étayer ces allégations.

411    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

412    Aux termes du considérant 138 de la décision attaquée :

« Pour apprécier la puissance sur le marché de la requérante aux fins de la présente affaire, la Commission a examiné tous les facteurs économiques qui entraient en jeu, y compris les éléments suivants :

[…]

ix)      le rôle traditionnel de Solvay en tant qu’entreprise exerçant une influence prédominante sur les prix ;

x)      la perception qu’avaient les autres producteurs communautaires de Solvay en tant que producteur dominant, et leur réticence à lui faire une concurrence agressive auprès de ses clients traditionnels. »

413    Par ailleurs, il est énoncé au considérant 176 à propos de la conclusion d’accords d’exclusivité ce qui suit :

« Étant donné qu’il est impossible de prévoir avec certitude quelle sera la situation deux ans plus tard, le long délai de préavis avait un effet de dissuasion considérable, les clients hésitant à mettre fin au lien avec Solvay. Certains d’entre eux au moins ont considéré que cette longue période de préavis constituait une gêne. »

414    Il y a lieu de relever que ces trois affirmations constituent des appréciations d’ordre général, situées dans la deuxième partie de la décision attaquée, consacrée à l’appréciation juridique.

415    À cet égard, la requérante n’explique pas dans quelle mesure ces appréciations sont susceptibles d’avoir une influence sur la constatation des infractions reprochées. Or, il y a lieu de rappeler que, s’agissant d’éléments à charge, il appartient à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si un document non communiqué sur lequel la Commission s’est fondée pour incriminer cette entreprise devait être écarté comme moyen de preuve à charge.

416    Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du sixième moyen.

 Sur la deuxième branche, tirée de l’existence de documents utiles à la défense parmi les documents du dossier consultés dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure

417    Il résulte de la jurisprudence que, le droit d’accès au dossier, corollaire du principe du respect des droits de la défense, implique que la Commission donne à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles. S’agissant des éléments à décharge, l’entreprise concernée doit établir que leur non-divulgation a pu influencer, au détriment de celle-ci, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (voir arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, point 88 supra, points 145 et 146, et la jurisprudence citée)

418    En l’espèce, la requérante a présenté ses observations le 15 juillet 2005, à la suite de la consultation de documents du dossier.

419    La requérante fait valoir que l’accès à ces documents au cours de la procédure administrative lui aurait permis de mettre en avant des arguments utiles à sa défense en ce qui concerne le marché géographique pertinent, le marché du produit en cause, l’existence d’une position dominante et l’exploitation abusive de la position dominante.

–       Sur le marché géographique pertinent

420    Selon la requérante, il ressort des documents consultés que la question du marché géographique est particulièrement complexe. D’une part, la Commission n’aurait pas tenu compte de l’importance des coûts de transport du carbonate de soude alors que ces coûts ne permettraient pas à un producteur étranger de concurrencer un producteur local dans le périmètre naturel de chalandise de son usine. D’autre part, les clients donneraient la préférence au producteur local, qui leur garantit une continuité de livraison et, dès lors, une plus grande sécurité d’approvisionnement. La requérante invoque à cet égard des documents concernant Akzo et Rhône-Poulenc.

421    Selon la requérante, si la définition du marché géographique pertinent retenue dans la décision attaquée ne correspond pas à la réalité telle qu’elle est envisagée par ses concurrents, il ne paraît pas possible de définir le marché géographique pertinent comme suivant de façon stricte les frontières nationales. En effet, le marché serait caractérisé par des ensembles régionaux aux contours difficiles à déterminer avec exactitude. En tout état de cause, la détermination du marché géographique pertinent ne serait pas possible sur la base de l’enquête parcellaire menée par la Commission.

422    Cette argumentation doit être rejetée.

423    S’agissant de l’importance des coûts de transport du carbonate de soude, il convient de relever que la requérante n’a pas établi que la non-divulgation des documents d’Akzo et de Rhône-Poulenc a pu influencer, au détriment de celle-ci, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée. Il ressort en effet du dossier que la requérante n’ignorait pas cet élément, puisque dans sa réponse à la communication des griefs, elle a indiqué que le carbonate de soude est un produit « qui n’est pas particulièrement élaboré et n’est donc pas particulièrement cher » et que « le coût du transport est donc un facteur important du prix de revient pour les utilisateurs ». Elle aurait donc pu invoquer cet argument lors de la procédure administrative, même si elle n’avait pas accès aux documents d’Akzo et de Rhône-Poulenc.

424    S’agissant du fait que les clients donnaient la préférence aux producteurs locaux, il y a également lieu de considérer que la requérant n’ignorait pas cet élément, puisque, en date du 19 février 1981, la requérante a adressé une lettre à ses différentes directions nationales les invitant à modifier leurs contrats de tonnage avec l’industrie verrière à la suite des remarques de la Commission. Partant, elle ne saurait se prévaloir de la préférence donnée aux producteurs locaux pour établir que la non-divulgation des documents d’Akzo et de Rhône-Poulenc a pu influencer, au détriment de celle-ci, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée.

425    Partant, il y a lieu de rejeter le grief invoqué par la requérante.

–       Sur le marché du produit en cause

426    La requérante affirme que les documents trouvés chez ses concurrents et ses clients lui auraient permis de contester l’analyse de la Commission quant à la définition du marché du produit en cause. En effet, la soude caustique aurait exercé une pression concurrentielle sur les producteurs de carbonate de soude pendant la majeure partie de la période infractionnelle retenue dans la décision attaquée.

427    À cet égard, il convient de considérer que la requérante, le plus grand producteur de carbonate de soude en Europe à l’époque des faits, était à même de fournir à l’appréciation de la Commission les éléments nécessaires quant à la substitution du carbonate de soude par la soude caustique. En effet, selon le considérant 143 de la décision attaquée, la requérante était par ailleurs l’un des plus grands producteurs de soude caustique.

428    En outre, les éléments avancés par la requérante à la suite de la consultation du dossier ne remettent pas en cause l’analyse de la Commission dans la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci a admis qu’il existait une certaine substituabilité du carbonate de soude par la soude caustique (considérants 139 à 143).

429    Dès lors, la requérante n’a pas établi que la non-divulgation des documents en cause a pu influencer, au détriment de celle-ci, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée.

430    Partant, le grief invoqué par la requérante doit être rejeté.

–       Sur l’existence d’une position dominante

431    Selon la requérante, l’examen des documents saisis auprès de ses concurrents, en particulier de Rhône-Poulenc et d’Akzo, confirme que la Commission n’a pas analysé deux éléments fondamentaux, à savoir la capacité réelle des autres producteurs continentaux de la concurrencer et le pouvoir compensateur des clients. En outre, la Commission n’aurait pas pris en compte à sa juste valeur la pression concurrentielle exercée par les importations en provenance d’Europe de l’Est et des États-Unis. Il ressortirait de ces éléments que l’existence d’une position dominante de sa part dans les régions où des pratiques anticoncurrentielles lui sont reprochées n’est pas démontrée.

432    À cet égard, il y a lieu de constater que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante avait déjà développé ces arguments. En particulier, elle avait indiqué ce qui suit :

« Non seulement [Solvay] n’est pas en mesure d’agir sur le marché sans tenir compte de la concurrence, notamment de la concurrence des producteurs des pays d’Europe de l’Est et des producteurs américains, mais encore et surtout, elle est en état de dépendance ou, du moins, d’interdépendance à l’égard de ses clients. »

433    À cet égard, la requérante a fourni à la Commission divers documents dans le cadre de la procédure administrative.

434    Dans ces circonstances, il convient de relever que les observations de la requérante à la suite de la consultation du dossier ne démontrent pas dans quelle mesure les divers documents invoqués, provenant notamment d’Akzo et de Rhône-Poulenc, auraient pu être utiles à sa défense.

435    Dès lors, le grief invoqué par la requérante doit être écarté.

–       Sur l’exploitation abusive de la position dominante

436    La requérante soutient que les documents trouvés chez ses concurrents démontrent que la décision attaquée est « déficiente » quant à l’analyse des « pratiques d’exclusion » qui lui sont reprochées. En effet, ces dernières n’auraient ni l’objet ni l’effet que leur attribue la décision attaquée. Les usines de Rhône-Poulenc et d’Akzo auraient fonctionné à pleine capacité pendant la majeure partie de la période considérée. La requérante fait également observer qu’elle n’a pas saisi toutes les opportunités de vente des concurrents.

437    Par ailleurs, selon la requérante, une étude d’Akzo sur les coûts directs de production des diverses usines démontre l’intérêt économique légitime pour elle d’accorder des ristournes sur tonnage marginal une fois les frais fixes couverts. En outre, le fait d’accorder des ristournes sur tonnage marginal constituerait une pratique usuelle sur le marché.

438    Cependant, premièrement, il convient de relever que, dans la communication des griefs, la Commission a mentionné que, « au début des années 80, la demande de soude [avait] diminué dans les pays développés, les principales raisons étant la récession économique, le recyclage de verre et le remplacement des emballages en verre par des emballages en plastique et/ou en aluminium », que, « [c]es dernières années, [avait été] observé un redressement sensible de la demande dans le monde et la totalité de la production de soude [avait] pu être écoulée » et que « [l]es unités de production [travaillaient alors] à pleine capacité ».

439    Au considérant 17 de la décision attaquée, la Commission a également indiqué que les unités de production travaillaient à pleine capacité en 1990.

440    Par conséquent, la Commission était informée de cette situation de fait lors de la procédure administrative et lorsque, au considérant 191 de la décision attaquée, elle a estimé que la requérante avait « saisi toutes les opportunités de vente des concurrents pour longtemps ».

441    Dès lors, la requérante n’a pas établi que la non-divulgation des documents d’Akzo et de Rhône-Poulenc avait influencé, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée.

442    Deuxièmement, s’agissant de l’intérêt économique pour la requérante d’accorder des ristournes sur tonnage marginal, il y a lieu de relever qu’elle pouvait développer cet argument lors de la procédure administrative, à la lumière de ses propres coûts, sans qu’il soit besoin pour elle d’avoir à se fonder sur les documents de ses concurrents.

443    La requérante a, par ailleurs, invoqué cet argument dans sa réponse à la communication des griefs, en indiquant que ces ristournes correspondaient à un « avantage pour [Solvay] ». Elle a également ajouté ce qui suit :

« Les seuils fixés par client n’étaient en réalité que le reflet du seuil de rentabilité des soudières. On sait, en effet, qu’une fois ce seuil atteint par la couverture des frais fixes, toute tonne supplémentaire vendue génère un profit de plus en plus important. La Commission, qui a la charge de la preuve, ne démontre pas, à cet égard, que les ristournes litigieuses qui sont incontestablement liées aux volumes seraient d’un taux tel qu’elles ne correspondraient à aucun avantage économique précis pour [Solvay]. »

444    Troisièmement, s’agissant des ristournes accordées sur tonnage marginal, il suffit d’indiquer que l’argument de la requérante selon lequel celles-ci constituent une pratique usuelle n’est pas de nature à démontrer que les ristournes sur tonnage marginal, lorsqu’elles sont accordées par une entreprise en position dominante, étaient conformes à l’article 82 CE.

445    Par conséquent, le grief invoqué par la requérante doit être rejeté.

446    En conclusion, il résulte de l’examen des documents invoqués par la requérante à la suite de l’accès au dossier, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, que la Commission n’a pas violé les droits de la défense. Partant, la deuxième branche du sixième moyen doit être écartée.

 Sur la troisième branche, tirée de l’absence de consultation complète du dossier par la requérante

–       Arguments des parties

447    Dans la requête, la requérante fait valoir qu’elle n’a jamais pu obtenir une liste énumérative complète du dossier de la Commission. En outre, au cours de la procédure administrative préalable à l’adoption de la décision 91/299, la Commission se serait contentée de lui octroyer un accès aux documents à charge, annexés à la communication des griefs. Par conséquent, d’après la description du dossier qui ressort de l’arrêt Solvay I, point 35 supra, la requérante se serait vu refuser l’accès à un ensemble de « sous-dossiers » concernant ses concurrents (Rhône-Poulenc, CFK, Matthes & Weber, Akzo et ICI), ainsi qu’à une dizaine de dossiers contenant les réponses aux demandes de renseignements au titre de l’article 11 du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits, notamment celles adressées par la Commission à certains de ses clients. La requérante soutient qu’elle a ainsi été empêchée d’examiner si ces dossiers contenaient des éléments utiles à sa défense, notamment en ce qui concerne le marché géographique pertinent, l’existence d’une position dominante et l’exploitation abusive de la position dominante. Le dépérissement des preuves résultant du temps écoulé depuis les faits reprochés aurait rendu d’autant plus important cet accès au dossier.

448    Dans ses observations en date du 15 juillet 2005, présentées à la suite de la consultation du dossier au greffe du Tribunal, la requérante estime qu’elle ne peut pas indiquer dans quelle mesure les documents manquants dans le dossier auraient été utiles à sa défense. À cet égard, elle fait observer que, d’une part, la Commission a expressément reconnu la perte de cinq classeurs et, d’autre part, celle-ci ne peut garantir le caractère complet des classeurs qu’elle possède encore, en l’absence de numérotation continue des documents et de liste énumérative. Elle en déduit que la décision attaquée doit être annulée dans son intégralité, le Tribunal n’étant pas en mesure d’en contrôler la légalité.

449    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

450    À titre liminaire, il convient de souligner que, au cours de la procédure administrative préalable à l’adoption de la décision 91/299, la Commission n’a pas établi de liste énumérative des documents composant le dossier et a communiqué à la requérante uniquement les documents à charge, lesquels étaient annexés à la communication des griefs.

451    À cet égard, la Commission a fait valoir, lors de l’audience, que, dans certaines affaires, la pratique avait consisté à adresser aux entreprises concernées une communication des griefs accompagnée uniquement de certains documents, en raison du caractère volumineux du dossier, ces entreprises étant ensuite invitées à venir consulter dans ses locaux l’ensemble des documents accessibles à l’aide d’une liste énumérative. Cependant, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à la décision 91/299, le rapporteur a décidé, selon la Commission, de « simplifier la procédure » en considérant que, tous les documents invoqués ayant été communiqués avec la communication des griefs, une consultation était inutile et, par conséquent, qu’une liste énumérative n’était pas nécessaire.

452    Or, il y a lieu de rappeler que, aux pages 40 et 41 de son Douzième Rapport sur la politique de concurrence, la Commission a établi, en ce qui concerne l’accès au dossier, les règles suivantes :

« La Commission accorde aux entreprises impliquées dans une procédure la faculté de prendre connaissance du dossier les concernant. Les entreprises sont informées du contenu du dossier de la Commission par l’adjonction à la communication des griefs ou à la lettre de rejet de la plainte d’une liste de tous les documents composant le dossier, avec l’indication des documents ou parties de ceux-ci qui leur sont accessibles. Les entreprises sont invitées à examiner sur place les documents accessibles. Si une entreprise souhaite n’en examiner que quelques-uns, la Commission peut lui en faire parvenir des copies. La Commission considère comme confidentiels, et par conséquent inaccessibles pour une entreprise déterminée, les documents suivants : les documents ou parties de ceux-ci contenant des secrets d’affaires d’autres entreprises ; les documents internes de la Commission, tels que les notes, projets ou autres documents de travail ; toutes autres informations confidentielles, telles que celles permettant d’identifier les plaignants qui souhaitent ne pas voir révélée leur identité, ainsi que les renseignements communiqués à la Commission sous réserve d’en respecter le caractère confidentiel. »

453    Il résulte de ces règles que, lors de la procédure administrative préalable à l’adoption de la décision 91/299, la Commission avait l’obligation de rendre accessible à la requérante l’ensemble des documents à charge et à décharge qu’elle a recueillis au cours de l’enquête, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, points 51 à 54, et du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑10/92 à T‑12/92 et T‑15/92, Rec. p. II‑2667, points 39 à 41).

454    Dès lors, il y a lieu de constater que, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à la décision 91/299, la Commission s’est départie des règles qu’elle s’était imposées en 1982, en ne constituant pas une liste énumérative des documents composant le dossier et en ne donnant pas accès à la requérante à l’ensemble des documents se trouvant dans le dossier.

455    Ensuite, il convient de relever que, la décision 91/299 ayant été annulée par le Tribunal pour une absence d’authentification, la Commission a considéré qu’elle était en droit d’adopter la décision attaquée sans rouvrir la procédure administrative.

456    Par conséquent, il y a lieu de constater que, préalablement à l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’a pas communiqué à la requérante la totalité des documents du dossier qui lui étaient accessibles et ne l’a pas invitée à venir consulter dans ses locaux lesdits documents, de sorte que la procédure administrative était irrégulière à cet égard.

457    Cependant, il résulte d’une jurisprudence constante que les droits de la défense ne sont violés du fait d’une irrégularité procédurale que dans la mesure où celle-ci a eu une incidence concrète sur la possibilité pour les entreprises mises en cause de se défendre (arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, point 55, et General Electric/Commission, point 314 supra, point 632).

458    Dans ces circonstances, le Tribunal, dans le cadre du recours juridictionnel formé contre la décision attaquée, a ordonné des mesures d’organisation de la procédure destinées à assurer un accès complet au dossier, afin d’apprécier si le refus de la Commission de divulguer un document ou de communiquer une pièce a pu nuire à la défense de la requérante (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 405 supra, point 102).

459    À cet égard, il convient de rappeler que, se limitant à un contrôle juridictionnel des moyens soulevés, un tel examen n’a ni pour objet ni pour effet de remplacer une instruction complète de l’affaire dans le cadre d’une procédure administrative. La prise de connaissance tardive de certains documents du dossier ne replace pas l’entreprise, qui a introduit un recours à l’encontre d’une décision de la Commission, dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait pu s’appuyer sur les mêmes documents pour présenter ses observations écrites et orales devant cette institution (voir arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 405 supra, point 103, et la jurisprudence citée). En outre, lorsque l’accès au dossier est assuré au stade de la procédure juridictionnelle, l’entreprise concernée ne doit pas démontrer que, si elle avait eu accès aux documents non communiqués, la décision de la Commission aurait eu un contenu différent, mais seulement que lesdits documents auraient pu être utiles pour sa défense (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, point 128, et arrêt PVC II de la Cour, point 55 supra, point 318).

460    En l’espèce, à la demande du Tribunal, la Commission a produit la communication des griefs et les documents annexés. Elle a également établi une liste énumérative des documents figurant dans le dossier, dans sa composition actuelle.

461    Or, à cet égard, premièrement, il y a lieu de constater qu’il existe une incertitude sur le contenu exact du dossier dans sa composition originelle. En effet, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a certes indiqué que le dossier, sous sa forme actuelle, était une copie du dossier originel. Celui-ci était donc composé de « sous-dossiers » numérotés de 1 à 71, selon les informations communiquées par la Commission. Cependant, dans le même temps, la Commission a informé le Tribunal de l’existence d’un « sous-dossier » non numéroté, dénommé « Oberland Glas ».

462    Deuxièmement, il convient d’observer que la Commission a reconnu expressément avoir perdu les cinq « sous-dossiers » numérotés de 66 à 70. Il ressort en effet de sa lettre du 15 mars 2005 qu’elle est arrivée à cette conclusion en constatant qu’elle possédait des « sous-dossiers » nos 1 à 65 et que le « sous-dossier » n° 71 contenait la communication des griefs.

463    Dans ses observations en date du 18 novembre 2005, la Commission a indiqué qu’il était « peu vraisemblable que les dossiers introuvables contiennent des pièces à décharge ». Invitée à préciser lors de l’audience le sens de cette phrase, elle a indiqué qu’il était « plausible » que lesdits « sous-dossiers » ne comportent pas de document à décharge et que, d’un point de vue « statistique », ils ne pourraient pas être utiles à la défense de la requérante.

464    Il résulte de ces réponses que la Commission n’est pas en mesure d’identifier, de façon certaine, l’auteur, la nature et le contenu de chacune des pièces composant les « sous-dossiers » nos 66 à 70.

465    Il convient donc de vérifier si la requérante a eu la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense et, dans l’hypothèse où tel ne serait pas le cas, si la violation du droit d’accès au dossier était d’une importance telle qu’elle avait pour effet de vider de sa substance cette garantie procédurale. En effet, selon la jurisprudence, l’accès au dossier relève des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense (arrêt Solvay I, point 35 supra, point 59), et la violation du droit d’accès au dossier de la Commission au cours de la procédure préalable à l’adoption de la décision est susceptible, en principe, d’entraîner l’annulation de cette décision lorsqu’il a été porté atteinte aux droits de la défense de l’entreprise concernée (arrêt Corus UK/Commission, point 459 supra, point 127).

466    À cet égard, il est nécessaire d’examiner s’il a été porté atteinte aux droits de la défense de la requérante en ce qui concerne les griefs formulés à son égard dans la communication des griefs et dans la décision attaquée.

467    Selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, en ce qu’elle dépend essentiellement des griefs retenus par la Commission pour établir l’infraction reprochée à l’entreprise concernée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 405 supra, point 127). Il y a donc lieu de procéder à un examen sommaire des griefs de fond que la Commission a retenus dans la communication des griefs et dans la décision attaquée (arrêt Solvay I, point 35 supra, point 60).

468    Il est également nécessaire d’examiner l’existence d’une violation des droits de la défense en tenant compte des arguments concrètement invoqués par l’entreprise concernée contre la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt ICI II, point 35 supra, point 59).

469    En l’espèce, dans le cadre du présent recours, le Tribunal a examiné l’argumentation développée par la requérante et les griefs de fond contenus dans la décision attaquée et a conclu que les moyens invoqués par la requérante devaient tous être rejetés.

470    S’agissant de l’existence d’une position dominante, il y a lieu de relever que la Commission s’est essentiellement fondée sur la part de marché détenue par la requérante pour établir que la requérante occupait une position dominante sur le marché en cause. Or, aucun indice ne permet de présumer que la requérante aurait pu découvrir dans les « sous-dossiers » manquants des documents infirmant la constatation qu’elle détenait une position dominante sur le marché du carbonate de soude (voir, en ce sens, arrêt ICI II, point 35 supra, point 61). En outre, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 277 ci-dessus, des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante. Or, les arguments avancés par la requérante se rapportant aux faits susceptibles de constituer des circonstances exceptionnelles sont soit contredits par les données chiffrées figurant dans la requête et fournies par la requérante ou figurant dans la décision attaquée et non contestées par la requérante, soit inopérants. Enfin, à supposer même que de tels faits aient existé et soient mentionnés dans les documents contenus dans les « sous-dossiers » manquants, la requérante ne pouvait pas les ignorer compte tenu des circonstances de l’espèce, de sorte qu’il n’a pas été porté atteinte à ses droits de la défense à cet égard.

471    En ce qui concerne la définition du marché géographique, il convient de rappeler qu’il a été constaté, au point 259 ci-dessus, qu’une éventuelle erreur de la Commission à cet égard n’aurait pas pu avoir une influence déterminante quant au résultat. Il en résulte qu’il est exclu que la requérante ait pu trouver dans les classeurs manquants des documents susceptibles de remettre en cause le constat de l’existence de sa position dominante.

472    S’agissant de l’exploitation abusive de la position dominante, il y a lieu de relever tout d’abord que la requérante ne conteste à aucun moment les constatations relatives au système de rabais mis en place en France.

473    Ensuite, il y a lieu de relever que le caractère fidélisant du système de rabais mis en œuvre par la requérante ressort de preuves documentaires directes. Or, dans un cas où, comme en l’espèce, la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, uniquement sur des preuves documentaires directes pour établir les différentes infractions, la requérante doit s’efforcer d’indiquer dans quelle mesure d’autres éléments de preuve auraient pu remettre en cause le caractère fidélisant du système de rabais mis en œuvre ou, à tout le moins, quel éclairage différent aurait pu être donné aux preuves documentaires directes qui n’ont pas été contestées. À la lumière du système de preuve retenu dans la décision attaquée, dans la mesure où les contrats conclus par la requérante présentent un caractère fidélisant, l’accès aux « sous-dossiers » manquants n’aurait eu aucune chance de faire aboutir la procédure administrative à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciment », T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, points 263 et 264, et la jurisprudence citée).

474    S’agissant de la ristourne « groupe » accordée à Saint-Gobain, il convient de rappeler que la requérante ne conteste ni l’existence du protocole secret, ni le contenu de la clause 4 dudit protocole (voir point 349 ci-dessus) et qu’il résulte du texte même de cette clause que la ristourne était calculée sur l’« ensemble des achats » de carbonate de soude par Saint-Gobain à la requérante en Europe (voir point 352 ci-dessus). Dans ces conditions, la requérante aurait dû s’efforcer d’indiquer dans quelle mesure d’autres éléments de preuve auraient pu remettre en cause le contenu du protocole secret ou, à tout le moins, lui donner un éclairage différent.

475    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le protocole secret n’a pas empêché les filiales nationales de Saint-Gobain d’utiliser la menace pour négocier des conditions contractuelles plus avantageuses ou même de rompre leur contrat, il a été constaté au point 357 ci-dessus qu’il est inopérant. À supposer même que les « sous-dossiers » perdus contiennent des documents appuyant cet argument, cela ne pourrait donc pas être utile à la défense de la requérante.

476    S’agissant des accords d’exclusivité exprès, il convient de souligner que la Commission s’est appuyée sur des preuves documentaires directes et que la requérante n’a pas expliqué en quoi des documents contenus dans les « sous-dossiers » manquants auraient pu remettre en cause l’existence des accords d’exclusivité ou donner un éclairage différent aux preuves documentaires.

477    Quant aux exclusivités de fait, il convient de rappeler que, en ce qui concerne les accords conclus avec plusieurs verriers, la requérante ne conteste pas les constatations contenues dans la décision attaquée (voir point 376 ci-dessus).

478    En ce qui concerne les clauses de concurrence, il y a lieu de rappeler que la requérante ne conteste pas leur existence et que c’est à tort qu’elle fait valoir que la Commission a accepté de telles clauses en 1981 (voir points 388 à 390 ci-dessus). En outre, s’agissant des clauses de sauvegarde, il convient de rappeler que l’argument de la requérante selon lequel la Commission a assimilé ces clauses à des clauses de concurrence manque en fait (voir point 391 ci-dessus).

479    Il peut donc être exclu que la requérante ait pu trouver des documents utiles à sa défense sur ces points dans les « sous-dossiers » manquants.

480    Enfin, s’agissant du caractère discriminatoire des pratiques reprochées, les arguments soulevés par la requérante pour réfuter celui-ci sont inopérants.

481    Dès lors, il y a lieu de conclure qu’il n’a pas été établi que la requérante n’avait pas eu la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui étaient susceptibles d’être pertinents pour sa défense. En effet, même si la requérante n’a pas eu accès à la totalité des documents figurant au dossier d’instruction, cette circonstance ne l’a pas empêchée en l’espèce d’assurer sa défense en ce qui concerne les griefs de fond que la Commission a retenus dans la communication des griefs et dans la décision attaquée.

482    En conséquence, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’annuler la décision attaquée au motif que cinq « sous-dossiers » auxquels la requérante n’a jamais eu accès ont disparu du dossier. Partant, la troisième branche du sixième moyen doit être écartée et, par conséquent, le sixième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 2. Sur les conclusions tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

483    Les conclusions de la requérante visant à l’annulation ou à la réduction de l’amende s’articulent, en substance, en cinq moyens, tirés, premièrement, de l’appréciation erronée de la gravité des infractions, deuxièmement, de l’appréciation erronée de la durée des infractions, troisièmement, de l’existence de circonstances atténuantes, quatrièmement, du caractère disproportionné de l’amende et, cinquièmement, de l’écoulement du temps.

 Sur le premier moyen, tiré de l’appréciation erronée de la gravité des infractions

 Arguments des parties

484    La requérante soutient que la Commission doit respecter les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »). Cependant, s’agissant en l’espèce de faits antérieurs à leur adoption, la Commission n’aurait pas été tenue, en principe, de les prendre en considération, sous deux réserves : d’une part, lorsque lesdites lignes directrices reprennent les principes posés par la pratique de la Commission et, d’autre part, lorsqu’elles introduisent un adoucissement de la politique de la Commission quant à la fixation du montant de l’amende.

485    S’agissant de l’amende qui lui a été infligée par la décision attaquée, la requérante invoque plusieurs arguments pour en contester le montant.

486    Premièrement, la requérante prétend ne jamais avoir saisi toutes les opportunités de vente de ses concurrents, sa part de marché étant bien inférieure à 100 % sur les marchés nationaux pertinents. En outre, la durée des contrats la liant à ses clients aurait été au maximum de deux ans, ce qui ne constituait manifestement pas une longue durée, ce qu’aurait reconnu la Commission en 1981. Par ailleurs, il n’aurait pas été démontré que les pratiques prétendument abusives avaient eu un effet négatif sur les consommateurs.

487    Deuxièmement, la requérante soutient que, s’agissant de la référence dans la décision attaquée aux infractions à l’article 81 CE en ce qui la concerne, la Commission n’a pas tenu compte du fait que, à la suite de l’annulation de la décision 91/297 par l’arrêt Solvay I, point 35 supra, aucune nouvelle décision n’a été adoptée au titre de l’article 81 CE.

488    Troisièmement, la requérante fait observer que certains de ses cadres de haut rang, avertis de l’obligation de respecter le droit communautaire de la concurrence, avaient pensé s’y conformer en appliquant les consignes résultant des négociations menées avec la Commission en 1981. En outre, la décision attaquée contiendrait une contradiction dans ses considérants 192 et 193 en ce que, d’une part, la Commission aurait indiqué avoir uniquement pris en compte les ristournes de fidélité et les accords d’exclusivité officieux dans la mesure où la requérante pouvait légitimement penser que les clauses de concurrence, les contrats de tonnage avec marge de plus ou moins 15 % et les contrats à durée indéterminée avec préavis de deux ans avaient été acceptés en 1981 et, d’autre part, la Commission aurait estimé que ces dispositions tendaient en pratique à renforcer l’exclusivité de la requérante.

489    Quatrièmement, la requérante affirme que des condamnations antérieures à des amendes substantielles pour fait de collusion dans l’industrie de la chimie ne pourraient être considérées comme une circonstance aggravante en ce qui la concerne. En effet, selon les lignes directrices pour le calcul des amendes, l’existence d’un cas de récidive supposerait des infractions du même type. Or, la requérante fait observer qu’elle n’a jamais été condamnée pour abus de position dominante par la Commission.

490    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

491    À titre liminaire, il convient de rappeler que, si la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lors de la fixation du montant de chaque amende, sans être tenue d’appliquer une formule mathématique précise, le Tribunal statue toutefois, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée (arrêts du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 165, et du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission, T‑217/03 et T‑245/03, Rec. p. II‑4987, point 358).

492    En premier lieu, s’agissant de l’application des lignes directrices pour le calcul des amendes, il y a lieu de rappeler que, la décision 91/299 ayant été annulée en raison d’un vice de procédure, la Commission était en droit d’adopter une nouvelle décision, sans que soit engagée une nouvelle procédure administrative.

493    Dès lors que le contenu de la décision attaquée est quasi identique à celui de la décision 91/299 et que ces deux décisions sont fondées sur les mêmes motifs, la décision attaquée est soumise, dans le cadre de la fixation du montant de l’amende, aux règles en vigueur au moment de l’adoption de la décision 91/299.

494    En effet, la Commission a repris la procédure au stade où l’erreur de procédure a été commise et, sans procéder à une nouvelle appréciation du cas à la lumière de règles qui n’existaient pas à l’époque de l’adoption de la décision 91/299, elle a adopté une nouvelle décision. Or, l’adoption d’une nouvelle décision exclut par hypothèse l’application des lignes directrices postérieures à la première adoption.

495    Par conséquent, les lignes directrices pour le calcul des amendes ne sont pas applicables en l’espèce.

496    En second lieu, il convient de relever que la Commission a considéré que les infractions reprochées à la requérante, à savoir des ristournes de fidélité et des accords d’exclusivité officieux, étaient d’une « gravité extrême » (considérants 191 à 193 de la décision attaquée).

497    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, le montant des amendes doit être gradué en fonction des circonstances de la violation et de la gravité de l’infraction, et l’appréciation de la gravité de l’infraction, aux fins de la fixation du montant de l’amende doit être effectuée en tenant compte notamment de la nature des restrictions apportées à la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, point 143, et la jurisprudence citée).

498    Ainsi, pour apprécier la gravité des infractions aux règles communautaires de concurrence imputables à une entreprise, en vue de déterminer un montant d’amende qui lui soit proportionnel, la Commission peut tenir compte de la durée particulièrement longue de certaines infractions, du nombre et de la diversité des infractions, qui ont concerné la totalité ou la quasi-totalité des produits de l’entreprise en cause et dont certaines ont affecté tous les États membres, de la gravité particulière d’infractions relevant d’une stratégie délibérée et cohérente visant, par des pratiques éliminatoires diverses à l’égard des concurrents et par une politique de fidélisation des clients, à maintenir artificiellement ou à renforcer la position dominante de l’entreprise sur des marchés où la concurrence était déjà limitée, des effets d’abus particulièrement néfastes sur le plan de la concurrence et de l’avantage tiré par l’entreprise de ses infractions (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, points 240 et 241).

499    En l’espèce, il convient de considérer que les pratiques reprochées à la requérante justifiaient la qualification de « gravité extrême » retenue par la Commission.

500    En effet, en accordant des ristournes sur tonnage marginal à ses clients et en concluant des accords de fidélisation avec ceux-ci, la requérante a maintenu artificiellement ou renforcé sa position dominante sur le marché en cause, où la concurrence était déjà limitée.

501    En outre, aucun des arguments avancés par la requérante ne permet de considérer que la Commission a procédé à une appréciation erronée de la gravité des infractions.

502    Premièrement, s’agissant du grief tiré de ce que la requérante aurait saisi toutes les opportunités de vente de ses concurrents, il y a lieu de constater, tout d’abord, que, par sa politique de fidélisation des clients, elle a cherché à exclure du marché ses concurrents. À cet égard, le fait que sa part de marché était inférieure à 100 % ne permet pas de considérer que sa pratique n’a pas eu un effet d’exclusion.

503    Ensuite, il convient d’observer que la Commission n’avait pas à démontrer spécifiquement l’effet négatif des pratiques de la requérante sur les consommateurs. En effet, dans le cadre de l’existence d’une infraction à l’article 82 CE, il n’est pas nécessaire d’examiner si le comportement en cause a causé un préjudice aux consommateurs (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C‑95/04 P, Rec. p. I‑2331, points 106 et 107, et la jurisprudence citée).

504    Deuxièmement, s’agissant de la référence à l’article 81 CE, il y a lieu de constater que, au considérant 191 de la décision attaquée, la Commission a uniquement indiqué que les infractions reprochées, étant donné les circonstances spécifiques de cette affaire, étaient plus graves que les infractions à l’article 81 CE qui étaient également reprochées à la requérante. La Commission n’a donc nullement méconnu le fait que les infractions à l’article 82 CE et celles à l’article 81 CE étaient autonomes et qu’elles devaient ainsi faire l’objet d’un traitement distinct.

505    Troisièmement, s’agissant de l’adaptation de ses contrats par la requérante et de la prétendue contradiction contenue au considérant 193 de la décision attaquée, il suffit de constater que l’amende infligée à la requérante ne concerne pas les dispositions acceptées en 1982 par la Commission.

506    Quatrièmement, s’agissant de la récidive, il y a lieu de relever que, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a confirmé que le grief énoncé au considérant 194 de la décision attaquée, selon lequel la requérante s’était déjà vu infliger à plusieurs reprises des amendes substantielles pour fait de collusion dans l’industrie de la chimie (peroxydes, polypropylène, PVC), constituait une circonstance aggravante.

507    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’analyse de la gravité de l’infraction commise doit tenir compte d’une éventuelle récidive (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 405 supra, point 91, et arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 348).

508    La notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 617).

509    Les lignes directrices pour le calcul des amendes, même si elles ne sont pas applicables au présent litige, vont dans le même sens en se référant à une « infraction de même type ».

510    Or, il y a lieu de constater que les infractions pour lesquelles la requérante s’est vu infliger à plusieurs reprises des amendes substantielles pour fait de collusion dans l’industrie chimique se rattachent toutes à l’article 81 CE. En effet, comme l’a précisé la Commission, sont en cause sa décision 85/74/CEE, du 23 novembre 1984, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/30.907 – Peroxygènes) (JO 1985, L 35, p. 1), sa décision 86/398/CEE, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.149 – Polypropylène) (JO L 230 p. 1), et, enfin, sa décision 89/190/CEE, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.865, PVC) (JO 1989, L 74, p. 1). En outre, les pratiques ayant fait l’objet des décisions mentionnées au point précédent sont très différentes de celles en cause en l’espèce.

511    Dès lors, la Commission a retenu à tort une circonstance aggravante à l’encontre de la requérante et, partant, il y a lieu de réformer la décision attaquée en réduisant le montant de l’amende qui lui a été infligée d’un montant de 5 %.

512    En conséquence, le montant de l’amende doit être diminué d’un million d’euros.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la durée des infractions

 Arguments des parties

513    La requérante expose que, en l’absence de toute politique centralisée de sa part et du fait que les conditions contractuelles étaient fixées au niveau national, la Commission devait tenir compte de l’étendue géographique des prétendues infractions, ce qui l’aurait amenée à conclure à une durée différente des infractions pour chacun des États concernés. Une telle prise en compte aurait eu également une influence sur le montant de l’amende, notamment eu égard au chiffre d’affaires à prendre en considération.

514    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

515    Aux termes du considérant 195 de la décision attaquée, les infractions ont commencé vers 1983, soit très peu de temps après les négociations entre la requérante et la Commission et la clôture du dossier de la Commission, et se sont poursuivies au moins jusqu’à la fin de l’année 1990.

516    Par ailleurs, la Commission a défini le marché géographique en cause comme étant de dimension communautaire.

517    Il s’ensuit que la Commission n’avait pas à déterminer la durée des infractions en pratiquant un examen État par État. Comme elle devait le faire, elle a fixé les dates de début et de fin des infractions sur le marché géographique pertinent, à savoir l’Europe de l’Ouest continentale dans son ensemble.

518    En tout état de cause, si la Commission avait dû distinguer la durée des infractions selon différents marchés nationaux, elle aurait alors infligé plusieurs amendes, dont le montant total n’aurait pas été inférieur à celui retenu par la décision attaquée. Il en résulte qu’une éventuelle erreur de la Commission quant à la définition du marché géographique pertinent ne justifierait ni l’annulation de la décision attaquée ni une réduction de l’amende.

519    Il convient par conséquent de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’existence de circonstances atténuantes

520    Le troisième moyen s’articule en cinq branches, tirés respectivement de l’absence de récidive, de la coopération de la requérante avec la Commission, de la protection de la confiance légitime et de la bonne foi de la requérante, du principe de sécurité juridique et de l’« attitude surprenante » de la Commission.

 Sur la première branche, tirée de l’absence de récidive

521    La requérante soutient qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une procédure au titre de l’article 82 CE de la part de la Commission.

522    À cet égard, comme il a été indiqué ci-dessus, l’analyse de la gravité de l’infraction commise doit tenir compte d’une éventuelle récidive, celle-ci pouvant justifier une augmentation du montant de l’amende.

523    En revanche, l’absence de récidive ne saurait constituer une circonstance atténuante dès lors que, par principe, une entreprise est tenue de ne pas commettre de violation de l’article 82 CE.

524    Par conséquent, il y a lieu d’écarter la première branche du troisième moyen.

 Sur la deuxième branche, tirée de la coopération de la requérante avec la Commission

525    La requérante affirme qu’elle a coopéré à l’enquête tant lors des visites effectuées par la Commission dans ses locaux qu’en répondant à ses demandes de renseignements.

526    Aux termes de l’article 11 du règlement n° 17, intitulé « Demande de renseignements » :

« 4. Sont tenus de fournir les renseignements demandés les propriétaires des entreprises ou leurs représentants et, dans le cas de personnes morales, de sociétés ou d’associations n’ayant pas la personnalité juridique, les personnes chargées de les représenter selon la loi ou les statuts.

5. Si une entreprise ou association d’entreprises ne fournit pas les renseignements requis dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission les demande par voie de décision. Cette décision précise les renseignements demandés, fixe un délai approprié dans lequel les renseignements doivent être fournis et indique les sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 1, [sous] b), et à l’article 16, paragraphe 1, [sous] c), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. »

527    Il est de jurisprudence constante qu’une coopération à l’enquête qui ne dépasse pas ce qui résulte des obligations qui incombent aux entreprises en vertu de l’article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement n° 17 ne justifie pas une réduction de l’amende (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, points 341 et 342, et du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 218). En revanche, une telle réduction est justifiée lorsque l’entreprise a fourni des renseignements allant bien au-delà de ceux dont la production peut être exigée par la Commission en vertu de l’article 11 du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Daesang et Sewon Europe/Commission, T‑230/00, Rec. p. II‑2733, point 137).

528    Or, en l’espèce, la requérante se contente de soutenir qu’elle a répondu aux demandes de renseignements qui lui ont été adressées. Ce comportement relevant des obligations à charge de la requérante, il ne saurait constituer une circonstance atténuante.

529    Quant à la prétendue coopération de la requérante avec la Commission lors des visites effectuées dans ses locaux, il y a lieu de relever que ce comportement relève également des obligations à la charge de l’entreprise et qu’il ne saurait constituer une circonstance atténuante.

530    Dès lors, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du troisième moyen.

 Sur la troisième branche, tirée de la protection de la confiance légitime et de la bonne foi de la requérante

531    La requérante indique que, à la suite des négociations menées lors de la première procédure en 1981, elle a cru que ses contrats, tels que ceux-ci ont été adaptés, et sa politique commerciale répondaient aux exigences de la Commission. La requérante fait également valoir que les discussions intervenues en 1981 attestent de sa bonne foi, puisqu’elle a d’emblée modifié l’ensemble de ses contrats afin de les rendre conformes aux observations de la Commission à l’époque.

532    En outre, à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Liège du 20 octobre 1989, dans l’affaire FMC, la requérante aurait légitimement pu croire qu’elle ne disposait pas d’une position dominante.

533    Or, tout d’abord, s’agissant des négociations menées entre 1980 et 1982, il convient de rappeler que, comme le précise le considérant 193 de la décision attaquée, l’amende infligée à la requérante ne concerne pas les dispositions acceptées en 1982 par la Commission.

534    Ensuite, il y a lieu de considérer que les arguments tirés de l’arrêt de la cour d’appel de Liège du 20 octobre 1989 ne sauraient prospérer. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la cour d’appel de Liège n’a pas statué sur le fond quant à l’existence ou non d’une position dominante de la part de la requérante.

535    Dès lors, il y a lieu d’écarter la troisième branche du troisième moyen.

 Sur la quatrième branche, tirée du principe de sécurité juridique

536    La requérante estime que le caractère incertain de la notion de « position dominante » et de son application à sa situation, compte tenu du caractère raisonnable de sa part de marché, du pouvoir compensateur de ses clients et de sa puissance de marché relative, aurait dû être pris en considération lors de la fixation du montant de l’amende.

537    À cet égard, il y a lieu de rappeler tout d’abord la jurisprudence relative à la détermination de la position dominante d’une entreprise sur le marché communautaire qui était déjà bien fixée. En particulier, dans l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 275 supra, la Cour a défini précisément la notion de « position dominante ». En effet, au point 38 de cet arrêt, il est précisé que la position dominante visée par l’article 82 CE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs.

538    Ensuite, il convient de relever que la requérante, elle‑même, soutient que ses « parts de marché oscillaient essentiellement aux alentours de 50 % si les marchés sont nationaux et de 60 à 70 % si le marché est européen ». Dès lors, à la lumière de la jurisprudence citée au point 277 ci-dessus, elle possédait des parts de marché extrêmement importantes qui constituaient, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante.

539    Par conséquent, la quatrième branche du troisième moyen doit être écartée.

 Sur la cinquième branche, tirée de l’« attitude surprenante » de la Commission

540    Selon la requérante, la Commission avait admis en 1981 des pratiques considérées depuis comme des infractions très graves. Dès lors, celle-ci serait revenue sur sa position sans explications.

541    À cet égard, il suffit de rappeler que, au considérant 193 de la décision attaquée, la Commission a opéré une distinction entre les pratiques qu’elle sanctionnait dans la présente affaire et celles qu’elle avait acceptées en 1982, pour lesquelles elle n’a pas infligé d’amende.

542    Par conséquent, la cinquième branche du troisième moyen doit être écartée et le troisième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré du caractère disproportionné de l’amende

543    La requérante fait valoir que la Commission lui a infligé une amende dont le montant était disproportionné. Elle soutient que ce montant était « exorbitant » à l’époque où les faits incriminés se sont produits. D’une part, la Commission aurait dû tenir compte de circonstances atténuantes, en particulier de sa bonne foi, de sa confiance légitime et de sa sécurité juridique. D’autre part, la Commission aurait dû tenir compte du chiffre d’affaires de ses activités qui étaient réellement concernées par la décision attaquée, à savoir ses activités en France, en Allemagne et en Belgique.

544    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission a considéré, à bon droit, que les infractions reprochées à la requérante étaient d’une « gravité extrême ». Au considérant 191 de la décision attaquée, elle a notamment indiqué que la requérante était le premier producteur de soude de la Communauté, que les infractions lui avaient permis de consolider sa maîtrise du marché en excluant une concurrence effective dans une grande partie du marché commun et que, en saisissant toutes les opportunités de vente des concurrents pour longtemps, la requérante avait endommagé durablement la structure du marché concerné, au détriment des consommateurs.

545    Dès lors, la Commission pouvait à bon droit infliger une amende d’un montant de 20 millions d’euros à la requérante.

546    À titre purement indicatif, il y a lieu d’observer que les lignes directrices pour le calcul des amendes, bien que celles-ci ne soient pas applicables en l’espèce, prévoient que, pour des infractions « graves », les montants de départ pour le calcul de l’amende envisageables vont de 1 à 20 millions d’euros.

547    S’agissant de l’existence de circonstances atténuantes, il suffit de constater que les arguments avancés par la requérante ont été rejetés aux points 536 à 542 ci-dessus.

548    S’agissant de la prise en compte du lieu des infractions, il résulte de la jurisprudence que le chiffre d’affaires visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 au titre de la limite supérieure de l’amende susceptible d’être infligée s’entend du chiffre d’affaires global de l’entreprise concernée, qui donne seul une indication approximative de l’importance et de l’influence de celle-ci sur le marché. La disposition susvisée du règlement n° 17 ne contient aucune limite territoriale quant au chiffre d’affaires réalisé. Dans le respect de la limite fixée par cette dernière disposition, la Commission peut fixer l’amende à partir du chiffre d’affaires de son choix, en termes d’assiette géographique et de produits concernés (voir arrêt Ciment, point 473 supra, points 5022 et 5023, et la jurisprudence citée).

549    Dès lors, en l’espèce, la Commission n’était pas tenue de prendre en compte un critère territorial dans la fixation du montant de l’amende.

550    Par ailleurs, la requérante ne prétend pas que la Commission a dépassé le montant maximal de l’amende qui peut lui être infligée en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

551    Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de l’écoulement du temps

552    Selon la requérante, la Commission aurait dû prendre en compte le fait que plus de onze années se sont écoulées depuis la fin des prétendues infractions. La requérante se demande quelle est l’« actualité » du caractère punitif et dissuasif de l’amende, alors qu’elle a adapté sa politique commerciale conformément aux exigences de la Commission. Elle ne voit pas non plus quelle justification pourrait être apportée au titre du caractère dissuasif de l’amende vis-à-vis des entreprises tierces.

553    Tout d’abord, il convient de rappeler que, dans la présente affaire, la Commission a respecté les dispositions du règlement n° 2988/74 ainsi que le principe du délai raisonnable. Dès lors, il ne peut être reproché à la Commission d’avoir tardé à adopter la décision attaquée.

554    Ensuite, il résulte de la jurisprudence que, dans la détermination du montant des amendes pour infraction au droit de la concurrence, la Commission doit prendre en compte non seulement la gravité de l’infraction et les circonstances particulières de l’espèce, mais aussi le contexte dans lequel ladite infraction a été commise et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 106, et arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 272).

555    Par conséquent, une amende, même si elle est adoptée à nouveau après un certain laps de temps, ne saurait perdre son caractère punitif et dissuasif, dès lors qu’il est établi que l’entreprise concernée a violé le droit de la concurrence, notamment, comme en l’espèce, par des infractions d’une gravité extrême.

556    Partant, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.

557     En conclusion, ainsi qu’il résulte des points 507 à 512 ci-dessus, il convient de réformer la décision attaquée, en tant qu’elle retient à tort la circonstance aggravante d’une récidive commise par la requérante.

558    En conséquence, le montant de l’amende infligée à la requérante est fixé à 19 millions d’euros.

 Sur les dépens

559    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

560    En l’espèce, les conclusions de la requérante ont été déclarées partiellement fondées. Le Tribunal estime qu’il est fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que 95 % de ceux exposés par la Commission et que cette dernière supportera 5 % de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le montant de l’amende infligée à Solvay SA à l’article 2 de la décision 2003/6/CE de la Commission, du 13 décembre 2000, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (Affaire COMP/33.133 – C : Carbonate de soude – Solvay), est fixé à 19 millions d’euros.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La requérante supportera ses propres dépens et 95 % des dépens de la Commission européenne.

4)      La Commission supportera 5 % de ses propres dépens.

Meij

Vadapalas

Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 décembre 2009.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure

Conclusions des parties

En droit

1. Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré de l’écoulement du temps

Sur la première branche, tirée d’une application erronée des règles de prescription

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe du délai raisonnable

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des formes substantielles requises pour l’adoption et l’authentification de la décision attaquée

Sur la première branche, tirée de la violation du principe de collégialité

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, tirée de la violation du principe de sécurité juridique

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, tirée de la violation du droit de la requérante d’être à nouveau entendue

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche, tirée de l’absence de nouvelle consultation du comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la cinquième branche, tirée de la composition irrégulière du comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la sixième branche, tirée de l’utilisation de documents saisis en violation du règlement n° 17

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la huitième branche, tirée de la violation des principes d’impartialité, de bonne administration et de proportionnalité

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré de la définition erronée du marché géographique

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de position dominante

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le cinquième moyen, tiré de l’absence d’abus de position dominante

Sur la première branche, relative aux ristournes sur tonnage marginal

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, relative à la ristourne « groupe » accordée à Saint-Gobain

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, relative aux accords d’exclusivité

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche, relative aux clauses de concurrence

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la cinquième branche, relative au caractère discriminatoire des pratiques reprochées

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le sixième moyen, tiré de la violation du droit d’accès au dossier

Sur la première branche, tirée du défaut d’accès à des documents à charge

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, tirée de l’existence de documents utiles à la défense parmi les documents du dossier consultés dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure

– Sur le marché géographique pertinent

– Sur le marché du produit en cause

– Sur l’existence d’une position dominante

– Sur l’exploitation abusive de la position dominante

Sur la troisième branche, tirée de l’absence de consultation complète du dossier par la requérante

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

2. Sur les conclusions tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

Sur le premier moyen, tiré de l’appréciation erronée de la gravité des infractions

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la durée des infractions

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré de l’existence de circonstances atténuantes

Sur la première branche, tirée de l’absence de récidive

Sur la deuxième branche, tirée de la coopération de la requérante avec la Commission

Sur la troisième branche, tirée de la protection de la confiance légitime et de la bonne foi de la requérante

Sur la quatrième branche, tirée du principe de sécurité juridique

Sur la cinquième branche, tirée de l’« attitude surprenante » de la Commission

Sur le quatrième moyen, tiré du caractère disproportionné de l’amende

Sur le cinquième moyen, tiré de l’écoulement du temps

Sur les dépens


** Langue de procédure : le français.