Language of document : ECLI:EU:C:2017:356

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 mai 2017 (*)

« Pourvoi – Droit d’accès du public aux documents – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Article 4, paragraphe 2, troisième tiret – Exceptions au droit d’accès aux documents – Interprétation incorrecte – Protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit – Intérêt public supérieur justifiant la divulgation de documents – Présomption générale de confidentialité – Documents relatifs à une procédure EU Pilot »

Dans l’affaire C‑562/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 5 décembre 2014,

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson et N. Otte Widgren ainsi que par MM. E. Karlsson et L. Swedenborg, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Darius Nicolai Spirlea,

Mihaela Spirlea,

demeurant à Capezzano Pianore (Italie),

parties demanderesses en première instance,

Commission européenne, représentée par M. H. Krämer et Mme P. Costa de Oliveira, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par :

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et A. Lippstreu, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, D. Hadroušek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté par M. C. Thorning, en qualité d’agent,

Royaume d’Espagne, représenté par Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,

République de Finlande, représentée par M. S. Hartikainen, en qualité d’agent,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur), C. Vajda, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 avril 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 novembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, le Royaume de Suède demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 septembre 2014, /CommissionSpirlea (T‑306/12, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2014:816), par lequel celui-ci a rejeté le recours de M. Darius Nicolai Spirlea et de Mme Mihaela Spirlea tendant à l’annulation de la décision de la Commission européenne du 21 juin 2012 refusant de leur accorder l’accès à deux demandes d’informations adressées par cette institution à la République fédérale d’Allemagne, en date des 10 mai et 10 octobre 2011, dans le cadre de la procédure EU Pilot 2070/11/SNCO (ci-après la « décision litigieuse »).

 I.      Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), définit les principes, les conditions et les limites du droit d’accès aux documents de ces institutions.

3        Aux termes du considérant 4 de ce règlement :

« Le présent règlement vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents et à en définir les principes généraux et limites conformément à l’article [15, paragraphe 3, TFUE]. »

4        Le considérant 11 dudit règlement énonce :

« En principe, tous les documents des institutions devraient être accessibles au public. Toutefois, certains intérêts publics et privés devraient être garantis par le biais d’un régime d’exceptions. Il convient de permettre aux institutions de protéger leurs consultations et délibérations internes lorsque c’est nécessaire pour préserver leur capacité à remplir leurs missions. Lors de l’évaluation de la nécessité d’une exception, les institutions devraient tenir compte des principes consacrés par la législation communautaire en matière de protection des données personnelles dans tous les domaines d’activité de l’Union. »

5        L’article 1er du même règlement dispose :

« Le présent règlement vise à :

a)      définir les principes, les conditions et les limites, fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé, du droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (ci-après dénommés “institutions”) prévu à l’article [15, paragraphe 3, TFUE] de manière à garantir un accès aussi large que possible aux documents ;

b)      arrêter des règles garantissant un exercice aussi aisé que possible de ce droit, et

c)      promouvoir de bonnes pratiques administratives concernant l’accès aux documents. »

6        L’article 2 du règlement n° 1049/2001 prévoit :

« 1.      Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement.

[...]

3.      Le présent règlement s’applique à tous les documents détenus par une institution, c’est-à-dire établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous les domaines d’activité de l’Union européenne.

[...] »

7        L’article 4, paragraphes 2 et 6, de ce règlement dispose :

« 2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

[...]

–        des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[...]

6.      Si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées. »

 II.      Les antécédents du litige

8        Les requérants en première instance, parents d’un enfant décédé au mois d’août 2010, prétendument en raison d’un traitement thérapeutique à base de cellules souches autologues qui lui a été appliqué dans une clinique privée établie à Düsseldorf (Allemagne), ont introduit, par lettre du 8 mars 2011, une plainte auprès de la direction générale (DG) « Santé » de la Commission.

9        Dans cette plainte, ils soutenaient, en substance, que cette clinique privée avait pu mener ses activités thérapeutiques en raison de l’inaction des autorités allemandes, qui auraient ainsi violé les dispositions du règlement (CE) n° 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) n° 726/2004 (JO 2007, L 324, p. 121).

10      À la suite de cette plainte, la Commission a ouvert une procédure EU Pilot, sous la référence 2070/11/SNCO, et a contacté les autorités allemandes aux fins de vérifier dans quelle mesure les événements décrits dans la plainte, quant à la pratique de ladite clinique privée, étaient susceptibles d’enfreindre le règlement n° 1394/2007.

11      En particulier, les 10 mai et 10 octobre 2011, la Commission a adressé à la République fédérale d’Allemagne deux demandes d’informations (ci‑après les « documents litigieux »), auxquelles cette dernière a répondu respectivement les 7 juillet et 4 novembre 2011.

12      Les 23 février et 5 mars 2012, ces requérants ont demandé l’accès, en vertu du règlement n° 1049/2001, à des documents contenant des informations relatives au traitement de leur plainte. En particulier, ils ont sollicité la consultation, d’une part, des observations déposées par la République fédérale d’Allemagne le 4 novembre 2011 ainsi que, d’autre part, des documents litigieux.

13      Le 26 mars 2012, la Commission a refusé, au moyen de deux lettres séparées, leurs demandes d’accès à ces observations et documents.

14      Le 30 mars 2012, lesdits requérants ont déposé auprès de la Commission une demande confirmative, au titre de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001.

15      Le 30 avril 2012, la Commission les a informés que, à la lumière des informations fournies dans la plainte ainsi que des observations transmises par les autorités allemandes à la suite de ses demandes de renseignements, elle n’était pas en mesure de constater la prétendue violation, par la République fédérale d’Allemagne, du droit de l’Union, notamment du règlement n° 1394/2007. La Commission leur a également fait savoir que, en l’absence de preuves supplémentaires de leur part, il serait proposé de clôturer l’enquête.

16      Le 21 juin 2012, la Commission a refusé, par la décision litigieuse, d’accorder l’accès aux documents litigieux, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001. En substance, elle a estimé que la divulgation de ces documents serait susceptible d’affecter le bon déroulement de la procédure d’enquête ouverte à l’égard de la République fédérale d’Allemagne. Par ailleurs, elle a considéré qu’un accès partiel auxdits documents n’était pas possible en l’espèce au titre de l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001. Enfin, elle a constaté qu’il n’existait aucun intérêt public supérieur, au sens de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement n° 1049/2001, justifiant la divulgation de ces mêmes documents.

17      Le 27 septembre 2012, la Commission a informé les requérants en première instance que la procédure EU Pilot 2070/11/SNCO était définitivement clôturée.

 III.      La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 juillet 2012, les requérants en première instance ont demandé l’annulation de la décision litigieuse. La Commission a demandé au Tribunal de rejeter le recours comme non fondé.

19      Dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, le Royaume de Danemark, la République de Finlande et le Royaume de Suède sont intervenus au soutien des conclusions de ces requérants, tandis que la République tchèque et le Royaume d’Espagne sont intervenus au soutien des conclusions de la Commission.

20      Au soutien de leur recours en première instance, lesdits requérants ont soulevé, en substance, quatre moyens, tirés d’une violation, respectivement, de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, de l’article 4, paragraphe 6, de ce règlement, de l’obligation de motivation et de la communication de la Commission au Parlement européen et au Médiateur européen du 20 mars 2002 concernant les relations avec le plaignant en matière d’infractions au droit communautaire [COM(2002) 141 final] (JO 2002, C 244, p. 5).

21      Le Tribunal a successivement rejeté ces moyens et, partant, le recours dans son intégralité.

 IV.      Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

22      Par son pourvoi, le Royaume de Suède demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens.

23      Le Royaume de Danemark demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué.

24      La République de Finlande demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et la décision litigieuse.

25      La Commission et le Royaume d’Espagne demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner le Royaume de Suède aux dépens.

26      La République tchèque demande à la Cour de rejeter le pourvoi.

27      Par décision du président de la Cour du 7 avril 2015, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Cet État membre conclut à ce que la Cour rejette le pourvoi.

 V.      Sur le pourvoi

28      À l’appui de son pourvoi, le Royaume de Suède soulève trois moyens, tirés, le premier, d’une interprétation erronée de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001, ayant entraîné l’application erronée d’une présomption générale de confidentialité des documents relatifs à une procédure EU Pilot, le deuxième, d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement n° 1049/2001, quant à l’existence d’un intérêt public supérieur, et, le troisième, d’une erreur du Tribunal en ce qu’il a refusé de prendre en compte le fait que la procédure EU Pilot a été clôturée après l’adoption de la décision litigieuse.

A.      Sur le premier moyen

1.      Argumentation des parties

29      Le Royaume de Suède rappelle que le principe de la plus grande transparence possible est applicable aux activités des institutions de l’Union, ainsi que cela ressort de l’article 1er TUE, de l’article 15 TFUE et de l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il soutient que, selon l’arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374), le contrôle du public sur les activités des institutions est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que les exceptions à ce principe sont d’interprétation stricte, ainsi qu’il résulte des considérants 1 à 4 du règlement n° 1049/2001.

30      Le Royaume de Suède estime que les considérations figurant aux points 63 et 80 de l’arrêt attaqué sont erronées en droit, car le Tribunal, d’une part, n’aurait pas dû décider que la Commission pouvait se fonder, pour refuser l’accès aux documents litigieux, relatifs à une procédure EU Pilot, au titre de l’exception relative aux procédures d’enquête prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n °1049/2001, sur l’existence d’une présomption générale de confidentialité s’appliquant à certaines catégories de documents et, d’autre part, aurait dû juger que la Commission était tenue en l’espèce d’effectuer un examen concret et individuel des documents litigieux.

31      Cet État membre critique les appréciations figurant au point 56 de l’arrêt attaqué et fait valoir que les différences entre la procédure EU Pilot et la procédure en manquement sont plus nombreuses que les éventuelles similarités entre celles-ci, de sorte qu’il n’est pas justifié d’appliquer la présomption générale de confidentialité des documents relevant de la phase précontentieuse de la procédure en manquement aux documents relevant d’une procédure EU Pilot.

32      Selon le Royaume de Suède, tout d’abord, il ne saurait être valablement soutenu, contrairement à l’affirmation figurant au point 62 de l’arrêt attaqué, que la procédure EU Pilot a pour unique finalité d’éviter un recours en manquement, dans la mesure où cette procédure a une nature et une finalité différentes en ce qu’elle vise notamment à permettre à la Commission de demander des informations à caractère purement factuel. Ensuite, la Commission communiquerait avec un État membre, dans le cadre des procédures EU Pilot, sans lui faire grief, à ce stade, d’avoir enfreint le droit de l’Union. Enfin, les documents des procédures EU Pilot contiendraient rarement des prises de position de la Commission qui pourraient être invoquées dans le cadre d’une éventuelle procédure en manquement.

33      Le Royaume de Suède estime qu’il ressort clairement des points 47 à 49 de l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), que, au-delà des exigences qualitatives auxquelles doit répondre la procédure à laquelle se rapporte le document concerné, l’application d’une présomption générale de confidentialité suppose aussi que le nombre de ces documents soit suffisamment important. Il soutient que, dès lors, les considérations du Tribunal, figurant aux points 74 et 75 de l’arrêt attaqué, sont erronées en droit et que le souci d’efficacité administrative, qui est susceptible de justifier l’application d’une présomption générale de confidentialité, ne saurait exister lorsqu’une demande d’accès porte seulement sur deux documents.

34      Le Royaume de Danemark et la République de Finlande font valoir que les procédures EU Pilot peuvent concerner un large éventail de cas allant de situations purement factuelles jusqu’à des affaires comparables à la phase précontentieuse des procédures en manquement, de sorte que c’est seulement après une appréciation concrète des documents faisant l’objet de la demande d’accès qu’il est possible de décider de leur divulgation. La République de Finlande estime également qu’un examen portant sur la manière dont un État membre respecte le droit de l’Union ne suffit pas à justifier l’application d’une présomption générale de confidentialité concernant les documents relatifs à cet examen, et que c’est la décision d’ouvrir la procédure formelle prévue à l’article 258 TFUE qui constitue la condition d’application de cette présomption générale.

35      La Commission, la République fédérale d’Allemagne, la République tchèque et le Royaume d’Espagne contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

36      La nature et les caractéristiques essentielles des procédures EU Pilot sont exposées aux points 10 et 11 de l’arrêt attaqué et ne sont contestées par aucune des parties au pourvoi.

37      Ces constatations sont en outre corroborées par le rapport d’évaluation concernant l’initiative « EU Pilot » de la Commission, du 3 mars 2010 [COM(2010) 70 final], et le deuxième rapport concernant l’initiative « EU Pilot » de la Commission, du 21 décembre 2011 [COM(2011) 930 final]. En particulier, à la page 3 de ce dernier rapport, la Commission a fourni une caractérisation de la procédure EU Pilot :

« Le système “EU Pilot” est le principal outil de la Commission pour communiquer avec les États membres sur des questions relatives à l’application correcte du droit de l’[Union] ou la conformité de la législation d’un État membre avec celui-ci, et ce à un stade précoce de la procédure (c’est-à-dire avant le lancement d’une procédure d’infraction au titre de l’article 258 [...] TFUE). Chaque fois que se profile l’éventualité d’un recours à la procédure d’infraction, la règle générale veut que EU Pilot soit utilisé avant que la Commission lance la première étape de la procédure au titre de l’article 258 [...] TFUE. La pratique suivie par le passé, selon laquelle la Commission envoyait des lettres administratives à cet effet, a donc été remplacée. »

38      Il ressort desdites constatations et de ces rapports que la procédure EU Pilot constitue une procédure de coopération entre la Commission et les États membres qui permet de vérifier si le droit de l’Union est respecté et correctement appliqué au sein de ceux-ci. Ce type de procédure vise à résoudre d’éventuelles infractions au droit de l’Union de manière efficace en évitant, dans la mesure du possible, l’ouverture formelle d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE.

39      La fonction de la procédure EU Pilot est donc de préparer ou d’éviter une procédure en manquement contre un État membre.

40      La Cour a décidé, dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), que les documents afférents à une procédure en manquement au cours de la phase précontentieuse peuvent bénéficier de la présomption générale de confidentialité. La Cour a considéré, au point 65 de ce même arrêt, qu’« il peut être présumé que la divulgation des documents afférents à une procédure en manquement, au cours de la phase précontentieuse de celle-ci, risque d’altérer le caractère de cette procédure ainsi que d’en modifier le déroulement, et que, partant, cette divulgation porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 ».

41      Par conséquent, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt mentionné au point précédent, tous les documents, indépendamment du fait qu’ils aient été établis au cours de la phase informelle de cette procédure, c’est‑à‑dire avant l’envoi, par la Commission, de la lettre de mise en demeure à l’État membre concerné, ou durant la phase formelle de celle-ci, à savoir postérieurement à l’envoi de cette lettre, ont été considérés comme étant couverts par cette présomption.

42      Certes, dans ladite affaire, la procédure EU Pilot n’a pas été appliquée, celle-ci n’ayant été introduite qu’à partir de l’année 2008.

43      Toutefois, comme l’a constaté le Tribunal au point 66 de l’arrêt attaqué, sans commettre d’erreur de droit, la procédure EU Pilot n’a fait que formaliser ou structurer les échanges d’informations qui ont traditionnellement lieu entre la Commission et les États membres au cours de la phase informelle d’une enquête concernant de possibles violations du droit de l’Union.

44      Si, au point 78 de l’arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission (C‑612/13 P, EU:C:2015:486), la Cour a précisé que la présomption générale de confidentialité ne s’applique pas aux documents qui, au moment de la décision refusant l’accès, n’ont pas été versés dans un dossier relatif à une procédure administrative ou juridictionnelle en cours, ce raisonnement ne s’oppose pas à l’application de cette présomption aux documents afférents à une procédure EU Pilot, lesquels sont clairement circonscrits par leur appartenance à une procédure administrative en cours.

45      Ainsi, aussi longtemps que, au cours de la phase précontentieuse d’une enquête menée dans le cadre d’une procédure EU Pilot, il existe un risque d’altérer le caractère de la procédure en manquement, d’en modifier le déroulement et de porter atteinte aux objectifs de cette procédure, l’application de la présomption générale de confidentialité aux documents échangés entre la Commission et l’État membre concerné se justifie, conformément à la solution retenue par la Cour dans l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738). Ce risque existe jusqu’au moment où la procédure EU Pilot est clôturée et que l’ouverture d’une procédure formelle en manquement contre l’État membre est définitivement écartée.

46      Cette présomption générale n’exclut pas la possibilité de démontrer qu’un document donné, dont la divulgation est demandée, n’est pas couvert par ladite présomption ou qu’il existe, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement n° 1049/2001, un intérêt public supérieur justifiant la divulgation du document visé (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 66).

47      S’agissant de la prétendue obligation de la Commission d’examiner concrètement et individuellement des documents afférents à une procédure EU Pilot auxquels l’accès est demandé, c’est à bon droit que le Tribunal, se référant au point 68 de l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), a relevé, au point 83 de l’arrêt attaqué, qu’une telle obligation priverait la présomption générale de confidentialité de son effet utile.

48      En l’espèce, le Tribunal a constaté, au point 45 de l’arrêt attaqué, qui n’est pas contesté dans le cadre du présent pourvoi, que la procédure EU Pilot en cause était une « enquête », au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001.

49      Par la suite, le Tribunal a examiné la question de savoir si la Commission pouvait invoquer une présomption générale d’atteinte aux objectifs visés par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001, afin de refuser l’accès à des documents relatifs à la procédure EU Pilot, et a répondu à cette question, aux points 63 et 80 de l’arrêt attaqué, de manière affirmative.

50      En ce qui concerne l’incidence éventuelle de la lettre de la Commission du 30 avril 2012, mentionnée au point 15 du présent arrêt, sur l’obligation de divulgation des documents litigieux, il convient d’observer que cette lettre ne constitue pas la décision définitive de la Commission de ne pas engager une procédure formelle en manquement contre la République fédérale d’Allemagne, mais annonce seulement son intention préliminaire de clôturer l’enquête. La décision définitive de la Commission de ne pas engager de procédure formelle en manquement contre la République fédérale d’Allemagne n’a été prise que le 27 septembre 2012, avec la clôture de la procédure EU Pilot en cause. En conséquence, si la décision litigieuse, en date du 21 juin 2012, a été adoptée postérieurement à la lettre du 30 avril 2012, il n’en demeure pas moins que cette décision a été adoptée antérieurement au rejet de l’ouverture d’une procédure formelle en manquement, en date du 27 septembre 2012. Dès lors, la lettre du 30 avril 2012 est sans incidence sur la faculté, pour la Commission, de se fonder sur la présomption générale de confidentialité visée au point précédent du présent arrêt.

51      Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en reconnaissant que la Commission a la faculté de se fonder, lorsqu’elle invoque l’exception relative aux procédures d’enquête prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001, sur une présomption générale de confidentialité s’appliquant à certaines catégories de documents pour refuser l’accès à des documents relatifs à une procédure EU Pilot, sans effectuer un examen concret et individuel des documents demandés.

52      Dans ces circonstances, il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

B.      Sur le deuxième moyen

1.      Argumentation des parties

53      Le Royaume de Suède, soutenu par la République de Finlande, fait valoir que la décision du Tribunal figurant aux points 94 et 95 de l’arrêt attaqué est erronée en droit, celui-ci ayant jugé à tort que la Commission n’avait pas commis une erreur d’appréciation en considérant, en l’espèce, qu’aucun intérêt public supérieur ne justifiait la divulgation des documents litigieux, au titre de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement n° 1049/2001, au motif que la meilleure manière de servir l’intérêt général était de mener à son terme la procédure EU Pilot avec la République fédérale d’Allemagne. Se référant au point 44 de l’arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374), le Royaume de Suède fait valoir qu’il appartient à la Commission non pas de juger de la meilleure manière de servir l’intérêt général, mais bien de vérifier qu’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant la divulgation de documents.

54      La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

55      Le Tribunal a constaté, au point 97 de l’arrêt attaqué, que les requérants en première instance se bornaient à n’invoquer, à l’appui de leur demande d’accès aux documents litigieux, que des allégations générales, selon lesquelles la divulgation de ces documents serait nécessaire pour la protection de la santé publique, et demeuraient en défaut de préciser les motifs concrets qui justifieraient dans quelle mesure une telle divulgation servirait cet intérêt général. Or, ainsi que le Tribunal l’a, à juste titre, rappelé au même point de l’arrêt attaqué, pour établir le fait que, en l’espèce, la divulgation des documents litigieux répondait à une telle nécessité, ces requérants auraient dû démontrer l’existence d’un intérêt public supérieur, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, dernier membre de phrase, du règlement n° 1049/2001, susceptible de justifier une telle divulgation.

56      La Cour a déjà jugé qu’il incombe à celui qui fait valoir l’existence d’un intérêt public supérieur d’invoquer de manière concrète les circonstances justifiant la divulgation des documents concernés et que l’exposé de considérations d’ordre purement général ne saurait suffire aux fins d’établir qu’un intérêt public supérieur prime les raisons justifiant le refus de la divulgation des documents en question (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, points 93 et 94 ainsi que jurisprudence citée).

57      À cet égard, il convient de constater qu’aucun élément présenté dans la présente affaire n’est de nature à établir que seraient erronées en droit les considérations du Tribunal, figurant au point 97 de l’arrêt attaqué, relatives tant à la charge de la preuve pesant sur les requérants en premier instance qu’au fait que ces derniers se sont bornés à alléguer, de manière générale, que la protection de la santé publique exigeait qu’ils aient accès aux documents litigieux, sans avancer les motifs concrets justifiant qu’une telle protection relevait d’un intérêt public supérieur.

58      Dans ces conditions, le Royaume de Suède n’est pas fondé à soutenir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission a pu valablement considérer que, en l’espèce, aucun intérêt public supérieur ne justifiait la divulgation des documents au titre de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, du règlement n° 1049/2001.

59      Dès lors, le deuxième moyen du pourvoi doit être rejeté.

C.      Sur le troisième moyen

1.      Argumentation des parties

60      Le Royaume de Suède, critiquant les points 100 et 101 de l’arrêt attaqué, fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant refusé d’admettre que les circonstances intervenues postérieurement à une décision de refus d’accès à un document au titre du règlement n° 1049/2001 devaient également être prises en considération par les juridictions de l’Union, dans le cadre du contrôle de légalité d’une telle décision qu’elles exercent sur le fondement de l’article 263 TFUE. Cet État membre estime que, en l’espèce, bien que la clôture de la procédure EU Pilot soit intervenue après l’adoption de la décision litigieuse, cette circonstance aurait dû être prise en compte par le Tribunal, au regard du règlement n° 1049/2001.

61      Ledit État membre fait valoir que, si des circonstances nouvelles ne pouvaient être examinées que dans le cadre d’une nouvelle demande d’accès aux documents adressée à l’institution concernée, un tel régime aurait comme conséquence des procédures parallèles et des allongements de procédures ainsi que des charges administratives accrues pour les demandeurs. En outre, à l’appui de sa décision, le Tribunal se serait fondé sur une jurisprudence de la Cour relative à des procédures en matière d’aides d’État, laquelle ne serait pas transposable aux décisions adoptées au titre du règlement n° 1049/2001. Selon le Royaume de Suède, le Tribunal aurait plutôt dû avoir égard aux points 37 à 41 de l’arrêt du 15 septembre 2011, /CommissionGrolsch Koninklijke (T‑234/07, EU:T:2011:476).

62      La Commission, la République tchèque et la République fédérale d’Allemagne contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

63      Ainsi que le Tribunal l’a constaté, à juste titre, au point 100 de l’arrêt attaqué, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (arrêt du 3 septembre 2015, ./Commissione.a Kanatami TapiriitInuit , C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée).

64      Dans ces conditions, le troisième moyen du pourvoi, tiré de ce que le Tribunal aurait dû prendre en compte la clôture de la procédure EU Pilot en cause, intervenue postérieurement à l’adoption de la décision litigieuse, doit être écarté comme étant non fondé.

65      En conséquence, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

 VI.      Sur les dépens

66      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

67      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 140, paragraphe 1, du même règlement prévoit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

68      Le Royaume de Suède ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de condamner cet État membre aux dépens exposés par la Commission.

69      La République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne et la République de Finlande supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Le Royaume de Suède est condamné aux dépens exposés parla Commission européenne.

3)      La République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne et la République de Finlande supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.